UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Introduction Un des buts de ce cours sera de démontrer le résultat suivant : Théorème de Bézout. — Soient C et D deux courbes algébriques planes de degrés respectifs p, q et sans composante commune. Alors C et D se coupent en p · q points. Remarques. — Pour avoir une chance que l’énoncé ci-dessus soit vérifié, nous avons besoin de préciser plusieurs points : (i) Il faudra se placer sur C (ou plus généralement sur un corps algébriquement clos). Par exemple, sur R2 les courbes x = −2 et x2 + y 2 = 1 ne se coupent pas en 2 points. En fait, elles se coupent imaginairement, à savoir en √ √ −2, i 3 et −2, −i 3 . (ii) Il faudra introduire des multiplicités. Par exemple, sur C2 les courbes x = −1 et x2 + y 2 = 1 ne se coupent qu’en un seul point : (−1, 0). En fait, ce point sera compté double (la droite est ici tangente au cercle). (iii) Il faudra se placer sur le plan projectif P2C . Par exemple, sur C2 les courbes xy = 1 et x = 1 se coupent en (1, 1), mais simplement. En fait, il faut regarder à l’infini. Sur le plan projectif il y a bien deux points d’intersection : [1 : 1 : 1] et [0 : 1 : 0] (ce qui signifie, en termes informels, qu’en plus du point (1, 1), il y a un autre point d’intersection des deux courbes, “à l’infini”). Le cours sera structuré comme suit : le premier chapitre donne la définition et les premières propriétés des objets géométriques fondamentaux pour ce cours, les sous-ensembles algébriques. L’étude de ces sous-ensembles repose sur deux résultats fondamentaux de nature algébrique : le théorème de la base de Hilbert et le “Nullstellensatz”. Ces deux résultats sont démontrés dans les chapitres 2,3 et 4. Dans le chapitre 5 la notion de fonctions régulières sur un ouvert d’un sous-ensemble algébrique est étudiée. 1 2 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique Le chapitre 9 traite de multiplicités ; c’est là que nous résolverons rigoureusement le problème soulevé en (ii) de cette introduction. Là encore, cette notion géométrique ne pourra être appréhendée de façon satisfaisante qu’une fois certains résultats algébriques démontrés ; ce travail préparatif est l’objet des chapitres 7 et 8. Le chapitre 10 définit des objets géométriques plus généraux que les “sousensembles algébriques” dont il a été question jusque là. Notamment, l’espace projectif, en tant que variété algébrique, est introduit, ce qui résout le problème (iii). Finalement, le chapitre 11 démontre le théorème de Bézout, but de ce cours, et le chapitre 12 en explique quelques applications. Ce texte a été rédigé par Christoph Sorger, Samuel Boissière, et Pierre-Emmanuel Chaput. Géométrie Algébrique Table des matières Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1. Ensembles algébriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 2. Théorème de base de Hilbert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 3. Nullstellensatz : énoncé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 4. Nullstellensatz : preuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 5. Variétés affines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 6. Dimension d’un anneau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 7. Décomposition primaire d’un idéal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 8. Fermés algébriques n’ayant qu’un nombre fini de points . . 64 9. Etude locale des courbes planes affines . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 10. Variétés algébriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 11. Courbes algébriques projectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 12. Applications du théorème de Bézout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Annexe A. Devoir libre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 Annexe B. Contrôle continu : 10 mars 2004 . . . . . . . . . . . . . . . . 116 Annexe C. Examen première session : 24 mai 2004 . . . . . . . . 124 Annexe D. Examen deuxième session : 2 septembre 2004 . . 127 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 3 4 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 1. Ensembles algébriques Ce chapitre donne la définition des sous-ensembles algébriques d’un espace affine, puis définit une topologie sur ces sous-ensembles, assez particulière parce qu’en général non séparée, mais très utiles, la topologie de Zariski. 1.1. — Soit k un corps. On note : Ank := {(x1 , . . . , xn ) | xi ∈ k ∀i = 1, . . . , n}, l’espace affine de dimension n sur k. Soient P1 , . . . , P` ∈ k[X1 , . . . , Xn ] des polynômes en n indéterminées. On note : V (P1 , . . . , P` ) := {(x1 , . . . , xn ) ∈ Ank | Pi (x1 , . . . , xn ) = 0 ∀i = 1, . . . , `}. La notation V est un anglicisme (V pour vanishing). On trouve parfois aussi la notation Z (pour zéros) dans les ouvrages. Cependant, ces dernières années, V est devenu standard. 1.2 Exemples. — Sur A2C on a : (i) Si P = X 2 + Y 2 − 1, V (P ) = {(x, y) ∈ A2C | x2 + y 2 − 1 = 0} est le cercle ; (ii) Si P = X 2 + Y 2 − 1 et Q = X + 2, alors : V (P, Q) = {(x, y) ∈ A2C | x2 + y 2 = 1 et x = −2} n √ o n √ o = −2, i 3 ∪ −2, −i 3 . Géométrie Algébrique 5 1.3. — Soit J = hP1 , . . . , P` i l’idéal de k[X1 , . . . , Xn ] engendré par les polynômes P1 , . . . , P` . Alors pour tout P ∈ J on a : P (x1 , . . . , xn ) = 0 pour (x1 , . . . , xn ) ∈ V (P1 , . . . , P` ). En effet, on peut écrire P = P̀ Qi Pi pour certains Qi ∈ k[X1 , . . . , Xn ] d’où : i=1 P (x1 , . . . , xn ) = ` X Qi (x1 , . . . , xn )Pi (x1 , . . . , xn ) = 0. i=1 Généralement, nous définissons pour un idéal J ⊂ k[X1 , . . . , Xn ] le sousensemble algébrique déterminé par l’idéal J par : V (J) := {(x1 , . . . , xn ) ∈ Ank | P (x1 , . . . , xn ) = 0 ∀P ∈ J}. 1.4 Lemme. — Si J = hP1 , . . . , P` i, alors V (J) = V (P1 , . . . , P` ). Démonstration. — Nous avons déjà vu que V (P1 , . . . , P` ) ⊂ V (J). L’inclusion inverse est claire car Pi ∈ J pour tout i ∈ {1, . . . , `}. 1.5 Proposition. — On a les propriétés suivantes : (i) V (h0i) = Ank et V (k[X1 , . . . , Xn ]) = ∅ ; (ii) V (I) ∪ V (J) = V (I ∩ J) ; plus généralement S̀ V (Ij ) = V ( j=1 (iii) T V (Iλ ) = V λ∈Λ P T̀ Ij ) ; j=1 P Iλ , où Iλ désigne l’idéal de k[X1 , . . . , Xn ] λ∈Λ λ∈Λ engendré par les Iλ . On en déduit que l’ensemble : τ (Ank ) := {V (J)c | J idéal de k[X1 , . . . , Xn ]} est une topologie sur Ank ou autrement dit : les sous-ensembles algébriques de Ank forment les fermés d’une topologie sur Ank qu’on appelle la topologie de Zariski de Ank . On dira donc parfois fermé de Zariski au lieu de sous-ensemble algébrique. Démonstration. — (i) Clair. 6 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (ii) On observe que si J1 ⊂ J2 alors V (J1 ) ⊃ V (J2 ) : l’opération V (·) renverse les inclusions. Ainsi V (I) ⊂ V (I ∩ J) et V (J) ⊂ V (I ∩ J), donc V (I) ∪ V (J) ⊂ V (I ∩ J). Réciproquement, soit (x1 , . . . , xn ) ∈ V (I ∩ J). Si (x1 , . . . , xn ) 6∈ V (I), il existe un polynôme P ∈ I tel que P (x1 , . . . , xn ) 6= 0. Pour tout Q ∈ J on a P · Q ∈ I ∩ J donc Q(x1 , . . . , xn )P (x1 , . . . , xn ) = 0, ce qui donne Q(x1 , . . . , xn ) = 0 pour tout Q ∈ J, donc (x1 , . . . , xn ) ∈ V (J). Ainsi, on a obtenu V (I ∩ J) ⊂ V (I) ∪ V (J), d’où finalement l’égalité. Par récurrence, l’énoncé analogue pour un nombre fini d’idéaux est encore valable. P P Iλ donc V (Iµ ) ⊃ V Iλ , d’où : (iii) Pour µ ∈ Λ on a Iµ ⊂ λ∈Λ λ∈Λ T T P Iµ ⊃ V Iλ . Montrons l’inclusion inverse. Si (x1 , . . . , xn ) ∈ Iµ , µ∈Λ µ∈Λ λ∈Λ alors : ∀λ ∈ Λ, ∀Pλ ∈ Iλ , Pλ (x1 , . . . , xn ) = 0. P Puisque l’idéal Iλ est engendré par les polynômes Pλ ∈ Iλ pour tout λ, il λ∈Λ P Iλ . en résulte que (x1 , . . . , xn ) ∈ V λ∈Λ 1.6 Exemple. — Soit k un corps infini. Alors Z ⊂ A1k est un fermé de Zariski si et seulement si Z = ∅, ou Z = A1k , ou Z est un sous-ensemble fini de A1k . En effet, si Z est un fermé distinct de ∅ et de A1k , alors Z = V (I) avec I 6= 0 et I 6= k[X]. Puisque k[X] est un anneau principal, on a I = hP i donc V (I) = V (P ) et P n’a qu’un nombre fini de zéros. Inversement, si Z = {a1 , . . . , an } est un sous-ensemble fini de A1k on voit que Z est de la forme n Q Z = V (I) avec I = hP i et P (X) = (X − ai ) (voir aussi l’exercice 1.6). i=1 1.7 Remarque. — Par récurrence on a vu que : n S j=1 V (Ij ) = V n T ! Ij . j=1 Cependant ceci n’est valable que pour des réunions finies. En effet, supposons k infini et a1 , a2 , . . . ∈ k distincts tels que Z = {a1 , a2 , . . .} 6= A1k . Alors S Z = V (hX − an i) mais ne peut pas être de la forme V (J) car les seuls n∈N fermés de Zariski de A1k distincts de A1k et non vides sont les ensembles finis. Géométrie Algébrique 7 UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercices Exercice 1.1. — Dessiner les ensembles algébriques suivants : (i) Sur A2R : V (X 2 + Y 2 − 1), V (Y 2 − X 3 ), V (Y 2 − X 2 − X 3 ) (on pourra trouver un paramétrage), V (XY ), V (X, Y ), V (Y 2 − XY − X 2 Y + X 3 ) (on pourra factoriser). (ii) Sur A3R : V (Z 2 − (X 2 + Y 2 )). Exercice 1.2. — Soit I, J des idéaux de k[X1 , . . . , Xn ]. Montrer : (i) (I ⊂ J) ⇒ (V (I) ⊃ V (J)). Que dire de la réciproque ? (ii) V (I) ∪ V (J) = V (I ∩ J). (iii) V (I) ∪ V (J) = V (I · J). Trouver un exemple où V (I · J) = V (I ∩ J) avec I · J 6= I ∩ J. (iv) V (I) ∩ V (J) = V (I + J). Exercice 1.3. — Soit k un corps infini. Montrer que la topologie de Zariski sur A1k n’est pas séparée. Exercice 1.4. — Montrer que, pour la topologie de Zariski, A2C 6= A1C × A1C (i.e. la topologie de Zariski sur le produit n’est pas la topologie produit des topologies de Zariski). Exercice 1.5. — Soit a, b ∈ C et l’idéal I = hX −a, Y −bi ⊂ C[X, Y ]. Décrire V (I) et montrer que l’idéal I est maximal. Que penser de la réciproque ? Exercice 1.6. — Soit k un corps fini. Montrer que tout sous-ensemble de Ank est algébrique. Exercice 1.7. — (i) Montrer que l’ensemble {(t, t2 , t3 ) ∈ R3 | t ∈ R} est un sous-ensemble algébrique de R3 . 8 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (ii) Montrer que l’ensemble {(x, y) ∈ R2 | y = sin(x)} n’est pas un ensemble algébrique. Exercice 1.8. — Soit k un corps infini et F ∈ k[X1 , . . . , Xn ]. Supposons que F (a1 , . . . , an ) = 0 pour tous a1 , . . . , an ∈ k. Montrer que F = 0. (IndicaP tion : écrire F = i Fi Xni avec Fi ∈ k[X1 , . . . , Xn−1 ]. Procéder par récurrence sur n en utilisant le fait que si Fi (a1 , . . . , an−1 ) 6= 0 pour un certain i, alors F (a1 , . . . , an−1 , Xn ) a un nombre fini de racines). Interpréter géométriquement ce résultat. Exercice 1.9. — Montrer que tout ouvert de Zariski de A2C est dense pour la topologie de Zariski. Solutions Solution 1.1. — Le cercle, la cubique cuspidale t 7→ (t2 , t3 ), la cubique nodale t 7→ (t2 − 1, t3 − t), la réunion des deux axes x = 0 et y = 0, le point (0, 0), la réunion de la droite y = x et de la parabole y = x2 . Solution 1.2. — (i) Voir le cours. Contre-exemple à la réciproque : I = (X) et J = (X 2 ) dans k[X]. (ii) Voir le cours. (iii) Se démontre comme le précédent. Rappelons que I · J est l’idéal engendré par les produits x · y pour x ∈ I et y ∈ J, autrement dit : ( k ) X I ·J = xi yi | xi ∈ I, yi ∈ J . i=1 Contre-exemple : par exemple I = J = (X) dans k[X]. (iv) Double inclusion. Solution 1.3. — Il faut montrer que deux ouverts de Zariski non vides U et V s’intersectent toujours. D’après la remarque 1.6, ils sont de la forme : U = A1k − V (P ) et W = A1k − V (Q) pour des polynômes non nuls P, Q. Alors U ∩ W = A1k − (V (P ) ∪ V (Q)) est un ouvert non vide (car infini). Géométrie Algébrique 9 Solution 1.4. — Rappel : si X est un espace topologique, la topologie produit sur X × X est la topologie la moins fine rendant les projections sur X continues (les projections sont alors ouvertes, mais non fermées en général). On sait que X est séparé si et seulement si la diagonale ∆ ⊂ X × X est fermée pour la topologie produit. Pour X = A1C , X n’est pas séparé (exercice 1.3) donc la diagonale ∆ n’est pas fermée. Cependant, vue dans A2C cette diagonale est V (X − Y ) donc est fermée. Donc la topologie de Zariski sur A2C n’est pas la topologie produit. Solution 1.5. — V (I) est le point (a, b). Soit f : C[X, Y ] → C l’évaluation f (P ) = P (a, b). On voit aisément que f est surjective et que I ⊂ Ker(f ). Montrons que Ker(f ) ⊂ I. Soit P ∈ C[X, Y ] tel que P (a, b) = 0. En considérant que P ∈ C[Y ][X], on peut faire la division euclidienne de P par X − a (rappelons que dans une algèbre de polynômes A[X] sur un anneau A, on peut faire une division euclidienne d’un polynôme P par un polynôme Q seulement quand le coefficient dominant de Q est inversible dans A ; c’est bien le cas ici) : P = (X − a)Q + R, où R est un polynôme de degré nul en X : R ∈ C[Y ]. Puisque P (a, b) = 0, on a R(b) = 0. Par division euclidienne à nouveau (cette fois sans problème dans C[Y ]), R = (Y − b)T avec T ∈ C[Y ]. Ainsi : P = (X − a)Q + (Y − b)T ∈ hX − a, Y − bi = I. Finalement, Ker(f ) = I donc C[X, Y ]/I ∼ = C ce qui montre que I est maximal. La réciproque sera vue plus loin avec le Nullstellensatz. Solution 1.6. — Puisque k est fini, tout sous-ensemble Z de Ank est fini. Soit Z = {x1 , . . . , xm } ∈ Ank , avec xi = (ai1 , . . . , ain ). On observe que {xi } = V (Ji ) pour Ji = (X1 − ai1 , . . . , Xn − ain ) donc : Z = {x1 } ∪ · · · ∪ {xm } = V (J1 ) ∪ · · · ∪ V (Jm ) = V (J1 ∩ · · · ∩ Jm ), donc Z est un ensemble algébrique. Solution 1.7. — (i) Vérifier que c’est V (Z − X 3 , Y − X 2 ). 10 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (ii) Supposons que cet ensemble Z soit algébrique : il est alors de la forme Z = V (I). Soit P ∈ I : on a P (x, sin x) = 0 pour tout x ∈ R. Alors le polynôme Q(X) = P (X, 0) est tel que : Q(π + 2πk) = P (π + 2πk, 0) = P (π + 2πk, sin(π + 2πk)) = 0 pour tout entier k : Q a un nombre infini de racines, donc Q est nul. Cela signifie que P vérifie P (x, 0) = 0 pour tout x ∈ R, et ce pour tout P ∈ I. Donc l’ensemble Z contiendrait tous les points (x, 0) pour x ∈ R (i.e. toute la droite horizontale), ce qui n’est pas. Solution 1.8. — Remarque : comme contre-exemple si k n’est pas infini, prendre k = Z/pZ pour p premier et le polynôme F = X(X −1) · · · (X −(p−1)) qui est non nul alors que F (x) = 0 pour tout x ∈ k. On fait une récurrence. Pour n = 1 c’est clair : un polynôme non nul de k[X] P a un nombre fini de racines, or k est infini. Sinon, on décompose F = Fi Xni avec Fi ∈ k[X1 , . . . , Xn−1 ]. Si F est non nul, l’un des polynômes Fi est non nul, disons Fi0 , donc par hypothèse de récurrence il existe a1 , . . . , an−1 tels que Fi0 (a1 , . . . , an−1 ) 6= 0. Alors Q(X) = F (a1 , . . . , an−1 , X) est un polynôme non nul donc il a un nombre fini de racines. Il existe donc (puisque k est infini) an tel que F (a1 , . . . , an−1 , an ) = Q(an ) 6= 0, contradiction. Géométriquement, cela signifie : (V (I) = Ank ) ⇒ (I = h0i) (la réciproque est toujours vraie). Solution 1.9. — L’exercice 1.8 a établi l’équivalence entre V (I) = A2C et (I = h0i). Soit U = A2 −V (I) un ouvert non vide : donc I 6= h0i. Pour montrer qu’il est dense, il faut montrer qu’il coupe tout ouvert non vide W = A2 −V (J) (J 6= h0i). Or U ∩ W = A2C − (V (I) ∪ V (J)) = A2C − V (I · J) et I · J 6= h0i puisque I et J sont non nuls. Donc U ∩ W est non vide. Géométrie Algébrique 11 UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 2. Théorème de base de Hilbert 2.1. — Soit Z ⊂ Ank un sous-ensemble algébrique : il est de la forme Z = V (I) avec I ⊂ k[X1 , . . . , Xn ]. Le théorème de finitude (ou de base) de Hilbert affirme que I = hP1 , . . . , P` i pour un nombre fini de polynômes. Ce théorème fondamental, objet de ce chapitre, montre donc que tout sousensemble algébrique peut être défini par un nombre fini d’équations. La démonstration de ce théorème utilise la notion d’anneaux noethériens et de modules de type fini. 2.2 Remarque. — Tous les anneaux considérés sont associatifs, commutatifs et unitaires. 2.3 Théorème (Hilbert). — Soit A un anneau noethérien. Alors l’anneau A[X] est aussi noethérien. En particulier, si k est un corps, k[X1 , . . . , Xn ] est noethérien. 2.4 Rappels. — (i) Un anneau A est dit noethérien si l’une des trois conditions équivalentes suivantes est vérifiée : (a) Tout idéal I ⊂ A est de type fini. (b) Toute suite croissante d’idéaux est stationnaire. (c) Tout ensemble non vide d’idéaux a un élément maximal. (ii) Un module M sur un anneau A est dit de type fini s’il existe x1 , . . . , xm ∈ M tels que : M = hx1 , . . . , xm i := {a1 x1 + . . . + am xm | ai ∈ A ∀i = 1, . . . , m}, ou de manière équivalente s’il existe un morphisme surjectif de A-modules Am M . La démonstration du théorème de Hilbert va reposer sur le lemme suivant : 12 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique 2.5 Lemme. — Soit A un anneau noethérien et 0 → M 0 → M → M 00 → 0 une suite exacte de A-modules. Alors : M est de type fini ⇔ M 0 et M 00 sont de type fini. Démonstration. — ”⇐” Supposons M 0 et M 00 de type fini. On peut écrire : M 0 = hx01 , . . . , x0n i, M 00 = hx001 , . . . , x00m i. Alors M est engendré par : x1 = f (x01 ), . . . , xn = f (x0n ) et des éléments xn+1 , . . . , xn+m tels que g(xn+i ) = x00i pour i = 1, . . . , m. En m P effet, soit x ∈ M . Alors g(x) = bi x00i et par linéarité de g : i=1 m X g x− ! bi xn+i = g(x) − i=1 m X bi g(xn+i ) i=1 =0 ce qui signifie que x − f (x0 ) = x − m P bi xn+i ∈ Ker g = Im f . Il existe donc x0 ∈ M 0 tel que i=1 bi xn+i . C’est un élément de la forme x0 = i=1 ai ∈ A, donc m P f (x0 ) = n P n P i=1 ai x0i pour certains ai xi d’où : i=1 x = a1 x1 + · · · + an xn + b1 xn+1 + · · · + bm xn+m , P i.e. x est de la forme x = i ci xi avec ci ∈ A. ”⇒” Supposons M de type fini : M = hx1 , . . . , xn i. Posons x00i = g(xi ). Alors P les x00i engendrent M 00 . En effet, si x00 ∈ M 00 on a x00 = g(x) = g( i ai xi ) pour P P certains ai , donc par linéarité de g on a : x00 = i ai g(xi ) = i ai x00i . Le plus difficile est de montrer que M 0 est de type fini. Comme f est injective, f (M 0 ) ∼ = M 0 donc il s’agit de voir que si N ⊂ M est un sous-module d’un Géométrie Algébrique 13 module de type fini alors N est de type fini. Comme M est de type fini, il existe une surjection : p An M P (a1 , . . . , an ) 7→ i ai xi ∪ ∪ −1 p (N ) N donc il suffit de se restreindre au cas M = An car si p−1 (N ) est de type fini, alors N l’est aussi. On raisonne par récurrence. Pour n = 1 il n’y a pas de problème : N ⊂ A est un sous-module de A considéré comme module sur luimême, donc c’est un idéal de A. Puisque A est noethérien, N est de type fini. Supposons la propriété vérifiée au rang n−1. Par projection q : (a1 , . . . , an ) 7→ an on a un diagramme commutatif : 0 0 / An−1 O / An O ? / N0 ? /N q /A O /0 ? / N 00 /0 N 0 est de type fini par hypothèse de récurrence, N 00 est de type fini car A est noethérien, donc N est noethérien d’après le sens ” ⇐ ”. Nous sommes maintenant en mesure de démontrer le théorème de base de Hilbert : Démonstration. — Soit I ⊂ A[X] un idéal. En particulier, I est un A-module. Posons pour tout n ≥ 0 : In := {P ∈ I | deg P ≤ n}. In est un sous-A-module de I et on a une filtration croissante : I0 ⊂ I1 ⊂ I2 ⊂ · · · ⊂ I. Observation 1. — In est un A-module de type fini. En effet, en considérant la projection A-linéaire fn : In → A définie par f (P ) = an pour P = a0 + · · · + an X n , on a la suite exacte de A-modules : 0 / In−1 / In / fn (In ) /0. 14 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique En procédant par récurrence, on a In−1 de type fini et fn (In ) de type fini car A est noethérien, donc In est de type fini d’après le lemme 2.5. Posons Jn = fn (In ) : les Jn forment une suite croissante d’idéaux de A : Jn ⊂ Jn+1 ⊂ · · · (en effet, il suffit de multiplier par X). Observation 2. — La suite d’idéaux Jn est stationnaire. En effet, A est noethérien donc toute suite croissante d’idéaux est stationnaire. Il existe donc un entier N tel que pour tout n ≥ N on a JN = Jn . Observation 3. — IN engendre I comme A[X]-module. En effet, soit P ∈ I. On peut supposer P ∈ In avec n ≥ N (sinon il n’y a rien à faire) : P = a0 + a1 X + · · · + an X n . Il existe Q1 ∈ IN tel que fN (Q1 ) = fn (P ) car JN = Jn . Autrement dit, Q1 = b0 + b1 X + · · · + bN X N , avec bN = an . Donc P − X n−N Q1 ∈ In−1 . De même, il existe Q2 ∈ IN tel que P − X n−N Q1 − X n−N −1 Q2 ∈ In−2 et ainsi de suite. Finalement, on aboutit à P − X n−N Q1 − · · · − XQn−N −1 ∈ IN . Donc on a P = Qn−N + XQn−N −1 + · · · + X n−N Q1 pour Qi ∈ IN . Fin de la démonstration du théorème. D’après l’observation 1, il existe des éléments R1 , . . . , R` ∈ IN tels que IN = hR1 , . . . , R` iA (comme A-module). P Pi Qi avec Qi ∈ Si P ∈ I, l’observation 3 dit que P est de la forme P = P i Pi i IN . Chaque Qi peut s’écrire Qi = aj Rj , donc P = aj Pi Rj soit P ∈ j hR1 , . . . R` iA[X] . i,j Géométrie Algébrique 15 UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercices Exercice 2.1. — (i) Déduire du théorème de base de Hilbert que pour tout corps k, l’anneau de polynômes k[X1 , . . . , Xn ] est noethérien. (ii) Soit X un ensemble algébrique défini par une famille d’équations polynomiales fi (x1 , . . . , xn ) = 0 pour i ∈ I où I désigne un ensemble d’indices quelconque. Montrer qu’il existe un sous-ensemble fini J ⊂ I tel que X est défini par les équations fj (x1 , . . . , xn ) = 0 pour j ∈ J. (iii) La réciproque du théorème de base de Hilbert est-elle vraie : si A[X] est un anneau noethérien, A est-il nécessairement noethérien ? Exercice 2.2. — (i) L’anneau k[X1 , X2 , . . .] des polynômes en un nombre infini d’indéterminées est-il noethérien ? (ii) L’anneau des séries formelles k[[X]] est-il noethérien ? Exercice 2.3. — On appelle hypersurface de Ank tout ensemble algébrique de la forme V (F ) pour un polynôme F ∈ k[X1 , . . . , Xn ]. Montrer que tout ensemble algébrique est une intersection finie d’hypersurfaces. Décrire le point (0, 0) ∈ A2C comme intersection d’hypersurfaces. Solutions Solution 2.1. — (i) Il suffit d’observer que k[X1 , . . . , Xn ] = k[X1 , . . . , Xn−1 ][Xn ] puis de faire une récurrence. (ii) L’idéal engendré par tous les fi est de type fini, donc il est engendré par des polynômes P1 , . . . , Pr . Chacun d’eux s’exprime en fonction d’un nombre fini de fj : ceux-ci suffisent donc. 16 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (iii) Consisérons le morphisme surjectif d’anneaux f : A[X] → A donné par f (P ) = P (0). Pour tout idéal I de A, f −1 (I) est un idéal de A[X], donc est de type fini : f −1 (I) = hP1 , . . . , Pk i. Donc I = hP1 (0), . . . , Pk (0)i est de type fini. Solution 2.2. — (i) Non : la suite suivante d’idéaux est strictement croissante : (X1 ) ⊂ (X1 , X2 ) ⊂ (X1 , X2 , X3 ) ⊂ · · · . (ii) Oui : cet anneau est principal, donc noethérien. Solution 2.3. — L’idéal qui définit cet ensemble algébrique est engendré par un nombre fini de polynômes. Par exemple, (0, 0) = V (X, Y ) = V (X) ∩ V (Y ). Géométrie Algébrique 17 UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 3. Nullstellensatz : énoncé 3.1. — On avait considéré pour un idéal J ⊂ k[X1 , . . . , Xn ] le sous-ensemble X = V (J) ⊂ Ank défini par : V (J) := {(x1 , . . . , xn ) ∈ Ank | P (x1 , . . . , xn ) = 0 ∀P ∈ J}, i.e. on avait défini une application : V {idéaux de k[X1 , . . . , Xn ]} −→ {sous-ensembles Z ∈ Ank } et appelé les sous-ensembles V (J) obtenus algébriques. Réciproquement, si Z ⊂ Ank est un sous-ensemble quelconque, on définit : I(Z) := {P ∈ k[X1 , . . . , Xn ] | P (x1 , . . . , xn ) = 0 ∀(x1 , . . . , xn ) ∈ Z} . C’est un idéal de k[X1 , . . . , Xn ]. On dispose donc de deux applications : V {idéaux de k[X1 , . . . , Xn ]} n . {sous-ensembles Z ⊂ Ank } . I Le Nullstellensatz décrit, pour J ⊂ k[X1 , . . . , Xn ] un idéal, l’idéal I(V (J)). Comme on le verra, les idéaux pour lesquels J = I(V (J)) forment une classe importante d’idéaux, contenant les idéaux premiers ; ils seront appelés “idéaux radicaux”. La démonstration, ardue, du Nullstellensatz, utilise d’une part une construction algébrique, la localisation, qui jouera un rôle fondamental dans la suite de ce cours, et d’autre part la notion d’extension entière d’algèbres, tout aussi essentielle. On commence par une proposition simple. 