ou les enfants au pouvoir

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Dossier pédagogique
SAISON 2011 I 2012
Victor
OU
LES ENFANTS AU POUVOIR
ROGER
VITRAC I EMMANUEL DEMARCY-MOTA
DU 6 AU 24 MARS 2012
CRÉATION { AU THÉÂTRE DE LA VILLE }
ROGER
VITRAC I EMMANUEL DEMARCY-MOTA
Victor ou les Enfants au pouvoir
BONJOUR JEUNESSE
Un chef-d’œuvre du surréalisme
où Roger Vitrac invente un théâtre
du fantastique qui annonce Ionesco,
l’absurde, toute notre scène contemporaine.
Emmanuel Demarcy-Mota
Christophe Lemaire
DEUXIÈME ASSISTANT À LA MISE EN SCÈNE Stéphane Krähenbühl
SCÉNOGRAPHIE & LUMIÈRE Yves Collet
ASSISTANTE DÉCOR Federica Mugnai
MUSIQUE Jefferson Lembeye
COSTUMES Corinne Baudelot
MAQUILLAGE Catherine Nicolas
ACCESSOIRES Clémentine Aguettant
MISE EN SCÈNE
ASSISTANT À LA MISE EN SCÈNE
Victor, un enfant bien trop grand pour son âge, fête ses neuf
ans en famille. Quoi de plus normal, sinon que le « normal »
est inconnu dans cette famille, directement venue de chez
Feydeau : grande bourgeoisie satisfaite, et tromperies à tous
les étages. Mais ici, le burlesque explose dans la violence
d’un rire de colère, de rébellion. De là le désir d’Emmanuel
Demarcy-Mota de monter cette pièce, créée, ce n’est pas un
hasard, dans la mise en scène d’Antonin Artaud, en 1928.
Soit la même année que L’Opéra de quat’sous à Berlin, un
an après la sortie du Metropolis le film de Fritz Lang :
« L’auteur, Roger Vitrac, a adhéré au dadaïsme, a été proche d’André Breton et des surréalistes, a connu et suivi les
grands mouvements du XXe siècle en ses débuts, pour en
tirer un théâtre du fantastique ancré dans le réel, où l’inconscient, le rêve ont leur place. Victor n’est, pas seulement
un « pervers polymorphe », selon Freud. Mais dans son désir
de liberté, de vivre sa propre vie, y compris sexuelle, il se montre profondément subversif. Il incarne le refus du conformisme, la révolte contre les lois établies par une société
dont, entre la grande dame pétomane, le général ahuri, les
parents abusifs, Roger Vitrac donne, sans arrière-plan vraiment politique, une image terrifiante et ridicule. Une
société déséquilibrée par les appétits d’une jeunesse qui lui
fait peur, qu’elle voudrait ignorer.
« Victor entame une lutte à mort, et il y a de nombreux
morts dans cette pièce, mais le thème en est d’abord la mort
de l’enfance. Car quoi qu’il arrive, on vieillit. L’enfance, on
ne la retrouve pas, c’est une partie de soi qui disparaît
peut-être à jamais. »
AVEC
Élodie Bouchez
ÉMILIE PAUMELLE, mère de Victor
Valérie Dashwood
THÉRÈSE MAGNEAU, mère de Esther
Thomas Durand
VICTOR, neuf ans
Philippe Demarle
LE GÉNÉRAL ÉTIENNE LONSÉGUR
Anne Kaempf
ESTHER, six ans
Sarah Karbasnikoff
LILI, bonne des Paumelle
Stéphane Krähenbühl
le médecin
Serge Maggiani
CHARLES PAUMELLE, père de Victor
Hugues Quester
ANTOINE MAGNEAU, père de Esther
Laurence Roy
MADAME IDA MORTEMART
PRODUCTION
Théâtre de la Ville-Paris
Grand Théâtre de Luxembourg
COPRODUCTION
Colette Godard
2
SOMMAIRE
L’Espace (et le temps) subvertis I
p. 4
François Regnault
Le Roi de la fête I
Colette Godard
p. 6
Un autre théâtre
p. 8
Le Théâtre Alfred-Jarry
p. 10
Ida Mortemart
p. 12
«
Actuellement,
si nous voulons représenter
la vie telle quelle est,
Visions critiques
p. 14
nous sommes obligés
Texte et Représentations
p. 16
de tricher, c’est-à-dire
de voiler cette part du réel
Roger Vitrac
p. 17
Chronologie 1899-1952
p. 19
Emmanuel Demarcy-Mota
p. 23
Équipe artistique
p. 24
Tournée & Rencontres
p. 27
»
qu’on est convenu
d’appeler choquante.
Roger Vitrac
© Jean-Louis Fernandez
3
L’ESPACE (ET LE TEMPS) SUBVERTIS
La cartographie du théâtre français au XXe siècle est complexe : grand fleuve, petites rivières, grandes rivières avec des
affluents, petits fleuves côtiers, et des canaux de croisement.
La rivière qui va incontestablement de Vitrac à Ionesco (au
dire même de Jean Anouilh qui connut Vitrac et admira
Ionesco), pour être plus secrète que le fleuve que descendent Genet, Claudel, Beckett et Duras, ou le courant actuel
que jalonnent Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce,
n’en est pas moins significative de ce que la France, ou du
moins la langue française a pu produire de saisissant, de surréaliste ou d’absurde, dans le théâtre. D’autres courants, bien
entendu, un peu asséchés ou encore navigables, se longent :
Giraudoux, Montherlant ; ou Vildrac, Audiberti, Adamov,
Vinaver, Audureau, Pinget, Nathalie Sarraute, sans parler
d’Anouilh lui-même, ni de quelques Belges (Maeterlinck,
Ghelderode, Crommelynck, jusqu’à Jan Fabre). J’en oublie
bien d’autres.
si la reprise de la pièce, souvent citée, de Michel de Ré en
1946 (il avait 21 ans), dans des conditions précaires, au
Théâtre Agnès Capri (mais à laquelle assistait André Breton,
revenu sans doute de l’exclusion du surréalisme qu’il avait
fulminée contre Vitrac en 1926), laissa assez froid un public
qui sortait de la guerre, la reprise en 1962 par Anouilh au
Théâtre de l’Ambigu avec Claude Rich dans le rôle de Victor (il
avait 33 ans), rend toute sa force à la pièce et semble « réparer une
injustice »1.
Depuis lors, elle est régulièrement reprise (Rocher Planchon,
Guy Lauzun avec Philippe Clévenot à Bourges, ComédieFrançaise-Odéon avec Marcel Bozonnet, Philippe Adrien
avec Micha Lescot au Théâtre de la Tempête, Alain Sachs
avec Lorànt Deutsch au Théâtre Antoine, etc.). Je l’ai vue
deux ou trois fois, toujours avec le grand plaisir que suscite
son inquiétante étrangeté.
Mais sans doute est-il possible d’escompter qu’elle révèle
encore à notre temps quelques-uns des secrets qu’elle recèle
invinciblement, conformément à sa réputation surréaliste,
mais plus encore à ses énigmes, à ses aspects tantôt magiques, tantôt miraculeux, voire fantastiques, fabuleux, et à une
espèce d’ésotérisme qui ne laisse pas d’inquiéter le spectateur
et semble toujours lui suggérer qu’en mourant si jeune et pour
une raison qui demeure mystérieuse, Victor n’a pas tout dit !
Peut-être même faut-il commencer – comme toujours au
théâtre – par la question du lieu, par l’espace : le salon bourgeois, la chambre conjugale, les supportons-nous encore ?
Le Boulevard lui-même les conserve-t-il fidèlement ? La scénographie ne fait pas de progrès (et elle ne produit pas des
décors « de plus en plus beaux » !), mais, comme tout art, elle
traverse sans doute en ce début du XXIe siècle une conjoncture spécifique, marquée par des réussites incontestables,
des variations extrêmes, des révolutions de la perception
(auxquelles la vidéo contribue dans les meilleurs des cas),
des aberrations et des anamorphoses imposées à la sacrosainte réalité.
Le comédien Claude Rich (au centre) jouant dans la pièce de Roger Vitrac,
Victor ou les Enfants au pouvoir, mise en scène par Jean Anouilh, au Théâtre
de l’Ambigu en 1962. @ Archive Photos
Si je résume d’un mot, je dirai que la jouissance du spectateur d’avoir affaire à une modernité libératrice s’accroît sans
doute et se concrétise par excellence lorsque l’intérieur et
l’extérieur échangent leurs fonctions, lorsque accède à la
scène une topologie comme celle de l’anneau de Moebius,
qui met l’endroit et l’envers en continuité (« surface unilatère ») ou de la bouteille de Klein, qui s’ouvre au lieu même
où elle se ferme…
Il ne s’agit pas, c’est clair, en le montant aujourd’hui, en 2012,
de prétendre « réhabiliter » Victor ou les Enfants au pouvoir,
de Roger Vitrac, et si les premières représentations de 1928
au Théâtre Alfred-Jarry, dans la mise en scène d’Antonin
Artaud, ne firent pas grand bruit (la Presse, venue, resta muette),
4
l’intime et l’extime (terme récent), le public et le privé, le
conjugal et l’adultérin, le comique et le tragique, le normal
et le pathologique, l’étrange et le familier « cessent d’être
perçus contradictoirement ».
Telle est donc la perspective adoptée par Emmanuel
Demarcy-Mota et son décorateur Yves Collet, et qui, à mon
sens, doit contribuer à renouveler le sens de la pièce. À faire
en sorte que le burlesque, l’énigmatique et le surréel n’apparaissent plus seulement dans les interstices du confinement bourgeois, mais envahissent, contaminent, par àcoups ou de façon larvée, la réalité tout entière. Plus rien, à
la fin, n’est indemne, et donc, si le but est atteint, nous non
plus !
Mais le théâtre, au fond, se prête, tend, aspire, par tous les
moyens possibles, à cette transaction et à cette métamorphose ! En visant incessamment à sa propre modernité, le
théâtre fait alors de façon récurrente ressurgir quelque
chose de ses origines supposées définitivement closes : son
espace grec ? médiéval ? élisabéthain ? Son immémoriale
confusion du dedans et du dehors, ce désir de subversion
de tous les pouvoirs, dont la cause est, dans Victor,
l’Enfant-Roi, maître de son temps.
Car « Le temps est bien un enfant qui enfante, qui joue.
Royauté d’un enfant », dit Héraclite2.
François Regnault
(écrit au cours des répétitions)
1
Le cinéma expressionniste a donné lieu à de tels miracles,
depuis Le Cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene
jusqu’à La Belle et la Bête (l’univers de Victor n’est pas loin
de celui du film de Cocteau), en passant par Jean Epstein,
Dreyer, Fritz Lang…
Voir Henri Béhar, Roger Vitrac/Un réprouvé du surréalisme,
A. G. Nizet, 1966.
2
Héraclite, Fragment 52. Ou : « La vie [le temps de la vie]
est bien un enfant qui enfante, qui joue. À l’enfant d’être roi. »
La devise n’est plus qu’« il faut qu’une porte soit ouverte ou
fermée », selon la jolie intuition de Musset, parce que c’est
le moment où la porte s’ouvre qu’elle se ferme sur un autre
espace, et inversement. On se souvient même que, dans le
théâtre classique, « il entre » et « il sort » se confondent parfois
selon que la scène représente la pièce d’une maison, ou cette
maison vue du jardin. (Que l’on songe seulement au décor
de Christian Bérard pour L’École de femmes mise en scène
par Louis Jouvet).
