Dans la tradition alexandrine, l’interprétation du récit biblique
rapportant les épisodes de la vie de Moïse donne lieu, chez Philon
puis chez Grégoire de Nysse, après une paraphrase9du récit qui veut
honorer le sens « historique », la réalité de l’événement, à une inter-
prétation allégorique morale et spirituelle. Le caractère concret,
« incarné » ou charnel, du texte narratif est transposé en une représen-
tation de la vie morale et spirituelle. Lorsque Moïse transforme avec
son bâton l’eau amère en eau de source (Ex 15,25), Grégoire de
Nysse10 commente :
Le sens littéral correspond bien aux réalités […] Mais si le bois est jeté
dans l’eau, c’est-à-dire si l’on adhère au mystère de la résurrection qui
a eu son principe dans le bois – par bois tu as compris évidemment la
croix –, alors la vie vertueuse devient plus douce et plus rafraîchissante
que toute douceur dont le plaisir flatte les sens…
On reconnaît dans ce passage les figures du mystère du Christ éla-
borées par la prédication chrétienne dès ses débuts ; la lecture de
l’Ancien Testament relève alors de l’évidence. La locution toutesti
peut alors servir à marquer l’équivalence entre Ancien et Nouveau
Testament : ainsi à propos de l’expression paulinienne « Revêtez le
Seigneur Jésus » (Rom 13,14) – « c’est-à-dire l’armure résistante,
mais non pesante, dont la protection efficace a permis à Moïse de
rendre inefficace l’Archer mauvais » (Vie de Moïse, II, 162).
On trouve dans les Questions à Thalassios de Maxime le Confes-
seur un usage beaucoup plus large de toutesti, et Maxime procède
ainsi à une « traduction » systématique du texte biblique. La Ques-
tion 47 porte sur l’interprétation des versets : « Une voix crie dans le
désert : aplanissez les sentiers du Seigneur… » (Luc 3,4-6). Sur le
registre de l’évidence déjà évoquée précédemment, Maxime propose
d’emblée une grille de lecture de chacun des termes : « La voix qui
crie », c’est le Dieu Logos ; « le désert, bien sûr, c’est la nature des
hommes et ce monde », et « la montagne », c’est « toute puissance
hautaine qui se dresse contre la connaissance de Dieu ». Ici encore
joue le parallélisme entre l’expression d’Isaïe et l’affirmation abstraite
de Paul. Ainsi se prépare l’explication anagogique attendue : « les che-
mins tortueux sont donc aplanis lorsque l’intellect, après avoir libéré
les passions des membres du corps […] leur apprend à se mouvoir en
se conformant au logos simple de la nature11 ». Dans le Prologue aux
9. Que l’on parle de « paraphrase » ou de « métaphrase », ces termes n’ont rien
de péjoratif dans la rhétorique classique et désignent un genre littéraire, appris à titre
d’exercice dans les écoles de rhétorique.
10. GRÉGOIRE DE NYSSE, Vie de Moïse, II, 132.
11. Question 47, CCSG, vol. 7, texte grec édité par C. LAGA, Turnhout, 1982.
FRANÇOISE VINEL164