19-journal-05-08:Mise en page 1 21/04/08 10:36 Page 207 Journal tion intellectuelle et affective contre tout ce qui était donné à moi pour recommandé, et que je n’avais fait nulle difficulté d’accepter comme tel (II, 326). MERLEAU-PONTY, PENSEUR DE L’INVENTION POLITIQUE La littérature est la source et le modèle du quant-à-soi, un espace privé d’opinion et de jouissance, impossible à forcer dans les conditions ordinaires de la vie. Mais ce goût du quant-à-soi n’est pas si rare ; on peut même y voir un trait du caractère national, du moins dans le moment assez long de son histoire où il a pu s’identifier à la position d’un petit propriétaire indépendant. Pour le dire en d’autres termes, juste assez vulgaires, Gracq était quelqu’un à qui « on ne la fait pas » – à qui, par exemple, on ne fait pas « la littérature à l’estomac ». Cela est-il sans intérêt pour nous, ou obsolète ? Sans doute non : pensons aux résistances que suscite la fabrication de l’opinion publique. Comme écrivain autant que comme personne, Gracq était solitaire, mais bien socialisé, de bon jugement et cohérent dans ses actes : un homme de préférences, qui n’oublie pas d’être un homme de désir. La littérature permet l’un et l’autre. À cette réserve près, ce pourrait être, et ce devrait être, vous ou moi. Pour marquer un centenaire Le 14 mars 1908, à Rochefort-surMer, est né Maurice Merleau-Ponty. Arrivant à Paris et entrant en classe de philosophie, découvrant la politique pendant la guerre et apparaissant aussitôt dans l’espace public, se séparant de ses anciens amis pour en trouver de nouveaux en même temps que son regard sur le monde se transformait, sa vie prit à chaque fois un sens qui n’était ni absolument nouveau, ni seulement préparé ou déterminé. Il ne concevait pas la philosophie autrement. Merleau-Ponty disait de Edmund Husserl, dont il avait commencé à étudier la philosophie phénoménologique avant la guerre, que ses livres et manuscrits sont des témoignages et des traces d’une méditation continuée, d’une recherche qui se savait infinie et qui inaugurait des chemins que d’autres pourraient emprunter après lui. Ce sont de pareilles traces que Merleau-Ponty nous a laissées : elles sont ce qu’il nous reste de lui. Comme celles qu’il voyait parfois seulement esquissées par les philosophes du passé, ses textes et notes sont autant d’incursions dans notre propre monde, d’ouvertures possibles pour notre propre vie. C’est que notre rapport au monde et aux autres est fait selon Merleau-Ponty de mélanges et d’écarts. Ceux-ci se retrouvent jusque dans sa pratique et dans ses rapports à ses contemporains. Loin de répondre à ses critiques par la polémique, il choisit d’enrichir sa pensée : mieux vaut, rappelait-il dans Michel Murat* * Ce texte a été prononcé lors d’une soirée d’hommage à Julien Gracq à l’École normale supérieure, le 5 février 2008. Les références sont données à l’édition des Œuvres complètes dans la coll. « Bibliothèque de la Pléiade ». 207