Dans Victor, les murs bougeront. (Je me rappelle l’angoisse
causée, chez les adolescents de La Dispute de Marivaux,
mise en scène de Patrice Chéreau, par ces murs de Richard
Peduzzi qui se déplaçaient et semblaient les poursuivre, les
coincer, puis les ignorer. Sauf que dans ce Victor, les murs
ne bougeront que pour nous seuls). Dès lors, le salon semblera dans le jardin, la pièce d’eau dans le vestibule, la végétation presque dans les parquets, autant de causes invisibles d’un certain vertige provoqué sur les personnages euxmêmes.
Pour étendre la formule du Surréalisme selon André
Breton, non seulement le haut et le bas, mais aussi la gauche et la droite, le sud et le nord, l’intérieur et l’extérieur,
5
LE ROI DE LA FÊTE
Voilà l’histoire d’un gamin surdoué autant que dégingandé, qui, dans les délires baroques
et burlesques de la révolution surréaliste, s’engage contre un monde dont il ne veut plus.
Du haut de ses 1 m 80, Victor fête ses neuf ans. S’il a grandi si
vite, c’est pour accélérer son entrée dans le monde adulte,
impatient d’y prendre sa place et le pouvoir. Un monde aux
apparences lisses, charmeuses, paisibles, dont l’égoïsme et
l’hypocrisie déclenchent son dégoût, sa colère. Alors en ce
jour anniversaire, emporté par le délire burlesque d’un vrai
gosse, un surdoué qui se sent le roi de la fête et se croit tout
permis, il dénonce. Tout y passe… Les ridicules et les mensonges de l’entourage, de la famille, y compris la liaison de
son père avec une amie dont le mari est devenu complètement fou. Il veut forcer les adultes à se montrer, à se voir
tels qu’ils sont, jusqu’à les pousser au suicide, jusqu’à en
mourir lui-même.
Autant dire qu’entre les années 20 et 60 il y aurait comme
une filiation.
Pour Emmanuel Demarcy-Mota, chez Vitrac, le désir amoureux et ses brûlures s’emparent des personnages, alors qu’il
n’en est quasiment pas question chez Günter Grass,
puisqu’aussi bien son héros ne veut pas devenir adulte.
« Vitrac est le précurseur du Théâtre de l’Absurde, il lui a
ouvert la voie, l’a ouverte à tout le théâtre de l’imagination
et du langage. Il a repris une phrase d’André Breton
“Chère imagination, ce que j’aime en toi est que tu ne pardonnes pas”. »
Ainsi se tisse un lien non seulement de Vitrac à Horváth,
mais aussi à Ionesco, dont Emmanuel Demarcy-Mota a
monté à deux reprises, en 2004 et 2011 Rhinocéros. Et
même à Pirandello, où il retrouve la complexité des rapports entre imagination et vérité, entre vie et mort, dans Six
Personnages en quête d’auteur, donné de 2001 à 2002
notamment à la Comédie de Reims, au Théâtre de la Ville,
aux Bouffes du Nord…
Et puis, ces œuvres sont bâties autour de personnages en
état de refus. Victor refuse le monde de sa famille, Casimir
refuse d’adhérer à l’idéologie du profit, les personnages en
quête d’auteur refusent la culpabilité, Bérenger, l’homme
de Ionesco refuse d’entrer dans la société des rhinocéros
qui a pris possession du monde. Refus qui les rejettent dans
C. G.
la solitude.
Dans ce refus du monde tel qu’il est au-delà des apparences
et des habitudes, Emmanuel Demarcy-Mota ressent des liens
avec le roman de Günter Grass Le Tambour dont Volker
Schlöndorff a tiré un film culte. Si son héros, contrairement
à Victor refuse de grandir, il est poussé par les mêmes dégoûts et colères. Et si le film date de 1979 et le livre du
début des années 60, l’histoire se passe à Dantzig en 1924.
Créé à la Comédie des Champs-Élysées en décembre 1928,
puis longtemps oublié, Victor ou les Enfants au pouvoir a retrouvé sa place et son impact lorsque Jean Anouilh – qui
voyait, en cet enfant dévoré par une soif de pureté et de
vengeance, un « Hamlet en culottes courtes » – l’a mis en
scène en 1962 au Théâtre de l’Ambigu (salle des Boulevards
aujourd’hui disparue), avant de le reprendre pour cause de
succès l’année suivante à l’Athénée. Les inquiétudes rapprochent les époques.
Inquiétudes qui hantent Emmanuel Demarcy-Mota, et son
théâtre, et d’ailleurs se retrouvaient dans Casimir et Caroline
(2009 et 2010) de Horváth. La pièce date de 1932, se passe
à Munich, décrit la dérive d’une société malade de toutes
les incertitudes. Une société où la génération montante promise au chômage s’en va frénétiquement brailler à la Fête de
la Bière, s’oublier, oublier qu’elle vit là sa dernière « Grande
Illusion ».
La guerre de 1914 hante encore la génération de Roger Vitrac,
celle des « années folles » du surréalisme, de « dada » – mouvements auxquels il a adhéré. Avec une violence des profondeurs, cette génération a rejeté la société « d’avant », ses
principes et sa morale, son idéologie bourgeoise auto-satisfaite. Elle a prôné la liberté, toutes les libertés, y compris et
surtout sexuelle…
IDA
Que dis-tu?
VICTOR
Je dis que j’ai peut-être cent cinq ans.
IDA
On ne vit pas si vieux, il faudrait que tu meures.
VICTOR
Et ma mort ne prouverait même pas
que je les aurais. On meurt à tout âge.
D’ailleurs, il est bien possible que je meure
bientôt, pour entrtenir le doute, pour me donner
raison, par courtoisie.
Acte II scène VI
6
7
UN AUTRE THÉÂTRE
en couleurs son univers intérieur obsessionnel. D’où l’appel
aux formes dites inférieures du spectacle : le mime, le cirque,
les clowneries, l’improvisation, le cabaret, le music-hall ; et,
corrélativement, chez tous les auteurs ou presque, une dévaluation ou du moins une transformation profonde de la
parole et du rôle qu’elle joue dans le spectacle. Le cri, le
chant, les nuances de l’intonation comptent souvent plus que
le sens intellectuel des mots, les gestes et le mouvement de
l’ensemble plus que le texte dit. Le « langage scénique » se
renouvelle, ou plutôt renoue avec ses origines. Lyrique par
essence, ce théâtre l’est différemment et beaucoup plus
pleinement que tout le théâtre antérieur. La pièce n’est plus
un texte mais un spectacle qui recrée les mythes profonds
d’un homme et d’une société. La communication avec le
public doit se faire au niveau de cette manifestation concrète,
sans qu’une élaboration intellectuelle soit la plupart du temps
ni proposée ni imposée par l’auteur. D’où les ambiguïtés,
les obscurités qu’on serait mal venu de reprocher à ce théâtre qui tire d’elles justement sa puissance. Impossible de
parler de théâtre symboliste dans la mesure où ce dernier
était d’ordinaire simple et d’un abord facile. L’image que propose maintenant le spectacle n’a pas un sens, elle se veut
dans le meilleur des cas un « carrefour de sens » (Adamov),
riche de multiples virtualités. Théâtre non d’énigmes mais
de paraboles.
La satire de la bourgeoisie traditionnelle forme chez la plupart des auteurs la toile de fond de l’action dramatique. Mais
dans et par le type social, c’est aussitôt l’éternel esprit petitbourgeois et son langage sclérosé qui sont visés, c’est-à dire
la fossilisation qui toujours guette l’humain. Diffuse, impalpable ou trop concrète, une angoisse qui revêt volontiers des
formes mythiques ou fantastiques s’empare de ces déchets
d’humanité dans lesquels le spectateur est invité à se reconnaître. La pièce s’achève lorsque l’interrogation métaphysique sur le temps, la vie, la mort a atteint toute sa force. Ce
théâtre baigne ainsi dans un air de catastrophe et de fin du
monde qui serait intolérable si la lucidité avec laquelle le
créateur mène à bien la réalisation de son intuition initiale
ne produisait (doit-on dire, malgré lui) un effet tonique.
N’est-ce pas dans ce sens qu’il convient aussi d’interpréter
l’humour, l’intime union de l’horrible et du drôle, partout
présent dans ce théâtre ? Renchérissement du tragique, si l’on
veut, l’humour est toujours en même temps une manière de
le dépasser. Et les pitreries amères de Ionesco et de Beckett
font de ce théâtre de l’absurde un Théâtre qui est en même
temps au-delà de l’absurde.
L’intérêt porté à des sujets nouveau et d’actualité masque
quelque temps ce que les formes et les moyens utilisés ont
alors de traditionnel. Peu à peu pourtant sans manifestation
tapageuse, un autre théâtre apparaît. Dans les années 50, il
s’imposera au grand public.
Ce renouveau est d’abord lié à toute une série de petites salles d’essais, aux moyens matériels très pauvres, situés pour
la plupart Rive Gauche. Le public, se réduit à une poignée
d’intellectuels et à quelques étudiants en quête de nouveauté.
Rien de populaire au départ, une expérience en vase clos ; et
ce caractère ne disparaîtra jamais totalement malgré les succès plus larges obtenus quelques années après chez Barrault,
à l’Odéon-Théâtre de France, par une pièce comme Rhinocéros
d’Ionesco, par exemple. Il est significatif qu’après avoir monté la pièce d’Adamov, L’Invasion, Vilar, lorsqu’il s’est lancé,
dans l’aventure du TNP, à la conquête d’un grand public, ait
résolument tourné le dos à ce type de théâtre, au moins sur
la grande scène du Palais de Chaillot. D’autres metteurs scène, en revanche, y ont consacré leur carrière : Georges Vitaly,
André Reybaz, Roger Blin, Jean-Marie Serreau et Jacques
Mauclair, pour ne citer que les plus célèbres. Des acteurs
comme Lucien Raimbourg ou Tsilla Chelton, des décorateurs
comme Jacques Noël, René Allio ou André Acquart ont également leur nom lié à l’apparition et à l’histoire de ce théâtre.
En quelques années tout un monde a surgi qui porte au premier rang les noms d’Audiberti, de Ghelderode, d’Adamov,
d’Ionesco ou de Beckett ; connu avant le leur, celui de Genet
qui leur est naturellement associé n’atteint vraiment la
notoriété qu’avec la représentation des Négres en 1959.
Dans ses formes ce théâtre se caractérise d’abord par un refus
délibéré du réalisme. Non qu’il n’y ait ici où là des moments
qui puissent paraître réalistes dans les œuvres, mais le réalisme n’est jamais le principe de base. Ce principe est à chercher au contraire dans une irréalité foncière qui se manifeste
tant dans le cadre que dans l’intrigue ou les personnages,
lesquels oscillent de la sècheresse et de la nullité à l’invraisemblance la plus fantastique. Ni une société donnée et ses
problèmes, ni le plaisir d’un mouvement dramatique heureusement conduit, ni l’étude psychologique et ses raffinements n’intéressent pour eux-mêmes l’auteur de théâtre.
