Chapitre 9 : LES DESEQUILIBRES EXTERIEURS Introduction : Qu’est-ce qu’un déséquilibre extérieur ? Qu’est-ce que la contrainte extérieure ? I – L’analyse théorique des déséquilibres extérieurs A – L’origine des déséquilibres 1- L’évolution du revenu national 2- L’inflation 3- Le manque de compétitivité B – Les voies potentielles du rééquilibrage 1- Le protectionnisme 2- La dévaluation 3- La politique industrielle C – Les obstacles à l’ajustement 1- L’élasticité-prix plus faible que l’élasticité-revenu 2- L’arbitrage marges contre parts de marché 3- La spécialisation de l’économie 4- L’effet d’hystérésis 5- L’asymétrie des monnaies D – Le mythe de la balance commerciale excédentaire 1- Le mythe 2- Les origines du mythe 3- Les enjeux du mythe II – L’analyse empirique des déséquilibres extérieurs depuis 1945 A – La balance commerciale ou le Sisyphe français 1- 1945-1972 : la recherche de l’équilibre commercial par la dévaluation 2- 1973-1983 : le cercle vicieux du pays à monnaie faible 4- 1983-2003 : la désinflation compétitive et le retour à l’excédent 5- 2003 à nos jours : le retour au déficit structurel B – Allemagne et Japon : le cercle vertueux des pays à monnaie forte 1- Schéma général 2- le cas allemand : ordo-libéralisme et économie sociale de marché 3- le cas japonais : le rôle du système productif japonais C – USA : de l’excédent au déficit chronique 1- 1945-1980 : une prise en compte lente de la contrainte extérieure 2- l’apparition des déficits jumeaux au début des années 1980 3- l’aggravation du déficit courant à partir des années 2000 Conclusion : le cas des pays émergents et le dollar. Bibliographie : Y. BAROU et B. KEIZER, 1988, Les grandes économies, Seuil. P.H. BRETON et A.D. SCHOR, 1983, La dévaluation, PUF, coll. Que sais-je ? P. KRUGMAN, 1998, La mondialisation n’est pas coupable, La Découverte, coll. Textes à l’appui. F. MILEWSKI, 1989, Le commerce extérieur de la France, La Découverte, coll. Repères. P. SALIN, 1991, Macroéconomie, PUF. Citations : « Malgré tout l’amour qu’on me prête pour les statistiques, je n’hésiterais pas à recommander, si l’on m’interrogeait, la suppression des statistiques du commerce extérieur, étant donné tout le mal qu’elles ont fait dans le passé, qu’elles font et, je le crains fort, qu’elles feront encore dans l’avenir ». Jacques Rueff, 1933. « Le libre-échange ne peut être mutuellement avantageux pour tous les pays participants que si les taux de change correspondent à l’équilibre des balances commerciales ». Maurice Allais, Le Figaro, 19/11/1996. GLOSSAIRE ABSORPTION : Capacité d’une économie à consommer sa production. L’absorption est égale à la production domestique moins les exportations. La réussite d’une dévaluation suppose que l’on puisse réduire l’absorption interne. AIDE-LIÉE : Une part non négligeable des crédits et dons accordés à des pays en développement ne peuvent être dépensés qu’en achats à des fournisseurs français. Les autres pays pratiquent aussi l’aidée liée. APPRÉCIATION : Augmentation de la valeur d’une monnaie par rapport aux autres devises. C’est le symétrique de la dépréciation. CAF-FAB : Les statistiques douanières françaises comptabilisent les importations CAF (Coût, assurance, fret), c'est-à-dire tous frais à la livraison. En revanche, les exportations sont considérées FAB (Franco à bord) : elles incluent les frais de chargement, mais ni les frais de transport, ni d’assurance. Un coefficient de correction permet en principe de rétablir l’équilibre entre les deux séries de chiffres. DEPRÉCIATION : Perte de valeur d’une monnaie par rapport aux autres devises. En changes fixes, la dépréciation ne peut normalement pas se produire ou du moins pas au-delà des marges de fluctuation tolérées. DÉVALUATION : Changement dans la définition légale de la monnaie soit par rapport à un étalon, l’or ou une devise. Par rapport à la dépréciation, c’est un acte politique volontaire, même s’il est le plus souvent commandé par les circonstances. La nouvelle valeur de l’unité monétaire nationale est alors proclamée par décret. DÉVALUATION CAMOUFLÉE : les taxes à l’importation et les primes à l’exportation constituent des dévaluations camouflées. DÉVALUATION DÉFENSIVE : dévaluation opérée par un pays affecté par une inflation élevée et qui désire rapprocher ses prix de ceux de ses concurrents. L’opération est alors considérée comme un remède ; elle est le constat d’échec de la politique économique antérieure. Les dévaluations qui ont suivi les deux guerres mondiales ont été le plus souvent de ce type. DÉVALUATION OFFENSIVE : le but recherché est de placer les exportateurs domestiques dans une situation artificiellement avantageuse sur les marchés internationaux. Si elle se produit en période de récession, ce qui souvent le cas, elle risque d’aggraver la crise et de susciter un cycle de dévaluations concurrentes… comme dans les années 1930. DÉVALUATION A CHAUD : Dévaluation pratiquée sous la pression des événements en période de crise monétaire (spéculation et la fuite des capitaux). La dévaluation s’impose d’urgence comme le dernier recours avant la catastrophe. DÉVALUATION A FROID : Dévaluation pratiquée pour accompagner une politique de redressement. Souvent pratiquée pour restaurer l’équilibre commercial. PART DE MARCHÉ : rapport entre le volume des exportations d’un pays et la demande du marché considéré (monde, Europe, pays). RÉÉVALUATION : Opération consistant à donner une nouvelle définition légale de la monnaie supérieure à la définition antérieure. La réévaluation est une mesure inverse de la dévaluation. RISQUE-PAYS : La COFACE (Compagnie française du commerce extérieur) établit une évaluation pays par pays des risques encourus par les exportateurs français. Cette évaluation tient compte des facteurs économiques, financiers, politiques, et servent à calculer les primes d’assurance. SURÉVALUATION : Une monnaie est surévaluée quand la parité officielle est supérieure au taux de change sur le marché libre. TAUX DE COUVERTURE : Ratio exportations/importations. S’il est égal à 100, les échanges sont équilibrés ; s’il est inférieur à 100, il y a déficit ; s’il est supérieur, il y a excédent. TAUX DE PENETRATION : Part des produits importés sur un marché donné. Introduction : La notion de « déséquilibres extérieurs » La balance des paiements étant par construction équilibrée, les déséquilibres ne peuvent concerner que les balances intermédiaires : la balance commerciale, la balance des transactions courantes, la balance des capitaux. La notion de déséquilibre englobe à la fois le déficit et l’excédent. Pourtant le terme déséquilibre est généralement utilisé quant un pays connaît un déficit, ce qui est vu négativement. A contrario, l’excédent commercial est en général vu positivement ; d’ailleurs l’excédent commercial correspond à l’un des quatre sommets du carré magique de Kaldor. Nous analyserons les causes de cette vision positive de l’excédent commercial dans ce chapitre. En matière de balance commerciale, courante ou des capitaux, l’équilibre est la règle et le déséquilibre l’exception pour des raisons statistiques. En effet, le solde extérieur étant le résultat d’un très grand nombre de transactions internationales, la probabilité pour que les entrées et les sorties s’équilibrent parfaitement est très faible. Le tableau suivant montre qu’aucun pays de l’OCDE n’équilibre ses échanges courants en 2009, 2010 et 2011. Balance des opérations courantes, en pourcentage du PIB Corée 2009 2010 2011 Luxembourg 3,9 2,9 2,4 7,0 7,9 7,7 -0,6 -0,3 -0,8 4,1 7,1 8,5 Australie -4,2 -2,9 -2,3 Mexique Autriche 2,7 3,0 1,9 Belgique -1,7 1,3 -1,1 -2,6 -3,4 -4,2 Canada -3,0 -3,1 -2,8 7,6 5,8 -5,2 Pays-Bas NouvelleZélande Norvège 11,7 12,4 .. Pologne -4,0 -4,6 -4,3 -2,5 -3,7 -2,7 -10,7 -10,0 -6,7 3,5 5,5 6,5 -2,9 -2,6 -0,2 Estonie 3,4 2,9 1,9 Finlande 1,8 1,3 -1,3 11,0 10,9 13,8 -1,3 -1,6 -2,0 5,9 5,9 5,7 -11,0 -10,0 -9,8 Hongrie -0,2 1,2 1,3 Islande -11,7 -8,1 -6,9 Irlande -2,3 1,1 3,7 Chili République tchèque Danemark France Allemagne Grèce Israël (1) Italie Japon Portugal République slovaque Slovénie Espagne -4,8 -4,5 -3,5 Suède 7,1 6,9 7,0 Suisse 10,6 14,5 14,3 -2,1 -6,3 -9,8 -1,3 -2,5 -1,9 1,1 Turquie RoyaumeUni Etats-Unis -2,7 -3,0 -3,1 3,9 0,5 OCDE total -0,4 -0,4 -0,6 -2,0 -3,5 -3,2 2,9 3,7 2,0 Source : OCDE. Les excédents sont mis en avant comme un témoin du succès des politiques économiques. Les déficits servent d’argument pour expliquer les faibles marges de manœuvre de la politique intérieure, le pays étant soumis à la contrainte extérieure. La notion de contrainte extérieure : La contrainte extérieure peut être définie comme la limitation des marges de manœuvre de la politique économique d’un pays résultant de son ouverture. Elle se traduit par une obligation de compétitivité pour les entreprises. La France des années 1970 et 1980 était soumise à la contrainte extérieure. La politique économique devait éviter un taux d’inflation élevé qui handicapait la compétitivité, une relance qui creusait le déficit extérieur, de bas taux d’intérêt qui suscitaient une menace pour le franc et des sorties de capitaux. C’est la sanction des marchés internationaux. La contrainte extérieure augmente parallèlement au taux d’ouverture des économies = 1/2(exportations +importations de marchandises)/PIB. Ce taux a eu tendance à augmenter depuis 1945 mais est beaucoup plus élevé en Europe qu’aux EU et au Japon : 1960 1979 1987 2012 USA 4.8 8.3 10.9 12.4 Japon 10.5 10.6 10.8 18.7 France 13.2 18 20.7 26.3 Allemagne 17.8 21.6 28.8 38.9 Source : comptes nationaux de l’OCDE pour 1960, 1979 et 1987 ; OMC et OCDE pour 2012. La contrainte extérieure est plus forte quant le pays est petit et très ouvert aux échanges commerciaux. Aux Etats-Unis, la contrainte extérieure est atténuée par la taille du marché intérieur et le rôle international du dollar. Cette notion ne doit toutefois pas cacher les aspects positifs de l’ouverture : des produits moins chers et plus diversifiés pour le consommateur, des débouchés plus élevés pour les entreprises, une politique économique soutenable à long terme. Dans ce chapitre, lié au taux de change et à la balance des paiements, on analysera l’origine des déséquilibres externes, les voies d’un retour à l’équilibre, les facteurs expliquant des déséquilibres persistants dans certains pays. On essaiera de voir si les changes flottants ont entrainé l’atténuation ou l’accentuation des déséquilibres externes. I – L’analyse théorique des déséquilibres extérieurs A - L’origine des déséquilibres 1) L’évolution du revenu national Le volume des exportations est généralement considéré comme un facteur exogène puisqu’il dépend de la demande dans le reste du monde. Graphiquement, les exportations sont représentées par une droite horizontale car elles ne dépendent pas du revenu national. Les exportations dépendent positivement du reste du monde. Lorsque le revenu étranger croit, la demande pour les produits domestiques a tendance à augmenter, ce qui conduit à un accroissement des exportations. Evolution du solde commercial en fonction du revenu national Exportations Importations Importations Déficit Exportations Excédent 0 Revenu national Le volume des importations est corrélé à la variation du revenu national. Les importations croissent en fonction du revenu : elles sont nulles quand le revenu national est nul, elles croissent à mesure que le revenu national augmente. La pente de la fonction d’importations est appelée propension marginale à importer : m = ΔM/ΔY. Cette propension correspond à la part de chaque unité de PIB supplémentaire consacré à l’importation. Le graphique montre que la croissance peut être à l’origine d’un déséquilibre commercial. A l’inverse, une mauvaise conjoncture entraine un ralentissement des importations et peut induire un excédent commercial. Les X et les M dépendent aussi du taux de change réel, des termes de l’échange, de la compétitivité prix et hors prix et de la politique de marge des exportateurs. A moyen et long terme, ces facteurs jouent un rôle plus important que le taux de croissance du revenu national. Pour être interprété positivement, un excédent doit être envisagé dans une perspective temporelle longue ; en effet, l’apparition d’un excédent consécutif à la chute du taux de croissance (qui implique de moindres importations de matières premières et de biens d’équipement) ne constitue pas un signe de performance. De même, un déficit temporaire lié à une forte croissance est signe de dynamisme économique et non de faiblesse. 2) L’inflation : L’expansion entraine une hausse de la demande, les capacités de production inemployées disparaissent et on s’approche du plein-emploi, la demande ne peut être satisfaite que par les importations car la production est rigide, au moins à court terme. Hausse des M alors que les X stagnent ou diminuent, le surplus exportable étant absorbé par la demande nationale. Même si l’offre n’est pas rigide, elle ne peut répondre instantanément à la demande. Des goulots d’étranglement se forment entrainant des hausses sectorielles de prix et ensuite une généralisation par le jeu des consommations intermédiaires. L’inflation par les coûts s’ajoute à l’inflation par la demande, les prix domestiques croissent plus vite que ceux des économies concurrentes, la compétitivité diminue. Les 2 processus entraînent un déficit externe. La France de 1945 à 1957 est caractéristique de cela : en 1954 et 1955, croissance dans la stabilité des prix ; la surchauffe apparaît dès 1956, les X baissent de 7% alors que les M augmentent de 17%. La structure du commerce extérieur est un facteur de sensibilité aux pressions inflationnistes. Une nation dont les M sont peu substituables et dont les X sont peu élastiques connaîtra une dégradation de sa balance commerciale même si la croissance est mondiale. Car la demande d’importation va augmenter plus vite que celle pour ses propres produits. Cela joue pour les PED dont les M sont souvent incompressibles alors que les X (produits bruts) sont peu sensibles à la croissance. 