Comptes-rendus < page N° > Forum de la famille 2011 Comptes-rendus < page N° > Forum de la famille 2011 Sommaire 1. « L’épanouissement du jeune enfant par le jeu »........ 4 « La cour d’école : entre violence et apprentissage de la vie ? »................................................................................................................. 7 2. « Les nouvelles technologies, créatrices de liens sociaux ou d’isolement ? ». ..................................................................... 10 3. 4. « La relation école / famille »......................................................... 13 Comptes-rendus < page N° > Forum de la famille 2011 Table ronde du vendredi 27 mai 2011 1. « L’épanouissement du jeune enfant par le jeu » Avec Anne Bacus, docteur en psychologie, Michèle Bonnot, puéricultrice et Gérard Neyrand, sociologue L’essentiel a Le jeu n’est pas une activité annexe mais vitale. C’est, avant le langage, l’instrument fondamental de la construction du nourrisson puis du jeune enfant. Dans le jeu, par le jeu, l’enfant explore, se forme, éveille son intelligence, ses fonctions motrices, sa sensibilité, à la fois dans la relation à son corps et à son environnement : parents, proches, animaux domestiques, objets. aLe meilleur jeu pour l’enfant est celui qui en fait le moins, et lui demandera donc d’imp liquer davantage son imaginaire et ses sens. Les parents sont là en accompagnants bienveillants plus qu’en stimulateurs permanents ou en partenaires omniprésents. La règle du Jeu Par le jeu, l’enfant grandit. Il recherche la complexité, par pulsion d’apprendre et de se perfectionner. Tous les petits mammifères jouent pour exercer leur corps, leur intelligence, la relation aux autres. « Le jeu est l’activité la plus sérieuse des enfants », écrivait Montaigne. L’enfant s’investit totalement dans le jeu sous toutes ses formes (jeu physique, intellectuel, relationnel), c’est un formidable moyen d’apprendre. Il existe différentes catégories de jeux et de jouets, qui stimulent différentes dimensions de l’enfant : la dimension affective (peluches, poupées, « doudous »), pédagogique, sociale, motrice (une balançoire, des patins), créative (par des matériaux, par le dessin). Par la manipulation d’objets, par des sauts, des courses, des jeux psychologiques relayés au travers de ses peluches et poupées, l’enfant découvre le monde extérieur. Il apprend ainsi les lois de la physique : « Si je lâche la cuillère, elle tombe ». Les lois de la psychologie : « L’adulte la ramassera d’abord patiemment avant de s’énerver ». La loi de la permanence des objets : « Ils disparaissent et réapparaissent ». La répétition dans le jeu est un stimulant, permettant de reproduire un évènement qui a marqué l’enfant : par exemple, une coupelle lâchée qui s’est mise en toupie pendant quelques instants avant de se stabiliser. Le jeu demande donc implication, effort, apprentissage. L’enfant y pose ses propres défis, de façon gratuite – en cela, le principe de jeu éducatif est une aberration puisque tout jeu constitue un moyen d’apprendre. Un enfant qui ne joue pas est soit malade, rêveur, ou sidéré devant un écran où il reçoit un imaginaire d’adulte. Le jeu est fondamental pour faire vivre les trois dimensions de l’enfant : son être biologique, psychique et social. Explorer sous le regard bienveillant des adultes Le jouet n’est pas indispensable au jeu de l’enfant. L’autre est aussi un support. On peut aussi s’inventer un copain imaginaire. Le premier jeu de l’enfant est son propre corps. Le nourrisson Comptes-rendus < page N° > Forum de la famille 2011 capture ses mains qui passent devant son visage et réalisent par la suite que ces mains lui appartiennent. Puis l’enfant joue avec le corps des parents, des proches, des animaux domestiques. La voix et le babillement servent aussi à jouer. Tout cela crée les premiers liens aux autres. Cette exploration s’accompagne d’une attention des proches, dans le respect des équilibres enfantins (repas, changes, sommeil). Ces temps de partage avec l’adulte donnent de l’assurance à l’enfant. Il faut le soutenir sans le priver de son sens de l’initiative. « Moins le jeu en fait, plus l’enfant en fera ». Changements de statut et de relation Les travaux de psychologie clinique et de psychologie du développement ont changé la perception du nourrisson par les adultes, en tant que sujet et non plus comme simple« tube digestif ». Le jeu intervient avant l’acquisition du langage. Dans le jeu, l’enfant est un acteur relationnel qui développe ses interactions avec autrui et son entourage. Le jeu est donc un élément de maîtrise du rapport à l’environnement social (apparition / disparition d’un objet ou d’une personne par exemple). Le risque serait de surstimuler les nourrissons, car trop vouloir leur faire apprendre de choses les stresserait et les renfermerait