étant même le témoin d’une crainte face à cette implication.
L’étymologie d’impliquer est
implicare,
envelopper, embar-
rasser, de
plicare,
plier. Etre impliqué, c’est en quelque sorte, être
« plier dedans ». Il faut donc déplier la relation pour en voir les dif-
férentes strates, les lignes de pliages, les faux plis et les bords.
Jacques Ardoino, professeur de Sciences de l’éducation, nous dit à
ce sujet :
« Il faut se garder notamment de confondre implication et engage-
ment (être impliqué, analyser ses implications ou vouloir s’impliquer).
L’engagement est de nature volontaire, idéaliste et humaniste. Il
sert le plus souvent de masque à l’analyse des véritables implica-
tions. Les implications sont très profondément de l’ordre de l’opaque
et de ce qui est subi. Ce qu’il reste possible, c’est d’en entreprendre
l’analyse pour les rendre moins aveugles, pour les reconnaître
».
Il poursuit cette idée en ajoutant que « les bonnes inten-
tions, les engagements explicites ne sont pas exempts de doubles
fonds. […] Se vouer aux malheureux ou s’occuper des « handicapés »,
sans préjudice des effets positifs d’une telle « vocation », peut en-
core contenir le désir d’affirmation d’une supériorité ou d’une forme
quelconque d’exercice d’un pouvoir »
Mais il avait aussi réaffirmé et précisé que «
les implica-
tions sont ce par quoi nous tenons à l’existence et, donc, ce que nous
faisons d’important pour nous réaliser. Ce qui les distingue de l’enga-
gement, avec lequel on les a longtemps confondues, c’est, justement
leur ancrage dans l’imaginaire. Elles nous sont, de ce fait, toujours,
plus ou moins opaques et ambiguës, si ce n’est tout à fait inconscien-
tes, et dépendent, pour devenir effectivement interface entre le
réel et l’imaginaire, d’un travail spécifique d’élucidation ».
Parvenir à situer les enjeux affectifs des rencontres édu-
catives nous met donc personnellement en question. Il ne saurait y
avoir de réelles rencontres sans entrer dans ce processus d’intros-
pection et de distanciation. L’authenticité, qui me semble une condi-
tion de la rencontre, comme évoqué, précédemment, dépend de
cette interrogation de nous-même à travers la relation à l’autre.
A ce point de la réflexion, il devient plus clair que la ren-
contre enrichit, qu’elle nous enseigne sur ce que nous sommes tout
en nous renseignant sur l’autre. Sa richesse est donc indéniable.
Entrevoir cette acquisition d’un savoir sur nous-même est le premier
signe qu’une véritable rencontre a eu lieu. Mais ce que l’on découvre
peut déplaire, effrayer, horrifier. L’effet miroir de la folie de l’au-
tre nous renvoie à notre propre folie. La violence de l’autre éveille
notre propre violence.
Le risque à s’engager dans une relation serait donc d’acti-
ver trop fortement notre implication et de craindre de ne pas par-
venir à l’élucider, donc d’en souffrir intensément. La tentation pour-
rait donc être d’éviter cette rencontre.
Il semble qu’une des finalités de l’action de l’éducateur
spécialisé, du travailleur social sera plutôt de tenter de trouver des
pistes pour faire face à ces tensions entre une recherche de ren-
contre profitable pour les deux protagonistes et les risques aux-
quels cela les exposent.
Ainsi posée, la problématique de la rencontre effleure la
dimension d’impossible dont elle est, au fond, fortement empreinte.
La recherche de postures pour tenter cet impossible fera l’objet
d’un prochain article dans le numéro 2 du bulletin d’ALTER.
J-Y.S
1- A ce sujet, il est intéressant de constater que l’un des principaux sites de rencontres par Internet
se nomme « meetic.fr » évoquant à la fois le verbe anglais « to meet » et, phonétiquement, le terme
mythique comme si l’éventuelle rencontre s’élevait au rang du mythe, histoire héroïque, extraordi-
naire, fabuleuse mais relevant aussi de l’imaginaire.
2 - Le nouveau petit Littré, Editions France Loisirs avec l’autorisation des Editions Garnier, 2005.
3- Le petit Larousse illustré, Editions Larousse, 1916.
4- Le nouveau Petit Littré, ibid.
5-Jacques Ardoino, Les avatars de l’éducation. PUF, 2000, p. 35.
