Lire un extrait - Editions Persée

publicité
INTRIGUES
Quentin Peuron
Intrigues
La course au pouvoir
Science-fiction
Éditions Persée
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements
sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.
Consultez notre site internet
© Éditions Persée, 2016
Pour tout contact :
Éditions Persée – 38 Parc du Golf – 13 856 Aix-en-Provence
www.editions-persee.fr
À mon grand-père,
parti trop tôt
pour lire cette histoire
PROLOGUE
Année 1108
Le soleil s’était couché depuis déjà quelques heures lorsque
Malé se réveilla. Elle s’assit au bord de son lit, non sans peine,
enfila ses vieilles chausses tout usées et se leva en lâchant un petit
cri de douleur ; son mal de dos ne faisait qu’empirer et ses genoux
ne rajeunissaient pas non plus. Elle alla raviver le feu et se servit,
dans un bol de terre ébréché, l’insipide ragoût de la veille où traînait malgré tout un fumet de viande rassis. Malé prit son récipient
et sortit pour le consommer. En mangeant, elle observa longuement l’étang où se reflétait la pleine lune. L’air charriait une vague
odeur de résine, peut-être due à la forêt qui s’étendait derrière les
bosquets. Soudainement, une brise glaciale se leva et vint cingler
la peau ridée et desséchée de la vieille femme ; alors, elle sut. Elle
lâcha le bol dont le contenu se répandit au sol et tacha sa robe grise.
Elle ne s’en préoccupa pas et contourna ce qui lui servait de maison ; plus qu’une cabane qu’un logis. Elle entra dans l’enclos où
ne subsistaient qu’une chèvre, une portée de lapins et un porcelet
dont la mère servait de repas aux mouches et dégageait une odeur
nauséabonde. Malé couvrit son nez du mieux qu’elle put, se saisit
d’un bâton trouvé au sol et assomma la chèvre qui, surprise, ne se
débattit pas. Elle saisit les pattes de l’animal et la traîna difficile7
ment jusqu’à sa maison où elle l’installa sur la table, en fulminant
contre le poids de la bête. Après s’être remise de ses efforts, elle
sortit d’un coffre en bois son trésor le plus inestimable, une dague
sacrificielle. Elle la sortit du tissu qui l’entourait, souleva la tête de
la chèvre de ses doigts décharnés et trancha d’un coup sec et sûr
la gorge de l’animal. Dans une vasque, elle recueillit le sang qui
s’était mis à couler abondamment. L’écoulement terminé, elle prit
la coupe, trempa son pouce droit dans le liquide et se l’appliqua
sur ses lèvres craquelées. Le reste, elle le jeta dans les flammes qui
prirent alors une teinte rougeâtre. Ensuite, de sa voix enrouée, elle
clama : « J’en appelle à la Déesse, mère des cieux et de la glèbe,
mère de toutes choses, mère nourricière. Par ce sacrifice, je vous
en conjure, éclairez-moi sur le futur d’Hordrid. »
La réponse fut presque immédiate, ses yeux se révulsèrent et
elle s’écroula aussitôt au sol. Entre deux violents spasmes, elle
articula d’une voix qui n’était pas la sienne ces quelques mots :
Une enfant née du sang unique
Qui connaîtra la fin de la bonté
Et le règne de la misère
Devra, quand se révélera l’Ombre profanée,
Faire un choix dont dépendra la destinée de tout un peuple.
8
CHAPITRE 1
Année 1534
Cette année-là fut la onzième année de mariage entre Morgann
Taari, du duché du même nom et du roi Elrond Vifardent. En conséquence, et comme l’exigeait la tradition hordridoise, le jour fut venu
pour le couple de reprononcer ses vœux devant la Déesse. Le jour du
remariage étant arrivé, Elrond se rendit dans le temple de Tyr Yas, la
capitale, et attendit. Il patienta pendant plus de quinze minutes lorsque
Morgann arriva, accompagnée de ses dames de compagnie. Elle était
vêtue d’une robe de soie pourpre et arborait sur sa tête une couronne
de fleurs, qui embaumait l’air putréfié de Tyr Yas. Lorsqu’elle arriva
à hauteur du monarque, elle saisit ses doigts moites, et ensemble
ils se tournèrent vers la Grande Prêtresse du culte de la Déesse. La
très vieille femme, en recommandant leur union, noua leurs poignets
d’un ruban de soie grise, la couleur du culte. Ce rituel accompli, tous
ceux qui étaient présents s’agenouillèrent devant le couple royal et
crièrent comme une personne : « Vive le Roi ! Vive la Reine ! » Le
banquet qui suivit fut d’un faste tel qu’il aurait été insolent de ne
pas inviter le peuple à rejoindre les nobles à la Tour-Justice, siège de
la famille régnante. Le nombre de convives fut tellement important
que la salle du trône pourtant immense ne suffit et l’on dut ouvrir de
nouvelles pièces. Les cuisines ne chômèrent pas non plus et des cen9
taines de plats en sortirent : terrines, veloutés, pâtés, volailles, fruits
de mer, sauces aux épices, fruits exotiques, sucreries… On sortit
également des caves les meilleurs vins, les meilleures liqueurs, ce
qui fit le bonheur des plus pauvres comme des plus riches. Asthrid,
vêtue d’une robe azur qui rehaussait ses longs cheveux blonds, était
présente, en retrait, assise sur un banc, observant seigneurs et paysans, si bien que le jeune homme qui se présenta à côté d’elle lui fut
comme invisible. Jusqu’à ce qu’il bouge et qu’Asthrid ne le voit. Ses
joues alors virèrent au rouge et, honteuse, elle lui dit :
— Veuillez m’excuser, j’étais plongée dans mes pensées. Encore
pardon, Lord… ?
