« Enfin… ». Ce fut le premier
mot qui m’est venu à la bouche
lorsque j’ai appris que quelques
éducateurs, vite rejoints par
d’autres travailleurs sociaux,
décidaient de se rassembler
pour fonder un groupe de ré-
flexion sur le travail social.
La première réunion à
laquelle j’ai participé (la 3ème
du groupe) me confirma que je
pourrais peut-être trouver ce
que je cherchais depuis long-
temps: un lieu d’échange sur
nos pratiques professionnelles,
sur nos déceptions communes
mais aussi et surtout sur nos
espoirs de pouvoir ensemble
faire progresser le débat sur le
travail social…
Les réunions mensuelles
du groupe ALTER, ouvertes à
tous, se découpent en deux
temps: le premier temps est
consacré à un échange qui se
veut constructif sur le travail
social tel que les acteurs de ter-
rain le vivent au jour le jour…
Puis en deuxième partie de ré-
union nous travaillons sur la
réalisation d’un bulletin. l’ob-
jectif de ce dernier est de répon-
dre à un besoin des profession-
nels du secteur social de pou-
voir s’exprimer librement, à
travers l’écrit, en dehors du
contexte institutionnel.
Dans ce premier numé-
ro, le groupe ALTER a choisi
comme ligne directrice de déve-
lopper le thème de La Ren-
contre. Le prochain numéro
sera lui consacré à la question
de l’interculturalité. Alors à vos
plumes...
Aussi, si comme nous
vous avez le désir de partager
un moment de réflexion sur le
travail social, n’hésitez pas à
nous rejoindre (date des pro-
chaines réunions en page 6).
Le groupe ALTER (Avec Lien Travail Education Relation) est issu de la
mobilisation nationale contre la "refonte" de la convention collective du 15 Mars 1966 à la-
quelle de nombreux travailleurs sociaux ont participé, le plus souvent regroupés en collectifs.
La manifestation devant les locaux parisiens, le 06 Décembre 2005, se tenait la commis-
sion paritaire chargée de cette refonte, a été l’un des temps forts de ce mouvement. Il s’a-
gissait de lutter contre l'esprit et l'idéologie de cette refonte proposée par les représen-
tants des employeurs et principalement dictée par une logique gestionnaire de réduction des
coûts des institutions sociales, éducatives, médico-sociales et d’insertion. Un important re-
groupement local devant la préfecture du Puy de Dôme à Clermont Ferrand et une manifesta-
tion informative et festive le 14 mars 2006, à l’occasion des 40 ans de la CC66, sont aussi
venus signifier l’attachement des travailleurs sociaux de la Région à cette convention collec-
tive et à l’identité professionnelle des travailleurs sociaux, identité multiforme mais fondée
sur des valeurs communes. Les syndicats de salariés sont restés vigilants dans le déroule-
ment des négociations durant l’année 2006. Il semble que celles-ci soient aujourd’hui au point
mort mais risquent d’être relancées après les élections présidentielles , dans un esprit, il
faut le craindre, toujours autant marqué par la prégnance de l’ultralibéralisme.
Le groupe ALTER, initialement issu de ce mouvement, trouve sa spécificité en propo-
sant de mettre l’accent sur ces valeurs communes aux travailleurs sociaux. En témoignant de
leurs convictions, en affirmant leurs fondements, il enrichira l’argumentation de leurs posi-
tionnements professionnels face aux évolutions et involutions de notre société. Il s’agit pour
lui de réfléchir, de questionner, de faire des propositions, face à la dérive marchande du
secteur médico-socio-éducatif, face aussi à un contexte de plus en plus sécuritaire, discrimi-
nant et producteur d’exclusion. A titre d’exemple, il suffit de penser aux lois sur l’immigra-
tion, à celle sur la prévention de la délinquance ou encore au rapport de l’INSERM à propos
du dépistage des troubles des conduites des enfants de moins de 3 ans, heureusement non
retenu suite à une forte mobilisation nationale fédérée par le collectif « Pas de zéro de
conduite pour les enfants de moins de trois ans ».
Il semble en effet, qu’après s'être construit sur des valeurs humanistes, notre sec-
teur, ainsi que le discours actuel - va plutôt vers "l'Autre Dangereux"! Comment alors cons-
truire un accompagnement si d'entrée l'altérité est dangereuse? Et, quid du lien social?
