alter N\2601

publicité
ALTER
AVEC
LIEN
TRAVAIL
« Enfin… ». Ce fut le premier
mot qui m’est venu à la bouche
lorsque j’ai appris que quelques
éducateurs, vite rejoints par
d’autres travailleurs sociaux,
décidaient de se rassembler
pour fonder un groupe de réflexion sur le travail social.
La première réunion à
laquelle j’ai participé (la 3ème
du groupe) me confirma que je
pourrais peut-être trouver là ce
que je cherchais depuis longtemps: un lieu d’échange sur
nos pratiques professionnelles,
sur nos déceptions communes
mais aussi et surtout sur nos
espoirs de pouvoir ensemble
faire progresser le débat sur le
travail social…
Les réunions mensuelles
du groupe ALTER, ouvertes à
tous, se découpent en deux
temps: le premier temps est
consacré à un échange qui se
veut constructif sur le travail
social tel que les acteurs de terrain le vivent au jour le jour…
Puis en deuxième partie de réunion nous travaillons sur la
réalisation d’un bulletin. l’objectif de ce dernier est de répondre à un besoin des professionnels du secteur social de pouvoir s’exprimer librement, à
travers l’écrit, en dehors du
contexte institutionnel.
Dans ce premier numéro, le groupe ALTER a choisi
comme ligne directrice de développer le thème de La Rencontre. Le prochain numéro
sera lui consacré à la question
de l’interculturalité. Alors à vos
plumes...
Aussi, si comme nous
vous avez le désir de partager
un moment de réflexion sur le
travail social, n’hésitez pas à
nous rejoindre (date des prochaines réunions en page 6).
EDUCATION
RELATION
Le groupe ALTER (Avec Lien Travail Education Relation) est issu de la
mobilisation nationale contre la "refonte" de la convention collective du 15 Mars 1966 à laquelle de nombreux travailleurs sociaux ont participé, le plus souvent regroupés en collectifs.
La manifestation devant les locaux parisiens, le 06 Décembre 2005, où se tenait la commission paritaire chargée de cette refonte, a été l’un des temps forts de ce mouvement. Il s’agissait de lutter contre l'esprit et l'idéologie de cette refonte proposée par les représentants des employeurs et principalement dictée par une logique gestionnaire de réduction des
coûts des institutions sociales, éducatives, médico-sociales et d’insertion. Un important regroupement local devant la préfecture du Puy de Dôme à Clermont Ferrand et une manifestation informative et festive le 14 mars 2006, à l’occasion des 40 ans de la CC66, sont aussi
venus signifier l’attachement des travailleurs sociaux de la Région à cette convention collective et à l’identité professionnelle des travailleurs sociaux, identité multiforme mais fondée
sur des valeurs communes. Les syndicats de salariés sont restés vigilants dans le déroulement des négociations durant l’année 2006. Il semble que celles-ci soient aujourd’hui au point
mort mais risquent d’être relancées après les élections présidentielles , dans un esprit, il
faut le craindre, toujours autant marqué par la prégnance de l’ultralibéralisme.
Le groupe ALTER, initialement issu de ce mouvement, trouve sa spécificité en proposant de mettre l’accent sur ces valeurs communes aux travailleurs sociaux. En témoignant de
leurs convictions, en affirmant leurs fondements, il enrichira l’argumentation de leurs positionnements professionnels face aux évolutions et involutions de notre société. Il s’agit pour
lui de réfléchir, de questionner, de faire des propositions, face à la dérive marchande du
secteur médico-socio-éducatif, face aussi à un contexte de plus en plus sécuritaire, discriminant et producteur d’exclusion. A titre d’exemple, il suffit de penser aux lois sur l’immigration, à celle sur la prévention de la délinquance ou encore au rapport de l’INSERM à propos
du dépistage des troubles des conduites des enfants de moins de 3 ans, heureusement non
retenu suite à une forte mobilisation nationale fédérée par le collectif « Pas de zéro de
conduite pour les enfants de moins de trois ans ».
Il semble en effet, qu’après s'être construit sur des valeurs humanistes, notre secteur, ainsi que le discours actuel - va plutôt vers "l'Autre Dangereux"! Comment alors construire un accompagnement si d'entrée l'altérité est dangereuse? Et, quid du lien social?
Dès lors, parmi les finalités prioritaires du groupe ALTER, seront exprimées le maintien de la prise en compte d'un sujet et le refus de passer celui-ci à la trappe, aux profits
d'objets partiels, et de fait partiaux. Faire savoir et développer la richesse de ceux qui sont
au ban de notre monde serait une autre orientation. Ce groupe de travailleurs sociaux pourrait encore permettre de développer la fonction sociale des travailleurs du secteur socioéducatif et faciliter une meilleure expression de leurs rôles dans la société, en terme de
transformation sociale en faveur des plus démunis.
En outre, ce mouvement pourrait, à terme, constituer un groupe de référence possible pour les travailleurs sociaux qui renforceraient, par leur adhésion, leur sentiment d’appartenance à des identités professionnelles distinctes, complémentaires mais comportant un
noyau commun. Il participerait à construire une image des professions socio-éducatives dont
l’engagement vise, pour nous, une transformation sociale à travers des accompagnements individuels ou de groupes minoritaires de personnes en difficultés. C’est bien de l’expression
des cultures professionnelles qui le constitueraient dont il pourrait être l’interprète.
