Voltaires folies - Atelier Théâtre Jean Vilar

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DOSSIER PEDAGOGIQUE
Voltaire!s folies
Pamphlet cocasse et satirique contre la bêtise
D!après Voltaire
Distribution
Un spectacle de Jean-François Prévand
Avec
Charles Ardillon
Olivier Claverie
Gérard Maro
Mouss Zouheyri
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Son : Jean-Baptiste Favory
Assistante à la mise en scène : Anaïs Maro
Une production des Tournées de l!Œuvre - Paris / G.M. Spectacles.
Dates : du 3 au 8 février 2009
Lieu : Théâtre Jean Vilar
Durée du spectacle : 1h35, sans entracte
Réservations : 0800/25.325
Contact écoles :
Adrienne Gérard
010/47.07.11
[email protected]
Sources bibliographiques du dossier
Les nouvelles Voltaire!s folies, d!après Voltaire,
L!avant-scène théâtre, 1er novembre 2007, n° 1231.
I. Un spectacle politiquement incorrect
Voici un spectacle comme on en voit peu, et qui, sous les habits du théâtre, pose
directement les questions qui dérangent. Il y a trente-sept ans déjà, Voltaire!s folies, dans
son ancienne mouture, interpellait les consciences. Aujourd!hui, la pièce retrouve pleinement
sa vocation thérapeutique, apparaissant comme un vaccin contre la pensée unique,
l!intolérance, le fanatisme politico-religieux. Toutes sortes de maladies, en somme, dont
souffre le monde moderne. Alors, considérant l!état actuel du patient, n!était-il pas grand
temps, avec une nouvelle version, d!envisager une piqûre de rappel ?
Et de fait, le mérite de ce spectacle, cousu de toutes pièces par Jean-François
Prévand à partir de nombreux textes et libelles de Voltaire, n!est pas seulement de nous faire
entendre la merveilleuse virtuosité de la langue du grand penseur des Lumières, la précision
de ses attaques, ni de susciter notre admiration quant à l!audace d!avoir osé écrire, au XVIIIe
siècle, de tels pamphlets engagés. Mais il est surtout de nous ouvrir les yeux ; et le théâtre,
pour cela, est souvent plus efficace que les discours.
Ces Nouvelles Voltaire!s folies, que Gérard Maro accueille au Théâtre de L!OEuvre
après les avoir reçues à la Comédie de Paris, n!accusent pas seulement tous ceux qui, au
nom d!une croyance plus ou moins dévoyée, se servent de la crédulité des masses pour les
endoctriner et servir leurs desseins partisans. Mais elles mettent aussi tous ceux qui
acquiescent en laissant faire, en se taisant, en face de leurs responsabilités.
Si ce spectacle n!est pas à proprement parler politique, s!il ne prétend pas opposer à
ce qu!il dénonce une idéologie contraire, il trouve toute sa place dans le débat politique. Il
pose, par le biais d!une comédie corrosive en forme de cabaret, la question de la liberté
d!expression, et, surtout, la question de savoir comment nous en usons.
Car s!il n!est peut-être pas possible de raisonner un fanatique, l!on peut sans doute
exiger de tous ceux qui portent en eux les valeurs de la tolérance et de la liberté qu!ils s!en
servent avec plus d!ardeur. A une époque où les autocensures sont aussi dangereuses et
violentes que les censures elles-mêmes, et plus sournoises encore, les Nouvelles Voltaire!s
folies nous rappellent justement le prix de cette liberté de dire tout haut ce que l!on pense
tout bas.
Olivier Celik
II. La philosophie des Lumières,
une époque de réflexion et de contestation
Le siècle des Lumières est, en Europe, une période de grand essor scientifique et
d'épanouissement de la raison critique. Les philosophes français, comme Diderot et Voltaire,
énoncent des principes généraux sur les droits naturels, l'égalité entre les hommes, et
proclament la nécessité d'améliorer la société, d!interdire l!oppression, d!éliminer l!intolérance
et de développer l!enseignement.
Il s!agit d!une pensée qui se développe en Europe au 18ème siècle, fondée sur le
pouvoir de la réflexion, sur la raison et sur l!esprit critique. L!expression « lumière » vient du
mot des philosophes pour décrire leur attitude : « éclairer toutes choses à la lumière de la
raison ». Cette littérature se veut contestataire et didactique.