Dès lors, parmi les finalités prioritaires du groupe ALTER, seront exprimées le main-
tien de la prise en compte d'un sujet et le refus de passer celui-ci à la trappe, aux profits
d'objets partiels, et de fait partiaux. Faire savoir et développer la richesse de ceux qui sont
au ban de notre monde serait une autre orientation. Ce groupe de travailleurs sociaux pour-
rait encore permettre de développer la fonction sociale des travailleurs du secteur socio-
éducatif et faciliter une meilleure expression de leurs rôles dans la société, en terme de
transformation sociale en faveur des plus démunis.
En outre, ce mouvement pourrait, à terme, constituer un groupe de référence possi-
ble pour les travailleurs sociaux qui renforceraient, par leur adhésion, leur sentiment d’ap-
partenance à des identités professionnelles distinctes, complémentaires mais comportant un
noyau commun. Il participerait à construire une image des professions socio-éducatives dont
l’engagement vise, pour nous, une transformation sociale à travers des accompagnements in-
dividuels ou de groupes minoritaires de personnes en difficultés. C’est bien de l’expression
des cultures professionnelles qui le constitueraient dont il pourrait être l’interprète.
ALTER pourrait également proposer et utiliser tout moyen de diffusion grand public
afin de faire évoluer les représentations du plus grand nombre (émission de radio, télévision,
Internet, documentaire, diffusion de création artistique provenant du secteur) et contribuer
ainsi à une découverte des personnes accompagnées par les travailleurs sociaux.
L’un des autres objectifs d’ALTER est aussi de donner à voir les écrits élaborés par
des professionnels du secteur, de les défendre et de les promouvoir.
Dans l’immédiat, les échanges entre ses participants visent à enrichir leur réflexion
afin d’étayer leurs convictions et de contribuer à un projet de société différent. La recher-
che d’une articulation constante entre les sujets de réflexion propre à nos champs d’inter-
vention et l’actualité sociale et politique anime ses débats auxquels participent chaque mois
entre 10 et 15 personnes environ.
AVEC LIEN TRAVAIL EDUCATION RELATION
ALTER
2
Loi sur la prévention de la délinquance
Çà y est, la fameuse loi sur la prévention de la délinquance a
été adoptée par le parlement le 22 février dernier. Et le
Conseil Constitutionnel vient d’en entériner le caractère
constitutionnel.
Il y aurait tant de choses à dire sur ce qu’entraîne cette loi,
comme par exemple:
Le nouveau rôle du maire dans le dispositif de prévention
de la délinquance: l’édile a désormais une place centrale
dans ce dispositif or, quand on connaît les idées de cer-
tains maires, on ne peut que craindre des dérives.
la remise en question du secret professionnel...
ou encore la nouvelle (on ne les compte plus!!!) réforme
de l’ordonnance de 1945.
Mais un autre point, peut-être moins intriguant de prime
abord, attire notre attention: celui lié à la remise en question
de l’excuse de minorité, cet élément qui faisait jusque-là que
les peines encourues par les mineurs étaient divisées par deux
par rapport à celles des majeurs.
Avec la loi sur la prévention de la délinquance, l’excuse de
minorité disparaît dans certains cas, notamment dans des af-
faires concernant les mineurs de 16 ans en situation de réci-
dive.
C’est en tentant de prendre un peu de recul par rapport à cette
question que je me suis demandé dans quelle mesure ce coup
porté à l’excuse de minorité n’était pas plus largement une re-
mise en question de la prise en compte du fait d’être un indi-
vidu en devenir! En effet, si l’on promet aux mineurs les mê-
mes peines que pour les majeurs, où se trouve alors la prise en
compte du fait d’être mineur, donc jeune, donc à un âge où on
se construit, on a besoin de se confronter à des limites, et
donc parfois à la loi.
En cela l’excuse de minorité n’a pas pour but d’excuser l’au-
teur mais plutôt de tenir compte du fait qu’il est un individu
en devenir, qui continue d’apprendre, parfois en commettant
des délits.
Aussi, si d’un point de vue pénal on ne fait plus de différence
entre ce qu’encourent un mineur et un majeur, pourquoi alors
en fait-on au niveau de leurs droits (droit de vote, de conduire,
d’acheter certains produits, etc…)?