3) Le manque de compétitivité : Un manque de compétitivité a des effets néfastes sur le solde commercial d’un pays, indépendamment du différentiel de croissance avec les autres pays. La compétitivité est la capacité d’une entreprise ou des entreprises d’une nation à satisfaire la demande mondiale. Au niveau macroéconomique, la compétitivité se mesure par plusieurs indicateurs : Le solde commercial : un excédent commercial est souvent considéré comme un signe de compétitivité. Cela peut s’avérer trompeur, car il est influencé par l’écart de conjoncture entre le pays et ses partenaires (Cf. point 1). La part de marché du pays : soit les ventes du pays sur les ventes mondiales. Elle est généralement exprimée en valeur, ce qui oblige à interpréter cet indicateur avec prudence. Si le dollar baisse brutalement, la part des exportations US en valeur dans le total des exportations mondiales diminue mais peut masquer le fait que les entreprises US exportent plus en volume. La compétitivité prix : une entreprise dont les prix augmentent plus vite que ses concurrents risque de perdre des marchés. Mais les études empiriques montrent que les écarts de prix ne suffisent pas pour expliquer les évolutions du commerce extérieur. Il faut faire intervenir d’autres facteurs. La compétitivité hors-prix : elle désigne toutes les caractéristiques du produit en dehors du pris, c'est-à-dire la qualité, la différenciation des produits, le renouvellement de l’offre, l’effort d’innovation, l’avance technique, le prestige, la marque, le service après vente, le suivi des produits, les délais de livraison. La compétitivité hors-prix est généralement étroitement liée à l’investissement immatériel et aux dépenses de R&D. Enfin, certains instituts publient des classements de compétitivité obtenus à partir de critères macro-économiques et d’enquêtes auprès des chefs d’entreprises sur leur vision de la performance des pays (efficacité de l’intervention publique, performance du secteur financier, niveau d’infrastructure, gestion des entreprises, niveau scientifique et technologique, qualité de la main d’œuvre). Ainsi, les économistes sont un peu gênés pour définir la compétitivité. Pour P. Krugman, la notion de compétitivité n’a de sens que pour des firmes, engagées dans une lutte qui peut les faire disparaître. Alors que les performances des nations ne résultent que de manière secondaire de leurs échanges et sont surtout liées à la productivité. "Il n'existe pas de définition économique de la compétitivité", déplore l’économiste Gilles Le Blanc. Pourtant, n'importe quel artisan ou entrepreneur sait quand il est compétitif : 1. ses produits se vendent 2. Il gagne de l'argent Les mythes trompeurs du commerce international dénoncés par Paul Krugman Dans son livre « Pop Internationalism », Krugman dénonce des idées fausses. La « pop » économie est une croyance populaire erronée, diffusée par des ténors médiatiques et les experts télévisuels. Elle véhicule des clichés trompeurs, des inepties ; elle tend à devenir cependant une norme de pensée dominante dans une période donnée. - l’obsession de la compétitivité : Il est faux de croire que la richesse d’un pays dépend d’abord de la compétitivité de ses industries et de ses succès sur les marchés extérieurs ; elle dépend surtout de sa productivité. La productivité des facteurs produisant des biens et surtout des services pour le marché domestique est la source véritable de la richesse et du bien-être. On se focalise trop sur la compétitivité et on néglige la productivité. C’est la productivité qui détermine le niveau de vie des habitants d’un pays ; si la productivité est basse, les salaires aussi et il n’y aura donc pas d’incidence sur l’échange. L’obsession de la compétitivité entraîne avec elle le risque de guerre commerciale et du protectionnisme, alors qu’au contraire pour augmenter la productivité il faut s’ouvrir à la concurrence. La compétitivité nationale, notion en ellemême sans portée analytique, n’est que la résultante principale de la productivité sectorielle relative et du taux de change réel. Idée à nuancer pour les petits pays car leur compétitivité pour des biens très demandés internationalement agrandit la dimension du marché, permet des gains de productivité, des économies d’échelle, des externalités positives et des gains d’échange. - la foi dans l’excédent extérieur : Une balance positive n’est que la conséquence de la supériorité de l’épargne interne sur l’investissement. - la fascination pour les secteurs à forte valeur ajoutée : D’une part, il y a une confusion entre secteur à haute valeur ajoutée et secteur de haute technologie. Une forte valeur ajoutée par travailleur apparaît dans les secteurs où le rapport capital/travail est élevé, comme l’acier, l’automobile, les cigarettes, qui ne sont pas des secteurs de haute technologie. A l’inverse, dans l’aéronautique et l’électronique, la technologie est élaborée mais la valeur ajoutée faible. D’autre part, le mythe de la valeur ajoutée peut justifier des subventions et un gaspillage de ressources quand on ne tient pas compte des avantages comparatifs du pays. B – Les voies potentielles du rééquilibrage : La disparition de ces déséquilibres peut résulter soit d’ajustements automatiques, c'est-à-dire l’ensemble de contre forces venant corriger spontanément et rapidement ces déséquilibres. Il s’agit du mécanisme de rééquilibrage des balances par le taux de change énoncé par Hume et Ricardo : l’excédent commercial entraine une appréciation de la monnaie nationale qui freine les exportations et encourage les importations), soit de corrections recherchées à partir de politiques commerciales, de modifications décrétées des cours du change ou bien de la politique structurelle. 1) Le protectionnisme : une voie sans issue Dès que le déficit commercial s’aggrave, la tentation protectionniste réapparaît. Le gouvernement est prompt à répondre à la demande d’une industrie en crise par une hausse des tarifs douaniers. La tentation grande pour le gouvernement car les bénéfices sont visibles pour ceux menacés de perdre leur emploi, alors que les coûts sont disséminés sur l’ensemble des acheteurs. L’argument protectionniste a le bon sens pour lui : le protectionnisme ne va-t-il pas diminuer les importations et rétablir l’équilibre commercial ? Pourtant le protectionnisme ne permet pas s’atteindre l’objectif fixé. En effet, cet argument suppose que les deux variables exportations (X) et importations (M) sont indépendantes l’une de l’autre, que l’on peut agir sur l’une sans influencer l’autre. Par exemple, que l’on peut réduire les importations avec des droits de douane ou des quotas en conservant le même niveau d’exportations, ou bien augmenter les exportations avec des subventions en conservant le même niveau d’importations. Or l’exportation et l’importation sont 2 variables liées l’une à l’autre et le protectionnisme a fort peu de chances de réussir à rétablir l’équilibre commercial. Démonstration : Soit Y = biens et services produits chaque année sur le sol national M = importations Y + M = ensemble des ressources dont dispose la nation Ces ressources sont utilisées pour la consommation (C), l’investissement (I), les exportations (X). Il vient : Y + M = C + I + X => Y = C + I + X – M (1) De plus, Y est aussi le revenu dont disposent les nationaux (salaires, profits, loyers, rentes, etc.). Ces revenus sont soit consommés, soit épargnés : Y = C + S (2) Il s’agit d’équation de définitions, toujours vraies. (1) et (2) => C + I + X - M = C + S => I + X – M = S => X – M = S – I Par conséquent, le solde de la balance commerciale est égal à la différence entre l’épargne et l’investissement. Il ne s’agit pas d’une théorie qu’il faudrait vérifier ; c’est une identité comptable incontournable, une contrainte mathématique que toute théorie doit respecter pour rester cohérente. L’état de la balance commerciale dépend donc de la position relative de l’épargne visà-vis de l’investissement. Par exemple, le déficit américain est du au fait que les américains épargnant peu, c'est-à-dire ont une préférence pour des biens présents par rapport aux biens futurs. Or le protectionnisme ne touche ni à l’épargne ni à l’investissement, qui sont hors de son domaine. On peut considérer S et I comme des données exogènes à notre problème : au niveau algébrique ce sont des constantes ; leur différence est donc elle aussi une constante. Appelons B cette constante : X – M = B où seuls X et M sont des variables. L’exportation varie en fonction de l’importation et réciproquement. Un frein sur les importations aboutit à freiner les exportations. Un encouragement aux exportations aboutit à encourager les importations. Le solde commercial reste égal à lui-même. Le seul résultat du protectionnisme est l’entrave de certains secteurs se trouvant pénalisées. Il instaure un monopole ou une rente de situation pour les industries protégées. Il incite à la constitution d’une industrie de substitution d’importation, qui entraîne le détournement de ressources vers des secteurs où le pays n’a aucun avantage relatif. 2) La dévaluation : miracle ou mirage ? a) Définition : La dévaluation est la modification officielle à la baisse de la valeur d’une monnaie. La dévaluation s’inscrit dans le cadre d’un système de parités fixes. L’âge d’or des dévaluations a eu lieu sous Bretton Woods : les modifications de parités étaient prévues pour remédier à un déséquilibre fondamental et le FMI devait être consulté auparavant. Depuis 1973, certaines monnaies flottantes enregistrent des dépréciations – modification de fait de la valeur de la monnaie - qui peuvent être, dans leurs conséquences, analysées comme des dévaluations. On peut établir de 2 manières le taux d’une dévaluation : - si on rapporte la diminution de valeur de la monnaie à l’ancienne parité, le taux est dit « en dedans » - si on rapporte la diminution de valeur de la monnaie à la nouvelle parité, le taux est dit « en dehors » Exemple : le franc jusqu’en août 1969 valait 180 mg d’or ; après dévaluation 160. Taux en dedans = 180 –160 /180 = 11.11%. Taux en dehors = 180 –160 / 160 = 12.5%. On utilise plutôt le taux en dedans car il reflète la modification de parités envers les devises étrangères. b) Les causes et les motivations de la dévaluation : Du temps de l’étalon-or, les soldes étaient réglés par des transferts internationaux d’or, le rééquilibrage était automatique. Comme l’a expliqué David Hume, un déficit commercial entrainait une baisse du stock d’or, une baisse de l’offre de monnaie, une baisse des prix et des salaires dans le pays, ce qui aboutissait à terme à restaurer la compétitivité. Aujourd’hui le processus d’ajustement est plus complexe et moins automatique. Les monnaies ne sont plus garanties sur l’or, les pays en déficit procèdent généralement à des dévaluations plutôt qu’à la baisse des salaires et des prix. Soit une situation dans laquelle la balance globale est déficitaire, l’offre de monnaie nationale est supérieure à l’offre de devises sur le marché des changes, il s’ensuit une baisse du cours de la monnaie nationale. En changes fixes, les autorités sont tenues d’intervenir pour soutenir le cours de la monnaie nationale en offrant des devises. Toutefois, les réserves du pays ne sont pas inépuisables. Une dévaluation se produit si le déficit se maintient. La dévaluation peut avoir d’autres objectifs que l’équilibre externe, par exemple un objectif interne d’amélioration de l’emploi. Dans le cas du Royaume-Uni en 1931 et des Etats-Unis en 1933, la balance commerciale était excédentaire et le chômage élevé. La dévaluation permit une reprise économique et une baisse du chômage. Ces dévaluations sont perçues comme agressives car elles visent à exporter du chômage. On compte sur le débouché externe pour résoudre une crise interne, ce qui risque de la propager à l’étranger…. Le grand effet de la dévaluation est de procurer un gain de compétitivité en rendant les produits domestiques moins chers à l’étranger1. Un prix à l’exportation est le produit d’un prix intérieur par un taux de change, selon l’équation : Prix à l’exportation = Prix intérieur × Taux de change. Soit un produit valant 3 000 francs en France. Si 1 mark = 3 francs, soit 1 franc = 1/3 mark : le prix en Allemagne est 1 000 marks (3 000×1/3) Si 1 mark = 6 francs, soit 1 franc = 1/6 mark : le prix en Allemagne est de 500 marks (3 000×1/6) c) Les effets attendus de la dévaluation : la courbe en J Quand le gouvernement dévalue, 2 effets apparaissent successivement : - un effet prix (défavorable) : les importations coûtent plus cher et les exportations rapportent moins. - un effet quantité (favorable) : les quantités importées diminuent et les quantités exportées augmentent. Ainsi la dévaluation est un pari selon lequel l’effet quantité l’emportera sur l’effet prix. Selon le modèle DMS de l’INSEE (1985), en moyenne, il faut un délai d’un an avant qu’une amélioration apparaisse. C’est la courbe en J. Solde commercial + Temps 0 Effet volume Effet prix - Le schéma est théoriquement inversé en cas de réévaluation ou appréciation de la monnaie. Le solde se gonfle dans un premier temps, puis diminue. L’évolution a une forme de courbe en crosse. 1 Symétriquement, la dévaluation rend les produits étrangers plus chers en monnaie nationale. d) Exemple simplifié : Hypothèses : la France n’échange qu’avec un seul pays, la RFA. Deux biens seulement sont échangés, la France exporte des Renault 5 et importe des Volkswagen GOLF. En To • • • • • le taux de change prévalant entre les 2 pays est : 1 DM = 3 francs prix unitaire d’une R5 : 60 000 francs quantité de R5 exportées : 10 prix unitaire d’une GOLF : 20 000 DM quantité de GOLF importées : 15 En T1 Pour lutter contre le déficit commercial, le gouvernement français décide de dévaluer le franc de 10%. Les autres données restent les mêmes qu’à la période To. En T2 Le taux de change n’a pas bougé par rapport à T1. Les statistiques douanières fournissent les informations suivantes : exportations de R5 : 15 ; importations de GOLF : 10. des Valeur des Solde de la Période Taux de Prix du bien Prix du bien Quantités Valeur change en francs en marks échangées exportations importations balance en francs en francs commerciale To 1DM=3F R5 = 60 000 R5 = 20 000 10 600 000 -300 000 Golf =60 000 Golf =20 000 15 900 000 T1 1DM=3,3f R5 = 60 000 R5 = 18 182 10 600 000 -390 000 Golf =66 000 Golf =20 000 15 990 000 T2 1DM=3,3f R5 = 60 000 R5 =18 182 15 900 000 +240 000 Golf =66 000 Golf =20 000 10 660 000 e) Les conditions de réussite d’une dévaluation : La courbe en J se produit si plusieurs conditions sont réunies : 1- La dégradation initiale du solde commercial doit être due à une hausse des prix supérieure à celle des pays étrangers et non à des causes structurelles comme un outil de production obsolète, des investissements insuffisants. 2- L’offre domestique doit est flexible ; les capacités de production dans le pays dévaluateur ne doivent pas être utilisées à 100% pour pouvoir répondre à la demande étrangère en hausse. 3- Les entreprises doivent répercuter les variations de parité. Dans l’exemple chiffré précédent, la Golf doit être vendue 66 000 francs et la Renault 5, 18 182 marks ce qui va accroitre les ventes de voitures françaises. En réalité, les importateurs peuvent comprimer leurs marges pour protéger leurs parts de marché (la Golf sera vendue en France 60 000f et non 66 000f), alors que les exportateurs peuvent augmenter leurs marges plutôt que de baisser le prix en monnaie étrangère (La Renault 5 sera vendue en Allemagne 20 000DM et non 18 182DM). D’où l’inertie des volumes. L’amélioration des performances escomptée en est réduite. 