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Avoir recours à l’écrit, bien articuler, faire appel à un
membre de la famille comme interprète… Ces réflexes,
que l’on adopte souvent face à un patient sourd, sont
pourtant à proscrire. Une habitude dont l’hôpital
commence tout doucement à se défaire.
Lhôpital tend
(enfin) loreille
SURDITÉ
sourds. Tout doucement, je parviens àcontaminerdeux
ou trois personnes par service... », cone-t-elle.
Un mot sur trois en lecture labiale
Il faut dire que les a priori à l’égard des sourds sont
nombreux. Premier écueil : croire que tous lisent par-
faitement sur les lèvres, alors quen moyenne, un sourd
comprend un mot sur trois en lecture labiale (1). Autre
réexe: demander à un membre de la famille de tra-
duire la consultation en langue des signes : « Ce nest
pas aux enfants de traduire. D’autant que cest contraire
au secret professionnel, s’insurge Isabelle Series. Quand
on s’occupe d’un patient étranger, on va bien chercher
un interprète !» Ou encore, griffonner quelques phrases
sur du papier, alors que 80% des sourds seraient non
lecteurs, estime le DrJean Dagron (2). Dautant quà lécrit,
les contresens sont fréquents. « Sur une ordonnance,
témoigne Benoît Mongourdin, médecin signeur à
l’unité de Grenoble, javais écrit “2 comprimés après le
repas”. Je demande au patient s’il a bien compris et il me
répond “oui, je prends 2 comprimés et après je mange.
Linverse! Ce malentendu, qui aurait pu être lourd de
conséquences, sexplique par le placement des éléments
DOSSIER
La surdité, quand on ny a pas vraiment réé-
chi, on croit toujours que lon peut se brouil-
ler seul face au patient. Or, cest un handicap
invisible et souvent méconnu. Et puis, il faut
aller vite, les conditions de travail sont de
plus en plus difficiles… » Isabelle Series, cadre de santé,
sest penchée sur la question voilà quinze ans. Dabord
comme directrice d’une maison de retraite travaillait
une personne sourde, puis comme formatrice en ins-
titut de formation en soins inrmiers (Ifsi), et
aujourd’hui au sein de lunité d’accueil et de soins pour
sourds (UASS) du CHU de Grenoble (38). « En 2003,
au début de mes recherches, je ne trouvais aucun écrit
sur le sujet. Ce qui ma interpellée : comment se fait-il
que les soignants ne s’y soient pas intéressés ? », se sou-
vient-elle. Treize ans plus tard, Isabelle Series a appris
la langue des signes française (LSF) et mis sur pied un
module d’approfondissement de 70 heures à l’Ifsi de
Grenoble. Aujourd’hui, elle anime des formations de
quatre jours ouvertes à l’ensemble des professionnels
du CHU de Grenoble et, depuis, peu, au personnel
exerçant en Ehpad. «Mon objectif est de donner quelques
clés pour prendre en charge correctement les patients
À Grenoble, le DrBenoît Mongourdin fait
appel à Joëlle Blanchard, intermédiatrice
– donc sourde –, pour combler le fossé
linguistique et culturel qui persiste
entre les sourds et les entendants.
DOSSIER RÉALISÉ PAR AURÉLIE VION
1- Rapport Gillot:
«La droit des sourds:
115propositions »,
1998.
2- Les silencieux,
chroniques
de vingtans de
médecine avec les
sourds, Jean Dagron,
Presse Pluriel, 2008.
© Espaceinfirmier.fr, Initiatives Santé 2016
N° 375 *octobre 2016 *L’INFIRMIÈRE MAGAZINE 21
P. 23
INTERVIEW
«DES IDE SIGNEURS,
UNE DENRÉE RARE»
P. 24
FORMATION
SOURD ET
SOIGNANT?
P. 25
ETP
REPENSER
LES OUTILS
u
sous forme chronologique en langue des signes. » Faire
appel à un interprète et sassurer que le patient a bien
compris: ces deux fondamentaux sont à appliquer pen-
dant le soin. «Il faut faire attention à bien se placer face
à la personne, car elle va être attentive aux expressions
du visage. On doit aussi garder une certaine distance,
ne pas forcément toucher un sourd pour attirer son atten-
tion», conseille cile Le Goff, IDE à l’Unité thérapeu-
tique enfance et surdi(Utes) qui sadresse aux enfants
sourds et enfants entendants de parents sourds.