Ainsi, c’est à se demander si à travers la question de l’excuse
de minorité, cette loi sur la prévention de la délinquance n’a
pas pour volonté d’ôter au mineur le fait qu’il soit un individu
en pleine construction. Plus largement que sa simple portée
judiciaire, cette loi risque donc de créer un précédent dans la
manière dont notre société voit sa progéniture…
F.C
BREVES
Prison pour mineurs
On vient d’apprendre l’ouverture, pour juin
2007, de la première prison pour mineurs,
d’une capacité de 70 places, à Lyon.
Actuellement, 30 mineurs sont incarcérés
dans la région lyonnaise. Mais pourquoi alors
construire une prison pouvant en accueillir
plus du double???
Deux hypothèses: soit on attend un double-
ment de la délinquance juvénile dans les an-
nées à venir, soit on compte privilégier la
prison comme ponse à la délinquance des
jeunes…
Nous avons notre idée la dessus!
Contre la montre…
Selon nos sources, la toilette à l’hôpital, dans
un service de gérontologie, en long séjour : 7
minutes pour le lever, la toilette entière et
l’habillage ! Qui dit mieux ! 3 minutes pour le
repas ! En matière de rencontre, on ne peut
faire plus fugace. Mais voilà le résultat d’une
pensée gestionnaire sur les pratiques de
soin… Sans autre commentaire.
Délinquance hyper juvénile...
Dépêche de l’AFP du vendredi 22 septembre
2006, 8h30 : Quatre enfants de cinq ans ont
été renvoyés de leur école maternelle, à
Jonquières (Vaucluse), accusés d'avoir
contraint une petite de quatre ans à des at-
touchements durant la récréation, a-t-on ap-
pris jeudi de source judiciaire.
Et s’ils jouaient au docteur ! Mais non, il est
d’emblée supputé qu’il s’agirait d’une agres-
sion. Voilà encore un exemple d’une interpré-
tation paranoïde d’un comportement d’en-
fant ; C’est un nouvel exemple que la société
d’aujourd’hui tend à présenter l’autre comme
dangereux. Sous prétexte de réprimer la dé-
linquance sexuelle, afin de couvrir sa respon-
sabilité - ouverture de parapluie oblige ! la
découverte du corps de l’autre devient sus-
pecte même en maternelle ; et si c’était un
trouble de la conduite, il faudrait peut-être
prescrire un psychotrope à cet enfant en
plus de l’exclusion !
« LA RENCONTRE », par E.D.
Dès mon arrivée, j’ai senti son regard sur moi : regard observateur, interrogateur : qui
est-elle ? Comment va-t-elle s’en sortir ? Cette première rencontre était presque
comme un test, du moins l’ai-je ressentie de la sorte.
J. est une femme de 48 ans. Tétraplégique, elle est totalement dépendante de la per-
sonne qui va prendre soin d’elle au quotidien.
Quelques minutes s’écoulent à peine et voilà que les membres de l’équipe s’engagent dans de nombreuses ex-
plications concernant ses habitudes, les manipulations préconisées et autres façons de faire, ce qu’elle aime ou
n’aime pas, quelques traits de son caractère, son passé, son histoire. Voici en somme qu’ils me racontent J.
Et elle écoute, elle veille à ce que la vérité soit bien dite et me regarde comme pour guetter la moindre de mes
réactions. Si je croise son regard, c’est un sourire compatissant que je crois reconnaître ou des mimiques cher-
chant à signifier les états d’âmes liés à ces moments racontés. J. sait d’ailleurs rectifier si nécessaire ou rajou-
ter des choses qu’elle pense utile de me faire savoir.
Cette rencontre devient alors une véritable « confession ». Inconnue encore il y a 2 ou 3 heures, je m’immisce
dans l’intimité de J. Pas forcément très à l’aise, je sais que mes réactions sont observées et qu’elles vont être
importantes pour l’avenir de ma relation avec elle. Puis vient l’heure de la toilette, moment je vais entrer
dans l’intimité corporelle de J.
Si les changes deviennent une question d’habitude au niveau des gestes, intervenir pour la première fois dans
la toilette intime d’une personne reste toujours un instant particulier et délicat.
Les soins prodigués lors de cette première rencontre vont donner une image (professionnelle) de moi à la per-
sonne et il est donc important qu’elle corresponde au mieux à mon savoir faire mais aussi à mon savoir être.