sur eux-mêmes. Les parents risquent d’être déçus et les enfants aussi, en se dévalorisant. Mieux vaut ne pas les confronter à des défis ou à des jeux qui ne sont pas de leur âge… Il faut aussi déculpabiliser les parents qui ne veulent pas jouer. Jouer est une interaction, un type d’attention porté à l’enfant, toute la vie quotidienne peut appartenir à ce registre. Si une difficulté survient pendant que l’enfant joue, la mère assure symboliquement la part de présence rassurante, de « corps à corps », tandis que le père se place de façon plus distante, comme un guide vers l’autonomie. Par le jeu, on donne à l’enfant la joie d’apprendre à apprendre. L’adulte n’a pas à intervenir dans ce qu’il fait mais signaler sa présence et son intérêt. C’est ainsi que l’on crée les conditions favorables à son développement et à son épanouissement. Aparté a L’égalitarisme et le paritarisme de notre société sont contredits par le maintien de la différentiation sexuée des jeux : aux filles les poupées, aux garçons les armes et les voitures… Biographies des intervenants Anne Bacus est docteur en psychologie et psychothérapeute. Elle a travaillé en crèche et formé des assistantes maternelles. Chargée de cours à l’université, elle est aussi l’auteur de nombreux ouvrages sur la petite enfance : Toutes les questions au psy, spécial tout-petits, Le guide des mamans débutantes ou encore Le guide de votre enfant d’un à trois ans. Elle est aussi régulièrement invitée dans l’émission « Les maternelles » sur France 5. Michèle Bonnaud est puéricultrice et formatrice à l’association spécialiste de la petite enfance Pikler Loczy. Ancienne Directrice de crèche à Gennevilliers, elle a travaillé pendant près de trente Comptes-rendus < page N° > Forum de la famille 2011 ans auprès des jeunes enfants. Michèle Bonnaud intervient régulièrement en conférences sur le thème du jouet et du jeu et a coécrit différents ouvrages : Jouets et objets à proposer de la naissance à trois ans, L’école maternelle aujourd’hui, Réflexions et témoignages, des idées pour innover. Gérard Neyrand est sociologue. Longtemps chercheur indépendant dans le cadre du laboratoire associatif CIMERSS, qu’il continue de diriger, Gérard Neyrand a développé son activité de chercheur dans le sens de l’étude des relations privées et leurs diverses formes de régulation : sociologie de la petite enfance et de la jeunesse, du couple et de la parentalité, et plus globalement des mutations familiales, ainsi que leur rapport aux politiques sociales. Pour cela il a été amené à travailler avec de nombreux organismes commanditaires de recherche, essentiellement dans le secteur public, parmi lesquels le Plan construction et habitat, la Caisse nationale des allocations familiales, la Direction de la population et des migrations, la Mission Recherche, la Fondation de France, le ministère de la Culture, l’Agence nationale de la recherche. Comptes-rendus < page N° > Forum de la famille 2011 Table ronde du vendredi 27 mai 2011 2. « La cour d’école : entre violence et apprentissage de la vie ? » Avec Julie Delalande, ethnologue, Anne Weber, pédagogue et psychologue, Françoise Cochet, présidente de l’association Apeas, Hervé Drzewinski, inspecteur de l’Education nationale. L’essentiel a La cour de récréation est un espace paradoxal. Là où l’école se place en permanence sous le signe des règles, ce temps et cet espace de pause diluent l’aspect normatif. C’est un lieu de jeux relationnels, d’écoulement de l’énergie, d’apprentissage de soi et des autres. a Il est important de créer une forme de continuité entre la classe et la récréation. L’espace autonome, vacant, de la récréation, ponctue le moment ritualisé, structuré, de la classe. a Il est fondamental que les adultes (parents, enseignants, encadrants) soient sensibilités à repérer des comportements potentiellement à risques : jeux dangereux, harcèlements, rejets, dénigrements. Et interviennent pour canaliser l’énergie et l’agressivité des enfants, afin qu’elles ne basculent pas jusqu’à la violence, qui est la rupture du pacte humain. Un lieu d’affirmation, de relation, de confrontation Trois dimensions sont à prendre en compte dans le cadre scolaire : le climat de justice, le climat éducatif, le climat de travail. Le maître, en figure d’autorité, doit apprendre à l’enfant à se construire dans le savoir, mais aussi à collaborer entre enfants. L’élève se sent alors auteur de lui-même. Dans ce contexte, la récréation est un temps de relative autonomie pour les enfants. Ils prennent en charge leurs relations et interactions. Comment les enfants font pour s’intégrer dans le groupe, quand en classe c’est le maître qui assure ce rôle ?... De plus, dans la répartition des rôles entre enfants, aucun statut n’est acquis : on peut en être rejeté, ou valorisé. A l’école, les espaces communs servent à l’apprentissage