ALTER pourrait également proposer et utiliser tout moyen de diffusion grand public
afin de faire évoluer les représentations du plus grand nombre (émission de radio, télévision,
Internet, documentaire, diffusion de création artistique provenant du secteur) et contribuer
ainsi à une découverte des personnes accompagnées par les travailleurs sociaux.
L’un des autres objectifs d’ALTER est aussi de donner à voir les écrits élaborés par
des professionnels du secteur, de les défendre et de les promouvoir.
Dans l’immédiat, les échanges entre ses participants visent à enrichir leur réflexion
afin d’étayer leurs convictions et de contribuer à un projet de société différent. La recherche d’une articulation constante entre les sujets de réflexion propre à nos champs d’intervention et l’actualité sociale et politique anime ses débats auxquels participent chaque mois
entre 10 et 15 personnes environ.
2
Loi sur la prévention de la délinquance
BREVES
Çà y est, la fameuse loi sur la prévention de la délinquance a
été adoptée par le parlement le 22 février dernier. Et le
Conseil Constitutionnel vient d’en entériner le caractère
constitutionnel.
Prison pour mineurs
Il y aurait tant de choses à dire sur ce qu’entraîne cette loi,
comme par exemple:
• Le nouveau rôle du maire dans le dispositif de prévention
de la délinquance: l’édile a désormais une place centrale
dans ce dispositif or, quand on connaît les idées de certains maires, on ne peut que craindre des dérives.
• la remise en question du secret professionnel...
• ou encore la nouvelle (on ne les compte plus!!!) réforme
de l’ordonnance de 1945.
Mais un autre point, peut-être moins intriguant de prime
abord, attire notre attention: celui lié à la remise en question
de l’excuse de minorité, cet élément qui faisait jusque-là que
les peines encourues par les mineurs étaient divisées par deux
par rapport à celles des majeurs.
Avec la loi sur la prévention de la délinquance, l’excuse de
minorité disparaît dans certains cas, notamment dans des affaires concernant les mineurs de 16 ans en situation de récidive.
C’est en tentant de prendre un peu de recul par rapport à cette
question que je me suis demandé dans quelle mesure ce coup
porté à l’excuse de minorité n’était pas plus largement une remise en question de la prise en compte du fait d’être un individu en devenir! En effet, si l’on promet aux mineurs les mêmes peines que pour les majeurs, où se trouve alors la prise en
compte du fait d’être mineur, donc jeune, donc à un âge où on
se construit, où on a besoin de se confronter à des limites, et
donc parfois à la loi.
En cela l’excuse de minorité n’a pas pour but d’excuser l’auteur mais plutôt de tenir compte du fait qu’il est un individu
en devenir, qui continue d’apprendre, parfois en commettant
des délits.
Aussi, si d’un point de vue pénal on ne fait plus de différence
entre ce qu’encourent un mineur et un majeur, pourquoi alors
en fait-on au niveau de leurs droits (droit de vote, de conduire,
d’acheter certains produits, etc…)?
Ainsi, c’est à se demander si à travers la question de l’excuse
de minorité, cette loi sur la prévention de la délinquance n’a
pas pour volonté d’ôter au mineur le fait qu’il soit un individu
en pleine construction. Plus largement que sa simple portée
judiciaire, cette loi risque donc de créer un précédent dans la
manière dont notre société voit sa progéniture…
F.C
On vient d’apprendre l’ouverture, pour juin
2007, de la première prison pour mineurs,
d’une capacité de 70 places, à Lyon.
Actuellement, 30 mineurs sont incarcérés
dans la région lyonnaise. Mais pourquoi alors
construire une prison pouvant en accueillir
plus du double???
Deux hypothèses: soit on attend un doublement de la délinquance juvénile dans les années à venir, soit on compte privilégier la
prison comme réponse à la délinquance des
jeunes…
Nous avons notre idée la dessus!
Contre la montre…
Selon nos sources, la toilette à l’hôpital, dans
un service de gérontologie, en long séjour : 7
minutes pour le lever, la toilette entière et
l’habillage ! Qui dit mieux ! 3 minutes pour le
repas ! En matière de rencontre, on ne peut
faire plus fugace. Mais voilà le résultat d’une
pensée gestionnaire sur les pratiques de
soin… Sans autre commentaire.
Délinquance hyper juvénile...
Dépêche de l’AFP du vendredi 22 septembre
2006, 8h30 : Quatre enfants de cinq ans ont
été renvoyés de leur école maternelle, à
Jonquières (Vaucluse), accusés d'avoir
contraint une petite de quatre ans à des attouchements durant la récréation, a-t-on appris jeudi de source judiciaire.
Et s’ils jouaient au docteur ! Mais non, il est
d’emblée supputé qu’il s’agirait d’une agression. Voilà encore un exemple d’une interprétation paranoïde d’un comportement d’enfant ; C’est un nouvel exemple que la société
d’aujourd’hui tend à présenter l’autre comme
dangereux. Sous prétexte de réprimer la délinquance sexuelle, afin de couvrir sa responsabilité - ouverture de parapluie oblige ! – la
découverte du corps de l’autre devient suspecte même en maternelle ; et si c’était un
trouble de la conduite, il faudrait peut-être
prescrire un psychotrope à cet enfant en
plus de l’exclusion !