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III. L!auteur, Voltaire : 1694 - 1778
Voltaire : Symbole des Lumières, figure tutélaire – aujourd!hui plus que jamais – de
l!esprit de liberté, du triomphe, de la raison et de la défense de la tolérance religieuse,
sociale et politique, Voltaire occupe dans le panthéon littéraire français une place à part.
Penseur humaniste et pamphlétaire acerbe, le brillant philosophe sut émerveiller
toutes les cours européennes. Inlassable dénonciateur, il se réfugia à l!abri des poursuites
dans son château de Ferney, à la frontière entre la France et la Suisse pour éviter la prison
(qu!il a connue) et les persécutions dont il fut sans cesse l!objet.
D!un naturel frondeur et doté d!une intelligence hors du commun, Voltaire (de son vrai
nom François-Marie Arouet) reçoit chez les jésuites, au Lycée Louis-le-Grand, à Paris où il
est né en 1694, une éducation classique, et s!il néglige ses études de droit (son père est
notaire), il goûte très tôt aux plaisirs de la vie parisienne et au bel esprit des salons.
Mais déjà, des écrits satiriques lui valent plusieurs embastillements, à la suite
desquels il prend le nom de Voltaire. Poète mondain et impertinent, il doit bientôt s!exiler en
Angleterre, où il découvre une société plus libérale. Il y publie, entre autres, ses Lettres
philosophiques, qui critiquent l!Ancien Régime et lui attirent de nouveaux ennemis.
De retour en France, environné par les querelles religieuses (entre jésuites et
jansénistes notamment), Voltaire ne cesse de cultiver, dans les refuges qu!il trouve auprès
de Madame du Châtelet, puis en Prusse auprès de Frédéric II et enfin à Ferney, son goût
pour la dénonciation, dans les célèbres contes comme Zadig ou Candide, dans son
Dictionnaire philosophique.
C!est en 1762 qu!il publie son célèbre Traité sur la tolérance, à l!occasion de la
célèbre affaire Calas, dont cet extrait du chapitre XXII illustre bien le combat de toute une vie,
d!un homme dont l!éloquence et l!influence intellectuelle auront donné à toute l!Europe la plus
grande et la plus actuelle leçon d!universalité :
« Je vous dis qu!il faut regarder tous les hommes comme nos frères. – Quoi !
Mon frère le Turc ? mon frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? – Oui, sans
doute ; ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du même
Dieu ? »
IV. Les textes du spectacle
Les nouvelles Voltaire!s folies rassemblent sous forme de revue de cabaret une
vingtaine de textes de combat et de pamphlets clandestins de Voltaire en un recueil de
douze tableaux satiriques et burlesques. Dénonçant les fanatismes religieux et politiques,
fustigeant les ennemis de la Raison, ces bijoux d!humour, d!impertinence et de causticité
offrent un joyeux plaidoyer en faveur de la liberté et de la tolérance.
Séquence 1 : les Pancartes
Séquence 2 : le Bachelier et les Sauvages
Séquence 3 : le Serpent
Séquence 4 : le Chapon et la Poularde
Séquence 5 : le Sermon du Rabbin Akib
Séquence 6 : Grand Prophète
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Séquence 7 : l!Adjuvant
Séquence 8 : le Talapoin ou le Revanche de l!Adjuvant
Séquence 9 : l!Empereur de Chine
Séquence 10 : Youssouf Chéribi
Séquence 11 : le Dîner du Comte de Boulainvilliers
Séquence 12 : le Cirque
Les textes présentés dans cette collection, et qui forment la trame du
spectacle Voltaire!s folies, ne prétendent pas être une nouvelle édition de certaines
oeuvres de Voltaire. Pour construire son spectacle, Jean-François Prévand a dû
emprunter à des morceaux divers, notamment à des libelles, parfois manuscrits, ou
imprimés en Hollande ou en Suisse, courant sous le manteau, rarement signés,
mais parfaitement authentifiés par Beaumarchais et Condorcet, responsables de la
première édition complète de Voltaire. (…)
Les lecteurs curieux de retrouver l!intégralité et l!intégrité des textes
pourront toujours se référer au volume Mélanges de la collection La Pléiade.
Extrait de l!avertissement des Nouvelles Voltaire!s folies
Séquence 5 : Le Sermon du Rabbin Akib
La scène se passe dans les nuages que les deux poules traversent pour aller au Paradis des
poules…
Le Rabbin Akib : Mes frères, n!avez-vous point appris le sacrifice de quarante-deux victimes
humaines que les sauvages de Lisbonne ont fait publiquement ? Ces sauvages appellent de
telles exécutions des actes de foi. Mes frères, ce ne sont point des actes de charité.