du vivre ensemble. Le cadre délivré par l’adulte en classe doit se poursuivre dans l’enceinte de l’école, du collège. Il est bon d’harmoniser les pratiques éducatives entre les différents adultes référents : le personnel de cantine, les surveillantes, les enseignants. Un temps et un espace en partie à part En récréation, l’enseignant ne fait plus la classe. Comment réguler cet espace puisque la responsabilité de l’enseignant continue malgré tout de s’exercer ? La cour de récréation est un espace particulier dans l’école. Il s’agit de le contrôler tout en le laissant suffisamment vacant pour que les élèves y créent des interactions respectueuses, comme un espace de « découverte de l’autre ». Quels jeux sont acceptables dans ces lieux ? L’école est un lieu de normes, qui se diluent en partie dans la cour. Comptes-rendus < page N° > Forum de la famille 2011 L’équilibre est délicat à trouver. Par perméabilité à la société, aux programmes télévisés, les élèves cherchent à reproduire ces jeux violents dans l’enceinte de l’école. La pratique du jeu social (marelles, billes, jeux de balle) a reculé. Une fois les quinze minutes de pause finies, il s’agit de revenir au temps normé de l’école. Ce vide permet de recommencer le travail ensuite. De retour à la maison, l’enfant doit pouvoir parler d’autres choses que de la classe et des résultats scolaires : le temps des repas, des relations, des jeux. Les adultes doivent s’intéresser à ces mondes et être prêts à changer certaines de leurs pratiques. Nouvelles perceptions de la violence Notre tolérance à la violence a changé depuis un siècle. L’adulte contemporain cherche à prévenir tout heurt ou malheur. L’exigence est nouvelle. Par ailleurs, la prise en charge collective du comportement des enfants a diminué dans l’espace public. La cour de récréation est un espace artificiel, contraint, qui témoigne de l’agressivité que porte l’humain en soi. L’agressivité n’est pas la coupure de la relation, elle témoigne de notre énergie vitale. Il ne s’agit pas de la gommer. Mais quand elle bascule vers la violence, en réduisant l’autre à un objet d’insulte, de coups ou de harcèlement, on se met en dehors des lois humaines. Le nombre de faits de violence est globalement stable même si leur nature évolue. Certains sont en augmentation : violence en groupe sur une personne, lynchage et guet-apens qui débouchent sur des plaintes pénales et des hospitalisations. Comme un déchainement de violence où les limites cessent au sein du groupe. L’autre devient alors un objet, il n’y a plus d’empathie, plus de règles. Cette violence exercée en groupe concerne aussi les filles désormais. Par ailleurs, la géographie de la difficulté scolaire recouvre la géographie de la violence en milieu scolaire. Détecter les comportements violents… Les jeux violents ou expérimentaux font partie de rites initiatiques. Par exemple, dans certaines villes, le jeu de la croix par du principe qu’un élève est marqué un matin d’une croix, le désignant comme réceptacle de la violence des autres élèves pendant toute la journée. Le lendemain la victime peut devenir bourreau. Ces règles du « jeu » sont admises par les participants. La violence doit être connue et identifiée, avec un seuil de dangerosité qu’il faut faire comprendre aux enfants, avec les risques de traumatisme crânien, d’atteintes à la colonne vertébrale. Il faut dire à l’enfant qu’il a bien fait de parler à un adulte de comportements à risques ou violents. Il faut l’assurer du soutien et de la protection des adultes, des parents, c’est la coéducation qui repose sur la parole et l’information, le partage. Sinon, le souffre douleur recueillera la douleur insupportable de ceux qui la rejettent sur les autres. Un collégien ainsi décrit comme clochard pendant deux ans par des « leaders négatifs » a fini par s’habiller de plus en plus en mal, avant de se suicider. Il avait fini par endosser le statut qu’on lui faisait porter. … et les jeux à risque Les jeux d’évanouissement par strangulation (jeu du foulard) ne sont pas suffisamment connus, malgré les circulaires de l’Éducation nationale. Ces pratiques concernent des enfants et des Comptes-rendus < page N° > Forum de la famille 2011 jeunes de la maternelle à l’université. C’est une expérience présentée comme ludique, sous la forme d’une apnée excessive, avec risque d’évanouissement et d’arrêt cardiaque. Ces jeunes ignorent les conséquences de ces pratiques. Il faut écouter, expliquer, responsabiliser. Sur les pratiques d’évanouissement, 40% de filles s’y adonnent, même si elles ne représentent que 15% des décès suite à ce jeu dangereux. Biographies des intervenants Françoise Cochet est pharmacienne et mère de trois enfants, lorsqu’en septembre 2000, elle découvre au petit matin son fils de 14 ans mort depuis la veille au soir dans sa chambre. Après enquête, il