Dossier mt pédiatrie 2012 ; 15 (1) : 38-42 Pédiatrie : démarche palliative, droit des malades en fin de vie* Paediatrics : Palliative procedure, patients’right at the End-of-Life Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Marcel-Louis Viallard EA 4659, Département « Médecine, Vulnérabilité, Ethique, Société », Université Paris Descartes, PRES Sorbonne Paris Cité, France <Marcel-louis. [email protected]> EMASP Pédiatrie & Adulte, Necker Enfants Malades, APHP, 149, rue de Sèvres 75015 Paris, France Résumé. La loi française sur le droit des malades en fin de vie introduit la notion de traitement déraisonnable, l’obligation de décision collégiale et de respect des directives anticipées. Elle reste relativement silencieuse sur les situations pédiatriques complexes. La notion du respect du sujet dans ses vulnérabilités est questionnée. La collégialité facilite un travail de raison partagée et permet une approche éthique qui est détaillée. Les notions de « prendre soin » et de « déraisonnable » au cours d’une démarche palliative sont présentées. Une réflexion éthique sur la notion du temps en soins palliatifs est proposée Quelques spécificités de la démarche palliative en pédiatrie sont discutées. Mots clés : démarche palliative, pédiatrie, droit des patients, fin de vie Abstract. French law about patients’right at the End-of-Life introduce some notions like unreasonable obstinacy, obligation of collegially decision and respect of anticipated patient’s instructions. Law says nothing about complex paediatric cases. The notion of human person’s respect, with her vulnerability is questioned. Collegiality makes easier a shared work of reason and an ethical approach of the complex situation which is detailed. Taking care and unreasonable notions during a palliative procedure is introduced. An ethical reflexion about the notion of time in palliative medicine is proposed. Some specificity of paediatric palliative care are discussed. Key words: palliative procedure, paediatrics, patients’right, end-of- life L Tirés à part : M.-L. Viallard sujet. La notion de dignité a à voir avec le sujet lui-même. De même elle replace le sujet dans une position d’acteur et de non de spectateur dans les décisions qui le concernent. À défaut, le sujet peut être représenté par une personne de confiance qu’il a librement désignée. Dans le cas particulier de l’enfant, ce seront ses parents ou leur substitut qui occuperont cette place de personne de confiance. Pédiatrie : démarche palliative, droit des malades en fin de vie Le sujet est au centre de toutes les préoccupations dans ses vulnérabilités, avec tous ses possibles comme tous ses impossibles. ∗ Avertissement : Ce travail est le fruit de la synthèse proposée à la fin de la journée organisée par l’équipe régionale ressource en soins palliatifs pédiatriques de l’Île de France (PALIPED) le 31 mai 2011 à Paris sur le thème « Loi Léonetti et pédiatrie » dont le programme est consultable sur internet à l’adresse : http://www.rifhop.net/paliped/journee-du-31-mai-2011 Pour citer cet article : Viallard ML. Pédiatrie : démarche palliative, droit des malades en fin de vie. mt pédiatrie 2012 ; 15(1) : 38-42 doi:10.1684/mtp.2012.0419 38 doi:10.1684/mtp.2012.0419 mtp a loi française sur le droit des malades en fin de vie représente une avancée dans la gestion médicale, soignante et humaine des situations de fin de vie complexes. Elle permet en effet aux professionnels de privilégier à la fois la volonté et les intérêts de la personne malade. La loi introduit la notion de traitement déraisonnable et facilite ainsi l’évitement de tout acharnement thérapeutique en introduisant l’obligation de décision collégiale et de respect des directives anticipées. La loi ne résout pour autant pas tous les problèmes éthiques rencontrés en fin de vie. Elle reste relativement silencieuse sur les situations pédiatriques complexes. Cependant, elle redonne au patient (qu’il soit adulte ou enfant) sa place première et essentielle de Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. La vulnérabilité n’est pas que le fait du sujet malade, qu’il soit nouveau-né, enfant, adolescent, adulte ou vieillard. Les professionnels doivent aussi ne pas oublier qu’ils ont au-delà de leurs compétences, de leurs possibles, eux aussi leurs impossibles, leurs vulnérabilités. La collégialité imposée pour l’instruction de toute décision médicale est un impératif qui participe à l’émergence du respect du sujet comme acteur de sa vie, de son temps, de ses intérêts. Aussi vulnérable qu’il soit, malgré ses incapacités liées à son âge, à sa pathologie ou à toute autre raison, le sujet pourra bénéficier de regards, d’approches et compétences croisées de façon à questionner ses intérêts au plus près de leur possible expression. La collégialité induit comme impératif de ne pas décider seul, de confronter sa rationalité comme ses ressentis et ses projections ou interprétations avec celles des autres. Elle facilite l’impérieuse nécessité de sortir d’une attitude projective d’appropriation voire d’identification qui peut être « désujettisante », plaçant le sujet en position « d’objet » de désir, d’illusion, etc. Elle permet de rendre au sujet toute sa place. Il en est de même pour l’entourage (et donc pour les parents). Le sujet est ainsi pris en considération en tant que tel et au-delà de ceux qui le représentent. Les parents, les conjoints, les enfants, les frères ou sœurs, les proches, quel que soit l’âge, sont des tiers représentants indiscutablement, mais le sujet lui, prime. Le simple fait d’être, lui donne le statut central. Il paraît difficile objectivement de consentir pour autrui. Tout au plus pouvons-nous prétendre que ce qu’à quoi nous consentons nous paraît le plus raisonnable, le moins mauvais à défaut du mieux. Cela un peu dans la notion reprise par Kant [1] quand il conseille de ne pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas que l’on nous fît. La collégialité facilite aussi l’émergence d’un possible travail de raison partagée. Elle permet aussi de garantir une approche éthique par étapes. La première approche étant celle de l’éthique de conviction, moment d’expression de la visée éthique qui va être confrontée à l’obligation morale comme l’a décrit Paul Ricœur [2]. C’est le moment où chaque acteur peut exprimer sa capacité à vouloir (voire pouvoir) le bien ou le moins mauvais pour l’autre que lui. Le moment où chacun exprime l’estime de soi qui participe à l’expression de ce qu’il est, comme il est (son background socioculturel). C’est aussi le moment pendant lequel vont se mobiliser à la fois ces connaissances, ses croyances, ces projections et interprétation. La seconde étape est celle de l’éthique de discussion ou le « Je » (le en-soi) rencontre le « tu » (l’autre que soi) comme le « Il » (le tiers présent ou absent). La seconde approche, celle de l’éthique de la discussion est l’instant des échanges, de la rencontre, de la confrontation des convictions, des ressentis, des interprétations voire projections des uns et des autres. Viens ensuite l’étape de l’approche en responsabilité, qui amène chacun à identifier ses possibles, ses impossibles, en d’autres termes les limites de soi, de l’autre, des autres comme celle du tiers absent (en d’autres termes de la société). La question des limites est probablement cruciale en ce qu’elle ramène chacun à ce qu’il est, un être-là au monde. Au monde, dans un monde qui n’est pas centré sur lui. Ce n’est pas lui qui est le monde ni le monde qui est lui. Il est simplement mais totalement être dans le monde, monde non nécessairement pensé pour lui, parfois hostile, parfois si étranger à lui qu’il n’en sait que peu. Comme quoi Platon avait raison de faire dire, en substance, à Socrate dans son apologie : « Je ne sais qu’une chose c’est que je ne sais pas tout ou si peu, il me reste tant à apprendre ». Derrière la question des limites, des possibles ou impossibles, il y a celle du doute. Doute non pas comme paralysant mais bien