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Emmanuel Demarcy-Mota retrouve la pièce de Roger Vitrac
Victor ou les Enfants au pouvoir, créée la saison dernière, dans
la suite de Casimir et Caroline de Horváth, du Rhinocéros de
Ionesco.
Trois pièces, trois auteurs, trois visions parallèles d’un siècle que
nous venons juste de quitter. Un siècle traversé par l’horreur,
les faux espoirs, les rêves illusoires. Et qui par là même, nous a
légué le doute, un sentiment d’insécurité, d’instabilité. Toutes
choses qui habitent Emmanuel Demarcy-Mota, le poursuivent,
et qu’il retrouve chez les personnages de Vitrac, chez les enfants
tout comme chez les adultes.
«Je ne me projette pas en eux, je m’interroge sur leur manière de
vivre. Vivre l’amour et la fin de l’amour, vivre leurs relations tant
amicales que familiales. Éprouver les mensonges, les trahisons.
J’ai cherché ce qui se passe en eux et entre eux, au-delà des ques-
tions d’argent, des rivalités sociales, qui sont de l’ordre de l’anec-
dote. Je veux m’en éloigner, pour me concentrer sur les révoltes
individuelles. Révolte de chacun contre ce qu’il est devenu, ou
craint de devenir. Dans ces doutes, ces peurs, ces interrogations, je
me retrouve, même si je ne me projette jamais dans aucun person-
nage. Pas plus Victor que les autres. ».
Si Emmanuel Demarcy-Mota remet ce spectacle en action, c’est
parce que, comme avec la plupart de ses mises en scène, il
éprouve la nécessité d’aller plus loin. Non pas ailleurs, les
grandes lignes demeurent les mêmes. Et dans le cas présent, si
le décor a perdu sa blancheur, la netteté de ses murs peuplés
d’ombres fantomatiques, il raconte toujours la boîte dans
laquelle tous sont enfermés.
«Il ne s’agit pas de reprendre un spectacle, mais un travail, conti-
nuer à chercher ensemble. C’est-à-dire avec un groupe d’individus
– acteurs, qui forment un ensemble. Continuer à creuser avec eux
les thèmes de l’œuvre. En particulier ici, l’inquiétude, l’angoisse
mais aussi, aujourd’hui, la fantaisie. De toute façon, après la pre-
mière, nous continuons à répéter pendant plusieurs jours. On le
sait, à chaque spectacle il y a des moments qui font notre bonheur
pendant le travail et puis tombent à plat devant le public. Comme
on dit, ça ne passe pas la rampe… Il ne s’agit surtout pas de céder
à la complaisance. Nous gardons notre ligne et cherchons en l’af-
finant à ce qu’elle soit lisible. Avec Victor, pour y parvenir, nous
avons tenté d’équilibrer le jeu entre désarroi et fantaisie. À mon
avis, lors des premières représentations, nous avions réussi à met-
tre en place le désarroi, mais aux dépens de la fantaisie.»
Au long des représentations, au fil des tournées, le regard des
spectateurs nourri aussi leur approche, soulève d’autres ques-
tions. Ou apporte des réponses. «Le regard du public, des publics,
est évidemment indispensable. Parfois surprenant. Lorsque nous
avons joué Casimir et Caroline à Moscou ou Rhinocéros à Los
Angeles, à New York, devant des gens qui n’avaient pas vu de spec-
tacle en français depuis des années, il y a eu des réactions tout à
fait inédites, des moments inattendus. On sent que les références
ne sont plus les mêmes. Que nous sommes dans un autre monde,
à la fois proche et lointain. Alors, très naturellement, d’une autre
manière, cela irrigue notre travail.
« Reprendre une création, c’est faire apparaître des possibilités
nouvelles. C’est comme une relation humaine, amoureuse. On la
poursuit ou on se sépare. Seul le théâtre peut vous offrir ça. »
Colette Godard
REPRENDRE, CONTINUER
Si Emmanuel Demarcy-Mota reprend la plupart de ses spectacles, c’est pour aller au
bout d’une relation profonde, poursuivre une histoire artistique et humaine.