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Introduction
Ce travail tente de reprendre l’effort, pour ainsi dire inaugural de la philosophie,
de saisir le sens d’être du rapport à ce qui est, à l’Être. Il reprend l’effort philosophique
de rendre compte de l’expérience (perceptive), du fait même « que « quelque chose » est
là »1, en prenant pour seule perspective l’expérience elle-même. Autant dire que ce
travail s’inscrit dans la perspective de la phénoménologie qui, comme les grandes
orientations de la philosophie, provient précisément de l’effort de rendre intelligible ce
qui, à l’expérience, est l’évidence même, à savoir l’expérience elle-même. L’expérience
se présente comme une évidence et, pourtant, la philosophie apparaît devant le fait
irréductible de l’expérience comme devant un problème. L’irréductibilité de l’expérience
renvoyant l’apparition même du monde à un sujet inhérent à l’apparition du monde pose
problème à la philosophie qui, donnant à l’effort de déterminer l’expérience pour elle-
même des directions doctrinales différentes, même lorsque la philosophie est
phénoménologie, fait dépendre, à un moment ou à un autre, l’irréductibilité dont se
structure l’expérience sur un sujet positif, c’est-à-dire sur un sujet de l’irréductibilité elle-
même. Autrement dit, la dualité intérieure de l’expérience (perceptive) qui se manifeste à
même l’expérience est ultimement soumise au partage abstrait du dualisme. Ce constat de
l’impasse dans laquelle se situe la philosophie, même lorsqu’elle se développe consciente
de l’inadéquation de l’interprétation de l’expérience à partir de son dédoublement, motive
ce travail qui, adoptant le principe phénoménologique du « retour à l’expérience même »,
reprend l’effort de penser l’expérience à partir de l’expérience, c’est-à-dire à partir de et
selon l’irréductibilité même de l’expérience.
L’expérience que la philosophie ne parvient pas à proprement penser, la pensant à
partir de l’expérience de soi du sujet de l’expérience, est l’expérience comme ouverture à
« quelque chose », à l’ouverture même du monde. Lui apparaît impensable sans le réduire
à une signification transcendantale l’ « il y a » de l’expérience perceptive, c’est-à-dire le
plan de la phénoménalité lui-même au sein duquel nous nous trouvons toujours déjà
situés. L’expérience comme expérience du donné originaire de l’expérience elle-même,
de l’extériorité irréductible du monde dont s’ouvre l’expérience perceptive ne se trouve
être déterminable pour la philosophie subjectiviste que relativement à un être
1 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et l’invisible, Éditions Gallimard, Col. tel, 2001, p. 210.