CHAPITRE H2 LA REPUBLIQUE FRANCAISE FACE AUX ENJEUX DU XXème SIECLE Introduction I – Quelle est l’essence de la République en France ? A) Comment la République s’est-elle enracinée en France à la fin du XIXème siècle ? 1) une République difficile à installer (1870-1880) 2) l’enracinement de la République (1880-1900) B) Comment la période noire de la Seconde Guerre mondiale a-t-elle conduit à une revitalisation de l’idée républicaine en France ? 1) Comment la défaite de 1940 remet-elle en cause la République ? 2) La Résistance, un combat pour la République ? 3) Une République rénovée à la Libération ? C) 1958-1962 : rupture ou aménagement de l’idéal républicain en France ? En 1958, la France se tourne vers le général de Gaulle qui apparaît pour la seconde fois comme l’homme providentiel capable de sauver le pays. La crise née de la guerre d’Algérie est aussi une crise de la Quatrième République devenue difficilement gouvernable en raison de son instabilité gouvernementale chronique. Entre juin et décembre 1958, de Gaulle fait basculer la France vers la Cinquième République, nouveau régime dans lequel le pouvoir exécutif apparaît plus fort. Cette puissance du Président de la République se trouve confortée et légitimée avec la crise de 1962 dont de Gaulle sort vainqueur. Désormais, le Président sera élu au suffrage universel et les parlementaires ont compris qu’ils avaient perdu tout poids sur le chef de l’Etat. 1) 1958 : crise algérienne ou crise de la République ? Depuis le 1er novembre 1954 (« Toussaint rouge »), l’Algérie est le théâtre de ce qu’on n’appelle pas ouvertement une guerre mais des « événements ». Dans le mouvement général de décolonisation entamé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le FLN (Front de Libération Nationale) algérien entend faire valoir les droits de son peuple à l’indépendance. Or, la situation algérienne est particulièrement complexe du fait que, depuis le XIXème siècle, des Français se sont installés sur le territoire algérien lequel n’a d’ailleurs pas le statut de colonie mais fait partie du territoire national étant même divisé en départements. Ces « pieds noirs » (comme les appellent les Algériens de souche), qui représentent 1 habitant sur 9 à peu près, ne sont évidemment pas disposés à abandonner une terre qu’ils considèrent comme étant la leur depuis plusieurs générations. Le gouvernement français a choisi de résoudre la crise algérienne par la force plutôt que par la négociation. Il en résulte un enlisement de l’armée sur place mais aussi un blocage du fonctionnement républicain. La Quatrième République n’a en effet pas tardé à montrer ses limites, retombant en grande partie dans les errements de la Troisième République. En moyenne, un gouvernement de la Quatrième République dure six mois mais certains ne durent que quelques jours. Les présidents du Conseil sont fréquemment renversés parce qu’un des partis les soutenant à la Chambre des députés leur fait soudain défaut. Cette instabilité gouvernementale ne permet pas d’aborder véritablement les questions essentielles… et notamment celle du devenir de l’Algérie. Le 13 mai 1958, une insurrection éclate à Alger à l’annonce d’une possible ouverture de discussions entre le nouveau gouvernement dirigé par Pierre Pflimlin et le FLN (http://www.ina.fr/histoire-et-conflits/epoques/video/CAA88018517/le-13-mai-1958.fr.html) . Avec la complicité d’une partie de l’armée, les « Français d’Algérie » s’opposent à toute négociation avec le FLN, forment un Comité de salut public dirigé par la général Massu et en appelle au retour de de Gaulle au pouvoir. La France se retrouve au bord de la guerre civile avec des menaces de coups de force de l’armée sur le territoire métropolitain et en particulier à Paris (opération Résurrection). Sondé par le président de la République René Coty, de Gaulle accepte de revenir au pouvoir mais à condition d’avoir les mains libres pour réformer les institutions dans le sens qu’il préconisait dès 1946 dans son discours de Bayeux. Cette perspective dresse contre lui une partie de l’opinion (notamment de gauche) qui voit se profiler la menace d’une dictature (la perspective de donner les pleins pouvoirs à un homme providentiel rappelle par trop les heures sombres de 1940) ; la réponse de de Gaulle dans une conférence de presse est passée à la postérité (http://www.ina.fr/divertissement/humour/video/I00012921/charles-de-gaulle-et-la-carriere-dedictateur.fr.html) sans forcément rassurer ses opposants. Investi comme président du Conseil le 1 er juin 1958, de Gaulle reçoit rapidement les pleins pouvoirs pour six mois afin de réformer la constitution et de ramener le calme en France et en Algérie. La Quatrième République est déjà pratiquement morte. 