Avant-Propos
« Le Siècle de Voltaire »
Confronté à l’incurie de l’édition française, incapable de
présenter l’œuvre poétique et tragique de celui qui donna son
nom au 18e siècle en France, je suis fier et heureux, ayant
trouvé quelques deniers au fond de mes poches, et, armé
d’une bonne dose de patience et de détermination pour
mettre en forme le texte, d’offrir à la lecture des citoyens du
Monde pour la première fois en France et sur cette planète,
après plus d’un siècle de silence, et pour un prix abordable,
le texte de sept des principales tragédies de Voltaire.
C’est aussi répondre comme à un devoir d’inventaire et de
mémoire, dans un pays riche et démocratique comme la
France, qui dit par moments se préoccuper de francophonie,
de défense de la langue et de la culture française.
Ce livre se veut être une étincelle qui se propage le long de la
mèche sinueuse de la mémoire, éclairant le labyrinthe
obscurci de la conscience. C’est pourquoi je vous dit, avec
Voltaire, en ouverture de ces quelques pages :
« Je chante ce héros qui régna sur la France
Et par droit de conquête et par droit de naissance ;
Qui par de longs malheurs apprit à gouverner,
Calma les factions, sut vaincre et pardonner,
Confondit et Mayenne, et la Ligue, et l’Ibère,
Et fut de ses sujets le vainqueur et le père.
Descends du haut des cieux, auguste Vérité !
Répands sur mes écrits ta force et ta clarté :
Que l’oreille des rois s’accoutume à t’entendre.
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C’est à toi d’annoncer ce qu’ils doivent apprendre ;
C’est à toi de montrer aux yeux des nations
Les coupables effets de leurs divisions.
Dis comment la Discorde a troublé nos provinces ;
Dis les malheurs du peuple et les fautes des princes :
Viens, parle ; et s’il est vrai que la Fable autrefois
Sut à tes fiers accents mêler sa douce voix ;
Si sa main délicate orna ta tête altière,
Si son ombre embellit les traits de ta lumière,
Avec moi sur tes pas permets-lui de marcher,
Pour orner tes attraits, et non pour les cacher. »
(Voltaire, La Henriade)
Certes, je ne suis pas érudit ni professeur d’université, ni
chercheur au CNRS, ni même critique ou journaliste
spécialisé, encore moins historien, ou linguiste. Certes, je n’ai
pas le bagage intellectuel et/ou les connaissances savantes
qui me permettraient d’analyser en détails et en profondeur
les écrits tragiques, épiques et poétiques du grand Voltaire.
Certes, je me souviens m’être plutôt ennuyé, il y a quelques
temps de cela, sur les bancs de l’école, à la lecture des
quelques contes à la mode de chez nous, la France : les
« Candide » cultivant leur propre jardin, laïque et républicain.
Mais voilà que le temps passe, et qu’un esprit en liberté qui
trouve son centre de gravité, peut de nouveau apprécier le
bien-dire, le verbe haut, l’alexandrin mélodieux qui sonne
fort et clair ; un miroitement de sons, un spectacle comme
celui qu’on pouvait voir et entendre dans la Galerie des
Glaces du château de Versailles au temps des Louis XIV et
autres Louis XV.
Car, s’il est vrai que les tragédies défendent souvent une
cause, une idée, racontent une histoire, ce qui demeure à mes
yeux l’essentiel reste cependant la majesté et le déploiement
du Verbe, le chant des vers, la houle continue des mélodies
et des couleurs. La forme se suffit parfois à elle-même et
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traverse ainsi les périodes et les siècles, sans altérations ni
vieillissement.
Quand on se tourne vers Racine, le grand, le très grand,
l’incomparable musicien, que découvre-t-on avec Bérénice, sa
pièce la plus appréciée et jouée sans doute de nos jours ?
Un récit où il ne se passe rien, un discours sur le vide,
l’entrechoc des émotions, certes, mais le désert des
évènements. Et cette scène vidée du choc des batailles
devient une caisse de résonance, comme un luth aux mille
cordes où se joue la symphonie aux multiples fragrances et
reflets de la parole en majesté.
Et quelle surprise alors, d’apprendre d’abord, que Voltaire
n’a pas seulement écrit l’innombrable et foisonnante
correspondance, ce flot incessant de milliers et de milliers de
lettres qui se déversaient sur l’Europe des Lumières ; qu’il
n’est pas seulement l’écrivain qui nous conte les aventures de
Candide, Zadig, Micromégas… aux quatre coins de la
planète et des cieux, reflétant dans la satire romanesque l’état
et la conscience d’une société en mutation, en gésine d’un
autre monde, qui verra le long et formidable avènement de la
démocratie.