De son spectacle, il tend toujours plus ou moins à constituer
une totalité qui projette en gestes, en chants, en lumières et
8
ANDRÉ BRETON
ANTONIN ARTAUD
ORIGINES DU NOUVEAU THÉÂTRE
La qualification de théâtre d’avant-garde ne signifie pas grandchose. Par bien des côtés ce théâtre retourne au contraire aux
sources mêmes du spectacle. Il tente de renouer avec une tradition plus ancienne lentement perdue au fil des siècles, et
vise à retrouver un théâtre total. Quant à ses moyens proprement dits, ils sont étroitement dépendants de prédécesseurs mal connus ou méconnus. Mal connus car trop connus,
Labiche, Courteline, Feydeau et les tendances délirantes du
théâtre gai de la fin du XIXe siècle constituent une véritable
mine de situations et de discours absurdes dont il a suffi de
changer le sens et l’utilisation. Méconnu, le théâtre symboliste de la même époque, et en particulier l’univers scénique
de Maeterlinck, est l’ancêtre direct de notre moderne dérision.
Enfin l’extravagance tumultueuse et révolutionnaire d’Ubu
roi (Jarry) et des Mamelles de Tirésias (Apollinaire) ouvrait la voie à une libération totale par rapport au réalisme,
au profit des hantises profondes à implication métaphysique.
Mais le père immédiat est le SURRÉALISME. André Breton et
Benjamin Péret ont, rapporte Ionesco, manifesté bruyamment
leur joie devant La Cantatrice chauve : avec un quart de
siècle de retard, le NOUVEAU THÉÂTRE comblait le vide laissé
par le surréalisme au théâtre. Vide qui n’était pas complet
cependant : sans parler des curieuses tentatives de Tzara (Les
Aventures de M. Antipyrine de 1920 et Le Cœur à gaz de 1921)
et d’Aragon (L’Armoire à glace un beau soir et Au Pied du
mur recueillies dans Le Libertinage en 1924), deux noms
s’étaient imposés, Artaud et Vitrac.
Exclus du mouvement dès 1926, pour avoir cédé, selon Breton,
à des instincts commerciaux indignes, ils fondent ensemble
le Théâtre Alfred-Jarry dont la carrière fut aussi brève que le
répertoire nouveau et riche d’avenir. Si, mis à part Les Cenci,
Artaud le prophétique est surtout acteur, metteur en scène,
théoricien et poète, Roger Vitrac se révélera, lui, un auteur
particulièrement fécond. Sa première pièce, Les Mystères
de l’amour, la plus surréaliste de son œuvre, tente avec un
bonheur inégal de porter à la scène les trouvailles de l’écriture
automatique. Mais la suivante, Victor ou les Enfants au pouvoir (1928), est un chef-d’œuvre. Longtemps sous-estimée,
elle a été avec beaucoup d’éclat et un grand succès, en 1962,
dans une mise en scène d’Anouilh. Victor avait ouvert la voie
au nouveau théâtre qui, en retour, lui ouvrait la célébrité.
Dans le cadre conventionnel d’une comédie de salon à la fois
burlesque et fantastique, Vitrac imagine un enfant de neuf ans,
adulte par la taille et intelligence, dont le cynisme et la férocité tout instinctives déclenchent le soir de son anniversaire
une cascade de drames atroces. Les personnages types de la
bonne et du général, la liberté échevelée de certains épisodes
comme ceux de la belle pétomane ou de la lecture d’un journal de l’époque dont les clichés prennent vie sous les yeux du
spectateur, la folie surréelle des monologues intérieurs du
héros, la violence outrée et pourtant très vraie des rapports
entre les personnages, et surtout le constant passage du cocasse à l’horrible réalisent déjà les ambitions majeures du
théâtre des années 50. Les pièces suivantes de Vitrac ne présentent plus avec le même bonheur et à un si haut degré pareil
caractère de nouveauté. Mais il suffit d’avoir écrit Victor.
in La littérature en France depuis 1945, Bordas 1974.
9
LE THÉÂTRE ALFRED-JARRY
Si l’on devait mesurer, dans l’histoire du théâtre, l’importance
d’Antonin Artaud au nombre clé de ses réalisations, sa place ne
serait que marginale en regard de celle de ses contemporains.
La profondeur avec laquelle il a pensé le théâtre s’est essentiellement traduite dans les textes successifs, où, sa vie durant,
il a formulé les exigences d’un art qu’il avait choisi comme
lieu de son rapport au monde. Cependant, pour rares qu’elles
soient, et avec les limites que leur ont imposé de désastreuses
conditions matérielles, ses réalisations n’en restent pas moins,
avec ses projets écrits de mises en scène, la référence concrète
qui éclaire les conceptions théâtrales formulées, en termes inspirés de poète, dans les essais du Théâtre et son double.
un rideau de lumière ; un cortège funèbre passe dans le fond
du plateau tandis qu’un « jet de lumière violette vitriole tout
à coup les acteurs ». La musique pour percussions, composée par Maxime Jacob, est faite de rythmes élémentaires,
de « pulsations monotones et frénétiques ». Les Mystères de
l’amour, drame surréaliste sur l’amour fou, « œuvre ironique
qui concrétisait à la scène l’inquiétude, la double solitude,
les arrière-pensées criminelles et l’érotisme des amants »,
sont joués a contrario du texte, les acteurs accordant leurs
mouvements non aux actes, mais aux pensées inconscientes des personnages.
Au programme du DEUXIÈME SPECTACLE, à la Comédie des
Champs-Élysées, le 14 janvier 1928, le troisième acte de
Partage de midi, « joué contre la volonté de l’auteur » et « en
vertu de cet axiome qu’une œuvre imprimée appartient à
tout le monde ». Volonté de scandale, Artaud ayant précisé
que la pièce était de M. Paul Claudel, ambassadeur de France
aux États-Unis, « un infâme traitre », de même que dans la
projection inattendue de La Mère de Poudovkine, film que
le ministère de l’Intérieur venait d’interdire. On peut s’interroger sur le choix du troisième acte de Partage. Cet acte
plonge brutalement la pièce dans un climat d’angoisse créé
par la situation : Ysé et Amalric cernés, dans une maison isolée de la Chine, par une insurrection. Mais il contient aussi
nombre d’effets proprement théâtraux, dont on peut penser
qu’Artaud pouvait tirer parti dans l’optique qui était la
sienne : cris sauvages de la foule, rumeur montante ; arrivée
spectaculaire de Mesa, ombre reflétée dans un miroir ; retour d’Ysé en état de transe hypnotique, jeux d’éclairages,
lampes qui s‘éteignent, etc. Pour le décor, Artaud créé des
« figures nouvelles », des « arrangements » d’objets, matelas,
dont l’un suspendu au-dessus d’un lit de fer, l’autre par terre
au bout d’une corde, petits écrans de bambou, etc.
« La scène, écrit-il à Jean Prévost, représentait le désordre,
l’anxiété, la menace. » Quant aux acteurs, « pour eux, le théâtre, c’est leurs nerfs, et ils recherchent un théâtre de nerfs.
À tort et à travers, ils saupoudrent le texte de cris, de gémissements, de contorsions, de plaintes. Car si le texte ne
sert pas à faire sursauter le spectateur sur sa chaise, à quoi
sert-il ? »
En 1926, Artaud fonde, avec Robert Aron et Roger Vitrac, le
Théâtre Alfred-Jarry. Dans les manifestes qui accompagnent
l’évènement est avant tout affirmée l’idée d’un « théâtre pur »,
en rupture avec toute la pratique de l’époque. Artaud et ses
amis ne visent à rien de moins qu’à « remonter aux sources
humaines ou inhumaines du théâtre et a le ressusciter totalement ». Il s’agit de remettre au jour cette vieille idée, au fond
jamais réalisée, du spectacle intégral, où le texte, « réalité
distincte » ne sera nullement respecté dans son esprit, mais
utilisé simplement « quant au déplacement d’air que son
énonciation provoque ». Le Théâtre Alfred-Jarry ne saurait
être une entreprise esthétique, une œuvre d’art : il a été créé
« pour se servir du théâtre et non pour le servir. Le spectateur
qui s’y rendra saura qu’il vient s’offrir à une opération véritable où, non seulement son esprit, mais ses sens et sa chair
sont en jeu. »
Les 1er et 2 juin 1927, au Théâtre de Grenelle, la PREMIÈRE
REPRÉSENTATION DU THÉÂTRE ALFRED-JARRY comporte une
pochade musicale d’Artaud, Ventre brûlé ou la mère folle,
trois tableaux des Mystères de l’amour de Vitrac, et Gigogne
de Max Robur (Robert Aron). Pour ce spectacle, ou les documents – comme pour les suivants – sont peu nombreux,
on trouve cependant chez les critiques quelques notations
précieuses ; dans Ventre brûlé, brève hallucination, qui montre sous une apparence satirique la concurrence créée au
théâtre par le cinéma, la dernière partie se déroule derrière
Pour le TROISIÈME SPECTACLE, le 2 juin 1928, en matinée, au
Théâtre de l‘Avenue, Artaud met en scène Le Songe de
Strindberg.
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témoigne d’une grande rigueur, aussi bien dans la composition picturale d’images scéniques dont « la poésie anarchique » remettait en cause toutes les relations d’objet à objet,
que dans l’enchaînement de la représentation.
Voici du reste comment Artaud présente, dans la brochure
– bilan de 1930, Le Théâtre Alfred-Jarry et l’hostilité publique, le déroulement idéal d’un spectacle : « La pièce ainsi
réglée dans les détails et dans l’ensemble obéissant à un
rythme choisi se déroulera à la manière d’un rouleau de
musique perforé dans un piano mécanique, sans jeu entre
les répliques, sans flottement dans les gestes et donnera à
la salle l’impression d’une fatalité et du déterminisme le
plus précis. »
Témoignent encore de cette précision programmée les projets de mises en scène écrits pour La Sonate des spectres de
Strindberg et Le Coup de Trafalgar où tout est prévu acte
par acte (œuvres complètes, tome II).
À partir de 1931, Artaud cherche, à travers d’innombrables démarches, toujours sans succès, à réaliser cette « scène cruelle »
qu’il porte en lui. Sa seule tentative aboutie fut, en mai 1935,
la mise en scène des Cenci, sur la petite scène des FoliesWagram, expérience profondément neuve, dont il précisera
qu’elle n’a fait qu’introduire, sans le réaliser vraiment, le
théâtre de la cruauté.
© BHVP/A.R.T.
Jacqueline de Jomaron in Le Théâtre en France,
La Pochothèque, 1992
Antonin Artaud & Roger Vitrac 1930, Illustration G. L. Roux
Le QUATRIÈME ET DERNIER SPECTACLE est la création, les 24
et 29 décembre 1928, à la Comédie des Champs-Élysées, de
Victor ou les Enfants au pouvoir écrit par Vitrac spécialement
pour le Théâtre Alfred-Jarry. Artaud définira Victor comme
un drame bourgeois, « tantôt lyrique, tantôt ironique, tantôt
direct », dirigé « contre la famille, avec comme discriminants : l’adultère, l’inceste, la scatologie, la colère, la poésie surréaliste, le patriotisme, la folie, la honte, la mort ».
Il fait, dans le décor, se heurter des meubles bourgeois d’un
réalisme chaotique et des accessoires spécifiquement théâtraux, déformés et gigantesques : un énorme gâteau d’anniversaire, garni de grands cierges d’église, trône sur la table
à manger (acte I), un immense palmier envahit le salon de
sa végétation (acte II), Le Théâtre Alfred-Jarry, incapable
de faire face aux difficultés qui avaient, dès le départ, pesé
sur l’entreprise, dut arrêter des représentations qui n’avaient
réuni qu’un groupe d’intellectuels. Bien que Robert Aron ait
précisé, dans sa conférence préliminaire aux activités du
Théâtre, que les spectateurs ne seraient plus séparés de la
scène par la rampe, les trois organisateurs durent se contenter, faute d’argent, de louer des salles tout à fait traditionnelles, auxquelles il était impossible d’apporter des modifications techniques. Malgré des répétitions hâtives et des
moyens de fortune, le travail de mise en scène d’Artaud
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«
IDA MORTEMART
Riez ! Riez ! je le sais bien, allez, on ne peut pas
s’empêcher d’en rire. Je ne vous en veux pas.