Élevons nos cœurs à l!Éternel !
Dans l!épouvantable cérémonie de cette petite langue de terre du Portugal, on commença par
livrer deux musulmans aux tourments les plus cruels parce que leurs pères et leurs grand-pères
avaient un tout petit peu moins de prépuce que les Portugais, qu!ils se lavent trois fois par jour
tandis que les Portugais ne se lavent qu!une fois par semaine, qu!ils appellent « Allah » l!Être
éternel que les Portugais appellent « Dios » et qu!ils mettent le pouce auprès de leurs oreilles
quand ils récitent leurs prières. Ah ! mes frères, la belle raison de brûler des hommes !
Élevons nos cœurs à l!Éternel !
Puissent tous les enfants d!Adam, les blancs, les noirs, les gris, les bleus, les rouges, les
basanés, les barbus et les sans barbe, les fanatiques et les superstitieux, les entiers et les
châtrés, devenir Hommes !
Élevons nos cœurs à l!Éternel !
Mes frères, il est temps de répandre des larmes sur nos trente-trois Israélites, brûlés dans cet
acte de foi ! Je ne dis pas que les Portugais les aient tous mangés, mais nous devons le
présumer de deux jeunes gens qui étaient fort gras et d!une jeune fille de douze ans qui était
fort appétissante !
Élevons nos cœurs à l!Éternel !
Ô tigres dévots, panthères fanatiques, qui avez un si grand mépris pour votre secte que vous
pensez ne pouvoir la soutenir que par des bourreaux… si vous étiez capables de raison je vous
interrogerais : si quelqu!un sortant d!un autodafé me dit qu!il est chrétien, je lui demanderai en
quoi il peut l!être !… Et si Jésus reparaissait aujourd!hui au monde, se reconnaîtrait-il dans un
seul de ceux qui se nomment chrétiens : il vécut juif, mourut juif… et vous nous brûlez parce
que nous sommes juifs ?...
Oh, Adonaï, qui nous a créé tous, et qui ne veux pas le malheur de tes créatures, Dieu, père
commun, Dieu de miséricorde, fais qu!il n!y ait plus ce petit globe, sur ce moindre de tes
mondes, ni fanatiques, ni persécuteurs !...
Amen.
Noir.
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V. L!histoire du spectacle
L!histoire de Voltaire!s folies est née d!une promenade sur les bords de la Seine chez
les bouquinistes par un bel après-midi de printemps dans les années soixante.
A ma grande surprise, je fis la découverte de cette édition des Dialogues
philosophiques des classiques Garnier. Feuilletant le livre je vis qu!il s!agissait évidemment
de petits dialogues, mettant en scène des personnages burlesques comme une Poularde ou
l!Empereur de la Chine…J!achetai le livre.
A la lecture je fus stupéfait de la modernité du style, si proche de Candide ou de
Zadig, de la violence et de la pertinence des sujets abordés (l!utilisation du fanatisme
religieux à des fins politiques), de leur drôlerie aussi.
Je n!avais pas encore fait d!adaptation ni de mise en scène, je mis de côté ce texte,
me promettant d!en faire quelque chose un jour.
En 1970, je proposai à Pierre Vielhescaze, alors directeur du Théâtre de l!Ouest
parisien à Boulogne, de monter ces textes pour les scolaires. Ce qui fut fait et le succès de
ces représentations nous incita à tenter notre chance à Paris intra-muros. Jacques Bocquet
pour le café-théâtre de l!Absidiole, et Christian Leguillochet pour le Lucernaire acceptèrent de
nous programmer.
Le spectacle fut un incroyable triomphe de café-théâtre (à cette époque où les cafésthéâtres se voulaient encore des cafés littéraires) et se joua sans discontinuer à l!Absidiole,
rue Frédéric Sauton, prés de la Mutualité) pendant plus de trois ans (environ mille
représentations). Je dois à la vérité de dire que la trouvaille du titre Voltaire!s folies est de
Jacques Bocquet lui-même. Les cafés-théâtres comme l!Absidiole ont aujourd!hui
malheureusement disparu.
La reconnaissance de la profession (presse, professionnels) viendra du 25e festival
d!Avignon en 1971. Présenté dans la petite Chapelle de la Présentation, Voltaire!s folies
deviendra un peu la coqueluche de ce nouveau phénomène que devait devenir le festival
Off. Presse nationale et régionale donnèrent un retentissement certain à cette création.