4- La dépense domestique soit réduite. C’est le théorème de l’absorption (Alexander19522). En effet, pour que les exportations augmentent, il faut qu’existe un surplus exportable, c’est à dire que la demande domestique soit inférieure à l’offre. Soit Y + M = C + I + G + X => Y = C + I + G + X – M On désigne par B = X – M le solde de la balance commerciale Il vient : Y = C + I + G + B Ce que l’on désigne par l’absorption, c’est la somme de C + I + G + B = A Il vient : Y = A + B d’où B = Y – A ce qui signifie que le solde commercial est égal à la production nationale diminué de la demande nationale ou absorption. Si nous raisonnons en variation, nous pouvons écrire : ΔB = ΔY - ΔA Pour que le surplus exportable s’accroisse, il faut soit que la production s’accroisse, soit que l’absorption diminue, soit que la production croisse plus vite que l’absorption. La dévaluation est susceptible de provoquer mécaniquement une baisse de l’absorption car la hausse des prix qu’elle provoque, si elle n’est pas suivie d’une hausse des salaires, tend à modifier la répartition des revenus au détriment des salaires. La réduction de l’absorption est facilitée par plusieurs facteurs : une politique de rigueur réduisant la demande interne pour accroître la capacité d’exportation : restriction du crédit, restriction des dépenses publiques, hausse de la pression fiscale, encouragement à l’épargne. une certaine illusion monétaire. L’absence d’indexation des salaires sur les prix et notamment le taux de change Si les agents indexent leurs revenus sur le change, il y a risque de cercle vicieux décrit par le schéma suivant. Dévaluation Hausse du prix des importations Perte de compétitivité Inflation Hausse des coûts 2 Hausse des salaires S. Alexander, “Effects of a devaluation on a trade balance”, in Staff Papers (IMF), New-York, 1952. 5- la demande doit être élastique aux prix. Selon le théorème de “Marshall-LernerRobinson” (1944), pour qu’une dévaluation soit efficace, il faut que la somme des élasticités prix de la demande étrangère de produits nationaux et de la demande nationale de produits étrangers prises en valeur absolues soit supérieure à 1. Il s’agit du théorème des élasticités critiques. Ce théorème signifie simplement que la dévaluation permettra de réduire le déficit commercial si les variations en volume sont plus importantes que les variations de prix. Le théorème des élasticités critiques Appelons X le volume des exportations, Px l’indice des prix des exportations Appelons M le volume des importations, Pm l’indice des prix des importations BC désigne la balance commerciale Le taux de change t = Pm/Px est le nombre d’unités monétaires nationales nécessaires pour obtenir une unité monétaire étrangère. BC = X.Px – M.Pm = Px(X – M.Pm/Px) = Px (X – t.M) Analysons les effets d’une variation du taux de change (dt) sur la balance commerciale : = Px ( – – ) = Px ( – – M) (1) Introduisons la valeur des élasticités prix des exportations et des importations : ƐX = = ƐM = = × × => => = ƐX × = ƐM × La relation (1) peut s’écrire : = Px (ƐX × – t × ƐM × M) = Px.M (ƐX × – ƐM 1) Si on suppose qu’au départ la balance commerciale est équilibrée : X.Px = M.Pm => X = M. => X = M.t => = 1 On peut donc écrire : = Px.M (ƐX – ƐM 1) > 0 => (ƐX – ƐM 1) > 0 => (ƐX – ƐM) > 1 Or ƐM < 0 car quand t augmente (dévaluation), Pm/Px augmente et les importations diminuent. En conclusion, pour que la balance commerciale s’améliore, il faut que |ƐX| + |ƐM|> 1 En pratique il est difficile de calculer les élasticités concernées, en particulier l’élasticité de la demande étrangère d’exportation qui s’applique à tous les autres pays avec lesquels le pays dévaluateur commerce. Les dévaluations des PED connaissent souvent des effets pervers : les produits primaires qu’ils exportent sont généralement l’objet d’une demande peu élastique tandis que la demande des produits qu’ils importent est relativement rigide. C’est peut-être pour cette raison que les PED ont tendance à appliquer l’autre mesure : le protectionnisme. Pour les pays développés, on a longtemps considéré que cette condition était respectée, comme le montrent les travaux de Houthakker & Magge et ceux de Gylfason. Cependant, l’étude de Wu, plus récente, indique que cette condition n’est plus respectée pour certains pays. Etude de Houthakker et Magge3 : Elasticité-prix des demandes d’exportations (ƐX) et d’importations (ƐM) 1951-1966 1972-1980 ƐX ƐM ƐX + ƐM ƐX ƐM ƐX + ƐM France -2.27 -2.27 -1.25 -0.60 -1.85 Allemagne -1.25 -0.24 -1.49 -1.41 -0.77 -2.18 Japon -0.80 -0.72 -1.52 -1.61 -0.97 -2.58 Royaume-Uni -1.24 -0.21 -1.45 -0.31 -0.75 -1.06 Etats-Unis -1.51 -1.03 -2.54 -1.67 -1.06 -2.73 Etude de Gylfason, 1987, European Economic Review, sur des données de 1969 à 1981. Elasticité de la demande Elasticité de la demande Somme (en valeur absolue) d’exportation d’importation Pays industrialisés France 1.28 0.93 2.21 Allemagne 1.02 0.79 1.81 Italie 1.26 0.78 2.04 Japon 1.40 0.95 2.35 RU 0.86 0.65 1.51 USA 1.19 1.24 2.43 Moyenne 1.11 0.99 2.10 Pays en développement Argentine 0.6 0 .9 1.5 Brésil 0.4 1.7 2.1 Inde 0.5 2.2 2.7 Corée du Sud 2.5 0.8 3.3 Turquie 1.4 2.7 4.1 Moyenne 1.1 1.5 2.6 Etude de Yi Wu, de 20054 : 1960-1998 : Elasticité prix importations France -0.10 Allemagne 0.04 Japon -0.34 Royaume-Uni -0.23 Etats-Unis -0.15 3 des Elasticité prix exportations -0.22 -0.33 -2.09 0.28 -1.40 des Somme -0.32 -0.29 -2.43 0.05 -1.55 Houtkakker and Magee, « Income and price elasticities in world trade », Review of Economics and Statistics, Vol. 51, mai 1969. 4 http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2005/wp0511.pdf f) L’art de la dévaluation : La dévaluation montre que l’ancien taux de change n’était pas ou plus réaliste. Elle est un constat d’échec pour le pouvoir qui cherche généralement à en retarder l’échéance. C’est un acte politique qui doit être manié avec précaution. Par son caractère stratégique et pour éviter la spéculation, la modification de la parité implique une préparation soignée et le secret jusqu’au dernier moment. Ainsi la dévaluation française d’août 1969 (annoncée le 8 août) fut une surprise, bien qu’elle ait été décidée en juillet par le Président de la République, le Premier Ministre et le ministre des Finances. Les autres membres du gouvernement n’en furent pas informés et sa préparation fut réservée à 5 hauts fonctionnaires. Le gouverneur de la Banque de France fut consulté moins d’une semaine avant la décision officielle. Pour avoir un effet positif, la dévaluation ne doit être ni trop faible, ni trop forte. Les inconvénients d’une dévaluation trop faible : - elle ne suffit pas à provoquer un détournement des flux commerciaux car le prix n’est pas le seul critère des acheteurs et les courants d’échange sont relativement rigides (habitudes, qualité, existence ou non d’un service après vente) - elle ne permet pas de casser la spéculation et de rétablir la confiance - la nouvelle parité risque de ne pas être considérée comme durable, nécessitant des dévaluations ultérieures Les inconvénients d’une dévaluation trop forte : - l’effet prix peut être supérieur à l’effet volume de la courbe en J - elle peut déclencher chez les partenaires commerciaux du protectionnisme ou des dévaluations concurrentes, ce qui annihile les effets bénéfiques de l’opération - elle peut porter atteinte à l’orgueil national. La dévaluation est souvent perçue comme un échec : dévaloriser la monnaie, c’est dévaloriser l’image du pays ou plus prosaïquement rendre plus coûteuses les vacances à l’étranger. Si le touriste se sent plus pauvre à l’étranger, son pays l’est donc aussi, au moins symboliquement. g) Bilan empirique : M. Miles (1979) a étudié le cas de 14 pays ayant dévalué sur la période 1956-1972 et constate une amélioration de la balance commerciale et de la BRI. Le phénomène de courbe en J a été mis en évidence par les dévaluations de la livre en 1967, du franc français en 1969, du dollar en 1971. La Suède et l’Espagne en 1982, la Grèce en 1983. Plus récemment, les dévaluations de l’Italie, la GB, et l’Espagne en 1992 sont considérés comme des réussites. Les dévaluations de 1992, un an après… Italie Royaume-Uni Espagne France Production industrielle 3ème trimestre 1992……. -0,5% +1,5% -1,6% -0,1% 3ème trimestre 1993……. -0,5% +2,2% -1,7% -3,5% 5 Prix à la consommation Septembre 1992………. +5,5% +3,6% +5,7% +2,6% Septembre 1993………. +4,2% +1,8% +4,3% +2,3% 6 Solde commercial 1992…………………… -12 700 -9,1 -2 850 +22,8 1993…………………… +17 000 -8,5 -1 833 +59,3 5 6 En glissement annuel. Neuf premiers mois, en monnaie locale et en milliards. La lire italienne s’est dévaluée de 25% pendant que le gouvernement italien menait une politique budgétaire restrictive et d’une politique des revenus rigoureuse (suppression de l’échelle mobile des salaires). La balance commerciale s’est redressée de manière spectaculaire. En GB, la dévaluation entre 15% vis-à-vis des monnaies européennes et 25% vis-à-vis du dollar a permis une nette décrue des taux d’intérêt à court terme de 10% à 6%, sans réveil de l’inflation. En Espagne, la dévaluation de la peseta de 19% a permis un redressement des exportations mais sans retour à l’équilibre budgétaire car le gouvernement a été incapable d’imposer une politique économique d’assainissement. h) Les dangers de la dévaluation : La dévaluation inefficace : Imprimer sa propre monnaie pour faire baisser les taux de change et augmenter la compétitivité ne peut pas marcher à moyen terme car cela entraîne une hausse symétrique des prix intérieurs, donc la compétitivité n’augmente pas. Pour Pascal Salin, les changements de parité n’ont aucun effet durable sur la balance commerciale. La dévaluation immorale : Il faut ajouter un point essentiel que personne ne met en lumière. Les dévaluations pratiquées par le pouvoir politique sont immorales. La dévaluation imposée par les pouvoirs politiques est une rupture de contrat et une atteinte à la propriété. La valeur des avoirs monétaires en monnaie nationale diminue du % de la dévaluation, les titulaires d’encaisses sont donc volés. La dévaluation risquée : La dévaluation un jour dans un pays pousse les autres pays à riposter souvent par du protectionnisme et la course ne s'arrête ainsi jamais. i) Pourquoi le jeu politique joue-t-il dans le sens de la dévaluation ? La sous-évaluation d’une monnaie oriente les structures productives vers l’exportation. Le flottement de la monnaie dans le sens de la hausse va nécessairement entraîner un effet dépressif sur certaines activités économiques exportatrices. Quand une monnaie est réévaluée, les exportateurs nationaux se plaignent de la diminution des débouchés tandis que les autres agents ne disent rien, de telle sorte qu’il semble que la nation dans son ensemble est hostile au réajustement. C’est pour des raisons similaires qu’un pays peut être amené à pratiquer la sousévaluation de sa monnaie. Celle-ci favorise les exportateurs, groupe de petite taille facilement organisable. Elle défavorise les consommateurs – groupe latent de grande taille – qui vont payer plus cher les produits importés. La théorie des groupes de pression d’Olson nous enseigne que les premiers sont plus influents que les seconds. En conclusion, la dévaluation n’est pas une panacée, ni une recette qui pourrait s’appliquer mécaniquement avec des résultats garantis et prévisibles. C’est une politique pouvant plus ou moins réussir selon les mesures d’accompagnement et le contexte économique. La dévaluation n’est ni un miracle, ni un mirage. Elle demeure un outil utile en cas d’écart majeur de compétitivité-prix. 3) La politique structurelle : a) La politique industrielle Face à un déficit commercial récurrent, le gouvernement peut décider de favoriser la compétitivité des entreprises. Pour cela, il dispose de plusieurs leviers. Dans une optique libérale, il va favoriser la concurrence, censée entraîner la baisse des prix. Déréglementation, ouverture de marchés, suppression des entraves au commerce et à la liberté d’entreprendre, libéralisation du marché du travail sont les principales mesures possibles. Dans une optique interventionniste, il va mettre en place une politique industrielle chère aux colbertistes : promotion des champions nationaux, aide publique à la R&D, subventions d’entreprises stratégiques, bonification d’intérêt pour certains secteurs exportateurs. Dans tous les cas, le but est d’accroitre une offre compétitive. Pour un gouvernement, il est politiquement risqué de faire des réformes structurelles, celles qui font bouger les lignes et remettent en cause les acquis. Il est tellement plus commode de dévaluer sa monnaie pour chercher la croissance à l'extérieur en pillant "sans efforts" des parts de marché aux autres. b) La désinflation compétitive Le constat de départ est une compétitivité prix insuffisante des produits domestiques. Là où la dévaluation proposait comme solution la baisse du taux de change, la désinflation compétitive incite à la baisse des prix intérieurs, ou pour le moins une hausse inférieure à celle des prix étrangers. Dans l’équation suivante, on va agir sur la première partie du second membre : Prix à l’exportation = Prix intérieur × Taux de change. Il s’agit donc d’une politique différente de la dévaluation quant aux moyens mais similaire quant à la philosophie. La désinflation compétitive se traduit en pratique par l’abandon de l’indexation des salaires sur les prix, une modération de la création monétaire, des taux d’intérêt à court terme plus élevés, en un mot la rigueur monétaire. Si le déficit commercial provient d’une inflation trop forte, la désinflation compétitive peut être une solution en redonnant aux produits domestiques leur compétitivité. Si le déficit est dû à d’autres causes (appareil de production vétuste, offre insuffisante en raison de contrôle de prix ou autres réglementations, offre monopolistique limitant la production, etc.), cette politique ne permettra pas de retrouver l’équilibre commercial. C) Les obstacles à l’ajustement : L’Allemagne et le Japon accumulent les excédents alors que les Etats-Unis et la France ont des déficits récurrents. Force est de constater que les déséquilibres perdurent, en raison de nombreux obstacles, allant même dans certains cas jusqu’à bloquer le processus. 1) L’élasticité-prix plus faible que l’élasticité-revenu : Les flux commerciaux ne dépendent pas seulement des prix des produits mais aussi de la croissance des revenus dans chaque pays. Si un pays dévalue, les importations devraient baisser à cause de leur renchérissement mais elles peuvent aussi s’accroitre si les revenus distribués dans le pays augmentent fortement. De même, si un pays dévalue ses exportations devraient augmenter à cause de leur moindre coût, mais elles peuvent aussi diminuer si les revenus à l’étranger diminuent. Il est apparu que l’élasticité-revenu de la demande d’exportation et d’importation du pays dévaluateur était sensiblement plus élevée que les élasticité-prix correspondantes. C’est ce que montre l’étude de Yi Wu résumée par le tableau suivant. L’élasticité-revenu correspond au poids des différentiels de croissance dans les ajustements externes. Donc les flux commerciaux sont plus sensibles aux revenus qu’aux prix. France Allemagne Japon Royaume-Uni Etats-Unis France Allemagne Japon Royaume-Uni Etats-Unis Etude de Yi Wu7, période 1960-1998 : Elasticité prix des Elasticité prix des importations exportations -0.10 -0.22 0.04 -0.33 -0.34 -2.09 -0.23 0.28 -0.15 -1.40 Elasticité revenu des importations 2.03 1.97 1.06 1.78 2.21 Elasticité revenu des exportations 2.03 2.08 1.94 1.45 1.56 Somme -0.32 -0.29 -2.43 0.05 -1.55 Somme 4.06 4.05 3.00 3.23 3.77 Ainsi en France les dévaluations d’octobre 1981 et de juin 1982 ont eu lieu dans un contexte de forte progression des revenus distribués, entrainant une forte hausse des importations alors que la dévaluation du franc aurait du les restreindre. La dévaluation implique en effet une perte de pouvoir d’achat des agents intérieurs, lesquels vont tenter d’éviter de payer ce transfert de pouvoir d’achat vers l’extérieur, les conduisant à des revendications salariales plus fortes et donc à des hausses de revenus. Les flexibilistes font trop confiance aux effets-prix et négligent les effets-revenus (influence des taux de croissance sur le solde extérieur et sur le taux de change) ainsi que la compétitivité structurelle (spécialisation, niveaux des investissements, politique commerciale). 