comme moteur, comme désir de rencontre, d’aller au plus loin dans le monde pour le mieux connaître. Connaître n’est pas maîtriser. Ce pourrait être le chemin pour développer une étape complémentaire qui pourrait être une éthique de finitude. Finitude, non pas comme renoncement, soumission, repli sur soi, obnubilé que l’homme pourrait être de sa condition mortelle, mais finitude au sens d’aller vers la fin en soi plus que vers la fin de soi. La fin en soi étant d’être, totalement être, dans ce monde malgré les étrangetés auxquels il me confronte, préservant le sens d’être à chaque instant, en toute circonstance. La condition de mortel n’est qu’un fait, une réalité, une limite qui ne doit en rien empêcher le vivre, la vie, le sens et la mobilisation de soi. Chaque singularité étant participative à l’émergence du sens partagé, d’une part de sens commun permettant à chaque être humain de dire, à sa façon, dans ses limites, avec ses doutes de l’humain, du sens. Cela malgré l’incertitude de l’être-aumonde. La collégialité, plus particulièrement quand elle est ouverte à tiers neutres et bienveillants est un outil utile pour sortir celle ou celui sur qui pèse la responsabilité de la décision de la solitude décisionnelle. Elle lui garantit la prise en considération des différentes dimensions du questionnement nécessaire qui mobilisent les grands principes cardinaux de l’éthique : liberté, responsabilités, autonomie, bienfaisance, non-malfaisance, etc. Prendre soin comme objectif premier Beaucoup de ce qui vient d’être décliné est dans la rencontre, dans la présence à l’autre pour faire face à cette incertitude d’être-au-monde. De moi, de l’être, de l’homme, l’autre m’en dit, m’en témoigne tout autant que je peux le faire. Autrement dit, c’est ensemble, au sein de la rencontre, qu’ensemble nous disons de nous, de soi comme de l’autre de soi. Ensemble nous pouvons partager cette incertitude, cette inquiétante étrangeté du monde et ainsi dépasser notre simple singularité. C’est pourquoi nous pouvons considérer que soigner, prendre soin, c’est d’abord et avant tout rencontrer [3, 4]. La rencontre mt pédiatrie, vol. 15, n◦ 1, janvier-février-mars 2012 39 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Pédiatrie : démarche palliative, droit des malades en fin de vie 40 permet de penser l’éthique au-delà des convictions, dans la discussion, en responsabilité, malgré les limites dans la finitude qui n’est autre que la possible projection de l’être au sein du monde dans un « advenir » (au sens avenir dont le sujet reste acteur). Le déraisonnable est une notion qui ne peut qu’interroger. Une décision, un acte, un dire peut être déraisonnable mais pour qui ? Pour quoi ? En quoi ? Il y a là aussi appel au sens, travail de raison et questionnement de nos projections, de nos interprétations, de nos émotions. Là encore, il est nécessaire de dépasser les seules connaissances médicales ou techno-scientifiques et d’élargir les champs de notre questionnement éthique et donc nos actions soignantes et humaines. Les notions de raisonnable ou de déraisonnable, d’approprié ou non, invitent à décliner l’offre de prise en charge comme un projet de vie et de soins partagé avec le sujet lui-même. C’est le cœur même de la démarche palliative. Ce projet de soin se conçoit comme partagé avec le sujet −enfant, adulte ou vieillard −considéré comme acteur (efficient ou potentiel s’il ne le peut être) de sa vie, de son désir, de son aspiration. Cette notion de projet partagé implique également la prise en considération du projet de vie, des désirs, de la qualité « d’acteurs » des parents en pédiatrie tout particulièrement voire même des professionnels soignants. S’inscrire dans une telle perspective nécessite du temps. Il est donc important de penser le temps. Penser le temps Dans la réalité clinique et accompagnante, la question du temps revient régulièrement. En médecine palliative, on évoque souvent le fait que le temps du patient n’est pas le même que celui des entourages