Le spectacle fut alors enregistré en 1973 pour la télévision sous la régie de JeanPierre Spiero, puis, après bien des hésitations (programmé, déprogrammé…) enfin diffusé
sur FR3 en 1974 (un samedi soir en prime-time, les temps ont bien changé !)
Vint alors le temps des tournées, notamment grâce à Alain Gintzburger, qui se
dépensa inlassablement pour faire programmer Voltaire!s folies un peu partout en France et
même à l!étranger. Pendant plus de cinq ans, on devait sillonner les salles de province,
rencontrant quelques aventures souvent cocasses, parfois malheureusement plus
dramatiques.
En mars 1973 nous sommes invités par le Théâtre national algérien, sans que les
Algériens aient vu préalablement le spectacle. À l!arrivée à l!aéroport de Dar El Beïda
j!apprends au directeur du TNA qu!il y avait des passages de la pièce qui mettaient en scène
Mahomet. Dans la journée nous devons improviser et changer le Mahomet Show en Grand
Sammonodocom Show mais personne ne fut dupe. Le maire de Tizi-Ouzou dut monter sur
scène pour calmer ses administrés, leur affirmant qu!il s!agissait d!un message humaniste et
que s!il avait su il aurait emmené sa femme et sa fille. Humanisme ou non, les autres
représentations qui devaient avoir lieu au centre d!Alger furent exilées dans une lointaine
banlieue, le prix des places multiplié par trois et le tout sans aucune information, les
premières affiches du spectacle étant posées le jour de notre départ.
Mais le souvenir le plus douloureux reste l!Argentine (juillet 1976). Après quelques
représentations un peu houleuses au Brésil et surtout à Montevideo (Uruguay) où un glacial
« vous n!avez pas le droit ! » s!éleva dans le silence du Teatro Solis lorsque Voltaire proteste
contre les massacres commis au nom de la religion sur les « six millions d!innocents,
habitant un nouvel hémisphère, tués comme des bêtes fauves dans un parc sous prétexte
qu!ils ne voulaient pas être chrétiens ».
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Nous espérions connaître un meilleur sort à Buenos Aires. Las, ce fut l!horreur,
représentation interrompue par des énergumènes qui scandaient « À Moscou ! », interdiction
des autres représentations…
Le seul bon souvenir fut de rencontrer Jorge Luis Borges qui intervint en notre faveur
dans la presse (La Opinion daté du 3 juillet 1976) avec la traduction de la célèbre « Prière à
Dieu » du Traité sur la Tolérance : « Que todos los hombres recuerden que son
hermanos ! » Hermanos ou pas, nous fûmes bien contents de quitter également ce pays.
Une série de trente représentations en octobre et novembre 1979 au Théâtre de la
Plaine à Paris fut surtout l!occasion d!articles élogieux de Dominique Jamet, Gilles Sandier,
Pierre Marcabru…
En 1987, Gérard Maro, alors directeur de la Comédie de Paris, propose de refaire
une nouvelle production. Ce sera un succès de six ans, de 1987 à 1993, seulement
interrompu par de nombreuses tournées. Un des points d!orgue de ce merveilleux souvenir
sera la visite de Robert Badinter puis celle du président François Mitterrand, leur émotion,
leur soutien.
Voltaire!s folies est une belle aventure, qui nous échappe cependant. On se sent
poussé par un souffle, celui de Voltaire bien sûr, et de la cause qui l!anime.
L!actualité du propos ne nous appartient pas non plus. Son universalité, son
intemporalité nous surprennent sans cesse et là où l!on pouvait s!y attendre le moins. Il y a
toujours une phrase tout d!un coup qui est en prise directe avec le moment présent.
C!est que le génie de Voltaire gratte au plus profond de l!âme humaine, là où ça fait
mal mais là où il faut. On ne peut pas lui résister car sa démarche est une confiance en
l!homme, c!est une lutte incessante et nécessaire contre les ténèbres et même si « nous
n!apporterons la lumière qu!à ceux qui nous prierons d!ôter leur cataracte », c!est bien de
lumière qu!il s!agit.
Jean-François Prévand
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VI. Rencontre avec Gérard Maro et Jean-François Prévand
Un théâtre d!agitation :
L!avant-scène théâtre : Pourquoi avez-vous tenu à poursuivre cette aventure
de théâtre entamée il y a trente-sept ans ?
