Les crises internationales du XXIe siècle
dossier
12 / janvier-février 2016 / n°457
Le 12 juin 1942, un communiqué de
Radio-Berlin annonça que les Français
“blancs et de couleur” faits prisonniers
à Bir Hakeim seraient exécutés car ils
n’étaient pas considérés comme membres
d’une armée régulière. Une heure plus
tard, de Gaulle fit diffuser par la BBC
le communiqué suivant : “Si l’armée
allemande se déshonorait au point de tuer
des soldats français faits prisonniers en
combattant pour leur patrie, le général de
Gaulle fait connaître qu’à son profond regret,
il se verrait obligé d’infliger le même sort aux
prisonniers allemands tombés aux mains de
ses troupes.” L’aurait-il fait ? On ne le saura
jamais, mais il est permis d’en douter :
une forme aussi primaire de représailles
n’était guère compatible avec les idéaux
de la France Libre. L’essentiel était que
les Allemands l’en aient cru capable – le
principe de la dissuasion jouait à plein.
Le soir même, la radio de Berlin apporta
cette importante précision : “ À propos des
militaires français qui viennent d’être pris au
cours des combats de Bir Hakeim, aucun
malentendu n’est possible. Les soldats du
général de Gaulle seront traités comme
des soldats.’’ Pour de Gaulle, ce second
communiqué était une nouvelle victoire. »
Ce morceau d’Histoire diplomatique
rapporté par François Broche1, est une
leçon pour un temps de crise. Or l’art
diplomatique est passé après la chute
du mur de Berlin de l’école dramatique
à l’école consensuelle de la conciliation
universelle. Ce jeu des instrumentistes
de premier rang du concert des Nations
n’est pas nouveau. Il naît avec la doctrine
Wilson2. Il veut ignorer qu’il subsiste
quelques seconds violons qui ne jouent
pas la partition. Winston Churchill n’a-t-il
pas, évoquant Chamberlain et Daladier,
fait en 1939 cette observation : « An
appeaser is one who feeds a crocodile,
hoping it will eat him last. » ?
Tout, sauf la transparence
La diplomatie de crise est une question
de fond et une question de forme. Sur
le fond, la mise en sommeil du discours
moralisateur, fils illégitime de l’idéologie,
s’impose. Le réalisme dicte le primat,
l’intérêt national, ce que de Gaulle
appelle l’indépendance nationale. Citons
à nouveau Churchill : « If Hitler invaded
hell I would make at least a favourable
reference to the devil in the House of
Commons. » Staline n’est-il pas ce visiteur
du soir le 22 juin 1941 ? Londres n’hésite
pas, ne tergiverse pas pour construire une
alliance avec l’homme du pacte germano-
soviétique. L’ennemi d’hier de mon ennemi
d’aujourd’hui est mon ami. No comment.
Une diplomatie de crise s’attache à traiter
les menaces en fonction des dangers
réels qu’elles présentent. Elle établit des
priorités. Éradiquer la peste d’abord,
contenir le choléra ensuite. Telle est
la finalité de la diplomatie durant un
demi-siècle de crise de 1939 à 1989.
Depuis, l’ardente obligation des politiques
après cette période de tension chaude
puis froide a été, par mimétisme avec la
finance prédatrice, de pomper la trésorerie,
« d’engranger les dividendes de la
paix », selon l’expression du président
de l’Assemblée nationale en 1990.
La stratégie de crise s’est vue rejetée
dans les oubliettes de l’Histoire dont les
imprécateurs du 20 heures proclament
la fin… au bénéfice d’une diplomatie
déshabillée par la vertu, « science sublime
des âmes simples » selon Rousseau.
La forme est, par essence, le carburant de
l’action diplomatique. Pour atteindre les
objectifs, des règles ancestrales se sont
imposées. Tout, sauf la transparence.
Talleyrand, surnommé le « vice », non sans
raison, par Chateaubriand, n’a-t-il pas, à
Vienne, sauver l’essentiel des intérêts du
pays après les campagnes désastreuses
du Petit Caporal ? L’art dramatique est
la science du diplomate. Savoir cajoler,
se fâcher, disparaître par une porte
dérobée, surprendre une main égarée
immédiatement qualifiée d’adultère…
Par Bernard Dujardin
Charles de Gaulle, 1972
Vice-président de l'Institut français de la mer
et François Pézard
Vice-président de l'Institut français de la mer
Une diplomatie de crise
s’attache à traiter les
menaces en fonction des
dangers réels qu’elles
présentent. Elle établit
des priorités. Éradiquer
la peste d’abord, contenir
le choléra ensuite.
