Nutrition et maladies hépatiques

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Lecture complémentaire au congrès
Gastroentérologie
Québec, 29 et 30 mai 2014
Nutrition et maladies hépatiques
Chantal Bémeur, DtP, PhD
Professeure adjointe
Département de nutrition de l’Université de Montréal
Chercheuse associée
Centre de recherche du Centre Hospitalier de l’Université de Montréal
Nutrition et maladies hépatiques
Chantal Bémeur, DtP, PhD
Professeure adjointe, Département de nutrition, Université de Montréal
Chercheuse associée, Centre de recherche du Centre Hospitalier de l’Université de Montréal
Introduction
Les maladies hépatiques regroupent diverses affections du foie qui incluent les hépatites et les
cirrhoses. Ces dernières sont des maladies chroniques du foie caractérisées par une diminution
significative du nombre d’hépatocytes et par la présence de fibrose, résultant en une
désorganisation importante et irréversible de l’architecture du tissu hépatique1. Les maladies du
foie ont impact important sur la population canadienne puisqu’elles figurent au 5e rang des
causes de mortalité et qu’elles affectent plus de trois millions de canadiens2. Un rapport
récemment publié par la Fondation canadienne du foie fait état d’une augmentation drastique de
30% en huit ans du taux de mortalité attribuable aux maladies hépatiques2.
L’étiologie de la maladie hépatique chronique (cirrhose) est multiple et inclut, entre autres,
l’alcoolisme chronique, les hépatites auto-immunes, les troubles métaboliques (hémochromatose,
maladie de Wilson,…), l’obstruction chronique des voies biliaires et la stéato-hépatite non
alcoolique (NASH). Un fait important à noter est qu’une forte association entre l’indice de masse
corporelle et le NASH a été rapportée3. Considérant que, selon l’Organisation mondiale de la
santé, l’obésité a atteint les proportions d’une épidémie en 2010 et que la prévalence d’obésité ne
cesse de s’accroître, les cas de cirrhose induite par le NASH pourraient potentiellement
augmenter dans les années à venir.
Maladie hépatique et malnutrition
L’intégrité fonctionnelle du foie est essentielle pour l’approvisionnement en nutriments tels que
les glucides, lipides et protéines. Le foie joue un rôle fondamental dans le métabolisme
intermédiaire. Par exemple, le foie contrôle la synthèse, l’entreposage et la dégradation du
glycogène tandis que les hépatocytes expriment les enzymes qui leur permettent de synthétiser
le glucose à partir de différents précurseurs comme les acides aminés, le pyruvate et le lactate
(néoglucogenèse). De plus, le foie est un site majeur où ont lieu la dégradation des acides gras et
la synthèse des triglycérides. Le catabolisme des acides gras fournit une source alternative
d’énergie lorsque l’apport en glucose est limité comme, par exemple, lors du jeûne. Le foie joue
également un rôle-clé dans la synthèse et la dégradation des protéines. Ainsi, lorsque le foie
devient insuffisant, l’homéostasie métabolique est interrompue et de multiples problèmes
nutritionnels surviennent.
La malnutrition, présente chez 65-95% des gens atteints de maladie hépatique4,5, est associée à
un risque élevé de développer des complications telles que l’encéphalopathie hépatique. Celle-ci
est un désordre neuropsychiatrique et cognitif complexe qui augmente également le risque de
mortalité chez le patient cirrhotique6-8. De plus, la malnutrition est un important facteur
pronostic de l’issue clinique en terme de durée d’hospitalisation, morbidité pré- et posttransplantation hépatique, qualité de vie et survie9-11. Plusieurs facteurs contribuent au
développement de la malnutrition lors de maladie hépatique chronique12 (Figure 1).
1
Figure 1: Facteurs contribuant à la malnutrition lors de maladie hépatique chronique
Évaluation de l’état nutritionnel lors de maladie hépatique chronique
Malgré la multitude de conséquences néfastes liées à un mauvais statut nutritionnel lors de
maladie hépatique, la malnutrition est fréquemment sous-diagnostiquée. En effet, la maladie
hépatique interfère avec les biomarqueurs habituellement utilisés pour l’évaluation du statut
nutritionnel. Plus précisément, les méthodes traditionnellement utilisées pour l’évaluation de
l’état nutritionnel (incluant les niveaux plasmatiques des protéines synthétisées par le foie, le
décompte lymphocytaire et les mesures anthropométriques) sont confondues par les
changements au niveau métabolique, de la composition corporelle et de la fonction immunitaire
qui se développent lors de maladie hépatique, indépendamment de l’état nutritionnel. Ainsi, le
rôle des diététistes/nutritionnistes est essentiel afin d’évaluer de façon rigoureuse le statut
nutritionnel des gens atteints de maladie hépatique chronique.
Approche nutritionnelle
Le soutien nutritionnel élaboré par les diététistes/nutritionnistes est primordial, donc fortement
recommandé, chez tous les patients atteints de maladies hépatiques chroniques en vue de
réduire les risques de malnutrition associés aux maladies du foie.