Riez donc ! Il n’y aura après ni gêne
de votre côté, ni gêne du mien.
Cela nous calmera tous. J’ai l’habitude.
Il n’y a qu’un remède, c’est le rire.
Ils rient de toutes leurs forces
pendant qu’elle pète toujours, la tête dans les mains.
Graduellement les rires s’arrêtent. On attendra
que ceux de la salle s’arrêtent aussi pour continuer la pièce.
Victor ou les Enfants au pouvoir, acte II, scène V
Dès l’apparition d’lda, le drame est en marche. Les notions
de crime et de mort sont latentes et le jeune Victor, cher
prodige inquiétant, pervers et douloureux, prophétise sa
propre fin et celle de sa famille.
»
Il est vrai qu’après avoir interprété un tel rôle, il lui aurait
semblé difficile de se présenter au Conservatoire national de
déclamation dans la classe du tragédien Georges Leroy, sociétaire à part entière de la Comédie-Française. Artaud attachait une grande importance à lda Mortemart, rôle-clé de la
pièce qu’il voyait comme symbole de la décomposition d’une
société. Apres la désertion d’Alexandra Pecker, il fit appel à
Domenica Blazy. Pour bien marquer l’importance du rôle,
il lui écrivit la Lettre à lda Mortemart, publiée dans la presse
et reprise dans le programme.
Pour le rôle délicat de la pétomane, Artaud avait choisi
Alexandra Pecker sur laquelle il avait quelques vues sentimentales. Une des reines du music-hall, dont l’ambition profonde
était de devenir comédienne classique. Elle accepta avec enthousiasme de jouer le personnage d’lda Mortemart (nom emprunté à la batterie Mortemart, installée sur le Mont valérien,
pendant le siège de Paris), mais après avoir pris connaissance du
manuscrit et participé aux premières lectures, elle se récusa :
« J’aimais beaucoup Vitrac. Simplement les premières répétitions m’ont confirmé ce que j’avais pressenti à la lecture
du manuscrit. Le rôle d’lda me déplaisait. Il prêtait a de
fâcheuses plaisanteries (comparaison avec le pétouane de
l’Eldorado, etc.) et j’ai eu peur de rester marquée par le
personnage. »
Pierre Lazareff introduit avant-première le personnage d’Ida
Montermart à ses lecteurs de Paris-Midi, le 18 décembre 1928:
« On en parle déjà beaucoup à Montparnasse et dans les coulisses… Le rôle principal de femme, c’est celui d’une dame
qui… d’une dame que… – comment dirai-je?! Enfin cette dame
est affligée d’une infirmité plus ridicule que douloureuse. À
chacune de ses entrées elle fait entendre, sinon sentir, la
maladie secrète qui l’atteint. On me comprend… »
in Les extravagants du Théâtre de la belle époque
à la drôle de guerre, Geneviève Latour,
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, 2000.
in Alain et Odette Virmaux, Antonin Artaud, Qui êtes-vous ?
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LETTRE À IDA MORTEMART ALIAS DOMENICA BLAZY
Madame,
Vous me demandez ce que j’attends de cette pièce osée
et scandaleuse : c’est bien simple, j’en attends tout.
Car au point où nous en sommes cette pièce est tout.
Elle dénoue une situation douloureuse. Elle touche au vif
d’une vérité même pas assez épouvantable pour nous
désespérer d’exister. Et c’est bien dans cet esprit
que je la monte. Et j’en suis aussi sur
que d’un mécanisme remonté pour faire partir sa charge
d’explosifs à heure dite. Comme quelque chose de plus
qu’une œuvre théâtrale, osée et scandaleuse, elle est
comme la vérité même de la vie, quand on la considère
dans son acuité.
Il y a, dans cette pièce, une perversité incontestable,
mais elle n’est pas pire que nous ne le sommes tous
dans ce sens. Tout ce qui est sale ou infect a un sens
et ne doit pas être entendu directement. Nous sommes ici
en pleine magie, en pleine déchéance humaine. La réalité
qui s’exprime, le fait par son côté le plus aigu, mais aussi
le plus oblique et le plus détourné. La signification même
des choses se dégage de leur âpreté, et l’âpreté d’une sorte
de nudité parfaite, où l’esprit choisit la vie de la pensée,
dans son aspect affectif le plus spontané. On a voulu
épuiser ici ce côté tremblant et qui s’effrite, non seulement
du sentiment, mais de la pensée humaine. Mettre au jour
l’antithèse profonde et éternelle entre l’asservissement
de notre état et de nos fonctions matérielles
et notre qualité, d’intelligences pures et de purs esprits.
Un personnage entre tous, le vôtre, représente
cette antithèse, et son apparition est le point culminant
de la pièce.
C’est pourquoi Ida Mortemart se devait d’apparaître
comme un fantôme, mais un fantôme par certains côtés,
ou mieux par un seul côté cruellement réel. Ce fantôme
qui vient de l’au-delà a conservé en lui toute Intelligence
et la supériorité de l’autre monde, et cela se sent
dans les sous-entendus qu’elle attache SANS REPIT
à tout ce qu’elle dit. Tout lui est prétexte profondeur
et un prétexte sur lequel elle saute, comme tremblante
dans la peur de ne plus vivre. En tout cas, elle représente
la douleur morale et l’empois0nnement de la matière
par son pire côté. Son état de fantôme, de femme
spirituellement crucifiée, lui procure la lucidité
des voyantes.
Et c’est ce qui explique le ton augural et puissamment
sentencieux dont elle souligne ses répliques d’apparence
anodine, qui doivent s’entendre avec leur sens entier.
Il ne manquerait plus qu’elle se laissât rebuter par
ce qu’elle fait. Voyez l’horreur épouvantable
et gênante, inadmissible presque, mais d’autant plus
suffocante et belle d’être inadmissible, de sa situation.
Et comprenez bien que cette infirmité seule, et pas
une autre, était capable de rendre sa situation dans la vie
aussi funestement impossible, aussi significative
et expressive, pour tout dire.
Et sa suppression changeait l’esprit de la pièce,
enlevant A L’ACRETE de la leçon qui s’en dégage
son côté le plus épouvantable et le plus réellement
puissant.
Je pense qu’un esprit, quel qu’il soit, ne doit se laisser
rebuter par rien. Il n’y a pas d’exception à la liberté.
Et je suis sûr que la vie ne possède pas pour vous
d’obstacles, du moins foncièrement moraux ou sociaux.
Je fais des vœux pour que vous deveniez,
l’après-midi du 24 décembre prochain,
le personnage véritablement fabuleux,
Ida Mortemart lui-même.
Je suis votre dévoué
Antonin Artaud
Lettre d’Antonin Artaud à Domenica Blazy, comédienne qui créa
le rôle d’Ida Mortemart in Gallimard, collection Blanche, tome II.
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VISIONS CRITIQUES
Victor ou les Enfants au pouvoir, est créé un 24 décembre 1928
à la Comédie des Champs-Élysées, dans une mise en scène
d’Antonin Artaud.
Paul Reboux, parti avant la fin de la représentation, ne se
contenta pas d’une mauvaise critique :
« La seule chose qui m’ait paru naturelle dans cette œuvre
saugrenue, c’est le bruit postérieur que l’auteur fait émettre
par l’héroïne chaque fois qu’elle éprouve une émotion. Je
vous assure que le trouble d’esprit qui semble frapper M.
Vitrac a quelque chose de contagieux. »
En 1924, Vitrac et Artaud se rencontrent grâce à Breton et ses
amis surréalistes. Mais dès 1926, Vitrac est exclu du mouvement surréaliste, quelques mois avant Artaud. Dès lors la
« guerre » est déclarée entre les surréalistes et les fondateurs
du théâtre Alfred-Jarry, conflit ouvert qui ponctuera les interventions d’Artaud, Vitrac et leurs actualités artistiques.
Afin d’éviter tout débordement, Jacques Hébertot (directeur
du Théâtre des Champs Élysée) avait convoqué un important
service d’ordre à l’entrée du théâtre. Précaution inutile. Breton
et ses amis avaient décidé, lors d’un dernier « conseil de
guerre », de ne pas se rendre à la représentation. Dorénavant,
ils ignoreraient Artaud et Vitrac, leurs pompes et leurs œuvres.
La salle fut néanmoins bondée. On reconnaissait André Gide,
Jules Supervielle, Arthur Honegger, Abel Gance, Berenice
Abbott, compatriote et amie du photographe Man Ray. Un
seul incident troubla la représentation. Tandis qu’en coulisse
résonnait un trombone à intervalles plus ou moins prolongés,
quelques plaisantins jetèrent des boules puantes pour l’entrée
en scène de la courageuse lda Mortemart. On accusa Artaud
et Vitrac d’être les auteurs des jets malodorants. Artaud s’en
défendit avec force, alla jusqu’à prétendre connaitre les noms
des mauvais plaisants – noms qu’il garda pour lui. En dépit
de cette protestation, la presse prit un malin plaisir à s’attarder sur les pets musicaux. Un critique anonyme eut le courage
de se fâcher :
Paris Soir, 26 décembre 1928
Il en publia une seconde :
« On a écouté tout cela silencieusement avec un sourire de
pitié un peu triste, celui qu’on aurait à Sainte-Anne ou à
Bicêtre pour examiner, dans le cabinet du médecin – chef,
les élucubrations graphiques des aliénés incurables. »
Le Journal du peuple, 26 décembre 1928
Pierre Lazareff décrit tout d’abord l’accueil détestable du public,
puis termine son article par une phrase impitoyable :
« Artaud n’a pas découvert un second Ubu Roi, mais une
imitation un peu folle d’On purge Bébé, avec la verve de
Feydeau en moins. »
Paris-Midi, 26 décembre 1928
Le journaliste Nozière mit un point final et irrémédiable aux
rancunes que Vitrac avait fait naître dans le cœur des défenseurs du drapeau français :
« L’auteur ne perd aucune occasion d’attaquer l’armée. Il
met en scène un général ridicule […] M. Roger Vitrac veut
s’en prendre au Patriotisme. »
L’Avenir, 26 décembre 1928
Tout était dit… Si étrange que ce soit, les seuls critiques qui parurent avoir compris quelque chose au spectacle furent, d’une
part Léon Baranger, de la revue L’Auto :
« L’auteur rassemble un certain nombre de personnages
sous le regard de Victor. Ce sont des échantillons lamentables parce que vrais, d’une humanité que nous côtoyons
constamment. Leur laideur morale explique la malveillance déployée contre eux par Victor. On rit pourtant par instants et le spectateur se dit avec satisfaction : “Tout de même,
je ne suis pas comme ça !” »
« Que vous avez jeté les boules puantes ou que vous n’en avez
pas jeté, peu importe. Cela ne change rien à la médiocrité
de votre spectacle. Mais cela montre tout de même qu’il ne
faut point trop d’indulgence pour les mauvaises plaisanteries – et vous un mauvais plaisant – qu’en parler leur donne
une importance qu’elles n’ont pas et que le mieux est de faire,
sur elles, le silence. Il y a autre chose à faire que de s’occuper
des incapables et des curiosités sans talent. Je ne parlerai
plus d’aucune manifestation du théâtre Alfred-Jarry. »
X., L’Ami du Peuple, 26 décembre 1928
Et de l’autre le critique allemand Paul Block du Berliner
Tageblatt :
« Ce fut la représentation théâtrale la plus curieuse qu’il
m’ait été donné de voir pendant les huit années de ma nouvelle vie d’après-guerre à Paris. »
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fut la dernière expérience du
Théâtre Alfred-Jarry.
