Dossier pédagogique
SAISON 2011 I2012
Victor
OU LES ENFANTS AU POUVOIR
ROGER VITRAC IEMMANUEL DEMARCY-MOTA
DU 6 AU 24 MARS 2012
CRÉATION {AU THÉÂTRE DE LA VILLE }
2
Un chef-d’œuvre du surréalisme
où Roger Vitrac invente un théâtre
du fantastique qui annonce Ionesco,
l’absurde, toute notre scène contemporaine.
Victor, un enfant bien trop grand pour son âge, fête ses neuf
ans en famille. Quoi de plus normal, sinon que le « normal »
est inconnu dans cette famille, directement venue de chez
Feydeau : grande bourgeoisie satisfaite, et tromperies à tous
les étages. Mais ici, le burlesque explose dans la violence
d’un rire de colère, de rébellion. De là le désir d’Emmanuel
Demarcy-Mota de monter cette pièce, créée, ce n’est pas un
hasard, dans la mise en scène d’Antonin Artaud, en 1928.
Soit la même année que L’Opéra de quat’sous à Berlin, un
an après la sortie du Metropolis le film de Fritz Lang :
«L’auteur, Roger Vitrac, a adhéré au dadaïsme, a été pro-
che d’André Breton et des surréalistes, a connu et suivi les
grands mouvements du XXesiècle en ses débuts, pour en
tirer un théâtre du fantastique ancré dans le réel, où l’in-
conscient, le rêve ont leur place. Victor n’est, pas seulement
un « pervers polymorphe», selon Freud. Mais dans son désir
de liberté, de vivre sa propre vie, y compris sexuelle, il se mon-
tre profondément subversif. Il incarne le refus du confor-
misme, la révolte contre les lois établies par une société
dont, entre la grande dame pétomane, le général ahuri, les
parents abusifs, Roger Vitrac donne, sans arrière-plan vrai-
ment politique, une image terrifiante et ridicule. Une
société déséquilibrée par les appétits d’une jeunesse qui lui
fait peur, qu’elle voudrait ignorer.
«Victor entame une lutte à mort, et il y a de nombreux
morts dans cette pièce, mais le thème en est d’abord la mort
de l’enfance. Car quoi qu’il arrive, on vieillit. L’enfance, on
ne la retrouve pas, c’est une partie de soi qui disparaît
peut-être à jamais. »
Colette Godard
MISE EN SCÈNE Emmanuel Demarcy-Mota
ASSISTANT À LA MISE EN SCÈNE Christophe Lemaire
DEUXIÈME ASSISTANT À LA MISE EN SCÈNE Stéphane Krähenbühl
SCÉNOGRAPHIE & LUMIÈRE Yves Collet
ASSISTANTE DÉCOR Federica Mugnai
MUSIQUE Jefferson Lembeye
COSTUMES Corinne Baudelot
MAQUILLAGE Catherine Nicolas
ACCESSOIRES Clémentine Aguettant
AVEC
Élodie Bouchez
ÉMILIE PAUMELLE,mère de Victor
Valérie Dashwood
THÉRÈSE MAGNEAU, mère de Esther
Thomas Durand
VICTOR, neuf ans
Philippe Demarle
LE GÉNÉRAL ÉTIENNE LONSÉGUR
Anne Kaempf
ESTHER, six ans
Sarah Karbasnikoff
LILI, bonne des Paumelle
Stéphane Krähenbühl
le médecin
Serge Maggiani
CHARLES PAUMELLE, père de Victor
Hugues Quester
ANTOINE MAGNEAU, père de Esther
Laurence Roy
MADAME IDA MORTEMART
PRODUCTION Théâtre de la Ville-Paris
COPRODUCTION Grand Théâtre de Luxembourg
ROGER VITRAC IEMMANUEL DEMARCY-MOTA
Victor ou les Enfants au pouvoir
BONJOUR JEUNESSE
3
SOMMAIRE
Actuellement,
si nous voulons représenter
la vie telle quelle est,
nous sommes obligés
de tricher, c’est-à-dire
de voiler cette part du réel
qu’on est convenu
d’appeler choquante.