— Xavyer. Mais je ne suis pas lord. Juste Xavyer.
— Oh, désolée, dit-elle en se couvrant la bouche, confuse, si je
vous ai offensé…
— Non, Madame. Vous ne m’avez offensé en aucune façon. J’ai
eu le courage de venir, mais en aurais-je pour vous parler ?
— Dites-moi quoi faire pour me faire pardonner, le pressa-t-elle.
— M’accorderiez-vous cette danse ?
— Me… deman… danse…, souffla Asthrid, les yeux écarquillés,
le souffle court, les battements de son cœur en accélération.
— Vous ne voulez pas. Je le vois bien, je m’en vais. Excusez-moi !
Le jeune homme commençait à partir, avec un visage où se lisait
la déception, lorsque Asthrid le rattrapa et lui dit :
— Une danse, pourquoi pas ?! Le visage de Xavyer s’éclaira et il afficha à Asthrid un grand
sourire.
Après plusieurs danses où elle démontra sa capacité à valser, elle
remercia Xavyer d’un baiser, ce qui le fit rougir comme une pivoine,
et se retira dans ses appartements. De là, elle put admirer la cité tout
éclairée par les feux d’artifice tirés depuis la tombée de la nuit, avant
de sombrer dans un profond sommeil.
10
CHAPITRE 2
Les nuits qui suivirent les noces royales furent pour Asthrid
très agitées. Chaque nuit, elle se réveillait, transpirant à grosses
gouttes, haletante, ses mains tremblantes et ses dents claquant plus
que de raison. N’y tenant plus, elle décida de se confier au roi, son
oncle. Elle réveilla ses dames de compagnie qui la vêtirent. Elle se
rendit ensuite, au pas de course, chez le monarque. Arrivée devant
les portes, elle fut arrêtée par deux gardes éberlués de la voir à
cette heure si avancée de la nuit. Le garde de droite ne lui accorda
qu’un simple regard sans même lui adresser la parole. Le garde de
gauche, qui se grattait l’oreille, la dévisagea avant de recommencer à se curer l’oreille. Agacée, Asthrid leur dit :
— Je vous ordonne de me laisser passer.
— Personne n’entre, le roi travaille, répondit le garde de droite
sans pour autant la regarder.
— Personne ne m’inclut pas. Je suis Asthrid Vifardent.
Maintenant, écartez-vous, je dois parler au roi.
— Madame, je vous le répète, personne ne peut entrer. Nous
avons ordre de ne laisser passer personne.
— Vous outrepassez vos droits, le royaume ne…
Les portes des appartements s’ouvrirent en grand et le roi fit
son apparition. Il questionna rapidement les gardes :
11
— Que se passe-t-il ici ? Je crois me souvenir, malgré mon âge
avancé, avoir demandé à ne pas être dérangé.
— Votre Altesse ! C’est ce que nous tentions d’expliquer en
vain à la princesse Asthrid, répliqua le garde de gauche qui cachait
dans son dos ses mains souillées.
— Asthrid, rentre, veux-tu !
— Bien sûr, Votre Majesté ! répondit-elle avant de lancer aux
gardes un regard noir.
Une fois de plus, elle s’étonna des appartements de son oncle
qui étaient, malgré leur grandeur, sobres, sombres et sans charme.
Le roi se servit une coupe de vin et alla s’asseoir à son bureau.
Asthrid s’approcha de lui, s’assit sur la petite banquette, et lui
exprima vivement son mécontentement :
— Mon oncle, ces gardes sont des incapables, ils sont la lie du
royaume, s’ils venaient à…
— Je sais que mon sort t’importe beaucoup, mais ce n’est pas
la question. Quelle est la raison de ta venue qui a provoqué tant de
vacarme à une heure comme celle-ci ?
— Je suis venue me confier. Depuis quelque temps, je rêve
chaque nuit d’Élinor. À chaque fois, un vautour ou un rapace quelconque fond en piqué sur la ville et lorsqu’il repart, la ville est
dévastée, en ruines.
— Dis-moi, Asthrid, n’aurais-tu pas abusé du vin ? Les rêves ne
sont que chimères, rien d’autre. Ils ne sont que l’expression de nos
peurs, mais je ne vois pas ce qui peut t’effrayer à ce point.
— Vous ne me croyez donc pas ?
— Je ne remets pas en cause ta parole, loin de là, mais je doute
sérieusement de l’accomplissement de ce songe.