3.2 Proposition. — (i) Si X ⊂ Y alors I(X) ⊃ I(Y ). 18 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (ii) Pour tout sous-ensemble Z ∈ Ank on a Z ⊂ V (I(Z)) avec égalité si et seulement si Z est algébrique. (iii) Pour tout idéal J ⊂ k[X1 , . . . , Xn ] on a J ⊂ I(V (J)). Démonstration. — (i) Laissé en exercice. (ii) L’inclusion est laissée en exercice. ” ⇐ ” Si Z est algébrique, il existe J0 ⊂ k[X1 , . . . , Xn ] tel que Z = V (J0 ). Clairement, I(Z) ⊃ J0 , donc V (I(Z)) ⊂ V (J0 ) = Z, d’où l’égalité. ” ⇒ ” Si Z = V (I(Z)) alors Z est algébrique par définition. (iii) Laissé en exercice. 3.3 Remarques. — L’inclusion J ⊂ I(V (J)) peut être stricte. Il y a essentiellement deux raisons à cela : (i) Le corps k n’est pas algébriquement clos. Par exemple, prenons k = R et considérons sur A1R l’idéal J = hX 2 + 1i ⊂ R[X]. Alors on a V (J) = ∅ donc I(V (J)) = R[X], donc J $ I(V (J)). Le problème ici sur R est que l’on a V (J) = ∅ pour J un idéal propre. Sur C on n’aurait pas eu ce problème car pour hX 2 + 1i ⊂ C[X] on a V (hX 2 + 1i) = {i, −i} ⊂ A1C puis I(V (hX 2 + 1i)) = hX 2 + 1i. (ii) On perd les multiplicités. Considérons C[X] et J = hX n i pour n ≥ 2. Alors V (J) = {0}, I(h0i) = hXi donc l’inclusion est stricte. Ici on perd la multiplicité en passant à V (J). 3.4 Définition. — Soit A un anneau et I ⊂ A un idéal. L’ensemble : √ I := {f ∈ A | ∃n ∈ N tel que f n ∈ I} (aussi noté rad(I)) est appelé radical de I. 3.5 Remarques. — (i) On vérifie que ce radical l’idéal I est radical. √ I est un idéal de A. Si I = √ I, on dit que (ii) Si P ∈ A est un idéal premier, alors P est radical. En effet, si xn ∈ P avec n > 1 alors x.xn−1 ∈ P. Comme P est premier, soit x ∈ P, soit xn−1 ∈ P. On en déduit par récurrence que x ∈ P. Géométrie Algébrique 19 (iii) L’observation que nous venons de faire dit que V (·) ne peut pas dis√ √ √ tinguer entre J et J : on a V (J) = V ( J) donc I(V (J)) = I(V ( J)). En √ fait, on a J ⊂ J ⊂ I(V (J)). Le théorème des zéros de Hilbert affirme que √ I(V (J)) n’est pas plus gros que J à condition que k soit algébriquement clos. 3.6 Théorème (Nullstellensatz). — Soit k un corps algébriquement clos et J ⊂ k[X1 , . . . , Xn ] un idéal. Alors : √ I(V (J)) = J. Toutes les démonstrations de ce théorème présentent une difficulté algébrique inévitable. Commençons plutôt par tirer les conséquences de ce résultat : 3.7 Corollaire. — Soit k un corps algébriquement clos. Alors les correspondances I(·) et V (·) induisent une bijection : ∼ {idéaux radicaux de k[X1 , . . . , Xn ]} → {ensembles algébriques de Ank } J → V (J) I(Z) ← Z Commençons par quelques rappels algébriques. 3.8 Définition. — Soit A un anneau. Une A-algèbre est la donnée d’un anneau B muni d’une structure de A-module compatible avec la structure d’anneau, à savoir : a · (bb0 ) = (a · b)b0 = b(a · b0 ). 3.9 Exemple. — Soit f : A → B un morphisme d’anneaux. Alors B est une A-algèbre pour la structure de module définie par f , en posant a · b := f (a)b. 3.10 Définition. — (i) On dit que B est une A-algèbre de type fini s’il existe un nombre fini d’éléments b1 , . . . , bn ∈ B tels que : A[X1 , . . . , Xn ] → B Xi 7→ bi est un morphisme d’algèbres surjectif, autrement dit si pour tout élément b ∈ B il existe un polynôme P ∈ A[X1 , . . . , Xn ] tel que b = P (b1 , . . . , bn ). (ii) On dit que B est une A-algèbre finie si B en tant que A-module est de type fini, autrement dit s’il existe b1 , . . . , bm ∈ B tels que B = Ab1 +· · ·+Abm : pour tout b ∈ B il existe a1 , . . . , am ∈ A tels que b = a1 b1 + · · · + am bm . 20 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique Attention : dans la première définition on s’autorise à considérer des expressions polynomiales en les bi , tandis que dans la seconde on se restreint aux expressions linéaires en les bi . 3.11 Exemple. — k[X] est une k-algèbre de type fini (car elle est engendrée par X) mais ce n’est pas une k-algèbre finie car elle est de dimension infinie sur k. La partie difficile du Nullstellensatz est sa partie algébrique : 3.12 Théorème (Nullstellensatz, version algébrique) Soit k un corps et K une k-algèbre quotient de k[X1 , . . . , Xn ]. Si K est un corps, l’extension de corps k → K est une extension algébrique. On va déduire le Nullstellensatz de sa version algébrique en plusieurs étapes puis démontrer le Nullstellensatz version algébrique. 3.13 Corollaire. — Soit k un corps algébriquement clos et soit un idéal maximal M ⊂ k[X1 , . . . , Xn ]. Alors il existe x1 , . . . , xn ∈ k tels que : hX1 − x1 , . . . , Xn − xn i = M. Démonstration du corollaire 3.13. — K = k[X1 , . . . , Xn ]/M est un corps car M est maximal. Soit φ la composée k → k[X1 , . . . , Xn ] K. C’est une extension algébrique d’après le Nullstellensatz. Puisque k est algébriquement clos, φ est un isomorphisme. Soit xi = φ−1 (Xi ) (Xi désigne la classe de Xi dans K). On remarque que X − xi ∈ Ker(k[X1 , . . . , Xn ] → K) par définition des xi , donc hX1 − x1 , . . . , Xn − xn i ⊂ M. Puisque hX1 − x1 , . . . , Xn − xn i est un idéal maximal (voir l’exercice 1.5) on a hX1 − x1 , . . . , Xn − xn i = M. 3.14 Corollaire. — Soit k un corps algébriquement clos et un idéal propre J ⊂ k[X1 , . . . , Xn ]. Alors V (J) 6= ∅. Démonstration du corollaire 3.14. — Comme k[X1 , . . . , Xn ] est Noethérien, il existe un idéal maximal M contenant J. Donc V (J) ⊃ V (M). D’après le corollaire 3.13, il existe x1 , . . . , xn tels que M = hX1 − x1 , . . . , Xn − xn i, ce qui implique (x1 , . . . , xn ) ∈ V (M), donc (x1 , . . . , xn ) ∈ V (J). 3.15 Remarque. — Sur R, ces résultats sont faux : nous avons déjà vu que V (X 2 + 1) = ∅. En fait M = hX 2 + 1i est un idéal maximal de R[X], on a bien Géométrie Algébrique 21 que R → R[X] → R[X]/M ∼ = C est une extension algébrique mais justement, on ne peut pas raisonner comme ci-dessus car ce n’est pas un isomorphisme. On va déduire le Nullstellensatz du corollaire 3.14. Techniquement, on va utiliser la notion de localisation d’un anneau. 3.16 Rappels. — Soit A un anneau et S ⊂ A une partie multiplicative : 1∈S s, s0 ∈ S ⇒ ss0 ∈ S On appelle localisation de A en S le quotient : S −1 A := A × S/ ∼ où la relation d’équivalence est définie par : (a, s) ∼ (a0 , s0 ) ⇔ ∃t ∈ S tel que t(as0 − a0 s) = 0. La classe de (a, s) sera souvent notée as . 3.17 Remarques. — (i) Si 0 ∈ S, alors S −1 A = 0 car (a, s) ∼ (0, 1). (ii) Si A est intègre et 0 6= S, on peut supprimer l’intervention de t dans la définition de la relation d’équivalence. (iii) On dispose d’un morphisme canonique A → S −1 A donné par a 7→ a1 . (iv) Les propriétés de la localisation sont traitées dans les exercices. 22 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercices Exercice 3.1. — Soit X, Y des sous-ensembles de Ank . Montrer : (i) (X ⊂ Y ) ⇒ (I(X) ⊃ I(Y )) ; (ii) I(∅) = k[X1 , . . . , Xn ] et I(Ank ) = h0i (si k est infini) ; (iii) X ⊂ V (I(X)) ; (iv) I(V (I(X))) = I(X) ; (v) V (I(V (J)) = V (J) ; (vi) V (I(X)) = X (clôture de Zariski) ; (vii) I(X ∪ Y ) = I(X) ∩ I(Y ). Exercice 3.2. — Soit A un anneau (non supposé intègre) et S une partie multiplicative de A. (i) Montrer que S −1 A = 0 si et seulement si 0 ∈ S. (ii) Montrer la propriété universelle suivante : pour tout anneau B et tout morphisme d’anneaux f : A → B tel que pour tout s ∈ S, f (s) est inversible dans B, il existe un unique morphisme d’anneaux g : S −1 A → B tel que f = g ◦ j où j : A → S −1 A est l’application canonique. (iii) Montrer la propriété universelle suivante : pour toute A-algèbre B et tous b1 , . . . , bn ∈ B il existe un unique morphisme de A-algèbres f : A[X1 , . . . , Xn ] → B tel que f (Xi ) = bi . (iv) Soit f ∈ A. Justifier que l’ensemble S = {1, f, f 2 , . . .} est une partie multiplicative de A et construire un isomorphisme : S −1 A ∼ = A[X]/hf X − 1i. (v) Montrer que si f est nilpotent alors S −1 A = 0. Montrer directement que l’on a bien aussi A[X]/hf X − 1i = 0. Géométrie Algébrique 23 Exercice 3.3. — Soit A un anneau, I un idéal de A et π : A → A/I la projection canonique. (i) Montrer que l’image réciproque de tout idéal de A/I est un idéal de A contenant I. (ii) Montrer que l’on obtient ainsi une bijection entre les idéaux de A/I et les idéaux de A contenant I et que cette bijection respecte les inclusions. (iii) Montrer que les idéaux premiers se correspondent dans cette bijection. (iv) Montrer que les idéaux maximaux se correspondent dans cette bijection. Exercice 3.4. — Soit A un anneau, S une partie multiplicative de A et j : A → S −1 A l’application canonique. (i) Si I est idéal de A, montrer que S −1 I est un idéal de S −1 A. (ii) Montrer que I ∩ S 6= ∅ si et seulement si S −1 I = S −1 A. (iii) Montrer que tout idéal propre de S −1 A est de la forme S −1 I pour un idéal I ne rencontrant pas S (si 0 ∈ S, regarder ce qui se passe ...). (iv) Montrer que l’application surjective précédente des idéaux de A ne rencontrant pas S vers les idéaux de S −1 A induit une bijection entre les idéaux premiers de A ne rencontrant pas S et les idéaux premiers de S −1 A. (v) Que se passe-t-il au niveau des idéaux maximaux ? Solutions Solution 3.1. — (i) Si P ∈ I(Y ) alors pour tout y ∈ Y on a P (y) = 0, donc puisque X ⊂ Y on a P (x) = 0 pour tout x ∈ X. Donc P ∈ I(X). (ii) I(∅) = k[X1 , . . . , Xn ] est tautologique. Soit P tel que P (x1 , . . . , xn ) = 0 pour tout (x1 , . . . , xn ) alors P = 0 si k est infini (voir l’exercice 1.8). (iii) Si x ∈ X alors pour tout P ∈ I(X) on a P (x) = 0 donc x ∈ V (I(X)). (iv) On a X ⊂ V (I(X)) donc I(V (I(X))) ⊂ I(X). Réciproquement, soit P ∈ I(X). Pour tout y ∈ V (I(X)) on a P (y) = 0 donc P ∈ I(V (I(X))). (v) On a I(V (J)) ⊃ J donc V (I(V (J))) ⊂ V (J). Réciproquement, soit x ∈ V (J). Pour tout P ∈ I(V (J)), on a P (x) = 0, donc x ∈ V (I(V (J))). 24 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (vi) X ⊂ V (I(X)) et V (I(X)) est fermé donc X ⊂ V (I(X)). Soit F un fermé contenant X : F = V (J) ⊃ X. Alors I(F ) ⊂ I(X) puis V (I(F )) ⊃ V (I(X)). Mais V (I(F )) = V (I(V (J))) = V (J) = F par le point précédent donc V (I(X)) ⊂ F . Ainsi, V (I(X)) est inclus dans tout fermé contenant X, donc dans leur intersection qui est par définition la clôture de X. Donc V (I(X)) ⊂ X. (vii) On a X ⊂ X ∪ Y et Y ⊂ X ∪ Y ,on a donc I(X) ⊃ I(X ∪ Y ) et I(Y ) ⊃ I(X ∪ Y ) d’où I(X ∪ Y ) ⊂ I(X) ∩ I(Y ). Réciproquement, soit P ∈ I(X) ∩ I(Y ). Pour tout x ∈ X on a P (x) = 0 et pour tout y ∈ Y on a P (y) = 0 donc pour tout z ∈ X ∩ Y on a P (z) = 0, soit P ∈ I(X ∩ Y ). Solution 3.2. — (i) Si 0 ∈ S alors (a, s) ∼ (0, 1) pour tous a, s (en prenant t = 0 dans la définition de la relation d’équivalence). Réciproquement, si S −1 A = 0 alors les deux neutres sont les mêmes : (0, 1) ∼ (1, 1) donc il existe t ∈ S tel que t(0 · 1 − 1 · 1) = 0 = t donc 0 ∈ S. (ii) Pour l’existence, poser g( as ) = f (a)f (s)−1 et vérifier que cela ne dépend pas du choix des représentants. Pour l’unicité, constater que nécessairement on a f (a) = g( a1 ) = g( 1s as ) = g( 1s )g( as ) = f (s)g( as ) d’où la formule pour g puisque f (s) est inversible. (iii) Existence : f (P (X1 , . . . , Xn )) = P (b1 , . . . , bn ) convient car les Xi sont algébriquement indépendants. Unicité : la formule précédente est forcée si f est un morphisme d’anneaux (écrire P sous forme développée). (iv) S est clairement une partie multiplicative. Comme l’image de f dans A[X]/hf X − 1i par l’application naturelle A → A[X]/hf X − 1i est inversible (dans le quotient on a f X = 1 : l’inverse de f est X), cette application factorise par S −1 A d’après la propriété universelle du localisé. On obtient une application S −1 A → A[X]/hf X − 1i définie par fan 7→ aX n . Réciproquement, la propriété universelle des anneaux de polynômes donne un morphisme d’anneaux A[X] → S −1 A caractérisé par X 7→ f1 . On vérifie aisément que ces deux applications sont inverses l’une de l’autre. (v) Si f est nilpotent (disons f n = 0) alors 0 ∈ S donc S −1 A = 0 d’après la question (i). On remarque aussi que : (1 − f X)(1 + f X + · · · + f n−1 X n−1 ) = 1 Géométrie Algébrique 25 donc f X − 1 est inversible dans A[X] et h1 − f Xi = A[X] donc le quotient est nul. Solution 3.3. — (i) Vrai en général pour un morphisme d’anneaux. (ii) Dans un sens on fait l’image réciproque π −1 , et dans l’autre le quotient par I. Ce sont des bijections inverses respectant les inclusions. (iii) On vérifie à la main que le quotient d’un idéal premier contenant I est un idéal premier, et que l’image réciproque d’un idéal premier est un idéal premier (contenant I). (iv) Puisque les inclusions sont respectées, les idéaux maximaux restent maximaux. Solution 3.4. — (i) Clair. (ii) Si s ∈ I ∩ S, alors ss = 1 ∈ S −1 I donc S −1 I = S −1 A. Réciproquement, cela signifie qu’il existe a ∈ I et s ∈ S tels que as = 1, donc il existe t ∈ S tel que t(a − s) = 0 donc ta = ts ∈ I ∩ S. (iii) On vérifie par double inclusion que si J est un idéal de S −1 A, alors j −1 J = I est un idéal de A tel que S −1 I = J : on a S −1 ◦ j −1 = id. (iv) On sait que l’image réciproque d’un idéal premier est un idéal premier. Réciproquement, si P est un idéal premier de A ne rencontrant pas S, alors S −1 P est un idéal propre de S −1 A (questions (i) et (ii)) et est premier (à la main). Il reste à voir que j −1 S −1 P = P pour obtenir une bijection, d’après la question (iv) qui établissait la surjectivité. La double inclusion est facile (en utilisant P premier et P ∩ S = ∅). (v) Dans la localisation Z → Q, l’idéal maximal h0i de Q remonte en l’idéal nul de Z qui n’est pas maximal. 26 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 4. Nullstellensatz : preuve √ Démonstration du théorème 3.6. — L’inclusion J ⊂ I(V (J)) est évidente. Pour montrer l’inclusion inverse, on peut supposer que J est un idéal propre de k[X1 , . . . , Xn ], sinon c’est évident. Soit P ∈ I(V (J)). On doit montrer qu’il existe n ∈ N tel que P n ∈ J. Regardons la partie multiplicative S = {1, P, P 2 , . . .} dans A = k[X1 , . . . , Xn ] et le localisé S −1 A. 4.1 Lemme. — Si P ∈ I(V (J)) alors S −1 J = S −1 A. Admettons le lemme un instant pour terminer la démonstration. Comme S −1 J = S −1 A, 11 ∈ S −1 J donc 11 = PQn avec Q ∈ J et n ∈ N∗ , donc puisque A est intègre, P n = Q ∈ J. 4.2 Remarque. — On ne peut pas avoir n = 0 sinon 1 ∈ J et on a supposé que J est un idéal propre. Démonstration du lemme 4.1. — L’astuce consiste à considérer dans l’anneau k[X1 , . . . , Xn ][Y ] l’idéal J˜ := hJ, P Y − 1i. Observation 1. — On a la caractérisation : ( Q(x1 , . . . , xn ) = 0 ∀Q ∈ J n+1 ˜ ⊂A (x1 , . . . , xn , y) ∈ V (J) ⇔ k P (x1 , . . . , xn )y = 1 ˜ = ∅. D’après le corollaire 3.14 on a Ainsi, si on a P ∈ I(V (J)), alors V (J) donc J˜ = k[X1 , . . . , Xn ][Y ]. Observation 2. — On a un isomorphisme canonique : S −1 k[X1 , . . . , Xn ] ∼ = k[X1 , . . . , Xn ][Y ]/ hP Y − 1i. Géométrie Algébrique 27 L’explication de cet isomorphisme est fournie dans l’exercice 3.2. Sous cette identification, on a aussi : ˜ S −1 J ∼ Y − 1i. = J/hP Puisque J˜ = k[X1 , . . . , Xn ][Y ], on a S −1 J = S −1 k[X1 , . . . , Xn ] = S −1 A. Il reste à démontrer le Nullstellensatz version algébrique. Pour cela nous avons besoin d’introduire les entiers algébriques. 4.3 Définition. — Soit B un anneau et A ⊂ B un sous-anneau. Un élément b ∈ B est dit entier sur A s’il existe un polynôme P ∈ A[X] unitaire P = X n + an−1 X n−1 + · · · + a0 tel que P (b) = 0. Si tous les éléments de B sont entiers sur A, on dit que B est entier sur A. 4.4 Remarques. — (i) Si A et B sont des corps, on dit que B est algébrique sur A. (ii) Dans le cas des anneaux, il est très important de demander à P d’être unitaire. 4.5 Proposition. — Soit B un anneau, A ⊂ B un sous-anneau et b ∈ B. Les assertions suivantes sont équivalentes : (i) b est entier sur A. (ii) Le sous-anneau A[b] ⊂ B engendré par A et b est un A-module de type fini. (iii) Il existe un sous-anneau C de B contenant A et b tel que C est un A-module de type fini. Démonstration. — ”i ⇒ ii” Élémentaire (ceci utilise le fait que P est unitaire). ”ii ⇒ iii” Poser C = A[b]. ”iii ⇒ i” Seule cette implication est non triviale. Considérons la multiplication par b dans C : mb : C → C c 7→ b · c 28 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique C’est un morphisme de A-modules. Soit x1 , . . . , xn des générateurs de C en tant que A-module et notons : mb (xj ) = n X ai,j xi = bxj . i=1 Soit la matrice M = (ai,j ) ∈ Mn (A). On a donc : (bI − M )(xi ) = 0 ∀i = 1, . . . , n. En multipliant par la transposée de la matrice des cofacteurs, on obtient : det(bI − M )(xi ) = 0 ∀i = 1, . . . , n. P Puisque 1 ∈ C, on peut l’écrire 1 = i zi xi donc det(bI − M )1 = 0 donc det(bI − M ) = 0, ce qui fournit en développant le déterminant une équation polynomiale unitaire à coefficients dans A annulant b. 4.6 Corollaire. — (i) Si A ⊂ B et si x1 , . . . , xn ∈ B sont entiers sur A, alors le sous-anneau A[X1 , . . . , Xn ] ⊂ B engendré par A et les x1 , . . . , xn est un A-module de type fini. (ii) Soit A ⊂ B. L’ensemble des éléments b ∈ B qui sont entiers sur A est un sous-anneau de B. (iii) Supposons A ⊂ B ⊂ C. Alors si B est entier sur A et si C est entier sur B alors C est entier sur A. Démonstration. — (i) Par récurrence sur n. Pour n = 1 c’est la proposition 4.5. En supposant le résultat établi pour n − 1, A[x1 , . . . , xn−1 ] est de type fini sur A, et xn est entier sur A, donc entier sur A[x1 , . . . , xn−1 ]. Donc A[x1 , . . . , xn ] est de type fini sur A[x1 , . . . , xn−1 ] d’après la proposition 4.5. On conclut par transitivité de la propriété d’être de type fini. (ii) Soit x, y entiers sur B. Alors d’après la première assertion, A[x, y] est de type fini sur A. Puisque xy et x + y sont dans A[x, y], ils sont contenus dans un A-module de type fini, donc ils sont entiers sur A d’après la proposition 4.5. Géométrie Algébrique 29 (iii) Soit c ∈ C. Puisque c est entier sur B, il existe b0 , . . . , bn−1 tels que = b0 + b1 c + · · · + bn−1 cn−1 . En particulier, c est entier sur le sous-anneau A[b0 , . . . , bn−1 ] de B, donc A[b0 , . . . , bn−1 ][c] est de type fini sur A[b0 , . . . , bn−1 ]. Puisque B est entier sur A, A[b0 , . . . , bn−1 ] est de type fini sur A. Finalement, A[b0 , . . . , bn−1 ][c] est de type fini sur A par transitivité, donc c est inclus dans un sous-module de C de type fini sur A, donc c est entier sur A d’après la proposition 4.5. cn 4.7 Lemme (Lemme de normalisation de Noether) Soit k un corps et B une k-algèbre de type fini intègre. Alors il existe des éléments y1 , . . . , yr ∈ B tels que : (i) y1 , . . . , yr sont algébriquement indépendants ; (ii) B est entier sur k[y1 , . . . , yr ]. Admettons le lemme et montrons le Nullstellensatz version algébrique. Démonstration du théorème 3.12. — D’après le lemme de normalisation de Noether, il existe y1 , . . . , yr ∈ B algébriquement indépendants tels que B est entier sur k[y1 , . . . , yr ]. On a le lemme suivant : 4.8 Lemme. — Soit A ⊂ B avec B intègre et entier sur A. Alors A est un corps si et seulement si B est un corps. Ainsi, puisque B est un corps, A aussi ce qui force r = 0 puisque A est une algèbre de polynômes à r indéterminées. Donc B est entier sur k, i.e. algébrique sur k. Démonstration du lemme 4.8. — ”⇒” Supposons que A est un corps. Si b ∈ B − {0} est algébrique sur A, alors A[b] = A(b) donc b est inversible car B est intègre. ”⇐” Supposons que B est un corps. Soit a ∈ A − {0}. Puisque B est un corps, a est inversible dans B, d’inverse noté a−1 . Puisque B est entier sur A, il existe P ∈ A[X] unitaire tel que P (a−1 ) = 0 : (a−1 )n + an−1 (a−1 )n−1 + · · · + a0 = 0. En multipliant par an−1 on obtient : a−1 = −an−1 − · · · − a0 (a−1 )n−1 ∈ A. 30 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique Démonstration du lemme de normalisation de Noether (4.7) On fait une récurrence en utilisant le lemme suivant, dont la démonstration est donnée dans l’exercice 4.2 : 4.9 Lemme (Lemme de Nagata). — Soit P ∈ k[X1 , . . . , Xn ] un polynôme non constant. Alors il existe des entiers mi , pour i = 2, . . . , n, tels que l’anneau B = k[X1 , . . . , Xn ] soit entier sur l’anneau k[P, Y2 , . . . , Yn ] avec Yi = Xi − X1mi . Ainsi, supposons que B est une k-algèbre de type fini intègre, engendrée par n éléments. Si n = 0, B = k et il n’y a rien à démontrer. Sinon, soit P le noyau de la surjection k[X1 , . . . , Xn ] B. Puisque B est intègre, P est un idéal premier. Si P = (0) il n’y a rien à démontrer. Sinon, soit P un élément non nul de P. D’après le lemme de Nagata, l’extension A = k[P, Y2 , . . . , Yn ] ⊂ k[X1 , . . . , Xn ] est entière. Donc en passant au quotient, l’extension : A0 = A/(A ∩ P) −→ k[X1 , . . . , Xn ]/P = B est entière. Or par construction on a une surjection k[Y2 , . . . , Yn ] A0 donc par hypothèse de récurrence il existe z1 , . . . , zr ∈ A0 algébriquement indépendants tels que A0 est entier sur k[z1 , . . . , zr ]. Donc B est entier sur k[z1 , . . . , zr ] par transitivité. Géométrie Algébrique 31 UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercice 4.1. — Soit A un anneau et I un idéal de A. √ (i) Montrer que I est un idéal. p (ii) Décrire les élément de h0i (appelé nilradical de A). (iii) Montrer que si A/I est réduit (i.e. n’a pas d’élément nilpotent) alors I est un idéal radical. √ (iv) Montrer que si I = h0i alors I est égal à l’intersection Q des idéaux √ premiers de A (indication : pour montrer l’inclusion de Q dans I on pourra √ considérer un élément x n’appartenant pas à I et utiliser la partie multiplicative de A définie par S = {xn , n ∈ N}). √ (v) En déduire que si I est un idéal propre de A alors I est l’intersection des idéaux premiers de A contenant I. Exercice 4.2 (Lemme de Nagata). — Soit A = k[X1 , . . . , Xn ] et P ∈ A un polynôme non constant, de degré d ≥ 1. Soit m2 , . . . , mn des entiers et posons Yi = Xi − X1mi pour i = 2, . . . , n. On considère le sous-anneau B = k[P, Y2 , . . . , Yn ] de A et on cherche des valeurs des entiers mi telles que A soit entier sur B. (i) Montrer que A est entier sur B si et seulement si X1 est entier sur B. Justifier qu’il suffit donc de trouver un polynôme H(T ) ∈ B[T ] unitaire en T tel que H(X1 ) = 0. (ii) Justifier que le polynôme P peut se mettre sous la forme : X P (X1 , . . . , Xn ) = aα X1α1 · · · Xnαn , α avec α = (α1 , . . . , αn ) ∈ Nn et n P αi ≤ d. i=1 On considère le polynôme : H(T ) := P (T, Y2 + T m2 , . . . , Yn + T mn ) − P ∈ B[T ]. Montrer que H(X1 ) = 0. 