Roger Vitrac
«
L’Espace (et le temps) subvertis I
François Regnault p. 4
Le Roi de la fête IColette Godard p. 6
Un autre théâtre p. 8
Le Théâtre Alfred-Jarry p. 10
Ida Mortemart p. 12
Visions critiques p. 14
Texte et Représentations p. 16
Roger Vitrac p. 17
Chronologie 1899-1952 p. 19
Emmanuel Demarcy-Mota p. 23
Équipe artistique p. 24
Tournée & Rencontres p. 27
»
© Jean-Louis Fernandez
4
L’ESPACE (ET LE TEMPS) SUBVERTIS
La cartographie du théâtre français au XXesiècle est com-
plexe: grand fleuve, petites rivières, grandes rivières avec des
affluents, petits fleuves côtiers, et des canaux de croisement.
La rivière qui va incontestablement de Vitrac à Ionesco (au
dire même de Jean Anouilh qui connut Vitrac et admira
Ionesco), pour être plus secrète que le fleuve que descen-
dent Genet, Claudel, Beckett et Duras, ou le courant actuel
que jalonnent Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce,
n’en est pas moins significative de ce que la France, ou du
moins la langue française a pu produire de saisissant, de sur-
réaliste ou d’absurde, dans le théâtre. D’autres courants, bien
entendu, un peu asséchés ou encore navigables, se longent :
Giraudoux, Montherlant ; ou Vildrac, Audiberti, Adamov,
Vinaver, Audureau, Pinget, Nathalie Sarraute, sans parler
d’Anouilh lui-même, ni de quelques Belges (Maeterlinck,
Ghelderode, Crommelynck, jusqu’à Jan Fabre). J’en oublie
bien d’autres.
Il ne s’agit pas, c’est clair, en le montant aujourd’hui, en 2012,
de prétendre « réhabiliter » Victor ou les Enfants au pouvoir,
de Roger Vitrac, et si les premières représentations de 1928
au Théâtre Alfred-Jarry, dans la mise en scène d’Antonin
Artaud, ne firent pas grand bruit (la Presse, venue, resta muette),
si la reprise de la pièce, souvent citée, de Michel de Ré en
1946 (il avait 21 ans), dans des conditions précaires, au
Théâtre Agnès Capri (mais à laquelle assistait André Breton,
revenu sans doute de l’exclusion du surréalisme qu’il avait
fulminée contre Vitrac en 1926), laissa assez froid un public
qui sortait de la guerre, la reprise en 1962 par Anouilh au
Théâtre de l’Ambigu avec Claude Rich dans le rôle de Victor (il
avait 33 ans), rend toute sa force à la pièce et semble « réparer une
injustice »1.
Depuis lors, elle est régulièrement reprise (Rocher Planchon,
Guy Lauzun avec Philippe Clévenot à Bourges, Comédie-
Française-Odéon avec Marcel Bozonnet, Philippe Adrien
avec Micha Lescot au Théâtre de la Tempête, Alain Sachs
avec Lorànt Deutsch au Théâtre Antoine, etc.). Je l’ai vue
deux ou trois fois, toujours avec le grand plaisir que suscite
son inquiétante étrangeté.
Mais sans doute est-il possible d’escompter qu’elle révèle
encore à notre temps quelques-uns des secrets qu’elle recèle
invinciblement, conformément à sa réputation surréaliste,
mais plus encore à ses énigmes, à ses aspects tantôt magi-
ques, tantôt miraculeux, voire fantastiques, fabuleux, et à une
espèce d’ésotérisme qui ne laisse pas d’inquiéter le spectateur
et semble toujours lui suggérer qu’en mourant si jeune et pour
une raison qui demeure mystérieuse, Victor n’a pas tout dit !
Peut-être même faut-il commencer – comme toujours au
théâtre – par la question du lieu, par l’espace: le salon bour-
geois, la chambre conjugale, les supportons-nous encore ?
Le Boulevard lui-même les conserve-t-il fidèlement ? La scé-
nographie ne fait pas de progrès (et elle ne produit pas des
décors « de plus en plus beaux»!), mais, comme tout art, elle
traverse sans doute en ce début du XXIesiècle une conjonc-
ture spécifique, marquée par des réussites incontestables,
des variations extrêmes, des révolutions de la perception
(auxquelles la vidéo contribue dans les meilleurs des cas),
des aberrations et des anamorphoses imposées à la sacro-
sainte réalité.
