ROLE DU LABORATOIRE DANS LA PREVENTION DU RISQUE INFECTIEUX Infection TALON D, Besançon Juillet 2009 Objectif Le laboratoire de microbiologie a pour mission principale l’analyse des prélèvements issus de patients à des fins diagnostiques, principalement étiologique. D’une part l’ensemble de la base de données de ce laboratoire peut permettre la surveillance des infections nosocomiales, l’une des pierres angulaires de la prévention et d’autre part le laboratoire de microbiologie peut développer des activités d’analyses complémentaires pour la maîtrise du risque infectieux dans l’établissement de santé. Les objectifs majeurs de la surveillance à partir du laboratoire sont au nombre de cinq : - Détection des épidémies - Surveillance des bactéries endémiques, multirésistantes aux antibiotiques - Suivi de l’écologie bactérienne et de l’évolution de la résistance aux antibiotiques - Identification d’évènements rares ou émergents - Surveillance ciblée de certaines infections Les activités d’analyses complémentaires peuvent concerner - l’environnement inerte, les équipements et les fluides - les prélèvements à visée épidémiologique (dits de dépistage) - les prélèvements réalisés à l’occasion de l’investigation d’une épidémie - les prélèvements réalisés à des fins pédagogiques Techniques et méthodes I- Surveillance La mise en place d’une surveillance à partir du laboratoire de microbiologie nécessite: - de disposer d’un système informatisé conservant l’ensemble des données microbiologiques sur une longue période et permettant une extraction sélective des données, - de disposer des données administratives (date d’admission dans l’établissement, différents séjours par service) afin de déterminer, par une échelle chronologique, le caractère nosocomial ou communautaire de la colonisation/infection. Classiquement un délai de 48 heures entre l’admission et la survenue de l’infection est retenu comme valeur seuil pour distinguer les infections nosocomiales des infections communautaires, - de dédoublonner les prélèvements suivant des critères à paramétrer. Les différents indicateurs requis sont 1) le nombre de patients colonisés/infectés par une espèce/phénotype donné ou sur un site anatomique donné, 2) le nombre de colonisations/infections en ne considérant qu’une espèce par site et par patient. La prise en compte de l’intégralité des données de l’antibiogramme dans le processus complique le dédoublonnage sans apporter d’informations complémentaires directement utilisables. Il est préférable de définir préalablement les phénotypes à intégrer dans la surveillance sur la base de l’antibiogramme interprétatif. Les choix en terme de dédoublonnage conditionnent l’interprétation des résultats et doivent être précisés dans l’expression des résultats, - d’analyser les données selon une périodicité définie, afin de ne pas masquer des variations pouvant suggérer une épidémie. Les périodicités hebdomadaire mais surtout mensuelle sont les plus pertinentes pour un suivi de l’évolution temporelle. Les faiblesses de la surveillance à partir du laboratoire de microbiologie sont identifiées : - la première tend à sous-évaluer les infections nosocomiales par une absence de détection des infections qui ne font pas l’objet de prélèvements à visée diagnostique et des infections donnant des cultures négatives (bactéries à croissance difficile, bactéries non revivifiables et/ou interférence d’un traitement antibiotique), - la seconde tend à surestimer les infections nosocomiales du fait, en l’absence de recueil de données cliniques, d’une confusion possible entre une simple colonisation et une véritable infection. Ainsi, les données du laboratoire de microbiologie sont insuffisantes à elles seules pour une surveillance efficace des infections nosocomiales. La confrontation de ces données à des renseignements cliniques même limités et/ou à des données issues d’autres systèmes d’information (pharmacie centrale et traitements antibiotiques des patients) améliore les performances du dispositif de surveillance. L’utilisation des données du laboratoire de microbiologie permet de réaliser un premier tri des dossiers méritant une analyse. Elle améliore l’efficacité d’un système de surveillance en orientant le recueil clinique sur des dossiers pré-selectionnés. Détection des épidémies Il est facile pour le biologiste sans dispositif particulier d’analyse des bases de données de détecter l’apparition