Vingt ans après, les reprises de Victor furent accueillis avec
bonheur. Les critiques ne se privèrent pas du plaisir de racheter l’incompréhension sarcastique et butée de leurs prédécesseurs. En 1946, lors du spectacle monte par Michel de Ré :
« Quelle richesse ! Quelle splendeur verbale ! Quelles trouvailles ! Ici un merveilleux poème, là un jaillissement de
mots cocasses. C’est du grand Art ! »
photos répétition
Victor ou les Enfants au pouvoir
André Frank, Le Populaire, 21 novembre 1946
En 1962, Gilles Sandier remercie Jean Anouilh d’avoir remonté Victor… :
« En réparant l’injustice de 1928, en vengeant l’échec
d’Antonin Artaud, vous nous donnez une œuvre qui est
pour moi la plus grande soirée de théâtre depuis trois ans,
exactement depuis Les Nègres. »
Arts, 10 octobre 1962
En juillet 1929, Artaud et Vitrac font éditer un tract où ils annoncent de nouveaux projets : une reprise d’Ubu roi et la création d’une nouvelle œuvre de Vitrac, Le Coup de Trafalgar.
Malheureusement ces projets resteront sans suite. En dépit
de l’intérêt suscité par ses quatre premiers spectacles, Antonin
Artaud dut reconnaitre l’échec de son entreprise. Il n’était
pas seul responsable de l’insuccès. Les conditions de travail
imposées étaient trop draconiennes, les moyens trop
réduits pour continuer. Il ne disposait ni de troupe ni de lieu.
La moindre des choses aurait été qu’il ait un théâtre pour au
moins deux mois — un mois de répétitions, un mois d’exploitation –, il ne bénéficiait que d’une salle dans laquelle il
pouvait jouer une ou deux fois, soit en matinée, soit le jour
de relâche, avec une seule répétition, la nuit précédant la représentation. C’est ainsi qu’il lui fut impossible d’obtenir un
filage des trois actes de Victor.
En outre, les acteurs se faisaient tirer l’oreille pour accepter
un rôle proposé par Artaud. Ils étaient mal payés pour des
spectacles souvent remis ou annulés. Ils répétaient toujours,
avec en arrière-pensée la crainte d’une décision préfectorale
interdisant le spectacle. Si donc, pendant les répétitions, ils
avaient la chance de signer un contrat dans un théâtre à direction normale, ils abandonnaient séance tenante Artaud.
C’était bien pardonnable….
Enfin, l’impécuniosité permanente des animateurs ne trouvait un remède aléatoire que dans la vente incertaine de billets à un Tout-Paris dont le snobisme n’accrochait pas avec
Artaud. C’était donc la perpétuelle course à l’argent. Toutes
ces difficultés réunies ne pouvaient qu’entrainer la fin du
Théâtre Alfred-Jarry. Mais c’était mal connaître le comédien
que de le croire abattu et sans projet, alors que, pugnace, il
était persuadé du bien-fondé de ses théories, et qu’au plus
profond de lui-même, il se reconnaissait comme le sauveur
d’un théâtre idéal.
in Les extravagants du Théâtre de la belle époque
à la drôle de guerre, Geneviève Latour,
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, 2000.
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TEXTE & REPRÉSENTATIONS
[…] Malgré toute l’importance que nous attachons aux activités du Théâtre Alfred Jarry, force nous est de constater que la
représentation de Victor ou les Enfants au pouvoir a provoqué,
à l’époque, bien peu de réactions. Nous avons analysé les impressions de la critique, cependant il faut convenir que les critiques dramatiques en renom, même si ils avaient assisté au
spectacle, ne s’en étaient pas fait l’écho dans leur journal. […]
Ils y voyaient une « pochade d’étudiants » et préféraient s’abstenir d’en parler.
Il est donc intéressant de comparer l’accueil qui fut réservé à
Victor lors des reprises suivantes, en 1946 puis en 1962, et d’examiner les circonstances qui entourèrent les manifestations. […]
Les journaux annoncent la reprise de Victor ou les Enfants au
pouvoir par la compagnie de Thyase les mardis en soirée et
samedis en matinée à partir du 12 novembre 1946 au théâtre
Agnès Capri, rue de la Gaîté. Comme on peut en juger par l’horaire des représentations, ce n’est pas une reprise glorieuse, attendu par le « tout Paris du spectacle ».
Aussi Vitrac juge-t-il nécessaire de s’en ouvrir au public :
« Victor ou les Enfants au pouvoir, c’est le mythe de l’enfant
précoce… », explique-t-il dans les colonnes du Figaro, le 11 novembre. Pour lui, si l’auteur a vieilli, sa pièce n’a pas changé
de caractère et c’est en fin de compte la jeunesse qui dispose.
« Victor meurt tout simplement le jour de l’anniversaire de
ses neufs ans… au moment précis où il a la révélation de la
vie, de la vie comme elle est. Avec ses souvenirs, ses promesses, ses intrigues, ses éphémérides. » […]
Comme lors de la première représentation, on s’étonnera sans
doute du personnage d’Ida Mortemart : « Pourquoi cette
grande dame ? ! Pourquoi pas le Sphinx ? ! » À cela, l’auteur
répond par le mystère de l’inspiration poétique qui, en dépit
de toute explication logique a soufflé à Poe de faire parler le
« corbeau never-more » et non un perroquet ce qui eut été
pourtant plus compréhensible. […]
La salle de la générale semble avoir réuni tous ceux qui constituaient l’avant-garde d’une génération de l’après-guerre.
« On vivait un véritable “vingt ans après”, dit un journaliste
(Jean-Claude Sabel). André Breton siégeait au premier étage
non loin de l’auteur… Le grand poète Antonin Artaud, qui
jadis assurait la mise en scène de la pièce, tapi au fond
d’une loge, ne cessait d’écrire. La clientèle des cafés littéraires
de la rive Gauche étaient mobilisée pour une fois, comme au
temps glorieux, on avait l’impression de retrouver cette atmosphère de cénacle littéraire où, selon l’expression de Marte
Robert, il y avait encore des Philistins à combattre… » […]
Il faut donc s’y résoudre, les temps ont changé. Aux périodes
fortes, il faut des œuvres fortes, bien épicées. C’est ce que semble dire le chroniqueur de L’Étoile du Soir qui intitule son
article « Scandale de tout repos – L’Avant-garde fait terriblement démodé », écrit-il. Je crains pour monsieur Vitrac
que le style de ses œuvres ne soit lié à une époque révolue qui,
riche de promesse, fut aussi fort confuse. Il y a Le Coup de
Trafalgar comme dans Victor ou les Enfants au pouvoir un
manque de nécessité qu’aggravent les rides du temps ». Au
moment le plus tragique, celui de l’entrée en scène d’Ida
Mortemart, il pense à du marivaudage. L’audace de Vitrac est
timide, embarrassée de conventions. Il lui conseille donc d’aller dans le sexuel comme dans le scatologique. […]
En 1962, la situation est totalement modifiée. Victor joué au
théâtre de l’Ambigu, c’est l’avant-garde au boulevard, car si la
pièce est jouée dans des conditions normales, auxquelles s’ajoute le prestige du metteur en scène, Jean Anouilh, elle n’a rien
perdu, aux yeux de la critique et du public, de sa valeur novatrice. Victor a toujours éternellement neuf ans.
Avant même de connaître la pièce, les journaux annoncent la
reprise de Victor comme l’événement important de la saison
dramatique, peut-être parce que Jean Anouilh qui a la réputation de ne pas se laisser interroger facilement par les journalistes, leur accorde au contraire une attention toute particulière, expliquant pourquoi, lui qui était surtout auteur
dramatique, consentait à monter Victor. « En représentant
Victor de Roger Vitrac, j’essaie de réparer une injustice »,
dit-il. […]
Déjà charmée par Anouilh, la critique est séduite par la pièce,
elle conseille au public, légèrement réticent au début, d’aller
la voir. C’est un unanime concert d’approbation, du Figaro
à L’Humanité, de Carrefour à Tribune Socialiste. […]
Gilles Sandier remercie Anouilh : « … En réparant l’injustice
de 1928 et vengeant l’échec d’Antonin Artaud, vous nous donnez une soirée qui est pour moi la plus grande soirée de
théâtre depuis trois ans exactement, depuis Les Nègres ».
[…]
On s’étonnera que l’accueil fait à Victor en 1962 ait été très différent de celui de 1928. Il faut bien convenir qu’il n’est pas
dû à une brusque modification des esprits, mais plutôt à une
lente transformation du goût, dont nous sommes redevables,
dans le domaine théâtral, à Ionesco principalement. […]
extraits de Roger Vitrac un éprouvé du surréalisme,
H. Béhar, Édition A. G. Nizet, 1966
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ROGER VITRAC
1899 I 1952
À bien des égards, Roger Vitrac possède, aux yeux du lecteur
contemporain, toutes les caractéristiques d’un écrivain maudit : sa vie privée ne fut guère heureuse, sa carrière littéraire
se signala, dans l’ensemble, par une série d’échecs et de ruptures ; son œuvre, marquée par ces éléments négatifs, semble
avoir déconcerté par ses audaces formelles le public de
l’époque. Aujourd’hui, même si Roger Vitrac ne parait plus
« d’avant-garde », on s’accorde à voir en lui un précurseur.
raire de Vitrac. Mais elle ne connaîtra vraiment le succès
que lors de sa reprise en 1962 par Jean Anouilh. En 1934, le
compte rendu peu élogieux que fit Artaud du Coup de
Trafalgar consacra la rupture entre les deux hommes. Dès
lors, sans abandonner le théâtre (Le Camelot, 1936 ; Les Demoiselles du large, 1938), Vitrac aura surtout une activité
de journaliste, à Comoedia, à l’Intransigeant, en même
temps qu’il écrira des dialogues de films, et il connaîtra enfin
une certaine sécurité matérielle. Cependant, sa santé s’est
altérée – il a dû entrer, en 1934, en clinique pour y subir
une cure de désintoxication –, et il est atteint en 1947 d’hémiplégie. Il meurt à cinquante-deux ans après avoir fait
jouer Le Sabre de mon père (1951), rédigé une dernière pièce,
Le Condamné (posth., 1964), qui montre à la fois sa lucidité et son désespoir.