Gérard Maro : Avec Voltaire!s folies, ce qui nous intéresse en premier lieu n!est pas
de « faire du théâtre », mais le sens de ce qui est dit dans le spectacle, le fond du discours :
la position voltairienne par rapport au fanatisme religieux. Il y a trente-sept ans, ce problème
existait déjà mais de manière assez floue, comme construction intellectuelle. Il y a vingt ans,
quand le spectacle a été repris, quelques signes d!alerte se sont manifestés : un réalisateur
de la BBC, venant à Paris faire un reportage sur le spectacle, nous avait prévenu que de tels
propos, à Londres, provoqueraient un scandale et que le spectacle finirait par être interdit.
Aujourd!hui, ce problème de fanatisme religieux s!exprime dans le monde entier avec la plus
grande violence. Et ce qui était mineur aux yeux du public dans le premier spectacle devient
majeur à notre époque. Dans le contexte politique actuel, certaines phrases anodines sont
aujourd!hui particulièrement dévastatrices. Parmi l!échantillon de textes que nous avons
joués pour les différentes versions du spectacle, nous avons retenu aujourd!hui ceux qui
paraissent les plus pertinents au regard des interrogations contemporaines, comme si nous
faisions un travail d! « éditorialisme » théâtral. Je tiens à préciser que nous ne voulons pas
faire en aucune manière du théâtre politique, mais du théâtre d!idées, du théâtre d!agitation
intellectuelle, ce qu!aurait toujours dû être le théâtre, et ce qu!il est toujours en temps de
grande crise. Le fanatisme religieux, aujourd!hui, devient de plus en plus préoccupant, et
chacun a le devoir de réfléchir à cette situation à laquelle nous nous sommes trop
accoutumés.
Jean-François Prévand : Le sujet de ce spectacle n!est pas la foi, mais l!utilisation
des croyances à des fins politiques. Voltaire menait de grands combats de son temps,
l!affaire Calas ou celle du chevalier de la Barre, et luttait ainsi contre un pouvoir absolu qui se
réclamait de droit divin. En attaquant cette prérogative, qui est à la fois une force et une
faiblesse, le débat d!idées du XVIIIe siècle s!est cristallisé sur les rapports entre la politique
et la religion. Voltaire dresse la liste des crimes commis au nom de la religion (les croisades,
les indiens)… Mais en 1970, en France, on se croyait tellement à l!abri de ces tensions
politico-religieuses, on n!imaginait pas que ces enjeux allaient nous revenir comme un
boomerang et que l!actualité donnerait à ces textes une très contemporaine résonance. Il
nous a donc fallu tout remettre à plat, tout réexpliquer, tout rejustifier.
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VII. L!origine des textes de Voltaire!s folies
« Les sottises que l!on dit, que l!on fait ou que l!on écrit, étant plus
multipliées que les sables de la mer, il est difficile de faire un choix…Dans le
tourbillon de nos impertinences nous en avons choisi quelques unes parmi les
plus légères afin de les faire surnager un jour ou deux. Elles amuseront les oisifs
et les oisives, après quoi elles iront rejoindre les autres efforts de l!esprit humain
consacrés à l!éternité : j!entends l!éternité du néant. »
C!est la préface que Voltaire écrivit pour son Recueil des Facéties parisiennes en
1760. Facéties sera également le titre que Beaumarchais et Condorcet, chargés de la lourde
tâche d!établir, de 1785 à 1789 la première édition complète des œuvres de Voltaire,
donneront au tome 66 où ils rassemblèrent tous ces fragments épars, ces billets anonymes,
ces pamphlets divers dont Voltaire inonda l!Europe des lettres de 1750 à 1765.
Le travail des éditeurs fut si rude qu!ils louèrent le fort militaire de Kehl, en face de
Strasbourg, et pendant quatre ans ils trièrent, et surtout authentifièrent ces bribes grâce à la
collaboration des secrétaires de Voltaire.
Voltaire aimait ces textes, ces « petits pâtés », ces « rogatons » comme il se plaisait
à les appeler. C!est ici qu!il donne libre cours à toute sa verve, sa causticité. En pleine liberté
d!esprit et de style, dans la langue de Candide et de Zadig, il livre de véritables chefsd!œuvre comme le Chapon et la Poularde (1763). Il invente un nouveau genre, le pamphlet
dialogué, dans lequel, sans carcan, il fait exploser le langage comme pourra plus tard le faire
un Flaubert.