3
« LA RENCONTRE », par E.D.
« Je ne demande pas
de prières, avec votre
confiance seulement, je
serai heureux »
Arthur Rimbaud
Dès mon arrivée, j’ai senti son regard sur moi : regard observateur, interrogateur : qui
est-elle ? Comment va-t-elle s’en sortir ? Cette première rencontre était presque
comme un test, du moins l’ai-je ressentie de la sorte.
J. est une femme de 48 ans. Tétraplégique, elle est totalement dépendante de la personne qui va prendre soin d’elle au quotidien.
Quelques minutes s’écoulent à peine et voilà que les membres de l’équipe s’engagent dans de nombreuses explications concernant ses habitudes, les manipulations préconisées et autres façons de faire, ce qu’elle aime ou
n’aime pas, quelques traits de son caractère, son passé, son histoire. Voici en somme qu’ils me racontent J.
Et elle écoute, elle veille à ce que la vérité soit bien dite et me regarde comme pour guetter la moindre de mes
réactions. Si je croise son regard, c’est un sourire compatissant que je crois reconnaître ou des mimiques cherchant à signifier les états d’âmes liés à ces moments racontés. J. sait d’ailleurs rectifier si nécessaire ou rajouter des choses qu’elle pense utile de me faire savoir.
Cette rencontre devient alors une véritable « confession ». Inconnue encore il y a 2 ou 3 heures, je m’immisce
dans l’intimité de J. Pas forcément très à l’aise, je sais que mes réactions sont observées et qu’elles vont être
importantes pour l’avenir de ma relation avec elle. Puis vient l’heure de la toilette, moment où je vais entrer
dans l’intimité corporelle de J.
Si les changes deviennent une question d’habitude au niveau des gestes, intervenir pour la première fois dans
la toilette intime d’une personne reste toujours un instant particulier et délicat.
Les soins prodigués lors de cette première rencontre vont donner une image (professionnelle) de moi à la personne et il est donc important qu’elle corresponde au mieux à mon savoir faire mais aussi à mon savoir être.
Etre soi-même me parait être primordial pour que l’autre puisse s’y retrouver. Fin de la toilette, J. me sourit.
Un sentiment de soulagement et de petite victoire m’envahit : même si tout ne fait que commencer, cela commence plutôt bien !
J. veille toujours sur tous mes gestes et me redit les bonnes manières de faire. Ce qui se joue entre elle et moi
aujourd’hui, c’est la recherche de confiance. Suis-je digne de confiance ? Va-t-elle pouvoir compter sur moi ?
J’ai encore du mal à me saisir de ses mots. L’équipe la comprend, il ne s’agit donc certainement que d’une
question d’habitude…et d’écoute !
...Il me semble que la communication non verbale trouve ici toute son importance. Grâce à nos autres sens notamment le regard et le kinesthésique, j’ai pu commencer à construire une relation de confiance avec J. : « je
ne comprends pas toujours ce que tu me dis mais j’arrive à ressentir (ou au moins en ai-je l’illusion !) que tu
es bien, mal, en colère, vexée ou encore intriguée ! »
Suite à cette expérience de rencontre avec J., la question de l’empathie se pose alors à moi en ces termes :
est-ce que dans la rencontre, ce qui m’est demandé est réellement de «s’identifier» à l’Autre, de «ressentir ce
qu’il ressent» tel que le définit le dictionnaire Le Petit Robert ?
« L’empathie consiste à saisir avec autant d’exactitude que possible, les références internes et les composantes émotionnelles d’une autre personne et à les comprendre comme si l’on était cette autre personne »
nous explique Carl Rogers dans le dictionnaire de psychologie Doron-Parot.
[la suite en page 4]
4
Est-ce que l’autre nous demande vraiment de nous mettre à sa place lors d’une rencontre ?
Serait-ce d’ailleurs possible ou ne s’agira t’il jamais que d’une illusion ?
Ce que J. me demandait lors de cette première journée était, à mon avis, d’être au contraire moi-même, entité
bien distincte d’elle mais capable d’être proche, assez proche pour lui prodiguer divers soins. Soins corporels
mais aussi mettre du soin à l’écouter se raconter, me dire qui elle est. Mettre aussi du soin à la découvrir et travailler dans un contexte chaleureux qui permettra peut-être l’échange, la création de liens, la relation de
confiance, qui tentera de faciliter l’ouverture de l’une à l’autre.
Dans les définitions données, l’identification à l’autre me paraît être contradictoire avec le concept d’empathie. Suite à cette expérience de rencontre puis à cette réflexion, il me semble que l’important est bien d’être
pleinement soi afin de permettre à l’Autre d’être pleinement lui. Ainsi, nous évitons de rentrer dans ce contexte
si délicat de l’affectivité, néfaste, à mon avis, pour chacune des deux personnes. En effet, l’affectivité n’arrive
t’elle pas inévitablement dans un contexte identificatoire ?