7 http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2005/wp0511.pdf 2) L’arbitrage marges contre parts de marché : Pour que la dévaluation ait les effets escomptés, les producteurs nationaux doivent répercuter intégralement les variations du change sur les prix de vente et non pas reconstituer leur marge ; or ce n’est pas toujours le cas. D’après une étude faite auprès d’entreprises françaises exportatrices en 1981 et 1982, plus de la moitié augmentaient leurs prix suite à une dévaluation. Le comportement de marge est ici dominant alors que la hausse de part de marché nécessite la baisse des prix en devises. Ce comportement peut être justifié par la hausse du prix des importations et l’anticipation de dévaluations futures. De même, une dévaluation réussie suppose que les exportateurs étrangers ne diminuent pas leurs marges pour accroître ou conserver leur part de marché. Là encore, ce n’est pas toujours le cas. Après 1985, le dollar s’est déprécié par rapport au yen mais les exportateurs japonais n’ont pas augmenté proportionnellement leurs prix en dollars pour ne pas perdre de parts de marché. De février 1985 à novembre 1988 le yen s’est renforcé de 52% mais Honda n’a augmenté le prix de ses voitures aux Etats-Unis que de 26,5%, baissant ses marges au profit du maintien de la part de marché. Ce phénomène peut contribuer à expliquer le faible rétablissement commercial américain. 3°) La spécialisation de l’économie : Si les produits sont performants, peu concurrencés par d’autres pays, si les entreprises sont price-makers, la demande étrangère est peu sensible aux prix et la dévaluation aura peu d’effets bénéfiques. Par contre, si les exportateurs sont price-takers, ils bénéficieront davantage de la baisse de prix en devises pour conquérir des marchés. Les fluctuations de change ne peuvent compenser les écarts de compétitivité structurelle. 4°) L’effet d’hystérésis : Une variable x provoque un effet d’hystérésis sur le solde extérieur quand, à la suite d’une variation du solde extérieur causée par une variation de x, le retour de x à son niveau initial n’entraine pas le retour du solde extérieur à son niveau initial. En effet au début des années 1980 le dollar surévalué a incité les firmes étrangères à faire des investissements importants pour faciliter leurs exportations vers les Etats-Unis : réseaux de distribution, dépenses de lancement du produit. Ces investissements ne sont rentables que si les exportations durent plusieurs années. Après 1985, quand le cours du dollar a baissé, les exportateurs ne sont pas repartis et les importations ont continué. 5°) L’asymétrie des monnaies : Certaines monnaies sont systématiquement recherchées car elles servent d’instrument d’échange international ou de réserve de valeur. C’est le cas du dollar ; on parle d’”habitat préféré”. D’autres sont fuies à cause d’un passé douteux, c’est à dire inflationniste ; ces monnaies subissent une prime de risque, c’est à dire des taux d’intérêt plus élevés. Les monnaies bénéficiant d’un habitat préféré ont tendance à s’apprécier systématiquement et les autres à se déprécier, toutes choses égales par ailleurs. Le taux de change ne joue plus son rôle d’ajustement de la balance commerciale. Par exemple, le dollar bénéficie d’un habitat préféré en raison de la puissance de l’économie américaine, de la profondeur et de la liquidité de son marché financier, du respect du droit de propriété dans ce pays. Le déficit courant américain justifierait la baisse du dollar mais l’habitat préféré la freine. D – Le mythe de la balance commerciale excédentaire et ses raisons 1 – Un mythe ancien : Jadis, les mercantilistes se réjouissaient d’un excédent commercial, signe d’entrée d’or dans le pays et donc, selon leur vision, de richesse accrue. Aujourd’hui, l’or n’est plus utilisé comme moyen de règlement des échanges internationaux mais le jugement positif sur l’excédent commercial demeure. L’opinion s’imagine qu’il est bon d’exporter plus qu’on importe et elle est fière que les produits nationaux soient désirés sur les marchés extérieurs. En effet, il existe un mythe de l’exportation et du solde positif de la balance commerciale. La hausse des exportations est censée entrainer une hausse de la demande globale, une hausse de la production et de l’emploi. C’est un mythe mercantiliste toujours en vigueur. La presse et le gouvernement ont l’habitude de se féliciter d’un excédent et de s’inquiéter d’un déficit de la balance commerciale. Ils n’ont pas retenu les leçons de Bastiat8 qui montrait combien cette notion de commerce extérieur était artificielle, ambiguë et arbitraire, et ne signifiait pas grand-chose, si ce n’est le contraire de ce qu’on croit habituellement. On ne voit pas pourquoi on s’inquiéterait d’importations à bas prix. Tant mieux si le consommateur trouve à l’étranger des produits moins chers. Bastiat dénonçait le sophisme de l’excédent commercial. L’augmentation des importations n’est pas un signe d’appauvrissement, mais bien d’enrichissement, d’une capacité accrue des individus à satisfaire leurs besoins. Si nos exportations étaient nulles et nos importations infinies, cela nous permettrait de jouir d’une infinité de biens. Le profit, c’est quand on reçoit plus que ce que l’on donne. Se procurer des biens à meilleur marché est une bonne affaire et non une catastrophe. Par exemple, si on achetait des chaussures à 400 f sur le marché national, et qu’on les trouve à 250 f grâce aux importations, cela représente 150 f d’économie qui peuvent servir à acheter d’autres biens. Quant aux 250 f, ils n’ont pas disparu, et se retrouveront ici ou là en achat en provenance de l’étranger puisqu’une entreprise étrangère les a reçus. Encore faut il que nos entreprises ne soient pas bridées dans leur capacité de production. C’est en ce sens, et en ce sens seulement qu’un déficit peut inquiéter : s’il est le fruit d’une relance artificielle, d’une manipulation de la conjoncture par les gouvernants ou de rigidités d’origine étatique. Mais si le commerce est libre, l’échange ne peut que bénéficier aux deux parties, c'est-à-dire au pays qui importe et à celui qui exporte. Le Royaume-Uni au XIXème siècle connaissait un déficit commercial, cela ne l’empêchait pas d’être la première puissance économique mondiale. Idem pour les EtatsUnis depuis les années 1980. D’une certaine manière, les statistiques du commerce extérieur peuvent avoir un usage dangereux, elles peuvent servir à justifier tour à tour ou en même temps le protectionnisme, les subventions, l’interdiction de voyager à l’étranger, etc. « Malgré tout l’amour qu’on me prête pour les statistiques, je n’hésiterais pas à recommander, si l’on m’interrogeait, la suppression des statistiques du commerce extérieur, étant donné tout le mal qu’elles ont fait dans le passé, qu’elles font et, je le crains fort, qu’elles feront encore dans l’avenir » écrivait Jacques Rueff en 1933. 8 Voir notamment Le capitaine au long cours. - - 2 – Les origines du mythe Selon Pascal Salin, ce mythe repose sur éléments : une habitude comptable : dans la balance des paiements, les importations sont comptabilisées avec un signe – et les exportations avec un signe + l’intérêt des groupes de pression : les exportateurs vont défendre leurs intérêts en réclamant des aides à l’exportation payées par l’ensemble des contribuables (théorie des groupes de pression d’Olson) enfin les idées keynésiennes Analysons en détail ce dernier point. Les keynésiens pensent que la hausse des exportations permet d’augmenter la demande globale, donc la production va augmenter et le chômage diminuer. Cette conception des choses est erronée selon Pascal Salin9, à qui nous empruntons l’explication qui suit. Soit l’équation de la demande globale : DG = C + I + G + X – M Au départ X = M ; ensuite les exportations augmentent suite à des subventions aux exportations. Le solde extérieur positif aura comme contrepartie un solde négatif des titres : la population achète plus de titres qu’elle n’en vend à l’étranger. Or les résidents ne peuvent acheter des titres à l’étranger qu’en diminuant l’épargne disponible pour la consommation et l’investissement. Dans l’équation de la demande globale, l’augmentation de l’excédent commercial se fait au détriment de la consommation ou de l’investissement ; la demande globale reste inchangée. Les keynésiens pensent même que les exportations vont créer un effet de relance : c’est le multiplicateur du commerce extérieur (Cf. encadré) théorisé par R. Harrod, The Trade cycle, 1936, puis par J.J. Polak, « American Economic Review », décembre 1947. L’effet multiplicateur des exportations : Les exportations de biens et services produits sur le territoire national sont créatrices de revenus pour l’économie nationale. Elles entraînent un effet multiplicateur sur l’activité économique. Démonstration : Y + M = C + I + X (1) Puisque Y = C + S, nous pouvons écrire : C + S + M = C + I + X Soit encore : S + M = I + X (2) L’équation (2) signifie que les importations ont des effets identiques à l’épargne : elles ne créent pas de revenus dans l’économie nationale mais dans le reste du monde. Symétriquement, les exportations ont le même effet que l’investissement : elles créent des revenus dans l’économie nationale. En termes d’accroissement, l’égalité (2) devient : ΔS + ΔM = ΔI + ΔX Posons ΔI = 0 afin d’isoler l’effet des exportations sur le PIB. ΔS + ΔM = ΔX On divise chaque membre par ΔY : ∆S + ∆M ∆X ∆Y 1 = ===> ∆Y = ∆X . ===> ∆Y = ∆X . ∆Y ∆Y ∆S + ∆M ∆S / ∆Y + ∆M / ∆Y 9 Pascal Salin, Macroéconomie, Puf, 1991, p. 375. Or ΔS/ΔY = propension marginale à épargner : s ΔM/ΔY = propension marginale à importer : m ∆Y 1 1 = Il vient : ∆Y = ∆X . soit encore : (3) ∆X s + m s+m Le rapport 1/s+m est le multiplicateur du commerce extérieur. Il signifie que tout accroissement des exportations entraîne une hausse plus que proportionnelle du PIB. L’effet multiplicateur est d’autant plus fort que les propensions à épargner et à importer sont faibles. Cependant il existe un facteur d’atténuation car la hausse du PIB va accroitre les importations. Le supplément d’importations induit par la hausse du PIB est égal à : ΔM = m. ΔY ΔY = ΔM/m En remplaçant la valeur de ΔY dans (3), on obtient : ∆M 1 m = ===> ∆M = .∆X m.∆X s + m s+m Comme s et m sont >0 et <1, on en déduit que ΔM < ΔX. Les importations induites par la hausse du PIB sont inférieures à la hausse initiale des exportations. Ce résultat doit cependant être tempéré car il ne tient pas compte des variations relatives des prix des exportations et des importations. Mais il faut aller plus loin dans le raisonnement. Avoir un excédent commercial signifie pour un pays qu’il transfère à l’extérieur plus de biens et de services qu’il n’en reçoit, c’est à dire que la consommation et l’investissement (donc les possibilités futures de croissance) sont diminués. Bien entendu, il reçoit en contrepartie des titres étrangers à plus ou moins long terme, ce qui signifie qu’il recevra plus tard des recettes d’intérêt et de remboursement qui lui permettront, s’il ne désire pas les placer à nouveau à l’étranger, de consommer et d’investir davantage. En ce sens, un excédent commercial représente seulement un choix en faveur d’une consommation future aux dépens de la consommation actuelle, un déficit commercial un choix en faveur d’une consommation présente aux dépens de la consommation future. Il n’y a donc pas de raison a priori de dire qu’un pays donné doit avoir un solde positif de sa balance commerciale. Tout le monde considère comme normal que certains individus achètent à crédit, c’est à dire dépensent une somme plus importante que leur revenu, donc s’endettent, et il serait légitime dans ce cas de dire que leur balance commerciale est déficitaire. Si globalement tous les agents économiques d’un pays ont des préférences telles qu’ils désirent consommer ou investir plus qu’ils ne produisent, quitte à rembourser plus tard leurs emprunts à l’étranger, il y a par définition un déficit commercial, mais on ne voit pas en quoi cette situation serait regrettable. 3 – Les enjeux a) Les ambigüités de la notion d’équilibre de la balance des paiements Nous empruntons la démonstration suivante à Pascal Salin10. Supposons que dans un pays A la monnaie n’existe pas et qu’il y a seulement des produits actuels et des produits futurs (titres, obligations par exemple). Un individu choisissant entre le présent et le futur a le choix entre deux possibilités : transformer lui-même les biens présents en biens futurs par l’investissement propre ou échanger de l’épargne sur le marché, c’est à dire des biens présents contre des biens futurs. Imaginons que l’on passe d’une situation d’autarcie financière à une situation d’ouverture financière, c’est à dire que les échanges de titres soient désormais possibles entre habitants de pays différents. Si le taux d’intérêt sur le marché mondial de l’épargne (rm) est différent du taux d’intérêt d’isolement, les habitants du pays A ont intérêt à faire des échanges d’épargne avec les étrangers. A partir de la situation d’isolement, les habitants de A peuvent renoncer à absorber (consommer ou investir) une unité de produit actuel pour obtenir (1 + rm) unité de produit futur. Au cours de la période 1, les habitants de A acceptent une baisse de leur consommation ou de leur investissement car ils en espèrent un gain futur qui, à leurs yeux, les dédommagera du sacrifice de la période 1. Il y a donc vente d’épargne au reste du monde et achat de titres (obligations) pour un même montant. Au cours de la période 2, les habitants de A reçoivent le remboursement de leur prêt d’épargne, augmenté du paiement des intérêts. Il y a donc entrée d’épargne, c’est à dire de produits et en contrepartie les habitants de A remettent leurs titres de créances à ceux qui les avaient émis, c’est à dire qu’ils sont annulés. En vendant de l’épargne – des biens présents contre des biens futurs – les individus du pays A accroissent leur bien-être. Ils peuvent répartir leurs ressources dans le temps d’une manière qui ne leur était pas possible en l’absence d’échanges internationaux de titres. Au cours de la période 1, les habitants de A vendent de l’épargne, les ventes de produits supérieures aux achats de produits, donc excédent commercial. En contrepartie, il y a un déficit de la balance des titres, c’est à dire que les importations (achats) de titres sont supérieures aux exportations (ventes). L’excédent de la balance commerciale est inséparable du déficit de la balance des titres, l’un et l’autre constituant les 2 parties indissociables de l’échange. Dans la période 2, le déficit de la balance commerciale est inséparable de l’excédent de la balance des titres. Parce qu’elle traduit l’équivalence entre les achats et les ventes, la balance des paiements est toujours en équilibre. La notion même d’équilibre de la balance des paiements est étrange car le terme « équilibre » signifie « satisfaction ». Or, un compte ne peut pas être satisfait ou mécontent, seuls les individus peuvent l’être. Il y a confusion entre une notion comptable (l’équilibre des