s’agirait d’un « jeu », qui consiste à rechercher un évanouissement, par strangulation partielle, un « jeu » qui aurait déjà tué, handicapé de nombreux enfants et adolescents. Une pratique inconnue des parents, confirmée les jours suivants par plusieurs témoignages. Après une première alerte aux médias, d’autres témoignages suivront et permettront de comprendre ce fléau, qui sévit depuis des dizaines d’années. L’APEAS (association de parents d’enfants accidentés par strangulation) a été créée en juin 2002, association de toutes les familles décidées à poursuivre cette action, avec l’aide de professionnels, convaincus de son utilité. Julie Delalande est ethnologue, maître de conférences au département sciences de l’éducation de l’université de Caen Basse-Normandie et chercheur au CERSE, le Centre d’études et de recherche en sciences de l’éducation à Caen. Elle mène ses réflexions anthropologiques sur l’évolution des représentations de l’enfance et sa place dans notre société. Ses terrains ethnographiques consistent à saisir le point de vue des enfants et des jeunes en enquêtant auprès d’eux par observation et entretien, et en travaillant sur la dimension sociale (constitution des groupes, des relations d’amitiés,...) et culturelle (transmission des jeux, des manières de faire...) lors de leurs relations entre pairs. Elle a publié : La récré expliquée aux parents - De la maternelle à l’école élémentaire, la vie quotidienne dans une cour d’école et La cour de récréation - Pour une anthropologie de l’enfance. Inspecteur de l’Education nationale, éducateur et enseignant spécialisé, Hervé Drzewinski a plus particulièrement travaillé auprès d’enfants et d’adolescents en grande difficulté scolaire dans le département du Val d’Oise. Conseiller pédagogique pour la scolarisation des élèves handicapés dans ce département il a participé à des groupes de travail nationaux dans le domaine de l’enseignement des mathématiques, des difficultés de lecture des élèves en grande difficulté scolaire, des questions liées à la violence en milieu scolaire. Psychologue de l’enfance et de l’adolescence, Anne Weber, après son expérience en crèche est aujourd’hui conseillère au Centre académique d’aide aux écoles et établissements (CAAEE) au rectorat de Versailles avec des missions diverses dans le champ de la prévention de la violence. A ce titre, elle participe : à la conception et à la mise en œuvre d’actions de formation initiale et continue auprès des personnels de l’éducation nationale ; à la conception « d’accompagnement sur mesure » d’équipes d’écoles et d’établissements : gestion des conflits, mise en place de dispositifs de réussite éducative, évaluation de projets, actions de prévention ; à des diagnostics éducatifs dans le 1er et dans le 2ème degré ; au suivi des personnels, victimes de violence en milieu scolaire ; à l’analyse réflexive de pratiques professionnelles. Comptes-rendus < page N° > Forum de la famille 2011 Table ronde du samedi 28 mai 2011 3.« Les nouvelles technologies, créatrices de liens sociaux ou d’isolement ? » Avec Michaël Stora, psychologue clinicien, Stéphane Hugon, sociologue, Nathan Stern, ingénieur social, Michel Bonnet, responsable du service jeux de l’association Familles de France L’essentiel a La généralisation des technologies numériques a décloisonné le cadre familial. C’est une chance pour les enfants et les adolescents d’enrichir leur réseau relationnel comme leur personnalité. a Seule une minorité des enfants a une attitude addictive face aux écrans. Sinon, la très grande majorité des garçons et des filles apprend par ce biais, et révèle une part de leur personnalité comme ils ne pourraient le faire en famille ou à l’école. a Les technologies numériques renversent la pyramide des savoirs : les enfants en sont des experts quand les parents en ignorent souvent les usages et les possibilités (trois quarts des parents environ ne savent pas ce que leurs enfants font avec Internet). a Dans le cadre familial, le numérique et les réseaux sociaux sont un autre moyen de tisser le lien, d’être entre parents et enfants plutôt que contre. Une transformation culturelle plus que technique Les activités et les usages du virtuel chez les enfants et les adolescents sont de cinq grande nature : les jeux, la sociabilité et les échanges, la création et le partage, l’information et l’apprentissage, la consommation. La question à se poser par rapport aux enfants et aux technologies numérique est de savoir ce qu’ils en font et vivent avec elles. Car à côté de nos choix lucides et rationnels, nous nous inscrivons dans un « bassin d’images » qui font sens et créent du lien avec les autres. Les objets techniques modifient nos rapports à la famille, aux collègues, aux autorités, à la nature. Ils transforment notre relation à l’environnement social, notre façon de nous