Dans cette expérience, s’ouvrir aux différents champs de la communication, verbale et non verbale, était donc
un premier pas vers la création de liens. Beaucoup de choses se sont jouées lors de ce premier contact et ont
certainement déterminé la nature de nos liens. Confiance et complicité sont ceux que je crois avoir construit
avec J. ou devrais-je plutôt dire : qu’elle m’a permis de construire avec elle car si j’ai travaillé dans ce sens,
c’est elle qui a finalement décidé de s’ouvrir à moi !
Mieux que de me mettre à sa place, et malgré des difficultés parfois encore de compréhension verbale, je
pense que J. et moi avons parlé le même « langage ». C’est comme cela que nous nous sommes le mieux comprises et que j’ai pu être au plus proche d’elle.
Pour ma part, ce fut une très belle rencontre et je ne peux qu’en remercier sincèrement J.
E.D.
« DE LA RENCONTRE AUX RENCONTRES EDUCATIVES : UN IMPOSSIBLE ? »
Faire une rencontre, dans le langage commun, est souvent
inattendu. Parfois, on aurait préféré éviter la dite rencontre, parfois, elle renvoie à un événement heureux. Faire une rencontre ce
peut être un moment de partage et de gaîté comme un moment de
conflit dont l’issue, imprévisible, est crainte ou au contraire espérée. Une ambivalence semble d’emblée habiter la première acception
de ce terme.
-te, elle demande de l’attente, un effort, de la retenue, ou au contraire
du laisser aller, une ouverture, un abandon des résistances. Face à
cette première difficulté de la rencontre, comment peut-elle parvenir
à prendre un caractère éducatif ? Tenter d’affiner encore la définition
de la rencontre paraît donc utile pour mieux cerner la notion de rencontre éducative.
La rencontre : poursuite de définitions
Faire La Rencontre est une autre expression qui, dans son
emploi superlatif, vient comme effacer cette alternative. La Rencontre, amoureuse notamment, peut être longuement souhaitée, rêvée voire idéalisée ou survenir de façon imprévue. La Rencontre possède alors un caractère d’unicité ou est présentée comme telle, avec
emphase, pour s’en persuader ou se valoriser dans le regard d’autrui ; être celle ou celui ayant fait La Rencontre. Elle est forcément
sereine, harmonieuse, pacifique, chargée d’affects positifs à moins
que son caractère passionné la rende plus houleuse. Elle rejoint alors
le versant conflictuel évoqué.
Quelle rencontre ! Cette forme exclamative pourrait réunir ces deux premières significations tant pour désigner la nature
d’une rencontre, bonne ou mauvaise, que pour mettre en exergue son
intensité et sa singularité.
Enfin, faire des rencontres est l’un des objectifs de beaucoup de soirées festives, de voyages, des vacances, des loisirs. Qu’il
s’agisse de trouver l’être cher grâce à des sites Internet spécialisés, au speed dating, ces agences matrimoniales d’un nouveau genre,
de se faire des amis ou de découvrir d’autres cultures, chercher les
rencontres est le témoin de formes possibles de la socialisation.
Faire des rencontres devient ainsi aller à la rencontre. Une dimension active, volontaire distingue ce dernier sens des trois précédents déterminés plutôt par un aspect passif. En outre, il rejoint la
définition du substantif rencontre : « action d’aller vers quelqu’un
qui vient. Aller à la rencontre de. » . La rencontre est donc exigean-
Dans ce registre, le dictionnaire propose aussi d’autres acceptions
comme « l’occasion qui fait trouver fortuitement une personne, une
chose », mais aussi « le concours, la conjonction ou opposition des
corps ». Se retrouve ici l'inattendu et la qualité active de la rencontre
ainsi que l’idée d’une adjonction. La rencontre amène de l’excédant ou
fait se confronter deux objets, deux personnes. Cette confrontation
va même jusqu’au sens d’« un combat imprévu de deux corps ennemis qui
se rencontrent ». La rivalité, la concurrence, le désaccord, la mésentente, sont donc bien susceptibles de déterminer une rencontre.
A minima, comme le Petit Larousse de 1916, préférait indiquer, une rencontre est « la jonction de deux personnes ou de deux choses qui se
meuvent en sens inverse ». A l’époque, l’accent était porté à la fois sur
le croisement, la réunion et sur l’antagonisme de la rencontre mais aussi
sur « le hasard, l’aventure par laquelle on trouve fortuitement ». Un
rencontre serait alors aussi une aventure d’où son attrait, bien qu’elle
puisse parfois se révéler dangereuse. A ce point, se rejoignent à la fois
l’idée du risque lié aux rencontres et l’idée du gain , d’un produit de la
rencontre.Ce gain est encore signifié à travers un autre axe de définition ainsi formulé : « toute espèce d’engagement prévu ou imprévu ».
Dès lors, toute rencontre induirait-elle un engagement ? Et si oui, de
quelle nature ? Toute rencontre ne nous exposerait-elle pas aussi à un
risque ? Le risque de l’autre, de l’étranger et de l’étrange qui vient
ébranler nos certitudes ou nous mettre en danger ? Cette tentative
pour cerner la notion de rencontre resterait au fond peu intéressante
5
si elle ne permettait pas de réfléchir nos actes éducatifs selon deux
axes. D’une part, il est nécessaire de mettre en évidence la nécessité
de réfléchir à nos représentations de la rencontre, dans notre vie
privée et sur le plan professionnel comme un préalable à l’intervention. D’autre part, tenir le paradoxe entre richesse et risque inhérent
à toute rencontre sert de fondement à cette intervention.