2
Les principaux objectifs de l’approche nutritionnelle sont de1:
 Favoriser la régénération du tissu hépatique
 Prévenir ou corriger la malnutrition
 Prévenir ou traiter les complications associées à la maladie hépatique
Afin d’atteindre ces objectifs, les diététistes/nutritionnistes opteront, de façon générale, pour les
stratégies suivantes1:
 Déterminer les besoins nutritionnels en tenant compte:
De la nature et de la gravité de la maladie hépatique;
De l’état nutritionnel du patient;
De la pharmacothérapie prescrite.
 Fournir un apport alimentaire qui tient compte:
Des habitudes alimentaires de la personne;
De ses capacités à se nourrir et de sa tolérance à l’égard de certains aliments;
De l’état de sa fonction gastro-intestinale.
 Évaluer régulièrement l’ingestion alimentaire pour vérifier l’efficacité du traitement
nutritionnel
Recommandations nutritionnelles
Voici les recommandations nutritionnelles générales pour les gens atteints de maladie hépatique
chronique13 (Tableau 1)
Tableau 1: Recommandations nutritionnelles générales pour les patients atteints de maladie hépatique chronique.
Nutriment
Énergie
Recommandation
35 à 40 kcal/kg de
poids corporel
Protéines
1.2 à 1.5 g/kg de poids
corporel
45 à 75% de l’apport
énergétique
20 à 30% de l’apport
énergétique
Suppléments de
multivitamines
Suppléments de zinc,
magnésium et sélénium
Glucides
Lipides
Vitamines
Minéraux
Note
Suffisant pour rétablir/maintenir l’état nutritionnel
et favoriser la régénération hépatique (ajuster pour
patients obèses)
Dépendamment de la sévérité de la malnutrition
(ajuster si maladie rénale)
4 à 6 repas/jour riches en glucides
Ajuster si stéatorrhée
Attention particulière aux vitamines liposolubles;
corriger les déficits spécifiques
Corriger les déficits spécifiques
3
Les recommandations nutritionnelles en matière de maladie hépatique visent également la
prévention ou l’atténuation de l’encéphalopathie hépatique qui affecte jusqu’à 80% des patients
cirrhotiques14. Un groupe d’experts a récemment élaboré des lignes consensus15 dont voici les
faits saillants (Tableau 2). Il est important de noter que la restriction protéique,
traditionnellement utilisée pour traiter l’encéphalopathie hépatique, est à proscrire (sauf pour de
très courtes périodes chez certains patients présentant des saignements gastro-intestinaux; un
ajustement est nécessaire pour les patients souffrant également de maladie rénale). Un apport
protéique optimal est donc essentiel chez les patients souffrant d’encéphalopathie hépatique afin
de prévenir le catabolisme protéique, préserver la masse musculaire et optimiser l’état
nutritionnel.
Tableau 2: Recommandations nutritionnelles pour la maladie hépatique chronique et l’encéphalopathie hépatique.
Nutriment
Énergie
Recommandation
35 à 40 kcal/kg de
poids corporel
Protéines
1.2 à 1.5 g/kg de poids
corporel
Glucides
45 à 75% de l’apport
énergétique
25 à 45 g/jour
Suppléments de
multivitamines et
minéraux
Fibres
Vitamines et
minéraux
Note
Petits repas fréquents distribués tout au long de la
journée; collation en soirée recommandée pour
éviter le “jeûne” durant la nuit (ajuster pour patients
obèses)
Encourager alimentation riche en protéines
provenant des produits laitiers et d’origine végétale;
considérer la supplémentation en acides aminés à
chaîne ramifiée si intolérance aux protéines
provenant des produits laitiers
4 à 6 repas/jour riches en glucides
Corriger les déficits spécifiques
Conclusion
Les maladies du foie affectent de nombreux Canadiens et entraînent des problèmes nutritionnels
importants. Étant donné que la malnutrition, lors de maladie hépatique chronique, est associée à
des complications cliniques graves et augmente le risque de mortalité, son identification précoce
est essentielle. En effet, un diagnostic de la malnutrition a le potentiel d’identifier les patients
cirrhotiques à risque et ceux qui peuvent bénéficier d’une intervention nutritionnelle ciblée. De
plus, l’optimisation du statut nutritionnel chez les patients cirrhotiques est primordiale afin
d’améliorer leur qualité de vie et d’assurer leur survie. En outre, un état nutritionnel optimal est
essentiel afin d’être éligible à la transplantation hépatique et aussi afin d’améliorer le pronostic
post-transplantation.
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Références
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Québec, Révision 2012.
2. Liver Disease in Canada, a crisis in the making. Canadian Liver Foundation, Mars 2013
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7. Bismuth M et al. 2011. Hepatic encephalopathy: from pathophysiology to therapeutic
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