6- Ibid, p.233.
7- Ibid, p.233
si elle ne permettait pas de réfléchir nos actes éducatifs selon deux
axes. D’une part, il est nécessaire de mettre en évidence la nécessité
de réfléchir à nos représentations de la rencontre, dans notre vie
privée et sur le plan professionnel comme un préalable à l’interven-
tion. D’autre part, tenir le paradoxe entre richesse et risque inhérent
à toute rencontre sert de fondement à cette intervention.
Les enjeux affectifs de la rencontre
Approfondissons d’abord les ressorts des présupposés personnels de
la rencontre. C’est à partir de ceux-ci que se forge notre conception
de la rencontre. Mais ces présupposés sont eux-mêmes sous-tendus
par notre propre expérience de rencontre avec le monde. Selon, les
conditions de notre naissance et la qualité de l’édification d’une sécu-
rité affective dans nos relations parentales, la rencontre avec l’autre
sera plus ou moins recherchée, évitée, appréciée ou crainte. De même,
si les discours éducatifs de notre enfance sont porteurs d’une ouver-
ture à la rencontre ou au contraire s’ils tentent de nous tenir éloigné
d’influences extérieures, notre approche de l’autre en sera profondé-
ment influencée. Quand on ajoute à cette forme de déterminisme,
d’éventuels discours stigmatisants vis-à-vis de telle ou telle groupe de
population, la complexité de l’analyse de notre implication dans nos
rencontres privées apparaît au grand jour. De même, il est éminem-
ment difficile d’envisager les impacts de ces différents facteurs sur
notre conception de la rencontre éducative. Exercer une fonction
éducative nécessite pourtant de faire un retour sur notre vécu expé-
rientiel de la rencontre. Ainsi, une véritable élaboration de nos moti-
vations professionnelles peut s’ouvrir. Il faut se demander ce qui nous
a poussés vers cette fonction. Est-ce une recherche de continuité
avec un climat familial d’ouverture à l’autre ? La défense de valeurs
humanistes clairement identifiées ne tardera alors pas à s’affirmer.
Dans ce cas, la rencontre sera effectivement envisagée comme ri-
chesse et un véritable échange aura lieu.
Est-ce plutôt une rupture d’avec un milieu hyper protec-
teur ? Dès lors, exercer un métier de rencontre pourrait avoir comme
finalité latente de se rassurer sur ses capacités à entrer en relation ;
les personnes que nous accompagnons étant alors souvent perçues
comme plus maladroites que nous-même dans les contacts humains.
Est-ce encore, peut-être, pour d’autres, une voie pour re-
jouer des pans de leur propre histoire et trouver ainsi leur propre
équilibre ? La rencontre avec des personnes en difficultés en sera-t-
elle pour autant affectée ? Sa qualité, dénaturée ? Ou, le fait d’en
avoir pris conscience, nous permettra-t-il au contraire, de gagner en
humilité, pour mieux laisser sa place à l’autre ?
Cette introspection me paraît nécessaire à l’exercice des pro-
fessions médico-socio-éducatives. Elle nous appartient, se déroule en
privé, est parfois tardive ou, au contraire, elle a initié ce choix pro-
fessionnel mais il me paraît difficile d’en faire l’économie, si l’authen-
ticité fait partie des valeurs que l’on défend. Ce devrait être aussi
une posture sous-jacente à toute réflexion collective sur nos actes
éducatifs, nos pratiques quotidiennes. Qu’y a-t-il de mes propres an-
goisses, de ma quête de jouissance, de ma propre histoire dans ce qui
m’a échappé, là, quand j’ai réagi de telle manière avec telle personne
dans telle situation et dont, au fond de moi-même, je ne suis pas très
fier !
Ce travail d’analyse des pratiques est constitutif de notre
professionnalité. Il est à revendiquer, à défendre, à développer, c’est
le lieu privilégié de l’analyse de nos implications. Il est ici nécessaire
d’apporter quelques précisions : être impliqué est souvent utilisé
comme synonyme d’être engagé. Ce serait comme l’indicateur de la
motivation professionnelle. « Lui au moins c’est un éduc impliqué, en-
tend-t-on parfois ! » Il y a une erreur sémantique. En fait, ce dont on
veut parler, c’est d’engagement professionnel car tout intervenant
est impliqué et ce malgré lui. La distance qu’il adopte dans la relation
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