étant même le témoin d’une crainte face à cette implication.
L’étymologie d’impliquer est implicare, envelopper, embarrasser, de plicare, plier. Etre impliqué, c’est en quelque sorte, être
« plier dedans ». Il faut donc déplier la relation pour en voir les différentes strates, les lignes de pliages, les faux plis et les bords.
Jacques Ardoino, professeur de Sciences de l’éducation, nous dit à
ce sujet :
Les enjeux affectifs de la rencontre
« Il faut se garder notamment de confondre implication et engagement (être impliqué, analyser ses implications ou vouloir s’impliquer).
L’engagement est de nature volontaire, idéaliste et humaniste. Il
sert le plus souvent de masque à l’analyse des véritables implications. Les implications sont très profondément de l’ordre de l’opaque
et de ce qui est subi. Ce qu’il reste possible, c’est d’en entreprendre
l’analyse pour les rendre moins aveugles, pour les reconnaître ».
Approfondissons d’abord les ressorts des présupposés personnels de
la rencontre. C’est à partir de ceux-ci que se forge notre conception
de la rencontre. Mais ces présupposés sont eux-mêmes sous-tendus
par notre propre expérience de rencontre avec le monde. Selon, les
conditions de notre naissance et la qualité de l’édification d’une sécurité affective dans nos relations parentales, la rencontre avec l’autre
sera plus ou moins recherchée, évitée, appréciée ou crainte. De même,
si les discours éducatifs de notre enfance sont porteurs d’une ouverture à la rencontre ou au contraire s’ils tentent de nous tenir éloigné
d’influences extérieures, notre approche de l’autre en sera profondément influencée. Quand on ajoute à cette forme de déterminisme,
d’éventuels discours stigmatisants vis-à-vis de telle ou telle groupe de
population, la complexité de l’analyse de notre implication dans nos
rencontres privées apparaît au grand jour. De même, il est éminemment difficile d’envisager les impacts de ces différents facteurs sur
notre conception de la rencontre éducative. Exercer une fonction
éducative nécessite pourtant de faire un retour sur notre vécu expérientiel de la rencontre. Ainsi, une véritable élaboration de nos motivations professionnelles peut s’ouvrir. Il faut se demander ce qui nous
a poussés vers cette fonction. Est-ce une recherche de continuité
avec un climat familial d’ouverture à l’autre ? La défense de valeurs
humanistes clairement identifiées ne tardera alors pas à s’affirmer.
Dans ce cas, la rencontre sera effectivement envisagée comme richesse et un véritable échange aura lieu.
Est-ce plutôt une rupture d’avec un milieu hyper protecteur ? Dès lors, exercer un métier de rencontre pourrait avoir comme
finalité latente de se rassurer sur ses capacités à entrer en relation ;
les personnes que nous accompagnons étant alors souvent perçues
comme plus maladroites que nous-même dans les contacts humains.
Est-ce encore, peut-être, pour d’autres, une voie pour rejouer des pans de leur propre histoire et trouver ainsi leur propre
équilibre ? La rencontre avec des personnes en difficultés en sera-telle pour autant affectée ? Sa qualité, dénaturée ? Ou, le fait d’en
avoir pris conscience, nous permettra-t-il au contraire, de gagner en
humilité, pour mieux laisser sa place à l’autre ?
Cette introspection me paraît nécessaire à l’exercice des professions médico-socio-éducatives. Elle nous appartient, se déroule en
privé, est parfois tardive ou, au contraire, elle a initié ce choix professionnel mais il me paraît difficile d’en faire l’économie, si l’authenticité fait partie des valeurs que l’on défend. Ce devrait être aussi
une posture sous-jacente à toute réflexion collective sur nos actes
éducatifs, nos pratiques quotidiennes. Qu’y a-t-il de mes propres angoisses, de ma quête de jouissance, de ma propre histoire dans ce qui
m’a échappé, là, quand j’ai réagi de telle manière avec telle personne
dans telle situation et dont, au fond de moi-même, je ne suis pas très
fier !
Ce travail d’analyse des pratiques est constitutif de notre
professionnalité. Il est à revendiquer, à défendre, à développer, c’est
le lieu privilégié de l’analyse de nos implications. Il est ici nécessaire
d’apporter quelques précisions : être impliqué est souvent utilisé
comme synonyme d’être engagé. Ce serait comme l’indicateur de la
motivation professionnelle. « Lui au moins c’est un éduc impliqué, entend-t-on parfois ! » Il y a une erreur sémantique. En fait, ce dont on
veut parler, c’est d’engagement professionnel car tout intervenant
est impliqué et ce malgré lui. La distance qu’il adopte dans la relation
Il poursuit cette idée en ajoutant que « les bonnes intentions, les engagements explicites ne sont pas exempts de doubles
fonds. […] Se vouer aux malheureux ou s’occuper des « handicapés »,
sans préjudice des effets positifs d’une telle « vocation », peut encore contenir le désir d’affirmation d’une supériorité ou d’une forme
quelconque d’exercice d’un pouvoir »
Mais il avait aussi réaffirmé et précisé que « les implica-
tions sont ce par quoi nous tenons à l’existence et, donc, ce que nous
faisons d’important pour nous réaliser. Ce qui les distingue de l’engagement, avec lequel on les a longtemps confondues, c’est, justement
leur ancrage dans l’imaginaire. Elles nous sont, de ce fait, toujours,
plus ou moins opaques et ambiguës, si ce n’est tout à fait inconscientes, et dépendent, pour devenir effectivement interface entre le
réel et l’imaginaire, d’un travail spécifique d’élucidation ».