Pratiquer soi-même la langue des signes présente évi-
demment un avantage. D’ailleurs, certains instituts
de formation proposent des initiations. À l’exemple de
l’Ifsi Lionnois à Nancy (54) qui compte, depuis 2005,
une option LSF d’une durée de 30 heures: « Objectif:
donner des bases pour communiquer en LSF, mais aussi
des clés pour avoir une attitude responsable et profes-
sionnelle vis-à-vis des sourds », explique Nathalie
Dubois, cadre de santé formatrice. « Le simple fait de
communiquer avec un patient dans sa langue peut
© FRANCK ARDITO
00-Relance
00-Relance-BOLD
Le 114 évolue
URGENCES
Samu, police,
gendarmerie,
sapeurs-pompiers…
Désormais le 114 est
le numéro d’urgence
nationale pour toute
personne avec des
difficultés à entendre
ou à parler (sourds,
malentendants,
aphasiques,
dysphasiques...).
Créé en 2011, il est
accessible 24h/24 et
7j/7 par SMS et fax.
D’ici début 2017,
la plate-forme
sera entièrement
multimédia : outre
le mail, les utilisateurs
pourront échanger
en temps réel du
texte, de la vidéo et
de la voix. «Une
première mondiale,
se félicite le DrBenoît
Mongourdin, médecin
signeur au CHU de
Grenoble. Notre
but est de pouvoir
répondre au plus
grand nombre de
situations : certains
sourds pratiquant la
langue des signes ne
sont pas toujours à
l’aise avec les SMS, ils
pourront donc signer
directement avec
l’application vidéo.
Des personnes âgées
devenues sourdes,
mais qui parlent
normalement,
pourront s’exprimer
par la voix et l’agent
leur répondra
par du texte.»
Responsable
de la plate-forme,
Benoît Mongourdin
espère accroître
la visibilité du 114,
encore trop
méconnu. Objectif :
ne pas passer à côté
d’une urgence.
P. 26
SANTÉ PUBLIQUE
GARE AUX
CONTRESENS
© Espaceinfirmier.fr, Initiatives Santé 2016
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notamment en santé mentale et plus particulièrement
en pédopsychiatrie. « Il y a 450 000enfants sourds en
France, mais il nexiste que deux centres psychiatriques
dédiés : celui que je dirige à Paris et un autre sur Lyon,
regrette Jean-Michel Delaroche, responsable de l’Utes.
En France, l’enfant sourd est diagnostiqué, voire dépisté
à la naissance, appareillé, éduqué, rééduqué. Mais l’accès
aux soins psychiques est largement insuffisant.» Pourtant
les besoins sont bien là. Avec 3 000 consultations par
an, son unité a été contrainte de limiter la provenance
géographique des patients en raison d’une activité trop
forte par rapport à ses moyens. En plus de leur surdité,
la majorides enfants accueillis présentent des troubles
de la relation et de la communica-
tion ainsi que des polyhandicaps
associés. « Les prises en charge se
font trop tardivement alors que les
difficultés liées aux privations sen-
sorielles sont déjà bien installées.
Nous sommes en train de cer un
nouveau dispositif pour les moins
de 18 mois », indique Cécile Le Go. Des besoins
importants auxquels est aussi confrontée l’unité de la
Pitié-Salpêtrière (AP-HP): «Notre activité ne cesse
d’augmenter alors que le cadre budgétaire reste le même.
Cest l’une de nos principales difficuls », souligne le
DrAlexis Karacostas, son responsable.