Et curieusement, alors que nous sommes dans le sarcasme, le burlesque, c!est ici
qu!il va peut-être laisser glisser la profondeur et l!universalité de sa pensée. On trouve ici ses
plus belles pages contre le fanatisme et l!ignorance qui fait son terreau. On y trouve même
de l!émotion, ce qui est plutôt rare, et des réflexions profondes sur la nature de l!homme et
sur sa place dans l!univers.
Véritables « fusées volantes », comme il aimait aussi à les désigner, ces libelles
imprimés clandestinement en Hollande ou en Allemagne n!étaient pour la plupart pas signés.
Et l!on comprend pourquoi. Il rappelait souvent que sa maison de Ferney était en France
mais que le potager était en Suisse et qu!en trois sauts parmi les laitues il pouvait se mettre
en sûreté.
Il faut absolument resituer ces textes dans le moment de leur écriture : les années
1760. Le pouvoir absolu vacille sous les coups de butoir des philosophes et doit faire face
également à un immense mécontentement populaire. Sur fond de guerres interminables, de
famines, d!injustices sociales, les écrits de Voltaire, de Rousseau, des Encyclopédistes
rencontrent un écho qui va bien au-delà des sphères intellectuelles et des salons littéraires.
Les philosophes s!attaquent à ce qui est à la fois la force et le tendon d!Achille de la
monarchie absolue : sa prétendue essence de droit divin. C!est donc sur le terrain religieux
que la bataille politique va faire rage. Le pouvoir a peur et il va vite devenir sanguinaire. Pour
la première fois depuis plus d!un demi-siècle des hommes vont être mis à mort à cause de
leurs idées. Les livres réputés séditieux vont être interdits et brûlés en place publique avec
l!effigie de leurs auteurs. Les Parlements de province, constitués de notables, vont se faire
les principaux relais de la répression.
C!est ainsi que successivement Jean Calas, Sirven et le chevalier de la Barre furent
jugés et condamnés. Pour Calas, roué vif en place publique, ou le chevalier de la Barre, dont
on voulut arracher la langue avant de le décapiter, ces supplices furent même d!une barbarie
qui ne pouvait que soulever colère et indignation.
Si les mots de Voltaire peuvent blesser, ils n!ont tué personne, au contraire de tous
les fanatiques qu!il pourfend en les ridiculisant. Voltaire disait : « Je n!ai qu!une prière : « Mon
Dieu, rendez mes ennemis ridicules ! », j!ai été exaucé. »
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Mais le projet de Voltaire était plus vaste que de commenter son époque. Le contexte
de ses combats appartient à l!histoire mais le fond, l!objet de ses attaques sont – on pourrait
dire malheureusement – d!une actualité brûlante.
Faut-il s!en désespérer ? Le sourire de Voltaire nous répond. Derrière le masque de
l!amertume, il nous rappelle : « Les Grecs ont ouvert la boîte de Pandore de l!humanité. Il y a
sans doute de grands maux sur notre globe, nous sommes dans un orage, fuyons ! Mais
encore une fois espérons de beaux jours ! Où et quand, je n!en sais rien. L!espérance est au
fond. Vous voudriez quelque chose de plus positif ? Si vous en connaissez, daignez me
l!apprendre ! »
Jean-François Prévand
VIII.L!équipe du spectacle
Jean-François Prévand
L!homme Jean-François Prévand est enthousiaste, passionné, rieur. Un baladin dans
le sens le plus remuant du terme. Son théâtre ressemble à son caractère enjoué et
batailleur. Il ne déteste pas qu!on le traite de combattant de la culture ! Il l!est depuis ses
débuts sur scène et en coulisses. La première version de Voltaire!s folies, c!était en 1970.
Depuis, Prévand a fait mille choses, œuvré avec sa compagnie fondée avec Sarah Sanders,
monté les classiques (Labiche, Brecht) et les modernes (Stoppard, Roblès, Boublil), joué et
écrit. Sa pièce pamphlétaire sur les écrivains pendant l!Occupation, Camus, Sartre et les
autres, a secoué les visions saint-sulpiciennes de l!histoire de France. Si on lui fait remarquer
qu!il y a là quelques rapprochements qui prêtent à discussion, il réplique : « Peut-être ai-je
fait comme Voltaire ; quand il est en colère, il tape fort. » Il a été le premier metteur en scène
à entrer comme tel au conseil d!administration de la SACD, il préside le Syndicat national
des metteurs en scène et dirige le festival des Chantiers de Blaye, « ouvert aux écritures
originales et aux compagnies régionales ». Il peut dire, pour résumer une vie allégrement
fébrile : « Au théâtre, tout m!intéresse. »
Aujourd!hui qu!il revient à Voltaire, on peut se souvenir qu!il est aussi allé voir chez
Rousseau, pour écrire en 1991 un vivace Voltaire Rousseau (L!avant-scène théâtre, n°888).