Etre soi-même me parait être primordial pour que l’autre puisse s’y retrouver. Fin de la toilette, J. me sourit.
Un sentiment de soulagement et de petite victoire m’envahit : même si tout ne fait que commencer, cela com-
mence plutôt bien !
J. veille toujours sur tous mes gestes et me redit les bonnes manières de faire. Ce qui se joue entre elle et moi
aujourd’hui, c’est la recherche de confiance. Suis-je digne de confiance ? Va-t-elle pouvoir compter sur moi ?
J’ai encore du mal à me saisir de ses mots. L’équipe la comprend, il ne s’agit donc certainement que d’une
question d’habitude…et d’écoute !
...Il me semble que la communication non verbale trouve ici toute son importance. Grâce à nos autres sens no-
tamment le regard et le kinesthésique, j’ai pu commencer à construire une relation de confiance avec J. : « je
ne comprends pas toujours ce que tu me dis mais j’arrive à ressentir (ou au moins en ai-je l’illusion !) que tu
es bien, mal, en colère, vexée ou encore intriguée ! »
Suite à cette expérience de rencontre avec J., la question de l’empathie se pose alors à moi en ces termes :
est-ce que dans la rencontre, ce qui m’est demandé est réellement de «s’identifier» à l’Autre, de «ressentir ce
qu’il ressent» tel que le définit le dictionnaire Le Petit Robert ?
« L’empathie consiste à saisir avec autant d’exactitude que possible, les références internes et les compo-
santes émotionnelles d’une autre personne et à les comprendre comme si l’on était cette autre personne »
nous explique Carl Rogers dans le dictionnaire de psychologie Doron-Parot.
[la suite en page 4]
3
«
«
Je ne demande pas
Je ne demande pas
de prières, avec votre
de prières, avec votre
confiance seulement, je
confiance seulement, je
serai heureux
serai heureux
»
»
Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud
Faire une rencontre, dans le langage commun, est souvent
inattendu. Parfois, on aurait préféré éviter la dite rencontre, par-
fois, elle renvoie à un événement heureux. Faire une rencontre ce
peut être un moment de partage et de gaîté comme un moment de
conflit dont l’issue, imprévisible, est crainte ou au contraire espé-
rée. Une ambivalence semble d’emblée habiter la première acception
de ce terme.
Faire La Rencontre est une autre expression qui, dans son
emploi superlatif, vient comme effacer cette alternative. La Ren-
contre, amoureuse notamment, peut être longuement souhaitée, -
vée voire idéalisée ou survenir de façon imprévue. La Rencontre pos-
sède alors un caractère d’unicité ou est présentée comme telle, avec
emphase, pour s’en persuader ou se valoriser dans le regard d’au-
trui ; être celle ou celui ayant fait La Rencontre. Elle est forcément
sereine, harmonieuse, pacifique, chargée d’affects positifs à moins
que son caractère passionné la rende plus houleuse. Elle rejoint alors
le versant conflictuel évoqué.
Quelle rencontre ! Cette forme exclamative pourrait ré-
unir ces deux premières significations tant pour désigner la nature
d’une rencontre, bonne ou mauvaise, que pour mettre en exergue son
intensité et sa singularité.
Enfin, faire des rencontres est l’un des objectifs de beau-
coup de soirées festives, de voyages, des vacances, des loisirs. Qu’il
s’agisse de trouver l’être cher grâce à des sites Internet spéciali-
sés, au speed dating, ces agences matrimoniales d’un nouveau genre,
de se faire des amis ou de découvrir d’autres cultures, chercher les
rencontres est le témoin de formes possibles de la socialisation.
Faire des rencontres devient ainsi aller à la rencontre. Une dimen-
sion active, volontaire distingue ce dernier sens des trois précé-
dents déterminés plutôt par un aspect passif. En outre, il rejoint la
définition du substantif rencontre : « action d’aller vers quelqu’un
qui vient. Aller à la rencontre de. » . La rencontre est donc exigean-
Est-ce que l’autre nous demande vraiment de nous mettre à sa place lors d’une rencontre ?
Serait-ce d’ailleurs possible ou ne s’agira t’il jamais que d’une illusion ?