présenter aux autres (sur Internet nous effectuons une mise en scène de notre personnalité) - même si Facebook est venu rompre de façon assez sauvage la créativité et la mise en scène qui existaient par les blogs (possibilité de changer son identité, son genre, de se créer un personnage). L’Internet est une caisse de résonnance, révélatrice de mutations relationnelles et de transformations dans les rapports de hiérarchie dans l’entreprise, la politique, la religion, le syndicalisme. Nous sommes passés de la loi du père, verticale, à la loi des frères (joueurs, amis, pairs) dans un lien désormais horizontal. Le fond de l’Internet n’est pas technologique mais relationnel. L’isolement de certains adolescents révélé par Internet va de pair avec un désenclavement de nouvelles relations sociales. En tant que parent, enseignant, il nous appartient d’être attentif aux nouveaux territoires de la sociabilité. Le fait que l’enfant puisse tisser des liens est un facteur de développement extraordinaire. La ligne de partage se situe entre ce qui tisse du lien ou renferme. Aujourd’hui la famille vit moins Comptes-rendus < page N° 10 > Forum de la famille 2011 en huis clos. Via Facebook, l’enfant a une possibilité d’expression différente de celle de l’école ou de la cour de récréation. Publier est une façon de se sentir exister, de mesurer son audience. Il faut être humble en regard des interfaces du savoir et de la valeur que nous leur accordons : d’un côté les écrans (téléphone, ordinateur, téléviseur), souvent vus comme appauvrissant culturellement ; de l’autre les livres, les conversations de visu, valorisés par la culture officielle. Or, l’enfant a confiance dans l’ouverture que lui accordent les outils numériques. Nouvelles sociabilités ? L’Internet est ce que nous en faisons. Il crée une configuration relationnelle qui change certaines choses, facilite « l’extime », la révélation d’éléments qui nous constituent au fond de nous, augmentant la transformation sociale. Les espaces virtuels sont plastiques, on y définit ses règles du jeu, de nouveaux liens et amitiés. Il faut s’émanciper de la culpabilité, un champ de relations libres et sincères s’invente actuellement en ligne. Le pédagogue et le parent accompagnent dans le démarrage de ces pratiques. En revanche, déjà très fragiles, les personnes en retrait total, les « sans vies », risquent de s’enfermer plus encore dans la bulle virtuelle. Par les réseaux sociaux, il est possible de créer un autre contrat social, entre par exemple Internet qui abolit la distance et le quartier dans lequel on vit (voir Peuplades.fr). Le virtuel sert le monde physique et le réel si l’on combat la peur de l’autre et de l’échange direct, si l’on promeut l’empathie. Les technologies rompent en partie le déterminisme social, affectif, relationnel que donnait autrefois le cadre familial. Les relations sont fragmentées et diversifiées. Cela redistribue les cartes et c’est une chance. Mais ceci doit rester sous la surveillance des parents, qui peuvent utiliser le numérique pour faire circuler l’information et échanger au sein de la famille. Placé dans le salon, l’ordinateur redonne un sens commun et signale une attitude « avertie » de la part des parents. En revanche, les enseignants sont souvent méconnaissant des usages du numérique par les enfants. Il serait important de créer un espace de parole sur le sujet à l’école, dans les centres de loisir, avec des adultes. Jeux en mutation, jeux de mutations Le jeu avec ses peurs et fantasmes ne date évidemment pas de l’ère des écrans. Dans le jeu il y a une socialisation et une violence réelles. Qui joue sans vouloir gagner ? Internet permet de jouer, de stopper la partie, de la reprendre à sa guise. La perception de la violence est complexe, propre à chacun selon l’âge, l’environnement, l’éducation. Il y a un plaisir enfantin à mettre en scène sa mort ou celle des autres. Le jeu vidéo reprend ces codes. Le joueur recherche une forme de loi morale, il ne peut tuer en toute impunité des innocents, car le jeu contient des règles et ne constitue pas un exécutoire absolu. Il y a quarante ans le surmoi éducatif était contraignant, mais donnait le cadre et créait le désir de transgression. Aujourd’hui paradoxalement les parents cherchent à être aimés et reconnus par leurs enfants, fragilisent leur statut symbolique en transférant un pouvoir « fou » aux enfants. Le désir de liberté et de puissance chez l’enfant est tel qu’il risque de ne plus accepter de perdre, or dans le jeu vidéo il fait l’expérience que c’est en perdant qu’il apprend à gagner. La culture du jeu vidéo est en cours de création et d’évolution, avec la généralisation du jeu en ligne, via Internet. Une de nos peurs repose sur le fossé de générations entre parents et enfants. Le fait que les adultes n’aient pas connu ce type de jeu dans leur