32 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (iii) Justifier qu’il suffit de trouver les entiers mi de telle sorte que le coefficient dominant de H ne dépende pas des Yi . (iv) Montrer que H se met sous la forme : H(T ) = X aα T α1 + n P αi mi i=2 ! + Hα (T ) α où Hα est de degré en T inférieur à α1 + n P αi mi . i=2 (v) Montrer que pour tout b ≥ 2, l’application {0, . . . , b − 1}n → N définie n−1 P par (a0 , . . . , an−1 ) 7→ ai bi est injective. i=0 (vi) Déduire des questions précédentes que les valeurs mi = (d + 1)i−1 répondent au problème. Solution 4.1. — √ (i) Seule la stabilité pour l’addition est intéressante : si x, y ∈ I avec √ xn ∈ I et y m ∈ I alors on a x + y ∈ I en remarquant que (x + y)n+m ∈ I. p (ii) h0i est l’ensemble des éléments nilpotents. (iii) Soit x tel que xn ∈ I. Alors x̄n = 0 dans A/I. Mais puisque A/I n’a pas d’élément nilpotent, x = 0 dans A/I donc x ∈ I. p (iv) Soit x ∈ h0i : x est nilpotent, i.e. xn = 0. Pour tout idéal premier P, √ xn = 0 ∈ P donc x ∈ P. Réciproquement, si x ∈ / I l’anneau localisé S −1 A proposé n’est pas nul (car 0 ∈ / S) donc il admet un idéal premier. D’après la caractérisation des idéaux dans un anneau localisé, cet idéal est de la forme S −1 P pour un idéal premier P de A tel que P ∩ S = ∅. En particulier, x ∈ /P donc x n’est pas dans l’intersection des idéaux premiers. √ (v) Soit x ∈ I : xn ∈ I. Alors x̄n = 0 donc d’après la question précédente x̄ est dans tous les idéaux premiers de A/I. Or ce sont exactement les idéaux premiers de A contenant I, donc x est dans tous les idéaux premiers contenant √ I. Réciproquement, si x ∈ / I, x̄ n’est pas nilpotent donc d’après la question précédente il existe un idéal premier de A/I ne contenant pas x̄ donc un idéal premier contenant I mais ne contenant pas x. Solution 4.2. — Géométrie Algébrique 33 (i) Si A est entier sur B, alors par définition X1 ∈ A est entier sur B. Réciproquement, il faut montrer que chaque Xi , i ≥ 2 est entier sur B. Puisque X1 est entier sur B, il suffit par transitivité de montrer que Xi est entier sur B[X1 ] : le polynôme Fi (T ) = T − (Yi + X1mi ) convient. Pour montrer que X1 est entier sur B, il faut trouver un polynôme H(T ) ∈ B[T ] unitaire en T , i.e. dont le coefficient dominant est inversible dans B (donc ne contient pas les Yi ) tel que H(X1 ) = 0. (ii) La décomposition de P est bien connue, les entiers αi sont de somme inférieure ou égale à d puisque P est de degré d. Par construction, H(X1 ) = 0. (iii) Clair avec ce qui précède. (iv) Il suffit de développer un monôme aα X1α1 · · · Xnαn après avoir remplacé X1 par T et Xi par Yi + Tim pour i ≥ 2 pour tomber sur la forme indiquée. (v) Cette application est bien connue : c’est la décomposition d’un entier en base b. Cette écriture est unique. Puisque nous avons limité à n le nombre de termes dans la décomposition, cette application est bornée, donc non surjective. (vi) Puisque αi ≤ d pour tout i, le choix indiqué fait une décomposition n P en base d + 1. Chaque n-uplet (α1 , . . . , αn ) donne un nombre α1 + αi mi i=2 différent d’après l’injectivité établie à la question précédente, donc aucune α1 + n P αi mi simplification n’est à craindre entre les coefficients aα T intervenant dans H. Le coefficient dominant de H est donc l’un d’entre eux, et est bien indépendant des Yi . i=2 34 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 5. Variétés affines 5.1. — Dans ce chapitre, on étudie tout d’abord la notion topologique de sous-ensemble algébrique irréductible. Ensuite, on munit les sous-ensembles algébriques d’une topologie de Zariski et, surtout, on définit pour tout ouvert d’un sous-ensemble algébrique, une algèbre de fonctions, dites fonctions régulières sur ce sous-ensemble. C’est un premier pas vers un de nos objectifs, celui de définir les variétés algébriques. En effet, ces fonctions régulières vont être l’analogue, pour nos futures variétés algébriques, de ce que sont les fonctions C ∞ pour les variétés différentielles. 5.2. Ensembles algébriques irréductibles. — 5.3 Définition. — Soit Z ⊂ Ank un ensemble algébrique non vide. On dit que Z est réductible s’il existe des ensembles algébriques Z1 , Z2 tels que Z = Z1 ∪ Z2 avec Z1 $ Z et Z2 $ Z. Dans le cas contraire, on dit que Z est irréductible. 5.4 Exemples. — (i) L’ensemble algébrique Z = V (XY ) ⊂ A2k est réductible car on peut écrire Z = Z1 ∪ Z2 pour Z1 = V (X) et Z2 = V (Y ). (ii) Sur A1k , soit Z1 = {x1 } et Z2 = {x2 } avec x1 6= x2 . Alors l’ensemble Z = {x1 , x2 } = Z1 ∪ Z2 est réductible. 5.5 Proposition. — Soit Z un ensemble algébrique non vide. Alors Z est irréductible si et seulement si I(Z) est premier. Démonstration. — On va montrer en fait : Z réductible ⇐⇒ I(Z) n’est pas premier. ”⇒” Si Z = Z1 ∪ Z2 avec Z1 , Z2 algébriques, Z1 $ Z, Z2 $ Z alors en particulier I(Z) $ I(Z1 ) et I(Z) $ I(Z2 ), par l’exercice 3.1(vi). Soit P1 ∈ Géométrie Algébrique 35 I(Z1 ) − I(Z) et P2 ∈ I(Z2 ) − I(Z). Alors P1 · P2 s’annule sur Z (car Z = Z1 ∪ Z2 ), donc P1 · P2 ∈ I(Z). Cela montre que I(Z) n’est pas premier. ”⇐” Supposons que I(Z) n’est pas premier. Il existe donc P1 , P2 tels que P1 P2 ∈ I(Z) mais P1 ∈ / I(Z) et P2 ∈ / I(Z). Alors I1 := hI(Z), P1 i % I(Z) et I2 := hI(Z), P2 i % I(Z). Soit Z1 = V (I1 ) et Z2 = V (I2 ) : on a Z1 $ Z et Z2 $ Z. Alors Z ⊂ Z1 ∪ Z2 car si z ∈ Z, P1 (z)P2 (z) = 0 par hypothèse, donc P1 (z) = 0 ou P2 (z) = 0, donc z ∈ Z1 ou z ∈ Z2 . Ainsi, Z = (Z ∩ Z1 ) ∪ (Z ∩ Z2 ) donc Z est réductible. 5.6 Corollaire. — Si k est algébriquement clos, dans la correspondance bijective entre les idéaux radicaux de k[X1 , . . . , Xn ] et les ensembles algébriques de Ank , les idéaux premiers correspondent aux ensembles irréductibles. 5.7 Proposition. — Soit Z un ensemble algébrique. Alors on peut écrire de manière unique : Z = Z1 ∪ · · · ∪ Zr (∗) où les Zi sont des ensembles algébriques irréductibles tels que Zi 6⊂ Zj si i 6= j. 5.8 Définition. — Ces Zi s’appellent les composantes irréductibles de Z. Démonstration. — Existence. Soit : Σ = {Z ⊂ Ank ensemble algébrique | Z n’admet pas de décomposition (∗)}. Supposons Σ non vide. Toute suite décroissante d’ensembles algébriques est stationnaire, i.e. tout ensemble de fermés algébriques admet un élément minimal pour l’inclusion. Soit Z ∈ Σ minimal. Z n’est pas irréductible, donc Z = Z1 ∪ Z2 avec Z1 $ Z et Z2 $ Z. Par minimalité de Z, Z1 et Z2 admettent une décomposition (∗). Mais alors Z aussi, contradiction. Unicité. Soit I ⊂ Z un fermé irréductible et Z = Z1 ∪· · ·∪Zr une décomposition de Z. On a I = I ∩ Z = (I ∩ Z1 ) ∪ · · · ∪ (I ∩ Zr ). Comme I est irréductible et Zi fermé, il existe j tel que I = I ∩ Zj , soit I ⊂ Zj . On en déduit que les Zi sont les fermés irréductibles maximaux de Z, ce qui montre leur unicité. 5.9. Fonctions polynomiales sur un ensemble algébrique. — On a déjà vu que si P ∈ K[X1 , . . . , Xn ], P définit une fonction polynomiale Ank → k par (x1 , . . . , xn ) 7→ P (x1 , . . . , xn ). 36 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique 5.10 Définition. — Soit Z ⊂ Ank un ensemble algébrique. On dit qu’une fonction f : Z → k est polynomiale (ou algébrique) s’il existe un polynôme P ∈ k[X1 , . . . , Xn ] tel que f (x) = P (x) pour tout x ∈ Z, autrement dit si P|Z = f|Z . 5.11 Remarque. — Si P, Q sont deux polynômes tels que P|Z = Q|Z alors P − Q ∈ I(Z). On définit O(Z) := {f : Z → k | f est polynomiale}. D’après la remarque : O(Z) ∼ = k[X1 , . . . , Xn ]/ I(Z). En particulier, si k est infini, O(Ank ) = k[X1 , . . . , Xn ]. Parfois, on note k[Z] au lieu de O(Z). 5.12. Topologie de Zariski sur un ensemble algébrique. — On a vu que Ank est muni d’une topologie, dite de Zariski, dont les fermés sont exactement les ensembles algébriques. Soit Z un ensemble algébrique. Il est muni d’une topologie dont les fermés sont les ensembles algébriques X ⊂ Ank tels que X ⊂ Z (c’est la topologie induite puisque Z est fermé dans Ank ). Alors I(X) ⊃ I(Z). 5.13 Remarque. — En général, on a une bijection : {idéaux J de A tels que J ⊃ I} ↔ {idéaux de A/I}. Ainsi, on voit qu’on a les correspondances : {idéaux J de O(Z)} {sous-ensembles X ⊂ Z} J → V (J) I(X) ← X avec : V (J) := {x ∈ Z | f (x) = 0 ∀f ∈ J}, I(X) := {f ∈ O(Z) | f (x) = 0 ∀x ∈ X}, induisant une bijection entre les idéaux radicaux de O(Z) et les fermés de Z (d’après le Nullstellensatz sur O(Z)). 5.14 Définition. — Soit X ⊂ Ank et Y ⊂ Am k deux ensembles algébriques. Une application f : X → Y est dite polynomiale si elle est de la forme f = (f1 , . . . , fm ) avec fi ∈ O(X). Géométrie Algébrique 37 5.15 Remarque. — Si f : X → Y et g : Y → Z sont polynomiales, alors g ◦ f : X → Z est polynomiale. On note Hom(X, Y ) := {f : X → Y | f est polynomiale}. Soit f : X → Y une application polynomiale. Alors f induit un morphisme de k-algèbres f ∗ : O(Y ) → O(X) défini par f ∗ g = g ◦ f . 5.16 Proposition. — Une application polynomiale f : X → Y induit un morphisme de k-algèbres f ∗ : O(Y ) → O(X) et réciproquement pour tout morphisme de k-algèbres φ : O(Y ) → O(X) il existe une unique application polynomiale f telle que φ = f ∗ . En particulier on a une bijection : ∼ Hom(X, Y ) → Homk−alg (O(Y ), O(X)) f 7→ f∗ Démonstration. — – f ∗ est clairement un morphisme d’algèbres. Montrons par exemple que f ∗ est additive : on a (g1 + g2 )(y) = g1 (y) + g2 (y) pour tout y ∈ Y , donc : f ∗ (g1 + g2 )(x) = (g1 + g2 )(f (x)) = g1 (f (x)) + g2 (f (x)) = f ∗ g1 (x) + f ∗ g2 (x). – Réciproquement, on se donne φ : O(Y ) → O(X) et on cherche f : X → Y telle que f ∗ = φ, f = (f1 , . . . , fm ), fi ∈ O(X). Pour cela, soit yi : Am k → k la fonction polynomiale associée au polynôme P = Yi ∈ k[Y1 , . . . , Ym ], définie par (y1 , . . . , ym ) 7→ yi . Restreinte à Y ∈ Am k on récupère yi ∈ O(Y ) (en fait, O(Y ) = k[Y1 , . . . , Ym ]/I(Y ) et yi est la classe de Yi dans I(Y )). Soit fi = φ(yi ) ∈ O(X) et soit f : X → Am k définie par f = (f1 , . . . , fm ). Alors f (X) ⊂ Y . En effet, supposons G ∈ I(Y ) ⊂ k[Y1 , . . . , Ym ]. Alors G(y1 , . . . , ym ) = 0 ∈ O(Y ) donc φ(G(y1 , . . . , ym )) = 0 ∈ O(X), ce qui signifie G(φy1 , . . . , φym ) = 0 soit G(f1 , . . . , fm ) = 0 donc f (X) ⊂ Y car tout polynôme qui s’annule sur Y s’annule sur f (X). Pour montrer que f ∗ = φ, il suffit de le vérifier pour les générateurs de O(Y ). Comme Y1 , . . . , Ym forment un système de générateurs, l’égalité s’ensuit par définition de f . L’unicité se montre de même. 38 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique 5.17 Corollaire. — f : X → Y est un isomorphisme si et seulement si f ∗ : O(Y ) → O(X) est un isomorphisme. On souhaite maintenant élargir les constructions aux ouverts d’un ensemble algébrique. 5.18 Définition. — On dit que X ⊂ Ank est localement fermée si X est l’intersection d’un ouvert U ⊂ Ank et d’un fermé Z ⊂ Ank . 5.19 Définition. — Soit X ⊂ Ank un ensemble localement fermé. Une fonction f : X → k est dite régulière en x ∈ X si dans un voisinage ouvert Ux de x on a : a f|Ux = , b Ux avec a, b ∈ O(X) et b(x) 6= 0. f est dite régulière si elle est régulière partout. Plus généralement, une application f : X → Y est dite régulière si f = (f1 , . . . , fm ) avec les fi régulières. Une application régulière f bijective et telle que f −1 soit aussi régulière est appelée birégulière. 5.20 Proposition. — On suppose k algébriquement clos. Soit X ⊂ Ank un fermé algébrique irréductible. Alors toute application régulière f : X → Y est polynomiale. Démonstration. — La démonstration utilise le lemme élémentaire suivant (voir l’exercice 5.3) : 5.21 Lemme. — Soit X ⊂ Ank un ensemble algébrique. Les assertions suivantes sont équivalentes : (i) X est irréductible. (ii) Tout ouvert non vide de X est dense dans X. (iii) Si U, V sont deux ouverts non vides de X, alors U ∩ V 6= ∅. On se ramène aisément au cas f : X → k. Pour tout x ∈ X il existe un voisinage ouvert Ux de x dans X et ax , bx ∈ O(X) tels que bx (x) 6= 0 et : f bx |Ux = ax |Ux . D’autre part, on peut trouver un polynôme non nul en x et qui s’annule sur le fermé X − Ux (en effet, en notant F = X − Ux , on a x ∈ / F donc Géométrie Algébrique 39 I(F ) % I(F ∪ {x})). Donc quitte à multiplier ax et bx par ce polynôme on peut supposer l’égalité précédente vraie sur tout X : f bx = ax sur X. Soit J l’idéal engendré par les bx . Puisqu’ils n’ont pas de zéro en commun, V (J) = ∅ donc d’après le Nullstellensatz J = O(X). Il existe donc des points x1 , . . . , xr et des ui ∈ O(X) tels que : 1= r X u i b xi . i=1 En multipliant par f on obtient : f= r X ui axi , i=1 ce qui montre que f est polynomiale. Soit X ⊂ Ank localement fermé. On note la k-algèbre des fonctions régulières sur X par O(X). 5.22 Proposition. — Soit k algébriquement clos et X ⊂ Ank un ensemble algébrique. Soit Q ∈ O(X), Q 6= 0. Soit UQ := X − V (Q) (un ouvert de cette forme est appelé ouvert principal). Alors O(UQ ) = O(X)Q et O(X)Q := S −1 O(X) pour la partie multiplicative S = {1, Q, Q2 , . . .}. 1 Démonstration. — L’application UQ → X × A1k définie par x 7→ (x, Q(x) ) est 1 birégulière sur le fermé FQ = {(x, y) | yQ(x) = 1} ⊂ X × Ak , donc : O(UQ ) ∼ = O(FQ ) = O(X)[Y ]/ hY Q − 1i = O(X)Q . 40 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercices Exercice 5.1. — (i) Soit k un corps algébriquement clos et F ∈ k[X, Y ] irréductible non constant. Montrer que V (F ) est irréductible et que I(V (F )) = hF i. (ii) Si F = F1α1 · · · Frαr avec les Fi irréductibles, trouver les composantes irréductibles de V (F ) et montrer que I(V (F )) = hF1 · · · Fr i. (iii) Montrer que F = Y 2 + X 2 (X − 1)2 ∈ R[X, Y ] est un polynôme irréductible mais que V (F ) est réductible. (iv) Montrer que V (Y − X 2 ) ⊂ A2C est irréductible. (v) Décomposer V (Y 4 −X 2 , Y 4 −X 2 Y 2 +XY 2 −X 3 ) ⊂ A2C en composantes irréductibles. Exercice 5.2. — Soit k un corps algébriquement clos et F un polynôme non constant dans k[X1 , . . . , Xn ]. (i) Montrer que k est infini. (ii) Montrer que : si n ≥ 1, alors Ank − V (F ) est infini. (iii) Montrer que : si n ≥ 2, alors V (F ) est infini. Exercice 5.3. — (i) Montrer que tout ouvert non vide d’un espace topologique X irréductible est irréductible pour la topologie induite, et est dense dans X. (ii) Soit X un espace topologique et Y un sous-ensemble irréductible de X pour la topologie induite. Soit Y l’adhérence de Y dans X. Montrer que Y est irréductible. (iii) Montrer que tout espace topologique irréductible est connexe, mais que la réciproque est fausse. Exercice 5.4. — Géométrie Algébrique 41 (i) Soit P ∈ k[X1 , . . . , Xn ] et P̃ : Ank → A1k l’application polynomiale associée, définie par P̃ : (x1 , . . . , xn ) 7→ P (x1 , . . . , xn ). Montrer que P̃ est continue pour la topologie de Zariski. (ii) Soit X, Y des ensembles algébriques. Montrer que toute application polynomiale f : X → Y est continue. (iii) Soit X, Y des ensembles localement fermés. Montrer que toute application régulière f : X → Y est continue. Exercice 5.5. — (i) Montrer que l’application f : V (Y − X 2 ) → A1k définie par f (x, y) = x est birégulière. (ii) Montrer que l’application f : A1k → V (Y 2 − X 2 − X 3 ) définie par f (t) = (t2 − 1, t3 − t) est bien définie, régulière, mais pas birégulière. (iii) Montrer que l’application f : A1C → V (Y 2 − X 3 ) = Z définie par f (t) = (t2 , t3 ) est bien définie, régulière et bijective, mais n’est pas birégulière. Exercice 5.6. — (i) Montrer que O(A1C − {0}) ∼ = C[X]X . (ii) On pose X = A2C − {(0, 0)}. On veut calculer O(X). (a) On considère les sous-ensembles de A2C définis ensemblistement par : U = C × C∗ , V = C∗ × C. Justifier que U, V sont des ouverts de Zariski de A2C et que X = U ∪ V . (b) Considérons les applications : j φ 0 −→ O(X) −→ O(U ) ⊕ O(V ) −→ O(U ∩ V ) f 7→ (f|U , f|V ) (g, h) 7→ g|U ∩V − h|U ∩V Montrer que ceci forme une suite exacte d’espaces vectoriels, et que l’isomorphisme induit O(X) ∼ = Ker(φ) est un isomorphisme d’anneaux. (c) Montrer les isomorphismes O(U ) ∼ = C[X, Y ]Y , O(V ) ∼ = C[X, Y ]X et ∼ O(U ∩ V ) = C[X, Y ]XY . (d) En déduire que Ker(φ) ∼ = C[X, Y ]. 2 ∼ C[X, Y ] ∼ On a donc montré que O(A − {(0, 0)}) = = O(A2 ) ! C C 42 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique Solutions Solution 5.1. — (i) Puisque F est irréductible, l’idéal hF i est premier (car k[X, Y ] est factoriel) donc radical. Puisque k est algébriquement clos, d’après le Nullstellensatz p on a donc I(V (F )) = hF i = hF i et c’est un idéal premier, donc V (F ) est irréductible d’après la proposition 5.5. (ii) On a V (F ) = V (F1 ) ∪ · · · ∪ V (Fr ). D’après la première question, les fermés V (Fi ) sont irréductibles. Puisqu’aucun Fi ne divise un autre Fj , il n’y a aucune inclusion entre les V (Fi ) et V (Fj ). On a donc bien la décomposition irréductible de V (F ). Ensuite, toujours d’après le première question : I(V (F )) = I(V (F1 )) ∩ · · · ∩ I(V (Fr )) = hF1 i ∩ · · · ∩ hFr i, et il est clair que hF1 i ∩ · · · ∩ hFr i = (F1 · · · Fr ). (iii) Si F est réductible dans R[X, Y ], toute factorisation est de la forme F = (Y − α)(Y − β) pour α, β ∈ R[X]. Alors αβ = X 2 (X − 1)2 et α + β = 0, ce qui est impossible dans R[X]. Donc F est irréductible. Par contre on constate que V (F ) = {(0, 0), (0, 1)} est réductible. (iv) Le polynôme Y − X 2 est clairement irréductible et on est sur C qui est algébriquement clos. (v) On constate que : Y 4 − X 2 = (Y 2 − X)(Y 2 + X), Y 4 − X 2 Y 2 + XY 2 − X 3 = (Y − X)(Y + X)(Y 2 + X), donc la décomposition irréductible est : V (Y 4 − X 2 , Y 4 − X 2 Y 2 + XY 2 − X 3 ) = V (Y 2 + X) ∪ {(1, 1)} ∪ {(1, −1)}. Solution 5.2. — (i) Si k était fini, le polynôme Q (X − a) + 1 n’aurait pas de racine dans a∈k k, contradiction. (ii) Si Ank − V (F ) est fini, il est de la forme V (I) pour un idéal I. Donc Ank = V (F ) ∪ V (I) avec V (F ) 6= Ank (car k est infini et F non constant) et V (I) 6= Ank (puisqu’il est supposé fini). Ceci contredit le fait que Ank est irréductible. Géométrie Algébrique 43 (iii) Pour tout (a1 , . . . , an−1 ), le polynôme F (a1 , . . . , an−1 , Xn ) admet au moins une solution (soit il est nul, et sinon il a une racine puisque k est algébriquement clos). Puisque k est infini, cela fait une infinité de points dans V (F ). Solution 5.3. — Rappel : un espace topologique X est dit irréductible s’il n’est pas réunion de deux fermés propres. Un sous-ensemble de X est muni de la topologie induite. (i) Irréductibilité de U (on suppose U 6= X). Si U = F ∪ G pour des fermés F, G de U , par définition de la topologie induite il existe des fermés F 0 , G0 de X tels que F = U ∩ F 0 et G = U ∩ G0 . Donc X = (X − U ) ∪ (F 0 ∪ G0 ) serait réductible (soit ces deux fermés non vides sont distincts de X, soit F 0 ∪ G0 = X : dans les deux cas X est réunion de deux fermés propres). Densité de U . S’il existe un ouvert non vide V de X tel que U ∩ V = ∅, alors X = (X − U ) ∪ (X − V ) et X est réductible. (ii) Puisque Y est un fermé de X, s’il est réductible il s’écrit Y = F ∪ G pour deux fermés F, G de X. Alors par définition de la topologie induite, Y = (F ∩ Y ) ∪ (G ∩ Y ) décompose Y en deux fermés de Y . Puisque Y est irréductible, on a par exemple G ∩ Y = Y donc Y ⊂ G et puisque Y est l’intersection de tous les fermés contenant Y on a Y ⊂ G. Donc Y est irréductible. (iii) Rappel : un espace topologique est dit connexe s’il n’est pas réunion de deux ouverts non vides disjoints. Soit X un espace irréductible. Si X = U ∪ V pour des ouverts U, V de X tels que U ∩ V = ∅, alors X = (X − U ) ∪ (X − V ) et X est réductible, contradiction. La réciproque est fausse : en topologie de Zariski sur A2R , le fermé V (XY ) est connexe mais est réductible puisque V (XY ) = V (X) ∪ V (Y ). Solution 5.4. — (i) Il faut montrer que l’image réciproque d’un fermé est un fermé. Puisque les fermés propres de A1k sont les ensembles finis, il est suffisant de montrer que P̃ −1 (a) est un fermé de Ank pour tout a ∈ k, ce qui est clair puisque P̃ −1 (a) = V (P − a). (ii) On peut écrire f = (f1 , . . . , fm ) pour fi : X → k. Il suffit donc de montrer que toute application polynomiale f : X → k est continue : cela 44 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique résulte de la question précédente car f est la restriction d’un polynôme (on identifie k avec A1k pour la topologie de Zariski). (iii) De même que précédemment, on se ramène au cas f : X → k, avec X localement fermé cette fois, et il suffit de montrer que Z := f −1 (a) est fermé pour tout a ∈ k. On le vérifie localement : Z est fermé dans X si et seulement si pour tout x ∈ X il existe un voisinage ouvert Ux de x dans X tel que Z ∩ Ux est un fermé de Ux . Sur un tel ouvert Ux pour lequel f s’écrit f = P/Q, P, Q ∈ O(X) avec Q non nul sur Ux , on a Z ∩ Ux = V (P − aQ) ∩ Ux donc Z ∩ Ux est fermé dans Ux . Donc Z est fermé dans X. Solution 5.5. — (i) C’est clairement une application régulière (elle est polynomiale), elle est bijective et son inverse x 7→ (x, x2 ) est régulier : c’est donc une application birégulière. (ii) C’est une application polynomiale, donc régulière, mais elle n’est pas injective : f (1) = f (−1). (iii) C’est clairement une application polynomiale bijective. Si c’était un isomorphisme, alors le morphisme d’algèbres associé f ∗ : O(Z) → O(A1C ) serait un isomorphisme. Or, O(Z) ∼ = C[X, Y ]/hY 2 − X 3 i (car Y 2 − X 3 est un 1 polynôme irréductible) et O(Ak ) ∼ = C[T ] et f ∗ est caractérisée par f ∗ (X) = T 2 et f ∗ (Y ) = T 3 , donc l’image de O(Z) par f ∗ est le sous-anneau strict C[T 2 , T 3 ] de C[T ]. Solution 5.6. — (i) A1C − {0} est l’ouvert principal A1C − V (X), donc O(A1C − {0}) ∼ = C[X]X d’après la proposition 5.22. (ii) (a) U et V sont des ouverts principaux : en effet, on observe que U = − V (Y ) et V = A2C − V (X). On a aussi X = A2C − V (X, Y ) = U ∪ V . A2C (b) Il faut déjà s’assurer que les applications j, φ définissent bien des fonctions régulières : c’est bien le cas car ce sont des restrictions d’applications régulières. Il est clair j est injective car U, V recouvrent X, et on voit aussi facilement que Im(j) ⊂ Ker(φ). Réciproquement, si g ∈ O(U ) et h ∈ O(V ) coı̈ncident sur U ∩ V , en les recollant on définit une fonction Géométrie Algébrique 45 f dans O(U ∪ V ) telle que j(f ) = (g, h), et f est bien régulière puisque U, V sont ouverts. Donc O(X) ∼ = Im(j) = Ker(φ). Puisque j est un morphisme d’anneaux (c’est immédiat), il induit alors un isomorphisme d’anneaux O(X) ∼ = Ker(φ). (c) Puisque U et V sont des ouverts principaux, d’après la proposition 5.22 on a O(U ) ∼ = C[X, Y ]Y et O(V ) ∼ = C[X, Y ]X . De même, U ∩ V = A2C − V (XY ) donc O(U ∩ V ) ∼ = C[X, Y ]XY . (d) On a une application naturelle C[X, Y ] → Ker(φ) définie en associant à un polynôme R ses localisations dans O(U ) et O(V ). Réciproquement, soit ) P (X,Y ) ∈ O(U ) et Q(X,Y ∈ O(V ) tels que l’on a l’identité suivante dans Yn Xm l’anneau C[X, Y ]XY : P (X, Y ) Q(X, Y ) − = 0. Yn Xm Puisque l’anneau C[X, Y ] est intègre, cela signifie par définition de la localisation que l’on a l’identité suivante dans C[X, Y ] : X m P (X, Y ) = Y n Q(X, Y ). Puisque C[X, Y ] est factoriel et que X, Y sont premiers entre eux, cela implique que X m divise Q : il existe un polynôme (unique) R tel que Q = X m R. On en déduit que P = Y n R. On a ainsi construit une application Ker(φ) → C[X, Y ] qui est (le vérifier à la main) réciproque à l’application naturelle C[X, Y ] → Ker(φ), d’où l’isomorphisme. 