UN ÉCRIVAIN MAUDIT
Né à Pinsac (Lot), dans une famille de propriétaires terriens,
Roger Vitrac conservera toute sa vie la nostalgie d’une petite
enfance vécue dans la chaleur maternelle et la pleine nature ;
très tôt, des dissensions internes mineront son entourage,
et Vitrac gardera de cette vision d’un monde adulte totalement
perverti. Durant ses études à Paris, au collège Chaptal, il découvre les œuvres d’Alfred Jarry. Après son retour dans le Lot
en 1920, il épouse une cousine, mais, au bout de six mois, il
se révèle que ce mariage est un échec. Et c’est au cours de son
service militaire, où il fut incorporé dans un régiment spécial composé d’étudiants, que Roger Vitrac entra véritablement dans le monde littéraire, prenant part, notamment, à
plusieurs manifestations du groupe dadaïste. Son activité
devient alors débordante : il organise une troupe théâtrale,
fonde une revue à l’existence éphémère : Aventure, écrit sa
première pièce, La Fenêtre vorace, et un recueil de poèmes
d’inspiration symboliste, Faune noir. Pourtant, très vite, Roger
Vitrac se rallie à André Breton et au groupe surréaliste, dont
il sera exclu, en 1926, par l’auteur de Nadja, qui n’appréciait
pas son esprit frondeur et son refus des règles. Il écrit néanmoins des poèmes (Connaissance de la mort, 1926 ;
Humoristiques, 1927 ; Cruautés de la nuit, 1927) inspirés par les
techniques surréalistes (écriture automatique, transcription de récits oniriques) et qui témoignent de son goût pour
l’humour et de sa fascination pour les images morbides ; on
notera aussi son essai sur Chirico. Vitrac devient alors l’ami
d’Antonin Artaud ; ensemble ils fondent le Théâtre AlfredJarry et montent plusieurs spectacles qui n’iront pas d’ailleurs
sans causer de véritables scandales. Cette association va
trouver son couronnement avec la création en 1928 de
Victor ou les Enfants au pouvoir, que l’on tient à ce jour pour
le chef-d’œuvre de l’écrivain. Cette pièce, qui dénonce les tares
de la famille bourgeoise à travers le drame vécu par un
enfant exceptionnellement lucide pour ses neuf ans, offre la
vision la plus synthétique et la plus réussie de l’univers litté-
UNE CONTESTATION PESSIMISTE DU RÉEL
Le théâtre de Vitrac peut paraître l’un des plus pessimistes
de notre siècle : il prétend, en effet, dénoncer absurdité du
monde d’une façon plus radicale encore que celui d’Alfred
Jarry ou d’Eugène Ionesco (auquel il s’apparente par la
technique dramatique).
L’attitude de l’écrivain face à l’existence se caractérise par
une sorte de fatalisme qui lui fait accepter sans révolte, mais
non sans dérision, d’être, si l’on peut dire, marqué par le destin : « Enfin, pour parler net, je n’ai jamais été attiré que
par les fous en puissance ou par les morts de moins de trente
ans ». La société des adultes lui semble devoir être a priori
rejetée, en totalité : en se laissant mourir, l’enfant génial
Victor, à sa manière, refuse d’accepter les conventions du
monde bourgeois, immoral, cruel, où les plus jeunes sont les
jouets de leurs parents à moins qu’ils n’en soient les souffre-douleur – comme c’est le cas pour la petite Esther, que
sa mère ne cesse de gifler. Selon une théorie assez largement répandue parmi les écrivains surréalistes, l’enfant,
seul, a gardé assez de pureté et d’intelligence pour savoir
ôter le masque du monde adulte, si bien ordonné, si rationnel, si réussi en apparence : « J’ai neuf ans. J’ai un père, une
mère, une bonne […] J’ai une brosse à dents individuelle à
manche rouge. Celle de mon père a le manche bleu. Celle
de ma mère a le manche blanc […] J’ai un livret de caisse
d’épargne, ou l’oncle Octave m’a fait inscrire cinq francs le
jour de mon baptême. » (Victor ou les Enfants au pouvoir,
acte I, scène I). Mais les parents, avec un bel ensemble, se
livrent à l’adultère, tiennent des propos délirants quand il
17
UNE DRAMATURGIE DE LA PROVOCATION
est question de patriotisme, utilisent les enfants comme
exutoires à leur agressivité et, pour finir, les « tuent » par
inconscience et égoïsme.
La folie du monde est générale, et Victor, le fils prodige, dont
la personnalité est si affirmée au début de la pièce, sent peu
à peu son identité disparaître : « Mais, à la fin, qui suis-je ?
Suis-je transfiguré ? Ne m’appelé-je plus Victor ? » (Victor,
acte II, scène IV). Même le Lapin, l’organe de la déception,
du mirage, de l’illusion, « garenne où on peut écrire en liberté » (le Camelot, acte I, scène v), anti-journal destiné à
exprimer la dérision, finirait par être récupéré par les
valeurs de la société bourgeoise (il aura un million de lecteurs, devra se mêler aux affaires publiques et, comble de
l’horreur, donnera des pronostics exacts pour les courses
de chevaux), si son directeur, le Camelot, un marginal étonnamment lucide, n’y mettait bon ordre en imaginant un
gigantesque canular où il détruira lui-même l’édifice qu’il
avait construit. On le constate : il n’y a pas d’issue, seuls les
enfants ou les marginaux détiennent la vérité ; mais, entre
l’individu qui rêve d’authenticité absolue, qui aspire à être
reconnu, enfin, comme une personne (ce que Victor appelle
« l’UNIQUAT »), et la société pervertie, mais rusée et toutepuissante, il n’y a pas d’entente possible ; la seule solution
réside dans l’autodestruction, ultime possibilité de liberté.
Le pessimisme de Vitrac est aussi radical au sujet du langage, qui lui paraît incapable d’exprimer véritablement le
sens des choses : « J’écris comme je parle, pour ne rien dire.
Je considère la parole et le langage écrit comme infiniment
inutiles », confie-t-il dans une interview en 1923. Quant à
l’œuvre littéraire, elle naît au hasard des situations que
l’écrivain a bien voulu mettre en place au départ. Ainsi
Arcade, le personnage central du Coup de Trafalgar, déclaret-il : « J’ai tout bâti sur la faible connaissance que j’ai de
vous, que vous avez de moi, et j’ai laissé se dénouer le
drame dans l’ignorance générale, persuadé que cette ignorance prendrait figure ». Sans doute, on retrouve dans cette
conception de l’œuvre littéraire où le sens – s’il y en a un –
se décante tout seul, d’une façon arbitraire, en dehors de la
volonté du créateur, une des théories essentielles de l’école
surréaliste. La création n’est, en aucun cas, une finalité
pour l’écrivain ; l’œuvre n’a pas d’existence en soi, elle est
seulement destinée à provoquer chez le lecteur ou le spectateur un état d’excitation, et c’est par ce choc qu’elle acquerra
un sens, d’ailleurs fugitif et purement subjectif, qui pourra
aussi bien être détruit immédiatement.
[…] L’essentiel de l’originalité de l’écrivain réside finalement
dans l’utilisation qu’il fait du langage, car il s’est efforcé
d’appliquer au théâtre les techniques jusqu’alors employées
par les surréalistes dans le genre poétique. Vitrac joue ainsi
sur toute la gamme des procédés qui permettent de désarticuler le langage cohérent et logique de la société ordinaire. Celui qui semble le plus couramment utilisé est,
conformément à la tradition de l’écriture satirique, la parodie ; mais il recourt aussi aux réponses décalées en jouant
sur la polysémie :
MME LEMERCIER. — Hélène était la coqueluche de Trouville.
ARCADE. — Hélène par contagion serait donc morte d’une
mauvaise angine ?
MME LEMERCIER. — Fameuse angine, en effet, ma pauvre
enfant s’est pendue.
(Le Coup de Trafalgar, acte ll, deuxième tableau)
Il affectionne également les énumérations d’objets hétéroclites et les procédés d’écriture automatique, qui sont 3 sources de rapprochements comiques et qui donnent la vision
d’un monde éclaté où les objets sont, eux aussi, détournés
de leur sens : « J’ai dit : la montre à bascule, qui fait un ; la
chaîne en métal canari soudée au pyrogène, qui fait deux ;
la gourmette à manger de la tarte, qui fait trois […], le passelacet, qui peut servir de passe-boule ou de presse-purée,
qui fait sept […], et je donne par-dessus le marché le portrait
équestre de Notre Saint-père le pape, la réduction en terre
cuite de la casquette du chef de l’État. » (le Camelot, acte I,
scene IV).
J.-P. Damour
in Dictionnaire des auteurs de Langue Française
BIBLIOGRAPHIE
R. Vitrac, Théâtre, Gallimard, 1946-1964, 4 vol. ;
H. Béhar, R. Vitrac, un réprouvé du surréalisme, Paris, Nizet,
1966, et R. Vitrac, théâtre ouvert sur Ie rêve, Bruxelles et
Paris, Nathan, 1981 ;
C. Darmendrail, Le Théâtre de Vitrac, thèse Paris X, 1978
(dactyl.) ;
J. Grimm, Vitrac, ein Vorläufer des Theaters des Absurden,
Munich, Fink, 1976 ;
J.P. Han, Vitrac et le théâtre surréaliste, préface du Voyage
oublié de R. Vitrac, Limoges, Rougerie, 1974 ;
K.D. Vilshover, Die Enrwicklung der dramatischen Gestaltung
im Theater Vitracs, Genève, Droz, 1976.
18
ROGER VITRAC
Roger Vitrac naît le 17 novembre
à Pinsac (Lot).
1899
Installation de la famille Vitrac
à Paris près des Halles,
l’appartement servira
de cadre à sa pièce écrite
en 1930, Coup de Trafalgar.
ÉVÈNEMENTS
POLITIQUES & ÉCONOMIQUES
Mort de Félix Faure.
Révision de l’Affaire Dreyfus,
LETTRES, SCIENCES, ARTS
JARRY :L’Almanach du père
Ubu, répertoire des pantins.
condamné puis gracié.
Développement des universités
populaires.
FEYDEAU :
L’Italie déclare la guerre
Construction
à l’empire Ottoman.
Occupation de Fez
par les Français.
La Dame de chez Maxim’s
au Théâtre des Nouveautés.
CÉZANNE :
Les Grandes Baigneuses.
du Théâtre des Champs-Elysées
(jusqu’en 1913)
par les frères Perret.
1911
Retour de la famille dans le Lot.
Armistice entre l’Allemagne
et les Alliés à Rhetondes.
Création de l’armée rouge.
Éxécution de Nicolas II
et toute la famille impériale
par les bolchéviks.
1918
Exposition MATISSE
et PICASSO à Paris.
COCTEAU : Le Coq et l’Arlequin.
Il revient à Paris,
inscription à la Sorbonne.
Écrit Faune noir.
Signature du traité de Versailles.
Création de la Société
Mariage avec sa cousine,
Géraldine Vitrac.
Incorporation dans l’armée,
au 104e R. I.
DESCHANNEL président
BRIAND fait voter
de la république.
Ministères Briand et Poincaré.
une subvention de 100.000 F
pour la création
du Théâtre National Populaire.
Première manifestation
dadaïstes en France.
des Nations SDN.
1919
1920
19
Inauguration du musée Rodin.
Premier numéro de la revue
Littérature fondée par
André breton, Philippe Soupault,
Louis Aragon et René Hilsum,
début du mouvement surréaliste.
Les éditions de la NRF
deviennent la Librairie Gallimard.
ROGER VITRAC
ÉVÈNEMENTS
POLITIQUES & ÉCONOMIQUES
MARCEL PROUST :
Rencontre avec Louis Aragon,
avec qui il se lie d’amitié.
Rallie parmi les premiers
le groupe des surréalistes.
Sodome et Gomorrhe .
Procès parodique
des dadaïstes
contre Maurice Barrès.
Violente campagne de presse
s’engage contre le mouvement.
1921
Publication de sa première pièce,
Le Peintre.
Écrit Entrée Libre,
Mademoiselle Piège et Poison.
1922
Rencontre avec Antonin Artaud.
Écrit Les Mystères de l’amour.
