Les Cahiers - Théâtre Denise

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Les Cahiers
Sai s o n
Numéro 91
Printemps 2014
COMMEDIA
DU 12 mars
au 9 avril 2014
DE
Pierre Yves Lemieux
Inspirée de la vie
et de l’œuvre de
Goldoni
MISE EN SCÈNE DE
Luce Pelletier
UNE PRODUCTION
DU Théâtre de l’Opsis
EN PARTENARIAT AVEC LE
Théâtre Denise-Pelletier
ALBUM
DE FINISSANTS
LE DERNIER JOUR
D’UN CONDAMNÉ
LES ZURBAINS 2014
Du 12 au
22 mars 2014
Du 26 mars
au 12 avril 2014
Du 6 au
16 mai 2014
De Mathieu Arsenault
Adaptation et mise en
scène d’Anne Sophie
Rouleau assistée de
Michelle Parent
De Victor Hugo
Adaptation et mise en
scène d’Éric J. St-Jean
Mise en scène de
Monique Gosselin
Une coproduction de
Pirata Théâtre et de
Matériaux Composites,
en codiffusion avec le
Théâtre Denise-Pelletier
Une production de Bruit
Public en codiffusion
avec le Théâtre DenisePelletier
Une production du
Théâtre Le Clou en
collaboration avec le
Théâtre Denise-Pelletier
et le Théâtre jeunesse
Les Gros Becs à Québec
Découvrez la richesse et l’excellence
d’un théâtre qui depuis 50 ans a su marquer
l’imaginaire de millions de jeunes et moins jeunes.
Joignez-nous sur
et branchez-vous au
www.denise-pelletier.qc.ca pour tout savoir. Nouvelles,
capsules vidéo, photos, articles et beaucoup plus !
Photo : Frédéric Saia
Consultez les encarts historiques inclus dans
chaque Cahier de la saison 2013-2014.
Mot du directeur artistique
© Robert Etcheverry
Avoir à cœur la parole de nos auteurs
Nous terminons cette 50e saison par une création,
Commedia, de Pierre Yves Lemieux. Cette production
marque la fin du Cycle italien du Théâtre de l’Opsis
et je tenais absolument à y associer le Théâtre
Denise-Pelletier, car la pièce est inspirée de la
vie et de l’œuvre de Carlo Goldoni, un auteur très
présent dans l’histoire de notre compagnie et ce,
dès les premières saisons.
Notre dramaturgie est encore très jeune. Même si
des pièces ont été écrites ici avant le XXe siècle,
on situe généralement la naissance du théâtre
québécois en 1948 avec Tit-Coq de Gratien Gélinas.
Et si le mandat du Théâtre Denise-Pelletier a
toujours été de faire connaître les grands textes
du répertoire occidental à la jeunesse québécoise,
Gilles Pelletier a compris, dès 1969, que nous
devions ouvrir notre programmation à nos auteurs
afin de bâtir, nous aussi, notre propre répertoire.
Ainsi, au fil des inspirantes dernières années,
le public de notre théâtre a pu découvrir les
Gélinas, Dubé, Tremblay, Sauvageau, Barbeau,
Laberge, Dussault, Dubois, Dalpé, Garneau, etc.
Ces auteurs, d’autres encore, ont trouvé leur place
aux côtés des Molière, Shakespeare, Goldoni et
autres grands dramaturges d’ailleurs et d’hier. Et
nous devons ajouter, pour un bilan plus complet,
les Chaurette, Bienvenu, Bourget, Lévy-Beaulieu,
Legault, Beausoleil et autres à qui nous avons confié
l’écriture de traductions et d’adaptations, dont
Pierre Yves Lemieux qui fait œuvre de création,
de traduction et d’adaptation.
d’un texte d’un auteur d’ici qui, par le biais d’un
auteur d’hier, nous invite à mieux comprendre
le travail de l’auteur dramatique. Le Théâtre
Denise-Pelletier lève bien haut son chapeau à
ces auteurs qui éveillent l’imaginaire et nous aident
à comprendre le monde dans lequel nous vivons.
Pour ne pas être en reste, la Salle Fred-Barry
se met au diapason avec Album de finissants,
adaptation théâtrale du récit de Mathieu Arsenault,
un projet de médiation culturelle qui a réuni les
énergies de jeunes professionnels et des élèves
de cinq écoles secondaires. Je lève mon chapeau
à leurs enseignants et j’en profite pour célébrer
toutes celles et tous ceux qui, année après année,
entraînent leurs étudiants chez nous.
L’adaptation par Éric J. St-Jean du texte de Victor
Hugo portant sur la peine de mort, Le Dernier Jour
d’un condamné, suivra dans une production de Bruit
Public. Finalement, place aux jeunes auteurs du
milieu scolaire avec l’édition 2014 des Zurbains.
Rappelons que le Théâtre Denise-Pelletier a initié
ce projet avec le créateur des Contes urbains, Yvan
Bienvenu et sa compagnie Urbi et Orbi, et que le
Théâtre Le Clou a pris le relais à compter de la
deuxième édition pour ainsi permettre la création
de plus d’une soixantaine de contes écrits par les
élèves au cours des dix-sept dernières années.
La parole d’ici est au cœur de cette fin de saison,
et elle le mérite bien !
Bons spectacles et à la saison prochaine !
Cette 50e saison s’est ouverte avec un de nos
premiers textes, Zone, point d’ancrage de l’univers
de Marcel Dubé, et elle se termine par la création
Pierre Rousseau
commedia / page 1
ÉQUIPE DE RÉDACTION
Hélène Beauchamp s’intéresse à l’évolution du
théâtre professionnel au Québec et au Canada
français au XX e et au XXI e siècle. Auteure
d’ouvrages sur l’histoire de ces théâtres, sur
le théâtre jeune public et sur les pratiques en
éducation artistique, elle a reçu le Prix de carrière
de l’Association canadienne de la recherche
théâtrale (2009). Elle a enseigné à l’Université
d’Ottawa puis à l’École supérieure de théâtre de
l’Université du Québec à Montréal qui lui a conféré
le statut de professeure émérite. Elle a récemment
contribué à Architectures du spectacle au Québec
sous la direction de l’architecte Jacques Plante
(Les Publications du Québec, 2011) et à L’Absolu…
un jour…Hommage à Françoise Loranger, sous la
direction de Brigitte Purkhardt (2013). À l’Université
d’Ottawa, elle est chercheure associée au projet
« Parcours de formation en écriture dramatique
dans le contexte de la minorité linguistique
francophone » (CRSH) ainsi qu’aux travaux du
« Chantier Ottawa : Construction d’une mémoire
française à Ottawa » projet interdisciplinaire
(CRSH). Elle coordonne la rédaction des Cahiers
du Théâtre Denise-Pelletier depuis 2010.
Catherine Cyr est titulaire d’un doctorat en
Études et pratiques des arts de l’UQÀM. Sa
thèse porte sur les imaginaires du féminin chez
l’auteure québécoise Dominick ParenteauLebeuf. En plus de collaborer à diverses revues
savantes, elle est membre de la rédaction de
JEU Revue de théâtre. À ce titre, elle a dirigé
plusieurs dossiers thématiques : Paysages du
corps (2007), Jouer autrement (2008), Subversion
(2010), Théâtres de la folie (2011), Le spectateur en
action (2013) et Corps atypiques (à paraître, 2014).
Les figurations du corps dans la dramaturgie
contemporaine, de même que les théories de
la réception et de la représentation, constituent
ses champs d’intérêt actuels. Depuis quelques
page 2 / commedia
années, elle est rédactrice pour différentes
compagnies théâtrales de même que pour le
Festival TransAmériques (FTA). Elle enseigne
aussi la dramaturgie contemporaine à l’École
nationale de théâtre du Canada.
Andréane Roy est finissante au baccalauréat en
études théâtrales à l’École supérieure de théâtre de
l’UQÀM. Elle détient aussi une formation collégiale
en chant et une mineure en littérature comparée.
Elle chante au sein de plusieurs projets de musique
indépendants depuis 2006. De 2007 à 2008, un
stage de théâtre en Biélorussie lui a permis de
s’initier à la langue russe et aux techniques de jeu
de Stanislavski et de Meyerhold. Elle s’intéresse
particulièrement à la dramaturgie et au dialogue
entre les pratiques artistiques telles que la
musique, les arts visuels, la danse et le théâtre.
À l’automne 2013, dans le cadre d’une production
de l’ÉST, elle a exercé la fonction de dramaturg
auprès du metteur en scène Christian Lapointe.
Frédéric Thibaud est cofondateur et codirecteur
artistique des compagnies de théâtre Orbite
Gauche (2001-2009) et Théâtre Kafala (19902000), transfuge de littérature et d’histoire de l’art,
Frédéric Thibaud s’intéresse depuis longtemps
aux mystères de la mécanique théâtrale, aux
zones limitrophes du texte dramatique et de la
représentation, sujet de son mémoire de maîtrise
(UQÀM, 2000). Depuis 1998, il est professeur de
théâtre, de littérature et de cinéma au Département
de lettres du Collège de Maisonneuve (Montréal),
spécialiste en création artistique. Spectateur
assidu de la scène théâtrale montréalaise, Frédéric
Thibaud aime être décoiffé par la fougue de la
jeunesse, observer les émois des spectateurs
dans la pénombre d’une salle de théâtre et lire le
programme d’une pièce après la représentation.
Table des matières / Salle Denise-Pelletier
LES CAHIERS / NUMÉRO 91 / PRINTEMPS 2014
COMMEDIA
5
L’équipe du spectacle
6
Présentation et résumé
14
Acteurs et personnages
16
Entretien avec Luce Pelletier,
metteure en scène
DOSSIER DU THÉÂTRE ET DU MONDE
20
Bas les masques !
Goldoni et la réforme du théâtre
26
Un monde à part.
Venise au XVIIIe siècle
33
Artistes contemporains de Goldoni
37
Le XVIIIe siècle : quelques repères
39
Pour en savoir plus…
40
Pour aller plus loin…
Les Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier sont publiés sous la direction de Julie Houle, avec le soutien d’Anaïs
Bonotaux-Bouchard. La rédaction des Cahiers est coordonnée par Hélène Beauchamp. Nous remercions les
équipes de production, auteurs et metteurs en scène qui ont facilité la réalisation de ce numéro des Cahiers.
Conception graphique et infographie : Passerelle bleue / Impression : Imprimerie Maska inc.
ISSN 1188-1461 / BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU CANADA / N.B. : Les opinions exprimées dans les articles de cette
publication n’engagent que leurs auteurs
Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Montréal (Québec) H1V 1Y2
Administration : 514 253-9095
Billetterie : 514 253-8974
www.denise-pelletier.qc.ca
commedia / page 3
42
© Martine Doyon
50 ans du
Théâtre denise-Pelletier
Préserver l’accès des jeunes au théâtre
et au répertoire
Table des matières / Salle fred-barry
48
L’équipe et les compagnies
49
Entretien avec Anne Sophie Rouleau
et Michelle Parent
© Josué Bertolino
ALBUM DE FINISSANTS
L’équipe et la compagnie
55
Entretien avec Éric J. St-Jean,
metteur en scène
LES ZURBAINS 2014
59
L’équipe et la compagnie
60
Entretien avec Adriana De Oliveira
et Monique Gosselin
Le Théâtre Denise-Pelletier (TDP) tient à remercier
Le TDP est membre des Théâtres Associés inc. (TAI) et de l’Association des diffuseurs spécialisés
en théâtre (ADST). Il est aussi partenaire de Atuvu.ca.
page 4 / commedia
© Amandine Vicente-Biosca
54
© Christian Jutras
LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ
L'équipe du spectacle
COMMEDIA
Texte de Pierre Yves Lemieux
Inspiré de la vie et de l’œuvre de Goldoni
Mise en scène de Luce Pelletier
Une production du Théâtre de l’Opsis en partenariat avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Denise-Pelletier
Du 12 mars au 9 avril 2014
Distribution
(par ordre alphabétique)
Luc Bourgeois............................................ Goldoni
Steve Gagnon................................................. Carlo
Martin Héroux...................................M. Medebach,
............................................Giulio, père de Goldoni
.......................................................... et autres rôles
Catherine Paquin-Béchard........................Marina,
..............................autres amoureuses de Goldoni
.......................................................... et autres rôles
Marie-Ève Pelletier..................... Mme Medebach,
................................. Margherita, mère de Goldoni
.......................................................... et autres rôles
Carl Poliquin............................................... Il Genio
......................................................................D'Arbès
.......................................................... et autres rôles
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
Assistance à la mise en scène
et régie....................................... Claire L’ Heureux
Costumes.............................................Julie Breton
Décor......................................... Olivier Landreville
Éclairages.......................................Jocelyn Proulx
Musique...................................Catherine Gadouas
Maquillages............................. Suzanne Trépanier
Direction de production
et direction technique................Maryline Gagnon
Assistant à la direction
technique.............................................. Alexi Rioux
Assitante aux costumes.........Marie-Noëlle Kliss
Coupeuse....................................Francine Leboeuf
Couturières......Monia Saoud et Kathy Robinson
Réalisation du décor...... Productions Yves Nicol
Chargé de projet..............................Patrick Perrin
Équipe du Théâtre de l’Opsis
Direction générale
et artistique...................................... Luce Pelletier
Coordination générale.................... David Trottier
Directrice
des communications........... Marie-Claude Hamel
Équipe de production –
Théâtre Denise-Pelletier
Direction de production................. Réjean Paquin
Direction technique.......... Jean-François Landry
Attachée de presse.........................Isabelle Bleau
Photographe
de production....................... Marie-Claude Hamel
Équipe de scène –
Théâtre Denise-Pelletier
Chef machiniste..............................Pierre Léveillé
Chef électricien......................... Michel Chartrand
Chef sonorisateur................................ Claude Cyr
Chef habilleuse......................... Louise Desfossés
Chef cintrier.............................. Pierre Lachapelle
Pierre Yves Lemieux remercie le Conseil des arts
et des lettres du Québec de son appui financier.
commedia / page 5
Présentation et résumé
Avec la création de Commedia, le Théâtre de
l’Opsis clôt son Cycle italien amorcé en 2010
par la production d'Il Campiello de Goldoni qui
a été présentée au Théâtre Denise-Pelletier en
2011. C’est Luce Pelletier, directrice générale et
artistique de la compagnie, qui assure la mise en
scène de ce texte écrit par Pierre Yves Lemieux,
une œuvre qui oscille entre le sérieux et le ludique
et qui, sous le vernis de la légèreté, soulève
d’importantes questions sur la création artistique
et sur les conditions, matérielles et culturelles,
dans lesquelles celle-ci se déploie.
plus tendre jeunesse »1. Selon l’auteur, s’il advient,
au fil du temps, qu’on ignore cette prédisposition
quasi surnaturelle ou qu’on lui tourne le dos
abruptement, alors rien ne va plus et tout
s’effondre. Or, au moment où débute Commedia,
Goldoni, qui a triomphé pendant plusieurs années
sur les scènes vénitiennes, se retrouve maintenant
épuisé par d’innombrables querelles artistiques,
lessivé, désenchanté. Il a choisi l’exil. À la veille de
son départ pour la France, abattu et mélancolique,
en proie à l’un de ses « vertiges noirs », il reçoit
la visite de son infatigable génie. Cette fois, il est
réticent à le suivre.
Goldoni
À combien de chagrins faudra-t-il que je
m’expose cette fois ?
Sans garantie de fortune, pour un bonheur
éphémère et si vite oublié.
Il Genio
Il n’y a d’éphémère que l’oubli. Quand on
crée, quand on joue, ça n’existe plus l’oubli.
On se remémore, on invente et alors basta
l’éphémère !2
 Carlo Goldoni par Alessandro Longhi,
XVIIIe siècle.
Commedia :
une vision vertigineuse
Dans ses mémoires, l’auteur de théâtre Carlo
Goldoni écrit : « … tous les hommes possèdent
dès leur enfance un Génie qui leur est propre, qui
les pousse vers un genre de profession et d’étude
plutôt que vers un autre […]. Moi, je me suis senti
à coup sûr attiré comme par une force intérieure
insurmontable vers les Études Théâtrales dès ma
page 6 / commedia
Aussi, par cette sombre nuit de 1762, l’auteur
se laisse-t-il entraîner encore une fois par
son génie, lequel, sous ses yeux, lui joue une
ultime représentation à Venise, une « vision »
tourbillonnante, un « moment épiphanique où son
passé et sa destinée se maelströment devant lui »3.
Découpée en une multitude de tableaux qui
s’enchaînent de façon tournoyante et virevoltante,
Commedia propose un voyage imaginaire au cœur
de l’existence de Goldoni, une vie entièrement
vouée à la création théâtrale, avec ses joies mais
aussi avec ses nombreux aléas. Sans progression
linéaire, mais avec des boucles et des allers Goldoni, C., cité par G. Luciani (1992). Carlo Goldoni ou l’honnête aventurier.
Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble, p. 16.
Lemieux, P. Y. (2014). Commedia, texte dramatique inédit, p. 6.
3
Id., p. 2.
1
2
 Palazzo Centani sur le Rio San Toma, maison
natale de Goldoni, Didier Descouens, 2013.
retours dans le temps, la pièce nous montre
l’auteur à différentes étapes de sa vie, de sa petite
enfance à la maturité, en passant par les intrépides
années de jeunesse, fertiles en aventures. Si les
lieux sont multiples – jardins, cours intérieures,
places publiques, bateaux, salles et coulisses de
théâtre… –, ils appartiennent tous à Venise, dont ils
rendent un portrait bigarré, entre somptuosité et
beauté quelque peu usée. La ville, qu’on surnomme
parfois la Sérénissime ou la Dominante est, dans
Commedia, un quasi personnage, et plusieurs des
enjeux de la pièce se rattachent à ses pratiques, à
sa culture et à sa vie quotidienne4.
Au moment où débute la pièce, après que Goldoni
ait consenti à suivre une fois de plus son génie,
une lumière inonde une cour intérieure. C’est
celle de la maison de son enfance. Devant l’auteur,
se matérialisent sa mère et son parrain qui se
querellent au sujet d’une pièce que le petit Carlo a
écrite. Le parrain croit que l’enfant a plagié alors
que sa mère, puis son tuteur, le défendent. C’est là
la première dispute à éclater autour des écrits de
l’auteur. Celles-ci seront nombreuses au cours de
sa longue vie et il aura maintes fois à défendre ses
textes et ses singulières postures esthétiques contre
différents détracteurs, qu’il s’agisse de certains
nobles ou d’auteurs contemporains rivaux tels Chiari
et Gozzi. À intervalles, Commedia lève le voile sur
plusieurs de ces querelles à travers lesquelles se
font jour quelques-uns des principes fondamentaux
de la réforme théâtrale engagée par Goldoni. On
voit, par exemple, combien une certaine partie de
la noblesse était réfractaire à la représentation des
« petites gens » à la scène, concevant cela comme
une dépravation du plus mauvais goût.
Suivante de la Contessa
Goldoni trouve ses personnages dans la
rue, c’est là que ses pièces devraient être
présentées.
Pas dans les théâtres, mais dans la fange.
Voir « Un monde à part. Venise au XVIIIe siècle », infra.
4
Goldoni (s’enflammant)
Mes personnages sont dignes de toutes les
scènes d’Italie !
Il y a aussi de la grandeur chez les petits !
Tout comme il y a de la petitesse chez certains
grands !5
D’autres sujets de discorde rattachés aux visées
artistiques de Goldoni émaillent Commedia : les
acteurs peuvent-ils jouer sans masque ? est-il
préférable de représenter la réalité quotidienne
des habitants de Venise ou bien de privilégier
l’évasion dans le rêve, le fantastique ? peut-on
bousculer l’ordre établi et accorder plus de place à
une actrice de second rôle qu’à la « vedette » de la
pièce ? Des plus fondamentales aux plus anodines,
ces questions sont mises en actes dans la pièce
de Pierre Yves Lemieux, à travers les dialogues,
certes, mais aussi à travers les nombreux extraits
d’œuvres de Goldoni qui persillent Commedia.
Lemieux, P. Y., Op. cit., p. 17.
5
commedia / page 7
Présentation et résumé
Ce faisant, prend vie sous nos yeux un théâtre en
pleine transformation et une pensée artistique en
train de se construire.
Ainsi, la pièce nous montre « les combats et les
désillusions d’un auteur qui passe par-dessus bien
des difficultés pour continuer à écrire »6. Au fil de
ce parcours résilient, qui s’attache aussi à explorer
bien d’autres territoires, notamment les paysages
escarpés de la séduction et de l’amour, c’est donc
toute une réflexion sur la création artistique qui est
déployée. Une réflexion qui, parce qu’elle aborde
des enjeux essentiels et intemporels, notamment
quant aux conditions de création des artistes, n’a
de cesse de faire écho à l’époque contemporaine
et de nous interpeler.
Catherine Cyr
Lemieux, P. Y., (2014). Entretien, n.p.
6
À la fois épris des lettres et du monde de la scène, Pierre
Yves Lemieux a étudié la littérature et l’interprétation
théâtrale. Depuis de nombreuses années, ces deux
passions s’additionnent ou s’amalgament au sein de
plusieurs théâtres, en particulier au Théâtre de l’Opsis
dont il est membre depuis les tout débuts. Auteur
prolifique, il pose un regard aiguisé et sensible sur ses
semblables de même que sur les travers de son époque.