Diplomatie de crise : le retour
«
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oser ce qu’on ne croit pas possible d’oser.
Être renard et non corbeau. Le théâtre
du concert des Nations, c’est l’art de se
taire. De dire non sans prononcer le mot.
De dire non pour pouvoir dire oui à la fin.
Il est une constante depuis Hérodote :
on dissimule ses intentions, ses atouts,
ses faiblesses. Le silence est le premier
savoir-faire du jeu de scène. Il l’est de la
diplomatie. Le talent du plénipotentiaire
qui parlemente est l’opposé de celui du
parlementaire.
La fin de la récréation
Couve de Murville est un modèle.
Il s’exprimait fort peu. Ses paroles
étaient brèves, leur clarté obscure. Les
« sources autorisées » en rajoutaient
dans l’hermétique. La diplomatie de crise
qu’il conduisait, fidèle à son président,
nourrissait un climat d’incertitude jusqu’à
son aboutissement. Soutien des États-
Unis dans la crise des missiles à Cuba
en 1962 ; premier veto de la France à
l’entrée du Royaume-Uni dans l’Europe
en construction en 1963 ; reconnaissance
de la Chine populaire en 1964 ; retrait
du commandement intégré de l’Otan en
1966 ; embargo sur les ventes d’armes à
destination d’Israël en 1967 ; second veto
de la France à l’entrée du Royaume-Uni
dans la CEE en 1967… sans compter
les épisodes plus cocasses comme la
guerre de la langouste avec le Brésil en
1963. Cette grande page de la diplomatie
française a été écrite par un homme d’État
à l’hubris atrophiée. Son ambition s’était
épargnée le souci d’être élu et réélu.
Jusqu’à la fin de la Guerre froide, de
bonnes reprises sont mises en scène
à l’occasion : crise des euromissiles
(1983) ; expulsion des diplomates
soviétiques trop curieux (1987), qui
conduit à la dénonciation d’une convention
internationale, l’accord maritime franco-
soviétique, acte exceptionnel dans les
annales diplomatiques de la France.
Depuis, l’Empire du bien a étendu son
manteau d’excellents sentiments sur
l’Occident. La France s’est vue confier le
soin d’exprimer – à défaut d’incarner – les
valeurs communes, communes à l’Union
européenne, communes à l’Alliance
atlantique, communes aux Nations
unies (?). Culpabilisant son julesferrisme
colonial, elle s’est crue dans l’obligation
de se refaire une virginité. D’où un
certain zèle diplomatique. La posture de
gardienne des valeurs lui vaut une inflation
d’aventures extérieures dans les Balkans,
au Moyen-Orient et en Afrique. Elles ne
sont pas sans panache. Les succès sont
là. Immédiats sur le terrain. À terme, ce
sont les 7 janvier et 13 novembre… Loin
de connaître un temps de paix consolidée,
le peuple français se sent moins encore
que pendant la Guerre froide en sécurité.
La fin de la récréation vient de sonner et
le début de la « ré-histoire »… Devant
le Congrès rassemblé à Versailles le 16
novembre dernier, le président de la
République martèle : « La France est
en guerre. Les actes commis vendredi
soir… sont des actes de guerre… La
République française a surmonté bien
d’autres épreuves. Elle est toujours là, bien
vivante. Et ceux qui ont entendu la défier
ont toujours été les perdants de l’histoire.
Il en sera de même cette fois encore. » Si
l’on désire cette victoire et on ne peut que
la désirer, il faut s’en donner les moyens.
L’outil diplomatique est aiguisé en
conséquence. La diplomatie de crise
renoue avec les affaires étrangères de
la Nation. Le 27 novembre 2015, un
drapeau bleu, blanc, rouge flotte sur le
37 quai d’Orsay.
1 - Bir Hakeim mai- juin 1942 » Perrin, 2007, p.148.
2 - Premier de ses 14 points du 8 janvier 1918 : « Open covenants of peace
must be arrived at, after which there will surely be no private international
action or rulings of any kind, but diplomacy shall proceed always frankly and
in the public view. »
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