2) Peut-on parler de dérive monarchique de la République à partir de 1958 ? En 1964, François Mitterrand, un des plus farouches opposants au général de Gaulle, publie un ouvrage intitulé « le coup d’Etat permanent » dans lequel il condamne les institutions de la Cinquième République qui donnent le pouvoir à un seul homme. Dans l’hebdomadaire Le Canard enchaîné, les caricaturistes dessinent de Gaulle en Louis XIV. Encore aujourd’hui, de nombreux observateurs parlent de « monarchie républicaine » pour parler de la Cinquième République. Qu’en est-il ? La nouvelle constitution est préparée durant l’été 1958 par une commission dirigée par Michel Debré, un proche du général de Gaulle. De manière très symbolique, le projet constitutionnel est présenté par de Gaulle lors d’un grand discours le 4 septembre 1958, place de la République à Paris. Les Français l’approuvent le 28 septembre par près de 80 % des votants (66 % des inscrits) et le nouveau texte est promulgué le 4 octobre. Les différences avec le système précédent ne sont pas évidentes au premier coup d’œil : il y a toujours deux assemblées, un chef de l’Etat élu pour 7 ans et un gouvernement qui doit disposer de la majorité à l’Assemblée nationale pour pouvoir diriger le pays ; la seule véritable nouveauté en matière d’organes institutionnels est l’apparition du Conseil constitutionnel chargé de vérifier la constitutionnalité des lois. Cependant, c’est l’équilibre entre ces organes qui se trouve modifié par la nouvelle constitution. Le Président de la République voit ses prérogatives renforcées : il peut toujours dissoudre l’Assemblée nationale mais il dispose en plus de la possibilité de consulter directement les citoyens par la procédure du référendum (pratique qui rappelle trop à certains l’Empire napoléonien et qui permet de court-circuiter la représentation nationale et les partis pour mettre le Président directement en relation avec le peuple) ; les circonstances dramatiques dans lesquelles le texte a été élaboré donnent au chef de l’Etat, par le biais de l’article 16, la possibilité de disposer des pleins pouvoirs pour un temps limité ; le Président joue également un rôle plus important dans le pouvoir exécutif comme le montre le changement du titre du chef du gouvernement de « président du conseil » en « premier ministre » : désormais c’est le Président de la République qui préside le Conseil des ministres. De Gaulle a cependant dû effectuer certaines concessions pour obtenir l’appui de certaines formations politiques : il a renoncé ainsi à faire élire le Président par le peuple (ce seront 80 000 grands électeurs qui l’éliront en décembre 1958). Toutefois, il va très vite s’instituer une certaine différence entre le texte constitutionnel et la pratique gaullienne. De Gaulle donne à sa fonction une plus grande importance encore que dans les articles de la constitution : par ses voyages dans le pays, par le contrôle de la radio et de la télévision nationale, par la manière qu’il a d’assumer la fonction présidentielle, il est le point central. Cela se révèle efficace lorsqu’en 1961 il faut déjouer le putsch des généraux et maintenir l’armée dans l’obéissance. Cela devient plus inquiétant pour les adversaires du pouvoir lorsqu’en 1962, après la « démission » du premier ministre Michel Debré (officiellement, le Président ne peut pas demander à son premier ministre de se retirer), il nomme comme chef du gouvernement un inconnu en politique, Georges Pompidou, qui n’est autre que son ancien directeur de cabinet. Dans la foulée, de Gaulle, profitant de l’amélioration de la situation du pays (fin de la guerre d’Algérie, maîtrise de l’inflation et création du nouveau franc..), propose de confier au peuple l’élection du Président de la République (http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00082/allocution-du-18-octobre-1962-election-dupresident-de-la-republique-au-suffrage-universel.html ). C’est l’occasion pour une grande partie de la classe politique d’essayer d’en finir avec cet « homme providentiel » qui a posé de nouvelles règles que beaucoup trouvent trop à l’avantage du pouvoir exécutif. Le vote d’une motion de censure (octobre 1962) renverse le gouvernement Pompidou. De Gaulle réagit en renommant Pompidou à Matignon, par une dissolution de l’Assemblée nationale, par le référendum sur l’élection du Président de la République (77 % des votants l’approuve) et la convocation de nouvelles élections en novembre… remportées par ses partisans. En à peine un mois, à la faveur de cette crise constitutionnelle, de Gaulle a affermi le pouvoir présidentiel et fini de donner sa logique propre à la Cinquième République. Les institutions de la Cinquième République ont ouvert la voie à une présidentialisation de la République. Toutefois, il apparaît abusif d’y voir une sorte de « monarchie républicaine » au sens où le Président est obligé de se représenter devant les électeurs. Cependant, même si les principes républicains demeurent inchangés, la différence institutionnelle est importante avec les républiques qui ont précédé ; celles-ci donnaient un poids majeur aux députés en tant que représentants du peuple et étaient basées sur un pur parlementarisme. Par sa méfiance à l’égard du « jeu des partis », de Gaulle a fondé un système différent ayant sa propre logique : domination du chef de l’Etat (qui a son « domaine réservé ») ; tendance à une bipolarisation de la vie politique (une majorité et une opposition) plutôt qu’un émiettement en une multitude de partis générant des majorités politiques instables ; place centrale de l’élection présidentielle (celle-ci, depuis la réforme de 2000, étant rapprochée de l’élection des députés… mais en première position). La France ne peut être qualifiée de « monarchie républicaine » (même si certaines apparences peuvent y faire penser) mais la République a aujourd’hui pris des formes assurant une plus grande stabilité du pouvoir sans renoncer aux principes fondamentaux enracinés depuis les années 1880.