46 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 6. Dimension d’un anneau 6.1. — Dans ce chapitre, nous allons voir comment définir et calculer la dimension d’un sous-ensemble algébrique irréductible. Comme précédemment, cette notion géométrique va être définie par une notion algébrique correspondante : en fait, la dimension d’un sous-ensemble algébrique irréductible sera la dimension de Krull de son anneau de fonctions (défini au chapitre précédent). Nous montrerons que cette dimension est aussi le cardinal d’une base de transcendance du corps des fractions de cet anneau, et que la dimension de l’espace affine Ank est n. Dorénavant, sauf mention expresse du contraire, nous supposerons le corps k algébriquement clos. 6.2 Définition. — Soit A un anneau. On dit que A est de dimension de Krull finie si la longueur des suites strictement croissantes d’idéaux premiers : P0 $ P1 $ · · · $ P` est bornée. La borne supérieure des nombres ` s’appelle la dimension de Krull de A, notée dimKr A. 6.3 Exemples. — (i) dimKr k = 0 et O(A0k ) = k ; (ii) dimKr k[X] = 1 et O(A1k ) = k[X] ; (iii) dimKr k[X, Y ] = 2 et O(A2k ) = k[X, Y ]. Nous verrons que dimKr k[X1 , . . . , Xn ] = n. 6.4 Proposition. — Soit B un anneau intègre entier sur un anneau A. Alors dimKr B = dimKr A. En particulier : dimKr A < +∞ ⇐⇒ dimKr B < +∞. Géométrie Algébrique 47 Démonstration. — Il s’agit de comparer les idéaux premiers de B avec les idéaux premiers de A. La démonstration repose sur le lemme suivant : 6.5 Lemme. — Soit B ⊃ A un anneau intègre entier sur A et soit P un idéal premier de A. Alors : (i) il existe un idéal premier Q ⊂ B tel que Q ∩ A = P ; (ii) deux tels idéaux ne sont pas comparables (i.e. ne sont pas contenus l’un dans l’autre). (Rappelons que l’image réciproque d’un idéal premier par un morphisme d’anneaux est un idéal premier ; donc ici avec l’inclusion i : A ,→ B, Q ∩ A = i−1 Q est bien un idéal premier). Démonstration du lemme 6.5. — Puisque P est un idéal premier de A, l’ensemble S := A − P est une partie multiplicative, et l’anneau AP := S −1 A est un anneau local, i.e. n’a qu’un seul idéal maximal. En effet, ses idéaux premiers sont en bijection avec les idéaux premiers P0 de A tels que P0 ∩ S = ∅, donc P0 ⊂ P (contrairement au quotient A/P dont les idéaux premiers sont en bijection avec les idéaux premiers P0 ⊃ P !). Ainsi M := S −1 P est l’unique idéal maximal de AP . Considérons le diagramme commutatif suivant : A iA S −1 A /B iB / S −1 B On observe que S −1 B est entier sur S −1 A. Posons A0 := S −1 A et B 0 := S −1 B, et soit N ⊂ B 0 un idéal maximal. L’extension : A0 N ∩ A0 −→ B 0 N est encore entière, et puisque B 0 /N est un corps, A0 /N ∩ A0 est aussi un corps d’après le lemme 4.8. Donc N ∩ A0 est un idéal maximal, et par unicité N ∩ A0 = M. Donc Q := i−1 B (M) convient pour la première assertion (d’après la commutativité du diagramme). Soit maintenant Q̃ un idéal de B tel que Q̃ ∩ A = P. Alors S −1 Q̃ est un idéal premier et S −1 Q̃ ∩ A0 = S −1 P = M (d’après la commutativité du diagramme) donc dans l’extension entière : A0 S −1 Q̃ ∩ A0 −→ B 0 S −1 Q̃ 48 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique on a que A0 /S −1 Q̃ ∩ A0 est un corps donc, toujours d’après le lemme 4.8, B 0 /S −1 Q̃ est un corps donc S −1 Q̃ est un idéal maximal. On avait vu que S −1 Q = N était aussi maximal, et deux idéaux maximaux distincts ne sont pas comparables. Il en résulte que Q et Q̃ ne sont pas comparables. Fin de la démonstration de la proposition 6.4. (i) Soit Q0 $ · · · $ Q` une suite d’idéaux premiers de B. Alors d’après le lemme 6.5 (deuxième assertion par contraposée), Q0 ∩A $ · · · $ Q` ∩A est une suite strictement croissante d’idéaux premiers de A. Donc dimKr B ≤ dimKr A. (ii) Réciproquement, si P0 $ · · · $ P` est une suite d’idéaux premiers de A, alors il existe une suite strictement croissante d’idéaux premiers de B de même longueur : Q0 $ · · · $ Q` . En effet, on la construit par récurrence : pour ` = 0 le lemme 6.5 suffit, et en supposant Qi construit tel que Qi ∩ A = Pi , l’extension A/Pi → B/Qi est entière donc d’après la première assertion du lemme 6.5 appliquée à Pi+1 /Pi ⊂ A/Pi il existe Qi+1 ⊂ B contenant Qi tel que Qi+1 /Qi ∩ A/Pi = Pi+1 /Pi dont on déduit que Qi+1 ∩ A = Pi+1 , ce qui construit Qi+1 . 6.6 Proposition. — Soit A un quotient de k[X1 , . . . , Xn ]. Alors : dimKr A ≤ n. Démonstration. — On procède par récurrence sur n. Pour n = 0 l’assertion est claire puisqu’alors A = k ou A = {0}. Supposons la propriété vérifiée pour n − 1. Notons p : k[X1 , . . . , Xn ] → A le quotient, et soit P0 $ · · · $ P` une suite croissante d’idéaux premiers de A. Posons P01 := p−1 (P1 ) (c’est un idéal non nul) et soit F ∈ P01 non nul, non constant et irréductible. D’après le lemme de Nagata 4.9, l’extension A0 := k[F, Y2 , . . . , Yn ] ⊂ k[X1 , . . . , Xn ] est entière pour un choix convenable des Yi . Par conséquent l’extension : B := A0 A0 ∩ P01 −→ A/ P1 est entière, et B est engendré par les images de Y2 , . . . , Yn , i.e. est un quotient de k[Y2 , . . . , Yn ]. Par hypothèse de récurrence, dimKr B ≤ n − 1, donc dimKr A/P1 ≤ n−1 d’après la proposition 6.4, ce qui signifie que `−1 ≤ n−1. Donc ` ≤ n ce qui implique que dimKr A ≤ n. Géométrie Algébrique 49 6.7 Corollaire. — dimKr k[X1 , . . . , Xn ] = n. Démonstration. — D’après la proposition précédente, on a : dimKr k[X1 , . . . , Xn ] ≤ n. Par ailleurs, la suite : h0i & hX1 i & hX1 , X2 i & · · · & hX1 , . . . , Xn i est une suite strictement croissante d’idéaux premiers et est de longueur n, donc dimKr k[X1 , . . . , Xn ] ≥ n, d’où finalement l’égalité. 6.8 Définition. — Soit K ⊂ L une extension de corps. On dit que B ⊂ L est une base de transcendance de L sur K si : (i) les éléments de B sont algébriquement indépendants ; (ii) K(B) ⊂ L est une extension algébrique. Nous admettons le lemme suivant : 6.9 Lemme. — Soit L = k(x1 , . . . , xn ). Alors : (i) L a une base de transcendance finie sur k ; (ii) Deux bases de transcendance ont le même nombre d’éléments. 6.10 Définition. — On définit le degré de transcendance de L sur K par : deg trK (L) := |B|, où B est une base de transcendance de L sur K. 6.11 Exemple. — L’extension k → k(X) est de degré de transcendance 1 : deg trk k(X) = 1. 6.12 Proposition. — Soit A une k-algèbre de type fini intègre. Alors : dimKr A = deg trk k(A), où k(A) désigne le corps des fractions de A. Démonstration. — D’après le lemme de normalisation de Noether (lemme 4.7), il existe des éléments y1 , . . . , yr ∈ A algébriquement indépendants et tels que k[y1 , . . . , yr ] → A est une extension entière. Par conséquent, B = {y1 , . . . , yr } est une base de transcendance de k(A) sur A et dimKr A = r = deg trk k(A). 50 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique 6.13 Proposition (Lemme de Krull). — Soit F ∈ k[X1 , . . . , Xn ] un polynôme non nul non constant. Alors : dimKr k[X1 , . . . , Xn ]/ hF i = n − 1. Démonstration. — On peut supposer que F est irréductible : en effet, si on a F = F1 F2 , alors toute suite P00 & · · · & P0` d’idéaux premiers du quotient k[X1 , . . . , Xn ]/hF i provient d’une suite d’idéaux premiers : hF1 F2 i ⊂ P0 & · · · & P` , et puisque ces idéaux sont premiers, cette chaı̂ne contient F1 ou F2 . Ainsi, pour montrer qu’une telle chaı̂ne est de longueur au plus n−1 (et atteint cette taille) il suffit de regarder par exemple dans le quotient k[X1 , . . . , Xn ]/hF1 i. Quitte à réordonner les Xi , on peut supposer que F ∈ / k[X2 , . . . , Xn ]. L’application : k[X2 , . . . , Xn ] → k[X1 , . . . , Xn ]/F =: A est donc injective et A est intègre. On a donc une extension algébrique : k(X2 , . . . , Xn ) → k(A), et d’après la proposition 6.12 : dimKr A = deg trk k(A) = deg trk k(X2 , . . . , Xn ) = n − 1. Géométrie Algébrique 51 UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercices Exercice 6.1. — Soit X ⊂ Ank un ensemble algébrique irréductible. On appelle dimension de X le nombre dim X := dimKr O(X). (i) Montrer que dim Ank = n pour tout n. (ii) Montrer que la dimension de X est le plus grand des entiers ` pour lesquels il existe une suite strictement croissante de fermés irréductibles de X : X0 $ · · · $ X` . (iii) Soit F ∈ k[X1 , . . . , Xn ] un polynôme non constant. Montrer que toutes les composantes irréductibles de V (F ) sont de dimension n − 1. Exercice 6.2. — Soit X, Y deux ensembles algébriques, et f : X → Y une application régulière. On dit que f est finie si le morphisme d’algèbres f ∗ : O(Y ) → O(X) fait de O(X) un O(Y )-module de type fini. On dira aussi que f est un morphisme fini. f∗ (i) Montrer que f est un morphisme fini si et seulement si l’extension : O(Y ) → O(X) est entière. (ii) Soit X = V (X 2 + Y 2 − 1) ⊂ A2C . Montrer que la projection X → A1C définie par (x, y) 7→ x est un morphisme fini. (iii) Montrer que f : A2C → A3C définie par f (x, y) = (x2 , xy, y 2 ) est un morphisme fini. Exercice 6.3. — Soit X, Y deux ensembles algébriques, et f : X → Y un morphisme fini. (i) Montrer que les fibres de f sont finies. (ii) Vérifier le lemme suivant : soit φ : A → B un morphisme d’anneaux et J un idéal de A. Si 1 ∈ φ(J), alors on a A = Ker(φ) + J. (iii) Montrer que l’image de f est fermée : pour cela, on pourra montrer que Im(f ) = V (I) où I = Ker(f ∗ ) ⊂ O(Y ). 52 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (iv) Soit X = V (XY − 1) ⊂ A2C . Montrer que la projection X → A1C définie par (x, y) 7→ x n’est pas un morphisme fini. Exercice 6.4. — Soit X et Y deux ensembles algébriques irréductibles, et f : X → Y un morphisme fini surjectif. (i) Montrer que le morphisme d’anneaux f ∗ : O(Y ) → O(X) est injectif. (ii) Montrer que pour tout fermé irréductible Y 0 ⊂ Y il existe un fermé irréductible X 0 ⊂ X tel que f (X 0 ) = Y 0 . (iii) Montrer que deux tels fermés ne sont pas comparables. (iv) Montrer que dim X = dim Y . Solutions Solution 6.1. — (i) On a O(Ank ) = k[X1 , . . . , Xn ] et dimKr k[X1 , . . . , Xn ] = n. (ii) Les suites strictement décroissantes de fermés irréductibles de X sont en correspondance bi-univoque avec les suites strictement croissantes d’idéaux premiers de O(X) (pour les suites croissantes de fermés, il suffit de lire de droite à gauche). (iii) On se ramène aisément au cas où F est irréductible. Alors on en déduit I(V (F )) = hF i, et donc O(V (F )) = k[X1 , . . . , Xn ]/F . Ainsi, d’après le lemme de Krull, dimKr k[X1 , . . . , Xn ]/F = n − 1. Solution 6.2. — (i) O(X) est une C-algèbre de type fini ; soit z1 , . . . , zk frd g{ené rateurs. Si l’extension O(Y ) → O(X) est entière, il existe des polynômes Pi à coefficients dans O(Y ), unitaires de degrés ni tels que Pi (zi ) = 0. Il en résulte que les éléments z1α1 · · · zkαk pour 0 ≤ αi < ni forment un système fini de générateurs de O(X) sur O(Y ). Réciproquement, si O(X) est de type fini comme O(Y )module, chaque zi est entier sur O(Y ) d’après la proposition 4.5. (ii) Le morphisme d’anneaux associé est : C[T ] → C[X, Y ]/hX 2 + Y 2 − 1i, caractérisé par T 7→ X̄. Ainsi, X̄ est entier sur C[T ], et Ȳ aussi puisque Ȳ 2 + (T 2 − 1) = 0 pour la structure de module considérée. D’après la première question, le morphisme est par conséquent fini. Géométrie Algébrique 53 (iii) Le morphisme d’anneaux associé est : C[U, V, W ] U V W → C[X, Y ] 7→ X2 7 → XY 7 → Y2 Pour cette structure de module on a donc des équations polynomiales unitaires X 2 − U = 0 et Y 2 − V = 0, donc X, Y sont entiers sur C[U, V, W ], donc le morphisme est fini. Solution 6.3. — (i) Notons O(X) = k[X1 , . . . , Xn ]/I et X = V (I) ⊂ Ank . Puisque O(X) est entier sur O(Y ), il existe des fonctions ai,j ∈ O(Y ) telles que : X̄ini + ni X f ∗ (ai,j )X̄ini −j = 0. j=1 Soit y ∈ Y , x ∈ X tel que f (x) = y et notons x = (x1 , . . . , xn ) ses coordonnées. En évaluant les expressions polynomiales précédentes en x, on obtient pour tout i : ni X xni i + ai,j (y)xini −j = 0. j=1 Chacun de ces polynômes a un nombre fini de racines, donc l’ensemble des points x au-dessus de y est fini. (ii) Puisque 1 ∈ φ(J), il existe j ∈ J tel que φ(j) = 1 = φ(1), donc 1 − j ∈ Ker(φ), d’où 1 ∈ Ker(φ) + J. (iii) Montrons que Im(f ) = V (I) par double inclusion : (a) Im(f ) ⊂ V (I). Soit y = f (x). Pour tout P ∈ I on a : P (y) = P (f (x)) = (f ∗ P )(x) = 0 car I = Ker(f ∗ ), donc y ∈ V (I). (b) V (I) ⊂ Im(f ). Soit y ∈ V (I) et My l’idéal maximal de y dans Y . Si l’on trouve x ∈ X tel que f ∗ (My )O(X) ⊂ Mx , alors on aura Mf (x) = My dans O(Y ) (l’inclusion ⊃ est évidente, et l’égalité vient par maximalité), donc y = f (x) d’après le Nullstellensatz. Toujours en vertu du Nullstellensatz, il suffit donc de montrer que f ∗ (My )O(X) 6= O(X). Supposons le 54 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique contraire. Puisque f est un morphisme fini, O(X) est un O(Y )-module de type fini, engendré par des éléments e1 , . . . , ek . Par hypothèse, il existe donc des ai,j ∈ My tels que : ei = k X f ∗ (ai,j )ej . j=1 Soit δi,j = 1 si i = j, et δi,j = 0 sinon. Il en résulte que le déterminant de la matrice (δi,j − f ∗ (ai,j ))i,j est nul dans O(X), et en développant ce déterminant on en déduit que 1 ∈ f ∗ (My ). D’après la question précédente, on a donc O(Y ) = I + My , mais par hypothèse I ⊂ My , donc finalement My = O(Y ) ce qui est impossible, contradiction. (iv) L’image par la projection est A1C − {0} et n’est pas fermée, donc ce n’est pas un morphisme fini. Solution 6.4. — (i) Supposons f ∗ φ = 0. Alors pour tout y ∈ Y , puisque f est surjective, il existe x ∈ X tel que f (x) = y, donc φ(y) = φ(f (x)) = (f ∗ φ)(x) = 0, donc φ = 0. (ii) On a une extension entière intègre f ∗ : O(Y ) → O(X), donc on peut appliquer le lemme 6.5. On peut écrire Y 0 = V (P) avec P ∈ O(Y ) idéal premier, donc il existe un idéal premier Q de O(X) tel que (f ∗ )−1 (Q) = P. Le fermé X 0 = V (Q) de X est irréductible. Montrons que f (X 0 ) = Y 0 : – ”⊂”. Puisque Y 0 est fermé, il suffit de montrer que f (X 0 ) ⊂ Y 0 . Soit y = f (x0 ) avec x0 ∈ X 0 . Pour tout P ∈ P, on a P (y) = (f ∗ P )(x0 ) mais f ∗ P ∈ Q donc P (y) = 0, d’où y ∈ Y 0 . – ”⊃”. Soit F = V (I) un fermé contenant f (X 0 ). Montrons que l’on a Y 0 ⊂ F . Cela revient à montrer que I ⊂ P. Soit P ∈ I. Puisque f (X 0 ) ⊂ F = V (I), pour tout x0 ∈ X 0 on a P (f (x0 )) = 0, soit √ (f ∗ P )(x0 ) = 0. Donc f ∗ P ∈ I(X 0 ) = Q = Q car Q est premier. Donc P ∈ (f ∗ )−1 Q = P. Finalement, puisque f est fermée d’après l’exercice 6.3, on a f (X 0 ) = Y 0 . (iii) Supposons X10 = V (Q1 ) un autre choix tel que f (X10 ) = Y 0 . Alors en relisant les arguments précédents à l’envers on obtient (f ∗ )−1 Q1 = P (facile : utiliser F = Y 0 puis f ∗ injective pour les deux inclusions). D’après le lemme 6.5, les idéaux Q et Q1 ne sont pas comparables, donc les fermés X 0 et X10 Géométrie Algébrique 55 non plus (ne pas être comparable signifie : s’il y a une inclusion, alors c’est une égalité). (iv) On utilise la caractérisation topologique de la dimension (exercice 6.1). Si X0 & · · · & X` est une suite strictement croissante de fermés irréductibles de X, les Yi = f (Xi ) sont des fermés car f est finie, et sont irréductibles (l’image d’un espace topologique irréductible par une application continue est toujours irréductible), et l’inclusion Yi ⊂ Yi+1 est stricte sinon d’après la noncomparabilité, l’inclusion Xi ⊂ Xi+1 serait une égalité, ce qui n’est pas le cas. Donc dim X ≤ dim Y . Réciproquement, si Y0 & · · · & Y` est une suite strictement croissante de fermés irréductibles de Y , on construit par récurrence descendante une suite strictement décroissante de fermés irréductibles X0 & · · · & X` de X : en supposant Xi construit tel que f (Xi ) = Yi , le morphisme restreint fi : Xi → Yi est un morphisme fini (car O(Y ) → O(X) est entier, donc O(Y )/I(Yi ) → O(X)/I(Xi ) est entier), et alors puisque Yi−1 est un fermé irréductible de Yi , il existe un fermé irréductible Xi−1 de Xi tel que f (Xi−1 ) = Yi−1 , et l’inclusion Xi−1 ⊂ Xi est stricte sinon Yi−1 = Yi . Donc dim Y ≤ dim X, et finalement on a égalité des dimensions. 56 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 7. Décomposition primaire d’un idéal 7.1. — Ce chapitre donne un succédané de la factorisation en produit de facteurs irréductibles pour des anneaux non factoriels. Dans un tel anneau, nous verrons qu’il reste possible, au lieu de factoriser un élément a commme produit de facteurs irréductibles, d’écrire l’idéal (a) qu’il engendre comme intersection d’idéaux dits primaires, qui généralisent les idéaux premiers. De plus, cette écriture est esentiellement unique. 7.2. — Soit A un anneau et I un idéal de A. Ainsi qu’il a été vu dans l’exercice 4.1 : \ √ I= P. P⊃I P premier √ On peut aussi trouver une décomposition de I analogue à celle de I, quitte à considérer des idéaux un peu plus généraux que les idéaux premiers. 7.3 Exemple. — Pour A = Z, tout entier x se décompose sous la forme x = ±pr11 · · · prkk pour des nombres premiers pi . Alors : p hxi = hp1 i · · · hpk i hxi = hpr11 i · · · hprkk i 7.4 Définition. — Soit A un anneau et I ⊂ A un idéal. On dit que I est primaire si : (i) A/I 6= 0 ; (ii) tout diviseur de zéro de A/I est nilpotent. 7.5 Exemples. — √ (i) Si I est primaire, alors : si xy ∈ I et y ∈ / I alors x ∈ I. √ (ii) Si I est primaire, alors P := I est premier. On dit alors que I est P-primaire. Géométrie Algébrique (iii) Soit A = C[X, Y, Z]/hXY − Z 2 i et I = hX̄ 2 , X̄ Z̄, Z̄ 2 i. Montrer que est premier mais que I n’est pas primaire. 57 √ I (iv) Soit A = k[X, Y ] et I = hX, Y 2 i. Montrer que I est primaire et calculer son radical. √ (v) Si I est maximal, alors I est primaire. En particulier, les puissances d’un idéal maximal sont primaires. r T Ij est P-primaire. (vi) Si I1 , . . . , Ir sont P-primaires, alors j=1 7.6 Théorème. — Soit A un anneau noethérien et I un idéal propre. (i) Il existe des idéaux primaires Q1 , . . . , Qr de radicaux P1 , . . . , Pr distincts, et tels que : r \ I= Qi . i=1 (ii) Si l’on suppose que Qi 6⊃ T Qj alors l’ensemble des Pi ainsi définis ne j6=i dépend que de I. 7.7 Définition. — Une telle décomposition s’appelle décomposition primaire minimale de I et les idéaux Pi s’appellent les idéaux premiers associés à I. Démonstration. — Commençons par une définition : 7.8 Définition. — Un idéal I est dit irréductible si : I = I1 ∩ I2 ⇒ I = I1 ou I = I2 . 7.9 Lemme. — Dans un anneau noethérien A, tout idéal admet une décomposition finie en idéaux irréductibles. Démonstration du lemme 7.9. — Supposons le contraire. Alors l’ensemble des idéaux ne vérifiant pas le lemme est non vide. Comme A est noethérien, cet ensemble admet un élément maximal ; notons I un tel élément maximal. Alors I = I1 ∩ I2 avec I & I1 et I & I2 . Par maximalité de I, I1 et I2 admettent une décomposition en idéaux irréductibles, donc I aussi, contradiction. 7.10 Lemme. — Dans un anneau noethérien, tout idéal irréductible est primaire. 58 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique Démonstration du lemme 7.10. — Quitte à travailler dans le quotient A/I, il suffit de montrer le lemme pour I = h0i. Soit donc x un diviseur de zéro. On doit montrer qu’il est nilpotent. Posons : Ann(x) := {a ∈ A | ax = 0}. C’est un idéal de A, et on a une suite croissante : Ann(x) ⊂ Ann(x2 ) ⊂ · · · . Puisque A est noethérien, il existe n tel que Ann(xn ) = Ann(xn+1 ) = · · · . Soit y 6= 0 tel que xy = 0 (puisque x est diviseur de zéro). Observation. — h0i = hxn i ∩ hyi. Justification de l’observation. — L’inclusin 00 ⊂00 est triviale. Soit a ∈ hxn i ∩ hyi. Puisque a ∈ hyi, il existe b ∈ A tel que a = by. Donc ax = byx = 0 soit a ∈ Ann(x). Par ailleurs, a ∈ hxn i donc il existe b0 ∈ A tel que a = b0 xn . Alors 0 = ax = b0 xn x donc b0 ∈ Ann(xn+1 ) = Ann(xn ), donc b0 xn = 0 ce qui signifie a = 0. Ainsi, puisque h0i est supposé irréductible, et que y 6= 0, on a nécessairement hxn i = h0i, ce qui signifie xn = 0 donc x est nilpotent. Fin de la démonstration du théorème 7.6. (i) On peut écrire l’idéal I sous la forme : I= r \ Qi , i=1 où les idéaux Qi sont irréductibles, donc primaires. En regroupant les idéaux primaires de même radical (voir les exemples 7.5), on peut supposer que les radicaux de ces idéaux sont distincts. (ii) L’unicité des idéaux premiers Pi ainsi définis est traitée dans l’exercice 7.3. Géométrie Algébrique 59 UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercices Exercice 7.1. — (i) Si I est primaire, alors : si xy ∈ I et y ∈ / I alors x ∈ √ (ii) Si I est primaire, alors P := I est premier. √ I. (iii) Soit A = C[X, Y, Z]/hXY − Z 2 i et I = hX̄ 2 , X̄ Z̄, Z̄ 2 i. Montrer que est premier mais que I n’est pas primaire. √ I (iv) Soit A = k[X, Y ] et I = hX, Y 2 i. Montrer que I est primaire et calculer son radical. √ (v) Si I est maximal, alors I est primaire. En particulier, les puissances d’un idéal maximal sont primaires. r T (vi) Si I1 , . . . , Ir sont P-primaires, alors Ij est P-primaire. j=1 Exercice 7.2. — Montrer que dans k[X, Y ] on a : hX 2 , XY i = hX, Y i2 ∩ hXi = hX 2 , Y i ∩ hXi. Montrer que les idéaux hX, Y i2 et hX, Y 2 i sont des idéaux primaires de radical l’idéal maximal hX, Y i et que l’idéal hXi est premier. Ainsi, nous observons qu’une décomposition primaire n’est pas unique. Exercice 7.3 (Unicité des idéaux premiers dans une décomposition primaire) Soit A un anneau noethérien et M un A-module. Pour x ∈ M on rappelle que l’ensemble : Ann(x) := {a ∈ A | ax = 0} appelé annulateur de x est un idéal de A. On appelle alors assassin de M l’ensemble des idéaux premiers de A qui sont annulateurs d’un élément de M : Ass(M ) := {P ∈ A premier | ∃x ∈ M, P = Ann(x)}. 