comptes) et une notion économique (la satisfaction des individus). Au sens comptable, la balance des paiements est toujours équilibrée ; quant à l’équilibre des individus, il s’apprécie à partir d’autres critères et n’implique en rien telle ou telle structure de la balance des paiements. On a coutume d’appeler « mouvements de capitaux » les mouvements internationaux de titres. Dans le cas où il y a déficit de la balance des titres, on parle d’une sortie de capitaux. Lorsqu’on parle de sortie de capitaux, on pense à la contrepartie du mouvement de titres, à savoir le mouvement de biens réels, le capital. L’expression « mouvements de capitaux » se réfère à la contrepartie des mouvements de titres, les flux 10 Pascal Salin, Macroéconomie, Puf, 1991. de biens réels. Si l’on ajoute maintenant la monnaie dans l’analyse, les transferts internationaux d’épargne (les soldes commerciaux) peuvent avoir pour contrepartie non seulement des échanges de titres mais aussi des échanges de monnaie. Si l’on suppose qu’un pays est spécialisé dans la production de monnaie, il est probable qu’il vendra de la monnaie aux habitants des autres pays en contrepartie de produits actuels ou futurs. Le pays B enregistrera un excédent de la balance de la monnaie et en contrepartie un déficit de la balance commerciale et/ou de la balance des titres. b) Les mesures illusoires visant à modifier le solde commercial Pour Pascal Salin, « c’est un non-sens complet de se donner des objectifs de commerce extérieur ou de balance des paiements. Prenons un exemple : si les Japonais épargnent beaucoup et s’il y a de bonnes occasions d’investir aux Etats-Unis, il est normal que des titres américains partent vers le Japon et qu’en même temps les biens et services aillent du Japon vers les Etats-Unis. Ce que l’on appelle – selon une terminologie regrettable – le « déficit » commercial américain résulte de cette situation. Il est désirable pour tout le monde, puisqu’il ne fait que refléter des échanges qui ont été voulus par les habitants des deux pays et leurs choix respectifs entre produits actuels et produits futurs. Toute politique qui viserait à réduire ce soi-disant « déficit » ne peut avoir que des effets nuisibles, si jamais elle réussissait à transformer la structure de la balance des paiements.11 » Le solde de la balance commerciale s’explique par les différences de préférence pour le temps de tous les individus du monde. Le fait de subventionner les exportations ne modifie en rien la cause du phénomène – désirs d’échange entre le présent et le futur – donc le solde commercial désiré. Donc en subventionnant les exportations on subventionne aussi les importations sans modifier le solde commercial. Toutes les mesures visant à modifier le solde commercial sont donc inspirées par une idée fausse consistant à penser que les importations et les exportations sont indépendantes. Or elles sont étroitement liées comme le sont d’ailleurs les deux parties de toute transaction, l’achat et la vente qu’on appelle justement importations et exportations. Si les exportations sont inférieures aux importations, c’est parce que les habitants du pays désirent payer une partie de leurs achats au moyen de titres (biens futurs) et non de produits actuels. La politique de lutte contre le déficit commercial ne peut donc pas réussir puisqu’elle se donne un objectif illusoire. Il vaut d’ailleurs mieux qu’elle n’y réussisse pas car le déficit commercial est désiré. Mais cette politique entraine cependant un gaspillage pur et simple de ressources (salaires des douaniers, frais dus au contrôle des changes, contraintes diverses…). c) Le risque de guerre commerciale Tous les pays ne peuvent pas avoir en même temps en excédent. Par définition, l’excédent des uns est le déficit des autres. Par conséquent, la politique nationaliste d’excédent commercial aboutira tôt ou tard à des querelles commerciales, les pays en déficit regardant avec jalousie les excédents des autres pays. Il y a d’ailleurs une contradiction chez les penseurs keynésiens, celle même qui existait chez les mercantilistes. Les keynésiens sont favorables à l’excédent commercial dans leur pays mais ils fustigent les excédents commerciaux des autres pays, surtout en période de crise. Le texte suivant de Martin Wolf12, éditorialiste au Financial Times, en constitue une 11 12 Pascal Salin, La vérité sur la monnaie, Odile Jacob, 1990, p. 272. Le Monde, 9 décembre 2008. illustration. « Les pays à forts excédents commerciaux importent la demande du reste du monde. En cas de récession grave, cela constitue une politique égoïste qui rend impossible la nécessaire combinaison du rééquilibrage global et d’une demande générale soutenue. (…) Si l’économie globale ne veut pas sortir de la crise en trop mauvais état, les pays excédentaires solvables doivent augmenter leur demande intérieure par rapport à leur production potentielle. (…) Certains affirment que les efforts déployés par les pays présentant un déficit extérieur pour promouvoir une croissance fondée sur les exportations grâce à une dépréciation du taux de change constituent une politique égoïste. C’est contraire à la vérité, puisque c’est une politique visant à revenir à l’équilibre13. La véritable politique égoïste, c’est lorsque des pays aux immenses excédents extérieurs laissent s’effondrer la demande intérieure. Car alors ils exportent du chômage. Si les pays à forts excédents ne font rien pour l’empêcher, qu’ils ne soient pas surpris si les pays déficitaires en viennent à recourir à des mesures protectionnistes ». De la même manière que M. Wolf, un keynésien français souhaitera un excédent commercial pour la France (plus de demande globale adressée aux produits français, effet multiplicateur des exportations) et considérer comme égoïste l’excédent commercial allemand, signe d’une politique de rigueur outre-Rhin qui diminue la demande adressée aux produits français. Mais un keynésien allemand pensera le contraire : l’excédent allemand est positif, source de production supplémentaire et d’emplois en Allemagne. La pensée keynésienne aboutit à des conclusions incohérentes car elle n’est pas construite à partir de l’agir humain et de la rationalité de l’individu. 13 Souligné par nous. On voit ici le danger du terme équilibre qui peut justifier la dévaluation. II – L’analyse empirique des déséquilibres extérieurs depuis 1945 : 1961-1970 1971-1980 1981-1990 1991-1997 Source : OCDE. Allemagne 0.8 0.7 2.7 -0.8 France 0.3 0.2 -0.6 0.7 Royaume-Uni 0.0 -0.3 -0.6 -0.8 Etats-Unis 0.6 0.0 -2.0 -1.6 Japon 0.3 0.6 2.3 2.3 A- La balance commerciale ou le Sisyphe français : 1) 1945-1972 : la recherche de l’équilibre commercial par la dévaluation Après la Seconde Guerre mondiale, la France connaît un déficit commercial du à une demande élevée et à une forte qui freine les exportations. La part des produits manufacturés dans les exportations passe de 67% en 1950 à 73,4% en 1958 grâce aux progrès de la productivité dans l’industrie. A partir de 1955, le solde commercial se dégrade fortement : en France, les prix à la production augmentent de 18% alors qu’ils reculent de 8.5% en RFA. Pour retrouver l’équilibre, le gouvernement français va dévaluer le franc. La dévaluation de 20% de 1957 est un exemple de dévaluation non réussie. Le gouvernement a relâché le contrôle des prix par suite de la hausse du coût des matières premières et de la situation financière difficile de certaines banches. La libération partielle des prix provoque une hausse de l’inflation qui compense presque complètement l’effet positif de la dévaluation dont le taux pourtant élevé (20%) s’est avéré trop faible. Ainsi la dévaluation de 28 décembre 1958 (15%) se produisit-elle moins de 16 mois après celle du 10 août 1957. En revanche, la dévaluation de 1958 est un succès. Elle a bénéficié de la diminution de l’absorption grâce à la mise en place d’une politique de rigueur. • restriction du crédit • restriction des dépenses publiques : - 3 milliards • hausse de la pression fiscale : majoration des impôts sur le tabac, l’alcool, de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les bénéfices des sociétés L’investissement a diminué à prix constants de 0,5% entre 1958 et 1959. La consommation des ménages n’a cru que de 1,8% alors que la hausse du PIB lui était supérieure. La modération de la demande interne a permis d’augmenter le surplus exportable. On assiste à un redressement spectaculaire du commerce extérieur dans un contexte de plus grande concurrence avec la CEE. En 1959, les exportations augmentent de 30% par rapport à 1958. L’orientation coloniale du commerce extérieur accroit l’efficacité de la dévaluation. En 1958, 27,6% des importations françaises s’effectuaient avec les pays de la zone franc. La dévaluation rend les marchandises françaises plus compétitives à l’exportation hors zone franc mais ne renchérit pas les importations en provenance de la zone franc. Cependant, l’excédent est éphémère. Le taux de couverture (X/M) a tendance à se dégrader pendant la décennie 1960 et descend aux alentours de 92%, alors qu’il était de plus de 105% en 1959. Le différentiel d’inflation avec les autres pays en est la cause principale, laquelle oblige le gouvernement Giscard à mettre en place un plan de stabilisation en 1963. Prix de détail Prix de gros Hausse de l’indice des prix de 1958 à 1968 : (en %) France Italie RFA 46,5 38 26,5 23 13,5 11 USA 20 9,5 A la suite des événements de mai 1968, les accords de Grenelle entraînent une hausse de 35% du SMIG ainsi que des augmentations de salaires de 12% à 20%. D’où une vive poussée de la consommation privée, de l’inflation et des importations, ainsi que des sorties de capitaux et une baisse des réserves de change. A l’automne 1968, un 1er plan de restrictions intervient : encadrement du crédit, hausse des taux de TVA, économies budgétaires. Le taux de couverture continue de se dégrader car la demande interne reste forte. Les importations de précaution se produisent par anticipation d’une prochaine dévaluation, ce qui contribue à la précipiter. Au début des années 1970, l’équilibre est restauré, notamment grâce à l’effet de la dévaluation de 1969. Le franc est dévalué de 12.5% le 8 août 1969 avec en complément des mesures monétaires restrictives (hausse du taux d’escompte de 7 à 8%), des économies budgétaires, une majoration des impôts sur la vignette et l’alcool, un prélèvement exceptionnel sur les bénéfices des banques, un blocage des prix du 08/08/1969 au 15/09/1969 puis ensuite régime de liberté surveillée, la mise en place des “contrats de progrès” devant maintenir les hausses de revenus dans des limites compatibles avec les hausses de productivité et la croissance du PIB. La dévaluation de 1969 fut une réussite : en 1969 le déficit commercial est de 974 millions de $ ; en 1970 l’excédent de 300 millions de $. La croissance reste forte : 8% en 1969 ; 6% en 1970. L’inflation ne s’est pas accélérée. La réévaluation du DM en octobre 1969 vient renforcer la compétitivité des produits français. Les effets bénéfiques se font sentir jusqu’en 1972 dans un contexte de croissance mondiale. Le taux de couverture avec la CEE passe de 83 à 97% entre 1969 et 1973, de 89 à 96% avec le reste de l’OCDE. Sur le plan de la structure des échanges, on peut noter les évolutions suivantes pendant les années 1960. - De 1958 à 1972, sous l’effet de l’entrée dans la CEE, le rythme d’accroissement du commerce extérieur est 2 fois supérieur à celui du PIB, contre 1,5 fois auparavant. L’entrée dans la CEE a stimulé les gains de productivité et la production. - De 1958 à 1969, la part de la CEE dans les exportations françaises passe de 28% à 53% ; la part de la CEE dans les importations de 32 à 56%. Le poids des échanges intracommunautaires dans le commerce extérieur des Etats membres de la CEE (= exportations vers la CEE/exportations totales) 1958 1960 1965 1970 1975 1980 1985 France 28.6 36.5 47.8 54.8 49.9 51.9 48.7 RFA 35.8 38.5 43.8 47.4 44.8 49.1 47.3 CEE à 10 35.3 39 46.7 51.2 50.3 53.6 51.6 Source : Office statistique des Communautés européennes. - La contrainte agricole s’est allégée : le taux de couverture dans l’agriculture est passé de 21% en 1959 à 104% en 1973. - - - - Les branches de biens de consommation courante (textile, habillement, cuir, chaussures, bois, meubles, parachimie, pharmacie, presse édition) voient leur excédent commercial se réduire : le taux de couverture de 130% en 1973 contre 400% en 1959. En 1973, la France connaît toujours un excédent commercial dans l’industrie, même s’il s’est réduit par rapport au milieu des années 1960. L’automobile est un point fort avec un taux de couverture supérieur à 200% tandis que pour les biens intermédiaires (métallurgie, chimie, verre, papier-carton, caoutchouc, matières plastiques), la dégradation a été brutale. Les marchés autrefois protégés des anciennes colonies s’ouvrent à la concurrence des autres pays industrialisés. En 1969, seulement 11% des ventes leur sont destinées. Et cette part va ensuite se restreindre au fil des ans. L’Algérie absorbait 17% des exportations françaises en 1958, 3% en 1969. Le retrait progressif des pays de l’ancien empire se fait au profit des autres PED qui deviennent fournisseurs de pétrole et de matières premières. Déficit avec les EU et le Japon, excédent avec les PED. La CEE représente 1/2 des débouchés en 1972 contre 1/4 en 1958 ; les pays de l’OCDE les 3/4. le taux de couverture se dégrade vis à vis de la CEE avec lequel il passe de 101% en 1959 à 82% en 1969. La France s’est assez bien adaptée à la décolonisation et au Marché commun. L’avantage compétitif des dévaluations de 1957-1958 y a contribué. En 1973, la France a une spécialisation intermédiaire selon la formule de F. Vellas : elle vend aux pays développés des produits banals et aux pays en développement des produits plus sophistiqués. Solde commercial rapporté au PIB (PIB = 1 000) 1959 -20.5 -0.2 -15.9 43.3 Agriculture IAA Energie Produits manufacturés Total 6.8 1963 -13.3 0.4 -14.8 19.8 1969 -3.2 -0.3 -12.3 -1.4 1973 0.5 1.7 -15.9 7.6 1979 -0.5 1.6 -34.8 18.9 1983 3.4 1.9 -43.3 14.7 -7.9 -17.2 -6.0 -14.8 -23.4 2) 1973-1983 : le cercle vicieux du pays à monnaie faible a) Les chocs pétroliers En 1974 apparaît un gros déficit en raison du gonflement de la facture énergétique. La part de l’énergie dans les importations passe de 12% en 1973 à 24% en 1984. 3% du PIB français en 1974 a été transféré aux pays producteurs de pétrole. Facture énergétique : 1.5% du PIB en 1973, 4% en 1985, 1.6% en 1987. On constate un effet compensatoire des produits industriels dont le solde est positif : automobile, aéronautique, armement, construction navale. Par contre, déclin des biens de consommation : textile, habillement, chaussure, meubles. On assiste donc à un transfert vers les industries capitalistiques, ce qui n’est pas sans effet sur le chômage. Les exportations vers les PED s’accroissent, passant de 19% du total en 1973 à 28% en 1982 (OPEP 5% et 11% respectivement) ; d’ailleurs le VIIème Plan (1976/1980) préconisait la réorientation des exportations vers les PED. L’Etat a mis en place des dispositifs pour que les entreprises s’engagent sur des marchés à hauts risque, en encourageant les grands contrats, le développement des garanties de la COFACE, la bonification de taux d’intérêt, des prêts aux clients étrangers, des avances en devises. Le montant des aides à l’exportation est passé de 2.5 milliards en 1974 à 17 milliards en 1982. La charge budgétaire des crédits bonifiés est passée de 1 milliard en 1974 à 13.4 milliards en 1982. Cette politique commerciale active n’est pas nouvelle. 