d’un phénotype inhabituel de résistance - comme la résistance aux glycopeptides de souches de Staphylococcus aureus résistant à la méticilline ou comme une augmentation importante d’isolement d’Aspergillus fumigatus à partir de prélèvements pulmonaires réalisés chez les patients d’un service d’Hématologie. Mais les épidémies ne sont pas toutes de type cataclysmique et certaines peuvent apparaître sur un mode torpide. Ainsi certaines épidémies clonales d’infections à Pseudomonas aeruginosa en réanimation peuvent ne pas entraîner une augmentation très significative de l’incidence globale de ce type d’infections. Il est donc important de définir des seuils correspondant à des fréquences d’isolement ‘habituelles’ et de comparer en continu à partir des bases de données informatisées les fréquences observées aux fréquences attendues. Surveillance des bactéries multirésistantes aux antibiotiques endémiques (BMR) La surveillance des BMR repose sur les données bactériologiques des prélèvements à visée diagnostique. Elle peut être élargie par la réalisation de prélèvements de dépistage dans les services à risque. Les BMR les plus fréquemment recherchées sont les Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) et les entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre étendu (EBLSE). Cette surveillance peut s’exercer au quotidien. L’information quotidienne de l’équipe opérationnelle d’Hygiène Hospitalière (EOHH) de la présence de patients porteurs/colonisés et/ou infectés par ces bactéries, permet à cette équipe de rappeler aux équipes soignantes les mesures à appliquer pour réduire le risque de transmission croisée. Le laboratoire peut indiquer de façon systématique et particulièrement visible sur le compte-rendu d’analyse la présence de BMR chez le patient, indication potentiellement associée au rappel des mesures de prévention de la transmission croisée. Cette surveillance permet également d’établir des courbes de tendance par rapport à l’évolution du risque infectieux lié à ces BMR dans l’établissement à travers un point mensuel ou trimestriel, voire annuel. Suivi de l’écologie bactérienne et de l’évolution de la résistance aux antibiotiques La connaissance de l’écologie bactérienne et/ou fungique d’un établissement et/ou d’un service est indispensable pour surveiller l’évolution des phénotypes de résistance installés. Ce suivi doit faire l’objet d’un retour d’information aux cliniciens afin d’encourager un usage rationnel des antibiotiques. La confrontation des données de résistance et des données de consommation des antibiotiques est maintenant une activité de routine dans de nombreux établissements de santé. Cette confrontation permet d’orienter les choix de traitement de première intention et d’évaluer l’impact de ceux-ci sur la flore de l’établissement et/ou du service. Identification d’évènements rares ou émergents L’apparition de nouveaux phénotypes de résistance aux antibiotiques au sein d’une espèce bactérienne, de cas groupés ou non d’infections à localisation particulière (méningites, infections ostéo-articulaires) doit faire l’objet d’un signalement auprès de l’EOHH dans le cadre d’un dispositif de signalement interne. L’EOHH pourra alors conduire les investigations nécessaires à l’identification du caractère nosocomial ou non de l’infection et décider de réaliser un signalement externe si cela lui semble pertinent. Surveillance ciblée de certaines infections Dans le cadre de la surveillance de certaines infections, le laboratoire de microbiologie permet l’inclusion systématique en temps réel des patients. Par exemple, dans le cadre d’une surveillance des bactériémies, le laboratoire peut indiquer quotidiennement à l’EOHH le nom et la localisation des patients présentant une hémoculture positive. II- Activités d’analyses complémentaires 1) L’environnement inerte, les équipements et les fluides. L’infection acquise en établissement de santé représente la réalisation d’un risque. La surveillance exercée à travers la base de données concernant les prélèvements à visée diagnostique informe sur le résultat d’un processus global de prise en charge, constat a posteriori en vue d’un objectif correctif. Le laboratoire de microbiologie doit aider l’EOHH à ouvrir la « boîte noire » pour mieux comprendre et contrôler les différents processus dans le cadre d’une stratégie préventive. C’est en vue de cet objectif que la réalisation de prélèvements à