1924
Installation de la Cour
GIRAUDOUX : Siegfried
internationale de justice
à La Haye.
Convention de Varsovie.
Entente balte entre la Pologne,
l’Estonie, la Lettonie
et la Finlande (dispositif défensif
contre l’Union soviétique).
La famine de 1922 en URSS fait
environ 5 millions de morts.
(mis en scène par Jouvet
à la Comédie
des Champs-Élysées).
MURNAU : Nosferatu le vampire.
Aux États-Unis, Citizenship Act.
FREUD :
Les Amérindiens obtiennent
la citoyenneté.
ADOLF HITLER, amnistié
par le gouvernement bavarois,
sort de prison après 13 mois
au lieu des 5 ans prévus.
Il y a rédigé son manifeste
Mein Kampf qui paraîtra
en 1925.
Écrit La Lanterne noire
(recueil de poèmes surréalistes).
Mise à l’index des surréalistes
par Breton.
Création du Théâtre Alfred-Jarry
avec R. Aron et A. Artaud.
Publication de
Connaissance de la mort.
Ministère Poincaré.
MUSSOLINI prend le pouvoir
Ministère Painlevé (France).
Création des SS en Allemagne.
Pacte de Locarno.
Traité soviéto-japonais.
1925
1926
LETTRES, SCIENCES, ARTS
en Italie.
Traité de non-agression
germano-soviétique.
L’Allemagne est admise
à la SDN.
SERGE LIFAR à l’Opéra.
Introduction à la psychanalyse.
Fondation du Cartel
avec JOUVET, DULLIN, BATY
et PITOËFF.
BALLANCHINE, chorégraphe
des Ballets Russes.
Première exposition
de peintures surréalistes,
rue Bonaparte.
BATY : Le Masque et l’Encensoir,
introduction à une esthétique
du théâtre. Bloud et Gay.
RAVEL/COLETTE :
L’Enfant et les Sortilèges.
MAX ERNST : première
exposition de ses œuvres
à la Galerie Van Leer à Paris.
20
ROGER VITRAC
1927
1928
Parution de Humoristique
et Cruauté de la nuit.
Création des Mystères de l’amour
par le Théâtre Alfred-Jarry
au Théâtre Grenelle.
1936
Le premier service de télépho-
nie
par câble transatlantique
entre Londres et New York
est ouvert au public.
Ford Motor Company lance
le modèle A et enregistre
50 000 commandes.
ITALIE : le cadre institutionnel
de l'État fasciste est en place.
LETTRES, SCIENCES, ARTS
Le Chanteur de jazz,
premier film parlant.
PROUST : Le Temps retrouvé.
Le Petit Mahagonny, pièce
de Bertolt Brecht et d’Ernst
Mehlich, créée à Baden-Baden.
Création de
Victor ou les Enfants au pouvoir
par le Théâtre Alfred-Jarry,
au à la Comédie
des Champs-Elysées,
mise en scène A. Artaud.
Essais sur Georges de Chirico.
Exclusion définitive du groupe
des surréalistes.
Pacte Briand-Kellog mettant
Devient journaliste pour pouvoir
continuer sa carrière
de dramaturge.
Doumer président
Parution du premier volume
de la république.
The Star-Spangled Banner
(La Bannière étoilée)
devient l'hymne
national des États-Unis.
Achèvement du gratte-ciel
Empire State Building à New York
pour un coût de 40 millions de $.
consacré à BAUDELAIRE
dans la Bibliothèque
de la Pléiade fondée
la même année
par Jacques Schiffrin.
Jacques Prévert, Dîner de têtes,
poésie.
Création de Coup de Trafalgar
au Théâtre de l’Atelier.
Cure de désintoxication,
écrit Loup-Garou, pièce inspirée
de ce vécu.
Demission de Daladier.
Premiers meetings anti-fascistes.
Grève générale au Portugal.
La Pologne conclut un pacte
de non-agression
avec l’Allemagne nazie.
HITLER se fait plébisciter
comme Reichsführer
et président du Reich à la suite
d'un référendum plébiscite
(89 % des suffrages).
LUIGI PIRANDELLO,
Écrit Le Camelot, créé tout
de suite au Théâtre de l’Atelier.
JARRY : Ubu enchaîné.
Exposition internationale
1931
1934
ÉVÈNEMENTS
POLITIQUES & ÉCONOMIQUES
la guerre hors la loi.
Lois sur les assurances sociales
obligatoires en France.
Massacres de Juifs en Palestine.
HOOVER : président
des États-Unis.
Grande-Bretagne : droit de vote
étendu aux femmes.
Victoire du Front populaire.
Gouvernement Blum.
Accords de Matignon.
HITLER occupe la Rhénanie et
l’Italie et annexe l’Éthiopie.
Début de la guerre civile en
Espagne.
Réélection de ROOSEVELT.
21
GIRAUDOUX : Siegfried
(mis en scène par Jouvet
à la Comédie
des Champs-Élysées).
MURNAU : Nosferatu le vampire.
SERGE LIFAR à l’Opéra.
prix Nobel de littérature.
du surréalisme à Londres.
Première exposition KANDINSKY
à Paris.
JEAN ZAY, ministre
des Beaux-Arts, augmente
la subvention
de la Comédie-Française
et de l’Odéon.
ROGER VITRAC
1938
ÉVÈNEMENTS
POLITIQUES & ÉCONOMIQUES
Écrit La Bagarre.
Création de Demoiselles du large
au Théâtre de l’Œuvre.
Début de l’amitié avec J. Anouilh,
dont il encouragera les débuts
au théâtre.
Anschluss : annexion
Écrit Médor.
“Pacte d’acier”,
de l’Autriche au Reich.
Fin du font Populaire.
Gouvernement Daladier.
Législation antisémite en Italie.
HITLER exige le retour
des Sudètes à l’Allemagne.
HITLER-MUSSOLINI.
Pacte germano-soviétique.
Victoire de Franco et fin
de la guerre civile.
Début de la Seconde Guerre
mondiale.
1939
Il est atteint d’hémiplégie.
Adoption du Plan Monnet.
VINCENT AURIOL: président
LETTRES, SCIENCES, ARTS
COCTEAU : Les Parents terribles.
BATY : Dulcuné.
HONEGGER/LIFAR :
Cantique des Cantiques
Opéra-Ballet.
ARTAUD :
Le théâtre et son double.
MARC CHAGALL obtient
le prix Carnegie.
SARTRE : Le Mur.
Ouverture au public du théâtre
du palais de Chaillot.
GENET : Les Bonnes.
CAMUS : La Peste.
de la République.
Plan Marshall.
Exodus : 5000 juifs clandestins
1947
partent pour la Palestine.
Indépendance de l’Inde
Écrit Le Sabre de mon père.
GIDE reçoit le Prix Nobel.
1er Festival d’Avignon :
VILAR monte Richard II.
et du Pakistan.
Grèves violentes en France.
Plan de partage de la Palestine
par l’ONU.
JEAN-LOUIS BARRAULT
Fondation du FLN en Algérie.
Retour au pouvoir
IONESCO : La Leçon.
SARTRE : Le Diable et le Bon Dieu.
met en scène Le Procès.
de CHURCHILL.
Émeutes anti-françaises
à Casablanca.
1951
VILAR au TNP.
Mort de GIDE, JOUVET
et de LUDMILLA PITOËFF.
Meurt le 22 janvier à Paris,
suite à une attaque hémiplégique.
PINAY à la tête
du gouvernement de mai
à décembre.
1952
22
Création du Centre
dramatique national
du Sud-Ouest (dir. G. BATY).
TNP : Vilar s’installe à Chaillot
en mars.
BECKETT, En Attendant Godot
aux éditions de minuit.
EMMANUEL DEMARCY-MOTA
METTEUR EN SCÈNE I DIRECTEUR DU THÉÂTRE DE LA VILLE
Nommé en 2001 directeur de la Comédie de Reims, il ouvre
sa première saison avec deux créations de Fabrice Melquiot
(L’Inattendu et Le Diable en partage), un auteur auquel il
restera fidèle, mettant en scène notamment Marcia Hesse
en 2005 au Théâtre de la Ville. À Reims, il inaugure une
politique culturelle très active, en créant notamment un
Collectif artistique et un centre de recherches européen. Il
fait construire un nouveau lieu à côté du CDN, l’Atelier,
qu’il inaugure en 2007 avec la création du festival ReimsScènes d’Europe.
Il monte en 2004, Rhinocéros de Ionesco et en 2007
Homme pour homme, au Théâtre de la Ville, dont il prend
la direction en 2008. Il y met en scène Casimir et Caroline
d’Horváth en 2009 et 2010, recrée Rhinocéros en 2011.
Il est aussi président de l’Anrat (Association nationale de
recherche et d’action théâtrales), qui rassemble des enseignants et des artistes engagés dans des actions d’initiation,
de formation et d’accompagnement des jeunes aux pratiques théâtrales.
Fils du dramaturge et metteur en scène Richard Demarcy
et de la comédienne portugaise Teresa Mota, il a pour ainsi
dire grandi sur les planches.
À dix-sept ans, il fonde la troupe des Millefontaines avec
ses camarades du lycée Rodin, et continue cette expérience
alors qu’il est étudiant à La Sorbonne.
Il commence très jeune sa collaboration artistique avec l’écrivain François Regnault, avec lequel il travaille sur les pièces
de nombreux auteurs européens (Büchner, Shakespeare,
Pirandello, Brecht, Kleist…). En 1994, il monte L’Histoire du
soldat de Ramuz au Théâtre de la Commune, puis, en 1995,
Léonce et Léna de Büchner, qui connaîtra une tournée en
France, au Luxembourg et au Portugal.
Il reçoit en 1999 le Prix de la révélation théâtrale de l’année
par le Syndicat national de la critique dramatique pour Peine
d’amour perdue de Shakespeare.
Il a reçu pour l’ensemble de son travail le Prix plaisir du
théâtre SACD 2010.
En juin 2011, il est nommé directeur du Festival d’Automne
à Paris.
En octobre 2011, il initie un Parcours Enfance & Jeunesse associant 5 théâtres partenaires à Paris. Dans ce parcours sont
présentés 8 spectacles dont la reprise de Bouli année zéro
en novembre 2011 aux Abbesses, puis au Centquatre en janvier 2012 et Wanted Petula en décembre 2011 au Théâtre
Monfort.
Chaque année, au moins l’une de ses mises en scène rencontre un vif succès :
en 2000, Marat-Sade de Peter Weiss
au Théâtre de la Commune ;
en 2001, Six Personnages en quête d’auteur
de Pirandello au Théâtre de la Ville.
23
L’ÉQUIPE ARTISTIQUE
CHRISTOPHE LEMAIRE
CORINNE BAUDELOT
ASSISTANT À LA MISE EN SCÈNE
Complice de la première heure d’Emmanuel Demarcy-Mota,
il fait partie, depuis 1989, de l’équipe fondatrice et permanente de la compagnie Le Théâtre des Millefontaines, au
sein de laquelle il est assistant à la mise en scène et collaborateur artistique : il a travaillé sur tous les spectacles de
l’équipe depuis l’époque du lycée et collabore à l’ensemble
des activités de la compagnie.