« Comment faire quelque chose de burlesque avec quelqu!un d!aussi sérieux que Rousseau,
bien moins facile à mettre au théâtre qu!un Voltaire, gymnaste de l!esprit ?, disait-il alors. Ce
qui m!a séduit a été le centre même de leur conflit : le problème de la culture, qui est toujours
le nôtre. » A présent, alors qu!il monte ces Nouvelles Voltaire!s folies en mettant de côté
d!autres projets (comme de remodeler sa pièce Maîtres et Serviteurs), il continue de penser
que la culture améliore l!homme. Et ne partage pas le pessimisme ambiant du monde
culturel : « Le théâtre est en crise mais il bénéficie de la crise puisqu!il peut s!exprimer en
toute liberté. Moins lié à l!argent que les autres arts, il est l!endroit de la parole en prise avec
la vie. On peut toujours crier et jouer. »
Les comédiens,
Charles Ardillon
D!Avignon au JTN (Jeune Théâtre National), Charles Ardillon a connu les débuts
classiques d!un jeune acteur doué pour toutes les formes de jeu. Paradoxalement, le titre du
premier spectacle qu!il retient dans son parcours s!intitule Il est temps de partir…
9
Pour lui, comme le signe qu!il jouerait sur tous les fronts, du théâtre dramatique aux
scènes musicales avec Alain Marty, car le jeune homme a plus d!un don.
A ses tout débuts, il a joué Corneille, Yves Lebeau, Thomas Brach et travaillé avec
Geneviève Rosset, Jacques Kramer notamment.
Il a participé à la très intéressante aventure de France parle d!après la somme réunie
sous la direction de Pierre Bourdieu sous le titre La Misère du monde, une mise en scène de
Xavier Marcheschi.
Mais c!est sa rencontre avec Thomas Le Douarec qui a donné une impulsion et une
couleur originale à son travail. Du Dindon de Feydeau à Du vent dans les branches de
Sassafras de René de Obaldia en passant par un spectacle sur le football et jusqu!aux Monty
Python, Ardillon a trouvé sa famille. La qualité dans le rire, la subtilité dans la cocasserie, la
joie de partager des humeurs délirantes. Plus récemment il a travaillé avec José Paul dans
Jacques a dit et Alain Sachs dans Le Bourgeois gentilhomme au Théâtre de Paris, tout en
poursuivant une jolie carrière qui va s!affirmant à la télévision comme au cinéma.
Olivier Claverie
C!est un enfant des Baladins en Agenais. Un enfant de troupe qui a beaucoup
travaillé avec l!entreprenant Roger Louret. De La Perle de la Canebière, il y a 20 ans déjà, à
Picoline d!Aurélie Viel en tournée en 2001, Olivier Claverie a affermi son jeu en s!essayant à
des genres différents mais dans cet esprit de joie partagée qu!a toujours su répandre sur ses
spectacles Roger Louret, Molière et Le Malade imaginaire, Goldoni et La Locandiera,
Beaumarchais et Le Barbier de Séville ou Musset et Les Caprices de Marianne, la formation
est d!abord classique dans le sillage du metteur en scène. Et pas de meilleure école, il en
convient. D!autres artistes l!ont repéré et aiment faire travailler ce comédien sensible,
capable de gravité et très heureux dans la légèreté. Georges Wilson l!avait distribué dans Le
Retour en Touraine de Françoise Dorin comme dans Henri IV de Pirandello. Didier Long a
fait appel à lui pour Bel-Ami de Pierre Laville, d!après Maupassant et dans Hygiène de
l!assassin d!après Amélie Nothomb. Avec Nicolas Briançon, il a fait partie de la belle
aventure du Menteur de Corneille revivifié et, très récemment, il a joué avec le même metteur
en scène La Guerre de Troie n!aura pas lieu de Jean Giraudoux au Silvia-Monfort et en
festivals. Parallèlement, son chemin au cinéma comme à la télévision est large et des
réalisateurs très différents aiment utiliser cette personnalité chaleureuse.