enfance créerait en partie ce décalage. Ainsi, les filles se mettent à « shooter » des zombies, engendrant peut-être une certaine jalousie chez les mères qui ont oublié les maltraitances symboliques qu’elles infligeaient à leurs poupées… Comptes-rendus < page N° 11 > Forum de la famille 2011 Le jeu vidéo peut aussi constituer un moment d’échange et de plaisir avec ses enfants. Jouer est une preuve de bonne santé, de distance sur soi. Paradoxalement, la pratique de la manipulation des images engendre une plus grande distance à leur égard. L’essentiel de la violence et de l’insécurité se déroule dans l’espace privé, familial. La verbalisation de la violence est une manière de l’extérioriser, de l’objectiver. Faire circuler sa représentation est une façon de lui donner une place, de l’expurger de notre tréfonds et donc de s’en préserver en s’en détachant. Autrefois, la violence était bien plus exercée, mais sous couvert du secret familial. Aparté Un tiers des élèves de CM1 a déjà créé sa propre page Facebook. En quatrième, 90 % des adolescents disposent de leur page. Ne pas être présent en ligne pourrait être une façon de se couper de ces liens potentiels. La relation via Facebook et la classe est complémentaire. On n’échange pas les mêmes choses et de la même façon. Lorsque les enfants arrivent à une utilisation de plus de trente heures par semaine, il y a dépassement et rupture du lien social, même si c’est minoritaire. L’important est que l’enfant maîtrise ce qu’il veut faire et dire dans ce monde virtuel. Cela fait partie de l’éducation, de la part des parents et des pédagogues. a Biographies Expert pour Familles de France sur les questions touchant aux médias, aux jeux, aux technologies d’information et communication, et leurs liens avec éducation et adolescence, Michel Bonnet représente cette association auprès du CSA. Il représente également Familles de France au CIEME, collectif inter associatif enfance et média. Michel Bonnet est membre des commissions nationales « copie privée » et « homologation des signalétiques des jeux vidéo », membre de la commission jeu responsable de l’AFNOR. Il est rédacteur en chef du magazine Familles de France. Stéphane Hugon est sociologue et enseignant chercheur à l’Université Ceaq-Sorbonne et à l’ENSADParis. Il dirige également Eranos, une société d’études qualitatives spécialisée dans les imaginaires sociaux contemporains. Sa méthode est empruntée à la tradition de la sociologie de l’imaginaire (M. Maffesoli, G. Durand). Il est membre de l’équipe de recherche de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs sur les questions d’identité numérique. Il est l’auteur de Circumnavigation, l’imaginaire du voyage dans l’expérience Internet aux éditions du CNRS. Ingénieur social et fondateur du site peuplade.fr, Nathan Stern est le fondateur de l’agence « Les ingénieurs sociaux » qui s’efforce de réinventer les formes de vie sociale. Concepteur de réseaux sociaux solidaires, il a notamment créé Peuplade, le premier site de quartier (225 000 membres sur trois villes). Avant de se consacrer à la solidarité par le Web, Nathan Stern a été directeur d’études qualitatives dans un cabinet d’études spécialisé dans le non-verbal et le comportemental, après des études de philosophie et de psychologie sociale. Il a publié La fiction psychanalytique aux éditions Mardaga. Psychologue et psychanalyste, Michaël Stora travaille comme clinicien pour enfants et adolescents au CMP de Pantin, où il a créé un atelier jeu vidéo. Il réfléchit depuis plusieurs années sur l’impact des jeux vidéo sur les enfants souffrant de troubles psychiques mais aussi sur le lien interactif de l’humain à l’ordinateur et de ses conséquences sur les processus mentaux. Il a créé l’Observatoire des mondes numériques sciences humaines (OMNSH) et est l’auteur de Guérir par le virtuel, aux Presses de la Renaissance, et de Les écrans ça rend accro… (Hachette Littératures). Comptes-rendus < page N° 12 > Forum de la famille 2011 Table ronde du samedi 28 mai 2011 4. « La relation école / famille » Avec Michel Fize, sociologue et chercheur au CNRS, Patrice Huerre, pédopsychiatre et psychanalyste, Didier Lescaudron, conseiller au rectorat de Versailles, Toumadir Husser, présidente de la PEEP de Sartrouville, Natalia Fernandes, membre de la FCPE de Sartrouville L’essentiel a Jusque dans les années 1960 existait une alliance objective des enseignants et des parents pour exercer une autorité partagée sur des enfants qui n’avaient pas voix au chapitre. a Le risque aujourd’hui est de tomber dans l’excès inverse, l’adulte attendant la validation par l’enfant de la justesse de son comportement et de l’éducation délivrée. L’enfant est ainsi « livré » à lui-même. Tout se joue sur le mode du consensus et de la négociation – des parents allant jusqu’à demander à l’enseignement de