60 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (i) Montrer que si M 0 ⊂ M est un sous-A-module, alors Ass(M 0 ) ⊂ Ass(M ). (ii) Montrer le lemme suivant : si I, J, P sont des idéaux de A, avec P premier, tels que I ∩ J = P, alors I ⊂ P ou J ⊂ P. n n L S (iii) Montrer que si M = Mi , alors Ass(M ) = Ass(Mi ). i=1 i=1 (iv) Montrer le lemme suivant : dans un anneau noethérien A, tout idéal I contient une puissance de son radical. (v) Soit Q un idéal primaire de A de radical P, et M un sous-module de A/Q. Montrer que si M 6= 0 alors Ass(M ) = {P} (dans cette écriture, M est considéré comme A-module pour la structure a.x = āx, a ∈ A, x ∈ M ). (vi) Soit I un idéal, et supposons donnée une décomposition primaire : I= k \ Qj j=1 et supposons que pour tout i, Qi 6⊃ T Qj . Montrer que : j6=i Ass(A/I) = {Pi }i=1,...,k , √ où Pi = Qi . Ainsi, ces idéaux Pi ne dépendent que de I, ce qui démontre la deuxième assertion du théorème 7.6. Solutions Solution 7.1. — (i) Soit x, y ∈ I tels que y ∈ / I. Dans le quotient A/I on a donc x̄ȳ = 0 et √ ȳ 6= 0. Alors soit x̄ = 0 et x ∈ I ⊂ I, soit x̄ 6= 0 donc x̄ est un diviseur de zéro, et puisque I est primaire, x̄ est nilpotent : il existe n ∈ N tel que x̄n = 0, √ soit x̄ ∈ I, ce qui signifie que x ∈ I. √ √ (ii) Soit xy ∈ I, et supposons que y ∈ / I. Il existe n ∈ N tel que √ (xy)n = xn y n ∈ I et y n ∈ / I donc d’après la première question, xn ∈ I, √ donc x ∈ I. (iii) Posons P = hX̄, Z̄i. L’idéal P de A est premier car A/P ∼ = C[Ȳ ] est intègre (l’isomorphisme est obtenu à partir de P 7→ P (0, Y, 0)) et I = P2 √ donc I = P. Mais I n’est pas radical car X̄ Ȳ = Z̄ 2 ∈ I avec X̄ ∈ / I mais √ Ȳ ∈ / I = P. La réciproque de la question précédente est donc fausse. Géométrie Algébrique 61 ∼ k[ε]/hε2 i, dont le seul diviseur (iv) On observe que k[X, Y ]/hX, Y 2 i = de zéro ε est nilpotent. Donc I est primaire. Par ailleurs, il est clair que √ P := hX, Y i ⊂ I, et d’un autre côté P est un idéal premier contenant I, √ √ donc I ⊂ P. Donc I = hX, Y i. √ (v) Notons p : A → A/I le quotient. Puisque M := I est maximal, √ M0 := p(M) est un idéal maximal de A/I. Puisque I est l’intersection des idéaux premiers contenant I, M0 est l’intersection des idéaux premiers de A/I : puisqu’il est maximal, c’est qu’il n’y a qu’un seul idéal premier dans A/I, qui est M0 . M0 est aussi l’ensemble des éléments nilpotents de A/I (radical de l’idéal nul, voir l’exercice 4.1). Ainsi, tout élément de M0 est nilpotent, et sinon si x ∈ A/I n’est pas dans M0 , il est inversible (tout non inversible est contenu dans un idéal maximal, ici il y a un seul idéal maximal). En particulier, √ si I = Mk pour un idéal maximal M, alors I = M est maximal, donc I est primaire. r T (vi) Posons I := Ij . Puisque l’intersection est finie, on a : j=1 v u\ r \ p u r t Ij = Ij j=1 j=1 = r \ P j=1 =P √ donc I = P. Soit xy ∈ I et y ∈ / I. Il existe un indice j tel que y ∈ / Ij , mais √ xy ∈ Ij donc x ∈ P puisque Ij est P-primaire, donc x ∈ I. Solution 7.2. — On a bien les inclusions hX 2 , XY i ⊂ hX, Y i2 ∩ hXi et hX 2 , XY i ⊂ hX 2 , Y i ∩ hXi. Réciproquement, dans les deux cas la partie en Y ou Y 2 doit nécessairement contenir X, d’où l’égalité. Les autres affirmations sont claires avec l’exercice précédent. Solution 7.3. — (i) Résulte de la définition. (ii) Il est clair que P ⊂ I et P ⊂ J. Seule l’une des inclusions inverses est donc à montrer. Supposons J * P et soit b ∈ J tel que b ∈ / P. Puisque 62 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique IJ ⊂ P, pour tout a ∈ I on a ab ∈ P mais b ∈ / P, donc a ∈ P puisque P est premier. Donc I ⊂ P. (iii) Puisque Mi ⊂ M pour tout i, n S Ass(Mi ) ⊂ Ass(M ) par la question i=1 (i). Réciproquement, si P ∈ Ass(M ), soit x ∈ M tel que P = Ann(x). En décomposant x = x1 + · · · + xn , xi ∈ Mi , puisque la somme est directe on n T a (ax = 0) ⇔ (∀i, axi = 0). Donc P = Ann(xi ). D’après la question (ii) i=1 (étendue par récurrence finie), il existe i tel que P = Ann(xi ), d’où le résultat. √ (iv) Soit x1 , . . . , xk des générateurs de I, et ni des entiers tels que xni i ∈ I. √ Posons m = n1 +· · ·+nk . Alors ( I)m est engendré par les produits xr11 · · · xrkk avec r1 + · · · + rk = m, donc par définition de m, pour au moins un indice i √ on a ri ≥ ni , donc tout monôme de cette forme est dans I. Donc ( I)m ⊂ I. (v) Soit x ∈ M , x 6= 0. Soit y ∈ Ann(x). On a donc xy ∈ Q. Or x 6∈ Q, donc, √ comme Q est primaire, y ∈ Q = P. On voit donc que Q ⊂ Ann(x) ⊂ P. √ √ Alors, si R ∈ Ass(M ), on a Q ⊂ R ⊂ Q = P. Comme R = R, ceci entraı̂ne R = P. Donc Ass(M ) contient au plus un idéal, soit P. Montrons que l’on a effectivement P ∈ Ass(M ). Puisque A est noethérien, il existe un entier m tel que Pm ⊂ Q d’après la question (iii). On a donc Pm M = 0. En supposant m minimal pour cette dernière propriété, avec m ≥ 1 car M 6= 0, prenons y ∈ Pm−1 M non nul. Alors Ann(y) = P (l’inclusion ⊂ a été montrée en général, et si a ∈ P, alors ay ∈ Pm M = 0 donc a ∈ Ann(y)). Donc Ass(M ) = {P}. (vi) La projection canonique A → k L A/Qi factorise par A/I car I ⊂ Qj j=1 pour tout j, et le morphisme de A-modules induit A/I → k L A/Qj est injectif j=1 puisque I = k T Qj . D’après les questions (i), (iii) et (v) on a donc successive- j=1 ment : k k M [ Ass(A/I) ⊂ Ass A/Qj = Ass(A/Qj ) = {Pj }j=1,...,k . j=1 j=1 Géométrie Algébrique 63 Montrons que chaque Pi est bien dans Ass(A/I). Soit Mi le noyau de l’application composée obtenue par projection : A/I → k M A/Qi → j=1 Le module Mi est non nul puisque M A/Qj . j6=i T Qj 6= I. L’application canonique obtenue j6=i par projection : Mi → A/I → k M A/Qj → A/Qi j=1 est injective par construction de Mi puisque I = k T Qj . D’après la question j=1 (v) on a donc Ass(Mi ) = {Pi }, et avec la question (i) Ass(Mi ) ⊂ Ass(A/I), donc Pi ∈ Ass(A/I). 64 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 8. Fermés algébriques n’ayant qu’un nombre fini de points L’objet de ce chapitre est la preuve du résultat suivant : 8.1 Théorème. — Soit X = V (I) ⊂ Ank un fermé algébrique. Les assertions suivantes sont équivalentes : (i) dimKr O(X) = 0. (ii) dimk O(Ank )/I < +∞. (iii) X est fini. Démonstration. — ”i ⇒ iii” Notons Xi es composantes irréductibles de X. Chaque Pi := I(Xi ) est un idéal premier de O(X) ; comme dimKr O(X) = 0, Pi est donc maximal. Donc Xi est un point (Nullstellensatz). Donc X est fini. ”iii ⇒ ii” Supposons X = {x1 , . . . , xr }, avec xi ∈ Ank . Notons de plus pour r Q tout i, xi = (ai,1 , . . . , ai,n ). Soit Fi = (Xi − aj,i ). Fi s’annule sur X car j=1 √ pour tout j on a Fi (xj ) = 0. On a donc Fi ∈ I (Nullstellensatz), donc il existe Ni ∈ N tel que Fini ∈ I. Pour N = max(Ni ) on a donc FiN ∈ I pour tout i = 1, . . . , n. On a donc une surjection : O(Ank )/ hF1N , . . . , FnN i O(Ank )/I. On observe que O(Ank )/ hF1N , . . . , FnN i est de dimension finie sur k. En effet, tout polynôme peut y être réduit à ne comporter que des puissances de chaque Xi inférieures à rN . Donc O(IAnk )/I est aussi de dimension finie. ”ii ⇒ i” Soit P ⊂ O(X) un idéal premier. O(X)/P est de dimension finie sur k, donc l’extension k → O(X)/P est entière et on peut appliquer le lemme 4.8 car O(X)/P est intègre, ce qui donne que O(X)/P est un corps, donc P est maximal. Tout idéal premier de O(X) étant maximal, dimKr O(X) = 0. Géométrie Algébrique 65 8.2 Remarque. — Une conséquence est que la condition dimk O(Ank )/I < +∞ entraı̂ne dimk O(X) < +∞. En effet, par définition O(X) = O(Ank )/I(X) et puisque I ⊂ I(X), on en déduit une surjection O(Ank )/I O(X), donc dimk O(X) < +∞. 66 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercices Exercice 8.1. — Dans cet exercice, on redémontre simplement la remarque du cours dans le cas de A2C . Soit I un idéal de C[X, Y ] et V = V (I) ∈ A2C . (i) On suppose que V est fini, et on note V = {u1 , . . . , un }, où les ui sont des points distincts). En considérant le morphisme d’algèbres φ : C[X, Y ] → Cn défini par φ(P ) = (P (u1 ), . . . , P (un )), montrer directement que l’on a dimC C[X, Y ]/I(V ) < +∞. (ii) Réciproquement, supposons C[X, Y ]/I(V ) de dimension finie. Soit X̄, Ȳ les classes de X, Y dans le quotient. Montrer que les familles 1, X̄, X̄ 2 , . . . et 1, Ȳ , Ȳ 2 , . . . sont liées. En déduire que si (a, b) ∈ V , alors a, b ne peuvent prendre qu’un nombre fini de valeurs, et donc que V est fini. Exercice 8.2. — Soit F, G ∈ C[X, Y ] des polynômes non nuls et sans facteur commun. Montrer que V (F ) ∩ V (G) est fini. Solutions Solution 8.1. — (i) Par définition, Ker(φ) = I(V ) d’où une injection C[X, Y ]/I(V ) → Cn , impliquant que C[X, Y ]/I(V ) est de dimension finie sur C. (ii) Si C[X, Y ]/I(V ) est de dimension finie, les familles 1, X̄, X̄ 2 , . . . et 1, Ȳ , Ȳ 2 , . . . sont liées donc on a des équations : us X̄ s + · · · + u1 X̄ + u0 = 0 vr Ȳ r + · · · + v1 Ȳ + v0 = 0 avec ui , vj ∈ C. Si (a, b) ∈ V on a donc : us as + · · · + u1 a + u0 = 0 vr br + · · · + v1 b + v0 = 0 Géométrie Algébrique 67 et ces équations n’ont qu’un nombre fini de solutions. Donc V est fini. Solution 8.2. — Considérés dans l’anneau C(X)[Y ], les polynômes F et G sont premiers entre eux, donc d’après le théorème de Bézout (C(X) est un corps donc C(X)[Y ] est principal), il existe d0 ∈ C(X) et A0 , B 0 ∈ C(X)[Y ] tels que d0 = A0 F +B 0 G. En remontant les dénominateurs, on trouve d ∈ C[X] et A, B ∈ C[X, Y ] tels que d = AF + BG. Si (a, b) ∈ V (F, G), alors d(a) = 0 donc la valeur a ne peut prendre qu’un nombre fini de valeurs. En échangeant les rôles de X et Y on montre de même que b ne peut prendre qu’un nombre fini de valeurs. Donc V (F, G) est fini. 68 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 9. Etude locale des courbes planes affines 9.1. — Dand ce chapitre, on commence l’étude des courbes du plan. On y définit deux entiers. D’une part, la multiplicité d’une courbe en un point mesure à quel point cette courbe est singulière en ce point ou, si l’on préfère, jusqu’à quel ordre une équation de cette courbe s’annule en ce point. D’autre part, le nombre d’intersection de deux courbes en un point d’intersection de ces courbes apporte une réponse mathématique à la question vague : à quel point les deux courbes se collent-elles l’une à l’autre en ce point ? 9.2. Multiplicité. — On se place dans A2k , avec O(A2k ) = k[X, Y ]. 9.3 Définition. — Une courbe plane affine C est la donnée d’un idéal principal I & O(A2k ). Le fermé Γ := V (I) s’appelle le support de C. Le générateur F de I, bien défini à constante multiplicative près, s’appelle une équation de C. 9.4 Exemples. — (i) Si F = X ∈ k[X, Y ] alors Γ = V (X) est la droite verticale : Γ = {(x, y) | x = 0}. (ii) F = X 2 ∈ k[X, Y ] est l’équation d’une autre courbe, mais le support est le même : Γ = V (X 2 ) = {(x, y) | x2 = 0} = {(x, y) | x = 0}. 9.5 Définition. — On dit que C est réduite si son équation n’a pas de facteur multiple. 9.6 Remarques. — (i) Si F est une équation de C, puisque k[X, Y ] est factoriel, on peut décomposer F sous la forme F = u · F1r1 · · · Fkrk avec u ∈ k et les Fi ∈ k[X, Y ] irréductibles. Alors C est réduite si ri = 1 pour tout i. Géométrie Algébrique 69 (ii) On pose O(C) = O(A2 )/hF i. Si C est réduite, alors O(C) est bien l’algèbre des fonctions régulières sur Γ = V (F ). (iii) D’après le lemme de Krull (proposition 6.13), on a dimKr O(C) = 1. On dit que a ∈ A2k appartient à C - et on note a ∈ C - si a ∈ Γ. 9.7. Changement de coordonnées affine. — Soit a ∈ A2k . Un changement de coordonnées affine est : T : A2k → A2k (x, y) 7→ (ax + by, cx + dy) + (e, f ) avec a, b, c, d, e, f ∈ k et ad − bc 6= 0. On laisse à l’étudiant le soin de montrer que l’inverse d’un changement de coordonnées affine est encore un changement de coordonnées affine, ainsi que le produit de deux changements de coordonnées. On démontre ainsi que les changements de coordonnées affine forment un sous-groupe du groupe des bijections de A2k . Si P ∈ k[X, Y ], on note : P T (X, Y ) = P (aX + bY + e, cX + dY + f ) ∈ k[X, Y ]. Soit C une courbe d’équation F . On décompose : F (X, Y ) = F0 + F1 + · · · + Fd , où les Fi sont homogènes de degré i. On appelle multiplicité de C en (0, 0) le plus petit m tel que Fm 6= 0. 9.8 Exemples. — (i) Soit C d’équation F = X : F0 = 0, F1 = X, F2 = · · · = 0 et la multiplicité est 1. (ii) Soit C d’équation F = XY : F0 = F1 = 0, F2 = XY , F3 = · · · = 0 et la multiplicité est 2. (iii) Soit C d’équation F = X 3 − X 2 + Y 2 : la multiplicité est 2. (iv) Soit C d’équation F = X 3 − Y 2 : la multiplicité est 2. Observons que (0, 0) ∈ C si et seulement si la multiplicité est supérieure ou égale à 1. 70 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique En général, si a ∈ A2k on appelle multiplicité de C en a la multiplicité de C T en (0, 0), où C T est la courbe d’équation F T pour un changement de coordonnées affine T envoyant (0, 0) en a. On note mC,a la multiplicité de C en a. Si T et T 0 sont deux tels changements de coordonnées affine, alors ϕ := T −1 ◦ T 0 envoie (0, 0) sur (0, 0), et est donc une application linéaire. Ainsi, FiT est nul si et 0 seulement si FiT ◦ ϕ l’est, ce qui équivaut à FiT nul. Finalement, la multiplicité de C en a est bien définie : elle ne dépend pas de T . 9.9 Définition. — On dit que a ∈ C est régulier si mC,a = 1, et singulier si mC,a ≥ 2. Observation 1. — a ∈ C est singulier si et seulement si ∂F ∂X (a) = ∂F ∂Y (a) = 0. Observation 2. — Soit F ∈ k[X, Y ] de décomposition : F = uF1r1 · · · Fkrk , avec les Fi irréductibles et soit Ci la courbe d’équation Fi . Alors : mC,a = k X ri mCi ,a . i=1 9.10 Proposition. — Si C est une courbe réduite, alors C n’a qu’un nombre fini de singularités. Démonstration. — Ecrivons F = F1 · · · Fr avec les Fi irréductibles et premiers deux à deux, et notons Ci la courbe d’équation Fi . Les points dans Ci ∩ Cj pour i 6= j sont singuliers d’après l’observation 2, et Ci ∩ Cj est fini car dimKr O(A2k )/hFi Fj i = 0 (tout idéal premier contenant Fi Fj contient Fi et Fj , donc est maximal car Fi et Fj sont premiers entre eux). On peut donc supposer que i = 1 pour démontrer la proposition : on suppose donc que F est irréductible. Les points singuliers sont donnés par : ∂F ∂F V F, , , ∂X ∂Y ∂F ∂F , ∂Y ne sont pas simultanément nuls sinon F serait constant. Donc par et ∂X ∂F ∂F exemple ∂X 6= 0. Comme F est irréductible, F et ∂X sont donc premiers entre ∂F ∂F eux. Donc V F, ∂X , ∂Y est fini. Soit C une courbe plane affine d’équation F : O(C) = O(A2k )/hF i. Pour a ∈ A2k , notons Ia ∈ O(A2k ) l’idéal maximal de a = (a1 , a2 ) : Ia = {f ∈ O(A2k ) | f (a) = 0} = hX − a1 , Y − a2 i. Géométrie Algébrique 71 Alors (a ∈ C) ⇐⇒ (Ia ⊃ hF i). Soit Ma := Ia /hF i ⊂ O(A2k )/hF i = O(C) : c’est un idéal maximal. On note : OC,a := O(C)Ma l’anneau localisé par rapport à la partie multiplicative S = O(C) − Ma . C’est un anneau local dont l’idéal maximal S −1 Ma est noté MC,a . 9.11 Remarque. — D’après les propriétés de la localisation (localiser commute avec le passage au quotient) on a aussi : OA2 ,a = O(A2k )/Ia , k OC,a = OA2 ,a /hF i, k (dans cette écriture, strictement parlant on devrait noter h F1 i dans le quotient). D’après le Nullstellensatz, OC,a /MC,a ∼ = k donc les quotients MnC,a /Mn+1 C,a sont naturellement munis d’une structure de k-espace vectoriel. On a alors le résultat suivant : 9.12 Théorème. — Soit C une courbe affine plane, a ∈ C et MC,a l’idéal maximal de OC,a . Alors : pour n assez grand. mC,a = dimk MnC,a Mn+1 C,a Démonstration. — On a la suite exacte suivante de k-espaces vectoriels : n+1 n 0 −→ MnC,a Mn+1 C,a −→ OC,a / MC,a −→ OC,a / MC,a −→ 0, dont il résulte que : n+1 n dimk MnC,a Mn+1 C,a = dimk OC,a / MC,a − dimk OC,a / MC,a . Il suffit donc de montrer que : dimk OC,a / MnC,a = n · mC,a + cste. On observe l’isomorphisme : OC,a / MnC,a ∼ = OA2k ,a . hF, Ian i. Posons m = mC,a et supposons n ≥ m. La multiplication par F induit alors une suite exacte (voir l’exercice 9.4) : . . . ·F 0 −→ OA2 ,a Ian−m −→ OA2 ,a Ian −→ OA2 ,a hF, Ian i −→ 0, k k k 72 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique dont on déduit : . . . Ian − dimk OA2 ,a Ian−m . k k k . On est donc ramené à calculer dimk OA2 ,a Ia` . Pour cela, quitte à effectuer k un changement de coordonnées affine, on . peut supposer que a = (0, 0). Alors ` I(0,0) = hX, Y i et une base de OA2 ,(0,0) I(0,0) est donnée par les classes des dimk OA2 ,a hF, Ian i = dimk OA2 ,a k fonctions X i Y j pour i + j < `. Donc : . `(` + 1) , dimk OA2 ,a Ia` = k 2 et ainsi : n(n + 1) (n − mC,a )(n − mC,a + 1) dimk OC,a / MnC,a = − 2 2 1 = n · mC,a − mC,a (mC,a − 1). 2 9.13. Nombre d’intersection. — Soit C une courbe d’équation F et D une courbre d’équation G. Si F et G n’ont pas de composante irréductible en commun, alors V (F, G) est fini et dimk k[X, Y ]/hF, Gi < +∞. 9.14 Remarque. — Si F et G n’ont pas de composante en commun, on a la décomposition suivante : . Y O(A2k ) hF, Gi ∼ OA2 ,a hF, Gi. = k a∈A2k En particulier, si a ∈ V (F, G) et F (a) 6= 0 ou G(a) 6= 0, alors F ou G est inversible dans OA2 ,a donc OA2 ,a /hF, Gi = {0}. Le produit considéré ci-dessus C k est donc fini, porté en les points a ∈ V (F, G). Puisqu’on a dimk k[X, Y ]/hF, Gi < +∞, la remarque qui précède motive la définition suivante : 9.15 Définition. — Soit C, D deux courbes affines planes d’équations respectives F, G. On suppose que F et G n’ont pas de composante irréductible en commun. On appelle alors nombre d’intersection de C et D en a l’entier : . (C, D)a := dimk OA2 ,a hF, Gi. k 9.16 Remarques. — Géométrie Algébrique 73 (i) Pour définir (C, D)a , il suffit de savoir que F et G n’ont pas de composante irréductible en commun contenant a. (ii) Si a ∈ / V (F, G), alors (C, D)a = 0. (iii) On a : dimk k[X, Y ]/hF, Gi = X (C, D)a . a∈A2k 9.17 Exemple. — Supposons que D est une droite, et soit a ∈ V (F, G). Puisque F et G n’ont pas de composante en commun, F|D n’est pas identiquement nulle. Alors (C, D)a est l’ordre du zéro de F|D en a. En effet, en choisissant des coordonnées convenables on peut supposer que a = (0, 0) et G = Y . Alors : . . OA2 ,(0,0) hF, Gi = OA2 ,(0,0) hF (X, Y ), Y i k k . = OA2 ,(0,0) hF (X, 0), Y i. k X r P (X) En écrivant F (X, 0) = ar avec ar 6= 0 et P (0) 6= 0, où r est l’ordre du zéro de F|D , on a donc puisque P est inversible dans l’anneau localisé : . . OA2 ,(0,0) hF, Gi = OA2 ,(0,0) hX r , Y i k k = k[X, Y ]/ hX r , Y i, (en utilisant l’exercice 9.4 pour le dernier isomorphisme). On voit alors que dimk k[X, Y ]/hX r , Y i = r. 9.18. Propriétés des nombres d’intersection. — 9.19 Proposition. — Soit D, D0 , D00 trois courbes affines planes d’équations respectives F, F 0 , F 00 s’annulant en un point a ∈ A2k . On suppose que D, D00 et D0 , D00 n’ont pas de composante irréductible en commun. Alors : (D + D0 , D00 )a = (D, D00 )a + (D0 , D00 )a . 9.20 Remarque. — Dans cette formule, on note D +D0 la courbe d’équation F ·F 0 . Plus généralement, si F = uF1r1 · · · Fkrk est la décomposition irréductible de F , et Di la courbe irréductible réduite d’équation Fi , alors on note : D = r1 D1 + · · · + rk Dk . 74 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique 9.21 Corollaire. — Si C = r1 C1 + · · · + rk Ck et D = s1 D1 + · · · + s` D` sont deux courbes contenant a ∈ A2k alors : (C, D)a = X ri sj (Ci , Dj )a . i,j Démonstration de la proposition 9.19. — Observons que puisque D, D00 n’ont pas de composante irréductible en commun, la classe de F n’est pas un diviseur de zéro dans OD00 ,a . On a donc une suite exacte : ·F 0 −→ OD00 ,a −→ OD00 ,a −→ OD00 ,a hF i −→ 0. On peut donc écrire le diagramme commutatif suivant à lignes et colonnes exactes : 0 0 / OD00 ,a / OD00 ,a hF 0 i 0 0 0 / OD00 ,a / OD00 ,a ·F 0 ·F ·F F 0 0 /0 ·F / OD00 ,a / OD00 ,a hF F 0 i OD00 ,a hF i K /0 0 0 (on a noté K le conoyau de la multiplication par F dans la dernière colonne). On utilise alors le lemme suivant : 9.22 Lemme (Lemme du serpent). — Soit 0 / M0 0 a0 f0 / N0 b0 /M /N a00 f b00 / M 00 /0 f 00 / N 00 /0 Géométrie Algébrique 75 un diagramme commutatif de A-modules, où on suppose que les lignes sont exactes. Alors on a une suite exacte longue : δ 0 → Ker f 0 → Ker f → ker f 00 → Coker f 0 → Coker f → Coker f 00 → 0. Le lemme permet de voir que l’on a une suite exacte : 0 −→ OD00 ,a hF 0 i −→ K −→ 0. On en déduit que : dimk OD00 ,a hF i = dimk OD00 ,a hF F 0 i − dimk OD00 ,a hF 0 i, soit : (D + D0 , D00 )a = (D, D00 )a + (D0 , D00 )a . Démonstration du lemme 9.22. — La démonstration résulte de vérifications élémentaires. On doit construire le diagramme complet : 0 0 GF 0 0 / Ker f 0 _ / Ker f _ / M0 @A /M f0 / N0 0 a0 / Coker f 0 0 b0 0 / Ker f 00 _ ED a00 / M 00 /N / Coker f 0 b00 /0 f 00 f BC δ / N 00 /0 / Coker f 00 /0 0 (Merci d’admirer la flèche δ, j’y ai passé une soirée !) puis montrer que la suite de module indiquée est exacte. 9.23 Théorème. — Soit C, D deux courbes affines planes sans composante irréductible en commun. Alors : 76 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (i) pour tout a ∈ A2 , (C, D)a ≥ ma (C) · ma (D) ; (ii) on a égalité si et seulement si C et D n’ont pas de tangente en commun. 9.24 Définition. — On dit qu’une droite D est tangente à C en a si : (C, D)a ≥ ma (C). Démonstration. — Non rédigée (voir Fulton). Géométrie Algébrique 77 UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercices Exercice 9.1. — (i) Montrer qu’un polynôme homogène H de C[X, Y ] se décompose en produit de facteurs homogènes linéaires, et ceci d’une manière unique à multiplication près par un élément de C∗ . (ii) Décomposer la forme H = Y 3 −2XY 2 −2X 2 Y +4X 3 en facteurs linéaires dans C[X, Y ]. Exercice 9.2. — Déterminer les points singuliers des courbes algébriques complexes suivantes, calculer leur multiplicité et les équations de leurs tangentes. Dessiner la partie réelle de chaque courbe (on pourra trouver des paramétrages en coordonnées polaires). (i) A = Y − X 2 ; (ii) B = Y 2 − X 3 + X ; (iii) C = Y 2 − X 3 ; (iv) D = Y 2 − X 3 − X 2 ; (v) E = (X 2 + Y 2 )2 + 3X 2 Y − Y 3 ; (vi) F = (X 2 + Y 2 )3 − 4X 2 Y 2 . Exercice 9.3. — Soit F l’équation d’une courbe C du plan affine complexe. Un point singulier de multiplicité 2 est appelé un noeud si les deux tangentes en ce point sont distinctes. Montrer que P est un noeud si et seulement si : (∂XY F (P ))2 6= ∂XX F (P ) · ∂Y Y F (P ). Exercice 9.4. — (i) Dans l’anneau k[X, Y ], soit l’idéal M = hX, Y i. Pour tout entier ` ∈ N, donner une base de l’espace vectoriel k[X, Y ]/M` . 