3 organismes d’aide à l’exportation avaient été créés après 1945 : le centre français du commerce extérieur (CFCE), la Banque française du commerce extérieur (BFCE), la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (COFACE) qui elle établit une évaluation par pays des risques encourus et accorde des garanties pour le paiement des exportations, elle assure contre le risque de change, le risque de fabrication (arrêt de production, interruption de marché), le risque de crédit (non paiement du client), le risque de hausse des coûts de fabrication. Finalement, la France s’adapte assez facilement aux chocs pétroliers par l’accroissement des grands contras d’équipement civil et militaire, parfois signés et financés par l’Etat. Ils permettent aux firmes françaises d’engineering et de travaux publics de s’implanter sur les nouveaux marchés porteurs (pays de l’OPEP, PED dynamiques). Ces grands contrats civils de biens d’équipement concernent essentiellement les complexes industriels (usines clés en main), les complexes énergétiques (terminaux pétroliers, oléoducs, gazoducs), les infrastructures d’aménagement du territoire (routes, ports, lignes ferroviaires, réseaux de distribution d’eau, et la vente de matériel ferroviaire (métros) et aéronautique. Importance des accords bilatéraux avec les pays clients, sous l’égide du gouvernement et de la diplomatie. Cette politique est un succès à court terme : l’excédent commercial avec les PED passe de 29 milliards de francs en 1974 à 128 milliards en 1984. L’excédent industriel a été multiplié par six entre 1973 et 1978, il couvre cette année-là 80% du déficit énergétique. Pourtant, cette politique n’est pas sans risque. « Nous avons transformé notre facture pétrolière en un ensemble de créances sur (les) pays du tiers monde (…) dont la capacité d’endettement n’est pas illimitée » pouvait-on lire dans le Rapport sur l’adaptation du VIIème Plan, 1978. Autre problème : cela a pu retarder la restructuration industrielle nécessaire pour affronter la concurrence des pays industriels Le second choc pétrolier accroît la perte de compétitivité via la hausse des prix et détériore durablement l’équilibre extérieur. 1978 sera la dernière année avec un excédent de la balance des biens et services ; il faudra attendre 1986 pour en retrouver un. La déspécialisation en biens de consommation se poursuit. La branche cuirschaussures est devenue déficitaire en 1976, la branche textile-habillement le devient en 1979. b) La relance Mauroy Dans ce contexte déjà détérioré, la relance Mauroy en 1981 va creuser le déficit extérieur en 1982 et pousser le franc à la baisse. Cette relance a buté sur la contrainte extérieure : le déficit commercial s’est creusé. L’excédent industriel est passé de 55 à 30 milliards de francs de 1981 à 1982. Pour financer la balance de base, le gouvernement a recours aux emprunts à moyen et long terme ainsi qu’aux réserves publiques en devises de la Bdf. La position monétaire de la Banque de France s’est dégradée d’environ 30 milliards de francs de 1981 au 1er trimestre 1983. La gauche va modifier sa politique économique au début de 1983 vers une politique de rigueur. La relance Mauroy, en soi porteuse de déficit, se fait au pire moment, les politiques restrictives menées dans les autres pays de l’OCDE ont comprimé le volume des exportations. De plus, la spécialisation sur des créneaux mal reliés conduit à relever fortement les importations lors de toute relance d’activité. La stratégie de spécialisation par créneau consiste pour une entreprise à se positionner sur un segment porteur du marché ; elle caractérise la politique industrielle de Giscard de 1974 à 1981. La spécialisation par créneau aboutit à la coexistence de positions hétérogènes à l’intérieur même des branches. Des points forts et des points faibles existent dans presque toutes les branches industrielles. Dans le textile, on trouve des points forts en amont, dans la filature, et des points faibles en aval, dans la confection et la bonneterie. Les moteurs d’avions sont un point fort mais les cellules et équipements pour les produire sont un point faible. Cette forme de spécialisation entraîne une forme de dépendance vis-à-vis de l’extérieur car les composants de certains produits considérés comme des points forts sont importés. Cet affaiblissement de la cohérence interne des branches ne favorise pas les effets d’entrainement entre secteurs de l’amont vers l’aval (baisse des coûts) ou de l’aval vers l’amont (débouchés). c) Les dévaluations de 1981-1983 Pour limiter le déficit extérieur et maintenir le franc dans le SME, 3 dévaluations seront mises en œuvre en l’espace de 2 ans. La dévaluation de juin 1982 était accompagnée du blocage des salaires et des prix pendant 5 mois, de la hausse d’un point du taux de TVA, d’économies concernant la Sécurité Sociale. En mars 1983 la dévaluation est accompagnée de mesures encore plus restrictives : hausse des impôts, forfait hospitalier, réduction du besoin de financement aux entreprises publiques, encadrement du crédit, contrôle des prix, incitation à l’épargne, contrôle des changes. Ces dévaluations auront pour effet de limiter le déficit sans l’éliminer. Le déficit passe de 93 milliards de francs en 1982 à 49 milliards en 1983 et 25 milliards en 1984. L’effet potentiellement positif de la dévaluation est limité dans un premier temps (surtout en 1982) par le différentiel de croissance, les partenaires commerciaux pratiquant une politique de rigueur et subissant la récession. 1981 1982 1983 1984 1985 1986 Différentiel de croissance (en volume, en %) France - RFA France - OCDE 0.46 -0.95 2.76 2.11 -1.08 -1.84 -1.46 -2.94 -1.41 -1.95 -0.27 -0.37 De plus, plus de la moitié des entreprises françaises exportatrices ont eu un comportement de marge en 1981-1982, c’est à dire ont augmenté leur prix suite à la dévaluation du franc. L’avantage compétitif n’est pas répercuté, les prix en devises restent les mêmes et la part de marché n’augmente pas. L’amélioration constatée à partir de 1983 est due la faible hausse de la demande interne qui limite les importations et à la reprise de la demande internationale qui stimule les exportations. Le différentiel de croissance redevient favorable pour le solde commercial. La France avait pris l’habitude de dévaluer en raison de l’orientation coloniale de son commerce extérieur. La dévaluation rendait les marchandises plus compétitives sans renchérir les importations en provenance de la zone franc. A partir des années 1970 le commerce avec la zone franc devient insignifiant (9,4% des importations) et la dévaluation est beaucoup moins efficace. d) Le cercle vicieux des pays à monnaie faible La France connaît alors le cercle vicieux des monnaies faibles. Les effets négatifs de la dévaluation se produisent, mais pas les effets positifs. La déprécation du franc accroit le coût des produits importés, or ces derniers jouent un rôle croissant dans les consommations intermédiaires indispensables pour fabriquer les exportations. D’où une hausse du coût des produits exportés qui lamine notre part de marché. La hausse du prix des importations entraine la hausse générale des prix, des revendications salariales, une hausse des salaires et des prix, et l’anticipation d’une nouvelle dépréciation du change. La Banque centrale est la condition permissive de ce processus. On aboutit à l’accroissement du déficit et de l’inflation, ce qui entraine une nouvelle dévaluation, le gouvernement pouvant prétexter que la première dévaluation n’a pas été assez forte. De plus, la dévaluation entraîne souvent un comportement de marge, les entreprises profitent de la dévaluation pour reconstituer leurs marges commerciales laminées par une monnaie précédemment surévaluée. La dévaluation ne pousse pas à la modernisation en procurant une apparence de compétitivité. Elle facilite la survie de production de produits banalisés à faible valeur ajoutée, activités très concurrencées par les pays à bas salaires en période d’internationalisation croissante. Les entreprises sont “price taker”. Cercle vicieux des pays à monnaie faible Déficit commercial Dévaluation Inflation importée Hausse des dépenses d’importation Comportement de marge Hausse des coûts de production Baisse de la compétitivité prix Faibles efforts de productivité Pas de gains de parts de marché Baisse de la compétitivité prix Spécialisation dans les produits bas de gamme très concurrencés Baisse de la compétitivité hors prix La courbe en J ne fonctionne pas. La dévaluation conduit in fine à une augmentation du déficit commercial, qui lui-même suscite une dépréciation de la monnaie, et donc une nouvelle dévaluation. La courbe en J va se transformer en tôle ondulée La courbe en tôle ondulée : Solde commercial + Temps - « L’exemple de la Grande-Bretagne ou de l’Italie au début des années soixante-dix montre en particulier que la correction d’un déficit externe par la baisse du taux de change ne règle rien, si chaque dépréciation est interprétée par les agents économiques comme en annonçant d’autres 14». Pour donner une idée de la chute du franc à cette époque, un Mark valait 1,4 francs en 1968, 3,5 francs en 1993. Or durant cette période, la France enregistre un déficit commercial et l’Allemagne un excédent. 3) 1983-2003 : La désinflation compétitive et le retour à l’excédent Si les gouvernements luttent contre l’inflation, c’est surtout à cause d’un un impératif commercial : une inflation plus forte dans un pays qu’à l’étranger diminue la compétitivité prix des produits nationaux. De manière générale, elle pénalise les exportations et favorise les importations. D’où le choix du gouvernement français de la désinflation compétitive en 1983, devant l’inefficacité des dévaluations. La désinflation compétitive repose sur 4 piliers exposés en 1992 par Jean-Claude Trichet, gouverneur de la banque de France : 1. politique monétaire plus stricte 2. politique budgétaire moins expansionniste 3. politique de maîtrise des coûts de production, portant essentiellement sur les salaires 4. politique structurelle visant à plus de concurrence (liberté des prix, dénationalisations, etc.) L’objectif est de permettre aux entreprises françaises de vendre moins cher que les concurrents étrangers, dans une économie de plus en plus ouverte. Elle s’oppose à la politique de dévaluation compétitive de plusieurs manières : 1. elle respecte l’adhésion au SME 2. elle fait reposer la compétitivité sur des ajustements réels et non monétaires 3. elle est liée à une politique de monnaie forte, qui permet d’importer à moindre 14 Henri Bourguinat (1997), Finance internationale, PUF, p. 517. coût, ce qui renforce encore la compétitivité nationale 4. elle doit favoriser la réduction progressive des taux d’intérêt car une monnaie forte attire les capitaux et incite à épargner (peu d’inflation) Cette politique ne produit pas d’effets notables tout de suite. Il faut un certain temps pour que l’excédent apparaisse. La contre choc pétrolier et la baisse du dollar restaurent l’excédent en 1986 mais ensuite le déficit revient jusqu’en 1992. Le solde énergétique passe de -180 milliards de francs en 1985 à -90 milliards en 1986 tandis que le solde industriel hors énergie s’effondre : +85 milliards en 1985 contre -6 milliards en 1987. On assiste à une baisse des commandes des pays de l’OPEP et des autres PED touchés par la baisse du prix du pétrole et la crise de la dette. La baisse du dollar fait reculer les exportations vers les USA. La reprise économique à la fin des années 1980 accroit les importations. Les avantages hors-coûts des firmes domestiques sont insuffisants, reflétant l’adaptation insuffisante du système productif à l’évolution de la demande mondiale (qualité, efficacité des réseaux de vente, avance technologique, fiabilité). Dans les années 1980, la France connaît une déspécialisation et des pertes de parts de marché dans la pharmacie, le textile-habillement, l’électronique. M. Debonneuil et M. Delattre notaient déjà que la perte de parts de marché était due à la faiblesse relative de l’investissement et l’existence de rigidités aux redéploiements des facteurs de production. La dévaluation Balladur d’avril 1986 n’a pas l’efficacité escomptée. Le gouvernement veut rétablir la compétitivité des entreprises mise à mal notamment par une inflation supérieure à celle des pays concurrents. En avril 1986 le franc est dévalué de 5,8%/au DM, mesure accompagnée d’une certaine rigueur budgétaire et monétaire, du gel des salaires dans la fonction publique et les entreprises nationalisées, de la suppression du contrôle des changes et de la liberté des transactions financières avec le reste du monde. Mais l’efficacité est beaucoup plus faible qu’en 1969, peut être en raison des nouvelles contraintes : concurrence étrangère accrue, appareil productif moins performant, contexte de recul des marchés dans les PED. 15 Solde commercial Inflation Les effets de la dévaluation du franc en 1986 1985 1986 - 100 + 60 +5.8% +3.2% 1987 - 90 +2.8% Selon Jean-Baptiste de Foucauld16, pendant des années le social a été le moteur de l’économie qui, malgré le marché commun, se protégeait de l’extérieur par des dévaluations successives. Ces mécanismes ne peuvent plus fonctionner aujourd’hui. La France enregistre un déficit industriel de 10 milliards de francs en 1987. Seules les activités bénéficiant ou ayant bénéficié du soutien de l’Etat (en tant que client ou via des aides publiques) gardent de solides positions : centrales nucléaires, télécommunications, aéronautique, armes, matériel ferroviaire. D’où la recherche de l’équilibre externe par une monnaie forte. 15 En milliards de francs. 16 La fin du social-colbertisme, 1988. De 1992 à 2002 : un éphémère excédent Le franc fort n’est pas un obstacle au redressement du solde de la balance commerciale, bien au contraire. Les branches excédentaires sont l’automobile et les transports terrestres, l’agro-alimentaire, l’équipement professionnel (avions, lancements spatiaux, construction navale, matériel électrique). L’énergie et les biens de consommation sont déficitaires. E. Balladur déclarait le 13 juin 1994: « Tout montre que la France est désormais entrée dans une longue période d’excédent du commerce extérieur ». Elle ne durera que 10 ans. Selon Elie Cohen17, les années 1990 ont été une décennie perdue. Les excédents commerciaux (1992-2003) ont masqué les insuffisances de l’investissement physique et dans le capital humain, la baisse de l’effort de R&D, le faible positionnement vers la haute technologie, le manque de renouvellement du tissu des entreprises. 4) Le retour au déficit structurel depuis 2003 La France connaît des succès commerciaux dans les domaines suivants : énergie, aéronautique, nucléaire, défense, construction ferroviaire, traitement des eaux et des déchets, pharmacie, luxe, vins et spiritueux, agroalimentaire. Pourtant, depuis 2003, le déficit commercial a tendance à s’accroitre et la part de marché de la France baisser dans les exportations mondiales. 17 « Spécialisation : la décennie perdue », Alternatives économiques, n°232, janvier 2005, p. 62. France Allemagne 1980 6% 9.9% Part dans les exportations mondiales 1990 1995 2008 6.5% 5.8% 3.9% 12.3% 10.6% 9.6% 2010 3.4% 8.3% Certains accusent l’euro fort d’en être responsable. On peut en douter puisque la majorité de nos exportations se font vers la zone euro et les Allemands, avec la même monnaie, ont un excédent. Bien entendu, les exportateurs sont sensibles à cet argument. Philippe Camus, coprésident d’EADS : « Je n’ai aucune envie d’avoir un euro trop fort… Quand l’euro monte de 10%, cela représente 1 milliard de dollars de moins sur notre résultat net… A titre d’exemple, 1 milliard de dollars c’est le budget R&D pour le projet A380 consenti en 200318. ». L’euro fort pénalise les firmes européennes ayant une base de coûts en euros et facturant en dollar. Les causes du déficit sont nombreuses : 1- Un problème de spécialisation : - une mauvaise spécialisation géographique : peu d’exportations vers les zones dynamiques comme l’Europe de l’Est ou l’Asie - une trop faible spécialisation dans les secteurs de haute technologie - une offre bas de gamme concurrencée par les pays émergents - une trop forte présence dans les activités les plus exposées à la concurrence globalisée et aux délocalisations. 85% des résultats des sociétés du CAC 40 sont obtenus hors de France, alors que les sociétés cotées américaines réalisent 85% de leur chiffre d’affaires aux USA. - un manque de spécialisation : d’après Gilles Le Blanc19, plus que d’une mauvaise spécialisation, la France souffre d’une spécialisation insuffisante. L’industrie française couvre en effet presque tous les segments d’activité dans des proportions comparables à la moyenne des pays industrialisés. Comme le montre le tableau suivant, elle s’inscrit dans le groupe des pays généralistes, aux côtés des Etats-Unis et de l’Espagne, par opposition à des pays réellement spécialisés comme le Japon, l’Allemagne et l’Italie. Pays Japon Italie Allemagne Royaume-Uni Espagne France Etats-Unis Indice de spécialisation productive de sept pays en 1992 et 2002 1992 2002 1.38 1.52 1.26 1.52 1.32 1.44 1.25 1.24 1.07 1.08 0.93 1.05 0.95 1.93 N.B. : Un indice élevé (exemple : 1,5) identifie un pays dont l'industrie est composée de quelques secteurs où il est très spécialisé. Un indice bas caractérise au contraire un pays « généraliste » : l'économie y est tirée par un ensemble plus diffus de secteurs, auxquels ce pays ne consacre pas une part du PIB plus importante qu'ailleurs. 18 19 Le Monde, 17 septembre 2003. http://www.institut-entreprise.fr/index.php?id=883 2- Un manque de compétitivité prix A cause du coût du travail, de la fiscalité et de diverses rigidités (35 heures). « La France a le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé d’Europe et un temps de travail plus faible que ses grands voisins européens. Ces deux facteurs pèsent mécaniquement sur la rentabilité des entreprises françaises20 » affirme Denis Ranque, président du Cercle de l’Industrie. En 2008, le taux de prélèvements obligatoires sur les entreprises était de 26.4% en France contre 13% en Allemagne. (Cf. graphique) 30 Prélèvements obligatoires sur les entreprises, en % de la valeur ajoutée, en 2008 dont cotisations sociales 25 20 15 10 5 0 France Italie RU All 3- une compétitivité hors-prix dégradée : Erosion des positions françaises en matière de qualité, design, innovation produit, qualité du service, des dépenses de R&D insuffisantes 4- des problèmes structurels : - un tissu de PME insuffisant. Manque de PME exportatrices, la France ayant longtemps privilégié une politique de grands travaux (type Airbus) ; les Allemands ont 3 fois plus de PME exportatrices que la France ; peu de start-up atteignent la taille critique. On peut relier cela à l’absence de business angels et aux effets de seuils dans les entreprises. - une faiblesse de l’élasticité-revenu des exportations : 0,8, la plus faible des grands pays industrialisés contre une moyenne de 2,1321. Les exportations françaises se trouvent relativement abritées des chocs de demande mondiaux, ce qui constitue un avantage en cas de crise, mais symétriquement un désavantage lorsque la croissance repart. 20 Entretien au Figaro, 26 mars 2012, p. 29. La Lettre du CEPII, « Dynamique des exportations : une comparaison France-Allemagne », n°249, octobre 2005. 21 Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat au commerce extérieur, résume les faiblesses de la France : « Le commerce extérieur français a des faiblesses bien connues : nos entreprises exportent trop vers la zone euro, l’essentiel de notre balance commerciale dépend des grands contrats et nous comptons trop peu de PME exportatrices ». Le Figaro, 2/12/2010. Il rajoutait : « Notre appareil d’exportation est sous-dimensionné, trop concentré sur les grandes entreprises et pas assez présent dans les pays émergents ». La Croix, 9/02/2011. Les piètres performances de l’industrie française à l’exportation ne sont pas nouvelles. Ainsi Michel Godet, Professeur de prospective industrielle au CNAM, écrivait en 1989 : « Comment expliquer les performances peu brillantes, et même parfois médiocres, comparées à l’Allemagne, de l’industrie française à l’exportation ? Cette grande question ne manque pas de soulever de multiples réponses souvent convergentes : qualité des organisations, des produits et des services ; systèmes de formation ; spécialisation industrielle ; intensité de la recherche. 22» Les effets : aucun pour l’instant ! En 1982, le déficit commercial entrainait une dévaluation et la mise en place d’une politique de rigueur. Aujourd’hui, rien de tout cela. Pourquoi ? D’une part, la globalisation financière permet de financer des déficits sans peine et d’emprunter aisément dans le monde entier. D’autre part, la monnaie unique a aboli le risque de change et amplifié les effets de l’intégration financière entre les pays qui y participent. Pour Jean-Pierre Robin, « L’euro a servi d’anesthésiant. Les déficits commerciaux ont cessé d’avoir un impact sur le taux de change : finies les dévaluations humiliantes du franc ! 23». Ce qui ne veut pas dire que le déficit n’a plus aucune importance. Il est d’abord un indicateur de la compétitivité des producteurs installés en France. Il signifie ensuite que le pays vit à crédit et qu’il devra transférer demain une partie de son revenu national à ses créanciers et donc restreindre sa consommation demain. 22 23 Le Monde, 25 avril 1989, p. 40. La Maison France dépense de 15 à 20% de plus qu’elle ne gagne, Le Monde, 3 octobre 2011, B – Allemagne et Japon : le cercle vertueux des pays à monnaie forte 1- Le schéma général L'intérêt d'une monnaie forte est triple. D'abord, une monnaie plus forte réduit les frais à l'importation, et contribue ainsi à la stabilité des prix. Le pétrole et autres matières premières deviennent moins chers. La stabilité des prix entraine une modération salariale. Ensuite, les producteurs de biens sont contraints d'augmenter leur productivité pour rester compétitifs. L'amélioration des processus de fabrication par l'automatisation des tâches et l'utilisation des technologies de pointes donnent, sur le long terme, de bien meilleurs résultats que le recours à une main-d’œuvre bon marché. Dans la compétition mondiale, les entrepreneurs sont conduits à l'excellence à la fois dans les décisions et dans les investissements : c'est cette course à l'excellence qui crée la vraie richesse. Une spécialisation sur la haute technologie permet aux entreprises d’avoir un marché plus captif, de fixer le prix sans concurrence, d’être price maker. Les profits dégagés permettent de financer les processus d’innovation qui donneront naissance à d’autres filières compétitives. A l’inverse, une spécialisation sur des produits banals fait que les producteurs sont davantage soumis à la concurrence par les prix. Enfin, une monnaie forte donne aux acteurs économiques la possibilité de réaliser des investissements à l'étranger dans des conditions favorables étant donné la force de la monnaie nationale. Par exemple, le franc suisse – monnaie forte – a permis aux entreprises suisses de devenir des géants mondiaux (pharmacie, horlogerie, agroalimentaire) sans payer trop cher la place à conquérir. Ce point est essentiel car la richesse d'une nation repose largement sur des investissements en capital bien conduits. Une monnaie forte attire les capitaux étrangers et favorise l'épargne. Comme les ménages détiennent leur épargne principalement dans leur devise nationale, ils deviennent relativement plus pauvres lors d'une dévaluation et, à l'inverse, relativement plus riches lors d'une réévaluation. Le cercle vertueux des pays à monnaie forte Excédent commercial Monnaie forte Désinflation importée Baisse des dépenses d’importation Efforts de productivité Maîtrise des coûts de production Compétitivité prix maintenue Spécialisation haut de gamme Compétitivité hors prix accrue Hausse des recettes d’exportation 2- L’Allemagne : ordo libéralisme et économie sociale de marché En 1948 a lieu la réforme monétaire de Ludwig Erhard substituant le DM au reichsmark au taux de 1 pour 10 et libérant les prix. L’ancienne monnaie, le Reichsmark, est démonétisée et remplacée par le DM le dimanche 20 juin 1948. Chaque allemand reçoit 60 DM, les entreprises 50 DM par employé comme fonds de roulement, les emprunts d’Etat sont échangés au dixième de leur valeur, les dépôts dans les banques et les livrets d’épargne sont dévalués de 94%. Pour la deuxième fois en une génération, les épargnants allemands sont ruinés. La dette publique accumulée par le régime nazi (500 milliards de Reichsmarks) est quasi effacée. La RFA qui naîtra un an plus tard (1949) héritera de finances publiques sans dette, et la masse monétaire est contrôlée par une banque centrale née avant l’Etat et indépendante de lui. Fait rarissime : la monnaie a précédé l’Etat. Sur le plan interne, la RFA aura une monnaie stable c'est-à-dire non inflationniste. Sur le plan externe, la parité est de 4.2DM pour 1$. D’après D. Plihon, la Bundesbank a mené une politique de sous-évaluation du mark pendant les années 1949-1965. La politique de monnaie forte, c’est bien, mais à partir d’un certain niveau de développement. Les excédents commerciaux apparaissent dès 1955 et durent pendant les années 1960. Le DM est réévalué 9.29% face au $ en 1969. Dans les années 1970, le flottement des monnaies apparaît : le DM n’est plus sousévalué. Malgré la concurrence du Japon, des NPIA et les IDE à l’étranger (ex : Volkswagen s’installe en 1978 aux EU), la balance commerciale reste excédentaire à cause du cercle vertueux de la monnaie forte. En effet, une monnaie forte c’est une désinflation importée : grâce au DM en hausse, les patrons allemands peuvent augmenter le pouvoir d’achat des salariés sans augmenter proportionnellement les salaires. Cela impose de nombreuses contraintes : efforts de productivité, compétitivité structurelle, créneaux haut de gamme. Tout ceci étant lié à un système de relations professionnelles basé sur le consensus. La réévaluation d'une monnaie handicape les exportations sur le court terme. Sur le long terme, elle les favorise, car cela oblige les entreprises à améliorer leurs produits, à se spécialiser dans les produits dits hauts de gamme, ceux pour lesquels ce n’est plus le prix qui fait la différence mais la qualité, l’innovation, le service après-vente. Les entreprises allemandes résistent d’ailleurs bien à l’envolée du DM. Pourquoi ? Les géants mondiaux comme BMW ou Mercedes peuvent, dans une certaine mesure, imposer leur prix sans qu’il y ait une forte baisse de la demande : les consommateurs recherchent ces produits pour leur qualité. C’est ce que l’on appelle le pricing power. La monnaie forte fonctionne bien en Allemagne grâce à l’ordo libéralisme, théorisé par Eucken. La Bundesbank est indépendante du pouvoir politique et assure la stabilité des prix. La loi sur les cartels (1957) assure le respect de la concurrence. La RFA est aussi le pays de l’économie sociale de marché, caractérisée par la cogestion et un système performant de formation professionnelle. Une loi de 1976 impose la cogestion à toutes les entreprises de plus de 2 000 salariés. L’Allemagne est le pays du consensus social. Le droit de grève est strictement encadré en Allemagne, c’est le dernier moyen d’action quand toutes les voies de la négociation ont échoué. La grève est autorisée seulement pendant la période de négociation d’une nouvelle convention collective de branche, selon la formule « on ne revient pas sur les engagements signés ». Elle ne peut entrer en vigueur que si au moins 75 des salariés syndiqués votent – à bulletin secret – en faveur de la grève. Elle se termine dès que 25% des salariés votent en faveur de la reprise du travail. Les fonctionnaires n’ont pas le droit de grève en Allemagne. La grève doit concerner les salaires ou les conditions de travail. La grève préventive est interdite. Pour illustrer l’abyme avec la France, les cheminots français ont fait grève en 2003 pour protester contre une réforme des retraites qui ne les concernait pas mais qui pouvait présager une éventuelle future réforme du même type qui pourrait les concerner. Le graphique suivant montre que le nombre de jours de grève est relativement faible en Allemagne. Journées de travail perdues pour 1 000 employés, moyenne annuelle 2005-2009 Source: EIRO Devant ses excédents récurrents, les autres pays du G7 demandent en 1978 à la RFA qu’elle exerce un rôle de locomotive afin de relancer l’économie de ses partenaires. Mais les autorités allemandes refusent de prendre le risque d’un dérapage inflationniste. La théorie des locomotives est repoussée par la RFA au sommet de Bonn en juillet 1978, Dans les années 1980 l’excédent demeure malgré les dévaluations de certaines monnaies dans le SME (les ajustements se font toujours avec retard) et les délocalisations. Les années 1990 se distinguent par l’apparition d’un déficit courant. Celui-ci est du à une compétitivité en berne (le site de production allemand appelé Standort Deutschland est de plus en plus cher) et à la réunification allemande de 1990. Les ventes de l’ex-RFA vers l’ex-RDA, qui constituaient avant 1990 des exportations, sont désormais considérées comme du commerce intérieur. La forte croissance du début des années 1990 entraine des pressions inflationnistes une hausse des taux d’intérêt de 4% en 1989 à 8% en 1991, l’appréciation du DM et la perte de parts de marchés, accentuées par les IDE dans les PECO. Résultat : déficit des paiements courants de 1.2% du Pib entre 1991 et 1995. La balance commerciale est redevenue excédentaire depuis 2000 environ par la politique de Schroder puis Merkel : gel des salaires, baisse des charges sociales et des impôts sur les entreprises (coupes dans l’Etat providence), transfert de cotisations sociales vers la TVA. L’Allemagne est considérée comme un champion à l’exportation. La comparaison avec la Franc est éclairante : Comparaison Allemagne/France 2011 Allemagne France Solde commercial 180 milliards - 78 milliards Taux de chômage 6% 9,3% Taux d’emploi 72,6% 63,8% Production automobile 5 300 000 2 000 000 Dépenses publiques / PIB 45,4% 56,1% Evolution de l’EBE de l’industrie + 67% - 14% manufacturière de 2000 à 2007 Source : OCDE. Les raisons du succès allemand : Sa spécialisation industrielle dans des produits à fort contenu technologique, notamment des biens d’équipement et de transport, très demandés dans les pays émergents. Son système d’apprentissage des jeunes. La modération sévère des coûts salariaux Evolution de salaire nominal par tête en 2010, base 100 en 1998 : Allemagne : 115 Zone euro hors Allemagne : 140 L’allongement de la durée du travail La notoriété et la fiabilité du made in Germany La vitalité du Mittelstand, ce tissu de PME qui est le véritable moteur des exportations. Par exemple, l’industrie mécanique allemande est constituée de 5 000 PME en situation de concurrence. La mécanique allemande pèse 4 fois la mécanique française. C’est tout à la fois l’emploi qualifié, la décentralisation, la technologie, l’exportation. On se réjouit des salaires élevés car ils forcent à fabriquer des mieux des machines d’une qualité toujours plus haute. L’Allemagne réalise 79% de son excédent commercial dans l’UE à 27 (2010). La délocalisation d’une partie de la production dans les pays de l’Est a donné naissance à un nouveau concept industriel : on est passé du « Made in Germany » au « Made by Germany », ce qui a permis à l’Allemagne de capter l’essentiel de la valeur ajoutée, conserver ses centres de recherche sur son sol et se protéger de la concurrence chinoise. 