Ce que J. me demandait lors de cette première journée était, à mon avis, d’être au contraire moi-même, entité
bien distincte d’elle mais capable d’être proche, assez proche pour lui prodiguer divers soins. Soins corporels
mais aussi mettre du soin à l’écouter se raconter, me dire qui elle est. Mettre aussi du soin à la découvrir et tra-
vailler dans un contexte chaleureux qui permettra peut-être l’échange, la création de liens, la relation de
confiance, qui tentera de faciliter l’ouverture de l’une à l’autre.
Dans les définitions données, l’identification à l’autre me paraît être contradictoire avec le concept d’empa-
thie. Suite à cette expérience de rencontre puis à cette réflexion, il me semble que l’important est bien d’être
pleinement soi afin de permettre à l’Autre d’être pleinement lui. Ainsi, nous évitons de rentrer dans ce contexte
si délicat de l’affectivité, néfaste, à mon avis, pour chacune des deux personnes. En effet, l’affectivité n’arrive
t’elle pas inévitablement dans un contexte identificatoire ?
Dans cette expérience, s’ouvrir aux différents champs de la communication, verbale et non verbale, était donc
un premier pas vers la création de liens. Beaucoup de choses se sont jouées lors de ce premier contact et ont
certainement déterminé la nature de nos liens. Confiance et complicité sont ceux que je crois avoir construit
avec J. ou devrais-je plutôt dire : qu’elle m’a permis de construire avec elle car si j’ai travaillé dans ce sens,
c’est elle qui a finalement décidé de s’ouvrir à moi !
Mieux que de me mettre à sa place, et malgré des difficultés parfois encore de compréhension verbale, je
pense que J. et moi avons parlé le même « langage ». C’est comme cela que nous nous sommes le mieux com-
prises et que j’ai pu être au plus proche d’elle.
Pour ma part, ce fut une très belle rencontre et je ne peux qu’en remercier sincèrement J.
E.D.
4
« DE LA RENCONTRE AUX RENCONTRES EDUCATIVES : UN IMPOSSIBLE ? »
-te, elle demande de l’attente, un effort, de la retenue, ou au contraire
du laisser aller, une ouverture, un abandon des résistances. Face à
cette première difficulté de la rencontre, comment peut-elle parvenir
à prendre un caractère éducatif ? Tenter d’affiner encore la définition
de la rencontre paraît donc utile pour mieux cerner la notion de ren-
contre éducative.
La rencontre : poursuite de définitions
Dans ce registre, le dictionnaire propose aussi d’autres acceptions
comme « l’occasion qui fait trouver fortuitement une personne, une
chose », mais aussi « le concours, la conjonction ou opposition des
corps ». Se retrouve ici l'inattendu et la qualité active de la rencontre
ainsi que l’idée d’une adjonction. La rencontre amène de l’excédant ou
fait se confronter deux objets, deux personnes. Cette confrontation
va même jusqu’au sens d’« un combat imprévu de deux corps ennemis qui
se rencontrent ». La rivalité, la concurrence, le désaccord, la sen-
tente, sont donc bien susceptibles de déterminer une rencontre.
A minima, comme le Petit Larousse de 1916, préférait indiquer, une ren-
contre est « la jonction de deux personnes ou de deux choses qui se
meuvent en sens inverse ». A l’époque, l’accent était porté à la fois sur
le croisement, la réunion et sur l’antagonisme de la rencontre mais aussi
sur « le hasard, l’aventure par laquelle on trouve fortuitement ». Un
rencontre serait alors aussi une aventure d’où son attrait, bien qu’elle
puisse parfois se révéler dangereuse. A ce point, se rejoignent à la fois
l’idée du risque lié aux rencontres et l’idée du gain , d’un produit de la
rencontre.Ce gain est encore signifié à travers un autre axe de défini-
tion ainsi formulé : « toute espèce d’engagement prévu ou imprévu ».
Dès lors, toute rencontre induirait-elle un engagement ? Et si oui, de
quelle nature ? Toute rencontre ne nous exposerait-elle pas aussi à un
risque ? Le risque de l’autre, de l’étranger et de l’étrange qui vient
ébranler nos certitudes ou nous mettre en danger ? Cette tentative
pour cerner la notion de rencontre resterait au fond peu intéressante
étant même le témoin d’une crainte face à cette implication.