78 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (ii) Soit F = Y 2 et n ≥ 2. La multiplication par F induit un morphisme linéaire k[X, Y ] → k[X, Y ]/Mn . Montrer que le noyau de ce morphisme est Mn−2 . (iii) Plus généralement, soit F ∈ k[X, Y ] et m la multiplicité de (0, 0) dans F . Montrer que, pour tout entier n ≥ m, le noyau de l’application k[X, Y ] → k[X, Y ]/Mn donnée par multiplication par F est Mn−m . (iv) Soit A un anneau intègre, M un idéal maximal de A et ` un entier. Montrer que l’anneau quotient A/M` a pour unique idéal maximal M = M/M` , et construire un isomorphisme de A-modules : . A/M` ∼ = A/M` M (v) En déduire, avec les notations précédentes (et les notations du cours), n−m n que l’application OA2 ,(0,0) /I(0,0) → OA2 ,(0,0) /I(0,0) induite par la multiplicaC C tion par F est injective. En déduire de même une base de l’espace vectoriel ` OA2 ,(0,0) /I(0,0) . C Solutions Solution 9.1. — (i) Soit d le degré de H. Quitte à factoriser suffisamment H par X, on peut supposer que X ne divise pas H. Soit T = Y /X. On peut alors écrire H = X d G(T ) où G est de degré d (le mieux est de prendre un exemple !). En factorisant G (on est sur C) et en redistribuant le X on trouve la forme escomptée. √ √ (ii) H = (Y − 2X)(Y − 2X)(Y + 2X). Solution 9.2. — (i) On a ∂X A = −2X, ∂Y A = 1 donc il n’y a pas de point singulier. Cette courbe est une parabole. (ii) On a ∂X B = −3X 2 + 1, ∂Y B = Y donc les points singuliers peuvent √ être (±1/ 3, 0) mais ces points ne sont pas sur la courbe. La courbe est donc lisse. C’est la cubique de Weierstrass. (iii) On a ∂X C = −3X 2 , ∂Y C = 2Y donc le seul point singulier est (0, 0) (il est bien sur la courbe). La décomposition homogène de C en (0, 0) commence Géométrie Algébrique 79 en Y 2 donc le point singulier est de multiplicité 2 et les tangentes sont y 2 = 0 : il y a une tangente double. C’est la cubique cuspidale. (iv) On a ∂X D = −3X 2 − X et ∂Y D = 2Y donc le seul point singulier est (0, 0) (il est bien sur la courbe). La décomposition homogène de D en (0, 0) commence par Y 2 − X 2 donc le point singulier est de multiplicité 2 et les tangentes sont y = ±x. C’est la cubique nodale. (v) On a ∂X E = 4X(X 2 + Y 2 ) + 6XY , ∂Y E = 4Y (X 2 + Y 2 ) + 3X 2 − 3Y 2 . L’annulation de ∂X E donne X = 0 ou 4(X 2 + Y 2 ) + 6Y = 0 qui introduit dans ∂Y E = 0 donne X 2 = 3Y 2 . Mis dans E = 0, X = 0 donne Y = 0 ou Y = 1 mais (0, 1) n’annule pas ∂Y E. Mis dans E = 0, X 2 = 3Y 2 donne Y = 0 ou √ Y = −1/2 mais (± 3/2, −1/2) n’annule pas ∂X E. Le seul point singulier est donc (0, 0). La décomposition homogène commence en 3X 2 Y − Y 3 donc il est √ de multiplicité 3 et les tangentes sont y = 0 et y = ± 3x. Un paramétrage polaire est ρ = − sin(3θ). C’est le trifolium de Descartes. (vi) On a ∂X F = 6X(X 2 + Y 2 )2 − 8XY 2 et ∂Y F = 6Y (X 2 + Y 2 )2 − 8X 2 Y . L’annulation de ∂X F donne X = 0 ou 6(X 2 + Y 2 )2 − 8Y 2 = 0 qui introduit dans ∂Y F donne Y = 0 ou Y = ±X. Mis dans F = 0, on obtient X = Y = 0. Le seul point singulier est donc (0, 0). L’équation commence par X 2 Y 2 donc le point est de multiplicité 4. Les tangentes sont y = ±x comptées deux fois chacune. Un paramétrage polaire est ρ = sin(2θ). C’est le quadrifolium de Descartes. Solution 9.3. — On peut supposer que P = (0, 0). Notons la décomposition homogène par F = aX 2 + bXY + cY 2 + · · · . Le point est un noeud si et seulement si le polynôme homogène aX 2 +bXY +cY 2 se décompose en produit de deux formes linéaires non proportionnelles, ce qui équivaut à : b2 − 4ac 6= 0. Mais on constate que ∂XX F (0, 0) = 2a, ∂XY F (0, 0) = b et ∂Y Y F (0, 0) = 2c, d’où le résultat. Solution 9.4. — (i) Une base est formée des monômes X i Y j avec 0 ≤ dimension du quotient est donc `(`+1) 2 . i+j < `. La (ii) En regardant dans la base des X i Y j on voit que Mn−2 ⊂ Ker(F ). L’égalité peut se voir par argument de dimension dans la suite exacte : F· k[X, Y ]/ Mn−2 → k[X, Y ]/ Mn → Coker(F ) → 0 80 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique car dim Coker(F ) = n(n+1) − n − (n − 1) (il manque dans l’image les vec2 n−1 teurs 1, X, . . . , X , Y, XY, . . . , X n−2 Y ). D’après le calcul de dimension de la question précédente, cette suite est exacte à gauche, donc Mn−2 = Ker(F ). (iii) Pour tout entier `, M` est constitué des polynômes homogènes de degré au moins `. Notons F = Fm +· · · la décomposition homogène de F , avec Fm de degré m (multiplicité du point singulier). Pour tout P ∈ Mn−m , P F commence en degré n donc est dans Mn . Donc Mn−m ⊂ Ker(F ). Réciproquement, soit P de décomposition homogène P = Pk + · · · . Si F P ∈ Mn alors Fm Pk ∈ Mn (car l’idéal Mn est engendré par des éléments homogènes donc s’il contient un polynôme il contient toutes ses composantes homogènes), donc k ≥ n − m et P ∈ Mn−m , d’où le résultat. (iv) Soit N un idéal maximal contenant M` . Alors N ⊃ M car si x ∈ M alors x` ∈ Ml donc x` ∈ N donc x ∈ N car N est maximal donc premier. Ainsi, M est l’unique idéal maximal de A/M` . Le morphisme de localisation est donc un isomorphisme car il consiste à inverser les éléments qui ne sont pas dans M : puisque c’est l’unique idéal maximal, ces éléments sont des inversibles de l’anneau. (v) C’est maintenant clair. Géométrie Algébrique 81 UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 10. Variétés algébriques 10.1. — Nous avons défini précédemment les sous-ensembles algébriques des espaces affines Ank . Mais cette définition dépend du plongement. Par exemple, l’ouvert A1k − {0}, qui n’est pas un sous-ensemble algébrique de A1k , s’identifie à un sous-ensemble algébrique de A2k par : A1k − {0} ∼ = {(x, y) | xy = 1} ⊂ A2k . Par ailleurs, on voudrait mettre une structure de variété algébrique sur les espaces projectifs. Ces observations amènent à la construction de variétés algébriques abstraites, objet de ce chapitre. Celles-ci sont définies d’une façon qui ressemble à la définition des variétés différentielles : les modèles sont ici les sous-ensembles algébriques (alors que pour les variétés différentielles ce sont les ouverts de Rn ), et on dit qu’une variété (algébrique ou différentielle) est un espace topologique muni d’un atlas de cartes (chaque carte établissant dans les deux cas une bijection entre un ouvert de la variété et un modèle) qui doivent être compatibles, au sens où les changements de cartes respectent la structure (ici, ce seront des applications régulières entre sous-ensembles algébriques, alors que pour les variétés différentielles ce sont des applications C ∞ entre ouverts de Rn ). 10.2 Définition. — Soit X un ensemble. On appelle carte sur X une bijection φ : U → V où U ⊂ X est un sous-ensemble et V ⊂ Ank un sousensemble algébrique (l’entier n est quelconque). Deux cartes φ1 : U1 → V1 et φ2 : U2 → V2 sont dites compatibles si : V12 := φ1 (U1 ∩ U2 ) est un ouvert de V1 , V21 := φ2 (U1 ∩ U2 ) est un ouvert de V2 , φ12 := φ−1 1 ◦ φ2|V12 : V12 → V21 est birégulier d’inverse : φ21 := φ−1 2 ◦ φ2|V21 : V21 → V12 . 82 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique 10.3 Définition. — Soit X un ensemble. Un atlas sur X est la donnée d’un S ensemble de cartes φi : Ui → Vi compatibles telles que Ui = X. i 10.4 Définition. — On dit que deux atlas A et A0 sont équivalents si A ∪ A0 est encore un altas. Observation. — Un atlas sur X définit une topologie sur X pour laquelle les sources de cartes Ui ⊂ X sont des ouverts et φi : Ui → Vi sont des homéomorphismes. 10.5 Remarques. — (i) Deux atlas équivalents définissent la même topologie. (ii) Soit X et Y deux ensembles munis d’atlas respectifs A et B. Alors A×B est un atlas sur X × Y et en particulier définit une topologie sur X × Y . En général, cette topologie n’est pas la topologie produit (elle est plus fine). 10.6 Définition. — On appelle variété algébrique un ensemble X muni d’une classe d’équivalence d’atlas tel que : – (TF) X muni de la topologie donnée par l’un des atlas est un espace topologique noethérien (on dit que X est de type fini ) ; – (S) la diagonale dans X × X est fermée pour la topologie définie par un des atlas A × A (on dit que X est séparé). 10.7 Remarque. — Si A est un atlas dans la classe d’équivalence qui définit la variété algébrique X qui est fini, alors l’axiome (TF) est automatiquement vérifié. Notons en effet (φi : Ui → Vi )1≤i≤r les éléments de cet atlas. Si (F1 ⊃ F2 ⊃ · · · ) est une suite décroissante de fermés, pour chaque j ∈ {1, . . . , r}, la suite (Fi ∩ Uj ) est stationnaire, car l’espace topologique Uj est homéomorphe à Vj , sous-ensemble algébrique donc espace topologique noethérien. Par conséquent, la suite (Fi ) est elle-même stationnaire. 10.8. Fonctions régulières sur une variété algébrique. — 10.9 Définition. — Soit X une variété algébrique et U ⊂ X un ouvert. Une fonction f : U → k est dite régulière si pour toute carte φi : Uk → Vi , f ◦ φ−1 i|φi (U ∩Ui ) est régulière. Géométrie Algébrique 83 10.10 Définition. — Soit X et Y deux variétés algébriques. Une application f : X → Y est dite régulière si pour toute carte φY : U Y → V Y ⊂ Am k de Y , −1 Y Y m U := f (U ) est un ouvert de X et φ ◦f : U → Ak est régulière composante par composante. 10.11. Espaces projectifs. — Soit V un espace vectoriel de dimension n + 1 sur k. On appelle droite vectorielle de V un sous-espace vectoriel de V de dimension 1. On appelle espace projectif sur V : P(V ) := {droites vectorielles de V }. On a une projection canonique : V − {0} → P(V ) v 7→ [v] où [v] désigne la droite vectorielle engendrée par v. Pour toute forme linéaire t : V → k on a un sous-ensemble : Ut := {[v] | t(v) 6= 0} ⊂ P(V ) (c’est bien défini car t est linéaire). Soit At ⊂ V défini par : At = {v ∈ V | t(v) = 1}. C’est un espace affine de direction l’espace vectoriel Ht = Ker(t). On définit une carte : φt : Ut → At 1 v [v] 7→ t(v) Examinons les changements de cartes. Soit v ∈ V ∗ , Us et As . Posons : At,s := {w ∈ At | s(w) 6= 0} ⊂ At , ouvert As,t := {w ∈ As | t(w) 6= 0} ⊂ As . ouvert 1 Alors φt,s = φs ◦ φ−1 t|At,s : At,s → As,t est donnée par w 7→ s(w) w. Ainsi, l’ensemble {φt : Ut → Vt }t∈V ∗ forme un atlas. Condition de finitude. Soit X0 , . . . , Xn ∈ V ∗ une base de V ∗ . Alors les UXi recouvrent P(V ), donc l’axiome (TF) est vérifié par la remarque 10.7. Condition de séparation. Soit ∆ ⊂ P(V ) × P(V ) la diagonale. Pour montrer qu’elle est fermée, prenons x, y ∈ P(V ) avec x 6= y. On choisit une forme 84 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique linéaire u ∈ V ∗ telle que u(x) 6= 0 et u(y) 6= 0. Alors, φu (x) 6= φu (y), de sorte que V := (Au × Au ) − ∆ est un ouvert de Au × Au contenant (φu (x), φu (y)). Finalement, φ−1 u (V ) est un ouvert de P(V ) × P(V ), contenant (x, y) et inclus dans (P(V ) × P(V )) − ∆ Lorsque V = k n+1 , on note plus simplement Pn l’espace projectif P(V ). 10.12 Lemme. — Soit X un espace topologique et (Ui )i∈I un recouvrement par des ouverts irréductibles tels que Ui,j := Ui ∩ Uj est toujours non vide. Alors X est irréductible. 10.13 Corollaire. — L’espace projectif P(V ) est irréductible. Démonstration. — Il suffit de montrer que Ui est dense pour tout i. Soit U un ouvert non vide de X. Alors il existe j tel que U ∩ Uj 6= ∅. Puisque Uj est irréductible et que Ui,j est non vide, Ui,j et U ∩ Uj se rencontrent. Donc U ∩ Ui ∩ Uj 6= ∅ et en particulier U ∩ Ui est non vide. 10.14 Proposition. — Les fonctions régulières sur P(V ) sont les constantes. Démonstration. — Considérons d’abord le cas de P1 . Rappelons que P1 = P(C2 ). On considère la base canonique de (C2 )∗ , notée (X, Y ). On a donc deux cartes φX : UX → AX = {1} × C ⊂ C2 [x, y] 7→ (1, y/x), et φY : UY → AY = C × {1} ⊂ C2 [x, y] 7→ (x/y, 1). −1 : Par définition, si f : P1 → C est régulière, alors l’application fX := f ◦ fX −1 t 7→ f ([1 : t]) est polynômiale, ainsi que l’application fY := f ◦ fY : t 7→ f ([t : 1]). Mais pour t 6= 0, on doit avoir fX (t) = f ([1 : t]) = f ([1/t, 1]) = fY (1/t), donc fY (1/t) est polynômiale, donc f est constante. Pour traiter le cas de P(V ) où V est quelconque, il suffit de considérer x, y ∈ P(V ) et f régulière sur P(V ). Comme il existe une sous-variété algébrique de P(V ) isomorphe à P1 passant par x et y, la restriction de f à cette sous-variété est constante par le cas précédent, donc f (x) = f (y). Ceci montre que f est constante. Géométrie Algébrique 85 10.15. Fermés d’un espace projectif et idéaux homogènes. — On a une application canonique : π k n+1 − {0} −→ Pnk et on a vu que Pnk est une variété algébrique dont la topologie n’est autre que la topologie quotient : les fermés algébriques de Pnk sont les fermés algébriques de k n+1 −{0} invariants sous k ∗ , ou aussi les fermés algébriques de k n+1 invariants sous k ∗ . Si Y ⊂ Pnk est un fermé, on note CY := π −1 (Y ) ∪ {0} le fermé associé, appelé cône sur Y . 10.16 Définition. — Un idéal I ⊂ k[X0 , . . . , Xn ] est dit homogène s’il est engendré par des polynômes homogènes. 10.17 Proposition. — (i) La correspondance Y 7→ I(CY ) définit une bijection entre les fermés de Pnk et les idéaux propres de k[X0 , . . . , Xn ], homogènes et égaux à leur radical. (ii) Les fermés irréductibles non vides correspondent aux idéaux premiers homogènes distincts de l’idéal monomial hX0 , . . . , Xn i. Démonstration. — (i) Soit Y ∈ Pnk un fermé et I ⊂ k[X0 , . . . , Xn ] l’idéal I(CY ). Soit P ∈ I, de décomposition homogène P = P0 + · · · + Pd , avec Pi de degré i. Pour x ∈ CY et λ ∈ k ∗ on a P (λx) = 0 car CY est k ∗ -invariant. Mais : P (λx) = P0 (x) + λP1 (x) + · · · + λd Pd (x) donc Pi (x) = 0 pour tout i, soit Pi ∈ I et I est homogène. Puisque CY 6= ∅, I est un idéal propre égal à son radical. Réciproquement, si J ⊂ k[X0 , . . . , Xn ] est homogène propre alors 0 ∈ V (J) et V (J) est invariant sous k ∗ donc définit un fermé de Pnk de cône V (J). D’après √ le Nullstellensatz, I(V (J)) = J donc si J est égal à son radical il provient d’un fermé de Pnk d’où la surjectivité. L’injectivité est claire. (ii) Il suffit de montrer que si Y est irréductible, CY l’est aussi (les autres assertions sont conséquences de ce que l’on sait déjà). Soit CY = Z1 ∪ · · ·∪ Zk la décomposition en composantes irréductibles, avec Zi irréductible, Zi * Zj si i 6= j. On va montrer que les Zi sont des cônes aussi. Considérons la multiplication k ∗ × CY → CY . Chaque fermé k ∗ × Zi est irréductible, donc l’image 86 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique aussi. Cette image contient Zi , donc par irréductibilité c’est Zi . Donc Zi est un cône (est k ∗ -invariant). Mais alors CY = CY1 ∪· · ·∪CYk donc Y = Y1 ∪· · ·∪Yk donc k = 1 par irréductibilité et CY est irréductible. Si Y = ∅ alors CY = {0} et I(CY ) = hX0 , . . . , Xn i. 10.18. Géométrie affine et géométrie projective. — Considérons Pnk muni des carte standards (φi , Ui ) : Ui = {[x0 : · · · : 1 : · · · : xn ] ∈ Pnk }, Hi = {[x0 : · · · : 0 : · · · : xn ] ∈ Pnk }. On a vu que φi réalise un isomorphisme entre Ank et Ui . ci , . . . , Xn ], i.e. F ∈ O(An ). On définit un polynôme Soit F ∈ k[X0 , . . . , X k F∗ ∈ k[X0 , . . . , Xi , . . . , Xn ] homogène par homogénéisation : en notant F = F0 + F1 + · · · + Fd avec Fi de degré i on pose : F∗ = Xid F0 + X d−1 F1 + · · · + Fd . 10.19 Exemple. — Pour l’inclusion A2 ⊂ P2 de carte (x, y) 7→ [x : y : 1], si P = 1 + X 2 + Y X 3 alors P∗ = Z 4 + Z 2 X 2 + Y X 3 . Réciproquement, si F ∈ k[X0 , . . . , Xn ] est homogène on définit : ci , . . . , Xn ] F ∗ ∈ k[X0 , . . . , X par : ci , . . . , Xn ) = F (X0 , . . . , 1, . . . , Xn ) F ∗ (X0 , . . . , X appelé la déshomogénéisation. ci , . . . , Xn ] un idéal et V (I) ⊂ An le fermé associé. On Soit I ⊂ k[X0 , . . . , X k appelle fermeture de V (I) dans Pnk le fermé défini par l’idéal homogène : I∗ = hF∗ | F ∈ Ii. 10.20 Exemple. — Pour F = X 2 − Y 3 et V = V (F ) ⊂ A2k , on obtient F∗ = Y 2 Z − X 3 ∈ k[X, Y, Z] et V = V (F∗ ) ⊂ P3k . Réciproquement, si V ⊂ Pnk est un fermé, alors V ∗ = Ank ∩ V est défini par hF ∗ | F ∈ Ii. Géométrie Algébrique 87 10.21. Points singuliers. — Soit C une courbe algébrique plane projective d’équation F : F est un polynôme homogène de degré d dans k[X, Y, Z] et on a la formule d’Euler (voir en exercice) : dF = X∂X F + Y ∂Y F + Z∂Z F. Prenons un exemple : F = ZY 2 − X 3 . Alors ∂X F = −3X 2 , ∂Y F = 2Y Z et ∂Z F = Y 2 . La formule d’Euler est bien vérifiée et les points singuliers sont donnés par I = h−3X 2 , 2Y Z, Y 2 i. Le seul point singulier est donc [0 : 0 : 1]. 88 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercices Exercice 10.1. — Soit I un idéal de C[X0 , . . . , Xn ]. Montrer que I est homogène si et seulement si pour tout P ∈ I, si P = P0 + · · · + Pk est la décomposition homogène de P , alors Pi ∈ I pour tout i = 0, . . . , k. Exercice 10.2. — Montrer la formule d’Euler : si F ∈ k[X0 , . . . , Xn ] est un polynôme homogène de degré d alors : dF = n X Xi ∂Xi F. i=0 En déduire que les points singuliers P ∈ Pnk de la courbe projective d’équation F sont définis par les équations ∂Xi F (P ) = 0. Exercice 10.3. — Soit F, G ∈ C[X0 , . . . , Xn ] des polynômes homogènes de degrés respectifs d, d + 1 et sans facteur commun. Montrer que F + G est irréductible. Exercice 10.4. — Soit E un espace vectoriel complexe de dimension finie et Q une forme quadratique. On note B la forme bilinéaire symétrique associée. L’équation Q(x) = 0 définit une quadrique (si dim E = 3, on dit une conique) C dans l’espace projectif P(E). On appelle rang de C l’entier rg C := rg Q − 1. (i) Sur l’ensemble Q(E) des formes quadratiques sur E, le groupe GL(E) agit par f ∗ Q = Q ◦ f . Montrer que deux formes quadratiques sont dans la même orbite si et seulement si elles ont même rang. (ii) En déduire la classification des coniques de P2C sous l’action du groupe P GL(2, C) en montrant qu’il y a trois orbites indexées par le rang de la conique : – Si rg C = 2, dans un repère convenable l’équation de C est X 2 + Y 2 + Z 2 = 0 (conique irréductible) ; Géométrie Algébrique 89 – si rg C = 1, dans un repère convenable l’équation de C est X 2 +Y 2 = 0 (deux droites) ; – Si rg C = 0, dans un repère convenable l’équation de C est X 2 = 0 (une droite double) ; Que se passe-t-il sur R ? Solutions Solution 10.1. — Par définition, I est homogène s’il est engendré par des polynômes homogènes. Si pour tout P ∈ I, chaque composante homogène de P est dans I, alors I est engendré par des polynômes homogènes donc I est homogène. Réciproquement, supposons que I = hR1 , . . . , Rk i pour des polynômes Ri homogènes. Si P = P0 + · · · + Pd ∈ I, alors on peut l’écrire P = R1 Q1 + · · · + Rk Qk . En décomposant les Qi en composantes homogènes on voit par identification que chaque Pj est dans l’idéal engendré par les Ri , donc est dans I. Solution 10.2. — On a F (tX0 , . . . , tXn ) = td F (X0 , . . . , Xn ) pour tout t ∈ k. En dérivant en t on obtient : n X Xi ∂Xi F (tX1 , . . . , tXn ) = dtd−1 F (X0 , . . . , Xn ), i=0 d’où la formule en prenant t = 1. Solution 10.3. — Supposons F + G = P Q. Soit les décompositions homogènes P = Pk + · · · + Pk+i et Q = Q` + · · · + Q`+j avec Pk , Pk+i , Q` , Q`+j non nuls. Par identification on a k + ` = d et k + i + ` + j = d + 1, donc i + j = 1 avec i, j ≥ 0. Par symétrie, on peut supposer que i = 0 et j = 1. Alors F + G = Pk (Q` + Q`+1 ) donc par identification F = Pk Q` et G = P Q`+1 donc Pk divise F et G, contradiction. Solution 10.4. — Théorème d’inertie de Sylvester. 90 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 11. Courbes algébriques projectives 11.1. — Dans ce chapitre, nous montrons le théorème principal de ce cours, le théorème de Bézout. La preuve de ce résultat consiste à se ramener au plan affine A2k , où il est essentiellement conséquence des définitions. 11.2. Courbes dans le plan projectif. — On appelle courbe projective plane C la donnée d’un idéal homogène I ⊂ k[X, Y, Z] principal : I = hF i. On appelle F une équation de C. Si A2k ⊂ P2k est une carte standard, F ∗ définit une courbe affine d’équation F ∗ et réciproquement si C est une courbe affine d’équation F alors F∗ définit une courbe projective plane. 11.3. Multiplicité. — Soit C une courbe de P2k et a ∈ P2k . La multiplicité mC (a) est définie ainsi : on choisit une carte affine U ⊂ P2k contenant a et C ∗ la courbe induite sur A2k , puis on pose mC (a) = mC ∗ (a). Cela ne dépend pas de la carte choisie, en vertu du théorème 9.12 assurant que la multiplicité ne dépend que de l’anneau local. 11.4 Définition. — Soit C, D deux courbes de P2C d’équations respectives F, G et a ∈ P2C . Soit t une forme linéaire telle que a ∈ Ut . Alors on définit (C, D)a := (C ∗ , D∗ )a . 11.5 Remarque. — Cette définition ne dépend pas de la carte choisie. 11.6 Exemple. — Soit F = Y Z 9 + X 10 et G = X 3 + X 2 Z définissant les courbes C et D. Calculons (C, D)a , pour a un point d’intersection de C et de D. Pour a = [0 : 0 : 1] on prend la carte Uz = {[x : y : z] | z 6= 0}. Alors F ∗ = Y + X 10 et G∗ = X 3 + X 2 s’intersectent transversalement en (0, 0) donc (C, D)a = mC (a)mD (a) = 2. Pour l’autre point d’intersection b = [−1 : −1 : 1], on fait le changement de variables x0 = x + 1, y 0 = y + 1 pour se ramener à l’origine, et F ∗ (x0 , y 0 ) = (y 0 − 1) + (x0 − 1)10 , G∗ = (x0 − 1)2 x0 : Géométrie Algébrique 91 par le même argument on obtient (C, D)b = 1. Pour c = [0 : 1 : 0] on prend la carte UY et F ∗ = Z 9 + X 10 , G∗ = X 3 + X 2 Z : (Z 9 + X 10 , X 3 + X 2 Z)(0,0) = (Z 9 + X 10 , X 2 (X + Z))(0,0) = (Z 9 + X 10 , X 2 )(0,0) + (Z 9 + X 10 , X + Z)(0,0) = 2(Z 9 + X 10 , X)(0,0) + (Z 9 + X 10 , X + Z)(0,0) =2·9+9 = 27. En tout on a trouvé (au moins) 30 points d’intersection (comptés avec multiplicités). Ceci illustre le théorème suivant, qui montre aussi qu’il n’y a pas d’autres points d’intersection de C et D. 11.7 Théorème (Bézout). — Soit C, D deux courbes de P2C de degrés respectifs n, m, sans composante commune. Alors : X (C, D)a = n · m. a∈P2C 11.8 Corollaire. — Sous les mêmes hypothèses, X mC (a)mD (a) ≤ n · m, a∈P2C avec égalité si et seulement si C et D n’ont pas de tangente en commun en aucun des points d’intersection. 11.9 Corollaire. — Sous les mêmes hypothèses, si C et D se coupent en m · n points distincts, alors ces points sont des points lisses sur C et D et les courbes n’ont pas de tangente en commun aux points d’intersection. 11.10 Corollaire. — Si deux courbes C et D de degrés respectifs m et n se coupent strictement en plus de m·n points (comptés toujours avec multiplicité) alors elles ont une composante en commun. Démonstration du théorème de Bézout. — Soit Sd l’ensemble des polynômes homogènes de degré d dans C[X, Y, Z]. Alors : d+2 (d + 1)(d + 2) dim Sd = = . 2 2 Soit F l’équation de C et G celle de D. On a F ∈ Sm − {0} et G ∈ Sn − {0}. 92 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique 11.11 Lemme. — Si F et G sont premiers entre eux alors on a une suite exacte pour d ≥ m + n : 0 / Sd−m−n W (G,−F ) F (G ) φ ψ / Sd−n ⊕ Sd−m / Sd / (GW, −F W ) (U, V ) / F U + GV Démonstration du lemme. — Montrons que φ est injectif et que Im φ = Ker ψ. Il est clair que φ est injectif et que Im φ ⊂ Ker ψ. Soit (U, V ) ∈ Ker(ψ) : on a U F = −V G donc G divise U F mais F et G sont premiers entre eux donc G divise U et U = GW . Alors φ(W ) = (GW, −F W ) = (U, V ). Regardons maintenant la suite exacte : 0 → Im ψ → Sd → Sd / Im ψ → 0, en notant (F, G) := Im ψ. On a donc : dim Sd /(F, G) = dim Sd − dim Im ψ. On a aussi une suite exacte : 0 → Sd−m−n → Sd−m ⊕ Sd−n → Im ψ → 0 donc : dim Sd /(F, G) = dim Sd − (dim Sd−m + dim Sd−n − dim Sd−m−n ) d+2 d−m+2 d−n+2 d−m−n+2 = − − + 2 2 2 2 = m · n. On a donc démontré : 11.12 Lemme. — Si d ≥ m + n alors dim Sd /(F, G) = m · n. 11.13 Proposition. — Sous les hypothèses du théorème de Bézout, soit t une forme linéaire telle que l’hyperplan Ht évite tous les points d’intersection de C avec D. Alors : ·t Sd /(F, G) → Sd+1 /(F, G) Géométrie Algébrique 93 est un isomorphisme. (Remarquons qu’ici la forme linéaire t est vue comme un polynôme homogène dans S1 .) Démonstration. — Soit W = Ker(t) ⊂ C3 . On écrit le diagramme : ·t 0 0 → Sd → Fd+1 → Sd+1 →0 0 où Sd+1 désigne les polynômes de degré d + 1 sur W . (Avec t = Z, on calcule aisément les dimensions des espaces en jeu, et on vérifie l’exactitude). L’hypothèse signifie que l’on a la même suite exacte que dans le lemme 11.11 sur W . On a donc le diagramme : 0 0 0 0 / Sd−m−n / Sd−m ⊕ Sd−n / Im ψd ·t (·t,·t) /0 ·t 0 / Sd−m−n+1 / Sd−m+1 ⊕ Sd−n+1 / Im ψd+1 /0 0 / S0 d−m−n+1 0 / S0 ⊕ Sd−n+1 d−m+1 / Im ψ 0 d+1 /0 0 0 0 Par une chasse au diagramme, on montre alors que si f ∈ Sd est tel que tf ∈ Im ψd+1 , alors f est dans Im ψd . Les détails de cet argument sont laissés à l’étudiant ; on n’indique que les étapes essentielles. Soit un tel f . Il existe x ∈ Sd−m+1 ⊕ Sd−n+1 qui s’envoie sur tf ∈ Im ψd+1 . Il existe alors y ∈ Sd−m−n+1 0 0 qui a la même image que x dans Sd−m+1 ⊕Sd−n+1 . Notons x0 l’image de y dans Sd−m+1 ⊕ Sd−n+1 , et soit z un élément de Sd−m ⊕ Sd−n qui s’envoie sur x − x0 . L’image de z dans Im ψd+1 égale tf , de sorte que l’injectivité de l’application Im ψd → Im ψd+1 implique que l’image de z dans Im ψd égale f . On a donc bien démontré que f ∈ Im ψd . / Sd+1 /(F, G) est injective, mais les Ceci implique que la flêche Sd /(F, G) dimensions coı̈ncident d’après le lemme 11.12, donc c’est un isomorphisme. 