Son écriture, qui marie lucidité et humour fin, ne se
cantonne pas à un genre en particulier : inassignable,
elle vogue de la comédie au drame, du théâtre de
recherche au spectacle multimédia, en passant par
le théâtre jeune public. L’auteur est reconnu autant
pour ses créations originales que pour ses singulières  Pierre Yves Lemieux, auteur
réécritures des grandes œuvres du répertoire. Au
Théâtre de l’Opsis, il a notamment signé Monsieur Smytchkov, Le Bruit et la fureur, Comédie russe, À
propos de Roméo et Juliette et La Sirène et le harpon. Parmi ses textes les plus récents, on retrouve
Les Rois du ciel (2009), délicieuse et subversive pièce pour enfants, Pyramide (2011), drame
existentiel nimbé d’humour noir, ainsi que La Belle et la Bête (2012), une audacieuse relecture du
célèbre conte de fées portée à la scène par la compagnie multidisciplinaire Lemieux Pilon 4D Art.
Habitué du Théâtre Denise-Pelletier, où ses pièces Les Trois Mousquetaires (2001) et Scaramouche
(2006) ont vu le jour, il y revient aujourd’hui avec Commedia, un périple imaginaire et virevoltant
dans la bourdonnante Venise de Goldoni.
page 8 / commedia
© Yves laberge
ENTRETIEN AVEC
Pierre Yves Lemieux, AUTEUR
 Teatro San Luca, maintenant
Teatro Goldoni, Venise.
Quelle a été la genèse de la
pièce ?
© Andreas Praefcke.
J’ai reçu en cadeau un ouvrage sur
le metteur en scène italien Giorgio
Strehler. Dans un entretien, il confie
qu’il a toujours voulu écrire une pièce
sur la vie de Goldoni. Or, il est mort
avant de pouvoir réaliser ce rêve. Au
moment où j’ai lu cet entretien, je
cherchais depuis plusieurs mois un
nouveau projet d’écriture pour le Cycle
italien du Théâtre de l’Opsis. Ça a été
le déclic. Par contre, Commedia n’est
pas une œuvre biographique. C’est
une fiction à partir du personnage
de Goldoni. Ce personnage est bien
différent de celui qui figure dans les
Mémoires de l’auteur, un document
amusant mais truffé d’erreurs et de
fabulations. En faisant des recherches,
en parcourant ses pièces, sa
correspondance et plusieurs essais
sur lui, c’est un tout autre Goldoni qui m’est
peu à peu apparu. Au Théâtre de l’Opsis, où les
créations sont souvent iconoclastes, mon travail
d’écriture en est un de changement de vision et,
cette fois, j’ai voulu poser un nouveau regard
sur l’auteur. Bien sûr, je ne fais pas le portrait
du vrai Goldoni ! D’ailleurs, personne ne peut le
faire car trop d’éléments à son sujet demeurent
mystérieux. Aussi, même si les faits historiques
que je relate sont justes, le personnage est fictif. Il
est inventé. J’ai imaginé sa personnalité, en partie,
en me servant de la mienne et en puisant dans
ma propre expérience d’auteur. De cette façon, il
m’est possible de parler de l’écriture aujourd’hui.
Pourquoi votre texte s’intitule-t-il
Commedia ?
Il s’intitule ainsi parce que, justement, il porte
en son centre un profond questionnement sur
l’écriture. Ce sont des interrogations qui touchent
la comédie mais aussi l’écriture au sens large :
Qu’est-ce qu’écrire au XVIIIe siècle à Venise ?
Qu’est-ce que ça représente aujourd’hui ? Quels
sont les parallèles que l’on peut tracer entre les
conditions d’écriture à cette période et celles que
l’on rencontre à l’époque actuelle ? Ces parallèles
sont nombreux dans la pièce et nous permettent de
constater que peu de choses ont changé depuis le
temps de Goldoni. Venise a créé l’industrialisation
du théâtre et tout ce qu’on vit aujourd’hui découle
de ce système : le vedettariat, la marchandisation
de l’art et toutes les contraintes que connaissent
les auteurs à l’égard du temps ou de l’argent.
Goldoni subissait ces différentes pressions et
elles l’affectaient, influençaient sa création. Il en
allait de même aussi pour les différents artistes,
peintres, acteurs et actrices que l’on rencontre
dans la pièce.
commedia / page 9
Présentation et résumé
Ces derniers, souvent des personnages
historiques, sont nombreux. Les avez-vous
aussi « inventés » ?
Je pourrais dire que tout est inventé dans
Commedia ! J’ai fait énormément de recherches
historiques sur Venise et ces recherches m’ont
permis de nourrir la construction des personnages.
Souvent, on sait peu de choses sur ces êtres qui
ont réellement existé et ce sont ces données
historiques, parfois surprenantes, qui permettent
de comprendre et d’imaginer le contexte dans
lequel évoluent les personnages. Par exemple,
on retrouve dans la pièce une actrice, Madame
Medebach, à propos de laquelle on en connaît
bien peu, sinon qu’elle était sujette à d’étranges
« vapeurs ». En effectuant mes recherches, j’ai
découvert que Venise était à l’époque une plaque
tournante en Europe pour la fabrication et la
vente de terriaca, un médicament à base d’opium.
Celui-ci donnait quantité de « vapeurs » à ceux qui
le prenaient ! Je ne sais pas si la vraie Madame
Medebach en consommait (et sans doute n’en
prenait-elle pas), mais, dans la pièce, ses états
d’âmes sont tributaires de cette drogue, laquelle
finit d’ailleurs par la tuer. Il n’est pas utile de savoir
si ce fait est réel ou imaginé. Celui-ci, comme mille
autres qui parsèment le texte, me permettent de
dessiner un contexte social et de donner vie à
une multitude de personnages. Surtout, ils me
permettent de livrer une vision des choses toute
personnelle. Unique.
Outre les acteurs et les actrices qui
entourent Goldoni, on rencontre aussi des
peintres, comme Tiepolo et Longhi, dans
Commedia. Une didascalie évoque même
un ciel « délicieusement canalettain »…
C’est Venise ! Ma pièce brosse en quelque sorte le
portrait de la ville, alors on ne peut échapper à la
représentation de cette intense activité artistique.
De plus, c’est à travers les peintres et leurs combats
page 10 / commedia
qu’il m’est possible d’aborder la question de l’image
théâtrale. À la manière de Longhi, qui peint des
tableaux réalistes, Goldoni souhaite développer
un théâtre vraisemblable, proche de la réalité des
gens. Lorsque Tiepolo, qui privilégie le merveilleux
et crée des fresques fantaisistes, se querelle avec
Longhi sur la nature de l’image, c’est aussi tout
le questionnement de Goldoni qui est mis au jour.
Il est présent lors de l’altercation entre les deux
peintres et il y trouve un écho avec le monde
théâtral, lui-même tiraillé entre deux pôles : l’évasion
dans le rêve ou la représentation du quotidien.
Cette opposition est encore présente aujourd’hui
et source de bien des questionnements : doit-on
privilégier un théâtre qui nous extirpe du réel et
tend vers le merveilleux, le fantastique, ou doit-on,
au contraire, proposer un théâtre réaliste, arrimé
aux enjeux sociaux et politiques de notre époque ?
La réponse n’est pas certaine. Et entre ces deux
pôles, d’autres voies sont aussi imaginables.
Au-delà de cet important questionnement
esthétique, est-ce que l’imaginaire des
artistes a nourri l’écriture de la pièce ?
Oui, énormément. Je me suis beaucoup imprégné
de l’esprit de certains tableaux. Par exemple,
il y a dans la pièce une scène qui se déroule
lors de la fête de San Rocco et, visuellement,
celle-ci est très proche d’un immense tableau de
Canaletto, « La Festa di San Rocco », d’ailleurs
récemment présenté à l’exposition « Splendore a
Venezia » au Musée des beaux-arts de Montréal.
Dans ce tableau, qui montre une scène extérieure
croquée sur le vif, on voit une église entourée
de grandes toiles tirées sous lesquelles défilent
les gens. C’est une exposition en plein air dans
une atmosphère festive. Cette image, pleine de
vie, représente parfaitement le cadre d’une des
scènes de Commedia.
La musique n’est pas en reste dans la
pièce. On entend Vivaldi…
On le voit, aussi. Goldoni fait sa rencontre. Chacun
prend l’autre pour un fou, un illuminé, alors qu’au
fond ils se ressemblent beaucoup. Ils étaient
tous les deux très prolifiques, perpétuellement
plongés dans un état de grande effervescence
créatrice. Une effervescence anormale, créée par
d’impitoyables conditions de création. À travers
cette rencontre avec Vivaldi, j’aborde l’un des
grands thèmes de la pièce, soit la manière dont
la société marchande pressure les artistes pour
ensuite les jeter après usage. À l’époque baroque,
comme aujourd’hui d’ailleurs, les œuvres avaient
une durée de vie très brève et les artistes étaient
vite oubliés. Pour exister, pour prendre part à la
vie artistique de leur temps, ils devaient donc
produire des œuvres massivement et celles-
ci étaient rapidement consommées. Les Quatre
Saisons de Vivaldi, ça a été à la mode un petit bout
de temps puis on a relégué la pièce aux oubliettes.
Comme son créateur. Vivaldi, à l’instar de Goldoni,
a donné à travers ses œuvres une grande part de
lui-même à Venise, puis, mis à l’écart, il a choisi
l’exil. Ce phénomène de dévoration rapide des
œuvres, mis en place au XVIIIe siècle, a perduré
jusqu’à aujourd’hui. Et les artistes, parfois bien
malgré eux, participent toujours à ce système.
Vous avez effectué beaucoup de
recherches à propos de Venise. Quelles
ont été vos découvertes les plus
frappantes ?
 Canaletto, La Festa de San Rocco, vers 1735.
commedia / page 11
Présentation et résumé
Ce qui m’a d’abord épaté, c’est l’importance du
système policier qui régnait dans la ville à l’époque.
Venise, c’était Las Vegas ! Une ville de plaisirs, de
grands spectacles et de fêtes, une ville extrêmement
libre, abritant des hammams, des maisons de jeu et
des tripots. La ville était en ébullition jour et nuit
et, pour prévenir tout débordement, il y avait làbas un système répressif extrêmement rigoureux,
difficile à imaginer aujourd’hui. On pouvait vite
se retrouver « aux plombs », la prison du palais
des Doges. C’était aussi une ville paranoïaque : le
soupçon de complot, le mensonge et la délation y
étaient omniprésents. Casanova était emprisonné
pour sorcellerie mais, en réalité, on le suspectait
d’être un espion. D’ailleurs, Goldoni aussi a été
soupçonné d’espionnage. Cette paranoïa était
également celle de l’aristocratie et de la noblesse
qui voyaient leur pouvoir décliner et craignaient de
disparaître. Dans la pièce, j’évoque ce phénomène
à travers le personnage de la Contessa. Dans
une sorte de dédoublement de paranoïa, on voit
Goldoni s’imaginant que cette aristocrate complote
contre lui…
toutes sortes de jeux plus proches du Moyen
Âge que de l’esprit baroque ! Or, cette Veniselà, Goldoni la connaissait aussi. En plaçant le
personnage dans cet univers, je romps avec
l’image habituelle qu’on se fait de l’auteur, dont
les pièces montrent des univers proprets, lisses.
De la même façon qu’il a osé, dans son temps,
présenter des œuvres se déroulant dans des cafés
ou des auberges, ce qui offusquait la noblesse,
je choisis de déplacer le personnage de Goldoni
dans un univers plus rugueux. Je livre ainsi une
autre image de l’auteur. Ai-je le droit de le montrer
sous ce jour ? Bien sûr ! J’effectue ce travail de
métamorphose depuis le tout début de ma carrière.
Je l’ai fait, par exemple, avec les figures de Roméo
et Juliette. Ces personnages sont des icônes, des
institutions, et il peut être extrêmement riche de
changer le regard que l’on porte sur eux, de les
questionner pour mieux les redécouvrir.
Ce qui m’a beaucoup étonné, aussi, c’est la ville
au quotidien avec ses mœurs et ses pratiques.
L’image usuelle de Venise, dorée, scintillante, avec
ses jolis masques de carnaval, ça correspond peu
à la réalité. La ville foisonnait de casinis où les gens
s’adonnaient aux jeux de hasard ou rencontraient
furtivement leurs amants et leurs maîtresses. Ces
rencontres avaient aussi lieu dans les hammams
qui, à l’origine étaient un peu comme des spas
où l’on pouvait se détendre et recevoir des soins
de la peau. Avec le temps, ces lieux, d’essence
orientale, se sont transformés en endroits un peu
moins fréquentables.
Il y en a beaucoup. Nous utilisons tous les deux
la langue de façon très souple. Lorsque j’écris
une comédie qui porte sur mes contemporains,
j’ai recours, comme Goldoni, à une langue qui est
celle des gens ici et maintenant. Quand j’établis
une réécriture d’une pièce classique, comme il
l’a fait avec des textes de Molière et de Tasso,
la langue devient plus poétique ou littéraire. Il
y a aussi, chez Goldoni, une importante part
d’observation sociale, une façon particulière
de donner vie à tout un groupe de gens pour
construire un univers précis. C’est ce qu’il a fait,
par exemple, dans La Villégiature. Cette œuvre est
proche, dans sa structure et dans ses thèmes,
des Estivants de Gorki, une pièce que j’ai réécrite.
C’est aussi le travail que je fais avec Commedia :
plusieurs personnages forment un groupe et
définissent, peu à peu, une société. En déployant
de telles structures dramatiques, Goldoni annonce
J’ai aussi été surpris par la nature des évènements
se déroulant sur les places publiques, notamment
lors des fêtes de la mi-carême. C’était vraiment
la foire : il y avait des combats de taureaux, des
luttes à mains nues avec un chat ou une oie, et
page 12 / commedia
Y a-t-il des résonances entre
la dramaturgie de Goldoni et votre propre
imaginaire ?
 Johann Gottfried Steffan, Le palais des Doges, XVIIIe ou XIXe siècle.
Pirandello de même que Tchekhov, deux auteurs
avec lesquels j’ai aussi beaucoup d’affinités.
Par ailleurs, Goldoni écrivait avant tout pour des
acteurs. C’est ce que je fais aussi. Je les connais
bien, je sais quelles sont leurs forces, leurs
particularités. Leur travail nourrit énormément
mon écriture. Et puis, je suis d’abord un acteur
et mon écriture porte la conscience du jeu. Enfin,
je pense que Goldoni était un être curieux de tout.
Je le suis aussi. Je partage avec lui un plaisir
de la découverte et une certaine candeur. Dans
Commedia, même à un âge avancé, le personnage
a, au fond, toujours 20 ans. « Pourquoi suis-je
incapable de vieillir ? » se demande-t-il ? Je
pourrais me poser la même question. Mes scènes
de théâtre les plus fortes, comme plusieurs des
siennes, s’attachent à des amoureux candides,
remplis de foi et de naïveté. Goldoni avait une façon
toute particulière de passer à travers son temps et,
malgré toutes les tempêtes qu’il a rencontrées, il a
toujours continué à écrire des pièces lumineuses.
Ça aussi, ça me ressemble.
Propos recueillis et mis en forme
par Catherine Cyr
commedia / page 13
ACTEURS ET PERSONNAGES
© Izabel Zimmer
LUC BOURGEOIS
GOLDONI
Je suis incapable de vieillir. Je pense, je goûte,
je respire, je me vois comme à 20 ans.
À chaque pièce mon sang est une lave en fusion.
À chaque pièce je redeviens aussi idiot qu’un
débutant. Pourquoi suis-je incapable de vieillir ?
© France Larochelle
STEVE GAGNON
CARLO
Ne tirez pas ! C’est une pièce de théâtre !
Ce n’est pas de l’argent !
Ce n’est qu’une pièce de théââââââtre !
Aaah ! Ne tirez pas ! Ne tirez pas !
© Créations Double Clic
MARTIN HÉROUX
page 14 / commedia
GIULIO
Tu veux un théâtre ? Je vais t’en construire un.
Toute ville devrait avoir son théâtre.
CATHERINE PAQUIN-BÉCHARD
© Maxime Côté
marinA
Il a onze ans! Onze ! ONZE !
MARIE-ÈVE PELLETIER
© Maude Chauvin
Mme MEDEBACH
16 pièces ! Cher auteur, vous allez me tuer !
CARL POLIQUIN
© Maxime Côté
IL GENIO
Il n’y a d’éphémère que l’oubli. Quand on crée,
quand on joue, ça n’existe plus l’oubli.
On se remémore, on invente et alors basta
l’éphémère!
commedia / page 15
ENTRETIEN AVEC LUCE PELLETIER,
METTEURE EN SCÈNE
© Marie-Claude Hamel
Grande amoureuse des mots, infatigable exploratrice des
arcanes du jeu de l’acteur, Luce Pelletier, depuis ses tout
débuts comme comédienne, s’investit dans plusieurs
champs de la pratique théâtrale, de l’interprétation à
l’écriture en passant par l’enseignement. Or, c’est surtout
en tant que metteure en scène qu’elle a fait sa marque
dans le paysage du théâtre québécois. Depuis 1994, elle
est à la barre du Théâtre de l’Opsis, une compagnie qu’elle
a cofondée en 1984 et où, entourée de quelques complices,
tels Serge Denoncourt ou Pierre Yves Lemieux, elle
poursuit différents cycles de recherche artistique. D’une
durée de trois ou quatre ans, ces cycles s’attachent à
explorer les mille et une facettes d’un même champ
théâtral. Dans le premier cycle, consacré à Tchekhov, elle
monte avec bonheur les pièces L’Homme en lambeaux
(1999), Monsieur Smytchkov (2000), Trois Sœurs (2001,
codirigées avec Denis Bernard) et La Poste populaire Luce Pelletier
russe (2001). Suivent le Cycle Oreste, où elle met en
scène, notamment, Elektra de Von Hofmannsthal (2004) et un magnifique Meurtres hors champ
de Durif (2006) et le Cycle états-uniens, où elle signe, entre autres, les mises en scène de Under
Construction de Charles L. Mee et Anna Bella Emma de Lisa D’Amour. En 2010, elle lance le Cycle
italien, passant de l’univers virevoltant de Goldoni aux inclassables écritures contemporaines, telles
celles qui composent le collage de textes Resistenza (2013). À travers ce dernier cycle, elle poursuit
un travail minutieux où « inventivité et plaisir du jeu se marient à la rigueur de la recherche »1.
Dictionnaire des artistes du théâtre québécois, Montréal, Édition Québec Amérique, 2008, p. 316.
1
Une des particularités du Théâtre de
l’Opsis est le travail par cycle. Comment
cette structure s’est-elle mise en place ?
En 1998, nous avons perdu notre espace permanent,
le Théâtre de la Bibliothèque1. C’était, pour nous,
un important lieu de rencontre, un endroit qui
bourdonnait d’activités et de réflexions en marche.
Nous nous sommes alors demandé comment
recréer, sans lieu fixe, un tel espace d’échange et
d’ébullition théâtrale. C’est ainsi que, peu à peu,
est née l’idée du travail par cycle, une approche
qui nous permettrait de nous réunir autour d’un
même thème pendant plusieurs années et, ainsi, de
regrouper nos réflexions et nos expérimentations.
Qui se trouvait au 535, avenue Viger Est, dans l’ancien édifice de l’École
des Hautes études commerciales devenu le Centre d’archives de Montréal.
1
page 16 / commedia
Dès le premier cycle, autour de Tchekhov, nous
avons formé une sorte de famille artistique en
travaillant souvent, d’un spectacle à l’autre, avec
les mêmes concepteurs et les mêmes acteurs.
De cette façon, chaque spectacle venait enrichir
le suivant, trouvait en lui des échos ; un univers
théâtral se formait.
Consacrer quatre années à un même
thème, ça permet aussi de l’explorer plus
en profondeur…
Oui, cette étendue de temps est beaucoup plus
longue que la norme. C’est difficile d’approfondir
une démarche quand, par exemple, on travaille sur
une pièce de Marivaux et que, quelques semaines
© Yanick Macdonald
 Le décor conçu par Louise Campeau pour Il Campiello, petite place entourée de maisons
humbles, avec sa fontaine et son auberge.
après, on est transporté complètement ailleurs ! Au
Théâtre de l’Opsis, nous sommes beaucoup centrés
sur la parole de l’auteur, la découverte d’univers
dramaturgiques distincts. Alors, en quatre ans de
recherche et de création, il est possible d’aller plus
loin, de défricher davantage chacun de ces univers.
Notre démarche est nourrie par de nombreux
voyages à l’étranger, des lectures, des rencontres.
Quand tout ça s’additionne, il se crée une sorte
de « bulle » particulière autour de la création. Le
cycle devient en quelque sorte un lieu, un espace
unique où on a envie de retourner parce qu’il s’y
développe des choses passionnantes.
ce qui s’écrit ailleurs, à l’extérieur du pays. Mais
qu’il s’agisse d’auteurs québécois ou étrangers,
l’important pour moi est de mettre la parole au
cœur du spectacle. À une époque où le théâtre se
tourne de plus en plus vers l’image, je choisis de
mettre les mots en lumière. Ce sont les mots qui
me permettent d’aborder l’Histoire, de raconter,
d’explorer l’humain.
La recherche dramaturgique vous anime.
Oui, profondément.
 Décor de Commedia par Olivier Landreville.
