Savoirs sédimentaires - A.Gérard - WikiDocs, Université de Lorraine

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Savoirs sédimentaires - A.Gérard
Le pédagogue qui cherche à formaliser sa pratique est peu ou prou en recherche de (se) représenter son travail et ses composantes. Les
champs métaphoriques sont nombreux et peuvent parfois prendre la forme d'espaces mentaux (Fauconnier, 1984) autonomes. La représent
ation est comme une médaille et son revers. Elle permet une mise à distance du réel en le traduisant et en en offrant une nouvelle lecture.
Revers : par cette transformation on s'éloigne au risque de se perdre, la pensée tournant alors à vide, dans sa logique propre, détachée de
toute réalité.
Il est tout à fait envisageable de ne pas choisir. D'un côté un travail de transcription des faits tels qu'ils nous apparaissent, tels que nous les
vivons. La pluralité des fragments, des anecdotes permet de dégager les questions, les problèmes qui traversent la pratique pédagogique problèmes (ou caractéristiques) qui touchent autant des aspects matériels, didactiques ou éthiques. Relater les faits, rien que les faits,
encore et encore... c'est ce que propose l'éthnométhodologie (Coulon, 1987), champ théorique qui s'adosse à des principes phénoménologiq
ues : garder un rapport naïf au monde (Merleau-Ponty, 1945) et se garder de toute théorie par trop totalisante qui « écraserait » le réel.
Le hasard du voyage m'ont fait goûter la variété des paysages jusqu'à leur origine géologique. L'étude de ce champ de savoirs m'a fait
découvrir la complexité des paysages, des roches, de leur histoire. La famille des roches sédimentaires (calcaires, grès,...) attirait mon
attention. Les sédiments se déposent couches après couches, chaque nouvelle couche compactant la précédente et la déshydratant. Ce
processus de sédimentation va former une roche. Celle-ci se fragmente ensuite par érosion (pluie, gel, soleil). Il existe donc un cycle de
sédimentation-érosion qui fragmente-agglomère-fragmente (et ainsi de suite) des éléments. Les fragments obtenus à chaque phase sont à la
fois pareils et nouveaux.
Le savoir d'expérience est par nature fragmentaire (C.F. le philosophe et scientifique Francis Bacon, père de l'empirisme). Dans l'histoire de
la pensée, les intellectuels, les philosophes sont aisément distinguables par leur façon de penser. Les penseurs qui cherchent à élaborer un
système (peut-être en quête de la (d'une) matrice du réel) se distinguent des penseurs qui juxtaposent des éléments épars résultats de leurs
pérégrinations réelles ou imaginaires. On retrouve ici l'opposition classique entre synthèse et analyse. Pascal et l'approche globale versus D
escartes et la décomposition en éléments simples. Les systèmes ne sont pas à rejeter et il fait bon y stationner momentanément pour mettre
expériences et savoirs dans une perspective nouvelle. Le pédagogue se fait nomade dans les espaces référentiels. Il ne s'agit pas
d'instabilité ; il n'y a pas plus attaché à sa terre que le nomade : il se déplace pour pour ne pas la quitter.
Le praticien se trouve confronté à des « moments » (au sens de Lefebvre, 1959) qui instaurent des temporalités que le récit se doit d'articuler
(mettre en mots et lier) pour rendre humaine cette confrontation, cette expérience. Le travail sur le travail du praticien expert est de
produire des savoirs à partir de ses expériences. Avançons l'idée que ces savoirs se sédimentent, s'agglomèrent en un ensemble qui permet
d'appréhender le quotidien professionnel avec quelques principes, quelques lignes directrices pour agir.
Seconde idée, cet ensemble de savoirs se trouvent continuellement érodé par les expériences qui se poursuivent, par le quotidien
professionnel.
La compétence experte consiste à avoir conscience de ce processus, de le favoriser, de l'alimenter et de l'envisager comme méthode po
ur agir.
Il y a là une caractéristique du savoir pédagogique : sa plasticité. Ce savoir est non seulement multiréfétentiel (Ardoino, 1990) mais en
continuelle ré-élaboration.
Il faut ajouter que le processus de sédimentation-érosion n'est pas uniquement alimenté par l'expérience pratique du quotidien mais par
l'expérience prise au sens de vécu : une discussion avec un collègue, la lecture d'un livre, d'un article, une prise de conscience...
Ce processus est possible par la collaboration et la co-élaboration (Morin, janvier 2007) des pratiques et des savoirs, coopération possible
par la réflexion. Ajoutons la dimension éthique pour retrouver la triangulation action-science-conscience qui assoit l'expertise professionnelle.
Alexis GERARD
Références bibliographiques
Ardoino, J. (1990). Mutliréférentielle (analyse). Encyclopédie philosophique universelle, les notions philosophiques, dictionnaire, 2T. Paris :
PUF.
Coulon, A. (1987). L'éthnométhodologie. Que sais-je ? N°2393. Paris : PUF.
Fauconnier, G. (1984). Espaces mentaux : Aspects de la construction du sens dans les langues naturelles. Paris : Les Éditions de Minuit.
Lefebvre, H. (1959). La somme et le reste, vol. 1. Paris : la Nef de Paris.
Merleau-Ponty, M. (1945). Phénoménologie de la perception. Paris : Gallimard.
Morin, E. (janvier 2007). L'esprit de reliance active l'organisation des connaissances. Editorial Inter Lettre Chemin Faisant MCX-APC, 35.
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