94 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique 11.14 Corollaire. — Toujours sous les mêmes hypothèses (d ≥ m + n), soient F ∗ , G∗ ∈ O(Ut ) = O(A2 ) définies par F, G. Alors la flèche : Sd → O(A2 ) P 7→ P∗ ∼ induit un isomorphisme Sd /(F, G) −→ O(A2 )/(F ∗ , G∗ ). Démonstration. — Quitte à faire un changement de coordonnées, on peut supposer t = Z. Surjectivité. Soit [P ] ∈ O(A2 )/(F ∗ , G∗ ). P∗ ∈ Sd0 pour un certain d0 . Si d0 < d 0 alors Z d−d P∗ ∈ Sd et définit un antécédent. Si d0 > d alors on considère : ·Z d Sd /(F, G) PPP PPP PPP PPP ( 0 −d / Sd0 /(F, G) n nn nnn n n n nv nn O(A2 )/(F ∗ , G∗ ) Injectivité. Soit P ∈ Sd tel que P ∗ = AF ∗ + BG∗ , A, B ∈ O(A2 ). Alors A∗ ∈ Sa , B∗ ∈ Sb avec a + b + m + n > d donc tk P = A∗ F + B∗ G ∈ Sd+k . Ce corollaire entraı̂ne Bézout car : m · n = dim Sd /(F, G) = dim O(A2 )/(F ∗ , G∗ ) X = (C, D)a a∈A2 = X (C, D)a a∈P2 La troisième égalité découle de la remarque 9.14. Géométrie Algébrique 95 UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercice 11.1. — Compléter projectivement les courbes affines planes suivantes, étudier leurs points singuliers, leur multiplicité et les tangentes aux points singuliers : (i) Y − X 2 ; (ii) Y 2 − X 3 + X ; (iii) X 2 − Y 3 ; (iv) Y 2 − X 3 − X 2 ; (v) (X 2 + Y 2 )2 − 3X 2 Y − Y 3 ; (vi) (X 2 + Y 2 )3 − 4X 2 Y 2 . Exercice 11.2. — Montrer que les courbes projectives planes suivantes sont irréductibles. Déterminer leurs points singuliers, leur multiplicité et les tangentes aux points multiples. (i) X 2 + Y 2 + Z 2 ; (ii) XY 4 + Y Z 4 + XZ 4 ; (iii) X 2 Y 3 + X 2 Z 3 + Y 2 Z 3 ; (iv) Y 2 Z − X(X − Z)(X − λZ), λ ∈ C ; (v) X n + Y n + Z n , n ≥ 0. Regarder ce qui se passe dans les trois cartes affines en dessinant les parties réelles. Exercice 11.3. — Soit I ⊂ k[X0 , . . . , Xn ] un idéal homogène. Montrer que √ I est aussi homogène. Exercice 11.4. — Soit C une courbe projective d’équation F et P un point simple de C. Montrer que la droite tangente à C en P a pour équation : X∂X F (P ) + Y ∂Y F (P ) + Z∂Z F (P ) = 0. 96 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique Exercice 11.5. — Déterminer les intersections de toutes les paires de courbes suivantes et les nombres d’intersections en ces points : (i) Y 2 Z − X(X − 2Z)(X + Z) et Y 2 + X 2 − 2XZ ; (ii) (X 2 + Y 2 )Z + X 3 + Y 3 et X 3 + Y 3 − 2XY Z ; (iii) Y 5 − X(Y 2 − XZ)2 et Y 4 + Y 3 Z − X 2 Z 2 ; (iv) (X 2 + Y 2 )2 + 3X 2 Y Z − Y 3 Z et (X 2 + Y 2 )3 − 4X 2 Y 2 Z 2 . Solutions Solution 11.1. — Solution 11.2. — √ Solution 11.3. — Soit P ∈ I. Décomposons P = P0 + · · · + Pd . Puisqu’il existe n tel que P n ∈ I, on a Pdn ∈ I car I est homogène (quand on √ développe P n , tous les autres termes sont de degré inférieur) donc Pd ∈ I, √ √ donc P − Pd ∈ I donc Pd−1 ∈ I comme précédemment, et de proche en √ √ proche chaque Pi est dans I, donc I est un idéal homogène. Solution 11.4. — C’est clair, par exemple en prenant des cartes affines. Solution 11.5. — Quelques rappels sur les nombres d’intersection, et l’algorithme de calcul. Soit F, G deux courbes planes sans composante commune et P un point du plan. Dans le cours, nous avons défini un nombre d’intersection (F, G)P ∈ N vérifiant les propriétés suivantes : (i) (F, G)P = 0 si et seulement si P ∈ / F ∩ G; (ii) (F, G)P est invariant par changement de variables affine ; (iii) (F, G)P = (G, F )P ; (iv) (F, G)P ≥ mP (F )mP (G) avec égalité si et seulement si F et G n’ont pas de tangente commune ; Q Q s P (v) si F = Firi et G = Gj j alors (F, G)P = i,j ri sj (Fi , Gj )P . (vi) (F, G)P = (F, G + AF )P pour tout A ∈ C[X, Y ]. Grâce à ces règles, on peut donner un algorithme de calcul. Supposons que P = (0, 0), et que F (X, 0), G(X, 0) sont de degrés respectifs r, s en X, avec r ≤ s. on veut calculer (F, G)P . Géométrie Algébrique 97 – Si r = −∞, alors Y divise F donc F = Y H et : (F, G)P = (Y, G)P + (H, G)P . Notons G(X, 0) = X m (a0 + a1 X + · · · ). Alors : (Y, G)P = (Y, G(X, 0))P = (Y, X m )P = m. Puis (H, G)P est plus simple à calculer, par induction. – Si r > 0, (r 6= 0 sinon P ∈ / F ∩ G) on peut multiplier F et G par des constantes de telle sorte que F (X, 0), G(X, 0) soient unitaires. Posons H = G − X s−r F . Alors (F, G)P = (F, H)P et on répète le procédé car H(X, 0) est de degré plus petit que s, jusqu’à tomber dans le premier cas. Dans les exemples proposés, seuls sont calculés les nombres d’intersection en (0 : 0 : 1). Pour les autres, faire les changements de coordonnées nécessaires. (i) Y 2 Z − X(X − 2Z)(X + Z) et Y 2 + X 2 − 2XZ : on trouve 2. (ii) (X 2 + Y 2 )Z + X 3 + Y 3 et X 3 + Y 3 − 2XY Z : on trouve 4. (iii) Y 5 − X(Y 2 − XZ)2 et Y 4 + Y 3 Z − X 2 Z 2 : on trouve 9. (iv) (X 2 + Y 2 )2 + 3X 2 Y Z − Y 3 Z et (X 2 + Y 2 )3 − 4X 2 Y 2 Z 2 (on peut commencer par se débarrasser de la partie commune des deux équations) : on trouve 14. 98 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique 12. Applications du théorème de Bézout 12.1. — Nous verrons finalement deux applications importantes du théorème de Bézout. Une première application décrit les singularités maximales qu’une courbe peut avoir en fonction de son degré. Une deuxième application est le théorème de Max Noether, dont nous tirons des preuves élégantes de résultats classiques en géométrie projective. 12.2. Points singuliers d’une courbe irréductible du plan projectif. — 12.3 Théorème. — Soit C une courbe de P2 , irréductible et réduite, de degré n (i.e. l’équation de C est irréductible). Alors : X1 (n − 1)(n − 2) ma (C) (ma (C) − 1) ≤ . 2 2 a∈C Encore une fois, examinons des conséquences de ce théorème avant de passer à sa preuve. 12.4 Corollaire. — Une conique irréductible et réduite est lisse. Démonstration. — En effet, pour tout a ∈ C. 1 a∈C 2 ma (C) (ma (C) P − 1) ≤ 0 donc ma (C) = 1 12.5 Corollaire. — Une cubique a au plus un point singulier de degré 2. P Démonstration. — En effet, a∈C 12 ma (C) (ma (C) − 1) ≤ 1. Si on a égalité, alors il existe un unique point a ∈ C tel que ma (C) = 2. 12.6 Corollaire. — Sur une courbe (irréductible et lisse) de degré n de P2 , un point singulier est au plus de multiplicité n − 1. Géométrie Algébrique 99 Démonstration. — En effet, si a est singulier, 1 1 ma (C) (ma (C) − 1) ≤ (n − 1)(n − 2) 2 2 donc ma (C) ≤ n − 1. 12.7 Remarque. — Pour n ≥ 3, il existe une courbe ayant un point singulier de multiplicité n − 1. On regarde d’abord sur C2 : F = Y n−1 − X n , puis on considère F∗ = Y n−1 Z − X n qui est de degré n. Démonstration du théorème. — La démonstration est en deux étapes. Une première majoration grossière est utilisée ensuite cette pour définir une autre courbe à laquelle appliquer le théorème de Bézout. Première majoration : on cherche les points singuliers de C. Ils s’obtiennent en écrivant : ( ∂F ∂F ∂F ∂X = ∂Y = ∂Z = 0 F =0 La dérivée partielle d’un polynôme homogène est encore homogène. En effet, pour X a Y b Z c avec a + b + c = n, on a : ( aX a−1 Y b Z c si a ≥ 1 ∂ (X a Y b Z c ) = ∂X 0 sinon Au moins une des dérivées partielles est non identiquement nulle. On peut ∂F ∂F . Soit D la courbe d’équation ∂X . F est irréductible supposer que c’est ∂X ∂F donc F et ∂X n’ont pas de composante en commun. D’après le théorème de Bézout : X (C, D)a = n(n − 1) 2 a∈P P donc a∈P2 ma (C)ma (D) ≤ n(n − 1). On remarque que si r = ma (C), alors ma (D) ≥ r − 1. En effet, supposons que a est l’origine : F ∗ (x, y) = Fr (x, y) + Fr+1 (x, y) + · · · ∗ ∂F ∗ et puisque ∂X = ∂F ∂X , on a : ∂F ∗ ∂Fr ∂Fr+1 (x, y) = (x, y) + (x, y) + · · · ∂X ∂X ∂X Le premier terme est de degré r − 1 ou nul, d’où le résultat. Il en résulte que : X X ma (C)(ma (C) − 1) ≤ ma (C)ma (D) ≤ n(n − 1). a a 100 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique Afin de montrer l’existence d’une autre courbe adéquate, nous allons montrer le résultat suivant. 12.8 Lemme. — Soient b1 , . . . , b` ∈ P2 munis d’entiers r1 , . . . , r` . Si : ` (d + 1)(d + 2) X ri (ri + 1) > , 2 2 i=1 alors il existe une courbe C de degré d telle que mbi (C) ≥ ri pour tout i. Par exemple : – d = 1 : par deux points de P2 passe une droite (` = 2, r1 = r2 = 1) – d = 2 : par 5 points distincts passe une conique (` = 5, r1 = · · · = r5 = 1) – d = 3 : par 9 point distincts passe une cubique (` = 9, r1 = · · · = r9 = 1) – d = 3 : il existe une cubique ayant 3 points singuliers (` = 3, r1 = r2 = r3 = 2) Démonstration. — Soit H une droite évitant b1 , . . . , b` . On la prend comme droite à l’infini. Soit la composée : / O(A2 ) φ : Sd / ` Y OA2 /mrbii i=1 P / P∗ Q / ([Q1 ], . . . , [Q` ]) On cherche un élément du noyau de φ car si F ∈ Ker(φ), la courbe C d’équation F satisfait à mC (bi ) ≥ ri pour tout i = 1, . . . , `. On observe (par exemple en ramenant bi à l’origine) que : dim ` Y i=1 OA2 /mrbii = ` X ri (ri + 1) 2 i=1 donc on est assuré d’avoir des éléments dans le noyau de φ dès que : ` dim Sd = (d + 1)(d + 2) X ri (ri + 1) > . 2 2 i=1 Géométrie Algébrique 101 Deuxième majoration et fin de la preuve du théorème : soit a1 , . . . , as ∈ P2 les points singuliers de C (mai (C) ≥ 2). On sait déjà que : X ma (C)(ma (C) − 1) = a∈P2 s X mai (C)(mai (C) − 1) ≤ n(n − 1). i=1 P − 12 si=1 mai (C)(mai (C) − 1) > 0. Soient b1 , . . . , b`−1 ∈ C des Soit ` = n(n+1) 2 points tels que mbi (C) = 1. D’après le lemme, il existe G ∈ Sn−1 tel que si D est la courbe d’équation G, on a : mbi (D) ≥ 1, i = 1, . . . , ` − 1 mai (D) ≥ mai (C), i = 1, . . . , s et d’après le théorème de Bézout, X (C, D)a = n(n − 1) a∈P2 donc en particulier : X mai (C)mai (D) ≤ n(n − 1) a∈C∩D donc en minorant : s X mai (C)(mai (C) − 1) + (` − 1) ≤ i=1 X mai (C)mai (D) a∈C∩D ≤ n(n − 1). En remplaçant ` par sa valeur, et on obtient le résultat. 12.9. Théorème de Max Noether. — 12.10 Définition. — Un 0-cycle (ou cycle tout simplement) est une fonction n : P2 → Z telle que l’ensemble des a ∈ P2 avec n(a) 6= 0 est fini. On peut sommer de la façon habituelle de telles fonctions, qui munit d’une structure de groupe abélien l’ensemble des cycles. Le cycle n pourra être noté plus simplement comme une “somme formelle” : X n= n(a)a. a∈P2 102 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique Le degré d’un cycle est : deg n := X n(a). a∈P2 P On dit que n = a∈P2 n(a)a est positif et on note n ≥ 0 si n(a) ≥ 0 pour tout a. Si c et d sont deux cycles, on dit que d ≥ c si d − c ≥ 0. Si C et D sont deux courbes de P2 d’équations respectives F, G sans composante commune, on appelle cycle d’intersection : X (C, D) := (C, D)a a. a∈P2 D’après le théorème de Bézout, deg(C, D) = m · n. On cherche maintenant à répondre à la question suivante : soient CF , CG et CH trois courbes dans P2 , d’équations respectives F, G et H, avec F et G premiers entre eux. Supposons que : (CF , CG ) ≤ (CF , CH ). Existe-t-il une courbe CB telle que : (CF , CH ) − (CF , CG ) = (CF , CB ) i.e. qui réalise la différence ? Pour répondre à cette question, on constate que si l’on peut écrire H = AF + BG, avec A, B homogènes, alors CB convient. Cherchons des conditions locales à l’existence d’un tel H. Soit a ∈ P2 . On a OP2 ,a ∼ = OA2 ,a en choisissant un hyperplan à l’infini évitant a, et H ∗ = A∗ F ∗ + B ∗ G∗ dans O(A2 ). Notant Ha , Fa , Ga les images dans OA2 ,a , on voit donc que Ha est dans l’idéal engendré par Fa et Ga . 12.11 Définition. — On dit que H, F, G satisfont à la condition de Max Noether en a ∈ P2 si : Ha ∈ (Fa , Ga ) ⊂ OP2 ,a . 12.12 Remarque. — Si F (a) 6= 0, alors Fa est inversible dans OP2 ,a , et donc Ha est dans l’idéal engendré par Fa et Ga . La condition de Max Noether est donc automatiquement vérifiée si F (a) 6= 0 ou G(a) 6= 0. 12.13 Théorème (Max Noether). — Soit CF , CG , CH des courbes planes, telles que CF et CG sont sans composante commune. Alors on peut écrire Géométrie Algébrique 103 H = AF + BG avec A, B, homogènes si et seulement si Ha , Fa , Ga satisfont la condition de Max Noether en tout point a ∈ P2 . Démonstration. — On choisit une forme linéaire t telle que Ht ne rencontre par les points d’intersection de CF et CG . “⇒” évident car H ∗ = A∗ F ∗ + B ∗ G∗ implique Ha ∈ (Fa , Ga ) pour tout a. “⇐” Par hypothèse, Ha = 0 dans OA2 ,a /(Fa , Ga ). Mais : Y O(A2 )/(F ∗ , G∗ ) = OA2 ,a /(Fa , Ga ), a∈CF ∩CG donc H ∗ = 0 dans O(A2 )/(F ∗ , G∗ ). Donc tk H = A0 F + B 0 G mais on a vu ·t dans la preuve du théorème de Bézout que pour d ≥ m + n, Sd /(F, G) − → Sd+1 /(F, G) est un isomorphisme, donc il existe A, B tels que H = AF + BG. Donnons des conditions simples assurant l’hypothèse de ce théorème : 12.14 Proposition. — Soit CF , CG , CH des courbes planes, F, G premiers entre eux, et a ∈ P2 . Si une des conditions suivantes est vérifiée, alors la condition de Max Noether est remplie : (i) CF et CG se coupent transversalement en a (i.e. (CF , CG )a = 1), et a ∈ CH ; (ii) a est un point simple sur CF et (CF , CH )a ≥ (CF , CG )a ; Démonstration. — (i) Par définition de la multiplicité, on sait que dimC OA2 ,a /(Fa , Ga ) = 1, donc OA2 ,a /(Fa , Ga ) = C est un corps. Ainsi, (Fa , Ga ) = MA2 ,a . Comme en outre H(a) = 0, Ha ∈ MA2 ,a et donc Ha ∈ (Fa , Ga ). (ii) On peut supposer que a = (0, 0) ∈ A2 . Si a est un point simple de CF , par définition, ceci signifie que F contient un terme linéaire et, quitte à faire un changement de variables, on peut supposer que ce terme est X. Dans l’anneau local OA2 ,a , Fa est donc égal à X.u, où u est inversible. Ainsi, OA2 ,a (Fa ) est isomorphe au localisé C[Y ]0 . Notons G, H les classes de Ga , Ha dans ce quotient : on peut écrire G = Y g .x et H = Y h .y, où x et y sont des éléments inversibles dans C[Y ]0 et les multiplicités g = (CF , CG )a et h = (CF , CH )a . Comme par hypothèse h ≥ g, H est bien un multiple de G dans OA2 ,a (Fa ), ce qui montre le résultat. 104 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique 12.15 Corollaire. — (i) Si CF et CG se coupent en deg(F ) deg(G) points distincts et si CH passe par ces points alors il existe B tel que : (CF , CB ) = (CF , CH ) − (CF , CG ). (ii) Si tous les points de CF ∩ CG sont simples sur CF et si : (CF , CH ) ≥ (CF , CG ) alors il existe B tel que (CF , CB ) = (CF , CH ) − (CF , CG ). Démonstration. — (i) En vertu du corollaire 11.9, le point (i) découle de la proposition 12.14(i). (ii) Ceci découle de la proposition 12.14(ii). On démontre maintenant des résultats de géométrie projective classique, qui admettent d’autres preuves plus calculatoires, à l’aide des outils développés. 12.16 Corollaire. — Soit L1 , L2 des droites distinctes, p1 , p2 , p3 ∈ L1 et q1 , q2 , q3 ∈ L2 des points. Soit Li,j la droite joignant pi et qj pour i = 6 j et rk = Li,j ∩ Lj,i , si k 6∈ {i, j}. Alors r1 , r2 , r3 sont sur une droite. Démonstration. — Il suffit d’appliquer le théorème de Max Noether et la proposition 12.14 à CF la réunion de L1,2 , L2,3 et L3,1 , CG la réunion de L1 et L2 , et CH la réunion de L2,1 , L3,2 et L1,3 . Ce théorème donne l’existence d’un polynôme B homogène tel que H = Af + BG, mais B est alors nécessairement de degré 1 ; c’est donc l’équation d’une droite, et les points r1 , r2 , r3 sont annulés par B. 12.17 Corollaire. — Soit C, C 0 deux cubiques. On suppose que : 0 (C, C ) = 9 X ai i=1 est formé de points distincts. Supposons que CQ est une conique telle que : (C, CQ ) = 6 X ai i=1 et que les ai sont des point simples sur C. Alors a7 , a8 , a9 sont sur une droite. Géométrie Algébrique 105 Démonstration. — Prendre CF = C, CG = CQ , CH = C 0 . En particulier, on obtient le théorème de Pascal : si un hexagone est inscrit dans une conique alors les côtés opposés se rencontrent en une droite. En effet, pour cela, il suffit de prendre comme première cubique la réunion de 3 côtés de l’hexagone non consécutifs, et comme deuxième cubique la réunion des 3 autres côtés. 106 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Exercice 12.1. — Soit C une courbe plane (affine ou projective) d’équation F , P ∈ C un point simple et L la tangent à C en P . On dit que P est un point d’inflexion si (C, L)P ≥ 3 (en cas d’égalité, on dit que P un point d’inflexion ordinaire, et sinon supérieur ). (i) On pose F = Y − X n . Pour quelles valeurs de n la courbe C a-t-elle un point d’inflexion en P = (0, 0) ? De quelle sorte est ce point d’inflexion ? (ii) On suppose que P = (0, 0) et que L = Y est la droite tangente à C en P . Montrer que F est de la forme F = Y + aX 2 + · · · . En déduire que P est un point d’inflexion de C si et seulement si a = 0. Exercice 12.2. — Soit C une courbe projective plane d’équation F de degré n. On suppose que C ne contient pas de droite. On appelle hessienne de C la courbe projective H définie par le polynôme : ∂ F ∂ F ∂ F XY XZ XX H := ∂Y X F ∂Y Y F ∂Y Z F ∂ZX F ∂ZY F ∂ZZ F L’objectif est de démontrer le résultat suivant : Théorème. — (i) P ∈ C ∩ H si et seulement si P est un point d’inflexion ou un point multiple de C. (ii) (H, C)P = 1 si et seulement si P est un point d’inflexion ordinaire de C. La démonstration est proposée en une suite de questions. (i) Déterminer le degré de H. (∗) On suppose que P = (0 : 0 : 1), en admettant qu’un changement de variables affine ramènerait à cette situation sans changer la nature du problème. On se place alors dans la carte affine Z = 1 et on pose f (x, y) = F (x, y, 1) et h(x, y) = H(x, y, 1). Géométrie Algébrique 107 (ii) Montrer que (n − 1)∂X F = X∂XX F + Y ∂Y X F + Z∂ZX F et donner les formules similaires pour ∂Y F et ∂Z F . (iii) Soit g(x, y) = (∂y f )2 (∂xx f ) + (∂x f )2 (∂yy f ) − 2(∂x f )(∂y f )(∂xy f ). Montrer que (f, h)P = (f, g)P . (iv) Si P est un point multiple de C, montrer que (f, g)P ≥ 2. (∗∗) Si P est un point simple de C, on peut supposer que l’équation de la tangente à C en P est Y = 0. Alors f est de la forme f = y + ax2 + bxy + cy 2 + dx3 + · · · . (v) Donner une condition nécessaire et suffisante pour que P soit un point d’inflexion (resp. inflexion ordinaire) de C. (vi) Calculer les premiers termes de g. (vii) Conclure la démonstration du théorème. (viii) Facultatif : justifier le bien-fondé des hypothèses (∗) et (∗∗). Exercice 12.3. — (i) Montrer que toute courbe non singulière de degré strictement supérieur à 2 a point d’inflexion. (ii) Montrer que toute cubique lisse a 9 points d’inflexion, tous ordinaires. (iii) Déterminer toutes les inflexions d’une cubique de votre choix. 108 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique Solution 12.1. — (i) La tangente est Y = 0 donc la multiplicité d’intersection est : (Y, Y − X n )P = (Y, X n )P = n. On a donc une inflexion ordinaire si n = 3, et supérieure si n > 3. (ii) Il est clair que F est de la forme : F = Y + (aX 2 + bXY + cY 2 ) + · · · donc l’intersection est : (Y, F )P = (Y, Y (· · · ) + aX 2 + bX 3 + · · · )P = (Y, aX 2 + · · · )P donc l’intersection est 2 si a 6= 0 et supérieure ou égale à 3 si a = 0. Solution 12.2. — (i) deg H = 3(n − 2) car chaque dérivée seconde est un polynôme homogène de degré n − 2. (ii) Formule d’Euler pour les dérivées partielles, homogènes de degré n − 1. (iii) En additionnant X fois la première colonne et Y fois la deuxième colonne dans la troisième colonne et en utilisant la question précédente on obtient : ∂ F ∂ F ∂ F XX XY X Z 3 H = (n − 1)3 ∂Y X F ∂Y Y F ∂Y F ∂ZX F ∂ZY F ∂Z F En additionnant X fois la première ligne et troisième colonne, de même on trouve : ∂ F XX 6 5 Z H = n(n − 1) ∂Y X F ∂X F Y fois la deuxième ligne dans la ∂XY F ∂Y Y F ∂Y F ∂X F ∂Y F F On suppose que P ∈ H ∩ C donc F (P ) = 0 et Z = 1 donc le déterminant donne (règle de Sarrus) l’équation g(x, y) = 0. (iv) Si P est un point multiple de F , les dérivées d’ordre 1 de f en P sont nulles donc g(P ) = 0 et (f, g)P ≥ mP (f )mP (g) ≥ 2 · 1 = 2. (v) D’après l’exercice précédent, P est un point d’inflexion si et seulement si a = 0, ordinaire si et seulement si a = 0 et d 6= 0. Géométrie Algébrique 109 (vi) Aisément, g = 2a + (6d + 2ab)x + · · · . (vii) D’après l’équation de g, P ∈ H ∩ C si et seulement si a = 0 donc en supposant que P est un point simple c’est une inflexion. Si (C, H)P = 1 alors mP (C) = 1 et mP (H) = 1 donc dans l’équation de g on a a = 0 et d 6= 0 ce qui signifie que P est une inflexion ordinaire. (viii) Pour l’assertion (∗), constater que si T est un changement de variables affine, la hessienne de F T est (det T )2 (H T ) et det(T ) ne s’annule pas donc les nombres d’intersection et les multiplicités sont inchangées. Pour l’assertion (∗∗), trouver le changement de coordonnées qui convient. Solution 12.3. — (i) D’après le théorème de Bézout, C ∩ H a 3n(n − 2) points, donc il y a un point d’inflexion dès que n > 2. (ii) Avec la formule précédente pour n = 3 on trouve 9 points d’intersection, et puisque la cubique est lisse, d’après le théorème démontré dans l’exercice précédent ce sont des inflexions. Puisque la courbe est de degré 3, avec les notations de l’exercice précédent on a f = y + ax2 + bxy + cy 2 + dx3 + y(· · · ). Si l’inflexion n’est pas ordinaire, a = d = 0 donc f est divisible par y, donc la cubique contient une droite et n’est pas irréductible, donc pas lisse, contradiction. 110 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Annexe A Devoir libre Exercice A.1. — Sur l’anneau de polynômes C[X, Y ] on considère l’action du groupe G = Z/(2Z) = {1, τ } (avec τ 2 = 1) définie par τ.X = Y (donc aussi τ.Y = X). (i) Décrire l’action de τ sur un polynôme P quelconque. (ii) Montrer que les polynômes e1 = X + Y et e2 = XY sont invariants sous l’action du groupe. (iii) Montrer (à la main) que tout polynôme invariant P peut s’écrire comme polynôme en e1 , e2 : P = Q(e1 , e2 ) pour Q ∈ C[X, Y ]. On a donc montré que les invariants C[X, Y ]G sont l’algèbre engendrée par e1 , e2 , notée C[e1 , e2 ]. Il reste à déterminer s’il existe des relations polynomiales entre les générateurs. (iv) Montrer que l’application C2 → C2 définie par (a, b) 7→ (a + b, ab) est surjective. (v) En déduire qu’il n’existe pas de relation polynomiale entre e1 et e2 , i.e. que si Q(e1 , e2 ) = 0 pour un polynôme Q, alors nécessairement Q = 0. Plus généralement, on pourrait montrer de la même manière que, pour l’action du groupe symétrique Sn sur C[X1 , . . . , Xn ] par permutation des indéterminées, d’une part l’algèbre des invariants C[X1 , . . . , Xn ]Sn est engendrée par les fonctions symétriques élémentaires, et d’autre part il n’y a pas de relation polynomiale entre celles-ci (ceci constitue le théorème fondamental des fonctions symétriques). Exercice A.2. — On a observé dans l’exercice précèdent que l’algèbre des invariants était engendrée par un nombre fini d’éléments. Nous proposons ici une démonstration générale de ce fait. Géométrie Algébrique 111 Soit G ⊂ GL(n, C) un groupe fini de matrices. Le groupe G agit à gauche sur C[X1 , . . . , Xn ] par : g1,1 · · · g1,n n X . .. .. g.Xj := gi,j Xi si g = . . i=1 gn,1 · · · gn,n L’action d’un élément g ∈ G sur un polynôme f est donc donnée par : g.f = f (g.X1 , . . . , g.Xn ). En notant A := C[X1 , . . . , Xn ], on décompose l’algèbre A en somme directe : M Ad , A= d≥0 où Ad est le sous-espace vectoriel formé des polynômes homogènes de degré total d (et du polynôme nul). Rappelons qu’une algèbre B est dite de type fini si elle est engendrée par un nombre fini d’éléments z1 , . . . , zk , autrement dit s’il existe un morphisme surjectif d’algèbres C[Y1 , . . . , Yk ] B (caractérisé par Yi 7→ zi ). (i) Vérifier que ceci définit bien une action à gauche du groupe G sur A. (ii) On note B l’ensemble des polynômes invariants sous l’action de G : B = AG := {f ∈ A | g.f = f ∀g ∈ G}. – Justifier que B est une C-algèbre. – En justifiant que l’action du groupe G préserve le degré des polynômes, montrer alors que B se décompose en somme directe : M B= Bd avec Bd = B ∩ Ad . d≥0 L’objectif est de démontrer le théorème suivant : Théorème (Hilbert-Mumford). — L’algèbre B est de type fini. 112 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (iii) Notons B+ := L Bd . Puisque B+ est inclus dans A, il engendre un d>0 idéal de A que nous notons A.B+ . Justifier que cet idéal est de type fini, et qu’on peut l’écrire sous la forme A.B+ = hz1 , . . . , zk i de telle sorte que : zi ∈ Bdi et di > 0. Nous allons montrer que le morphisme d’algèbres : C[Y1 , . . . , Yk ] → B déterminé par Yi 7→ zi est surjectif, ce qui démontrera le théorème. Pour cela, nous procédons par récurrence sur d en montrant que pour tout b ∈ Bd on a b ∈ C[z1 , . . . , zk ]. (iv) Initialiser la récurrence à d = 0. (v) Soit R : A → B l’application définie par : 1 X g.f, R(f ) = |G| g∈G où |G| désigne le cardinal de G. – Justifier que R est bien définie et est à valeurs dans B. – Montrer que R(b) = b pour tout b ∈ B. – Montrer que R est C-linéaire. – Montrer que R est même B-linéaire, i.e. que pour tout b ∈ B et tout f ∈ A on a R(bf ) = bR(f ). (vi) Soit b ∈ Bd avec d > 0. En constatant que b ∈ A.B+ et en procédant par récurrence, achever la démonstration. Correction Solution A.1. — (i) L’action de τ est le morphisme d’anneau caractérisé par τ X = Y et τ Y = X donc τ P (X, Y ) = P (Y, X). (ii) τ e1 = Y + X = e1 et τ e2 = Y X = e2 . P (iii) Soit P = i,j ai,j X i Y j . Si τ P = P , alors on en déduit ai,j = aj,i , donc P P = i,j ai,j (X i Y j + X j Y i ). Pour écrire un polynôme X i Y j + X j Y i comme polynôme en e1 , e2 , on procède par récurrence sur max(i, j) = n. Géométrie Algébrique 113 Si n = 1 c’est clair : on a e1 ou 2e2 . Par récurrence, si i, j ≥ 1, on a : X i Y j + X j Y i = XY (X i−1 Y j−1 + X j−1 Y i−1 ). Le polynôme entre parenthèses est fixe sous τ et la récurrence s’applique. Si par exemple j = 0, on a : X i + Y i = ei1 − n−1 X Cnk X k Y n−k , k=1 et la récurrence s’applique pour le polynôme dans la somme. (iv) Pour tout (u, v) ∈ C2 le polynôme X 2 − uX + v admet deux racines a, b donc X 2 − uX + v = (X − a)(X − b) et u = a + b, v = ab. (v) Soit Q ∈ C[X, Y ] tel que Q(e1 (X, Y ), e2 (X, Y )) = 0. En évaluant en X = a, Y = b on a Q(a + b, ab) = 0 et d’après la surjectivité, Q(u, v) = 0 pour tous u, v. Donc Q est le polynôme nul car C est infini. Solution A.2. — (i) Le neutre agit trivialement. On a h.Xj = X g(h.Xj ) = hi,j g.Xi P i hi,j Xi donc : i = XX i hi,j gk,i Xk k tandis que : (gh).Xj = X (gh)k,j Xk k = XX k gk,i hi,j Xk i donc (gh).Xj = g.