Paul Verlaine, Fêtes galantes
Texte édité par des professeurs de l’Académie de Rouen
http://lettres.ac-rouen.fr/verlaine/index.htm
LES COQUILLAGES
Chaque coquillage
incrusté
Dans la grotte où nous nous aimâmes
A sa particularité.
L'un a la pourpre
de nos âmes
Dérobée au sang de nos cœurs
Quand je brûle et quand tu t'enflammes ;
Cet autre affecte
tes langueurs
Et tes pâleurs alors que, lasse,
Tu m'en veux de mes yeux moqueurs ;
Celui-ci contrefait
la grâce
De ton oreille, et celui-là
Ta nuque rose, courte et grasse ;
Mais un, entre autres, me troubla.
coquillage : le poète, dès le v.2, laisse entrevoir la possibilité d'une double lecture. Ainsi, les coquillages étaient
incrustés dans les grottes artificielles des jardins rococo du XVIIIe siècle. Mais le coquillage et la grotte fonctionnent
aussi comme des métaphores de l'anatomie féminine, à connotations érotiques... Hugo semble ne pas y avoir été
insensible, lui qui adora l'implicite du dernier vers.
pourpre : si la couleur rouge vif semble appelée par le «sang» ? (v.5), on ne peut exclure l'idée de dignité, la pourpre
vestimentaire ayant souvent servi à signaler une haute dignité sociale (pourpre des empereurs à Rome, pourpre
cardinalice, pourpre royale).
affecte : d'après Littré, en parlant d'une chose, on peut comprendre « avoir disposition à », c'est-à-dire tendance à
prendre une certaine forme. Mais le verbe « contrefait » (v.10), placé de manière identique en début de strophe,
permet de valider une autre hypothèse : « affecte » = « simule ».
langueur : sorte d'apathie, d'indolence, de mélancolie, autre thème typiquement verlainien. On faisait autant usage
du mot au XIXe siècle que de nos jours du mot « déprime » ! A chaque siècle ses maux / mots...
contrefait : imite pour tourner en dérision, mais aussi modifier l'apparence de quelque chose pour tromper (avec
l'idée de déguisement).