Parvenir à situer les enjeux affectifs des rencontres éducatives nous met donc personnellement en question. Il ne saurait y
avoir de réelles rencontres sans entrer dans ce processus d’introspection et de distanciation. L’authenticité, qui me semble une condition de la rencontre, comme évoqué, précédemment, dépend de
cette interrogation de nous-même à travers la relation à l’autre.
A ce point de la réflexion, il devient plus clair que la rencontre enrichit, qu’elle nous enseigne sur ce que nous sommes tout
en nous renseignant sur l’autre. Sa richesse est donc indéniable.
Entrevoir cette acquisition d’un savoir sur nous-même est le premier
signe qu’une véritable rencontre a eu lieu. Mais ce que l’on découvre
peut déplaire, effrayer, horrifier. L’effet miroir de la folie de l’autre nous renvoie à notre propre folie. La violence de l’autre éveille
notre propre violence.
Le risque à s’engager dans une relation serait donc d’activer trop fortement notre implication et de craindre de ne pas parvenir à l’élucider, donc d’en souffrir intensément. La tentation pourrait donc être d’éviter cette rencontre.
Il semble qu’une des finalités de l’action de l’éducateur
spécialisé, du travailleur social sera plutôt de tenter de trouver des
pistes pour faire face à ces tensions entre une recherche de rencontre profitable pour les deux protagonistes et les risques auxquels cela les exposent.
Ainsi posée, la problématique de la rencontre effleure la
dimension d’impossible dont elle est, au fond, fortement empreinte.
La recherche de postures pour tenter cet impossible fera l’objet
d’un prochain article dans le numéro 2 du bulletin d’ALTER.
J-Y.S
1- A ce sujet, il est intéressant de constater que l’un des principaux sites de rencontres par Internet
se nomme « meetic.fr » évoquant à la fois le verbe anglais « to meet » et, phonétiquement, le terme
mythique comme si l’éventuelle rencontre s’élevait au rang du mythe, histoire héroïque, extraordinaire, fabuleuse mais relevant aussi de l’imaginaire.
2 - Le nouveau petit Littré, Editions France Loisirs avec l’autorisation des Editions Garnier, 2005.
3- Le petit Larousse illustré, Editions Larousse, 1916.
4- Le nouveau Petit Littré, ibid.
5-Jacques Ardoino, Les avatars de l’éducation. PUF, 2000, p. 35.
6- Ibid, p.233.
7- Ibid, p.233
6
MUSIQUE : ON A ECOUTE POUR VOUS...
AGENDA
Date des prochaines réunions du Groupe ALTER:
Voilà un extrait de la chanson « Eh connard »,
de KENY ARKANA, jeune femme de 24 ans,
artiste de RAP, altermondialiste, anticapitaliste et révolutionnaire, au passé très difficile.
Elle a commencé à rapper dès 1996 pour ses
compères des foyers où elle a séjourné. Elle a
aujourd’hui 2 albums à son actif, L’esquisse
(2005) et Entre ciment et belle étoile (2006).
L’ extrait qui suit est tiré de son deuxième album:
« Tu t'rappelles quand tu disais que j'faisais
partie d'ces gosses qui ne s'en sortiront jamais, intenables et bien trop féroces, Qui salissaient ton centre, tentant d'obéir au doigt
et à l'oeil et qui n'avaient que des cendres et
un besoin de vivre à 100 à l'heure.
Tu t'rappelles, quand tu disais qu' j'atteindrais
pas les 16 piges et que j'finirais morte dans un
coin
de
rue
où
giserais
l'âme
D'une gosse perdue qu'en avait plus rien à carrer ou un avenir en cellule derrière les barreaux
ou
chez
les
tarés
Eh connard, Tu t'rappelles quand tu pensais,
clamais qu' jétais bonne qu'a fugué, qu'a faire
la
conne
ou
a
m'
défoncer
L'exemple à ne pas suivre, celle que les lois
haïssaient, pointaient du doigt et qui depuis ses
12
piges
n'est
plus
scolarisé
Bref la totale, Tu t'rappelles que quand tu parlais de moi, tu parlais jamais au futur, putain
j'en avais marre des fois de toutes ces conneries.
Mais regarde, soit pas dégoûté mais j' suis en
vie et j'regrette pas de t'avoir jamais écouté !
Eh connard ! c'est à toi qu'j'parle ! Dis moi tu
t'reconnais? Directeur de centre et d'maisons
d'enfants
eh
laisse
moi
rigoler
Celui qui sait tout et c'est surtout pour détruire les gamins ou l'espoir des parents,
connard personne ne peut prétendre demain
Eh connard c'est à toi qu'j'parle ! Et J'ai pas
oublié t'inquiète, ni tes coups d'putes, ni tes
belles paroles qui finalement raquette.
Le peu d'espoir qui reste quand toi tu dis qui
y'en a plus.