réévaluer les mauvaises notes attribuées à leurs enfants. a Autre travers : la relation entre l’école et la famille se joue trop souvent sur un mode négatif (convocation des parents en cas de problèmes de notes et/ou de comportements de leur enfant). a L’enjeu de la collaboration est d’autant plus fort pour des parents éloignés voire étrangers au système éducatif, qui n’en connaissent pas les codes et ne peuvent soutenir leurs enfants au plan scolaire. a Le rapprochement entre école et familles passerait par une coéducation, voire une co-formation, par un dialogue également sur les attentes respectives des enseignants, des élèves, des parents. Renversement de perspectives Longtemps a existé une séparation des institutions que sont la famille et l’école. La première déléguait à la seconde l’exercice de l’instruction publique, rendue obligatoire à la fin du dixneuvième siècle. Depuis vingt ans s’est mise en place la notion de communauté éducative (qui englobe donc les parents), à la place de communauté scolaire. La question est celle de la collaboration entres familles et écoles, pour quelles finalités ? Mais faire entrer les familles dans l’école est difficile s’il existe un grand écart social, un « éloignement » des parents à la structure éducative. L’intervention des parents est sollicitée par l’école lorsqu’il y a problèmes de résultats et/ou de comportements. L’angoisse est ce qui se transmet le mieux actuellement. Jusqu’à présent l’enfant attendait des signes de bon comportement de la part des adultes, désormais ceux-ci attendent des élèves d’être rassurés sur leur rôle d’éducateur. « Dis-moi ce que tu veux, je ferai ce que je peux pour te satisfaire ». C’est une bonne intention contre-productive, qui crée de la frustration car il n’y a de libertés qu’en présence de règles. Dire non signifie que je me soucie de toi. Ne rien dire, ne rien faire, ne jamais frustrer, signifie que je ne me soucie pas de toi. L’adulte a le Comptes-rendus < page N° 13 > Forum de la famille 2011 devoir de stopper l’enfant quand son avenir est en jeu. « Les enfants nous cherchent. Mais nous trouvent-ils en tant qu’adultes ? ». Les signaux d’alerte privilégiés sont les comportements négatifs, les mauvaises notes. Les adultes sont rarement aux signes positifs, la bienveillance, la progression des résultats. Quelles finalités pour quels projets ? Il existe des malentendus multiples et permanents entre l’enfant qui va à l’école, les parents qui l’y envoient et les enseignants qui l’y reçoivent. Nous sommes dans une période de parents trop bien intentionnés, avec des attentes très fortes, en décalage par rapport à l’école. Par leurs trop bonnes intentions, certains parents surstimulent leurs enfants pour gagner la bataille des compétences et de la concurrence. Ils les préparent aux étapes suivantes sans prendre le temps de les laisser se construire, créant un effet de surexcitation permanente. Les enfants vont aller chercher à l’extérieur ces stimulants - les adolescents dans la prise de risque notamment. Au risque qu’il n’y ait plus de plaisir à jouer avec les connaissances ni à en acquérir de nouvelles. Par bonnes intentions également, les enfants sont attentifs à ce qu’attendent leurs parents, à leurs sentiments face à l’école. Le point de vue parental continue de primer même si l’adolescent le masque. Si le parent est accueilli dans des lieux qu’il connaît peu ou n’a pas connu (le lycée par exemple), l’enfant se sentira bien accueilli lui aussi. Au final, les parents nourrissent des inquiétudes sur l’avenir de l’enfant et les enseignants sur celui de leur métier. L’énergie déployée est parfois plus au service de la réduction de l’inquiétude que du projet éducatif. La conjugaison des efforts Dans les familles en difficulté, le travail se fait à la fois sur les parents et les enfants, à la jonction du médical, du social, de l’éducatif, voire du judiciaire. En tant qu’enseignant, éducateur ou adulte, prendre soin des générations montantes est essentiel quand 120 000 à 150 000 jeunes sortent du système éducatif chaque année avec à peine un niveau de cinquième (soit un jeune sur six). C’est un frein pour leur autonomie. Pour éviter cet échec il serait intéressant de renforcer les relations entre les familles et l’Éducation nationale. Quand les parents évoluent dans leur représentation de leurs enfants, cela améliore le comportement de ceux-ci et par ricochet leurs résultats scolaires. Il existe des « parents impliqués et critiques », qui connaissent les codes de l’école, et savent aider leurs enfants, choisir les bonnes filières, la bonne carte scolaire, leur font donner des cours particuliers, dialoguent avec les enseignants. Il existe des « parents impliqués coopérants », parents enseignants qui connaissent le système scolaire. Il existe enfin les « parents éloignés voire étrangers à