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RÉSUMÉ
Fondée sur une étude ethnographique de la pratique du soccer amateur au sein d’une
population immigrante associée politiquement à des minorités visibles, discernables par
rapport au groupe majoritaire que forment les Québécois francophones, cette thèse cherche
à élucider le rapport pratique et fonctionnel entre corps, connaissance et société à la lumière
de la théorie de la pratique élaborée par Bourdieu. Dans cette voie, elle cherche à
concevoir la pratique sportive comme vecteur d’intégration sociale susceptible de former
l’habitus propice à l’intégration, à la sociabilité et à la participation sociale requises pour
développer le sentiment d’appartenance à la société d’accueil dans les rangs de ces sportifs.
Dans la veine de la théorisation enracinée, et en s’appuyant sur l’observation systématique
du style de jeu et des représentations sociales autour de l’intégration élaborés par un groupe
d’adeptes du soccer dans une étude combinant observation, vidéo, notes de terrain et
interviews, recueillies dans une ligue amateur de Montréal, la thèse a pour objectif de
débusquer la logique sociale que sous-tend la pratique sportive en décelant le sens pratique
à l’œuvre dans cette dimension de l’espace social. Sur la lancée, l’étude de la pratique du
soccer et de la matérialité du corps de l’immigrant en tant que « fait social total » nous
amène à concevoir l’intégration du nouveau venu à la société d’accueil comme la
combinaison de l’« extériorité » et de l’« intériorité » responsable des dispositions propres à
donner corps à l’intégration. On est fondé à penser que la pratique du sport permet à ses
adeptes de nouer avec leurs vis-à-vis des relations sociales qui, leur conférant des positions
distinctes et distinctives, permettent de comprendre et d’expliquer l’intégration par les
enjeux que cela soulève. Sous ce chef, l’ethnicisation en acte dans ce contexte s’opère sous
la médiation du corps conçu comme « vecteur de connaissances », « forme de présentation
de soi » (Sayad, 1999, p. 301), et « emblème de l’ethnicité » (Defrance, 2009, p. 26). Le
corps, aux yeux des joueurs et des supporteurs, devient objet de représentations fondées sur
la performance sportive, le jugement de l’habileté physique et l’attitude personnelle comme
indicateurs de la compétence du joueur et, plus généralement, les éléments symboliques nés
de l’interaction sociale sur le terrain de jeu comme à l’extérieur. En dernière analyse, le
soccer, par sa pratique, fait office de médiation, voire de levier, susceptible d’aplanir les
entraves à l’intégration à la société d’accueil sous les traits de l’acculturation.
La thèse au programme vient donc enrichir l’explication sociologique du processus
d’intégration en contexte multiethnique à la lumière du concept d’habitus afin de concevoir
théoriquement la dialectique entre acculturation et incorporation sous les traits d’un jeu de
relations objectives en vertu duquel le participant s’y engage de son propre chef, sans être
tout à fait conscient que par la pratique il est soumis au jugement social, à l’inculcation de
dispositions culturellement légitimes, etc. Il s’en dégage l’hypothèse que le joueur de
soccer manifeste la « connaissance par corps » que requiert son intégration à la société
dans laquelle il a décidé d’évoluer de son plein gré (Bourdieu, 2003). La pratique sportive
se révèle donc une « stratégie identitaire synthétique » susceptible de mettre au diapason