Sur l`abstrait et le concret en mathématiques, et l`axiomatique, dans l

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Notae Philosophicae Scientiae Formalis,
vol. 2, n. 2, pp. 175 - 191, outubro 2013.
Sur l'abstrait et le concret en mathématiques, et
l'axiomatique, dans l’œuvre de Marshall Stone
Michel Serfati
Université Paris VII
michel.serfati@univ-paris-diderot.fr
Abstract: This article is intended to describe and to analyze a set of
works of Marshall Stone (1903-1989) between 1936 and 1938. In the
preambles of his seminal article, Stone exposes the problem of the
representation of Boolean algebras, which, he said, is organized
around dialectic between the abstract and the concrete. He explains
how the «abstract» Boolean algebra structure was created from the
set P (E) of all subsets of a set E, a «concrete» instance, provided with
the usual set-theoretic operations. Was there anything else under
the abstract axiomatics than the founding concrete example, i.e. the
algebra of classes? We offer a philosophical analysis of this issue,
which is central to any process of axiomatization.
Key words: Boolean algebras; algebra of classes; algebraic (or
topological) representation; axiomatics.
Resumé: Le présent article est destiné à décrire et analyser un
ensemble de travaux de Marshall Stone (1903-1989) entre 1936 et
1938. Dans les préambules de son article fondateur, Stone expose la
problématique de la représentation des algèbres de Boole, qui, dit-il,
s'organise autour d'une dialectique entre l'abstrait et le concret. Il
explique en effet comment la structure d'algèbre de Boole abstraite
avait été créée à partir de l'ensemble P(E) de toutes les parties d'un
ensemble E, instance «concrète» munie des opérations ensemblistes.
Y avait-t-il autre chose, sous l'axiomatique abstraite, que l'exemple
concret fondateur, celui des algèbres de classes ? Nous proposons
une analyse philosophique de cette question, qui est centrale dans
toute démarche d’axiomatisation.
Mots clé: Algèbres de Boole; algèbre de classes; représentation
algébrique (ou topologique); axiomatique.
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Mathématiques modernes,
mathématiques contemporaines
Un des objectifs du présent travail est d’examiner une distinction entre
mathématiques modernes et mathématiques contemporaines. Par
mathématiques «modernes» j'entendrai ici celles du début du vingtième siècle,
jusqu'à Emmy Noether et Hilbert pour faire court, et dont le Modern Algebra de
Van der Waerden constitue incontestablement l'ouvrage emblématique. En les
qualifiant de «contemporaines», j'entendrai au contraire certaines des
conceptions mathématiques majeures qui, d'une part ont pris leur source
postérieurement à ces précédents auteurs, se sont développés, en gros, autour
de la seconde guerre mondiale, et continuent aujourd'hui à être opératoires et
fécondes.
Dans cette perspective, les travaux de Stone des années 1930 il est
parmi eux trois sultats principaux ici appelés «les» théorèmes de
représentation qui ont constitué l'un des points de passage incontestable
entre les deux époques.
Le présent exposé est donc d'abord destiné à décrire et analyser un
ensemble de travaux de Marshall Stone (1903-1989) entre 1936 et 1938.
Aujourd'hui connus sous le nom collectif de «théorèmes de Stone», le terme
recouvre en fait un faisceau de sultats organisés autour d'une méthode
algébrico-topologique centrale. Soixante dix ans après, les méthodes de Stone
sont devenues chose commune, objets d'innombrables entrées dans la
littérature mathématique, dans des secteurs bien divers, en premier lieu la
théorie spectrale et l'étude des dualités (dites de Gelfand-Stone) aussi la
topologie générale, celle de la mesure (les algèbres de Boole sont, comme on
sait, d’un emploi constant et classique en théorie de la mesure et en calcul des
probabilités).
Il y a une vingtaine d'années (1982), l'ouvrage encyclopédique souvent
remarquable que Johnstone consacra aux Stone Spaces y ajoutait la logique, la
théorie des faisceaux et celle des topos. La largeur du «spectre» d'applications,
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tant directes qu'indirectes est ainsi exceptionnelle. Cette situation pourra
surprendre, quand on verra tout à l'heure à quel point le problème initialement
posé (que Stone s'était en fait lui-même posé) la représentation des algèbres
de Boole aurait pu initialement paraître secondaire, voire futile, aux
contemporains.
La problématique stonienne sera certes exposée plus loin, mais nous la
mettrons d'abord en perspective historique en la faisant précéder d'un état de la
question dans les années 1930 sur deux des thèmes consubstantiels à ce sujet,
l'axiomatique des algèbres de Boole d'une part, la conception des idéaux à
l'époque de Stone, de l'autre.
L'état des idées booléennes à l'époque de Stone
C’est en 1854 qu’on doit faire commencer cette étude par la parution du
traité de Boole (les «Lois de la pensée»), lequel avait produit ce qui fut
longtemps appelé le «calcul de Boole», ou encore l’ «algèbre de la logique
symbolique». Un calcul qui sera largement amélioré par ses successeurs, John
Venn (le disciple), Stanley Jevons (le critique), et surtout Ernst Schröder dont
l'«Algèbre de la logique» (1890) allait faire date.