ou que celui des soignants. On parle des temps des uns et des autres et de ces temps qui se croisent. Cette conception mérite que l’on s’y arrête car elle est probablement, en pédiatrie, bien plus prégnante et plus indispensable à penser que ce soit en néonatalogie, en oncohématologie pédiatrique, dans le champ des pathologies génétiques, la mucoviscidose, ou en neuropédiatrie. On pourrait, à la suite des travaux de François Jullien [5], tenter de penser le temps comme un moment. Le temps, tel qu’il est habituellement pensé en Occident est un concept extensif. Il a un début et une fin. Le moment, lui, est intensif. Il n’a ni début ni fin, simplement il est ! De fait penser le temps comme un moment amène à « se tourner vers » le sujet nous dit ce philosophe. C’est en cela que penser le temps en moment participe à donner sens et consistance à ce que l’on appelle « disponibilité » et pourquoi pas à la notion d’accompagnement. La disponibilité se pense alors selon le moment : un projet de vie et de soin qui évolue au gré du moment qui appartient au sujet et que l’on traverse avec lui, à ses côtés, à notre place. Dès lors, la disponibilité ne peut plus s’envisager comme simple intériorité, simple intentionnalité, simple visée éthique théorique. Elle oblige à se tourner vers le sujet et non seulement vers le projet de soin ou de vie qui n’est, de fait, que moyen, ou plutôt, tentative d’expression d’un compromis entre le sujet lui-même en tant que tel, les parents ou le tiers représentant, les soignants ou professionnels et la société elle-même. Le sujet est placé en ad-venir même sans avenir, comme acteur jusqu’à sa mort tout au long de sa vie, serait-elle brève voire fugace. Par ailleurs, la pensée de F. Jullien est un éclairage innovant qui peut être fort utile dans les situations complexes notamment en pédiatrie [6]. Si l’on pense la vie sans l’horizon du temps, comme passage d’un début vers une fin, comme extension de l’être en somme, la question du sens de cette traversée de ce temps se pose : à quoi bon ? À quoi bon aller d’ici à là ? De sa naissance à sa mort ? Si l’on pense le vivre selon l’occurrence du moment, comme transition continue, un moment appelant l’autre, chaque moment se justifiant par leur variation, la question « à quoi bon ? » se dissout. La disponibilité à l’autre, le prendre soin, peut être pensée comme l’être « d’emblée là », « branché sur » l’appel que l’autre lance comme sujet, en ce qu’il m’incite mais aussi « branché sur » l’incitation qui nous vient du moment du monde. Le projet de vie et de soin n’est pas nôtre, il est celui du sujet, au sein d’un compromis qui le rend alors « accessible » (donc assumable) par les autres que lui, parents, soignants, société. Nous sommes ainsi renvoyés à la nécessité de questionner la notion du « bien », du « bon ». Question du « Bien », du « Bon », du « Juste » La question du « Bien », du « Bon » ne peut que laisser place au « Juste ». Juste en termes de bénéfices, en termes de possibles. Ne faire, si faire est nécessaire, que ce qui participe au moins « mal-être » du sujet, à son « mieux-aller ». Non pas empêcher de mourir, ni faire mourir, mais simplement laisser vivre, au mieux qu’il est possible jusqu’au terme de sa vie. En d’autres termes, laisser mourir au terme naturel de la vie en assurant un confort optimal et une expression du sujet autant que se peut dans ces limites comme dans les nôtres. Ce terme naturel est la mort, non comme un temps appelant sens car sens il n’y a pas, il ne peut y avoir dans la mort. La mort considérée comme instant, moment occurrent, naturel, comme extension ultime du possible du vivant, de l’être. Cela nous renvoie, en substance, à l’idée de mt pédiatrie, vol. 15, n◦ 1, janvier-février-mars 2012 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Schopenhauer : « Ce que je peux dire de la mort est à propos de la mort de l’autre en ce qu’elle m’interpelle, me bouscule, m’émeut, me mobilise. . . » Il en est de même de la souffrance de