visée microbiologique dans l’environnement inerte (au bloc opératoire par exemple), les équipements médicaux (endoscopes) et les fluides (air au bloc opératoire, eau chaude sanitaire, …) est indispensable. Ces prélèvements doivent faire l’objet d’un plan d’échantillonnage défini de manière consensuelle entre l’EOHH et le laboratoire de microbiologie. Des procédures définissant clairement les méthodes de prélèvements et l’interprétation qui sera faite des résultats doivent êtres écrites, l’EOHH définissant parallèlement les actions qu’elle aura à mener au vu de ces résultats. Ces types de prélèvements (fréquence des contrôles, interprétation des résultats, actions correctives) font souvent l’objet soit d’obligations réglementaires soit de recommandations fortes par voie de circulaire ou de la part de sociétés savantes. 2) Les prélèvements réalisés à l’occasion de l’investigation d’une épidémie. Une augmentation significative du nombre de cas d’infections et/ou de colonisations liés à une même espèce bactérienne dans un service ou un établissement peut être lié à la diffusion d’une même souche bactérienne ; il s’agit alors d’une épidémie. La confirmation de l’identité clonale des souches passe par le typage moléculaire pour lequel le laboratoire de microbiologie doit être disponible. Celui-ci doit, soit pouvoir assurer ce typage, soit avoir à disposition un laboratoire de référence. Ce risque de diffusion épidémique de souches bactériennes, parasitaires ou virales, doit conduire tout laboratoire de microbiologie à mettre en place une procédure de conservation des isolats provenant de prélèvements cliniques pendant une période donnée (à définir en partenariat avec l’EOHH), ceci étant souvent réalisé pour des souches bactériennes multirésistantes aux antibiotiques mais plus rarement pour les autres. Une fois la confirmation du caractère clonale des souches obtenue, le laboratoire devra analyser différents prélèvements comme les prélèvements d’environnement (air, eau, surfaces) ou d’équipements médicaux mais aussi tout prélèvement pouvant concerner du matériel, des consommables, susceptibles d’être vecteurs et/ou réservoirs à l’origine de cette dissémination clonale. 3) Les prélèvements à visée épidémiologique (dits de dépistage) Ceux-ci ont leur place dans de nombreux établissements notamment dans le cadre de la prévention des infections à bactéries multirésistantes (BMR). C’est au CLIN de définir au sein de chaque établissement la stratégie de dépistage sur la base de la connaissance de l’épidémiologie de ces BMR. Pour mieux connaître cette épidémiologie et son évolution, il peut être parfois utile de pratiquer des campagnes ponctuelles de dépistage pour mieux définir cette épidémiologie. Là encore, la confrontation des besoins de l’EOHH et des contraintes du laboratoire de microbiologie est nécessaire pour mettre en place une stratégie de dépistage adaptée à chaque établissement. 4) Les prélèvements réalisés à des fins pédagogiques Un bon exemple est représenté par l’empreinte de mains du soignant avant et après hygiène des mains (lavage simple ou désinfection hydro-alcoolique). Ce genre de campagne de sensibilisation mobilise l’EOHH mais aussi le Laboratoire de microbiologie (mise à disposition de l’EOHH de boites de pétri, incubation, lecture et interprétation des boites après empreintes). Ce type de prélèvements à visée pédagogique peut concerner d'autres domaines (bionettoyage au bloc opératoire par exemple). Pour en savoir plus Circulaire DHOS\E2-DGS\SD5C N°21 du 22 janvier 2004 relative au signalement des infections nosocomiales et à l’information des patients dans les établissements de santé. 28 pages. (NosoBase n°12677) Circulaire DGS/SD7A/SD5C/DHOS/E4 N° 2002/243 du 22 avril 2002 relative à la prévention du risque lié aux légionelles dans les établissements de santé. 35 pages. (NosoBase n°10637) SFHH. Prévention de la transmission croisée. 2009, 57 pages. (NosoBase n°24184) Bertrand X, Talon D. Surveillance des infections nosocomiales : rôle du laboratoire. In : Maîtrise des infections nosocomiales de A à Z. Rillieux-Crépieux : HEALTH&CO ed, 2004, p. 690-692 CTIN. Surveillance microbiologique de l'environnement dans les établissements de santé. Air, eaux et surfaces. 2002, pages (NosoBase n°10974). Comité Technique National des Infections Nosocomiales (CTIN). 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales. 1999, 121 pages. (NosoBase n°6075)