Dans les débuts de la compagnie,
vous aviez une double volonté de faire
redécouvrir au public les textes classiques
et de lui faire connaître la dramaturgie
contemporaine. Ce mandat s’est-il peu à
peu transformé ?
L’exploration et la réinvention des textes classiques,
c’était surtout le dada de Serge Denoncourt,
qui est maintenant moins présent ici. Aussi, au
fil du temps, mon propre penchant artistique,
qui est la découverte d’auteurs contemporains,
a-t-il pris plus de place. Et puisque plusieurs
compagnies, ou metteurs en scène, montent des
auteurs d’ici, j’ai choisi d’aller explorer davantage
commedia / page 17
ENTRETIEN AVEC LUCE PELLETIER,
METTEURE EN SCÈNE
Cet intérêt pour le texte ne signifie pas
que le jeu de l’acteur est à l’arrière-plan.
Il y a au Théâtre de l’Opsis une réflexion
perpétuellement en marche autour de
celui-ci. Est-ce que chaque spectacle
constitue une sorte de laboratoire pour
repenser ou expérimenter le jeu ?
Chaque pièce exige qu’on l’approche de façon
unique. Lorsque j’amorce une création, j’aime
m’entourer d’acteurs-créateurs avec lesquels,
dans une grande liberté, il me sera possible
d’expérimenter différentes méthodes (ou nonméthodes !) de jeu et avec lesquels je pourrai
mettre à l’épreuve de nouvelles idées. Les acteurs
qui reviennent souvent au Théâtre de l’Opsis,
ceux qui m’interpellent le plus, ce sont ceux qui,
en explorant leur propre créativité, en participant
activement à la construction de leur personnage,
me permettent d’aller plus loin dans ma démarche.
Avec eux, chaque création devient une recherche
sur le terrain, un véritable laboratoire théâtral.
Il m’importe aussi de ne pas me répéter. Ces
dernières années, j’ai souvent privilégié le
dénuement scénique, l’épure et l’adresse directe
au spectateur, comme dans La Resistenza, le
dernier spectacle du Cycle italien. Là, je sens qu’il
me faut transporter le jeu ailleurs…
Vous avez amorcé le Cycle italien en
revisitant Il Campiello, déjà monté par
le Théâtre de l’Opsis en 1989 au Théâtre
Denise-Pelletier. Vous aviez d’ailleurs
joué dans la pièce. Pourquoi avezvous souhaité revenir à cette pièce en
particulier pour lancer le cycle ?
L’idée a surgi en discutant avec Serge Denoncourt,
qui adore monter Goldoni, et qui avait signé la
mise en scène d’Il Campiello en 1989. Au moment
d’amorcer le Cycle italien, comme il était libre, je
l’ai invité à mettre en scène un nouveau Goldoni
au Théâtre de l’Opsis. Nous avons donc épluché
page 18 / commedia
plusieurs textes ensemble mais nos conversations
nous ramenaient toujours à notre souvenir partagé
de la création d’Il Campiello. Aussi, nous sommesnous demandés ce que ça ferait de reprendre
cette pièce près de 30 ans plus tard. Comment
l’aborder maintenant ? Qu’est-ce qui changerait ?
Qu’est-ce qui demeurerait intact ? C’est donc avec
beaucoup de bonheur que Serge a replongé dans
l’univers d’Il Campiello. Étonnamment, il ne s’est
pas creusé d’écart considérable entre la première
production de la pièce et sa nouvelle mouture.
La scénographie était plus élaborée cette fois-ci
mais l’essence de la pièce, son rythme vif, son
jeu pétillant, sont restés sensiblement les mêmes.
Les propositions artistiques ont seulement été
amenées un peu plus loin. De plus, Serge vit
désormais en Italie une partie de l’année et sa
mise en scène était teintée de cette expérience.
Elle portait aussi les traces de son grand bagage
théâtral, développé au fil des ans. D’une certaine
manière, Il Campiello fait partie du répertoire du
Théâtre de l’Opsis. Contrairement aux compagnies
qui créent du théâtre pour enfants, et dont le
répertoire circule beaucoup, nous n’avons pas
souvent l’occasion de reprendre une œuvre, de
la faire connaître à nouveau. Ça a été une belle
expérience.
Le Cycle italien commence et se termine
avec Goldoni. Pourquoi faire cette boucle ?
J’ai un esprit assez systématique : j’aime les
boucles ! Et puis, comme le cycle a surtout été
composé d’œuvres contemporaines, je trouvais
que les textes classiques manquaient. J’ai alors
relu plusieurs auteurs phare italiens, parcouru
des pages et des pages de Pirandello, de Dario
Fo, sans que jamais ne s’allume véritablement
l’étincelle susceptible de mettre un projet de
création en marche. Je ne souhaitais pas non plus
monter un autre texte de Goldoni puisque le cycle
en comportait déjà un. Aussi, lorsque Pierre Yves
Lemieux s’est proposé d’écrire une adaptation
 Décor de Commedia par Olivier Landreville.
théâtrale des Mémoires de Goldoni, en mettant
de l’avant les difficultés qu’il a rencontrées dans
son immense entreprise de réforme du théâtre,
de même que toutes les batailles qu’il a livrées,
cela m’a plu. J’ai trouvé qu’il y avait là un écho
certain avec le théâtre actuel et ses propres
tiraillements. Il y a aussi, dans Commedia, une
réflexion sur la place de l’auteur qui a de fortes
résonances avec notre époque. Enfin, il m’importe
beaucoup que la dernière année d’un cycle soit
celle de la réappropriation : après avoir effectué
plusieurs voyages en dramaturgie étrangère, il est
bon de ramener la réflexion à notre réalité. Jeter
un regard sur l’Autre, certes, mais pour mieux
s’examiner soi-même. C’est ce que nous avions
fait, par exemple, avec Les États-Unis vus par…, la
pièce de clôture du Cycle états-uniens. C’est aussi
ce que nous faisons avec Commedia.
Le Cycle italien se rattache surtout à des
auteurs dramatiques contemporains.
Trouvez-vous des échos entre cette
dramaturgie et celle de Goldoni ?
A priori, ils paraissent très éloignés. D’ailleurs, il
n’y a pas une dramaturgie italienne mais plusieurs
dramaturgies différentes, uniques. Or, même
si les formes sont très variées, ce qui relie ces
écritures, c’est le désir d’interroger la grande
Histoire. Par exemple, beaucoup d’auteurs règlent
leurs comptes avec la Seconde Guerre mondiale,
abordant des sujets que leurs parents, sans doute
trop proches du traumatisme, n’ont pas su écrire.
Plusieurs de ces auteurs sont aussi, comme
Goldoni l’était, de grands observateurs de la
réalité sociale. À travers une écriture parfois un
peu pamphlétaire, ils réfléchissent sur la société
italienne d’aujourd’hui. En l’interrogeant, en la
mettant en scène, ils cherchent aussi à la faire
avancer. Ce qui est parfois bien difficile dans le
contexte politique actuel ! On retrouve également
chez eux le souci de raconter des histoires qui
sont authentiques et qui sont proches du « vrai
monde ». C’était le cas, par exemple, de la pièce
Frères, que j’ai montée à l’hiver 2012. L’auteur,
Francesco Silvestri, souhaitait parler du sida, une
réalité qui, même à la fin des années 1990, était
mal connue d’une partie de la population. Il fallait
donc raconter une histoire susceptible de rejoindre
les gens. D’ailleurs, dans le théâtre italien, il y a
un fort courant narratif, appelé Narratione, où
il s’agit, avant tout, de raconter. Dire des mots,
simplement, comme lorsqu’on s’assoit autour d’un
feu pour échanger des histoires. À travers cellesci, les auteurs se donnent une mission, peut-être
la même que celle de Goldoni : témoigner de la
réalité de leur temps.
Propos recueillis et mis en forme
par Catherine Cyr
commedia / page 19
DOSSIER DU THÉÂTRE ET DU MONDE
Bas les masques !
Goldoni et
la réforme du théâtre
Né à Venise en 1707, Carlo Goldoni semble
prédestiné à la fête et au théâtre. Alors que son
père, qui est médecin, est souvent absent, il grandit
entre un grand-père entiché de spectacles et une
mère éprise de carnavals. Dès l’âge de 3 ans, le
petit Carlo, qui a reçu en cadeau un castelet, se
plaît à jouer des piécettes devant les yeux amusés
de sa famille. À 10 ans, il a déjà une malle bien
remplie de poèmes et de pièces qui, tout à la fois,
étonnent et charment son entourage. Or, son
père ne voit pas d’un bon œil sa passion pour
l’écriture et le spectacle. Il souhaite que son fils
suive ses traces. Cette voie n’est toutefois pas
celle de Goldoni puisque la seule vue des malades
le plonge dans l’effroi, lui donne des vertiges et
des « vapeurs hypocondriaques »! À contrecœur,
il embrasse une carrière d’avocat. Celle-ci est de
courte durée et, rattrapé par son amour du théâtre,
il abandonne tout pour consacrer le reste de sa
longue vie à l’écriture. Il est d’abord le poète attitré
de la troupe de Medebach (1750) puis il joint les
rangs du dynamique Théâtre San Luca (1753).
Jamais au repos, Goldoni signe de sa plume une
quinzaine de tragi-comédies, de nombreux livrets
d’opéra et plus d’une centaine de comédies. Il
est l’auteur dramatique le plus prolifique de son
époque. Surtout, il est celui qui, au fil du temps,
opère une immense réforme du théâtre. Celle-ci
touche à la fois l’écriture, le jeu de l’acteur et le
rapport au réel. Ces trois dimensions sont finement
entrelacées.
DU CANEVAS AU TEXTE
Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, sous le
vernis éclatant d’une incessante activité, le théâtre
page 20 / commedia
 Maurice Sand, Masques et bouffons :
Pantalone
vénitien s’essouffle. La
c o m m e d i a d e l l ’ a r t e 1,
qui a connu son heure
de gloire au siècle
précédent, s’émousse.
Bientôt, elle sombre
dans la décadence. De
spectacle en spectacle,
les mêmes canevas usés
sont repris. À l’étroit
dans leurs masques figés,
les Capitaine, Pantalon
et Arlequin s’échinent à
faire rire un public devenu  Maurice Sand,
Masques et
friand de grossièretés. bouffon : Il Capitan
Pour Goldoni, comme
pour son prédécesseur
Luigi Riccoboni, ce déclin du théâtre italien
est désespérant. À ses yeux, la commedia
dell’arte n’est désormais plus qu’une suite
ininterrompue d’ « indécentes arlequinades »2,
de farces licencieuses et de vulgarités de tout
acabit. Comment mettre fin à cette déchéance?
Voir l’encadré « La commedia dell’arte », infra.
Goldoni, C., cité par N. Jonard (2002). Histoire de la littérature italienne.
Paris : Ellipses, p. 76.
1
2
Comment réinventer le théâtre sans, toutefois, faire
table rase des acquis du passé? Ces questions
agitent Goldoni qui, patiemment, en habituant
progressivement le public à divers changements,
opère un profond bouleversement du théâtre
italien. Le premier de ces changements consiste
en une graduelle réintroduction du texte. Depuis
longtemps, celui-ci, réduit à une peau de chagrin,
consiste en une mince trame fatiguée aux ressorts
éculés. C’est un canevas qui s’effrite, simple
support pour l’improvisation, les acrobaties et
les lazzis, c’est-à-dire des « contorsions, rictus,
grimaces […], jeux de scènes interminables ».3 Ces
lazzis exécutés par les comédiens, autrefois des
morceaux de bravoure très attendus du public, ne
sont, souvent, désormais plus que des numéros
salaces. Et ils pullulent. En effet, la scène est le
royaume des acteurs et le texte n’y a guère plus
d’importance que les costumes. Alors que certains
des contemporains de Goldoni voudraient remédier
au problème en donnant un second souffle à la
tragédie antique ou en imitant le théâtre français,
il choisit de ne pas tourner le dos à la comédie.
Plutôt, il vole à son secours en y réintroduisant
le texte. Au début, cela se fait à petites doses.
L’auteur ne souhaite pas choquer ou désemparer
le public. Surtout, son entreprise ne se précise
à ses propres yeux qu’au fur et à mesure qu’il
l’expérimente. Le changement est donc lent.
Goldoni construit d’abord de petits canevas,
qui seront de plus en plus étoffés, où certains
passages, tels les monologues, les lamentations et
les déclarations d’amour sont entièrement écrits.
Les acteurs sont tenus de jouer ces passages tels
quels sans céder à l’élan de l’invention. Après
quelques années de ce régime de création, l’auteur
signe sa première pièce écrite du début à la fin,
La Femme de bien (1743). Deux ans plus tard, il
revisite un canevas très populaire qu’il pimente
peu à peu de scènes entièrement dialoguées :
Le Serviteur de deux maîtres (1745), qui met en
scène un sautillant et fantasque Arlequin, est né.
3
Pavis, P. (2006). Dictionnaire du théâtre. Paris : Armand Colin, p. 190.
À cette pièce, qui demeure aujourd’hui l’une des
plus populaires de l’auteur, s’ajoutent bientôt La
Serva amorosa (1752), La Locandiera (1753) et
d’innombrables comédies pleinement écrites,
portant les mots en leur centre.
Par ailleurs, bien que l’écriture soit au cœur de
sa vie et de son entreprise de réforme théâtrale,
Goldoni n’en reste pas moins un grand admirateur
de l’art des acteurs (et des actrices!). Ceux-ci,
bien que leur inventivité soit moins sollicitée
durant la représentation des pièces, demeurent
l’âme vivante du spectacle. C’est donc souvent
en fonction de leur personnalité, de leur talent et
des « caractères » qu’ils incarnent (généralement
les mêmes durant toute leur carrière), que
l’auteur forge ses textes, invente les situations
rocambolesques ou touchantes qui les mettront à
l’honneur. Ainsi, conquis par les exploits scéniques
de la jeune soubrette Maddalena Marliani, et sans
doute aussi un peu épris de ses charmes, c’est
pour elle qu’il invente la délicieuse Mirandolina,
objet de toutes les quêtes amoureuses qui
parsèment La Locandiera.
À VISAGE DÉCOUVERT
C’est en travaillant auprès des acteurs que Goldoni
met en place un autre aspect important de sa
réforme théâtrale : l’abandon du jeu masqué.
À l’instar de la réintroduction du texte théâtral,
et allant de pair avec cette transformation,
l’élimination des masques ne survient pas du
jour au lendemain. C’est au fil de l’écriture et
du jeu que le changement se dessine. Jouant
de plus en plus souvent à visage découvert, les
acteurs peuvent désormais s’extraire du moule
extrêmement rigide auquel ils étaient jusqu’alors
confinés. Sans leur faire perdre leur virtuosité,
cette tombée des masques élargit grandement
leur registre de jeu : grâce aux expressions du
visage, ils peuvent apporter à leur personnage
de l’étoffe et quelques nuances.
commedia / page 21
DOSSIER
© Faman
 Nouveau
Théâtre Italien
par Riccoboni
chez Coustelier
en 1718.
Riccoboni,
avant Goldoni,
préconise un
théâtre du texte.
Si certains ont vu dans cet abandon du jeu
masqué mis en place par Goldoni la mort de la
commedia dell’arte, il n’en est rien. Ironiquement,
il a contribué par son écriture à préserver un
art en train de s’étioler. Et, même transformés,
ou dépourvus de leur masque, les personnagestypes de la commedia dell’arte ont longtemps
perduré grâce à sa plume. Ainsi, dans les nouvelles
« comédies de caractères » qu’échafaude l’auteur,
persistent les traits déterminants de certains
masques : Pantalon se devine chez le Père de
famille autoritaire jusqu’au ridicule ou chez le
Marchand et ses nombreux avatars, désormais
plus avisés, voire avares, que libidineux; l’ombre
d’Arlequin plane sur tous les serviteurs rusés,
bienveillants ou mauvais, qui traversent l’ensemble
de l’œuvre de l’auteur; enfin, plusieurs des intrigues
amoureuses que tisse Goldoni mettent en scène
des personnages chez qui se repèrent les traces de
l’amoureux fougueux (innamorato) comme celles
de l’amoureuse, que cette dernière soit ingénue ou,
au contraire, envieuse et médisante (innamorata).
page 22 / commedia
Des toutes premières comédies (Les Rustres) aux
pièces de la maturité (La trilogie de la Villégiature),
les personnages évoluent grandement. Peu à peu,
à l’instar du Chevalier de La Locandiera, transformé
par l’amour, ils ne sont plus captifs d’une typologie
rigide. Sur le visage démasqué des acteurs peut
graduellement se lire une trajectoire du sentiment
ou une lutte entre des désirs, des vices et des
vertus opposés. En les éloignant de la caricature,
Goldoni procède à une profonde humanisation des
personnages. Ce faisant, ces derniers rapprochent
la comédie du réel : sur les planches du théâtre,
ce ne sont plus de vertueuses abstractions ni des
monstres de grossièreté qui se meuvent mais des
êtres complexes et nuancés, à l’image des hommes
et des femmes qu’ils représentent.
MONTRER LE RÉEL
Inséparable de la réintroduction du texte au
théâtre et de la tombée des masques, une nouvelle
représentation du monde participe à la réforme
théâtrale instaurée par Goldoni. À l’image de son
ami le peintre Pietro Longhi, l’auteur cherche à
montrer la réalité. Il s’intéresse à la vie quotidienne,
scrute de près les mœurs de ses semblables,
explore les multiples facettes de l’âme humaine,
des plus lumineuses aux plus sombres. D’abord
à gros traits, puis par petites touches de plus en
plus subtiles, ses comédies mettent au jour les
imperfections des hommes, émouvantes tout
autant que risibles. Toutes les couches sociales
sont convoquées dans ses pièces, de la noblesse
aux gens du peuple, en passant par la bourgeoisie.
Cette écriture nouée au réel, qui étonne et ravit
un public nombreux, ne fait pourtant pas que des
adeptes. Elle rebute, entre autres, les auteurs de
théâtre Pietro Chiari et Carlo Gozzi. Ce dernier,
comme le révèle l’univers fantaisiste de ses pièces
(L’Amour des trois oranges, 1761; Turandot, 1762;
L’Oiseau vert, 1765) prône plutôt un théâtre détaché
de la réalité. Surtout, issu de l’ancienne noblesse
vénitienne et attaché à ses valeurs, il critique la
 Pietro Longhi, Dames chez le couturier.
Vers 1760.
présence de gens de « basse extraction » au cœur
de maintes comédies goldoniennes et vante « la
souveraineté correctrice de la Noblesse sur le
peuple ignorant et subordonné ».4 Ces critiques
heurtent Goldoni mais ne le détournent pas de
son entreprise. Au tournant des années 1750, il
entame une période faste, qui dure une douzaine
d’années, où il écrit plusieurs pièces où se déploie
une grande finesse psychologique, telles que La
Serva amorosa (1752) et La Locandiera (1753). De
même, les questions de société habitent son œuvre
et l’auteur aborde avec perspicacité de nombreux
thèmes liés à son époque agitée : l’enflure de
la vanité sociale, l’endettement galopant de la
bourgeoisie, les amours empêchées par des
conventions sociales contraignantes, ou encore
la mode des sigisbées, ces jeunes hommes oisifs
vivant au crochet de femmes fortunées. Or, bien
que plusieurs de ces thèmes soient sérieux, ils
sont abordés avec légèreté. Chez Goldoni, en
4
Nardone, J.-L. et A. Perli (2002). Anthologie de la littérature italienne, 2,
XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail,
p. 163.
 Visite d’une bibliothèque,
Pietro Longhi (1702-1785).
effet, le comique valse toujours avec la gravité.
Dans ses Mémoires, il écrit que la comédie « ne se
refuse pas aux sentiments vertueux et pathétiques,
pourvu qu’elle ne soit pas dépouillée de ces
traits comiques et saillants qui forment la base
fondamentale de son existence ».5 En opérant ce
singulier mélange des tons, l’auteur, qui précède
Goldoni, C. cité par N. Jonard. Op. cit.
5
commedia / page 23
DOSSIER
 Paris, Théâtre Italien, vers 1840. Dessin d’Eugène Lami, gravure de C. Mottram.
en cela Gorki et Tchekhov, met au jour un tout
nouveau type de comédie.
Au terme de cette intense période de productivité
créatrice, et fatigué de la querelle qui perdure avec
Gozzi, Goldoni s’exile à Paris, rêvant d’y poursuivre
avec plus de liberté sa carrière théâtrale. Là-bas,
il rejoint la Comédie-Italienne, une troupe de
théâtre logée à l’Hôtel de Bourgogne et qui, en
alternance avec l’Opéra-comique, propose des
comédies au public parisien. Or, ses illusions
s’effritent rapidement : la plupart des spectateurs
français comprenant mal l’italien, on le contraint
à revenir à la comédie à canevas. Profondément
désenchanté, il choisit tout de même de demeurer
en France. Durant ce séjour, qui sera son dernier
à l’étranger, il se fait professeur d’italien pour les
princesses royales et écrit encore quelques pièces
page 24 / commedia
qui connaissent un succès modeste. En 1771, il
livre Le Bourru Bienfaisant à la Comédie-Française
tout en travaillant à ses Mémoires, lesquels sont
publiés en 1787. Dans la tourmente de la Révolution
française, il se retrouve, au soir de sa vie, privé
d’une pension accordée par le roi. Il meurt dans
la misère en 1793.