Il y eut en fait émergence de deux types d'axiomatiques pour l'algèbre
des classes, l'une équationnelle, l'autre ordonnée. Après quoi, il y aura encore
Whitehead et surtout Huntington, dont l'article de 1904 (Sets of independant
postulates for the algebra of logic) fut cisif pour l’«émancipatio de la
structure abstraite.
En 1913, un papier de Henry Maurice Sheffer compléta les travaux de
Huntington. Après Huntington et Sheffer, une algèbre de Boole était donc une
structure abstraite définie axiomatiquement (avec un léger anachronisme)
comme (IB, v,
, -, 0, 1) v et
sont des lois de composition binaires, - une
loi unaire, et (0, 1) des constantes, tels que soient vérifiés divers axiomes:
idempotence et commutativité des deux lois, absorptions mutuelles,
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distributivités mutuelle s, existence d'élément neutres (0 pour v et 1 pour
), et
d’un complémentaire pour tout élément.
Alternativement, à la place de cette structure équationnelle («algèbre des
classes») en provenance directe des conceptions de Boole lui-même, Schröder et
Peirce en construisirent une autre de type ordonné (IB, ≤, -, 0, 1)). En ce sens,
une algèbre de Boole est un certain ensemble ordonné, à savoir un treillis
distributif et complémenté. On montre aisément que les deux présentations sont
logiquement équivalentes. Telle était donc, à l'époque de Stone, une «algèbre
de Boole», structure désormais définitivement abstraite, ainsi d'abord construite
à partir de l'algèbre des classes de la logique, puis, plus algébriquement élaborée
à partir de l'ensemble de toutes les parties d'un ensemble (P(E), , , CE, Ø, E).
Dans sa version ordonnée, l'exemple de base devient évidemment (P(E), , CE, Ø,
E) l'ordre partiel étant l'inclusion.
L'état des idées «idéales» à l'époque de Stone
Pour mettre en perspective historique les théorèmes de Stone, je dois
aussi détailler la situation de la théorie des idéaux en 1936.
La première histoire de la théorie des idéaux remonte à Kummer puis à
Dedekind, lequel en donna le premier une formalisation correcte. L'objectif
initial avait été de tenter d'«expliquer» les situations imprévues rencontrées
quant à la divisibilité dans les corps et les anneaux de nombres algébriques
nouvellement apparus, qui n'étaient pas à proprement parler des paradoxes,
mais heurtaient pourtant ce qu'on peut appeler l'intuition arithmétique du
temps, c'est-à-dire celle de la divisibilité dans Z telle qu'elle avait été pratiquée
depuis des millénaires, et dont l'un des piliers du temple était certainement le
théorème de factorisation unique en facteur premiers, qui se trouvait pourtant
être en défaut dans de très simples exemples.
Cette question des idéaux fut reprise, d'abord par Hilbert dans de
nouvelles catégories d'anneaux, particulièrement ceux de polynômes à plusieurs
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indéterminées. Mais la théorie fut surtout développée dans une perspective
abstraite par Emmy Noether qui lui donna sa forme presque actuelle, et dont elle
constitua le cœur de son œuvre mathématique. Car il s'agissait bien cette fois
pour elle, à la fois d'anneaux en général, et d'idéaux quelconques dans ces
anneaux.
Idées reçues et idéaux nouveaux:
le problème de la représentation
ensembliste des algèbres de Boole en 1936
Dans les préambules de son article fondateur de 1936, The theory of
representations for Boolean algebras (= [1936]), Stone expose la problématique
de la représentation des algèbres de Boole, qui, dit-il, s'organise autour d'une
dialectique entre l'abstrait et le concret. Stone explique en effet comment la
structure d'algèbre de Boole abstraite avait été créée à partir de l'ensemble P(E)
de toutes les parties d'un ensemble E, instance «concrèt munie de ces
opérations spontanées que sont la réunion, l'intersection (finies) et la
complémentation ensemblistes. Depuis que l'axiomatique abstraite avait été
proposée, aucun autre exemple ne s'était cependant présenté, à l'exception
évidemment de l'instance substantiellement analogue constituée d'une simple
sous algèbre de ce même P(E) stable pour les lois ensemblistes, en anglais a field
of sets. Je lui préférerai le terme d'algèbre de classes, usuel chez Stone.
Y avait-t-il donc autre chose, sous l'axiomatique abstraite, que
l'exemple concret fondateur, celui des algèbres de classes ? En d'autres termes,
étant donnée une algèbre abstraite IB, existait-il un ensemble E tel que IB soit
booléennement isomorphe à une sous algèbre de Boole A de P(E)? A est alors
une représentation ensembliste de IB.
Dans ses préambules, Stone remarque que ce type de questions s'était en
fait déjà depuis longtemps posé au sujet des groupes «abstraits» et la réponse,
positive, avait été fournie très simplement par Cayley dès 1878: tout groupe
abstrait est isomorphe à un (sous-) groupe concret de substitutions. La
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