l’école ». Les enfants qui quittent le système sans maîtriser l’écriture et la lecture proviennent pour l’essentiel de cette catégorie de parents défavorisés. Comment entrer en relation avec eux pour éviter cet échec ? Pour instaurer un dialogue, éviter les malentendus et les incompréhensions, prévenir la violence. Des décalages apparaissent entre l’attente d’enseignants et de parents défavorisés. Les premiers considèrent comme bons élèves des enfants qui participent quand les seconds attendent plutôt de la discipline et de la discrétion. Comment former les enseignants à comprendre ces situations ? Attentes et relations divergentes Les parents ne sont pas invités à l’école, seulement convoqués pour des problèmes de comportements ou de notes. L’enseignant ne donne pas suffisamment d’informations sur son attente Comptes-rendus < page N° 14 > Forum de la famille 2011 envers les parents pour accompagner l’enseignement délivré. Les parents ne sont pas autorisés à entrer dans le terrain éducatif. La relation ne se vit pas sur un mode équilibré. Est-on arrivé à un niveau d’attente minimal ? Faire le programme pour les enseignants ; avoir le diplôme pour les élèves et les parents. Il n’y a pas forcément un désir de comprendre et de connaître le système éducatif : les bons élèves et leurs parents ne se posent pas la question, les élèves en difficulté le perçoivent comme opaque, complexe, loin de leurs repères. Le comportement des élèves et des parents est parfois jugé à la hâte, alors qu’ils sont motivés par la curiosité ou l’angoisse. On oublie l’individu derrière le comportement et la note, par manque de reconnaissance de la personnalité. Or l’enfant se demande toujours : est-ce que je compte pour l’autre (l’enseignant, le parent), est-ce qu’à ses yeux je suis capable de progresser ? La question posée est celle de la relation et de sa valeur. La dynamique de construction est lente, là où la destruction est évidente, efficace. L’institution agit toujours dans la posture d’aider les parents, au lieu de réfléchir avec eux à améliorer certaines choses. Il faut passer du temps à comprendre le comportement de l’enfant, du parent, avant d’apporter une réponse unique et stéréotypée destinée à rassurer l’éducateur. Plutôt qu’une égalité, il pourrait y avoir une coopération entre enseignants et parents, car il y a une asymétrie dans leur niveau de connaissance de l’école. Il peut être pertinent de faire intervenir un médiateur en cas de blocages, quand existe une situation de souffrance partagée et des incompréhensions respectives de la part de l’enseignant, de l’enfant, et/ou du parent. Biographies Natalia Fernandes est membre de la FCPE de Sartrouville depuis 2002 et actuellement parent d’élève au Lycée Evariste Galois. Sociologue, Michel Fize est chercheur au CNRS depuis plus de 25 ans. Il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes des questions concernant la famille et la jeunesse, sujets sur lesquels il est régulièrement consulté par les instances politiques. Il est l’auteur de nombreux ouvrages : Le peuple adolescent, Les pièges de la mixité scolaire, Les bandes, Adolescence en crise ? Vers le droit à la reconnaissance sociale, La démocratie familiale : évolution des relations parentsadolescents, À mort la famille ! Plaidoyer pour l’enfant, Ne m’appelez plus jamais crise ! Parler de l’adolescence autrement, Les pièges de la mixité scolaire, » Les interdits fondements de la liberté, Le bonheur d’être adolescent… Pédopsychiatre et psychanalyste, Patrice Huerre est spécialiste des adolescents, coordinateur du projet de Maison des adolescents des Hauts-de-Seine. Il est auteur ou co-auteur de nombreux ouvrages : Faut-il plaindre les bons élèves, La prépa sans stress, Pères solos, pères singuliers, Place au jeu ! Jouer pour apprendre à vivre, Je m’en fiche, j’irai quand même, Ni anges, ni sauvages, les jeunes et la violence, Arrête de me parler sur ce ton ! Comment réagir, L’adolescence n’existe pas, histoire des tribulations d’un artifice, L’adolescence en héritage, d’une génération à l’autre… Toumadir Husser est présidente de la PEEP de Sartrouville. Didier Lescaudron a été enseignant coordinateur scolaire dans un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique. En 2008, il a rejoint le Centre académique d’aide aux écoles et établissements du rectorat de Versailles. Au sein d’une équipe pluridisciplinaire, ses missions concernent la mise en œuvre de la prévention des violences en milieu scolaire et l’aide à la compréhension et au traitement des dérangements du vivre ensemble. Il s’intéresse plus particulièrement aux relations entre les parents et les personnels de l’Éducation nationale, dont les représentations et les caractéristiques sont diverses. Comptes-rendus < page N° 15 > Forum de la famille 2011 Comptes-rendus < page N° 16 > Forum de la famille 2011