Catherine Cyr
La commedia dell’arte
C’est au milieu du XVIe siècle, en Italie, qu’apparait
la commedia dell’arte. Au siècle précédent, on
jouait encore les comédies des auteurs latins Plaute
et Térence ainsi qu’un répertoire de comédies
« savantes » s’adressant à un public lettré. Héritière
des formes populaires comme la farce et l’art des
jongleurs et bouffons de la Renaissance, proche
parente des fêtes carnavalesques, la commedia
dell’arte s’implante rapidement en Italie. Son univers,
tissé d’humour et de prouesses acrobatiques, séduit
un public toujours plus large. Cette nouvelle forme
de comédie prend la forme d’une création collective
élaborée par des acteurs qui improvisent, verbalement
ou gestuellement, à partir d’un mince canevas. Ce
« texte » ne comporte que des indications sommaires
et les acteurs improvisent leur partition selon les
caractéristiques de leur personnage. Ce dernier relève
d’un type précis, c’est-à-dire qu’il possède des traits
physiques et moraux fixes, souvent représentatifs
d’un état ou d’un travers (l’amoureux, l’avare). Il
est identifiable grâce au masque porté par l’acteur.
L’établissement de types permet au public de
retrouver, d’un spectacle à l’autre, des personnages
(et des acteurs) qui lui sont familiers.
 Maurice Sand,
Masques et bouffons :
Dottore
Regroupés en troupes, perpétuant un savoir-faire
familial, les acteurs, qui incarnent souvent un même
personnage toute leur vie, parcourent l’Italie, puis
l’Europe. Dans ce théâtre d’acteur, la dimension
centrale est le langage corporel. La gestuelle remplace
les longs discours et les improvisations, truffées
de morceaux de bravoure (lazzis), rythmées par
d’importantes prouesses physiques (pirouettes,
contorsions, sauts vertigineux), font avancer
une fable qui égrène les situations comiques et
revirements inattendus. Avec les mêmes ingrédients
dramaturgiques (quiproquos, travestissements,
disparitions, amours contrariées, ruses
de valets…), la commedia dell’arte
fait varier les intrigues à l’infini et
n’a de cesse de se réinventer. Elle
connaît son heure de gloire au
XVIIe siècle, avant de s’épuiser
peu à peu. Vers le milieu du
XVIII e siècle, au moment
où Goldoni entreprend sa
réforme théâtrale, cet art montre
certains signes de déliquescence :
les mêmes vieux canevas sont
repris sans grande inventivité et le
ton des spectacles est de plus en
PANTALON est un riche vieillard libidineux qui oscille
entre le sérieux et le ridicule. Il porte un masque brun
à nez busqué et proéminent.
plus grivois. Au XIXe siècle, la
commedia dell’arte s’éteint
complètement. Pourtant, elle
continue de fasciner et son
esprit perdure, aujourd’hui,
à travers diverses formes
comiques, notamment dans
le jeu clownesque et dans
l’univers de la marionnette.
Quelques types de la
commedia dell’arte
LE ZANNI est un serviteur grossier et agressif. C’est
l’ancêtre de tous les valets.
ARLEQUIN est le plus célèbre des zannis. C’est un
valet agile et sautillant, parfois niais, souvent rusé.
Il porte un demi-masque et une mentonnière noirs.
Son front, très ridé, surmonte des sourcils étonnés.
LE CAPITAINE incarne un faux brave, ronflant et
prétentieux. Son masque est couleur chair. Sous un
nez protubérant, il porte des moustaches hérissées.
LE DOCTEUR est l’incarnation satirique du savant
imposteur et pédant. Son langage est traversé de
citations latines déformées. Son masque lui couvre le
front et le nez et ses joues sont maculées de rouge.
LES AMOUREUX sont des personnages sérieux
et non masqués. Ils s’expriment dans une langue
recherchée. Ils sont souvent au centre des imbroglios
et quiproquos de la
pièce.
Catherine Cyr
 Maurice Sand,
Masques et bouffons :
Isabella
 Maurice Sand, Masques
et bouffons : Arlequin
commedia / page 25
DOSSIER
Un monde à part.
Venise au XVIIIe siècle
Dans la pièce-manifeste de sa réforme théâtrale,
Il Teatro comico (1750), et dans la préface qu’il
signe, Goldoni affirme que son écriture se fonde
sur la rencontre des deux grands « livres » du
Monde et du Théâtre : le premier lui donne les
personnages et les sujets de ses pièces alors
que le deuxième lui fait connaître « avec quelles
couleurs on doit représenter les caractères, les
passions, les évènements qu’on lit dans le livre
du Monde »1. Mais quel est donc ce monde que
Goldoni observe à la loupe et qu’il cherche, dans
ses pièces, à rendre vivant avec le plus de véracité
possible ? Si quelques œuvres se déroulent à
l’extérieur de Venise, à Chioggia (Barouf à Chioggia,
1762), à la campagne (La Villégiature, 1761) ou dans
une Perse imaginaire (L’Épouse persane, 1753),
plusieurs des fables imaginées par l’auteur se
déroulent dans la Sérénissime2. Nées du ventre
de la ville, ces pièces révèlent les pratiques, les
usages, et les étonnantes singularités de ceux qui
y vivent. Ainsi, Goldoni « transforme la place, la
rue, ou le carrefour, lieux génériques, traditionnels,
de la comédie, en autant de «vues» vénitiennes,
variant les angles d’observation à la manière d’un
Canaletto […], mais avec les sons, les corps – la
vie – en plus »3 .
 Palais des Doges, détails du toit, Guerinf
(mai 1986).
Au XVIIIe siècle, Venise se dresse à la charnière
de deux visions contraires, comme « suspendue
entre splendeur et engloutissement »4. Alors
que, d’une part, est amorcé un inéluctable déclin
économique et politique, d’autre part, la ville n’a
de cesse de briller de tous ses feux, rayonnant de
plaisirs, de musiques et de fêtes. Ces dernières
sont innombrables et, religieuses ou profanes,
elles rythment le calendrier dans une ville où
le divertissement est roi et où, dit-on, on ne
travaille que lorsque les loisirs le permettent. La
quintessence de la fête s’incarne dans le Carnaval,
un moment où le temps est arrêté et l’ordre du
monde inversé, où tout ce qui est excessif devient
permis. Au XVIIIe siècle, la célébration inclut des
bals, des chasses, des jeux d’adresse et des
spectacles sur l’eau. La ville est animée jour et
nuit :
Goldoni, C. cité par N. Jonard. Op. cit., p. 76.
Surnom donné à la ville de Venise.
Decroisette, F. (1999). Venise au temps de Goldoni. Paris : Hachette,
Littératures, p. 9.
4
Id., p. 7.
Tous les théâtres, tous les Ridotti sont ouverts.
Les cafés, les auberges, les entrepôts à vin
LA VILLE DES PLAISIRS
1
2
3
page 26 / commedia
 Pietro Longhi, (Il ridotto) Le casino. XVIIIe siècle.
regorgent de monde. Dans les rues et les campi,
les masques improvisent des farces et des
comédies ou se contentent de se promener, les
uns pour voir, les autres pour se faire admirer.
Pendant les derniers jours, les nobles ne
détestent pas se mêler à la foule, complètement
protégés par la grande cape noire (tabarro), le
tricorne et le masque (bauta). […] Le masque
est le protagoniste du carnaval. Son usage, très
quotidien, tient un rôle essentiel, car il permet
l’anonymat, il dissimule les traits aussi bien
naturels que distinctifs. Le travestissement des
habits, de la condition sociale, de l’âge, ouvre
la porte à toutes les transgressions5.
jalouses, 1752). Aux débordements du carnaval
et aux divertissements officiels, l’auteur préfère
la représentation des jeux, des chants, des fêtes
 Pietro Longhi, Le gentilhomme indiscret.
Vers 1740. Google Art Project.
Pour Goldoni, cependant, ce carnaval, pétri d’excès
de toutes sortes, s’est quelque peu dénaturé.
C’est pourquoi, dans ses pièces (ironiquement
présentées en période carnavalesque), celuici est le plus souvent relégué aux coulisses,
évoqué en creux dans les dialogues ou vivement
critiqué par les personnages, notamment les
femmes et les jeunes filles sages (Les Femmes
Calabi, D. (1999). Venise au fil de son histoire. Paris : Éditions Liana Levi,
p. 104.
5
commedia / page 27
DOSSIER
et des rencontres quotidiennes qui se déroulent
sur les nombreuses places publiques de la ville
(Il Campiello, 1756).
Or, la coupure n’est pas aussi nette entre le
carnaval, débordant, et les plaisirs du quotidien.
On observe une extension considérable du temps
carnavalesque sur les autres jours du calendrier
et son esprit de transgression, d’excès, imprègne
bien des lieux et bien des pratiques. Parmi cellesci, la plus répandue est celle du jeu. Comme le
souligne Françoise Decroisette, « [on] jouait gros
jeu à Venise »6. Dans plusieurs quartiers de la ville,
voisinant les riches demeures comme les taudis et
les tripots, se dressaient des casini (appartements
privés) et des ridotti (lieux de rencontres et de
divertissements plus ou moins licites) où les biens
nantis comme les gens de condition plus modeste
venaient tenter de faire ou de rétablir leur fortune.
Lorsque la chance n’était pas de leur côté, ils
avaient le loisir de se retirer dans la « chambre des
soupirs », espace dédié à toutes les consolations.
Dans ces lieux où étaient proposés d’innombrables
parties de cartes et jeux de hasards, l’argent
circulait de tous les côtés et les fortunes pouvaient
rapidement passer d’une main à l’autre. Dans sa
dramaturgie, à travers des personnages de joueurs
impénitents ou malheureux, Goldoni rend bien
compte de cette réalité.
Par ailleurs, l’auteur ne s’en tient pas qu’à
ces aspects sombres. Dans ses pièces, le
ludique occupe une grande place. Ainsi, outre
les inévitables jeux de cartes, il met en scène
différents jeux pratiqués chez soi, en famille ou
entre amis, de même que plusieurs jeux de la rue,
de la place, tels le Loto della venturina, permettant
de gagner des beignets, ou le jeu de la semola, où il
était possible de trouver des sous dissimulés dans
de la farine. Avec la représentation de banquets
et de repas festifs, la présence des jeux dans le
théâtre de Goldoni, même avec leurs possibles
Decroisette, F. Op. cit., p. 141.
6
page 28 / commedia
dérapages, le situe du côté de la quête des plaisirs
et de la recherche du bonheur, si éphémère soit-il.
LES TROIS ORDRES
DE LA SOCIÉTÉ
Dans ses comédies, Goldoni fait souvent se
rencontrer, voire s’entrechoquer, diverses
couches sociales : nobles désargentés ou dissipés,
marchands prospères, valets et soubrettes
ingénieux, souvent mieux avisés que leurs maîtres.
Tout ce beau monde se croise sur les places
publiques, dans les cafés, aux abords des puits,
ou à l’extérieur de la ville lorsqu’une famille et
sa suite part en villégiature. S’il est vrai que ces
diverses strates sociales coexistent à Venise et
que le port du déguisement et du masque permet,
temporairement, d’abolir les distinctions, ces
dernières demeurent toutefois assez marquées.
Ainsi, au sommet de la pyramide, la ville est
gouvernée par le Doge, un noble élu « à vie »
par les membres du Grand Conseil, selon un
processus complexe et tarabiscoté. Si, avec tous
ses apparats, il fait figure de roi en son palais, sa
fonction est plus symbolique que véritablement
politique. Dans un système que l’on peut qualifier
d’ « aristo-démocratie », ce sont plutôt des nobles
influents, répartis en divers conseils, qui sont aux
commandes de Venise.
Les nobles constituent le « premier ordre » de la
population. En effet, « au XVIIIe siècle, la population
vénitienne se répartit en trois « ordres ». Les
« gentilshommes » […] dits plus généralement
« nobles » ou « patriciens », les cittadini, et les
popolani »7. Alors que la noblesse accuse un
déclin – les mariages et la natalité sont en chute,
les richesses diminuent, parfois jusqu’à la misère
– les cittadini sont ceux qui donnent à la ville
son effervescence et son dynamisme. Il ne faut
pas oublier que Venise est avant tout une ville
marchande et nombreux sont les cittadini, que
7 Id., p. 53.
l’on peut apparenter aux bourgeois, qui exercent
des métiers honorables ou tiennent commerce.
Enfin, au bas de la pyramide, et composant plus
de 90% de la population vénitienne, se trouvent
les popolani. Ces derniers comprennent tous ceux
qui, pour subsister, exercent de petits métiers et
« qui n’ont aucun pouvoir dans la cité, c’est-à-dire
tout le reste de la population – artisans, serviteurs,
« pauvres» recueillis dans les Ospedali, mendiants,
juifs et religieux » 8.
Dans son théâtre, Goldoni visite chacune de ces
catégories sociales, n’hésitant pas à déplacer les
valeurs et vertus traditionnellement accordées à
l’une ou à l’autre. Ainsi, chez lui, sous le vernis
de la drôlerie, dignité et beauté sont rendues au
« petit peuple », et ses travers – gourmandise,
jalousie, appât du gain – ne sont mis de l’avant que
pour accorder aux personnages une plus grande
part d’humanité. Souvent, les valets, servantes,
ménagères, aubergistes et autres gens de « petits
métiers » montrent de plus grandes qualités de
cœur, et font preuve de plus d’esprit que bien des
nobles (La Brillante Soubrette, 1754 ; Les Cuisinières,
1755 ; Il Campiello, 1756). Ces derniers, sans être
écorchés durement, sont parfois l’objet d’une
certaine raillerie, et leurs ridicules n’échappent
pas à l’œil avisé de l’auteur ni à sa plume vive.
En particulier, les avares, ceux qui ont dissipé
leur fortune et sont désormais réduits à l’état
de pique-assiette ou ceux qui cherchent à tout
prix à faire un mariage d’argent, sont des figures
récurrentes de la comédie goldonienne (L’Avare
jaloux, 1753 ; La Villégiature, 1761).
Par ailleurs, de nombreux types de personnages
se retrouvent indifféremment dans toutes les
catégories sociales, notamment le père aimant,
un peu bonasse, ou la jeune fille vertueuse. Aussi,
sans être niées, les différences entre les « ordres »
de la population sont-elles, chez l’auteur, souvent
atténuées ou bousculées. Certes, il est attendu
8Id., p. 54.
de chacun qu’il « tienne son rang » mais tous ont
droit de parole et peuvent faire montre des pires
défauts comme des plus belles qualités. Enfin,
un même espace social réunit souvent, pêlemêle, ces diverses couches de population : sur
les places publiques, à l’auberge, dans les cafés,
fraient avec bonheur, mais non sans quelques
frictions, des personnages appartenant à toutes
les strates sociales, de même que de nombreux
étrangers. Sans doute la réalité était-elle quelque
peu différente et Goldoni force-t-il le trait de
l’égalité, cédant, en cela, au mythe d’une Venise
libre, égalitaire et ouverte à tous. Toutefois, qu’il
soit altéré ou non, ce reflet d’une importante
réalité sociale traverse toute l’œuvre de l’auteur,
profondément imprégnée d’observations et de
questionnements sur la manière dont vivaient,
ensemble, ses contemporains.
LA SOCIÉTÉ DES FEMMES
Dans la Venise du XVIIIe siècle, aux trois ordres
de la population s’ajoute, selon Françoise
Decroisette, un « quatrième ordre », celui des
femmes. Celles-ci composent en effet plus de la
moitié de la population de la ville et leur place et
les fonctions qu’elles occupent connaissent de
grands bouleversements. Leur fonction symbolique
traditionnelle, qui est d’exalter par leur beauté les
merveilles et la toute-puissance de la ville, ne suffit
plus. L’instrumentalisation de leurs charmes à des
fins politiques ne répond plus à leurs aspirations :
Au siècle où partout en Europe les femmes
revendiquent un statut, dénoncent leur état de
subordination, affirment leurs droits à accéder
à la culture et à choisir leur sort, c’est trop
peu, c’est même insupportable. Venise […],
cité-femme par excellence, ne peut échapper
à cette vague de revendication. La fonction de
représentation qu’on assigne aux femmes, en
masquant leur état de dépendance vis-à-vis
de l’autorité masculine, est ressentie comme
commedia / page 29
DOSSIER
que leur père les y encourage, nombre de fillettes
et de jeunes filles de bonne famille reçoivent
une éducation riche, abordant tout à la fois les
domaines de la géographie, des mathématiques, de
la philosophie et de la poésie. Plus tard, plusieurs
de ces jeunes femmes éclairées, telles Caterina
Dolfin Tron ou Isabella Albrizzi, tiendront des
salons littéraires dans leurs casini, écriront des
ouvrages scientifiques ou poétiques, participeront
à diverses activités d’édition. Certaines, comme
Rosalba Carriera, deviendront artistes et auront
un succès rayonnant.
 Pietro Longhi, La matinée des femmes
de Venise. Vers 1741.
un asservissement, une tyrannie même, et non
plus comme une reconnaissance et un espace
d’affirmation9.
Cette prise de conscience, amorcée au siècle
précédent, se décline à travers de nombreuses
publications consacrées au statut des femmes, à
leurs devoirs et à leurs droits. En plus de ces écrits,
font rage de nombreux débats sur le mariage et
sur l’éducation des petites filles. Celles-ci doiventelles, comme le veut la tradition, être gardées à
la maison, loin des réalités du monde extérieur,
où on leur enseignera le chant, la broderie et les
bonnes manières, ou doivent-elles recevoir une
éducation comme celle des garçons et s’instruire
de sciences, de politique et de littérature ? Si
les défenseurs de la tradition sont nombreux
et s’offusquent de ce que de plus en plus de
femmes accèdent dorénavant à des fonctions qui
leur étaient jusque-là interdites, leurs opposants
sont presque tout aussi nombreux, notamment
chez les nobles et les cittadini. Ainsi, pour peu
Id., p. 202.
9
page 30 / commedia
Par ailleurs, toutes n’ont pas cette chance.
L’éducation des jeunes filles de la classe populaire
demeure limitée et, dans les couches supérieures,
il est fréquent que le père de l’enfant ne voie pas
d’un bon œil son émancipation intellectuelle.
Complètement soumises à l’autorité paternelle,
nombre de jeunes femmes sont donc confinées à
 Pietro Longhi, La Sainte Famille. Vers 1752.
la maison, dans l’attente docile du
mariage ou de l’entrée au couvent.
La prise du voile était souvent
forcée, comme le raconte dans
ses écrits acerbes sœur Arcangela
Tarabotti, contrainte par son père
de se retirer dans un monastère.
Même si ces lieux n’étaient pas
aussi austères qu’on pourrait le
croire – on relate de nombreuses
fêtes données entre leurs murs
et, dans certains, beaucoup de
permissions de sortie étaient
accordées –, ils représentaient,
pour beaucoup, une prison. Le
mariage, qui est « avant tout,
affaire économique, non pas affaire
de sentiments »10, est souvent tout
aussi contraignant.
 Teatro San Samuele, Venise, par Gabriel Bella 1730-1799.
À l’exception de certains jeunes gens appartenant
à la classe des popolani, qui peuvent se fréquenter
puis se marier par amour, les Vénitiens contractent
des mariages de raison où fortune et réputation
sont en jeu. Passant du joug paternel à l’autorité
de son mari, la femme est investie de bien peu de
liberté. Seul le veuvage paraît une issue enviable,
les veuves ayant de l’honorabilité, on leur accorde
la possibilité de gérer librement leurs affaires,
notamment dans le domaine commercial. Par
ailleurs, le tableau n’était évidemment pas tout
noir : il existait bien des mariages heureux où, seule
ou avec son mari, une femme pouvait s’engager
dans une carrière. Les domaines de l’édition
et du théâtre étaient particulièrement propices
à cet épanouissement, malgré des conditions
matérielles parfois difficiles. Par exemple, l’actrice
Madame Medebach jouait dans la troupe de son
mari (troupe pour laquelle Goldoni écrivait au
début de sa carrière) et participait aux diverses
décisions liées à celle-ci.
Ainsi, entre, d’une part, l’épanouissement
intellectuel, artistique et social et, d’autre part, un
désir de liberté trop souvent entravé, le portrait de
la condition féminine à Venise au XVIIIe siècle est
fort contrasté. Et l’écriture de Goldoni joue de ce
contraste. Comme le remarque Élisabeth RavouxRallo, son théâtre « donne un rôle privilégié aux
femmes et en offre une image à la fois triomphante
et dominante, même si c’est parfois avec une
certaine ironie d’homme, une certaine réserve »11.
Les femmes apparaissent nombreuses dans les
comédies de l’auteur et leurs visages sont variés :
Des ménagères suspicieuses, inquiètes des
manières indépendantes d’une veuve que
leurs maris fréquentent trop assidûment à
leur goût (Les Femmes jalouses) ; des femmes
exclues de certaines réunions secrètes de leurs
hommes, qui n’ont de cesse d’être éclaircies
sur ce mystère (Les Femmes curieuses) ; des
jeunes filles de bonne humeur qui décident,
Ravoux-Rallo, E. (1984). La femme à Venise au temps de Casanova. Paris :
Éditions Stock, p. 43.
11
Id., p. 213.