l’autre qui est à propos de l’idée que j’en ai, de ce que je ressens, interprète, appréhende, de la souffrance de l’autre et à l’épreuve de la souffrance. Autrement dit quand on parle de la mort ou plutôt du mourir de l’autre comme de sa souffrance, c’est bien plus de notre propre souffrance que nous pouvons parler. Cela parce que nous sommes dans un moment partagé de rencontre et que du fait de notre simple présence à l’autre, cet autre que moi, si semblable à moi, m’est accessible dans ce que l’un et l’autre disent de soi comme de l’autre que soi. Existe-t-il une spécificité de la démarche palliative en pédiatrie ? Si l’on s’en tient à la réflexion éthique, à la prise de décision, à la notion de projet de vie et de soin, il n’existe aucune spécificité à l’approche palliative en pédiatrie par rapport à la médecine d’adulte. L’enfant étant à considérer comme sujet, acteur, de sa vie. Il est être-au monde, pleinement et en absolu. En revanche, les pathologies rencontrées, les enjeux, le fait que l’enfant est inscrit dans un projet parental, la place de l’enfant dans nos sociétés et dans nos conventions socioculturelles comme le retentissement émotionnel induit par la maladie grave ou le mourir de l’enfant font qu’on peut considérer qu’existent certaines spécificités. Les questionnements, les outils utilisés, les grandes lignes de la démarche sont identiques en médecine adulte et en pédiatrie. Ce qui peut être considéré comme spécificité est probablement la nécessité de conserver un cadre pédiatrique de la prise en charge qui de façon générale se décline par une approche globale prenant en compte le projet parental et le degré de développement de l’enfant comme sa capacité, parfois relative à dire pleinement de lui. De ce point de vue, la médecine palliative adulte a à apprendre de la pédiatrie. Cela étant, en médecine adulte, le poids des entourages, des parents, des enfants du sujet sont tout aussi prégnants. On est, tout au long de sa vie, la fille ou le fils, la mère ou le père, l’ami(e), etc., de quelqu’un. On peut être dans l’impossibilité de « dire de soi » tout au long de la vie et à tous âges. Cependant, l’enfant, surtout en période néonatale ou en cas de pathologie polyhandicapante ou lourdement handicapante, n’a jamais eu l’occasion, ou si peu, de dire, d’exprimer de lui en tant que tel, là réside une spécificité singulière à la pédiatrie. Tout ce qui est dit de lui, l’est par un tiers, ses parents en particuliers. Ce tiers dit de lui en ce qu’il en espérait et espère parfois encore, en ce qu’il projette et interprète. Il est d’autant plus difficile d’avoir une idée relativement précise du désir, du projet de vie autonome de l’enfant pour faire simple. Le poids émotionnel ne peut être éludé. Même si une étude des statistiques de mortalité nous rappelle que la mort de l’enfant ou de l’adolescent est une réalité, nous avons bien du mal, dans nos sociétés occidentales, à considérer qu’un nouveau-né, qu’un enfant, qu’un adolescent puisse mourir. Chaque mort est « scandale » et bouleversement, celle d’un enfant encore plus. Ainsi sommes-nous « construits » en tant qu’humains, nous pensons que la naissance est porteuse d’un avenir, que la mort ne peut intervenir qu’après une vie longue et aboutie. Nous oublions très facilement notre condition de mortel et imaginons que la mort ne peut intervenir qu’à un grand âge. Les morts « précoces » nous interpellent d’autant plus que nos sociétés, enfermées dans une illusion de « maîtrise » quasi absolue, nous amènent à quasiment nier la mort. La mort d’un enfant est d’autant plus « scandaleuse » qu’elle nous bouleverse mais aussi qu’elle nous renvoie brutalement à nos impossibles malgré nos capacités techno-scientifiques. Simple rappel d’une réalité humaine qui nous est insupportable. Une autre spécificité en pédiatrie, est l’incertitude sur le devenir, l’évolution de telle ou telle pathologie, l’incapacité de dire ce que sera l’évolution propre de l’enfant en cas de handicap ou de pathologie