L’étymologie d’impliquer est
implicare,
envelopper, embar-
rasser, de
plicare,
plier. Etre impliqué, c’est en quelque sorte, être
« plier dedans ». Il faut donc déplier la relation pour en voir les dif-
férentes strates, les lignes de pliages, les faux plis et les bords.
Jacques Ardoino, professeur de Sciences de l’éducation, nous dit à
ce sujet :
« Il faut se garder notamment de confondre implication et engage-
ment (être impliqué, analyser ses implications ou vouloir s’impliquer).
L’engagement est de nature volontaire, idéaliste et humaniste. Il
sert le plus souvent de masque à l’analyse des ritables implica-
tions. Les implications sont très profondément de l’ordre de l’opaque
et de ce qui est subi. Ce qu’il reste possible, c’est d’en entreprendre
l’analyse pour les rendre moins aveugles, pour les reconnaître
».
Il poursuit cette idée en ajoutant que « les bonnes inten-
tions, les engagements explicites ne sont pas exempts de doubles
fonds. […] Se vouer aux malheureux ou s’occuper des « handicapés »,
sans préjudice des effets positifs d’une telle « vocation », peut en-
core contenir le sir d’affirmation d’une supériorité ou d’une forme
quelconque d’exercice d’un pouvoir »
Mais il avait aussi réaffirmé et précisé que «
les implica-
tions sont ce par quoi nous tenons à l’existence et, donc, ce que nous
faisons d’important pour nous réaliser. Ce qui les distingue de l’enga-
gement, avec lequel on les a longtemps confondues, c’est, justement
leur ancrage dans l’imaginaire. Elles nous sont, de ce fait, toujours,
plus ou moins opaques et ambiguës, si ce n’est tout à fait inconscien-
tes, et dépendent, pour devenir effectivement interface entre le
réel et l’imaginaire, d’un travail spécifique d’élucidation ».
Parvenir à situer les enjeux affectifs des rencontres édu-
catives nous met donc personnellement en question. Il ne saurait y
avoir de réelles rencontres sans entrer dans ce processus d’intros-
pection et de distanciation. L’authenticité, qui me semble une condi-
tion de la rencontre, comme évoqué, précédemment, dépend de
cette interrogation de nous-même à travers la relation à l’autre.
A ce point de la réflexion, il devient plus clair que la ren-
contre enrichit, quelle nous enseigne sur ce que nous sommes tout
en nous renseignant sur l’autre. Sa richesse est donc indéniable.
Entrevoir cette acquisition d’un savoir sur nous-même est le premier
signe qu’une véritable rencontre a eu lieu. Mais ce que l’on découvre
peut déplaire, effrayer, horrifier. L’effet miroir de la folie de l’au-
tre nous renvoie à notre propre folie. La violence de l’autre éveille
notre propre violence.
Le risque à s’engager dans une relation serait donc d’acti-
ver trop fortement notre implication et de craindre de ne pas par-
venir à l’élucider, donc d’en souffrir intensément. La tentation pour-
rait donc être d’éviter cette rencontre.
Il semble qu’une des finalités de l’action de l’éducateur
spécialisé, du travailleur social sera plutôt de tenter de trouver des
pistes pour faire face à ces tensions entre une recherche de ren-
contre profitable pour les deux protagonistes et les risques aux-
quels cela les exposent.
Ainsi posée, la problématique de la rencontre effleure la
dimension d’impossible dont elle est, au fond, fortement empreinte.
La recherche de postures pour tenter cet impossible fera l’objet
d’un prochain article dans le numéro 2 du bulletin d’ALTER.
J-Y.S
1- A ce sujet, il est intéressant de constater que l’un des principaux sites de rencontres par Internet
se nomme « meetic.fr » évoquant à la fois le verbe anglais « to meet » et, phonétiquement, le terme
mythique comme si l’éventuelle rencontre s’élevait au rang du mythe, histoire héroïque, extraordi-
naire, fabuleuse mais relevant aussi de l’imaginaire.
2 - Le nouveau petit Littré, Editions France Loisirs avec l’autorisation des Editions Garnier, 2005.
3- Le petit Larousse illustré, Editions Larousse, 1916.
4- Le nouveau Petit Littré, ibid.
5-Jacques Ardoino, Les avatars de l’éducation. PUF, 2000, p. 35.
6- Ibid, p.233.