10
commedia / page 31
DOSSIER
le temps d’un Carnaval, de se
divertir honnêtement en jouant
un tour à un étranger (Les
Femmes de bonne humeur) ;
des servantes qui se coalisent
contre leurs patrons mauvais
payeurs (Les Cuisinières). Et
une belle aubergiste qui part
en guerre contre les hommes
en se mettant elle-même au
défi de séduire un chevalier
misogyne, comme une grande
coquette sans scrupule pour qui
la vraie liberté consiste d’abord
à ne pas tomber amoureuse (La
Locandiera)12.
© Didier Descouens, 2013
À travers les personnages de
femmes qu’il dessine, c’est, encore
une fois, un regard lucide sur son
époque que l’auteur propose.
Adoptant une position ambiguë,
prenant tantôt le parti des femmes
désireuses de s’émanciper,
faisant tantôt preuve d’un certain
traditionalisme, Goldoni met au
premier plan certaines réalités,
notamment l’opportunisme des
sigisbées13 qui n’en ont qu’après
la fortune de leur dame, ou encore
le fléau des mariages forcés qui  Monument à Carlo Goldoni par Antonio Dal Zòtto,
broient bien des aspirations. La Venise (1883).
critique de l’entrée imposée au
couvent se fait plus discrète (il n’est pas permis bouleversements sociaux qui l’agitent. L’inscription
de l’évoquer sur scène) et, de loin en loin, un soutenue de ces derniers dans chacune des
personnage est conduit en « retraite » -- c’est comédies de l’auteur fait de celui-ci un artiste
l’euphémisme choisi. Ainsi, oscillant entre la pleinement engagé dans les tribulations de son
critique de certaines pratiques culturelles et époque, un créateur au diapason de son temps.
l’adhésion à certaines autres, le théâtre de Goldoni
se fait le miroir d’une société ambivalente à l’égard
Catherine Cyr
de la femme tout comme à l’endroit des nombreux
Decroisette, F. Op. cit., p. 199.
Chevalier servant qui accompagne officiellement et au grand jour une
femme mariée.
12
13
page 32 / commedia
Artistes contemporains
de Goldoni
Une importante partie de la vie de Goldoni s’est
déroulée à Venise, une ville reconnue de tout temps
pour son effervescence artistique. Au XVIIIe siècle,
alors qu’un lent et inexorable déclin politique et
économique ronge la Sérénissime, le monde des
arts semble former un bastion de résistance : sept
théâtres, très fréquentés, sont disséminés dans la
ville et de nombreuses représentations se jouent
en plein air. La musique, à toute heure, résonne
dans les églises et les palais, et se fait entendre
sur les places publiques. Les résidents de la ville,
comme les visiteurs étrangers, sont nombreux à
goûter les concerts et les spectacles, somptueux
ou de fortune, souvent arrimés aux fêtes du
Carnaval. La peinture n’est pas en reste. Elle
connaît une période faste grâce à la sensibilité et
au talent des artistes qui, tels Canaletto, Francesco
Lazzaro Guardi, Pietro Longhi, Giambattista
Tiepolo ou Rosalba Carriera, font émerger des
goûts et des styles nouveaux. Qu’ils réinventent
l’art de la fresque, s’attachent à la miniature et au
portrait ou cherchent à représenter la vie intime
et le quotidien, ces peintres, souvent reconnus et
appréciés à l’étranger, participent à l’ébullition de
la vie artistique vénitienne.
Giambattista Tiepolo a vu le jour à Venise en 1696.
Dernier des six enfants d’un capitaine de la marine
marchande, qui le fait orphelin à un an, il découvre
très tôt l’art pictural et fréquente assidument le
milieu bourdonnant des peintres vénitiens d’esprit
baroque, notamment Giovanni Battista Piazetta et
les trois frères Guardi. Après son apprentissage à
l’atelier de Gregorio Lazzarini, il met rapidement
en place un style unique, marqué par l’expressivité
exacerbée de la composition. « Fresquiste virtuose
[…], [il] allie aux somptueux effets de luminosité
et de théâtralité des exubérances formelles qui
sont une apothéose de l’âge baroque. Comme un
livre d’images précieuses, sa peinture exalte les
splendeurs d’un monde aristocratique »1. Dès le
début des années 1720, il se lance dans l’exécution
de fresques gigantesques, un domaine où il laissera
sa marque. Deux aspects caractérisent son style :
la netteté des personnages et l’extraordinaire
luminosité des fonds de ciel, lesquels occupent
une part immense du tableau. Vibrante, chatoyante,
la lumière domine la composition comme si elle
était elle-même le personnage principal de la
scène représentée. Dans les années qui suivent
ses débuts prometteurs, la popularité de Tiepolo
va grandissant. À Venise, les commandes ne
cessent de pleuvoir. Apprécié des nobles et du
pouvoir ecclésiastique, il orne de ses fresques
les murs des palais et des églises. Séduit par les
fastes de la ville et par la vie mondaine, il est de
toutes les fêtes. Cela ne l’empêche toutefois pas
de poursuivre une très prolifique carrière artistique
et de produire nombre de chefs-d’œuvre, parmi
lesquels les fresques pour la Scuola Grande dei
Carmini (1740-1744) et les célèbres fresques
d’Antoine et Cléopâtre au palais Labia. Durant la
dernière partie de sa vie, il fait plusieurs séjours
à l’étranger où sa peinture est également très
prisée, notamment en Allemagne. En 1761, il part
pour l’Espagne où, pendant cinq ans, il décore
trois des plafonds du palais royal de Madrid. Son
style, bien que toujours empreint d’attention pour
la luminosité, change : les compositions se font
inquiètes, nimbées de mysticisme ou d’allusions à
la mort. Il s’éteint à Madrid en 1770. Figure majeure
de l’art du XVIIIe siècle, source d’inspiration de
nombreux peintres, dont Goya, il laisse une œuvre
où se marient admirablement maîtrise technique
et sensibilité expressive.
1
www. Larousse. fr/encyclopedie
commedia / page 33
DOSSIER
quotidiennes. Comme Tiepolo, il accorde une
grande attention à la lumière mais son regard est
moins tourné vers le ciel que vers le ventre de la
ville. Contrairement aux védutistes, il sillonne les
rues, entre dans les maisons, croque des scènes
qu’il représentera ensuite sur la toile avec des
traits délicats, étalant ses couleurs claires avec de
petits pinceaux de miniaturiste. Les personnages
qu’il peint appartiennent autant à l’univers des
palais qu’à celui des maisons du peuple. Ses
thèmes de prédilection sont les scènes familières,
les concerts, les spectacles de rue, de même que
les moments intimes qui rythment la journée :
toilette des enfants ou conversation au salon.
 Pietro Longhi
Pietro Falca, dit Pietro Longhi est le plus célèbre
peintre du courant baroque italien. Né à Venise
en 1701, il y reste presque toute sa vie, attachant
sa carrière artistique aux battements de cœur
de la Sérénissime. Alors que plusieurs de ses
contemporains, comme Canaletto (1697-1768),
embrassent le « védutisme », un style qui traduit
la beauté des monuments et des paysages urbains,
Longhi se tourne vers la société des hommes. Il
participe à un nouveau mouvement qui, dans les arts
figuratifs, troque les sujets historiques ou religieux
pour la représentation de la vie quotidienne. C’est
au retour d’un séjour à Bologne, dans l’atelier du
peintre Balestra, qu’il développe peu à peu son
style propre. Après s’être adonné sans bonheur à
la fresque et à la peinture décorative, il s’initie au
portrait et à la scène de genre, inspiré notamment
par les estampes délicieusement expressives
du peintre anglais William Hogarth. Dès lors,
animé par le souci de représenter fidèlement
son époque, à la manière d’un mémorialiste, il
traduit en peinture, avec minutie, diverses réalités
page 34 / commedia
À la manière de Goldoni, avec lequel il noue
une longue amitié, il pose sur les hommes, en
particulier les biens nantis, un regard teinté
d’ironie, notamment « dans la description
de personnages richement vêtus, dans leurs
appartements, guindés dans leur vie de luxe et
de farniente »2. Or, contrairement à l’auteur de
théâtre, qui n’épargne pas de ses satires cette
société déliquescente, Longhi représente ses
semblables avec une sorte de bienveillance. Chez
lui, la moquerie, comme dans les célèbres tableaux
L’Arracheur de dents (1746) ou Le Rhinocéros (1751)
n’est jamais lapidaire mais délicate, teintée de
fraîcheur. Il meurt à Venise en 1785, au terme
d’une longue vie dédiée à la représentation fidèle
de son époque.
Rosalba Carriera est née en 1675 à Chiogga, ville
où Goldoni a passé une partie de sa jeunesse.
Elle est l’une des premières miniaturistes
européennes. Elle exerce d’abord son art à Venise
à une époque qui, certes, accordait beaucoup de
liberté aux femmes mais où peu d’entre elles
étaient pleinement engagées dans une carrière
de peintre. Sa trajectoire artistique, de même que
l’immense succès remporté par ses tableaux, sont
donc exceptionnels. Elle abandonne très tôt l’art
2
www.italie-découverte.com
sur la toile, sans effectuer de dessin préalable,
Carriera lance la mode du pastel en Europe, en
particulier à Paris, où elle effectue un séjour
en 1720. Là, du matin au soir, elle est accablée
de demandes qu’elle peine à remplir : tous les
mondains, toutes les belles dames de la Régence
désirent obtenir leur portrait. Elle exécute, entre
autres, ceux du jeune roi Louis XV, du Régent, des
princesses de Conti et de bien d’autres jeunes
femmes dont l’histoire n’a pas conservé le nom.
Son influence est grande, et durable, sur les
portraitistes français. En 1723, elle se retrouve
à la cour d’Este à Modène, en Italie, et en 1730 à
Vienne. Elle meurt à Venise en 1757, laissant une
œuvre toute en finesse, nimbée de sensibilité.
 Rosalba Carriera, auto-portrait, 1715
de la miniature, où pourtant elle excelle, pour se
consacrer quasi exclusivement à la pratique du
portrait, caractérisé chez elle par le raffinement
du trait et l’extrême attention portée au détail et
à l’expressivité. Son style, quoique marqué par
l’influence du rococo vénitien, notamment par la
peinture de son beau-frère Gian Antonio Pellegrini,
est unique : le trait est sûr, régulier, mais empreint
de légèreté. Une sorte d’évanescence, due à
l’usage exclusif du pastel, se dégage de chacun
de ses tableaux. À ce style « appartiennent les
couleurs claires et aérées, le sfumato des formes,
comme effrangées, la sensibilité mondaine et
souriante, mais très cordiale et humaine, la grâce
poudrée des dames et des chevaliers »3.
Antonio Lucio Vivaldi est né à Venise en 1678.
Celui qu’on surnommait « le prêtre roux » à cause
de sa chevelure flamboyante a créé une œuvre
musicale foisonnante qui a profondément influencé
ses contemporains et plusieurs compositeurs
 Portrait par François Morello de La Cave,
1723, d’un violoniste vénétien considéré
comme étant Vivaldi.
Si, contrairement à Longhi, elle ne teinte pas
d’ironie ses représentations d’hommes et de
femmes du monde, elle partage avec ce dernier
un souci pour le réalisme du rendu. Les visages
affichent mille détails, et, les regards, malgré la
légèreté et la clarté des couleurs, sont vifs, ou
profonds, et révèlent la complexité du monde
intérieur du personnage. Peignant directement
Laclotte, Michel et Jean-Pierre Cuzin (Dir.), Dictionnaire de la peinture,
Paris, Larousse, 2003, p. 158.
3
commedia / page 35
DOSSIER
européens des générations suivantes, notamment
Bach et Telemann. Vivaldi était d’abord un
violoniste virtuose. Aussi, bien qu’il ait écrit
plusieurs concertos de soliste pour d’autres
instruments (piccolo, hautbois, basson, mandoline,
viole d’amour…), et bien qu’il ait composé des
cantates, de la musique lyrique et de la musique
sacrée, il s’est fait connaître avant tout grâce
à ses pièces pour violon. Très prisée en Italie,
sa musique a aussi enchanté, plusieurs années
durant, les mélomanes de toute l’Europe, grâce au
travail des copistes et des imprimeurs. Impresario
du Teatro San Angelo de Venise pendant plusieurs
années, Vivaldi y fit jouer plusieurs de ses opéras.
Compositeur prolifique, il se targuait de pouvoir
écrire un concerto plus rapidement que le copiste
ne pouvait le transcrire ! En juillet 1741, au soir
d’une vie entièrement consacrée à la musique, il
s’éteint dans la misère, à Vienne, et est enseveli
le jour même dans le cimetière de l’hôpital. Sa
dépouille est accompagnée par le « glas simple »
réservé aux gens de modeste condition ou aux
personnes seules et sans attaches. Il sombre
rapidement dans l’oubli. L’époque baroque, en
effet, « considère que l’œuvre d’art ne vaut que
dans l’instant et meurt avec son créateur »4. Ce
n’est qu’au XIXe siècle que le compositeur est
redécouvert grâce à des retranscriptions réalisées
à l’étranger. Son œuvre, immense, solaire, ne sort
pleinement de l’obscurité qu’au siècle suivant.
Ses Quatre Saisons comptent aujourd’hui parmi
les pièces les plus jouées au monde.
S’il est vrai que la période baroque exalte l’instant
présent et que nombre de créateurs, à l’instar
de Vivaldi et de Goldoni, disparaissent dans
l’indifférence, l’art du XVIIIe siècle ne s’inscrit
pas dans l’éphémère. Grâce au travail patient de
ceux qui l’ont redécouvert, perpétué, ou réinventé,
parvient aujourd’hui jusqu’à nous une sensibilité
artistique qui, à travers ses multiples déclinaisons,
à ouvert la voie à de nouvelles représentations du
monde. Des représentations qui, s’éloignant de
la figuration des mythes profanes et religieux, se
sont attachées à montrer la réalité des hommes et
des femmes de leur temps, révélant leur beauté de
même que leurs failles et leurs fragilités.
Catherine Cyr
Patrick Barbier, La Venise de Vivaldi. Musique et fêtes baroques. Paris,
Grasset, 2002, p. 261.
4
page 36 / commedia
Le XVIIIe siècle : quelques
repères
1673
Mort de Molière
1678
Naissance de Vivaldi
1688
Naissance de Marivaux
1696
Naissance de Tiepolo
1697
Bannissement des acteurs italiens de France. Leur retour est autorisé
en 1716
1701
Naissance de Longhi
1707
Naissance de Goldoni
1714
Les Turcs déclarent la guerre à Venise
1720
Naissance de Gozzi
Inauguration du Haymarket Theatre Royal de Londres
1725
Naissance de Casanova
1729
La Passion selon saint Matthieu de Bach
1732
Naissance de Beaumarchais
1732
Goldoni devient avocat au barreau de Venise
1734
Engagement au Théâtre San Samuele
1736
Venise devient port franc
1737-1741
Goldoni dirige le Théâtre San Giovanni Crisostomo
1738
Paix de Vienne
1741
Le Messie de Händel
1741-1743
Goldoni est consul de la République de Gênes à Venise
1744
La Donna di garbo (La Brave Femme) : premier texte de Goldoni
entièrement rédigé
1745
Goldoni à Pise comme avocat
1748
Goldoni signe un contrat avec Girolamo Medebach pour le Théâtre
Sant’Angelo
1749
Début de la rivalité Goldoni / Chiari
1750
La Famiglia de il antiquario (La Famille de l’antiquaire) premier texte de
Goldoni joué sans masques. Goldoni écrit seize comédies en un an pour
le Sant’Angelo
1751
Publication en France des deux premiers volumes de l’Encyclopédie
commedia / page 37
DOSSIER
1753
Goldoni signe un contrat avec les frères Vendramin pour le Théâtre San
Luca
Création de La Locandiera
1756-1763
Guerre de sept ans entre l’Angleterre et la France
1757
Luttes Goldoni / Gozzi. Gozzi compose ses Fables théâtrales pour le
Théâtre San Samuele
1758
Lettre sur les spectacles de Rousseau
1759
Ouverture du premier théâtre public en Russie
1761
L’Amour des trois oranges de Gozzi
1762
Exil de Goldoni en France ; Fusion de la Comédie-Italienne avec l’OpéraComique ;
Le Roi Cerf et Turandot de Gozzi
1763
Mort de Marivaux
1764
Construction du Théâtre de Drottningholm à Stockholm
1765
L’Éventail de Goldoni triomphe au Théâtre San Luca. Goldoni est à
Versailles, maître de langue de la princesse Adélaïde, fille de Louis XV
1767
Naissance de Napoléon
1771
Présentation du Bourru bienfaisant à Paris, à la Comédie-Française
1773
Le Paradoxe sur le comédien de Diderot
1776
Déclaration d’indépendance des colonies américaines
Traduction française des œuvres de Shakespeare
1778
Inauguration du Théâtre de la Scala à Milan
1783
Paix de Versailles et naissance des États-Unis d’Amérique
1784
Goldoni commence à écrire ses Mémoires en français
1789
Déclenchement de la Révolution française.
Lodovico Manin, 120e et dernier Doge
1793
Mort de Goldoni à Paris
1797
Traité de Campo Formio. L’Autriche reçoit Venise et ses Territoires en
échange de la Belgique et de la Lombardie. La France annexe Corfou,
Zante et Céphalonie
Sources : Françoise Decroisette, Venise au temps de Goldoni, Hachette 1999
Nicola Mangini, Goldoni, Seghers 1969
page 38 / commedia
Pour en savoir plus...
Sur Carlo Goldoni
Les fourmillants Mémoires du dramaturge italien ont
abreuvé, en partie, l’élaboration de Commedia. Dans
cet ouvrage rédigé à la fin de sa vie, l’auteur raconte
son long parcours d’homme de théâtre, depuis son
enfance sous le signe du spectacle jusqu’aux succès
et aux tumultes de sa longue carrière. Cultivant la
nostalgie de l’Italie, il en brosse aussi un portrait
idéalisé. Il existe plusieurs éditions de l’ouvrage.
À la Grande Bibliothèque de Montréal, on peut
trouver celle établie et annotée par Paul de Roux :
Mémoires de M. Goldoni pour servir à l’histoire de
sa vie et à celle de son théâtre, Paris : Mercure de
France, 2003 (1988).
Gérard Luciani, professeur à l’Université Stendhal
de Grenoble et spécialiste du théâtre vénitien est
l’auteur d’une monographie à la fois accessible
et très minutieuse portant sur la vie de Goldoni
comme sur son théâtre. Le chercheur présente,
notamment, le contexte artistique et socio-politique
dans lequel a pris naissance la réforme théâtrale
goldonienne. Il met en lumière plusieurs aspects
de celle-ci avec de nombreux exemples tirés des
pièces de l’auteur. L’ouvrage s’intitule Carlo Goldoni
ou l’honnête aventurier. Il est publié aux Presses
Universitaires de Grenoble (2002).
Un dossier de la revue JEU a été consacré à La
Locandiera de Goldoni, monté au TNM par Martine
Beaulne. Dans ce dossier, on lira, en particulier,
l’article de Giuseppina Santagostino, « Carlo Goldoni
et sa double réforme », p. 9-16. Les Cahiers de théâtre
JEU, no 70, 1994.1.
Le Cahier no 80 (Automne 2011) du Théâtre DenisePelletier a été consacré à la production d’Il Campiello
de Goldoni, production du Théâtre de l’Opsis et mise
en scène de Serge Denoncourt.
Sur Venise au XVIIIe siècle
Professeure de langue et de civilisation italiennes à
l’université de Paris-VIII, Françoise Decroisette signe
un ouvrage incontournable, richement documenté,
sur la vie à Venise au XVIIIe siècle. Spécialiste
du théâtre et de l’opéra italiens, l’auteure allie,
dans ce livre intitulé Venise au temps de Goldoni
(Hachette, 1999), la mise en perspective historique
et des citations tirées de l’œuvre du dramaturge et
de certains de ses contemporains. Les systèmes
économique et socio-politique y sont abordés, de
même que divers aspects de la pratique artistique
et de la vie quotidienne.
Intéressée par la condition féminine à Venise au
XVIIIe siècle, Elisabeth Ravoux-Rallo, qui enseigne
la littérature comparée à l’université de Provence,
a écrit La Femme à Venise au temps de Casanova
(Stock, 1984), imposant ouvrage qui expose les
ambitions, les luttes et les créations de nombreuses
femmes, que celles-ci appartiennent à la classe
populaire ou à la noblesse. Son étude est d’autant
plus passionnante qu’elle fait une large place à des
textes originaux et méconnus, écrits par les femmes
elles-mêmes.
Sur le théâtre
Dirigé par Daniel Couty et Alain Rey, l’ouvrage
collectif Le théâtre (Bordas, 1995) comporte un
chapitre intitulé « La commedia dell’arte : l’acteur
au centre de la création ». Cette étude présente
la commedia dell’arte et ses spécificités, de son
origine jusqu’à son déclin. En outre, ses pages
sont magnifiquement illustrées par des dessins et
reproductions de tableaux de l’époque.
Pour une recherche d’informations précises, qu’elles
soient historiques, esthétiques ou terminologiques,
on consultera le Dictionnaire du théâtre dirigé par
Patrice Pavis et publié aux Éditions Armand Colin.
Autres titres
Barbier, Patrick (2002), La Venise de Vivaldi. Musique
et fêtes baroques. Paris, Grasset.
Jonard, N. (2002), Histoire de la littérature italienne.
Paris, Ellipses.
Laclotte, Michel et Jean-Pierre Cuzin (Dir.) (2003),
Dictionnaire de la peinture. Paris, Larousse.