Des recherches prometteuses
Pourtant, il reste encore mille choses à explorer pour
mieux soigner les sourds. Dans le cadre de ses
recherches, Isabelle Series a travaillé sur l’adaptation
de l’échelle d’évaluation de la douleur : «La notion de
douleur “maximale” ouinimaginable ne parle pas
du tout aux sourds. Notre échelle, qui comporte six
visages, a été testée sur 300patients sourds et sest avérée
plus pertinente (voir ci-dessus) », indique la cadre de
santé qui a construit ce nouvel outil avec l’aide de per-
sonnes sourdes. Le DrAlexis Karacostas participe,
quant à lui, à des expérimentations en hypnose : «Nous
sommes obligés de revisiter les techniques hypnotiques
pour les adapter aux sourds, nous interrogeons nos
pratiques. Cest extrêmement enrichissant. » D’autres
planchent sur l’adaptation du test MMSE (mini-mental
state examination) pratiqué pour pister les troubles
de la mémoire et les prémices de la maladie
d’Alzheimer. «Parmi les questions, le médecin demande
à la personne de se coiffer. On évalue ainsi la capacité
d’audition, la compréhension de la parole, la traduction
en mouvement et la faculté de se représenter un peigne
dans la main. Celui qui pose la question en langue des
signes est oblide faire lui-même le geste, on est donc
dans de l’imitation. La valeur du test nest plus du tout
la même», explique le DrKaracostas, convaincu qu’une
fois reformulé pour les sourds, le test sera également
pertinent pour les entendants. *
u
DOSSIER
permettre de désamorcer une situation. Je me souviens
d’une jeune femme qui était tout sourire parce que je
madressais directement à elle et non à ses parents »,
raconte Laura Villaume-Mariani, étudiante dans ce
même Ifsi. Mais pour arriver à converser avec une per-
sonne sourde, il faudra décrocher le niveau de compé-
tences A1, niveau introductif qui représente en
moyenne plus de 100heures de cours. Mais cela nest
pas toujours susant. Les professionnels de san
locuteurs de la LSF, donc signeurs, font souvent appel
à des intermédiateurs: des sourds chargés de combler
le fossé linguistique et culturel qui persiste avec les
entendants (voir encadré p.24).
La LSF comme langue de travail
Il existe aujourd’hui 25 dispositifs d’acs aux soins
spéciques pour les sourds sur le territoire : 18 UASS
rattachées à des hôpitaux (3) et 7 autres structures à la
conguration très variable (4), pour unele active de
5886 patients en 2015. La langue des signes demeure
la langue de travail – celle des consultations et des réu-
nions. La composition des équipes peut, elle, différer
d’une structure à l’autre : outre les médecins, les unités
regroupent généralement des psychologues, des tra-
vailleurs sociaux, des AS, des IDE (mais pas toujours),
des secrétaires médicales, des interprètes LSF, des inter-
diateurs, voire un dentiste ou une sage-femme.
Chaque uni a son fonctionnement propre. À Grenoble,
par exemple, l’unité met à disposition de tous les ser-
vices du CHU un « kit humain de communication »
composé d’un interprète diplômé et d’un intermédia-
teur lors de consultations, dhospitalisations, de pré-
parations à la naissance, d’examens complexes comme
les IRM, pour l’accompagnement au bloc opératoire...
À Lille, l’unité tient des permanences dans cinq struc-
tures hospitalières et collabore étroitement avec le
seau Sourds et santé Nord-Pas-de-Calais. « Plus de
la moitié de notre activité se passe en dehors de l’hôpital.
Nous avons un secrétariat qui centralise l’ensemble des
rendez-vous sur la région. Le patient demande, par exem-
ple, à voir un gycologue ; la secrétaire coordonne le
rendez-vous en mettant à disposition un interprète ou
un intermédiateur en fonction des besoins », détaille le
DrBenoît Drion, responsable de cette UASS.
Une activité accrue mais des moyens limis
Reste que ces dispositifs ne couvrent pas l’ensemble
du territoire et que des manquements se font sentir,
Il y a 450 000 enfants
sourds en France, mais
seulement deux centres
psychiatriques dédiés
ts
on,
ge
re,
é
et
s
5,
IE
Cette échelle de
la douleur a été
repensée pour
les patients sourds,
qui peuvent la noter
entre « pas mal » et
« beaucoup mal ».
3- Pitié Salpêtrière
et Sainte-Anne à
Paris, Strasbourg,
Bordeaux, Rennes,
Montpellier, Nancy,
Toulouse, Lille,
Nantes, Poitiers,
Marseille, Nice,
Grenoble, Annecy,
Chambéry, deux
unités à Lyon
(CHU et CHS).
4- Sourds et santé
Nord-Pas-de-Calais ;
Réseau sourds et
santé Bourgogne ;
Unité thérapeutique
enfance et surdité
(Utes) du groupe
hospitalier Nord-
Essonne et hôpitaux
de Saint-Maurice ;
Unité ambulatoire
surdité et san
mentale (AP-HM) ;
CMP Signes au CH
Laborit de Poitiers ;
Pôle santé sourds
42 à Saint-Étienne;
Centre gratuit
d’information de
diagnostic et de
dépistage – centre
de planification et
d’éducation familiale
à Marseille.
© CHU GRENOBLE
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