22 L’INFIRMIÈRE MAGAZINE *N° 375 *octobre 2016
notamment en santé mentale et plus particulièrement
en pédopsychiatrie. « Il y a 450 000enfants sourds en
France, mais il n’existe que deux centres psychiatriques
dédiés : celui que je dirige à Paris et un autre sur Lyon,
regrette Jean-Michel Delaroche, responsable de l’Utes.
En France, l’enfant sourd est diagnostiqué, voire dépisté
à la naissance, appareillé, éduqué, rééduqué. Mais l’accès
aux soins psychiques est largement insuffisant.» Pourtant
les besoins sont bien là. Avec 3 000 consultations par
an, son unité a été contrainte de limiter la provenance
géographique des patients en raison d’une activité trop
forte par rapport à ses moyens. En plus de leur surdité,
la majorité des enfants accueillis présentent des troubles
de la relation et de la communica-
tion ainsi que des polyhandicaps
associés. « Les prises en charge se
font trop tardivement alors que les
difficultés liées aux privations sen-
sorielles sont déjà bien installées.
Nous sommes en train de créer un
nouveau dispositif pour les moins
de 18 mois », indique Cécile Le Goff. Des besoins
importants auxquels est aussi confrontée l’unité de la
Pitié-Salpêtrière (AP-HP): «Notre activité ne cesse
d’augmenter alors que le cadre budgétaire reste le même.
C’est l’une de nos principales difficultés », souligne le
DrAlexis Karacostas, son responsable.
Des recherches prometteuses
Pourtant, il reste encore mille choses à explorer pour
mieux soigner les sourds. Dans le cadre de ses
recherches, Isabelle Series a travaillé sur l’adaptation
de l’échelle d’évaluation de la douleur : «La notion de
douleur “maximale” ou “inimaginable” ne parle pas
du tout aux sourds. Notre échelle, qui comporte six
visages, a été testée sur 300patients sourds et s’est avérée
plus pertinente (voir ci-dessus) », indique la cadre de
santé qui a construit ce nouvel outil avec l’aide de per-
sonnes sourdes. Le DrAlexis Karacostas participe,
quant à lui, à des expérimentations en hypnose : «Nous
sommes obligés de revisiter les techniques hypnotiques
pour les adapter aux sourds, nous réinterrogeons nos
pratiques. C’est extrêmement enrichissant. » D’autres
planchent sur l’adaptation du test MMSE (mini-mental
state examination) pratiqué pour dépister les troubles
de la mémoire et les prémices de la maladie
d’Alzheimer. «Parmi les questions, le médecin demande
à la personne de se coiffer. On évalue ainsi la capacité
d’audition, la compréhension de la parole, la traduction
en mouvement et la faculté de se représenter un peigne
dans la main. Celui qui pose la question en langue des
signes est obligé de faire lui-même le geste, on est donc
dans de l’imitation. La valeur du test n’est plus du tout
la même», explique le DrKaracostas, convaincu qu’une
fois reformulé pour les sourds, le test sera également
pertinent pour les entendants. *
u
DOSSIER
permettre de désamorcer une situation. Je me souviens
d’une jeune femme qui était tout sourire parce que je
m’adressais directement à elle et non à ses parents »,
raconte Laura Villaume-Mariani, étudiante dans ce
même Ifsi. Mais pour arriver à converser avec une per-
sonne sourde, il faudra décrocher le niveau de compé-
tences A1, niveau introductif qui représente en
moyenne plus de 100heures de cours. Mais cela n’est
pas toujours suffisant. Les professionnels de santé
locuteurs de la LSF, donc signeurs, font souvent appel
à des intermédiateurs: des sourds chargés de combler
le fossé linguistique et culturel qui persiste avec les
entendants (voir encadré p.24).
La LSF comme langue de travail
Il existe aujourd’hui 25 dispositifs d’accès aux soins
spéciques pour les sourds sur le territoire : 18 UASS
rattachées à des hôpitaux (3) et 7 autres structures à la
conguration très variable (4), pour une le active de
5886 patients en 2015. La langue des signes demeure
la langue de travail – celle des consultations et des réu-
nions. La composition des équipes peut, elle, différer
d’une structure à l’autre : outre les médecins, les unités
regroupent généralement des psychologues, des tra-
vailleurs sociaux, des AS, des IDE (mais pas toujours),
des secrétaires médicales, des interprètes LSF, des inter-
médiateurs, voire un dentiste ou une sage-femme.
Chaque unité a son fonctionnement propre. À Grenoble,
par exemple, l’unité met à disposition de tous les ser-
vices du CHU un « kit humain de communication » –
composé d’un interprète diplômé et d’un intermédia-
teur – lors de consultations, d’hospitalisations, de pré-
parations à la naissance, d’examens complexes comme
les IRM, pour l’accompagnement au bloc opératoire...
À Lille, l’unité tient des permanences dans cinq struc-
tures hospitalières et collabore étroitement avec le
réseau Sourds et santé Nord-Pas-de-Calais. « Plus de
la moitié de notre activité se passe en dehors de l’hôpital.
Nous avons un secrétariat qui centralise l’ensemble des
rendez-vous sur la région. Le patient demande, par exem-
ple, à voir un gynécologue ; la secrétaire coordonne le
rendez-vous en mettant à disposition un interprète ou
un intermédiateur en fonction des besoins », détaille le
DrBenoît Drion, responsable de cette UASS.
Une activité accrue mais des moyens limités
Reste que ces dispositifs ne couvrent pas l’ensemble
du territoire et que des manquements se font sentir,
Il y a 450 000 enfants
sourds en France, mais
seulement deux centres
psychiatriques dédiés
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Cette échelle de
la douleur a été
repensée pour
les patients sourds,
qui peuvent la noter
entre « pas mal » et
« beaucoup mal ».
3- Pitié Salpêtrière
et Sainte-Anne à
Paris, Strasbourg,
Bordeaux, Rennes,
Montpellier, Nancy,
Toulouse, Lille,
Nantes, Poitiers,
Marseille, Nice,
Grenoble, Annecy,
Chambéry, deux
unités à Lyon
(CHU et CHS).
4- Sourds et santé
Nord-Pas-de-Calais ;
Réseau sourds et
santé Bourgogne ;
Unité thérapeutique
enfance et surdité
(Utes) du groupe
hospitalier Nord-
Essonne et hôpitaux
de Saint-Maurice ;
Unité ambulatoire
surdité et santé
mentale (AP-HM) ;
CMP Signes au CH
Laborit de Poitiers ;
Pôle santé sourds
42 à Saint-Étienne;
Centre gratuit
d’information de
diagnostic et de
dépistage – centre
de planification et
d’éducation familiale
à Marseille.
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