rare évolutive notamment. Par ailleurs, l’enfant n’est pas un « adulte en miniature » [7]. L’enfant présente des symptômes similaires à ceux des adultes mais qui nécessitent une approche et une analyse spécifiques que les pédiatres connaissent. La démarche palliative en pédiatrie ne se conçoit qu’en lien avec le pédiatre et le médecin généraliste référents de l’enfant (et des parents). Cela étant dit, nous pensons qu’en médecine d’adulte, le lien avec le médecin spécialiste d’organe et le médecin généraliste référents du patient est tout aussi indispensable. Cela est bien explicite dans l’idée que les médecins et soignants exerçant en soins palliatifs ne se substituent pas à ces professionnels référents mais se présentent en posture de tiers, neutres, bienveillants, mettant à la disposition des patients une compétence spécifique à la médecine palliative comme complément possible tout comme ils sont disponibles pour une aide à la décision en situation critique. Cette collaboration est indispensable nous semble-t-il. Autres spécificités : – l’enfant est en cours de développement, en cours d’autonomisation, il a des besoins spécifiques non seulement physiologiques mais aussi en termes d’éducation par exemple ; – il n’existe pas d’unité d’hospitalisation de soins palliatifs pédiatriques comme pour l’adulte ; il existe des équipes mobiles référentes spécifiques, des équipes régionales ressources en soins palliatifs pédiatriques ; – l’enfant, l’adolescent ont un rapport à la mort différent de celui de l’adulte ; mt pédiatrie, vol. 15, n◦ 1, janvier-février-mars 2012 41 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Pédiatrie : démarche palliative, droit des malades en fin de vie 42 – la mort de l’enfant ou de l’adolescent peut être envisagée au domicile, en institution médico-sociale comme à l’hôpital et nécessite une organisation particulièrement attentive prenant en compte l’anticipation de l’après-décès pour les parents et l’entourage. La fratrie, les grands parents, l’entourage familial nécessitent une approche attentive dans le contexte des soins palliatifs pédiatriques. Les équipes référentes en soins palliatifs peuvent être utiles et efficientes, aux côtés des pédiatres, pour développer une démarche palliative et accompagnante optimale. Si la loi ne résout pas tout, qu’elle est relativement silencieuse sur les situations pédiatriques (néonatales en particulier), c’est probablement du fait, d’une part, d’une complexité toute singulière ne permettant pas une « généralisation systématisée ou englobante » de certaines situations pédiatriques mais, d’autre part, parce que bien des questionnements comme leurs modalités sont communs avec la médecine adulte. Le développement des collaborations, des échanges entre équipes de soins palliatifs adultes ou pédiatriques et équipes pédiatriques facilitera la diffusion de la démarche palliative au bénéfice des nouveau-nés, enfants et adolescents qui le nécessitent. Conflits d’intérêts : aucun. Références 1. Kant E. Critique de la raison pratique. (Traduction de F. Picavet). Paris : PUF, Collection Quadrige, 2007 : 1-11. 2. Ricœur P. Avant la loi morale : l’éthique, Encyclopedia Universalis. Edition DVD-ROM 2010. 3. Viallard ML. Prendre soin est solidarité humaine au-delà du seul soigner. Au-delà des moyens : l’inculturation. Med Pal. 2008 ; 7 : 1-3. 4. Viallard ML. Pour une approche transculturelle du soin : soigner l’homme, nécessite de le comprendre. Med Pal. 2008 ; 7 : 117-8. 5. Jullien F. Du « temps » : Éléments d’une philosophie du vivre. FJ. Grasset. « Le collège de philosophie » 2006 : 29-65. 6. Jullien F. Du « temps » : Éléments d’une philosophie du vivre. F.J. Grasset. « Le collège de philosophie » 2006 : 67-93. 7. Humbert N. La spécificité des soins palliatifs en pédiatrie. In : Les soins palliatifs pédiatriques (Sous la direction de Nago Humbert). Montréal : Éditions Hôpital Sainte Justine, Collection « Intervenir », 2004 : 18-38. mt pédiatrie, vol. 15, n◦ 1, janvier-février-mars 2012