Asthrid, furibonde, quitta son oncle, sans adresser un regard
aux gardes et courut se réfugier dans sa chambre où elle éclata en
sanglots, se trouvant stupide et puérile d’être allée déranger le roi.
12
Malheureusement, le songe d’Asthrid se réalisa deux jours plus
tard.
L’aube venait à peine de se lever sur Élinor lorsque les gardes
aperçurent un nuage de sable qu’ils prirent pour une tempête de
sable, fréquente dans cette partie du royaume. Ils tentèrent donc
de dissuader les marchands qui quittaient la ville. En vain. Et
lorsqu’ils se rendirent compte de leur méprise, que la tempête
était en réalité une troupe d’au moins cent cavaliers, le mal était
déjà fait. Une volée de flèches transperça les gardes avant qu’ils
ne puissent sonner le tocsin, une autre transperça les corps des
marchands ; ce qui laissait les portes de la ville grandes ouvertes.
Les cavaliers, vêtus de noir, entrèrent dans la cité. Débuta alors
un vrai carnage. Les hommes furent égorgés, les femmes violées,
les enfants éventrés. Les habitations furent brûlées, et les casernes
pillées. Un cavalier, plus grand que les autres, qui semblait les
gouverner tous, s’empara du drapeau d’Hordrid, un aigle d’argent
sur fond pourpre, et le mit en pièces. Il le remplaça par un drapeau
où était représenté un aigle noir sur fond pourpre. Insulte finale,
avant que les cavaliers ne se retirent, il trempa son doigt ganté
dans le sang d’une des innombrables victimes et écrivit sur un
mur : « Prenez garde ».
13
CHAPITRE 3
Comme chaque jour de la semaine, le roi reçut les plaignants. Ce
jour-là, toute la Cour était là, du plus petit noble à Mordann, l’héritier
du trône. Le premier plaignant fut un homme assez vieux, au teint
cireux. Il s’avança, s’inclina profondément devant le roi et lui expliqua son problème :
— Votre Majesté, je viens vous demander humblement quelques
deniers pour racheter des chèvres. Les dernières étant mortes d’une
maladie en buvant l’eau d’un ruisseau passant à proximité de Tyr
Yas.
— Le royaume ne peut se permettre une telle folie, vieil homme,
lui répondit Constance d’un ton sec, presque méchant.
— Doucement, ma sœur. Si j’ai bien compris, tu n’as plus de
chèvres, aucune. C’est bien ça ?
— Oui, Votre Majesté, c’est cela.
— Eh bien, les chèvres étant mortes d’eau provenant de la capitale, tu seras pourvu d’une bourse à la condition que les bêtes ne
soient utilisées que pour leur lait, et non pour leur viande. Me suis-je
bien fait comprendre ?
— Mille fois merci, Votre Majesté, que la Déesse vous rende
grâce, lui répondit le vieil homme en s’agenouillant, malgré ses
rhumatismes.
Plusieurs plaignants suivirent lorsque les portes de la salle du
trône s’ouvrirent et qu’apparut un homme d’âge mûr, couvert de
14
sable et de poussière avec des vêtements presque en lambeaux. Le
roi, surpris et désappointé de cette intrusion, se leva et lui demanda :
— Qu’est-ce donc que cela ?
— Je suis porteur de noires nouvelles, Votre Majesté, répondit
l’émissaire, essoufflé, les yeux rouges et bouffis.
— Je vous écoute, parlez !
— Élinor est tombée, Votre Majesté !
— Comment ça « tombée » ? questionna Constance. Qu’est-il
arrivé ?
— Des cavaliers noirs ont attaqué, il y a quatre jours maintenant,
Élinor en profitant de l’ouverture des portes. Une fois entrés dans la
ville, ils l’ont mise à sac. Ils ont violé ma femme et ma fille avant de
les égorger, puis ils ont brûlé ma maison, narra péniblement le messager qui dut retenir ses larmes.
Le visage du roi se décomposa et il se tourna lentement vers
Asthrid qui, elle aussi, avait le visage blême. L’émissaire rajouta
alors un détail qui allait changer l’avenir d’Hordrid.
— Avant de partir, ils ont laissé un étendard qui m’est inconnu ;
un aigle noir sur fond pourpre.
Une vague de stupeur et d’angoisse s’éleva aussitôt à travers la
salle. Car à la Cour, comme dans tout Tyr Yas, tous connaissaient
l’existence et la signification de cette bannière. Elle était l’emblème
de l’alliance secrète, la Guilde, qui prônait une politique violente,
autoritaire et despotique. Le roi rugit alors à toutes les personnes
présentes :
— Peuple d’Hordrid, tout ceci n’est plus tolérable. Ces cavaliers
menacent les valeurs mêmes de notre royaume. Que mon armée se
réunisse au plus vite, ici même à Tyr Yas et j’irai en personne la mener
contre ces hors-la-loi. Quant au capitaine de la Guilde, emprisonné
depuis douze ans, brûlez-le ! Si je m’y refusais jusqu’ici par égard
pour lui, le temps est venu de porter un coup fatal à nos ennemis.
15
Téléchargement