Si je résume d’un mot, je dirai que la jouissance du specta-
teur d’avoir affaire à une modernité libératrice s’accroît sans
doute et se concrétise par excellence lorsque l’intérieur et
l’extérieur échangent leurs fonctions, lorsque accède à la
scène une topologie comme celle de l’anneau de Moebius,
qui met l’endroit et l’envers en continuité (« surface unila-
tère ») ou de la bouteille de Klein, qui s’ouvre au lieu même
où elle se ferme…
Le comédien Claude Rich (au centre) jouant dans la pièce de Roger Vitrac,
Victor ou les Enfants au pouvoir, mise en scène par Jean Anouilh, au Théâtre
de l’Ambigu en 1962. @ Archive Photos
5
Le cinéma expressionniste a donné lieu à de tels miracles,
depuis Le Cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene
jusqu’à La Belle et la Bête (l’univers de Victor n’est pas loin
de celui du film de Cocteau), en passant par Jean Epstein,
Dreyer, Fritz Lang…
La devise n’est plus qu’« il faut qu’une porte soit ouverte ou
fermée », selon la jolie intuition de Musset, parce que c’est
le moment où la porte s’ouvre qu’elle se ferme sur un autre
espace, et inversement. On se souvient même que, dans le
théâtre classique, «il entre» et « il sort» se confondent parfois
selon que la scène représente la pièce d’une maison, ou cette
maison vue du jardin. (Que l’on songe seulement au décor
de Christian Bérard pour L’École de femmes mise en scène
par Louis Jouvet).
Dans Victor, les murs bougeront. (Je me rappelle l’angoisse
causée, chez les adolescents de La Dispute de Marivaux,
mise en scène de Patrice Chéreau, par ces murs de Richard
Peduzzi qui se déplaçaient et semblaient les poursuivre, les
coincer, puis les ignorer. Sauf que dans ce Victor, les murs
ne bougeront que pour nous seuls). Dès lors, le salon sem-
blera dans le jardin, la pièce d’eau dans le vestibule, la végé-
tation presque dans les parquets, autant de causes invisi-
bles d’un certain vertige provoqué sur les personnages eux-
mêmes.
Pour étendre la formule du Surréalisme selon André
Breton, non seulement le haut et le bas, mais aussi la gau-
che et la droite, le sud et le nord, l’intérieur et l’extérieur,
l’intime et l’extime (terme récent), le public et le privé, le
conjugal et l’adultérin, le comique et le tragique, le normal
et le pathologique, l’étrange et le familier « cessent d’être
perçus contradictoirement ».
Telle est donc la perspective adoptée par Emmanuel
Demarcy-Mota et son décorateur Yves Collet, et qui, à mon
sens, doit contribuer à renouveler le sens de la pièce. À faire
en sorte que le burlesque, l’énigmatique et le surréel n’ap-
paraissent plus seulement dans les interstices du confine-
ment bourgeois, mais envahissent, contaminent, par à-
coups ou de façon larvée, la réalité tout entière. Plus rien, à
la fin, n’est indemne, et donc, si le but est atteint, nous non
plus !
Mais le théâtre, au fond, se prête, tend, aspire, par tous les
moyens possibles, à cette transaction et à cette métamor-
phose ! En visant incessamment à sa propre modernité, le
théâtre fait alors de façon récurrente ressurgir quelque
chose de ses origines supposées définitivement closes : son
espace grec ? médiéval ? élisabéthain ? Son immémoriale
confusion du dedans et du dehors, ce désir de subversion
de tous les pouvoirs, dont la cause est, dans Victor,
l’Enfant-Roi, maître de son temps.
Car « Le temps est bien un enfant qui enfante, qui joue.
Royauté d’un enfant », dit Héraclite2.
François Regnault
(écrit au cours des répétitions)
1Voir Henri Béhar, Roger Vitrac/Un réprouvé du surréalisme,
A. G. Nizet, 1966.
2Héraclite, Fragment 52. Ou : « La vie [le temps de la vie]
est bien un enfant qui enfante, qui joue. À l’enfant d’être roi. »
1 / 27 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !