Entretien avec
Hortense Archambault
et Vincent Baudriller
Directeurs du Festival d’Avignon
Comment s’est passée la préparation du Festival d’Avignon 2010 avec deux artistes associés, Olivier Cadiot
et Christoph Marthaler ?
Hortense Archambault :Notre idée du Festival, au-delà même du travail de programmation, est fondée sur la rencontre avec
les artistes. Ces discussions nous permettent de nous situer au cœur même de la création. Quand il y a deux artistes asso-
ciés, bien sûr, cela développe cet exercice du dialogue. Nous l’avons expérimenté, il y a deux ans, avec Valérie Dréville et
Romeo Castellucci : une conversation à quatre, en dehors du projet propre à chacun, constituant une sorte d’atelier com-
mun qui nous a nourri pour progressivement élaborer le Festival. À leur tour, Olivier Cadiot et Christoph Marthaler nous ont
ouvert leur atelier pour partager leur processus de création : chez Olivier Cadiot celui de l’écriture, chez Christoph Marthaler
cette élaboration si particulière de ses spectacles.
C’est la première fois qu’un écrivain est associé comme cela au Festival…
Vincent Baudriller :Nous ne savions pas trop où nous allions en conviant un écrivain comme artiste associé, même si, dans
l’histoire d’Avignon, des écrivains ont compté. Il y eut même un temps où Alain Crombecque conviait chaque année un poète
pour l’installer au centre du Festival. Mais là, c’était un vrai défi : associer un écrivain, avec son parcours, son écriture, son
monde, ses amis. Cela nous a permis de décentrer notre regard, de voir différemment les enjeux d’Avignon et donc encore
une fois de nous déplacer.
L’association avec Christoph Marthaler n’était pas non plus de première évidence.
H. A. :On a cependant rapidement compris que des correspondances pouvaient rapprocher Olivier et Christoph, au-delà
des différences entreleurs pratiques artistiques et leur statut. Ce sont deux artistes plongés au cœur même du quotidien,
qui s’en nourrissent et donnent forme à ces expériences de la vie à travers leur art. Ils partagent le goût du rythme, de
la vitesse ou de la lenteur,du mélange du savant et du populaire, du croisement entre les langages artistiques. Enfin,
leurs registres d’intervention sont larges, guidés par la curiosité : du bistrot aux œuvres d’art, des gestes à l’histoire, de
la convivialité au rire ou à la pensée. D’une certaine façon, on s’est aperçu en les côtoyant, séparément et ensemble, que
notre intuition de départ était juste : entre Olivier et Christoph, il y a eu une vraie rencontre, entre deux univers, entre deux
personnes.
V.B. : Cesont deux artistes qui n’ont ni l’habitude, ni le goût d’avoir un discours sur leur œuvre : ils sont leur œuvre. C’est leur
regard sur le monde, sur les gens, qui fait œuvre. Ce ne sont pas des artistes qui parlent, même si, entre nous, le dialogue a
été riche, animé, fructueux. Lorsque nous avons proposé à Christoph de s’associer avec nous et avec Olivier, ils ne se
connaissaient pas. Christoph ne lit pas de livres en français et n’avait jamais ouvert un roman d’Olivier qui, lui-même, n’avait
dû voir qu’un spectacle de Christoph Marthaler. Pourtant, Christoph a été d’emblée enthousiaste : il y a chez lui de la curiosité
pour l’inédit, l’imprévu, l’inconnu. Mais il nous a tout de suite présenté sa seule réserve : on ne pouvait pas attendre de sa part
de commentaire ni d’analyse sur ses propres spectacles, c’est pourquoi par exemple il ne désire pas donner d’interview. Seul
son travail devait compter. Pour un artiste associé, et pour le Festival, ce n’est pas évident de refuser cette communication,
mais on a accepté cette condition car le jeu en valait la chandelle. On pensait vraiment que cette rencontre entre Christoph
et Olivier allait être décisive, allait nous nourrir.
Comment, concrètement, s’est opérée cette rencontre ?
V. B. :On a donné quelques livres d’Olivier à Christoph, puis, en septembre 2008, on est parti avec Olivier voir le spectacle
étonnant que Christoph a fait à l’Hôtel Waldhaus de Sils-Maria, en Suisse Engadine. C’est là que tout a commencé : ils se
sont trouvés, à travers leur goût commun pour la vie, les bons plats, les bons vins, mais aussi la musique savante et popu-
laire.Une grande complicité est née, dont témoignera la lecture d’Olivier Cadiot dans la Cour d’honneur au sein même du
décor de Papperlapapp conçu pour Christoph Marthaler par Anna Viebrock, ou encore la participation d’Olivier comme col-
laborateur à la dramaturgie de ce Papperlapapp.
H. A. :Christoph, lui, a tout de suite demandé à venir voir Avignon dans le détail, à la saison des truffes si possible, et il s’est
mis à marcher dans la ville. Seul, avec Anna Viebrock, sa collaboratrice, et avec Olivier. Ce fut une rencontre joyeuse et une
complicité contagieuse. On a beaucoup ri en préparant ce Festival, dans un esprit iconoclaste, voire dada. Chaque situation,
chaque parole, chaque texte était prétexte à l’inattendu. Ce caractère très… bâlois de Christoph était partagé par Olivier.
Beaucoup d’images ou de textes sont nés de là.
V.B. :Ils se sont réinventés par exemple en duo d’archéologues imaginaires, fouillant devant le Palais des papes et
découvrant des statuettes des papes en plastique. En arpentant les rues d’Avignon tous les deux, ils ont repéré des portes
de garages, des chapelles, la vieille prison, un confessionnal. C’est leur matière première : ils travaillent, écrivent, mettent en
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