Luciani, G. (1992), Carlo Goldoni ou l’honnête
aventurier. Grenoble, Presses Universitaires de
Grenoble.
Nardone, J.-L. et A. Perli (2002), Anthologie de la
littérature italienne, 2, XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Toulouse, Presses Universitaires du Mirail.
commedia / page 39
DOSSIER
POUR ALLER PLUS LOIN
En musique
Le Musée des beaux-arts de Montréal a présenté
du 12 octobre 2013 au 19 janvier 2014 une grande
exposition intitulée Splendore a Venizia – Art et
musique de la Renaissance au baroque à Venise.
Plusieurs des artistes contemporains de Goldoni,
des peintres comme des musiciens, y étaient à
l’honneur. Pour accompagner l’exposition, un
très beau disque compilation de quinze pièces
de grands compositeurs a été produit. Sur
celui-ci, on retrouve, notamment, des œuvres
d’Antonio Vivaldi, Claudio Monteverdi, Giovanni
Gabrieli et Tomaso Albinoni. Le titre du disque
est Splendore a Venezia et il est coproduit par
la maison montréalaise Atma et le Musée des
beaux-arts de Montréal.
Au cinéma
Bien des œuvres cinématographiques ont eu
pour cadre, au fil du temps, les rues et les places
de Venise. Filmée sous tous ses angles, les
plus somptueux comme les plus décadents, la
Sérénissime a été à l’honneur dans des films
de Federico Fellini (Casanova), Luchino Visconti
(Mort à Venise, Senso), Michelangelo Antonioni
(Identification d’une femme) et, plus récemment,
Woody Allen (Tout le monde dit I love you) et André
Téchiné (Impardonnables).
Sur le théâtre italien
Le chercheur Stéphane Resche a fait paraître,
récemment, un article portant sur la foisonnante
dramaturgie italienne actuelle. L’auteur présente
quelques écrivains phare et aborde les dimensions
thématiques et esthétiques des pièces de même
que certains aspects reliés à leur contexte de
production. L’article s’intitule « Nouvelles énergies
sud-italiennes ». Il est paru dans JEU Revue de
théâtre, no. 149, 2014.1
page 40 / commedia
Détecter, lors de la représentation,
les scènes …
Les scènes à l’école. Goldoni est renvoyé de
son collège. Il a le trac parce qu’il doit passer un
méga examen.
Les scènes entre Goldoni et son père qui veut lui
faire apprendre un métier qu’il n’aime pas.
Les scènes avec sa mère sur des femmes qu’il
devrait épouser alors qu’il en aime d’autres.
… et les moments …
De poésie…
De fureur et d’hypocondrie mais toujours branchés
sur une souffrance morale (sentiment de rejet, de
solitude, d’incompréhension)
De réflexions sur l’écriture qui sont orageuses et
qui relèvent d’une guerre des générations. … et les façons d’écrire.
Les scènes sont extrêmement courtes, le rythme
rapide, pour ne pas dire effréné.
La structure n’est pas linéaire ; c’est parfois
comme surfer sur internet.
Les scènes «sérieuses» sont toujours placées
entre deux scènes de jeunesse...
PETIT LEXIQUE
Mots
Basta ! : Tant pis ! Ça suffit ! Au diable !
Un benêt : Un idiot.
Bichonner : Caresser, embrasser, chouchouter,
prendre soin de…
Un bigot : Quelqu’un de très religieux.
Bougre, sodomite, Jésuite, Chevalier de la
Manchette : Homosexuel.
Castelet : Petit théâtre de marionnette.
Un censeur : Quelqu’un qui lit les pièces pour
enlever des extraits qui ne conviennent pas aux
règlements, lois, mœurs établis. Il peut aussi la
faire interdire.
Une charge : Un travail, une fonction effectuée
pour la République. Lorsqu’un membre de la
famille mourrait, il fallait payer pour permettre à
un parent de prendre sa place.
Une Donna : Une dame.
Une dot : Montant d’argent que la femme (ou son
père) donnait à son mari lors du mariage.
Encorner, Se faire poser des cornes : Être cocu.
C’est-a-dire être trompé (infidélité conjugale) par
sa femme.
Exécrable : Détestable. Mauvais.
Fourbe : Malhonnête.
Son génie : Son talent.
Gondolier : Qui pilote une gondole. Petit bateau
allongé, conduit à la rame.
Hypocondriaques : Des gens qui imaginent qu’ils
sont malades.
Un lourdeau : Un maladroit, un idiot
Médisances : Des propos méchants (sur quelqu’un
d’autre), faux, des racontars.
Minauder : Être affecté, jouer à la petite fille.
Des missives : Des lettres. Des messages.
Une muse : Qui inspire. Donne des idées. La muse
souffle à l’oreille du poète ce qu’il doit écrire.
Un prétendant : Un amoureux (qui prétend à la
main d’une femme ou à son amour).
Des pleutres : Des peureux.
Les Plombs : Prison de Venise. Annexe au Palais
des Doges.
Un protecteur : Un mécène. Quelqu’un qui offre de
l’argent à un artiste pour qu’il réalise une œuvre
d’art. Et qui à cette époque «défendait» l’artiste si
celui-ci rencontrait des difficultés avec la censure
ou la Justice.
Un puceau : Un garçon qui n’a jamais fait l’amour.
Une réforme : Un grand changement.
Une rente : Montant d’argent versé de façon
régulière.
Satyre : Personnage lubrique, obscène, vicieux. Ne
pas confondre avec une satire qui est une parodie,
une imitation parfois méchante de quelqu’un ou
quelque chose.
Des sequins : Ce sont des pièces de monnaie. De
l’argent.
Une soubrette : Une servante. Un personnage
souvent amusant et gai. Peut être fourbe parfois.
Suave : Doux.
Expressions
Avoir grand souci : Faire grand cas de quelque
chose. Y accorder une grande importance.
Brisons-là !: Mettre un terme à une discussion.
Arrêter de parler de quelque chose.
Donner une pièce : La jouer, la présenter.
Faire la lippe : Bouder.
Je me suis échiné : J’ai travaillé très fort.
La pièce est tombée : Elle n’a pas eu de succès, on
ne la présente plus.
Mener grand train : Vivre luxueusement.
On n’y comprend goutte : Ne rien comprendre !
Quelqu’un de basse extraction : Qui n’est pas de la
noblesse ou d’une grande famille.
S’attirer les faveurs : Les bonnes grâces,
l’affection, l’aide de quelqu’un.
Un joli minois : Un joli visage.
Établi par Pierre Yves Lemieux,
janvier 2014
commedia / page 41
© Josée Lambert
Lucrèce Borgia,
1996-1997, TDP,
Marie-France Lambert
et Normand D’Amour
les 50 ans du
Théâtre denise-Pelletier
© Robert Etcheverry
Edmond Dantès,
2003-2004, TDP,
Gary Boudreault et
François-Xavier Dufour
Après des études en interprétation et en mise en scène à
l’École nationale de théâtre, Pierre Rousseau a œuvré pendant
plusieurs années au Théâtre de Quartier. Il a aussi occupé le
poste de conseiller culturel en théâtre au Conseil des Arts
de Montréal avant de devenir directeur général du Conseil
québécois du théâtre. Très engagé dans le milieu artistique, il
est présentement président des conseils d’administration de
Théâtres Associés inc. et de Diagramme, gestion culturelle
en danse. Il a enseigné à l’École nationale de théâtre et il est
chargé de cours à l’École supérieure de théâtre de l’UQÀM
depuis plusieurs années. Il est directeur artistique du Théâtre
Denise-Pelletier depuis 1995.
Pierre Rousseau raconte…
Je connaissais bien la compagnie, qui se nommait
encore Nouvelle Compagnie théâtrale1, je côtoyais
Jean-Luc Bastien depuis fort longtemps et je
trouvais très audacieuse la modernisation
que Brigitte Haentjens avait apportée à la
programmation. Comme la mission de la compagnie
est d’intéresser les jeunes au répertoire et, par
conséquent, leurs enseignants, j’étais curieux de
connaître leur intérêt pour le théâtre contemporain.
J’ai constaté très tôt que les enseignants étaient
peu enclins au théâtre de création, difficile
d’accès à cause de l’absence de textes et d’études
critiques. J’ai cependant gardé une belle ouverture
dans nos saisons pour celles et ceux qui cherchent
ce genre de dramaturgie actuelle, et j’ai vu que ce
serait possible à la Salle Fred-Barry.
Au Théâtre Denise-Pelletier, on travaille à partir
de 2 500 ans de répertoire : c’est notre mission.
La compagnie adopte le nom de Denise Pelletier, grande comédienne
québécoise, en 1997.
1
© Josée Lambert
PRÉSERVER L’ACCÈS
DES JEUNES AU THÉÂTRE
ET AU RÉPERTOIRE
Pierre Rousseau, 1995
Des Grecs jusqu’à aujourd’hui, les pièces les plus
représentatives de la dramaturgie occidentale
retiennent notre attention. Certaines n’ont plus
d’intérêt aujourd’hui ou n’en ont pas pour un
jeune de 15 ans. Auguste Strindberg, par exemple,
est l’un de mes auteurs préférés, mais je ne
programmerai pas Danse de mort ! Une grande
partie de mon travail se fait avec les metteurs
en scène, et je me montre toujours très ouvert
à leurs propositions. C’est de discussion en
discussion qu’on trouve la pièce qui convient et qui
correspond à nos critères. Avec Denise Guilbault,
par exemple, nous avons mis deux ans à fouiller la
première moitié du XXe siècle pour nous entendre
finalement sur La Reine morte de Montherlant. Au
metteur en scène Claude Poissant, j’avais proposé
le texte d’un romantique allemand, mais il a plutôt
suggéré Lucrèce Borgia de Victor Hugo. C’est clair
que les propositions doivent rencontrer notre
mandat et qu’il se crée une belle synergie avec
ces artistes qui comprennent bien ce qu’on fait
ici et qui ont envie d’y participer.
50 ans du Théâtre Denise-Pelletier / page 43
les
50 ans du
Théâtre denise-Pelletier
Mais qui jouer, quoi jouer ? Si nous voulons mieux comprendre le présent,
Certaines pièces présentent des difficultés de
réception. Depuis 10 ans d’ailleurs, je constate
qu’une frilosité s’est installée chez les enseignants,
constat qui rejoint le débat actuel sur les balises
dont ils ne disposent pas toujours pour appuyer
leurs décisions. Et comme ils veulent éviter les
situations conflictuelles, il est normal que certains
hésitent à choisir tel spectacle plutôt qu’un autre,
tout dépendant de ce qui y est véhiculé.
Afin d’accompagner les enseignants, nous les
invitons toujours à voir les spectacles à l’avance
de façon à détecter leurs hésitations. Est-ce que je
monterais ici Le Marchand de Venise ? Dans Marie
Tudor, joué en janvier dernier, un personnage se
nomme Le Juif. Que faire ? Il n’est pas question de
couper ni d’édulcorer. S’il s’agit d’un détail qui n’a
pas d’impact sur la mise en scène et sur la valeur
de la représentation, nous en discutons. Je suis
prêt à l’occasion à faire un compromis, mais je
respecte au final la décision du metteur en scène.
© Josée Lambert
Le Menteur, 2002-2003, TDP,
Roxanne Boulianne et Marie-Ève Des Roches
page 44 / 50 ans du Théâtre Denise-Pelletier
il ne faut pas réécrire l’histoire. Mon champ de
possibilités en est cependant réduit d’autant. De
plus, les enseignants subissent une réforme après
l’autre dans notre système d’éducation.
Dans la grande région montréalaise, les enseignants
se trouvent devant des élèves dont le niveau de
compréhension du français est particulier. Ils
parlent leur langue d’origine, l’anglais et puis, en
troisième lieu, le français. Une pièce en alexandrin
pose donc un niveau de difficulté élevé, dont Le
Cid de Corneille. On a peut-être tendance à sousestimer la capacité de réception de ces élèves,
mais c’est une réalité qui n’était pas présente il
y a 30 ans.
Ce qu’il faut préserver,
c’est l’accès des jeunes au
théâtre et au répertoire.
Agir dans le présent,
sur le présent ?
Avec une pièce québécoise des années 1940 et
1950, nous donnons à un jeune de la diaspora
mondiale installée ici un accès au Québec
d’avant les années 1960 ! Nous faisons là œuvre
d’éducation. Mettre en scène une pièce du
répertoire, c’est immanquablement s’attarder à
l’histoire, à la géographie, aux sciences. Et il se
trouve dans nos Cahiers une mine d’informations.
C’est un gros atout. Mes rencontres dans les
classes surviennent quand le spectacle est à la
veille des représentations et je bénéficie alors
d’une somme d’informations impressionnante,
collée à la production comme telle. De plus, j’essaie
toujours de tisser des liens avec l’actualité, la nôtre
et l’internationale.
Le Pantin de bois, 2002-2003, Marc Mauduit,
production Tenon Mortaise
© Rolline Laporte
© Rolline Laporte
L’Insaisissable Mandarin, 2002-2003,
Diane Loizelle, production Tenon Mortaise
Une saison en deux salles
Rénover / restaurer
Dans les années 1980, Fred-Barry était la seule
salle à géométrie variable à Montréal. Très
convenablement équipée, elle offrait beaucoup de
possibilités aux jeunes compagnies. À la fin des
années 1990, les lieux semblables se sont multipliés
et tout à coup Fred-Barry était… au bout du monde !
J’ai proposé au CA de prendre la direction des deux
salles, de rendre le tout organique, de composer une
seule saison en deux salles. Et à Fred-Barry, d’abord
identifiée à la création dramatique, j’ai commencé
à programmer des pièces pour les écoles, et puis
j’ai décidé de tout ouvrir au choix des enseignants.
Ce travail incessant d’accompagnement fait partie
de notre démarche. Je n’ai pas le choix de voir
ma programmation à travers le prisme du milieu
scolaire.
Une des premières choses sur laquelle Rémi
Brousseau2 et moi sommes tombés d’accord à
notre arrivée, c’était de refaire l’auditorium. Quand
la NCT a transformé le lieu en 1975, la salle a été
un peu négligée au profit de la scène. La pente
des fauteuils est restée la même qu’à l’époque du
Granada construit en 1930, et les dernières rangées
de fauteuils étaient désavantagées.
À Fred-Barry, il y a des saisons qui n’offrent rien aux
élèves du secondaire, où la création est majoritaire.
Parfois aussi, les pièces sont tirées du répertoire,
ce qui donne aux jeunes metteurs en scène de la
relève l’occasion de travailler des classiques dans
un tout autre contexte et aux jeunes spectateurs de
côtoyer ces textes dans un cadre intime.
Et comme la politique du 1% s’appliquait3, nous
avons commandé une œuvre selon nos critères :
elle devait être ludique, placée à l’extérieur pour
que les gens y aient accès et se l’approprient,
une œuvre dont les éléments en trois dimensions
On a commencé les études de reconstruction en
1997 et tout a été refait en 2007 pour un excellent
rapport scène-salle et une adéquation technique très
intéressante pour le théâtre. Nos architectes Saia
Barbarese Topouzanov ont remporté deux prix dont
le 1er Prix du jury, catégorie Conservation et restauration, de l’Ordre des architectes du Québec (2011).
Directeur général du TDP, Rémi Brousseau est arrivé en poste en même
temps que Pierre Rousseau.
Politique d’intégration des arts à l’architecture qui consiste à allouer
environ 1 % du budget de construction d’un bâtiment à la réalisation
d’œuvres d’art précisément conçues pour celui-ci.
2
3
50 ans du Théâtre Denise-Pelletier / page 45
les
50 ans du
Théâtre denise-Pelletier
La Cerisaie, 2002-2003, Salle Fred-Barry,
Martin Vaillancourt et Amélie Bonenfant,
La Société Richard III
© Yvon Latreille
À suivre…
respecteraient la fenestration importante du hall. La
(les) leçon(s) plurielle(s) de la sculpteure Rose-Marie
E. Goulet nous a touchés au cœur. Et nous voyons
continuellement des enfants, des adultes jouer avec
les éléments au sol et en trois dimensions.
Et maintenant ?
Après Le Cid, de facture plutôt classique présenté
à l’automne 2013 - afin que nos jeunes en aient
vu au moins un pendant leur secondaire - nous
accueillons l’automne prochain une Andromaque
actualisée, qui met en évidence les enjeux
politiques plutôt que les tiraillements du quatuor
amoureux – Oreste aime Hermione qui aime
Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime encore le
souvenir d’Hector, son mari décédé. Le contexte
est celui d’une guerre dont nous suivrons le
déroulement sur les écrans de CNN, RDI, AlJazeera …
Décidément, l’histoire du TDP est à suivre pendant
encore plusieurs décennies !
Propos recueillis et mis en forme par
Hélène Beauchamp
Pierre Rousseau, 2013
Du côté du financement des arts, la stagnation est
importante : les montants n’ont pas bougé depuis
2002, alors que tout coûte plus cher. C’est ce qui
entraîne pour nous les productions en partenariat
et l’achat de spectacles plutôt que des productions
maison, et ce n’est pas toujours évident de trouver
des spectacles qui correspondent à la mission du
TDP. On est dans un contexte très difficile.
page 46 / 50 ans du Théâtre Denise-Pelletier
© Martine Doyon
Mes craintes sont du côté du système d’éducation.
Les nouvelles cohortes d’enseignants viendront
d’une génération qui n’a pas nécessairement
le même fond culturel que les précédentes. Ils
ont surtout été formés à la pédagogie et non au
contenu. Le débat sur l’abolition des Commissions
scolaires est en cours et les sommes disponibles
pour le transport lors des sorties culturelles des
élèves sont les mêmes depuis 20 ans. Et on est
dans une baisse démographique jusqu’en 2017.
Salle Fred-Barry
ALBUM DE FINISSANTS
LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ
LES ZURBAINS 2014
page 47
L’ÉQUIPE ET Les COMPAGNIE
ALBUM DE FINISSANTS
Une création portée par Michelle Parent et Anne Sophie Rouleau
Adaptation et mise en scène de Anne Sophie Rouleau
D'après le texte de Mathieu Arsenault © Les Éditions Triptyque
Une coproduction de Pirata Théâtre et Matériaux Composites, en codiffusion avec le
Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry
Du 12 au 22 mars 2014
Interprètes
Dany Boudreault
Alexandre Leroux
Xavier Malo
Michelle Parent
Annie Valin
Un chœur de 15 à 20 jeunes finissantes et
finissants des écoles secondaires Léopold-Gravel
et Armand Corbeil de Terrebonne, Leblanc de
Laval, de la Pointe-aux-Trembles et du Collège de
Montréal.
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
Scénographie,
décor et accessoires.................... Marie-Ève Fortier
Costumes..................................... Marianne Thériault
Conception sonore
et direction technique....................Samuel Thériault
Éclairages et régie............... Andréanne Deschênes
Vidéo..................................................Josué Bertolino
Direction de production......................Magali Letarte
Répétitrices auprès des jeunes
.............. Marie-Ève Archambault, Rachèle Gemme
Conseillère dramaturgique
.................................. Marie-Hélène Larose-Truchon
Conseillère en voix
et diction ............................. Marie-Claude Lefebvre
Nous remercions le Théâtre Denise-Pelletier pour
son soutien à la communication avec les milieux
scolaires
LES COMPAGNIES
Pirata Théâtre
Fondé en 2009, Pirata Théâtre rassemble dans la
création et sur scène des professionnels du théâtre
et des personnes issues de diverses communautés.
page 48 / ALBUM DE FINISSANTS
Confrontant différents matériaux, différents modes
de vie ou cultures, ils cherchent autant à enrichir
la création qu’à estomper les frontières entre les
individus et les groupes. Provocant des rencontres
improbables entre des univers éloignés pour mettre
en scène un imaginaire collectif plus riche, ils veulent
dépasser les barrières sociales, que ce soit celles
de la communauté artistique ou du monde de la rue,
ou encore celles des générations...
Au nombre de ses réalisations marquantes on
compte La Maison, présentée en 2009 à la Salle
Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier après deux
ans de recherche et création avec des jeunes femmes
en difficulté rencontrées à la maison Passages. La
production fut couronnée du prix de la pertinence
sociale - le Noble cochon - au Gala des Cochons
d’or de cette même année.
https://fr-ca.facebook.com/pages/PIRATA-TH%C3%
89%C3%82TRE/192023967513546
Matériaux Composites
Actif depuis 2005, Matériaux Composites poursuit
une recherche esthétique audacieuse et compte
plusieurs créations protéiformes, dont le spectacle
Passages présenté à La Chapelle (Montréal) en 2008.
Espace de liberté, d’invention, de rencontre, MC
rassemble des artistes issus de différentes disciplines
(théâtre, danse et arts visuels) autour de projets
qui bousculent les conventions et brouillent les
frontières des genres. Favorisant le métissage des
matériaux et des disciplines, MC cherche à créer des
liens sensibles, poétiques et souterrains entre des
fragments épars, afin que le théâtre soit d’abord une
expérience dédiée à tous nos sens.
http://compagniemateriauxcomposites.blogspot.ca/p/
compagnie.html
Metteure en scène, Anne Sophie Rouleau est diplômée du bac (2004) et
de la maîtrise en théâtre (2007) de l’UQÀM, où elle s’est vu décerner la
bourse « Georges-Laoun du meilleur mémoire-création » pour Passages
qui explore les notions de rythme et de choralité au théâtre. Directrice
artistique de Matériaux Composites, elle a présenté plusieurs créations
sur la scène montréalaise, dont le laboratoire public Mirabilis (2010) et
la série des Living Rooms (2012-2013), installations performatives au
carrefour des arts visuels et du théâtre, dans différentes Maisons de la
Culture et festivals (Zone Homa, Art Souterrain, etc.). Parallèlement,
Anne Sophie est conteuse pour les tout-petits et s’intéresse à la
création petite enfance.