Moi j'm’en fous j't'ai jamais écouté mais ma
mère elle t'as cru ! »
- le 12 avril 2007
- le 24 mai 2007
- le 14 juin 2007
Toutes les réunions ont lieu au sein de l’UPC, 3 rue Gaulthier
de Biauzat, à Clermont-Ferrand.
LE COIN DU LECTEUR…
Quelques ouvrages vivement recommandés
Sophie DUFAU Le Naufrage de la Psychiatrie éd. Albin Michel, 2006
Patrick Declerk Le Sang Nouveau est arrivé, l'Horreur SDF éd.
Gallimard 2005
Jean-Pierre GARNIER Le Nouvel Ordre local, Gouverner la
Violence ED; L'Harmattan, 1999
August AICHHOM, Jeunesse à l’abandon récemment réédité
sous le titre Jeunes en souffrance éd du champ social (2003)
PAROLES D’USAGERS
Nous publions ici quelques paroles, collectées dans nos
structures.
Propos recueillis dans l’IME de Patrick
A propos d'Eléonore, une éducatrice: « elle est énorme / elle
est aux normes ».
En parlant de la psychologue: « elle est méchante la cyclope ».
En parlant du médecin psychiatre: " Je vais voir le Docteur
brouillard";
SITE INTERNET
Retrouvez tous les comptes rendus des réunions du groupe
ALTER sur le site web de l’UPC:
upc63.ouvaton.org
Des paroles de bénéficiaires, un peu dures,
mais à entendre…
Photographie prise par un des membres du Groupe ALTER.
7
Citation
« Coup d’œil sur nos échanges »
Voici quelques courts extraits des discussions du Groupe ALTER
« Dans les années 90, nous
étions quelques-uns à nous réunir
tous les 15 jours pour tenter de faire
barrage à la poussée néolibérale.
Les idées transitives fusaient de tout
côté, lorsque je pris la parole :
« il faut pouvoir penser que
ce que nous faisons là, cette réunion
d’une trentaine d’intellectuels qui se
demandent comment va notre époque, est déjà un niveau de réussite ».
L’incompréhension fut totale. Tous ces gens ne pouvaient pas
penser qu’ils avaient quelque chose
à faire, en dehors de conduire la populace à l’émancipation, de libérer
les autres.
Cela n’a rien d’anecdotique.
Nous devons sortir de la position de
l’émancipé qui doit éclairer les autres. Mais leur incompréhension se
nourrissait aussi d’autre chose. Si je
ne m’engage plus pour un avenir,
imprévisible de toute façon, ma lutte
est complète à chaque niveau de son
développement, dans la première
discussion comme dans l’institution
d’une nouvelle société.
Le fait que trente personnes
se réunissent très régulièrement
pour parler de l’état de La France
me paraissait une première victoire,
un premier objectif atteint.
Le propre de ces premiers
niveaux est de développer d’autres
possibles mais l’objectif n’est dans
cet horizon, il est tout entier dans
cette première situation ».
Miguel Benasayag
Abécédaire de l’engagement
(2004, Bayard,Page 122)
A propos de la rencontre :
La rencontre nécessite de parler
vrai. Elle n’existe pas toujours, un
« tilt » vient la signifier à travers
une parole, un regard, une présence.
La question du savoir est aussi interrogée dans la rencontre, le savoir
de l’autre, le prétendu savoir sur
l’autre. C’est le concept du transfert qui est ici sous-jacent. Sans
transfert, pas de rencontre. Vient
alors l’éternelle question de la
« bonne distance ». Est-on trop proche ou trop éloigné de l’autre. L’important semble résider dans une capacité d’oscillation entre distance et
proximité relationnelle. L’important
est aussi de se souvenir que la rencontre enseigne. Si le sentiment d’avoir appris de l’autre n’émane pas
d’un contact humain, alors la rencontre n’aurait pas eu lieu.
Ces adolescents dont personne ne
veut !
Effectivement, ils ont déjà mis en
échec la plupart des institutions
traditionnelles. Or, la quasi-absence
de structures souples, de type lieux
de vie, renforce aussi cette exclusion de ces jeunes difficiles. Un
manque d’imagination des équipes, la
difficulté à faire évoluer certaines
habitudes de travail explique aussi
la tentation à limiter l’accueil de ces
bénéficiaires atypiques.
Par exemple, trop souvent, la fugue
n’est soit pas prise en compte de façon structurante lors du retour de
l’adolescent(e), soit, il est souhaité
par les équipes qu’elle soit traitée
uniquement sur le versant de la
sanction. Ne pourrait-on pas imaginer d’autres formes de réponse qui
consisterait à rendre encore plus
accueillante l’institution ? Par exemple, trop souvent, les membres des
équipes se sentent, dans leurs pratiques, sous le regard de leur collègue, de l’autre en général, regard
ressenti comme un injonction à la
réussite. L’erreur du jeune, c’est l’e-
-rreur de l’éducateur ! Alors, point
trop de jeunes irréductibles dans
nos groupes !
Pourtant des idées pourraient émerger : des échanges entre établissement permettraient aux équipes de
souffler et aux jeunes d’éviter des
exclusions réactivant sans cesse
leurs angoisses d’abandon. Mais nos
institutions sont comme briguées par
leurs contraintes gestionnaires et
budgétaires. Elles poussent leurs
équipes vers des fonctionnements
qui souffrent d’un manque de bon
sens et de clairvoyance. Ou bien estce la propre morosité des éducateurs ?