7- Ibid, p.233
si elle ne permettait pas de réfléchir nos actes éducatifs selon deux
axes. D’une part, il est nécessaire de mettre en évidence la nécessité
de réfléchir à nos représentations de la rencontre, dans notre vie
privée et sur le plan professionnel comme un préalable à l’interven-
tion. D’autre part, tenir le paradoxe entre richesse et risque inhérent
à toute rencontre sert de fondement à cette intervention.
Les enjeux affectifs de la rencontre
Approfondissons d’abord les ressorts des présupposés personnels de
la rencontre. C’est à partir de ceux-ci que se forge notre conception
de la rencontre. Mais ces présupposés sont eux-mêmes sous-tendus
par notre propre expérience de rencontre avec le monde. Selon, les
conditions de notre naissance et la qualité de l’édification d’une sécu-
rité affective dans nos relations parentales, la rencontre avec l’autre
sera plus ou moins recherchée, évitée, appréciée ou crainte. De même,
si les discours éducatifs de notre enfance sont porteurs d’une ouver-
ture à la rencontre ou au contraire s’ils tentent de nous tenir éloigné
d’influences extérieures, notre approche de l’autre en sera profondé-
ment influencée. Quand on ajoute à cette forme de déterminisme,
d’éventuels discours stigmatisants vis-à-vis de telle ou telle groupe de
population, la complexité de l’analyse de notre implication dans nos
rencontres privées apparaît au grand jour. De même, il est éminem-
ment difficile d’envisager les impacts de ces différents facteurs sur
notre conception de la rencontre éducative. Exercer une fonction
éducative nécessite pourtant de faire un retour sur notre vécu expé-
rientiel de la rencontre. Ainsi, une véritable élaboration de nos moti-
vations professionnelles peut s’ouvrir. Il faut se demander ce qui nous
a poussés vers cette fonction. Est-ce une recherche de continuité
avec un climat familial d’ouverture à l’autre ? La défense de valeurs
humanistes clairement identifiées ne tardera alors pas à s’affirmer.
Dans ce cas, la rencontre sera effectivement envisagée comme ri-
chesse et un véritable échange aura lieu.
Est-ce plutôt une rupture d’avec un milieu hyper protec-
teur ? Dès lors, exercer un métier de rencontre pourrait avoir comme
finalité latente de se rassurer sur ses capacités à entrer en relation ;
les personnes que nous accompagnons étant alors souvent perçues
comme plus maladroites que nous-même dans les contacts humains.
Est-ce encore, peut-être, pour d’autres, une voie pour re-
jouer des pans de leur propre histoire et trouver ainsi leur propre
équilibre ? La rencontre avec des personnes en difficultés en sera-t-
elle pour autant affectée ? Sa qualité, dénaturée ? Ou, le fait d’en
avoir pris conscience, nous permettra-t-il au contraire, de gagner en
humilité, pour mieux laisser sa place à l’autre ?
Cette introspection me paraît nécessaire à l’exercice des pro-
fessions médico-socio-éducatives. Elle nous appartient, se déroule en
privé, est parfois tardive ou, au contraire, elle a initié ce choix pro-
fessionnel mais il me paraît difficile d’en faire l’économie, si l’authen-
ticité fait partie des valeurs que l’on défend. Ce devrait être aussi
une posture sous-jacente à toute réflexion collective sur nos actes
éducatifs, nos pratiques quotidiennes. Qu’y a-t-il de mes propres an-
goisses, de ma quête de jouissance, de ma propre histoire dans ce qui
m’a échappé, là, quand j’ai réagi de telle manière avec telle personne
dans telle situation et dont, au fond de moi-même, je ne suis pas très
fier !
Ce travail d’analyse des pratiques est constitutif de notre
professionnalité. Il est à revendiquer, à défendre, à développer, c’est
le lieu privilégié de l’analyse de nos implications. Il est ici nécessaire
d’apporter quelques précisions : être impliqué est souvent utilisé
comme synonyme d’être engagé. Ce serait comme l’indicateur de la
motivation professionnelle. « Lui au moins c’est un éduc impliqué, en-
tend-t-on parfois ! » Il y a une erreur sémantique. En fait, ce dont on
veut parler, c’est d’engagement professionnel car tout intervenant
est impliqué et ce malgré lui. La distance qu’il adopte dans la relation
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