 Anne-Sophie Rouleau
Comédienne de formation (UQÀM, 2006), Michelle Parent a travaillé avec
Camera Obscura et le Tessri Dunya Theater à Montréal ainsi qu’avec le Teatro
Da Vertigem à Paris. En 2010, elle était de la distribution de Homo Faber
présenté par la compagnie Parabolik Guerilla aux Zécuries (Montréal). Elle a
écrit trois pièces dont Alice surexposée et Dommages collatéraux de la guerre
des tuques. À la télévision, on l’a vue dans diverses publicités et dans Unité
9. En tant que fondatrice et directrice artistique de Pirata Théâtre, Michelle
agit à titre de metteure en scène et d’interprète. Elle enseigne aussi le jeu
et l’écriture dramatique à des personnes en difficulté notamment au Centre
Dollard-Cormier, à l’organisme Passages et collabore avec l’organisme de
théâtre d’intervention Mise au jeu.
Comment vous y êtes vous prises pour
adapter à la scène le monologue intérieur,
une suite de courts fragments, écrit par
l’auteur Mathieu Arsenault ?
Anne Sophie Rouleau : Album de finissants ne
présente pas de récit à proprement parler, il n’y
a pas de lien évident entre les différentes voix
du texte et on n’y retrouve pas de personnages
nettement définis. On traverse plutôt des états.
Pour adapter cette œuvre fragmentaire, nous
savions d’emblée que nous allions travailler par
tableaux. La première étape a été la présélection de
fragments avec Michelle Parent. Nous y sommes
© Mélanie Éliotte
© Marie-Ève Fortier
ENTRETIEN AVEC ANNE SOPHIE ROULEAU ET MICHELLE PARENT
 Michelle Parent.
allées avec nos coups de cœur. La seconde étape
a été de les tester dans les écoles. Nous avons
effectué 25 ateliers de présentation des fragments
devant environ 800 jeunes de secondaire 4, issus
de 4 écoles différentes. Lors de ce premier contact,
Michelle lisait les textes choisis et les jeunes
étaient invités à écrire tout ce que les extraits
déclenchaient en eux. Ces réactions ont constitué
de précieux matériaux pour l’orientation du travail
d’adaptation.
Par la suite, il y a eu tout un travail d’interprétation
chorégraphique de l’œuvre. En cours de route, il a
fallu déterminer une structure car, à défaut d’offrir
ALBUM DE FINISSANTS / page 49
© Marie-Ève Fortier
 Laboratoire, août 2013.
une histoire clairement définie, je souhaitais que
le spectacle soit non pas un simple collage, mais
une véritable traversée. Il est donc construit
comme une journée d’école, ponctuée par les
cloches et divisée en quatre périodes. Je me
suis aussi inspirée des poèmes d’Émile Nelligan1,
parce qu’ils sont cités et remaniés dans Album
de finissants. Nous avons donc tissé le spectacle
en effectuant des allers et retours entre le texte
original, les ateliers de recherche-création avec
les adolescents, le travail chorégraphique et les
laboratoires avec les acteurs.
Et qu’en est-il de tout le matériel amassé
autour de l’œuvre avec les jeunes ?
Michelle Parent : Tout d’abord, nous avons
sélectionné 4 écoles avec l’aide du service scolaire
du Théâtre Denise-Pelletier et nous avons filmé
nos rencontres avec les jeunes. Cela nous a permis
d’observer l’évolution des postures physiques de
« Le Vaisseau d’or » et « Soir d’hiver »
1
page 50 / ALBUM DE FINISSANTS
800 jeunes après 10 minutes, 20 minutes et 45
minutes d’écoute à leurs pupitres. Ces vidéos
nous ont beaucoup servis lors de la création de
la partition chorégraphique.
A.S.R.: C’est aussi dans ce contexte-là que nous
récoltions leurs réactions spontanées durant la
lecture des textes.
M.P. : Nous avons donc amassé 800 copies de
textes d’Album de finissants annotés par les jeunes.
Pour chaque groupe, nous prenions un extrait
différent. Nous avons ainsi constitué un répertoire
de 25 extraits, chacun décliné en 25 réactions
différentes !
A.S.R. : Nous avons reçu des dessins, des
commentaires, des questions, des confessions
et des poèmes. Nous avons aussi réalisé des voxpop vidéographiques en lien avec les thématiques
abordées dans Album de finissants. Ensuite, nous
avons fait quatre ateliers de recherche-création
dans chaque école avec les jeunes intéressés
à poursuivre le projet. Lors des ateliers, j’étais
toujours accompagnée d’un acteur ; la plupart du
temps c’était Michelle, mais tous les autres sont
venus aussi. Cela nous a permis d’établir les bases
de l’interaction entre les comédiens et les jeunes,
tant au niveau de la lecture des fragments, que
de la coordination entre les gestes et les paroles.
Nous avons travaillé sur l’écoute pour faire en
sorte que le geste aide à mieux faire entendre le
texte et vice-versa.
Le texte propose une réflexion parfois
cynique sur la notion de performance à
l’école…
A.S.R. : En interrogeant les adolescents, nous
avons constaté qu’ils ne sont pas à l’abri d’un
certain désenchantement à l’égard de la société,
mais que d’un autre côté, ils ont aussi un cœur
d’enfant : ils sont pleins d’espoir, de ludisme et
d’énergie ! Ils n’ont pas encore expérimenté la
vie sous toutes ses facettes et ils ont très envie
de vivre ce monde-là. Nous travaillons à intégrer
cet éclat, cet élan et cet enthousiasme dans notre
adaptation. L’espoir réside aussi dans la manière
dont l’auteur écrit, c’est-à-dire dans le rapport
qu’il entretient avec l’imaginaire. Quand il se bat
contre une règle de grammaire, il se bat contre le
système et les clichés ; il les utilise, les détourne :
il résiste. En rendant les jeunes conscients de cet
© Josué Bertolino
 Laboratoire, août 2013.
ALBUM DE FINISSANTS / page 51
aspect de l’œuvre, nous travaillons avec eux à
mettre en lumière certains carcans pour qu’ils les
transforment de manière créative. Notre adaptation
n’est pas du tout une charge contre l’école ou la
société. Il s’agit davantage d’un refus d’envisager
le monde comme une fatalité.
Michelle, vous travaillez au sein de Pirata
Théâtre à organiser des rencontres
improbables entre des « acteurs d’un jour »
et des acteurs professionnels. Comment
s’opère ici la rencontre entre les jeunes et
les acteurs ?
M.P. : Je travaille avec des gens qui sont capables
de réagir promptement et de composer avec
l’inattendu. Par exemple, dans Album de finissants,
il y a des soirs où le nombre de jeunes n’est pas
le même et les acteurs doivent s’y adapter. Pour
les jeunes, les acteurs sont comme la locomotive
qui tire tout vers l’avant. Cette rencontre constitue
pour eux une motivation de plus.
A.S.R. : Le contact avec les adolescents durant
la phase de recherche-création est très stimulant
pour les comédiens. Les jeunes ne sont pas
accessoires, leur présence est la raison d’être
d’Album de finissants. Scéniquement, ils sont une
vingtaine autour des comédiens, donc répéter
entre nous et répéter avec eux constituent deux
expériences complètement différentes.
Est-ce que le fait d’être allés dans les écoles
influence le travail avec les acteurs ?
M.P. : Depuis le début, nous travaillons en vases
communicants. Durant l’été, nous avons introduit
les postures des élèves dans le corps des acteurs,
pour bâtir un langage essentiellement gestuel et
chorégraphique, puis nous l’avons redonné aux
jeunes. La chorégraphie s’est élaborée dans un
processus de contamination et de transmission
page 52 / ALBUM DE FINISSANTS
entre les 80 jeunes et les acteurs. Le spectacle
s’est construit par fragments, comme un immense
casse-tête. Ainsi, quand nous réunissons les
acteurs et les adolescents, après deux mois de
répétitions, c’est jouissif pour tout le monde !
Anne Sophie, avec votre compagnie
Matériaux Composites, vous vous
intéressez au rythme et à la choralité.
A.S.R. : C’est le fondement du projet. La langue de
l’auteur m’a attirée par sa musicalité intrinsèque
et la dimension chorégraphique occupe une
place centrale dans l’articulation du spectacle.
La choralité est une question fondamentale pour
les adolescents, notamment dans leur rapport
à l’école et à la société. C’est lié à la notion de
groupe, soit d’être avec les autres et d’être un
parmi les autres. La place qu’occupe chacun
au sein du groupe est fondamentale, et nous
travaillons là-dessus. Une classe est un espace
de solitude plurielle : chacun est isolé derrière
son pupitre et en même temps, tout le monde se
retrouve dans un même lieu, habillé de manière
identique, à la vue les uns des autres, faisant la
même chose en même temps, visant les mêmes
objectifs et devant apprendre la même matière.
Pour nous, les jeunes constituent un chœur dont
les acteurs font aussi partie.
Comment s’élabore cette rencontre
entre la partition textuelle et la partition
chorégraphique ?
A.S.R. : L’auteur m’a confié que derrière chacun
des fragments textuels, il imaginait une posture
physique et que celle-ci influençait l’intensité ou
l’état de son texte. Son travail sur la langue est
un combat, un corps à corps avec la règle qui se
traduit bien dans le jeu physique des acteurs et
des adolescents.
M.P. : Être à l’école, c’est aussi être un corps qui
a appris à savoir marcher en rang, rester assis
durant 8 heures, s’accouder, se lever au son de
la cloche ou lever la main pour parler.
A.S.R. : La partition chorégraphique nous semblait
donc inévitable. Nous nous inspirons des postures
imposées par une structure, nous jouons et nous
résistons avec elles pour voir comment il est
possible de les investir d’une énergie qui est
propre aux jeunes. Ainsi, la posture ne sert plus
uniquement à contenir et à contraindre, elle est
aussi un véhicule d’expression. La bataille avec
la posture mène jusqu’à la danse, comme lorsque
l’écriture de Mathieu conduit à la musicalité.
Comment abordez-vous la question
de l’interprétation avec le chœur
d’adolescents ?
A.S.R. : Nous travaillons à partir des formes
de théâtre qui s’éloignent des références qu’ils
possèdent déjà. Nous jouons dans un registre qui
se distingue des représentations adolescentes que
l’on retrouve souvent à la télévision.
M.P. : Avec Album de finissants, nous nous
intéressons principalement à ce qui se passe
lorsqu’ils sont en classe, tandis que dans les
émissions généralement, on nous donne à voir
uniquement ce qui se produit après l’école ou
pendant les 15 minutes de pause à leur casier.
M.P. : Cela requiert un jeu beaucoup plus sobre,
une simple présence. On ne leur demande pas de
jouer un personnage.
A.S.R. : Tout le travail choral commande aussi une
solidarité sur la scène. Exister dans un chœur de
25 personnes demande à chacun de veiller à ne
pas prendre toute la place. Nous travaillons une
présence qui est tributaire de la qualité de l’écoute
active entre les membres.
Avez-vous envisagé une suite pour Album
de finissants ?
A.S.R. : Oui, nous avons démarré le projet dans 4
écoles parce que nous ne voulions pas que ce soit
un spectacle fermé sur un groupe de jeunes en
particulier. Nous souhaitons donner une tribune au
plus grand nombre d’adolescents possible. Après
la création, nous aimerions partir en tournée,
partager la scène avec d’autres jeunes, issus
d’autres communautés. Nous serions dans une
dynamique de recréation et de réflexion socioartistique à chaque nouvelle rencontre.
Propos recueillis et mis en forme par
Andréane Roy
A.S.R. : C’était d’ailleurs l’intention fondatrice
de Mathieu Arsenault : sortons de l’anecdote et
entrons dans ce vrai moment d’école et de vie qu’on
ne nous montre jamais. Dans Album de finissants,
on nous convie à un grand voyage immobile. Nous
imaginons les élèves très contraints physiquement
et pourtant, l’intériorité surgit, s’anime, joue et finit
par occuper tout l’espace scénique.
ALBUM DE FINISSANTS / page 53
L’ÉQUIPE ET LA COMPAGNIE
LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ
De Victor Hugo
Adaptation et mise en scène : Éric J. St-Jean
Une production de Bruit Public en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry
Du 26 mars au 12 avril 2014
Interprète
Ariel Ifergan
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
Assistance à la mise en scène......Sophie Martin
Environnement scénographique
et conception vidéo..................... Christian Jutras
Musique et environnement
sonore..............................Jean-François Morasse
Conception d'éclairages................ Steve Croteau
page 54 / ALBUM DE FINISSANTS
Bruit Public
La compagnie de théâtre Bruit Public a pour
objectif premier d’initier des spectateurs au
plaisir de la lecture du spectacle théâtral. Pour ce
faire, l’équipe de créateurs conçoit l’acte théâtral
davantage comme une proposition visuelle qu’une
proposition scripturale. De notre point de vue, la
scène théâtrale se compare à une immense toile
blanche et le metteur en scène, tel un peintre, érige
son discours à travers une composition visuelle.
Nous privilégions ainsi l’exploration de plusieurs
langages scéniques afin de créer des histoires en
images et nous mettons l’emphase sur l’espace, la
scénographie et le corps de l’acteur plutôt que sur
les objectifs psychologiques du texte dramatique.
Fondée en 2009, Bruit Public est dirigé par Éric
J. St-Jean (direction artistique), Christian Jutras
(direction générale) et Jean-François Morasse
(direction technique).
© Sascha Nadeau
Éric J. St-Jean a été stagiaire à la mise en scène au Théâtre du Nouveau
Monde (1995-1997) puis au Théâtre Denise-Pelletier (1998) ; il a complété
une maîtrise en mise en scène et s’est vu attribuer la bourse d’excellence
Georges Laoun pour le meilleur mémoire-création de sa promotion (UQÀM
2004). En 2005-2006, il signe trois mises en scène pour la compagnie
jeune public « L’Arsenal à musique » dont une en collaboration avec
l’Orchestre Symphonique de Montréal et de Québec. En octobre 2010,
il signe Jeux de massacre d’Ionesco, présentée à la Salle Fred-Barry,
avec sa compagnie Bruit Public. Il a enseigné le jeu, la mise en scène,
l’histoire du théâtre et l’écriture dramatique durant plus de dix ans dans  Éric J. Saint-Jean
le réseau collégial. Avec ses étudiants, il a réalisé une vingtaine de
mises en scène adaptées pour un public scolaire. En plus de diriger sa compagnie Bruit Public,
il occupe présentement les fonctions de conseiller pédagogique au Collège Lionel-Groulx.
ENTRETIEN AVEC ÉRIC J.
ST-JEAN, METTEUR EN SCÈNE
Quel est le mandat artistique de Bruit
Public, votre compagnie fondée en 2009 ?
Notre mandat est de créer des ponts entre les textes
des grands auteurs du répertoire théâtral et ce qui
se passe maintenant. Prendre des classiques, les
adapter et trouver leur résonnance dans l’actualité.
Faire comprendre que les questions posées par
ces auteurs aux époques passées reviennent dans
le présent de façon cyclique, qu’elles sont encore
pertinentes de nos jours. Elles sont le fondement
de l’humain ; elles touchent à l’ontologie humaine.
En 2010, la première pièce produite par Bruit
Public, Jeux de massacre, coïncidait avec la fin
de la crise de la grippe H1N1. Ce texte d’Eugène
Ionesco abordait des questions très pertinentes,
entre autres concernant la construction sociale
autour d’une crise. C’est la même chose avec le
texte de Victor Hugo qui aborde la question de la
peine de mort au moment même où deux peines de
mort sont contestées au États-Unis, où la prison
de Guantánamo est toujours ouverte, etc.
Pourtant, tout semble éloigner l’un de
l’autre Eugène Ionesco et Victor Hugo : ton,
esthétique, époque…
Ce sont deux grands humanistes. Ionesco ne
cherche pas à se moquer de ses semblables, il
n’est pas condescendant envers les êtres humains.
C’est un observateur de la condition humaine qu’il
exprime dans un langage et un rythme scénique
différents. Victor Hugo, c’est un peu la même
chose. Il pose un regard sur la condition humaine,
il la dénonce. Pour moi, il y avait une suite logique :
c’est encore un classique qu’on revisite, ce qui
répond au mandat de la compagnie. Mais il y a aussi
un filon thématique des différentes représentations
sociales de la mort. Dans le cas du texte de
Hugo, on s’attarde à un individu et non plus à une
population entière comme dans Jeux de massacre.
On s’attarde à ce qui se passe dans sa tête, sur
l’impact de la prise de conscience de la mort.
Jeux de massacre était un spectacle à huit
comédiens alors que Le Dernier jour d’un
condamné est joué par un seul. Qu’est-ce
qui vous intéresse dans le monologue ?
LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ / page 55
© Christian Jutras
métaphysique que politique. Une autre dimension
importante qu’Hugo questionne, c’est la mise en
spectacle de la condamnation : on passe des flyers,
les enfants vont voir ça, etc.… C’est un texte qui
dénonce, en prenant le parti d’un homme condamné,
vu de l’intérieur de son cachot.
Au départ, l’idée n’a pas été de travailler avec un
seul comédien. Mon collègue Christian Jutras, qui
a cofondé la compagnie et qui est scénographe de
formation, est très axé sur le traitement vidéo. Il a
une signature graphique personnelle qu’il réalise
avec peu de choses, grâce à des logiciels assez
basiques. Mais quel spectacle pourrait être un
terrain fertile pour investir le discours de la vidéo ?
Nous avons choisi Le Dernier jour d’un condamné,
l’histoire d’un homme qui écrit son journal intime
aux derniers jours de sa vie avant de mourir, alors
qu’il est condamné par les hommes.
À qui écrit-il, cet homme enfermé ?
À tous ceux qui veulent le lire et qui se questionnent
sur la légitimité de condamner quelqu’un à mort.
Et des effets engendrés. Ça le garde en vie. C’est
son moyen de garder le contrôle sur sa vie. Au
deuxième degré, c’est la voix de Victor Hugo qui
prononce son « Plaidoyer contre la peine de mort » à
l’Assemblée nationale constituante le 15 septembre
18581. On ne connait pas les raisons de la mise à
mort de cet homme, mais indépendamment de ce
que cet homme a fait, la question que pose Hugo
est la suivante : a-t-on le droit de laisser souffrir
cet homme, de le laisser agoniser et de l’enfermer
dans un cachot ? A-t-on le droit de le tuer de
cette façon-là ? La moralité du texte est autant
http://fr.wikisource.org/wiki/Plaidoyer_contre_la_peine_de_mort_-_
Victor_Hugo
1
page 56 / LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ
Ce qu’on a voulu faire, Christian et moi, c’est de
mettre en scène l’acte d’écriture. De montrer
comment l’homme crée. Car c’est ce que Hugo nous
apprend : c’est lorsque l’homme écrit, qu’il est dans
un geste de création, qu’il est libre. L’homme est
en liberté quand il écrit. Les portes de son cachot
s’ouvrent. La création ouvre la conscience, ouvre
à une autre condition.
Lorsque vous abordez le travail de création,
jusqu’à quel point le travail du scénographe
contamine-t-il le travail de mise en scène et
vice-versa ?
La mise en scène, pour moi, c’est mettre en espace
un discours. Je ne suis pas le seul porteur du
discours. Le scénographe l’est aussi. Et l’auteur. Le
discours, c’est l’amalgame de ces codes-là. Une fois
qu’on a fait des coupures dans le texte, qu’on lui a
donné une forme en le sculptant, on s’est créé des
besoins parce que l’adaptation du texte de Victor
Hugo ne se tient plus tout seul. La première mouture
a résulté d’un travail comme pour un film, comme
un story-board. On prévoyait les séquences où il
se passerait des choses sur écran en parallèle avec
l’acteur sur scène. Le discours de la scénographie
fait partie intégrale du spectacle. On ne parle pas ici
de contamination. On parle plutôt d’ériger du sens.
La scénographie, c’est un acteur ; les projections
parlent. Également, pendant que l’acteur interprète
les différents personnages sur scène, la narration
peut être projetée sur l’écran.
Est-ce un défi de synchroniser le travail
de la vidéo et du comédien en salle de
répétition ?
En salle de répétition, nous avons constamment
travaillé avec les différentes vidéos du spectacle.
Ma plus grosse peur était d’inventer un objet
théâtral trop serré qui ne permettait pas une
certaine spontanéité. Il a fallu trouver des
mécanismes pour favoriser le débit et le timing
du texte. Ainsi, il n’y a pas de plan-séquence.
Seulement des fragments de vidéo. On a travaillé
en tournage réel mais en utilisant différentes
techniques de traitement d’images, différents
filtres pour modifier les images.
les artisans du spectacle. Je m’assure que tout
le monde fait le même spectacle, celui que j’ai en
tête. C’est mon seul travail. En ce sens, le travail
du comédien, Ariel Ifergan, est aussi essentiel.
Mettre en scène un monologue demande de la
précision car personne d’autre ne peut venir
arranger les choses.