YVES COLLET
SCÉNOGRAPHIE & LUMIÈRE
Yves Collet a signé l’ensemble des scénographies et lumières
des mises en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota, depuis 1998 :
Peine d’amour perdue, Marat-Sade, Six Personnages en
quête d’auteur, Rhinocéros, L’Inattendu, Le Diable en partage,
Ma vie de chandelle, Marcia Hesse, Homme pour homme,
Wanted Petula, Casimir et Caroline…
Il a également créé la scénographie de L’Autre Côté, opéra de
Bruno Mantovani sur un livret de François Regnault, mis
en scène par Emmanuel Demarcy-Mota à l’Opéra National
du Rhin. Avec l’Ensemble artistique, il travaille également
sur les petites formes, les lectures et a repensé les espaces
publics du Théâtre de la Ville à l’arrivée d’Emmanuel
Demarcy-Mota en 2008. Il a travaillé notamment avec
Catherine Dasté, Adel Hakim, Claude Buchwald, Elisabeth
Chailloux, Brigitte Jaques-Wajeman…
JEFFERSON LEMBEYE
COSTUMES
Après des études de scénographie à l’EPIAR de Nice, elle
travaille au Festival d’Avignon. Elle collabore avec Mathilde
Monnier et Jean-François Duroure pour de nombreuses
créations, avec Hervé Robbe et Jacques Pattarozzi. Avec le
metteur en scène d’événements Serge Aubry, elle crée les
costumes pour des spectacles intégrés aux défilés de Kenzo.
Elle travaille avec plusieurs artistes de cirque, notamment
Johann Le Guillerm. Depuis 2001, elle participe au travail
d’Emmanuel Demarcy-Mota.
MUSIQUE ORIGINALE
Jefferson Lembeye a composé les musiques de tous les spectacles d’Emmanuel Demarcy-Mota, depuis 1998: Peine d’amour
perdue, Marat-Sade, Six Personnages en quête d’auteur,
Rhinocéros, Homme pour homme, L’Inattendu, Le Diable en
partage, Ma vie de chandelle, Marcia Hesse, Homme pour
homme, Wanted Petula, Casimir et Caroline…
Au sein de l’Ensemble artistique du Théâtre de la Ville, il
compose et interprète régulièrement les musiques de chaque récital de poésie, petites formes, concerts poétiques…
Instrumentiste et compositeur, ses pièces mélangent
acoustique et électronique.
Il a travaillé également avec Catherine Hiegel, Ricardo Lopez
Munoz, et en danse avec les compagnies L’expérience
Harmaat, Retouramont et Kirvat. Travaillant également
pour le cinéma, il est cofondateur du collectif Mix.
24
ÉLODIE BOUCHEZ
HUGUES QUESTER
ÉMILIE PAUMELLE
ANTOINE MAGNEAU
César du jeune espoir 1995 pour Les
Roseaux sauvages d’André Téchiné,
Prix d’interprétation féminine au
festival de Cannes 1998, Prix d’interprétation féminine aux European
Film Awards 1998, Prix de la meilleure
actrice aux Lumières de Paris 1999 et
César de la meilleure actrice 1999 pour
La Vie rêvée des anges d’Erick Zonka.
On la découvre au cinéma en 1991 dans le film de Serge
Gainsbourg Stan the flasher. Au cinéma, elle a travaillé notamment avec Roman Coppola, Jean-Marc Barr et Pascal Arnold,
Olivier Dahan, Abdel Kechiche, Cédric Klapisch, Patrice
Leconte, Gaël Morel…
En 2005, elle obtient un rôle important dans la série Alias,
puis joue dans des épisodes de la série The L Word.
Au Théâtre, elle joue le rôle de Caroline dans Casimir et
Caroline d’Ödon von Horváth mis en scène par Emmanuel
Demarcy-Mota en 2010 au Théâtre de la Ville.
Ce comédien qui a joué au théâtre, à
la télévision, au cinéma, sous la
direction des plus grands (Chéreau,
Lassalle, Strehler, Régy, Planchon,
Braunschweig, Tanner, Ruiz, Demy,
Gainsbourg, Kieslowski, Rohmer,
Monteiro…) qui a tout pratiqué, les
marges, l’avant-garde, le classique, les
premiers films de talent, Shakespeare comme Sarraute,
Hoffmansthal comme Euripide, cet acteur non moins physique que cérébral reste étrange, insaisissable, comme à la
frontière de plusieurs mondes. Mais c’est le théâtre qui nourrit son art, qui lui donne sa force, celle d’un amoureux, d’un
athlète, voire d’un ascète du texte, capable de s’enfermer des
jours pour se pénétrer des plus complexes monologues, des
dialogues les plus subtils. (Pascal Bonitzer) Lauréat du
Grand Prix Gérard Philipe de la Ville de Paris pour son
interprétation du rôle de Treplev dans La Mouette de
Tchekhov mise en scène par Lucian Pintilié. En 2001, sa
rencontre avec Emmanuel Demarcy-Mota donne naissance
à une relation artistique d’exception. Ensemble, ils créent notamment Six Personnages en quête d’auteur (son interprétation du Père lui vaut le Grand Prix de la critique 2002),
Rhinocéros, Homme pour homme et Casimir et Caroline.
THOMAS DURAND
VICTOR
Découvert en 2010 dans Casimir et
Caroline d’Ödon von Horváth mis en
scène par Emmanuel Demarcy-Mota au
Théâtre de la Ville, il a joué en novembre
2011 dans Le Baladin du monde occidental de John M. Synge, mis en scène
par Elisabeth Chailloux. Au théâtre, il
joue aussi bien des textes classiques
que des contemporains sous la direction, entre autres, de
Jean-Pierre Garnier, Jean-Michel Rabeux, Alain Ollivier ou
Bernard Sobel. Pour le cinéma, il a tourné dans Bien
entendu de Zabou Breitman et dans La Maison Nucingen de
Raoul Ruiz.
VALÉRIE DASHWOOD
THÉRÈSE MAGNEAU
Après avoir suivi une formation au
Cours Florent et au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, Valérie
Dashwood joue pour la première fois
dans une mise en scène d’Emmanuel
Demarcy-Mota en 1998, dans Peine
d’amour perdue de Shakespeare. Suivent Six personnages en quête d’auteur de Pirandello (2001, reprise en 2003), Ma vie de chandelle
de Fabrice Melquiot (2004), Rhinocéros d’Eugène Ionesco
(2004, reprise en 2006, re-création en 2011), Wanted Petula
(2009, reprise en 2011). Elle travaille avec Daniel Janneteau,
Jean-Yves Ruf et Ludovic Lagarde qui la met en scène en 2011
dans Un nid pour quoi faire d’Olivier Cadiot au Théâtre de la
Ville.
SERGE MAGGIANI
CHARLES PAUMELLE
Né en Italie mais installé en France depuis l’enfance, au théâtre, il a travaillé
notamment avec Claude Régy, Catherine
Dasté, Yannis Kokkos, Antoine Vitez,
Daniel Mesguich, Christian Schiaretti,
Claudia Stavisky, René Loyon, Charles
Torjman…
Avec Emmanuel Demarcy-Mota, il joue
Bérenger dans Rhinocéros.
25
PHILIPPE DEMARLE
LAURENCE ROY
LE GÉNÉRAL, ÉTIENNE LONSÉGUR
MADAME IDA MORTEMART
Après le Conservatoire, il travaille avec
Marcel Maréchal, François Rancillac,
Daniel Mesguish, Jacques Lassalle,
Joël Jouanneau, Brigitte Jaques, Stuart
Seide, Georges Lavaudant, Michel
Raskine. À partir de 2001, il joue dans
les mises en scène d’Emmanuel
Demarcy-Mota : notamment dans Ma
vie de chandelle de Fabrice Melquiot (Théâtre des Abbesses, 2004), Rhinocéros d’Eugène Ionesco (Théâtre de la
Ville, 2005, 2006 et 2011), Homme pour homme de Bertolt
Brecht (Théâtre de la Ville, 2007) et pour la création de
Wanted Petula de Fabrice Melquiot (Théâtre des Abbesses,
octobre 2009).
Formée au Conservatoire national d'Art
Dramatique de Paris, Laurence Roy a
joué notamment au théâtre sous la
direction de Stuart Seide, Frédéric BélierGarcia (La Cruche cassée de Kleist
en 2009) et Emmanuel Demarcy-Mota
(en 2006 Marcia Hesse de F. Melquiot
aux Théâtre des Abbesses). En 2011, elle
joue dans Les Acteurs de bonne foi de Marivaux mis en scène
par Jean-Pierre Vincent.
Au cinéma, c'est sous les auspices de Resnais qu'elle fait ses
débuts, avec une apparition dans Mon Oncle d'Amérique avant
de travailler avec d’autres réalisateurs comme Cédric Klapisch,
Philippe Le Guay ou Jean-Pierre Darroussin.
SARAH KARBASNIKOFF
STÉPHANE KRÄHENBÜHL
LILI
LE MÉDECIN
Formée à l’École du passage, à Théâtre
en Actes, puis à l’École supérieure
d’Art dramatique du Théâtre national
de Strasbourg d’où elle sort en 1996.
Elle travaille notamment avec Adel
Hakim, Stéphane Braunschweig, Declan
Donnellan, Agathe Alexis, Lionel Spycher.
Avec Emmanuel Demarcy-Mota, elle joue
dans Marat-Sade, Rhinocéros, Tanto Amor Desperdiçado,
Homme pour homme, Casimir et Caroline.
Formé au conservatoire d’art dramatique de Strasbourg en 1992, Stéphane
Krähenbühl a joué notamment sous
la direction d’Emmanuel Demarcy-Mota
dans Wanted Pétula, Casimir et Caroline,
Homme pour Homme, Variations
Brecht, Rhinocéros, Ionesco Suite, Six
personnages en quête d’auteur, Peine
d’amour perdue…
Fort de cette longue collaboration, il s’intéresse à la mise en
scène et travaille comme assistant sur deux créations
d’Emmanuel Demarcy Mota ; Bouli-Année zéro de Fabrice
Melquiot et récemment Victor ou les Enfants au pouvoir de
Vitrac.
ANNE KAEMPF
ESTHER
Formée au Centre national des Arts
du Cirque-spécialisation équilibres
de 1999 à 2002, elle intègre ensuite le
Conservatoire national supérieur d’Art
dramatique. Elle travaille d’abord
avec le collectif circassien Cheptel puis
participe à l’ensemble des créations
collectives en cirque-théâtre de la compagnie
La
Scabreuse.
Avec
Emmanuel Demarcy-Mota, elle travaille notamment sur la
création de Peine d’amour perdue en 1998, Marcia Hesse en
2005, Casimir et Caroline en 2010, Bouli année zéro en
novembre 2011 aux Abbesses, puis au Centquatre en janvier
2012 et Wanted Petula en décembre 2011 au Théâtre
Monfort.
26
photo répétition
TOURNÉE & RENCONTRE
TOURNEE
en cours
28, 29 & 30 mars 2012 Comédie de Saint-Étienne
4 & 5 avril 2012 La Coursive, scène nat. de La Rochelle
du 3 au 13 avr. 2013 TNB, Rennes
18 & 19 avril 2013 Théâtre de la Ville de Luxembourg
du 23 au 25 avril 2013 l’Apostrophe, Cergy-Pontoise
du 30 avr. au 4 mai 2013 La Comédie de Reims
RENCONTRES
samedi 10 mars à 16 H
À LA BIBLIOTHÈQUE CLAUDE LÉVI-STRAUSS 41 AV. DE FLANDE PARIS 19
en présence du metteur en scène
dimanche 18 mars à l’issue de la représentation
en présence du metteur en scène et des comédiens
RÉSERVATION www.theatredelaville-paris.com/rencontres-agenda-16
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