Travailleurs sociaux et bénéficiaires
ont-ils accès au débat contradictoire ?
Dans certaines procédures simplifiées, des ordonnances pénales sont
prononcées sans audition du justiciable devant un juge. Comment alors
pouvoir exprimer sa parole ?
En milieu ouvert, l’information aux
familles du droit d’appel n’est pas
très appréciée des différents acteurs. Un clientélisme des services
de milieu ouvert vis à vis du tribunal
pour enfants est nettement repérable. Les travailleurs sociaux sont
pratiquement mis en position d’expert et il y a peu de résistances des
dits services face aux demandes des
juges. Mais là encore, comment tenir
cette position d’expert lorsqu’il s’agit de décider du bien fondé d’un
placement ? Cette décision est trop
fortement marquée par les représentations de chacun et les avis
sont souvent très disparates. Or il
n’existe pas suffisamment d’espace
pour interroger cette multiplicité
des points de vue afin de prendre
une décision réellement éclairée.
L’arbitraire risque de gagner du terrain. Le glissement vers une
« chosification » de l’autre, voire sa
mortification, est de plus en plus
net.
8
QUESTIONS D’HISTOIRE
« Un homme sans passé est plus pauvre qu’un homme sans avenir » Elie Wiesel.
La connaissance de l’Histoire, petite et grande, celle de l’humanité, des civilisations, des nations, des
groupes qui les composent, est nécessaire à l’élaboration de notre identité propre toujours interdépendante de celles des groupes auxquels nous appartenons, qu’ils soient familiaux, culturels, ethniques, religieux, socioprofessionnels…« J’ai une histoire, j’appartiens à l’Histoire, donc je suis… » aurait pu écrire
Descartes. L’Histoire, c’est l’étude et la connaissance d’un passé plus ou moins commun, souvent éclairé à
la lumière de l’avenir que l’on pressent ou envisage, des espoirs de changements et de mieux-être. C’est
aussi un outil de distanciation nécessaire à la compréhension du présent et à l’élaboration avec perspective de l’avenir. Comprendre d’où l’on vient pour savoir où l’on est et comment aller où l’on veut.
Le travail social dont nous voulons être les acteurs aujourd’hui a son histoire, entremêlée de politique et de religieux. Ses origines sont très diverses mais toutes constitutives des politiques sociales, des
structures d’aide et des modes de prises en charge contemporains. Comprendre son évolution au fil de
l’Histoire est le plus sûr moyen de prendre le recul nécessaire sur nos pratiques et d’envisager leur élaboration avec le plus d’objectivité et d’à-propos.
Mais au fait c’est quoi, le travail social ?
Il n’est pas de définition normative du travail social, ni même du social ; c’est d’ailleurs l’objet d’un débat
sans cesse renouvelé depuis la naissance de la sociologie, et sans doute est-ce mieux ainsi…
Etymologiquement, c’est le latin « socius », le compagnon d’arme, celui à qui l’on s’associe pour lutter face
à l’ennemi, qui donne naissance au XVIème siècle au terme de société , défini comme « un lien résultant
d’une alliance volontaire avec autrui ; lien qui n’est pas donné à la naissance ». C’est au XVIIIème siècle,
avec les Lumières, que se multiplient les mots attachés à la pensée de la société tels que socialisme ou
socialiser, jusqu’à l’apparition au XXème siècle de la sociologie et du lien social… Par extension, le social
est paradoxalement et par défaut, devenu le moyen par lequel on désigne de manière très vague et non
exhaustive, ceux qui sont en mal d’adaptation et d’insertion dans le groupe social. Le travailleur social est
celui qui recolle les morceaux, rattrape ceux qui perdent pied face aux exigences intégratices et sont
aux marges de la société et de ses critères normatifs. « C’est la voiture-balai de l’intégration républicaine » comme l’écrit Alain Touraine. C’est un point de vue ambitieux, peut-être même prétentieux mais il
révèle également l’instrumentalisation politique du travail social, bonne conscience groupale et acteur de
la paix sociale. Car il s’agit bien de paix sociale ; les débats Gauche/Droite actuels sur les politiques à
mener en matière de lutte contre la délinquance et l’exclusion (pour faire bref) alternent sans cesse entre prévention et répression, entre éducation et coercition, comme en d’autres temps finalement pas si
lointains entre « potence et pitié » selon les termes de Bronislaw Gerenek. Toutes les sociétés ont cherché et cherchent encore les moyens les plus adaptés pour endiguer l’exclusion, la pauvreté et les déviances, par philanthropie ou par peur.
Le travail social en tant que professions structurées, est né au lendemain de la Révolution Française et
n’a cessé depuis d’évoluer. Dans le prochain numéro d’ALTER, il sera intéressant de revenir sur les pratiques d’aide et les réponses apportées par la société de l’Ancien régime aux difficultés posées par le
« social ».
H.A
Bulletin gratuit que vous pouvez nous aider
à financer en adhérant à l’UPC63
I.P.N.S. sur papier recyclé
Ne pas jeter sur la voie publique
Téléchargement