Non, Voltaire n’est pas seulement cela. N’est pas seulement,
et c’est considérable, le philosophe, le journaliste, l’esprit
ouvert toujours en quête de connaissance, à l’extrême pointe
de la révolution des idées, au fait de la science qui se
construit toujours plus (Newton), le défenseur des causes
perdues, l’ardent combattant luttant pour une meilleure
justice des hommes sur cette terre. C’est aussi, et
essentiellement, l’auteur unanimement fêté et célébré de son
vivant pour ses tragédies, son œuvre épique et poétique. Une
œuvre qui a irrigué sans cesse ses écrits tout au long de son
existence. Le terreau fertile et constant qui a nourri et
charpenté son œuvre tout entière.
Et c’est un pan immense, gigantesque de Voltaire, inédit et
inconnu en France de nos jours. Voilà plus d’un siècle que
l’alexandrin de Voltaire est tombé dans l’oubli. Alors certes,
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il est déploré, regretté, évoqué par les spécialistes, les érudits,
les chercheurs et autres professeurs d’université. Il reste
cependant, et c’est le plus étonnant, introuvable en France et
à l’étranger.
Quand on sait qu’une cinquantaine de tragédies et comédies
dorment dans la poussière de l’oubli, que des œuvres épiques
comme La Henriade n’ont plus droit de cité, que les pièces
satiriques en alexandrins clairement ordonnés sont au sens
propre, illisibles, car non publiées, on reste comme frappé de
stupeur et d’effroi.
La Henriade, par exemple, est une épopée au souffle puissant
où l’alexandrin est plutôt vif et tempétueux, un Verbe
magistral. C’était un « best-seller » à l’époque et bien
longtemps après le temps de Voltaire. C’est par ses tragédies,
sa maîtrise de l’alexandrin, une production foisonnante, que
Voltaire était célèbre.
Et, de fait, quand on découvre cette part gigantesque et
jusqu’à aujourd’hui cachée du plus grand nombre, de la
création de Voltaire, comme le bloc immergé d’un iceberg,
on mesure combien les contes qu’il tenait lui-même en
moindre estime (sorte de vulgarisation, d’œuvres plus faciles,
de moindre ambition), ont un plus pâle reflet dans cette mise
en perspective.
Ainsi, arpenter la forêt buissonnante des alexandrins en
rangs serrés, souvent tragiques, parfois drôles (La Pucelle
d’Orléans), satiriques, et toujours plein d’allant, c’est découvrir
l’arborescence, la filiation, le lien des générations,
l’entretissement vivant qui met en perspective Voltaire et
Hugo par exemple. (Voir aussi « Voltaire par Victor Hugo »,
à la fin du livre.)
Dans certains passages de La Henriade on entend le
frémissement du Romantisme. La déclamation voltairienne
sonne l’avènement du Victor Hugo des Travailleurs de la Mer,
de La Légende des Siècles… On voit clairement « Le Siècle de
Voltaire », une époque, un pan formidable de civilisation,
une transition, la croissance quasi-organique des idées et des
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courants qui nous mène de Louis XIV à la Commune de
Paris.
C’est le tissu vivant de la conscience humaine qui nous est
livré ici. C’est la vérité universelle de la filiation qui engendre
et porte les peuples et les cultures dans le flot de l’Histoire.
Tout comme, par exemple, de certaines symphonies de
Haydn où c’est Beethoven que l’on voit venir à grands pas,
au détour d’une phrase, d’un mouvement, d’un tempo, d’une
cadence. Le 18e siècle accouche du 19e siècle. C’est l’évidence
du temps qui se déploie.
Puissent les tragédies rassemblées ici susciter l’enthousiasme
et les vocations des érudits, chercheurs, professeurs,
éditeurs, critiques, historiens et littérateurs de tous poils.
J’appelle de mes vœux les éditions complètes et critiques,
augmentées de multiples variantes, agrémentées de notes
diverses et variées en bas de pages avec renvois en
appendices et délices infinies des chronologies savantes et
comparées. Puisse cet ouvrage être une impulsion éclairante,
la flamme étrange qui mette le feu aux poudres.
Ô ! Ah ! Eh bien ! Mais il me semble entendre comme un
raclement, un frottement sourd et continu, le choc répété
d’un os sur la pierre du tombeau, tout au fond du caveau de
l’Histoire. Oui… c’est bien cela. C’est Voltaire lui-même qui
se tourne et se retourne d’aise dans sa tombe. C’est la façon
qu’il a de nous dire, à plus de deux siècles de distance :
MERCI !
Thierry BERTON
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