En ce sens, le choix de présenter
le spectacle à Fred-Barry favorise
l’impression d’enfermement du personnage.
Beaucoup. Victor Hugo, c’est un monument. Le
Dernier jour d’un condamné est un texte très connu.
Quand tu joues avec un texte canonique comme
celui-là, l’horizon d’attente du spectateur averti
est immense. Évidemment, il y a des coupures ;
lu bout à bout, le texte dure cinq heures trente. Ce
n’est pas possible pour ce spectacle. J’ai donc dû
faire des choix. L’idée, c’est de faire vivre à des
Oui. C’est une petite salle. L’espace sur scène est
un plateau de 10 pieds X 10 pieds avec un écran
de 12 pieds de hauteur. L’idée de la scénographie,
c’est de représenter une feuille de papier qui se
déploie devant les spectateurs et que l’on éclaire
ou non selon les besoins de la vidéo. J’appelle ça
de la scénographie numérique. Ce n’est pas du
multimédia ou de la machinerie comme tel. On
projette des ambiances sur une toile numérique.
Avec un personnage qui vient parler. Cela présente
une autre vision de l’œuvre de Victor Hugo où les
mots sont importants.
Est-ce que le fait de monter un classique de
la littérature comme Le Dernier jour d’un
condamné vous effraie?
J’ai le goût d’utiliser l’analogie de la théorie sur
le changement de paradigme en enseignement.
Le paradigme de l’enseignement, c’est le prof
qui fait toutes les opérations dans la classe et qui
demande aux étudiants d’imiter et d’apprendre
par cœur versus le paradigme de l’apprentissage
où le professeur est un coordonateur de la coconstruction d’un savoir. Mon travail de metteur
en scène en est un de co-construction avec tous
© Christian Jutras
Comment concevez-vous votre travail
de metteur en scène à travers les
collaborations avec les divers artisans de la
production ?
LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ / page 57
jeunes un tel monologue de Victor Hugo. Mais la
demande du public est là. Le potentiel pédagogique
est là, tant au collégial qu’au secondaire. Ça fait
deux ans que nous travaillons sur la proposition
et ça fait encore plus longtemps qu’il traine dans
ma tête. En ce moment, travailler avec Ariel et
Christian m’amène à découvrir d’autres aspects
du texte. Mais je suis obsédé par l’objectif de faire
un spectacle d’une heure et quart.
Une heure et quart pour questionner notre
rapport à la mort à travers le théâtre…
La mort est toujours porteuse d’une théâtralité.
Tu ne peux pas la montrer directement, il faut la
montrer par un autre biais. Il faut investir tous les
page 58 / LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ
codes théâtraux. Comme chez Shakespeare où il
y a quelque chose qui est bien assumée. Dans Le
Dernier jour d’un condamné, on est dans la tête du
personnage et la théâtralité de ce texte-là nous
permet de montrer par la vidéo des choses que
le roman dit mais que le personnage sur scène
ne dit pas. C’est un one man show, mais on n’a
jamais l’impression que le personnage est seul
sur scène. Grâce à la vidéo, il est accompagné en
tout temps. Par l’entremise du médium vidéo, nos
discours fusionnent à Christian et à moi.
Propos recueillis et mis en forme par
Frédéric Thibaud
L’ÉQUIPE ET LA COMPAGNIE
LES ZURBAINS 2014
Mise en scène : Monique Gosselin
Une production du Théâtre Le Clou présentée en collaboration
avec le Théâtre Denise-Pelletier et le Théâtre jeunesse Les Gros Becs à Québec.
Salle Fred-Barry
Du 6 au 16 mai 2014
Auteurs
Auteur professionnel.............................. Luc Dumont
Et quatre jeunes auteurs sélectionnés à Montréal
et à Québec parmi les nombreux étudiants qui ont
participé au concours d’écriture.
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
Assistance et régie.......................... Jacinthe Racine
Conception
des décors..................... Laurence Gagnon Lefebvre
Costumes.......................................... Sandrine Bisson
Éclairages.............................................Francis Hamel
Environnement sonore............................ Alexi Rioux
Direction technique.......................Jean Duchesneau
Théâtre Le Clou
La compagnie propose un théâtre de création et
privilégie la rencontre avec le public adolescent. Elle
est codirigée par Monique Gosselin, Sylvain Scott
et Benoît Vermeulen, un collectif de metteurs en
scène qui mènent chacun une démarche personnelle,
quoiqu’intimement liée. Les créateurs du Théâtre Le
Clou mixtionnent les matières textuelles, formelles
et plastiques. De cet exercice de liberté émergent
des créations qui oscillent entre exigence et plaisir,
provocation et engagement, beauté et chaos.
Le Théâtre Le Clou est le maître d’œuvre du projet
Les Zurbains qui font l’objet chaque année d’une
présentation sur scène chez les diffuseurs partenaires.
Les Zurbains 15 ans a marqué l’anniversaire de ce projet
unique d’écriture et de création. Les contes écrits par
un auteur de métier et par des adolescents de divers
horizons culturels et géographiques sont, encore
cette année, produits par des artistes professionnels.
Si les auteurs des contes zurbains ont les deux pieds
dans le macadam, ils ont de l’imagination plein la tête
et prennent la plume pour nous parler de ce qui les
interpelle, sur fond de révolte et de tendresse : rejet,
racisme, injustice, surconsommation, dictature, tout
autant qu’amour et liberté... Une parole absolument
nécessaire.
Les artistes qui favorisent cette écriture et la mettent
en lumière sont très fiers de toutes ces années de
création autour de paroles adolescentes. Les Zurbains
2014 sont encore l’occasion d’une grande rencontre
des mots et des imaginaires adolescents de plusieurs
origines, pour qui la langue française est un précieux
outil de création. De plus, le Théâtre Le Clou a entrepris
depuis quatre ans une collaboration avec le Centre
Turbine et notre dossier en rend compte. C’est dans
ce contexte de création stimulant que s’établit un
dialogue artistique entre l’écrit et l’image, entre le
texte et les arts visuels, entre le Théâtre Le Clou et le
Centre Turbine.
http://leclou.qc.ca/
Le Centre Turbine est un organisme à but non lucratif
dédié à la création pédagogique interdisciplinaire fondé
en 1999. Avec les jeunes issus des écoles ou des
centres communautaires, il met sur pied des espaces
d’expérimentation autour des pratiques artistiques
actuelles qui permettent à des adolescents de s’initier à
la pratique et aux œuvres d’un/e artiste professionnel/
le. Turbine encadre l’artiste invité afin de trouver des
moyens et des structures pour réaliser des créations
adaptées aux besoins et à l’imaginaire des jeunes. Le
travail se fait donc sur deux fronts : d’une part, avec
l’artiste à qui Turbine fournit les outils et le soutien
nécessaires pour partager son langage artistique et
atteindre ses objectifs et, d’autre part, avec les jeunes,
pour favoriser la découverte des nouveaux médiums
et l’expérimentation d’un processus de création qui se
rapproche de celui de l’artiste quand il travaille dans
son atelier. Cette expérience profite autant à l’artiste
qu’aux jeunes. D’ailleurs, il n’est pas rare que l’artiste
s’inspire de cette expérience de création pédagogique
pour l’élaboration de ses nouvelles œuvres.
http://centreturbine.org
Les Zurbains / page 59
ENTRETIEN AVEC
ADRIANA DE OLIVEIRA
ET MONIQUE GOSSELIN
Adriana de Oliveira : Le Théâtre Le Clou nous a
contactés en 2010. Monique Gosselin avait le désir
de développer un volet qui toucherait aux arts
visuels au sein du projet Les Zurbains. Il s’agissait
de trouver un moyen d’orienter nos créations
pédagogiques en s’inspirant des contes écrits par
de jeunes Québécois. Turbine a proposé de créer
une rencontre inédite entre de jeunes nouveaux
arrivants au Québec, les contes urbains écrits par
des jeunes d’ici et des artistes professionnels en
arts visuels. Il était important que les œuvres qui
en découlent débordent du cadre illustratif. Le
jeune auteur a donc la chance de voir un aspect
de son conte prendre vie dans l’espace à travers
une exposition et de constater jusqu’où le jeune
créateur visuel et l’artiste se sont approprié un
détail, un thème ou un personnage de son conte
pour en faire l’objet de sa sensibilité artistique.
Quels artistes avez-vous invités au cours
des quatre dernières années ?
A.O. : La première année, l’artiste invitée était
Marcelle Hudon, qui s’intéresse à l’interaction
entre l’art de la marionnette, les nouvelles
pratiques théâtrales et les arts interdisciplinaires.
L’année suivante, ce fut Nathalie Bujold dont la
pratique comprend l’installation, la sculpture et
un corpus d’œuvres vidéographiques. En 2013,
l’artiste multidisciplinaire Manon Labrecque s’est
jointe à l’aventure, avec ses performances, ses
installations cinétiques et sonores. Cette année,
nous travaillons avec Magali Babin, qui aborde
l’art sonore pour des dialogues interdisciplinaires
avec les contes des Zurbains.
page 60 / Les Zurbains
© Amandine Vicente-Biosca
Comment est né ce projet entre Turbine et
Les Zurbains ?
 Ericka Muzzo et l’installation Turbine.
Comment les contes des Zurbains sont-ils
acheminés aux jeunes du projet Turbine ?
A.O. : Le projet démarre au moment où Le Clou
nous envoie les 12 contes écrits par des jeunes
qui ont été retenus pour le stage dramaturgique.
Avec l’artiste, nous identifions les extraits qui
constituent de bons déclencheurs et qui ont le plus
de chance de résonner avec le contexte de création
pédagogique. Nous les envoyons ensuite à Pierre
Chagnon, l’enseignant de la classe d’accueil avec
qui nous collaborons depuis 3 ans. Les ateliers de
création se font en classe avec les 11 à 12 élèves
allophones débutant en francisation à qui nous
donnons cet espace d’expression qui transcende
les barrières de la langue tout en favorisant un
apprentissage du français.
Comment fonctionne le processus de
création entre l’artiste et les jeunes ?
A.O. : Dès le début de janvier, l’artiste invité et
l’accompagnateur de Turbine donnent cinq ou six
ateliers d’une demi-journée. Durant le processus,
la convivialité est un facteur très important : c’est
le plaisir et l’engagement qui sont au rendez-vous.
Au tout début, l’artiste présente sa pratique et
ses œuvres. Bien souvent, il s’agit d’un médium
avec lequel les jeunes ne sont pas familiers et il
y a donc un travail préalable d’apprivoisement de
la démarche. Très tôt dans le processus, l’artiste
invite les jeunes à plonger dans la création. C’est
là que s’établit le dialogue, pour dépasser les
limitations linguistiques. Il s’élabore donc une
véritable « gymnastique pédagogico artistique
intense » entre l’artiste, les contes zurbains, les
jeunes, l’art et la langue !
expression plus accessible et susceptible
d’inspirer le processus de création. Au début
du projet, Monique vient toujours lire quelques
contes en classe, ce qui introduit bien les jeunes
à l’oralité et à la théâtralité des textes.
Que faites-vous pour surmonter la barrière
linguistique ?
M.G. : Il faut rappeler que les contes zurbains ne
se limitent pas aux préoccupations présumées
des jeunes. Il s’agit bien de donner une plateforme
à la fantaisie, à l’imaginaire des adolescents. À
travers l’exposition et l’interprétation visuelle des
œuvres par Turbine, on engage un dialogue sur
cette base-là. De plus, les élèves qui participent
au projet de Turbine prennent connaissance de ce
que les autres jeunes de leur âge vivent. Et là, il n’y
a aucune censure. On peut trouver dans le conte
d’un jeune l’exclamation : « Ma crisse de mère
est folle ! » Les jeunes allophones l’entendent et
prennent conscience que le rapport aux parents
et à l’école n’est pas le même.
Monique Gosselin : Il y a tout un travail sur le texte
en amont avec les coordonnateurs de Turbine et
l’artiste invité. Nathalie Bujold, par exemple, a
effectué un travail de fond sur les mots qu’elle avait
accrochés un peu partout dans l’espace. Manon
Labrecque s’est concentrée sur la démystification
de certaines expressions, comme « tomber en bas
de sa chaise ».
A.O. : On s’attarde parfois davantage à un
personnage, un paragraphe, un titre ou une
En quoi les préoccupations des jeunes
immigrants rejoignent-elles celles des
Zurbains ?
© Amandine Vicente-Biosca
 Installation de Nathalie Bujold.
Les Zurbains / page 61
A.O. : Les jeunes du volet visuel sont originaires
d’un peu partout : Nunavut, Cuba, Chine, Mexique,
Singapour, Russie, etc. Il arrive que le vocabulaire,
le contenu et le rapport à l’autorité constituent des
sujets éthiques sensibles pour les adolescents et
leurs parents. Depuis la première édition, Pierre
Chagnon et le Centre Turbine préparent le terrain
à cet effet, mais ce choc des imaginaires fait aussi
partie de l’expérience.
Parlez-nous de la rencontre entre les jeunes
auteurs et les jeunes artistes durant la fin de
semaine dramaturgique.
© Amandine Vicente-Biosca
M.G. : La rencontre entre les jeunes réunis par
Turbine et ceux dont les contes sont retenus
pour Les Zurbains a lieu lors de la fin de semaine
dramaturgique organisée par Le Clou au Théâtre
Denise-Pelletier. Pour les jeunes auteurs, il s’agit
d’un stage intensif d’écriture pendant lequel ils
retravaillent leurs textes sous l’œil vigilant d’un
page 62 / Les Zurbains
auteur professionnel et avec la complicité de
comédiens professionnels.
Le vendredi soir, les artistes de Turbine et les
auteurs des Zurbains se présentent tour à tour. Nos
auteurs donnent le titre de leur conte et montrent
une image qui témoigne de leur perception de
leur personnage. Les jeunes artistes se sentent
interpellés lorsqu’il s’agit de contes à partir
desquels ils ont travaillé.
A.O. : Ceci étant dit, tous ces jeunes ne se mêlent
pas si facilement ; il y a d’abord la timidité, puis
la barrière linguistique et culturelle et le temps
qui file toujours trop vite pour les jeunes auteurs
qui travaillent très fort à la réécriture de leurs
contes. Le dimanche, les deux univers de création
se rencontrent et dialoguent.
M.G. : Le dimanche, il y a d’abord une lecture
publique des contes en présence des parents, des
professeurs et des jeunes de Turbine. Tout de suite
après, c’est le vernissage. Les œuvres entrent
en résonnance avec les contes et au moment de
l’exposition, les visiteurs constatent la filiation
entre les deux pans du projet. C’est stimulant pour
les jeunes auteurs, qui ont la chance d’avoir leur
texte lu par un comédien professionnel, en plus
d’être librement adapté visuellement. On assiste
donc à une double interprétation du même conte :
l’une, théâtrale et l’autre, visuelle.
A.O. : Pendant la fin de semaine, les jeunes
créateurs et l’artiste professionnel sont très
actifs ; ils gèrent le matériel, font un retour sur les
créations et travaillent au montage de l’exposition.
Le vernissage leur donne l’occasion de parler du
processus et de présenter les œuvres de manière
informelle. La fin de semaine permet aussi aux
familles et aux élèves de la classe d’accueil de
découvrir le Théâtre Denise-Pelletier. Ils voient
les acteurs lire les contes, ils visitent les salles de
répétition, le costumier et les loges. Ils sont alors
sensibilisés à l’organisation et à l’effervescence
d’un lieu théâtral d’ici.
Le stage dramaturgique s’est-il trouvé
transformé par la présence de Turbine ?
M.G. : Avec l’adjonction des élèves de Turbine,
on baigne dans une atmosphère doublement
créative et artistique ! Le lieu lui-même se trouve
transformé. Une année, pour un des contes qui
racontait l’histoire d’un garçon qui faisait le tour
de la terre à pied, les artistes avaient confectionné
une route, constituée de petits bas tricotés, qui
s’allongeait dans tout le hall du théâtre, traversait
la vitrine et sortait dans la rue. Ça donne de la
vie au lieu et ce, de manière tout à fait ludique !
Propos recueillis et mis en forme par
Andréane Roy
Adriana de Oliveira développe des créations pédagogiques en
milieu scolaire, communautaire et culturel depuis plusieurs années.
Elle s’intéresse à la création pédagogique comme catalyseur
d’expression, de questionnement et d’idées qui font appel à
l’expérience et au savoir des acteurs impliqués. Ses projets portent
principalement sur l’art actuel, les pratiques collaboratives et
la pédagogie critique. De Oliveira a mis sur pied et coordonné
pendant 9 ans le secteur Apprendre au Centre des arts actuels
Skol. Elle est chargée de projet au Centre Turbine et chargée de
cours à l’École des arts visuels et médiatiques de l’Université du
Québec à Montréal.
 Adriana de Oliveira
© Émilie Tournevache 2013
© spinprod.com
Cofondatrice et codirectrice artistique du Théâtre Le Clou, Monique
Gosselin a joué et participé à plusieurs des créations de la compagnie.
Elle a créé et interprété la mère excentrique dans la production
Romances et karaoké qui s’est mérité 3 Masques de l’Académie
du Théâtre. Elle est directrice artistique du projet d’écriture Les
Zurbains et signe la mise en scène des spectacles en 2000, 2003,
et de toutes les éditions annuelles depuis 2006. Elle prend la plume
pour la première fois en signant Moummouth! un conte urbain
présenté dans Les Zurbains 2001. À la scène, elle travaille sous
la direction, entre autres, de Benoît Vermeulen, René Richard Cyr,
Claude Poissant, Brigitte Haentjens, Alain Zouvi ainsi que feux
Robert Gravel et Jean-Pierre Ronfard. À la télévision, elle participe
à plusieurs séries : Mensonge, Tu m’aimes-tu, Toute la vérité, Trauma
 Monique Gosselin
II-III, Les Invincibles, Fortier, Rumeurs, Les Bougon, c’est aussi ça la vie,
etc. Au cinéma, elle travaille avec Podz, Bernard Émond, Yan Lanouette Turgeon, Robert Ménard,
Sébastien Rose, Olivier Asselin, feu Gilles Carle.
Les Zurbains / page 63
L’ÉQUIPE DU THÉÂTRE DENISE-PELLETIER
Directeur général Directeur artistique Directrice administrative Directeur de production Directeur technique
Responsable des infrastructures
Directrice des communications
Adjointe aux communications
Attachée de presse
Responsable des services scolaires
Adjointe aux services scolaires
Gérant
Préposées au guichet
Chef machiniste
Chef éclairagiste
Chef sonorisateur
Chef habilleuse
Chef cintrier
Coordonnateur technique
(Salle Fred-Barry)
Techniciens
Accueil
page 64
Rémi Brousseau
Pierre Rousseau
Manon Huot
Réjean Paquin
Jean-François Landry
Guy Caron
Julie Houle
Anaïs Bonotaux-Bouchard
Isabelle Bleau
Claudia Dupont
Stéphanie Delaunay
Marc-André Perrone
Isabelle Durivage
Geneviève Bédard
Pierre Léveillé
Michel Chartrand
Claude Cyr
Louise Desfossés
Pierre Lachapelle
Responsable de l’entretien
Préposé à l’entretien
Équipe des bénévoles
Patrice Jolin
Pierre Dubé
Lucette Bernèche
Gratia Dumas
Aline Gauthier
Andrée Hassel
Carmen Lebrun
Janine Limoges
Nicole Poulin
CONSEIL D’ADMINISTRATION
Président *Monsieur Pierre-Yves Desbiens
CPA, CA, CF, MBA
Vice-président Finance
et administration
Institut NEOMED
Vice-présidente *Lucie Houle, PhD
Directrice principale
ressources humaines
Opérations et Bureau
des initiatives stratégiques
Banque Nationale du Canada
Trésorière *Madame Lisa Swiderski, CPA, CA, MBA
Vice-présidente
Ghislain Dufour
Opérations Investissements
Sophie Boivin
Banque Nationale du Canada
Raphaël Bussières
Secrétaire Benoit Lestage, LLB, D. Fisc.
Anthony Cantara
Directeur principal
Brigitte Deshusses
Service de fiscalité internationale Mathieu Dumont
Mazars
Martin Dussault
Michel Dussault
Administrateurs Thomas Asselin
Martine Gagnon
Président & Directeur de création
Alexandre Gohier
73DPI
Michel Harvey
Nathalie Barthe
Louis Héon
Directrice, Expérience-Utilisateur
Martin Jannard
Autodesk
Robin Kittel-Ouimet
Luc Bourgeois
Marjorie Lefebvre
Comédien
Pier-Emanuel Legault
*Rémi Brousseau
Louis Léveillé
Directeur général
Michel Maher
Théâtre Denise-Pelletier
Serge Pelletier
Carlos Diogo Pinto
Jean Leclerc
Étienne Prud’homme
Comédien et metteur en scène
Martha Rodriguez
*Pierre Rousseau
Geneviève Bédard
Directeur artistique
Ghislain Blouin
Théâtre Denise-Pelletier
Virginie Brosseau-Jamieson
Émilie Carrier-Boileau
Président honoraire Gilles Pelletier
Simon Faghel-Soubeyrand
Membre honoraire Françoise Graton
Sébastien Hébert
* Membres du comité exécutif
Anne-Marie Jean
Collette Lemay
Thomas Mundinger
Jolène Ruest
Félix-Antoine St-Jacques
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