Gérard Maro
Un homme de théâtre complet, Gérard Maro. Il n!aurait pu se contenter d!être
simplement un interprète même si le comédien possède une personnalité forte. Il s!est formé
en étant l!assistant de Bernard Bimont, Bernard Jenny. Il a également travaillé avec Pierre
Dux et Michel Fagadau. Dès la fin des années soixante, il y a plus de quarante ans, il
participe à l!aventure du Vieux-Colombier qui est alors l!un des lieux très intéressants de la
création théâtrale et Gérard Maro va être appelé à mettre en scène pour certains festivals :
Avignon (Une Nuit avec Hamlet de Vladimir Holan, en 1971) ou le Marais (Le Roman de
Renart en 1972).
Dès 1973, il fonde sa compagnie Bateleurs 2000 et monte en cascade des
spectacles. Il s!intéresse alors de près au théâtre pour la jeunesse et met en scène des
classiques, Molière comme Musset, scrutant de près la pensée des philosophes et
proposant des adaptations très réussies de Diderot (Les Amours de Jacques le Fataliste) ou
Machiavel (La Florentine).
Il cherche un point d!ancrage et dirige deux ans durant le Théâtre du Jardin
d!Acclimatation. En 1981, il reprend la Comédie de Paris, salle endormie depuis des années
et demeure à sa tête quatorze ans durant. C!est d!ailleurs là que l!on verra Voltaire!s folies
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pour la première fois dans un théâtre, en 1988, et Voltaire Rousseau. Durant toutes ces
années, non content de veiller aux programmations, aux tournées, Gérard Maro joue et met
en scène, certain que c!est depuis l!expérience du plateau que l!on dirige le mieux un théâtre.
Dans sa propre maison ou ailleurs. C!est dans le même esprit qu!en mai 1995, il prend la
direction de L!OEuvre et c!est là que l!on va retrouver le spectacle composé par JeanFrançois Prévand. Directeur de théâtre, Gérard Maro ne manque pas d!audace. Il aime faire
confiance aux auteurs contemporains et l!on n!oublie pas la force de la pièce découverte l!an
dernier, un texte remarquable de Vincent Delecroix, mis en scène par Marcel Bluwal avec un
Michel Aumont exceptionnel : A la porte. Le spectacle a d!ailleurs été accueilli en novembre
2008 au Théâtre Jean Vilar. Et tandis que L!OEuvre présente de belles productions, le patron
joue ailleurs : récemment, on l!a vu dans Amadeus de Peter Shaffer par Stéphane Hillel au
Théâtre de Paris et dans Le Miroir d!Arthur Miller par Michel Fagadau. C!est son ami JeanFrançois Prévand qui le ramène sur le plateau de L!OEuvre.
Mouss Zouheyri
De 1983 à 1986, Mouss Zouheyri se forme au Conservatoire National supérieur d'art
dramatique de Paris, dans la classe de Michel Bouquet. Il s!initie également à l!art du
masque avec Mario Gonzales et en théâtre de rue et cirque avec Michel Crespin,
responsable de la structure nationale du Théâtre de rue à Marseille.
Mouss Zouheyri est comédien au théâtre et au cinéma. Sur scène, il alterne les rôles
du répertoire classique (Marivaux, William Shakespeare, Beaumarchais, Molière, Voltaire…)
et contemporain (Dario Fo, Bernard-Marie Koltès, Aziz Chouaki…). Au cinéma, vous avez pu
le voir entre autres dans Conseil de famille de Costa-Gravas en 1986, Rainbow pour
Rimbaud de Jean Teulé en 1996, Dieu seul me voit de Bruno Podalydès en 1998, L!Honneur
de la tribu, 100% Arabica et Beur, blanc rouge, trois films de Mahmoud Zemmouri.
Dernièrement, il interprète le rôle de Samir dans le film Il faut que je t!aime de Philippe
Claudel sorti en 2008.
En 1997, Mouss Zouheyri réalise sa première mise en scène et joue dans la pièce
Emigrés de Slawomir Mrozek par la Compagnie La Ribambelle et la Compagnie les 2
Complices. Cette création est coproduite par le Théâtre des Treize Vents à Montpellier et par
la Scène Nationale des Gémeaux à Sceaux."
Mouss Zouheyri travaille également en Belgique. A la demande du Théâtre de Poche
à Bruxelles, il met en scène Low de Daniel Keene. La pièce sera jouée un mois lors de la
saison 2000-2001." Dernièrement, il met en scène Monologues sans titres de Daniel Keene,
créé au Festival de Blaye en août 2005 et Saleté de Robert Schneider en 2007. La même
année, il jouait dans le spectacle Faut pas payer ! de Dario Fo dans une mise en scène de
Jacques Nichet.
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