(h.Xj ). (ii) – B ⊂ A et B est stable pour la somme et le produit, et contient les neutres : c’est une sous-algèbre de A. – L’action préserve le degré car c’est une action linéaire (g.Xi est homogène de degré 1) et car les matrices qui agissent sont inversibles (a priori le degré pourrait baisser, mais en re-composant par l’inverse on doit retomber sur le polynôme de départ : deg gf ≤ deg f donc deg f = 114 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique deg g −1 gf ≤ deg gf ≤ deg f donne l’égalité des degrés). Alors si un polynôme est invariant sous l’action du groupe, en utilisant l’ unicité de la décomposition en composantes homogènes, chaque composante homogène est elle-même un polynôme invariant. (iii) L’idéal A.B+ est engendré par les éléments de z ∈ B+ . Puisque B+ se décompose en somme directe, cet idéal est engendré par l’ensemble des composantes homogènes des éléments de B+ (si z ∈ B+ , chacune des composantes homogènes de z est dans B+ d’après la question précédente). Donc A.B+ est engendré par des éléments zi ∈ Bdi avec di > 0, et puisque A est noethérien d’après le théorème de base de Hilbert, cet idéal est de type fini et est engendré par un nombre fini de tels zi . (iv) Clair car B0 = C. (v) – R est bien défini car G est fini, et : 1 P R(h.f ) = |G| g g.(h.f ) 1 P = |G| g (gh).f 1 P = |G| k k.f = R(f ) donc R est à valeurs dans B. – Si b ∈ B, g.b = b pour tout g ∈ G donc R(b) = b. – L’action de G étant C-linéaire, R est C-linéaire. – Pour b ∈ B et f ∈ A on a : R(bf ) = 1 X g.(bf ) |G| g = 1 X (g.b)(g.f ) |G| g = 1 X b(g.f ) |G| g =b 1 X g.f |G| g = bR(f ). ! Géométrie Algébrique (vi) Si b ∈ Bd , on peut l’écrire b = k P 115 ai zi avec ai ∈ A et deg ai = li . i=1 On peut supposer que li < d. En effet, si les ai ont des composantes de degré k k P P supérieur, notées a00i , on a b = (ai −a00i )zi + a00i zi et par argument de degré i=1 i=1 cette deuxième somme est nulle (on utilise ici que di > 0). Alors en utilisant la question précédente : b = R(b) = k X R(ai zi ) i=1 = k X R(ai )zi i=1 et de plus R(ai ) ∈ B est de degré strictement inférieur à d. Par hypothèse de récurrence, en le décomposant en composantes homogènes, c’est un polynôme à coefficients complexes en les zi . Donc b aussi. 116 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Annexe B Contrôle continu : 10 mars 2004 Première partie. — Soit l’ensemble algébrique affine Γ = V (Y 2 − X 3 ) ⊂ A2C et l’application f : A1C → A2C définie par f (t) = (t2 , t3 ). (i) Montrer que f est une application régulière bijective de A1C sur Γ. (ii) Montrer que Γ est irréductible et que O(Γ) = C[X, Y ]/hY 2 − X 3 i. (iii) En notant O(A1C ) = C[T ], déterminer le morphisme d’anneaux f ∗ : C[X, Y ]/hY 2 − X 3 i → C[T ] induit par f . Montrer que f ∗ est injectif et déterminer son image. (iv) En déduire que f n’est pas un isomorphisme birégulier de A1C sur Γ. Deuxième partie. — Soit A un anneau intègre de corps de fractions K(A). On dit que A est intégralement clos si tout élément de K(A) qui est entier sur A est en fait dans A. Soit Z ⊂ AnC un ensemble algébrique affine irréductible. On dit que Z est normal si l’anneau intègre O(Z) est intégralement clos. (i) Étude globale de l’espace affine. (a) Montrer que tout anneau factoriel est intégralement clos. (b) En déduire que, pour tout n ∈ N, l’espace affine AnC est normal. (ii) Étude globale de la courbe Γ (définie dans la première partie). (a) Soit x et y les classes respectives de X et Y dans O(Γ). On a donc y 2 y y ∈ K(O(Γ)). Montrer que ∈ / O(Γ) et que = x. x x x (b) En déduire que O(Γ) n’est pas intégralement clos. (iii) Étude locale. Géométrie Algébrique 117 (a) Soit A un anneau intégralement clos et S une partie multiplicative de A telle que 0 ∈ / S. Déterminer le corps de fractions de S −1 A et montrer que l’anneau S −1 A est intégralement clos. (b) Montrer que si A est un anneau intègre, alors A est intégralement clos si et seulement si pour tout idéal maximal M de A, l’anneau localisé AM est intégralement clos. (Indication : pour x ∈ K(A), on pourra considérer l’idéal I := {a ∈ A | ax ∈ A}). Troisième partie. — Soit X un ensemble algébrique affine irréductible sur le corps C. On considère les couples (U, ϕ) où U est un ouvert non vide de X et ϕ : U → C une fonction régulière (on dit que ϕ est une fonction rationnelle sur X). (i) Soit U un ouvert non vide de X. (a) Montrer que U est dense dans X, i.e. que l’on a U = X. (b) Montrer que U est irréductible pour la topologie induite. (ii) Soit ϕ, ψ ∈ O(X) et U un ouvert non vide de X tel que ϕ|U = ψ|U . Montrer que ϕ = ψ sur X. (iii) Montrer que la relation binaire : (U, ϕ) ∼ (V, ψ) si ϕ|U ∩V = ψ|U ∩V est une relation d’équivalence. (iv) On note Rat(X) l’ensemble des classes d’équivalences de couples (U, ϕ), une classe d’équivalence étant notée [U, ϕ]. Expliciter brièvement une structure d’algèbre naturelle sur Rat(X) (il n’est pas demandé de vérifier que les opérations ne dépendent pas des représentants). Montrer que Rat(X) est un corps. (v) Montrer que le corps de fractions K(O(X)) de l’algèbre intègre O(X) est isomorphe à Rat(X). (vi) Déterminer Rat(AnC ). (vii) On considère à nouveau l’application f : A1C → Γ définie par f (t) = (t2 , t3 ). Montrer que f ∗ induit un isomorphisme de corps : f ] : Rat(Γ) → Rat(A1C ). 118 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique (viii) Montrer que f induit un isomorphisme birégulier entre les ensembles localement fermés A1C − {0} et Γ − {(0, 0)} (on explicitera un inverse pour f dont on montrera que c’est une application régulière). Quatrième partie. — Cette partie est hors barème. Soit A et B deux C-algèbres de type fini intègres et ϕ : A ,→ B un morphisme d’anneaux injectif induisant un isomorphisme K(A) ∼ = K(B). On suppose que B est entier sur A et on identifie A avec son image par ϕ dans B. On pose : I := {a ∈ A | aB ⊂ A}. (i) Montrer que I est un idéal non nul de A. (ii) Soit M un idéal maximal de A tel que AM est intégralement clos. Montrer que I * M. (iii) On suppose que B est intégralement clos. Soit M un idéal maximal de A tel que I * M. Montrer que AM est intégralement clos. (iv) On pose A = O(Γ), B = O(A1C ) et ϕ = f ∗ . Les questions posées dans les parties précédentes montrent que les hypothèses fixées au début de cette partie sont satisfaites. Déterminer l’idéal I. (v) Soit M(0,0) ⊂ O(Γ) l’idéal maximal du point (0, 0) ∈ Γ. Déduire des questions précédentes que l’anneau local O(Γ)M(0,0) n’est pas intégralement clos. Correction Première partie. — (i) La fonction f est polynomiale, donc régulière, et est à valeurs dans Γ puisque si x = t2 et y = t3 , alors y 2 − x3 = 0. Elle est injective car si (t2 , t3 ) = (t02 , t03 ) alors t2 = t02 entraı̂ne t = ±t0 et alors t3 = t03 force t = t0 . Elle est surjective car si (x, y) ∈ Γ, si x 6= 0 alors t = y/x vérifie t2 = x et t3 = y (car y 2 = x3 ) et si x = 0 alors y = 0 donc t = 0 satisfait f (t) = f (0) = (0, 0). (ii) L’anneau O(Γ). Géométrie Algébrique 119 – Le polynôme Y 2 − X 3 est irréductible. En effet, si Y 2 − X 3 = P Q est une factorisation, on observe que degY P ≥ 1 et degY Q ≥ 1 (car Y 2 − X 3 est unitaire en Y ). C’est donc aussi une factorisation dans C[X][Y ]. On peut donc écrire P = Y − α et Q = Y − β avec α, β ∈ C[X]. On obtient alors α + β = 0 et αβ = −X 3 , soit α2 = X 3 , mais cette équation n’a pas de solution dans C[X]. – Puisque Y 2 − X 3 est irréductible, l’idéal hY 2 − X 3 i est premier. p D’après le Nullstellensatz, I(Γ) = hY 2 − X 3 i = hY 2 − X 3 i puisqu’un idéal premier est radical. Ainsi, I(Γ) est un idéal premier donc la courbe Γ = V (Y 2 − X 3 ) est irréductible et O(Γ) = C[X, Y ]/hY 2 − X 3 i. (iii) Le morphisme d’anneaux f ∗ est défini par f ∗ ϕ = ϕ ◦ f pour tout ϕ ∈ O(Γ), donc il est caractérisé par f ∗ (X) = T 2 et f ∗ (Y ) = T 3 . Puisque f est surjectif, f ∗ est injectif. En effet, supposons que f ∗ ϕ = 0. Alors pour tout (x, y) ∈ Γ, soit t ∈ C tel que f (t) = (x, y). Alors : ϕ(x, y) = ϕ(f (t)) = (f ∗ ϕ)(t) = 0, donc ϕ = 0. L’image de f ∗ est le sous-anneau de C[T ] engendré par T 2 et T 3 : Im(f ∗ ) = C[T 2 , T 3 ]. (iv) Puisque f : A1C → Γ est une application polynomiale entre ensembles algébriques affines, f est un isomorphisme birégulier si et seulement si f ∗ est un isomorphisme. Ce n’est pas le cas puisque, d’après la question (iii), Im(f ∗ ) 6= C[T ] (le polynôme T n’est pas dans l’image). Deuxième partie. — (i) Étude globale de l’espace affine. (a) Soit A un anneau factoriel, A est donc en particulier intègre. Soit x = pq ∈ K(A) avec p ∈ A, q ∈ A − {0} une fraction irréductible, i.e. telle que p et q sont premiers entre eux. Si x est entier sur A, il existe des éléments a0 , . . . , an−1 ∈ A tels que l’on a dans K(A) : n n−1 p p p + an−1 + · · · + a1 + a0 = 0. q q q 120 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique En multipliant par q n (i.e. en utilisant la définition de la localisation dans le cas intègre) on obtient : pn + an−1 pn−1 q + · · · + a1 pq n−1 + a0 q n = 0. On en déduit que q divise pn , mais puisque p et q sont premiers entre eux cela implique que q est inversible dans A, donc x = pq est en fait un élément de A. Donc A est intégralement clos. (b) On sait que O(AnC ) = C[T1 , . . . , Tn ] et que l’anneau de polynômes C[T1 , . . . , Tn ] est factoriel (théorème de Gauss) donc, d’après la question (ia), il est intégralement clos. Donc l’espace affine AnC est normal. (ii) Etude globale de la courbe Γ. (a) Supposons que xy ∈ O(Γ). Alors il existe f ∈ O(Γ) tel que xy = f1 , donc puisque O(Γ) est intègre, on a y = f x. Par ailleurs, y 2 = x3 donc on obtient f 2 = x, ce qui est impossible dans O(Γ). Par contre, y 2 = x3 donc y 2 = x ∈ O(Γ). x (b) D’après la question (ia), le polynôme P (U ) = U 2 − x ∈ O(Γ)[U ] est unitaire et annule xy bien que xy ∈ / O(Γ), ce qui implique que O(Γ) n’est pas intégralement clos. (iii) Étude locale. (a) Le corps des fractions de S −1 A est encore K(A). En effet, puisque O ∈ / S, l’anneau S −1 A est non nul et d’après la propriété universelle de la localisation on a un morphisme d’anneaux S −1 A → K(A), puis encore par propriété universelle de la localisation on a un morphisme de corps K(S −1 A) → K(A), qui est non nul puisque S −1 A 6= 0, donc injectif. On construit le morphisme inverse par pq 7→ p/1 q/1 . Soit x ∈ K(A), supposé entier sur S −1 A. Il existe a0 , . . . , an−1 ∈ A et s0 , . . . , sn−1 ∈ S tels que l’on a dans K(A) : an−1 n−1 a1 a0 xn + x + ··· + x + = 0. sn−1 s1 s0 Posons s = s0 · · · sn−1 ∈ S. En multipliant par sn on obtient : (sx)n + a0n−1 (sx)n−1 + · · · + a01 (sx) + a00 = 0 avec a0i ∈ A, donc puisque A est intégralement clos on a sx ∈ A, donc il existe a ∈ A tel que x = as ∈ S −1 A. Cela montre que S −1 A est intégralement clos. Géométrie Algébrique 121 (b) D’après la question (iiia), si A est intégralement clos, alors toute localisation est intégralement close, et en particulier tout AM est intégralement clos. Réciproquement, soit x ∈ K(A) entier sur A. Soit I = {a ∈ A | ax ∈ A}. C’est un idéal de A. Si x ∈ / A, I est un idéal propre de A (1 ∈ / I), donc il existe un idéal maximal M contenant I. x est entier sur A, donc il est entier sur AM . Puisque AM est intégralement clos, on a donc x ∈ AM donc / M donc il existe a ∈ A et s ∈ / M tel que x = as , soit sx = a ∈ A avec s ∈ s∈ / I, ce qui contredit la définition de I. Donc x ∈ A et A est intégralement clos. Troisième partie. — (i) Soit U un ouvert non vide de X. (a) L’espace X se décompose comme réunion de deux fermés : X = (X − U ) ∪ U donc, puisque X est irréductible, soit U = X soit U = X. L’ouvert U est donc dense dans X. (b) Supposons une décomposition de U comme réunion de deux fermés de U : U = F ∪ G. Par définition de la topologie induite, il existe des fermés F 0 et G0 de X tels que F = F 0 ∩U et G = G0 ∩U , donc X = (F 0 ∪ G0 )∪ (X −U ). Puisque X est irréductible, soit U = ∅ et U est irréductible, soit F 0 ∪G0 = X et encore par irréductibilité de X cela entraı̂ne F 0 = X ou G0 = X, soit F = U ou G = U . Donc U est irréductible. (ii) Le fermé V (ϕ − ψ) ⊂ X contient l’ouvert U , donc il contient son adhérence U . D’après la question (ia) on a donc V (ϕ − ψ) = X. Donc ϕ = ψ sur X. (iii) La relation est clairement reflexive et symétrique. Montrons finalement qu’elle est transitive. Soient donc (U, ϕ), (V, ψ) et (W, χ) trois couples donnés tels que ϕ|U ∩V = ψ|U ∩V et ψ|V ∩W = χ|V ∩W . Alors ϕ|U ∩V ∩W = χ|U ∩V ∩W . On doit montrer que ϕ|U ∩W = χ|U ∩W . Or l’ouvert U ∩ V ∩ W de U ∩ W est non vide (car dense dans X d’après la question (ia) et U ∩ W est un espace topologique irréductible (question (ib)). Mais on ne peut pas appliquer directement le résultat de la question (ii) car U ∩ W n’est en général pas un ensemble algébrique affine : par exemple, A2C − {(0, 0} n’est pas affine sinon puisque O(A2C − {(0, 0}) = C[X, Y ] = O(A2C ) on aurait un isomorphisme entre 122 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique A2C − {(0, 0} et A2C . Cependant, l’argument utilisé dans la question (ia) est valable dans tout espace topologique irréductible, donc le résultat est encore vrai. Il en résulte que ϕ|U ∩W = χ|U ∩W , d’où la transitivité. (iv) Les lois pour la structure d’algèbre sont : [U, ϕ] + [V, ψ] = [U ∩ V, ϕ + ψ] [U, ϕ] · [V, ψ] = [U ∩ V, ϕ · ψ] L’élément neutre pour l’addition est [X, 0], l’élément neutre pour la multiplication est [X, 1]. Les questions précédentes montrent que ces définitions sont indépendantes des choix des représentants dans les classes d’équivalence. Soit [U, ϕ] un élément non nul de Rat(X). Pour montrer que Rat(X) est un corps, il faut montrer que [U, ϕ] est inversible. (U, ϕ) est un représentant de la classe d’équivalence et ϕ est une fonction régulière non nulle sur U . Soit V l’ouvert sur lequel ϕ est non nulle. Alors [U, ϕ] = [V, ϕ]. On voit donc que [V, 1/ϕ] est un inverse pour [V, ϕ]. Donc Rat(X) est un corps. (v) On a une application naturelle O(X) → Rat(X) définie par ϕ 7→ [X, ϕ]. Cette application est injective et, puisque Rat(X) est un corps (question (iv)) et que O(X) est intègre (X est irréductible), elle induit un morphisme injectif P de corps K(O(X)) → Rat(X) défini par Q 7→ [UQ , P/Q] où UQ est l’ouvert de X sur lequel Q est non nul. Montrons qu’elle est surjective. Soit [U, ϕ] ∈ Rat(X). Quitte à réduire l’ouvert U , on peut supposer que U est de la forme X − V (Q) pour Q ∈ O(X). Alors ϕ ∈ O(U ) et on sait que O(U ) ∼ = O(X)Q donc il existe un entier positif P k et P ∈ O(X) tels que ϕ = Qk sur U , d’où la surjectivité. (vi) D’après la question (v), Rat(AnC ) ∼ = K(O(AnC ) = C(T1 , . . . , Tn ) corps des fractions rationnelles en les indéterminées T1 , . . . , Tn . (vii) D’après la question (I-iii), f ∗ est injective donc elle induit un morphisme entre les corps de fractions, donc d’après la question (v) on a un morphisme injectif de corps f ] : Rat(Γ) → C(T ) tel que f ] X = T 2 et f ] Y = T 3 . Y Alors f ] X = T ce qui montre que f ] est surjective, donc c’est un isomorphisme. Géométrie Algébrique 123 (viii) Sur l’ouvert Γ − {(0, 0)}, la fonction g(x, y) = y/x est bien définie, est régulière (quotient de polynômes) et inverse f . Donc f induit un isomorphisme birégulier entre A1C − {0} et Γ − {(0, 0)}. Quatrième partie. — (i) I est clairement un idéal de A. Puisque B est une C-algèbre de type fini et est entier sur A, c’est un A-module de type fini. Soit b1 , . . . , bk des générateurs a0 de B comme A-module. Puisque K(B) = K(A), chaque bi peut s’écrire bi = aii avec ai , a0i ∈ A et ai 6= 0. Alors ai bi ∈ A. Posons a = a1 · · · ak 6= 0. Alors abi ∈ A pour tout i, donc aB ⊂ A, i.e. a ∈ I, donc I est non nul. (ii) Si AM est intégralement clos, alors l’inclusion de A-modules AM ,→ BM est un isomorphisme. En effet, l’injectivité est toujours vraie par localisation, et pour la surjectivité : si x ∈ BM , alors x ∈ K(B) = K(A) = K(AM ) donc x ∈ AM puisque AM est intégralement clos. Alors avec les notations / M, donc précédentes, on peut écrire bi = asii ∈ AM avec ai ∈ A et si ∈ si bi ∈ A. En posant s = s1 · · · sk on a s ∈ / M et sB ⊂ A donc s ∈ I, ce qui montre que I * M. (iii) Soit x ∈ K(A). Alors x ∈ K(B) donc x ∈ B, car B est intégralement clos. Comme I * M, il existe s ∈ I tel que s ∈ / M, et donc sx = a ∈ A et a x = s ∈ AM . Donc AM est intégralement clos. (iv) Identifiant A avec son image dans B, on a A = C[T 2 , T 3 ] ⊂ C[T ] donc x ∈ I et y ∈ I, mais 1 ∈ / I, donc I est un idéal propre de A contenant l’idéal maximal hx, yi (il est maximal car c’est le quotient de hX, Y i). Donc I = hx, yi. (v) Tout idéal maximal de A = O(Γ) est de la forme Ma pour a ∈ Γ (d’après le Nullstellensatz). Si a 6= (0, 0), alors I * Ma donc d’après la question (iv), puisque B est intégralement clos d’après la question (II-ib), AMa est intégralement clos. Puisque A n’est pas intégralement clos (question (IIiib)), d’après la question (II-iiib) l’anneau localisé AM(0,0) ne peut pas être intégralement clos. 124 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Annexe C Examen première session : 24 mai 2004 Les exercices I et II sont indépendants. I Soit C ⊂ P2C une courbe non singulière de degré n d’équation F . 1) Rappelons que si D, D0 ⊂ P2C sont deux courbes d’équation G et G0 respectivement, on note D + D0 la courbe d’équation G · G0 . Montrer que si x ∈ P2C , on a pour les multiplicités : mx (D + D0 ) = mx (D) + mx (D0 ). En déduire que F est irréductible. 2) Soit a = [0 : 1 : 0] ∈ P2C . Pour µ ∈ C, on considère l’ensemble Dµ = {[µ : t : 1] / t ∈ C} ∪ {a}. Montrer que Dµ est une droite de P2 passant par a. Est-ce que l’ensemble des Dµ pour µ ∈ C décrit toutes les droites de P2 passant par a ? 3) En écrivant F (X, Y, Z) = Ar (X, Z)Y n−r + Ar+1 (X, Z)Y n−r−1 + · · · + An (X, Z) avec Ar (X, Z) 6= 0, montrer que r = ma (C). ∂ 4) Soit Gµ (t) = F (µ, t, 1) et C 0 la courbe d’équation ∂Y F . Montrer que Gµ (t) a n − r racines distinctes si à la fois Ar (µ, 1) 6= 0 et C ∩ C 0 ∩ Dµ = {a}. Géométrie Algébrique 125 5) Déduire de 4) que pour tout, sauf un nombre fini de µ, la droite Dµ coupe C en n − r points distincts autre que a. 6) Déduire des questions précédentes, qu’il existe une droite D coupant C en n points distincts. II Soit C ⊂ P2C une cubique d’équation F . On appelle point d’inflexion un point non singulier a ∈ C tel que (C, L)a = 3 où L est la droite tangente de C en a. On admet le résultat (démontré en T.D.) qu’une cubique non singulière admet 9 points d’inflexion. 1) Soit (Cλ )λ∈C la famille des courbes d’équation Fλ (X, Y, Z) = Y 2 Z − X(X − Z)(X − λZ). Déterminer les valeurs λ pour lesquelles Cλ est singulière et déterminer les points singuliers des Cλ pour ces valeurs. Pour quelles valeurs de λ est-ce que O = [0, 1, 0] est un point d’inflexion ? On suppose dans la suite de l’exercice que C est non singulière. 2) Soit D une droite telle que (D, C) = p1 + p2 + p3 avec p1 , p2 , p3 distincts. Soit Di la tangente de C en pi et qi le point défini par (Di , C) = 2pi + qi pour i = 1, 2, 3. Montrer que q1 , q2 , q3 se trouvent sur une droite (on pourra remarquer que 2D est une conique). 3) Montrer qu’une droite passant par deux points d’inflexion de C coupe C en un troisième point d’inflexion. 4) Soit O ∈ C. Rappeler la définition, donnée en cours, de la structure de groupe abélien sur C dont O est l’élément neutre. On notera cette structure additivement dans la suite. On suppose dans la suite de l’exercice que O est un point d’inflexion. 126 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique 5) Montrer que les points d’inflexion de C forment un sous-groupe de (C, +) et montrer que ce sous-groupe est isomorphe (en tant que groupe abélien) à Z/3Z × Z/3Z. 6) Montrer que les points d’inflexion de C sont exactement les points d’ordre 3 (i.e. a + a + a = O) de (C, +). 7) Montrer que les points d’ordre 2 (i.e. a + a = O) de (C, +) sont exactement les points dont la tangente passe par O. 8) On considère à nouveau la courbe Cλ de 1). Pour les valeurs λ pour lesquelles Cλ est non singulière, et en choisissant O = [0, 1, 0], déterminer les points d’ordre 2 de (Cλ , +). 9) Montrer que le sous-groupe des points d’ordre 2 de (C, +) est isomorphe (en tant que groupe abélien) à Z/2Z × Z/2Z. Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Annexe D Examen deuxième session : 2 septembre 2004 Exercices 4.6, 5.2+5.3+5.4, 10.1, 10.5 127 128 Université de Nantes - Maı̂trise de mathématiques : Géométrie Algébrique UNIVERSITÉ DE NANTES DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES Maı̂trise : Géométrie Algébrique Références [1] M. F. Atiyah, I.G. Macdonald, Introduction to Commutative algebra. [2] W. Fulton, Algebraic Curves. [3] G.-M. Greuel, G. Pfister, A Singular introduction to commutative algebra. [4] D. Perrin, Géométrie algébrique, une introduction. Christoph Sorger & Samuel Boissière & Pierre-Emmanuel Chaput, Département de mathématiques, Université de Nantes, 2 Rue de la Houssinière, F-44322 Nantes Cedex 03 • Url : www.math.campo.univ-nantes.fr