3- Le cas japonais : le rôle du système productif japonais Après guerre, le Japon fait le choix d’un yen sous-évalué : 360 yens pour 1$ en avril 1949. D’après D. Plihon, les japonais ont pratiqué une politique systématique de sousévaluation du yen grâce notamment au contrôle des changes qui sera levé progressivement à la fin des années 1980. La sous-évaluation systématique du yen est volontairement entretenue par les autorités monétaires nippones qui en font une arme de protection de leur marché et de conquête extérieure24. Les entreprises nipponnes bénéficient de l’ouverture des autres pays industrialisés avec le Gatt. Ensuite le yen va continuellement s’apprécier des années 1960 aux années 1990. Le taux de change $/yen passe de 1$ pour 360 yens à 1$ pour 123 yens de 1967 à 1987 alors que les prix évoluaient de manière quasi-identique pendant cette période. Cette hausse du yen oblige à une stratégie de remontée de filière et nécessite un fort consensus social : reconversion, délocalisations, formation sont les maîtres mots. Les excédents commerciaux et la hausse du yen sont le reflet de la force de l’économie nippone. La force de la monnaie est le reflet de la force du système productif. Un yen plus fort permet aux producteurs d’importer des matières premières moins chères. Un yen plus fort ne gêne pas les exportateurs car ils acceptent de baisser les prix à l’exportation afin d’augmenter leurs parts de marché. Le rôle du MITI, des keiretsus et du toyotisme ont été évoqués pour l’expliquer. Le MITI (Ministère de l’Industrie et du commerce extérieur) met en place des dispositifs d’aide (crédits, reports d’impôts...) qui permettent aux PME d’attendre la reprise, de se restructurer et de se porter sur des créneaux nouveaux. Le MITI organise les fusions, facilite l’introduction de nouvelles technologies. Le gouvernement japonais offre à ses exportateurs des avantages fiscaux substantiels qui ne sont pas consentis au marché intérieur. La politique industrielle du Japon a consisté à sélectionner et à aider certains secteurs industriels. Selon Peter Drucker, c’est un échec : pratiquement, toutes les industries que le MITI (ministère du Commerce International et de l’industrie) avait choisies – par exemple les gros ordinateurs et les produits pharmaceutiques – sont, au mieux, restés à la traîne. Les entreprises japonaises qui ont réussi – comme Sony et les constructeurs automobiles, ont été ignorées ou même combattues par le MITI. L’économie japonaise a su acquérir une grande compétence en matière de miniaturisation, que le MITI a ignorée. Les keiretsus sont des conglomérats regroupant sous le contrôle d’une holding des activités industrielles, des banques, des assurances et des sociétés de commerce). Le système de banque principale dans les keiretsus permet aux industriels de se procurer des capitaux bon marché. Moins soumises aux impératifs des actionnaires, l’entreprise japonaise va privilégier l’accroissement de la part de marché plutôt que le profit à court terme. C’est une différence majeure avec le capitalisme anglo-saxon (Michel Albert). Les entreprises nippones pratiquent une politique délibérée de prix et de profits élevés sur le marché national protégé afin de dégager des ressources pour investir sur les marchés étrangers. Le compromis toyotiste est basé sur 3 piliers : l’emploi à vie qui offre une stabilité professionnelle le salaire à l’ancienneté qui repose sur un salaire incluant des bonus déterminés par l’âge et l’ancienneté les syndicats maison structurés autour de l’entreprise Signalons d’autres causes à l’excédent courant : la R&D et le protectionnisme. Le Japon fait de gros efforts de recherche, il consacre près de 3,3% de son PIB à la R&D, contre 24 C. Sautter, Les dents du géant, le japon à la conquête du monde, Orban, 1987. 2,8% aux Etats-Unis. L’avance technologique des produits japonais est appréciée, notamment dans le domaine électronique grand public (Sony, Toshiba, JVC). Concernant les importations, le Japon est habile pour dresser des obstacles non tarifaires : ententes, restrictions d’accès à la distribution, marchés publics fermés aux producteurs étrangers. Ce sont des obstacles difficiles à cerner qui tombent rarement parmi les pratiques susceptibles d’être encadrées par le GATT ou l’OMC. Le Japon apparaît ainsi comme un pays d’accès difficile pour les biens et services étrangers. Le choc pétrolier de 1973 est résorbé en 2 ans et l’excédent atteint 2.5% du Pib en 1978. Cet excédent va se réduire sous l’effet d’une relance demandée par les autres pays de l’OCDE. Dans les années 1980, l’excédent atteint en moyenne 2.3% du Pib ce qui permet au Japon de devenir exportateur net de capitaux (achat de bons du Trésor US). De 1980 à 1986, on assiste à une hausse de l’excédent commercial et courant en raison de la surévaluation du dollar, de la relative fermeture du marché japonais et de la faible consommation intérieure (forte épargne). Nous avons évoqué précédemment la hausse du yen, pourtant selon les services de la CEE, le yen était sous-évalué de 15% par rapport à la parité de pouvoir d’achat entre 1970 et 1985. La Banque du Japon intervenait sur le marché des changes pour contenir la hausse du yen et contrôlait les flux de capitaux afin de limiter les investissements étrangers. La hausse du yen n’a pas entrainé de courbe en crosse pour le Japon car les exportateurs japonais ont privilégié la conquête de parts de marché au détriment du profit immédiat. Ainsi de février 1985 à mai 1987, le yen s’est apprécié de 39%, en termes de taux de change effectif, pourtant le prix moyen en devises n’a augmenté que de 6%. Comment ? Les producteurs ont réduit leurs marges à l’exportation. Les prix moyens à l’exportation, exprimés en yens, ont diminué de 24% sur la période. De 1987 à 1990, on assiste à une réduction partielle de l’excédent courant à cause de l’appréciation du yen appelée endaka, des délocalisations vers les NPIA et vers les autres pays industrialisés, et de la remontée de l’investissement à partir de 1986 alors que l’épargne stagne (cf. graphique suivant). Année Epargne Investissement 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 34.9 33.7 33.3 32.5 31.8 32.4 31.4 31.0 30.2 30.6 30.7 29.5 28.0 27.7 27.4 27.2 28.3 29.7 30.7 32.3 Solde budgétaire -3.8 -3.6 -3.6 -2.1 -0.8 -0.9 +0.5 +1.5 +2.5 +2.9 Solde courant +0.4 +0.6 +1.8 +2.8 +3.6 +4.3 +3.6 +2.7 +2.0 +1.2 Source: World Economic Outlook, mai 1992. Le fort excédent vis-à-vis des Etats-Unis donne lieu à de multiples discussions quant au degré de protectionnisme japonais mais sans grand effet sur la balance courante (ouverture lente des marchés publics). Dans les années 1990 le yen continue à s’apprécier ce qui pousse aux délocalisations mais n’entame pas l’excédent toujours très élevé. C) Les Etats-Unis : de l’excédent au déficit chronique 1) 1945-1980 : une lente prise en compte de la contrainte extérieure a) les années 1950 : En 1950 le degré d’ouverture n’atteint pas 5% mais le taux de couverture frôle les 200%. Par conséquent les USA ne ressentent pas la contrainte extérieure à l’époque. Les termes de l’échange s’apprécient : le rythme de croissance des prix à l’exportation dépasse de 15% celui des prix à l’importation entre 1950 et 1960. C’est positif à court terme mais à long terme cela présage une perte de compétitivité. La part des produits manufacturés dans les importations passe de 40 à 58% ; les entreprises US réagissent par les IDE plutôt que par les exportations. Le stock d’IDE passe de 3,1 à 7,9 milliards ; le taux de chômage de 3 à 5%. b) Les années 1960 : Le maintien des parités de Bretton Woods entraîne une baisse de l’excédent commercial de 1964 à 1971. Kennedy et Johnson préféreront utiliser la relance par le tax-cut que modifier le taux de change du dollar, visiblement surévalué en raison de politique monétaire américaine accommodante. La croissance de la part des produits manufacturés dans les importations (71% en 1971) et des IDE (29,7 milliards en 1971) se poursuit. Le gouvernement soutient plus le dollar que les exportations américaines (exception faite du Kennedy Round). Balance commerciale 19 76 19 73 19 70 19 67 19 64 19 61 19 58 19 55 19 52 19 46 40 30 20 10 0 -10 -20 -30 -40 -50 19 49 Balance des paiements des Etats-Unis de 1946 à 1977 (milliards de dollars) Balance courante c) Les années 1970 : les EU prennent conscience de la contrainte extérieure Pour la première fois depuis 1945, la balance commerciale est déficitaire en 1971 de 2,3 milliards de $ ; la balance des transactions courantes aussi pour la première fois depuis 1959. Nixon décide le 15 août 1971 l’inconvertibilité du dollar en or tout en bloquant prix et salaires pendant 90 jours. Fin 1971, les USA dévaluent le dollar par rapport aux autres principales monnaies et le laissent flotter à la baisse dans les années 1970. La dévaluation du dollar puis sa dépréciation n’empêcheront pas la hausse du déficit américain. Les USA prennent aussi des mesures commerciales pour encourager leurs exportations. En 1974, la loi 301 sur le commerce permet des mesures de rétorsion unilatérales en cas de commerce jugé déloyal. 2) L’apparition des déficits jumeaux au début des années 1980 Le déficit commercial devient récurrent et croissant jusqu’en 1987 (152 milliards de $) notamment avec le Japon. Le gouvernement Reagan a une idéologie plutôt libreéchangiste mais va aider indirectement l’industrie via la recherche dans l’armement et par une politique commerciale plus vigoureuse. On assiste à un retour du protectionnisme non tarifaire, par exemple RVE vis à vis des Japonais. Les causes de ce déficit sont nombreuses : la hausse du dollar, le déclin technologique de certains secteurs, le déficit de la balance des revenus qui apparaît vers 1984, et la hausse du déficit budgétaire. La dernière cause est essentielle, on attribue généralement le déficit extérieur US au déficit budgétaire qui s’est creusé sous la première administration Reagan. Ce sont les déficits jumeaux selon l’expression de Martin Feldstein. Pour le démontrer, partons de l’égalité entre la somme des affectations du revenu national et la somme des sources de dépenses : C+S+T = C+I+G qui devient en éco ouverte : C+S+T = C+I+G+(X-M) 0 = (I-S) + (G-T) + (X-M) (M-X) = (I-S) + (G-T) Avec M-X = solde courant ; I-S = solde de l’épargne / à l’inv. ; G-T = solde budgétaire. Selon cette approche, le déficit extérieur est la somme des deux déficits suscités. Cela se comprend de manière intuitive car si le gouvernement augmente le déficit budgétaire, le surplus de dépenses va se porter en partie sur les produits importés, sans effet sur les exportations, creusant le déficit commercial. L’augmentation des besoins de financement de l’Etat n’a pas eu pour contrepartie une augmentation de l’épargne des agents privés, il a donc fallu financer le déficit budgétaire grâce à l’épargne étrangère. La hausse des entrées nettes de capitaux est la contrepartie du déficit des opérations courantes. Le déficit courant US peut aussi être interprété comme le résultat des entrées de capitaux pour financer le déficit budgétaire US. Année 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 Epargne Investissement 19.1 18.2 19.4 15.8 18.7 15.9 19.5 18.9 18.2 17.6 16.9 16.8 16.1 16.5 16.4 16.2 15.8 16 15.4 14.5 15.6 12.8 Source : Economic Report of the President, 1992. Solde budgétaire -1.0 -3.4 -4.1 -2.9 -3.1 -3.4 -2.5 -2.0 -1.5 -2.5 -3.0 Solde courant +0.2 -0.4 -1.2 -2.6 -3.0 -3.4 -3.6 -2.6 -1.9 -1.6 -0.1 Ce tableau montre qu’entre 1981 et 1986, le déficit budgétaire et le déficit extérieur ont augmenté de pair. Inversement de 1986 à 1989, ils ont diminué dans les mêmes proportions. Entre 1986 et 1991, la baisse du dollar a favorisé l’augmentation des exportations US qui ont doublé tandis que les exportations allemandes et japonaises augmentaient de 20%. Les USA obtiennent des succès dans l’aéronautique, les télécom, le matériel électrique, l’équipement industriel, certaines productions sont rapatriées. Mais le déficit est toujours présent : -65 milliards en 1991. Koch et Rosensweig ont montré sur la période 1973-1986 que la baisse du dollar : a- engendre une hausse du prix des importations en $, avec un décalage de 12 à 18 mois b- ne provoque pas de réaction du volume des importations avant un délai de 19 à 42 mois c- possède un effet positif mais faible sur le volume exporté Ainsi la courbe en J n’apparaît que tardivement, rien ne se passe avant un an et tous les effets n’ont pas lieu, les importations étant insensibles au taux de change. Girardin et Marimoutou (1990) ont étudié sur la période 1973-1988 le commerce Usa/Japon. Les effets négatifs d’une baisse du dollar ont lieu entre 6 et 18 mois et sont faibles, les effets positifs sur les volumes exportés sont réels mais lents. Dans les années 1990, le déficit courant tend à s’accroître, en partie à cause de la forte croissance US. L’équilibre budgétaire a été atteint en 1998 donc à cette époque le déficit courant provient d’un manque d’épargne. Le président Clinton a imposé des droits de douane sur certains produits européens pour protester contre l’interdiction européenne d’importer de la viande aux hormones et sur l’acier laminé à chaud venant du Brésil et du Japon. 3) L’aggravation du déficit courant à partir des années 2000 a) Ses origines Le gouvernement des Etats-Unis estime que le yuan sous-évalué est la principale raison du déficit du compte courant américain. Washington accuse Pékin d'un "dumping" monétaire, voulant signifier par là que la Chine a acquis ses grandes réserves monétaires en faisant du commerce déloyal. L'influence des cours du change sur les exportations ne peut être niée, néanmoins elle est généralement surestimée. Depuis les années 1980, les multinationales ont construit leurs nouvelles unités de production dans les pays destinataires des biens produits. Les firmes américaines ont beaucoup délocalisé à l’étranger. Le chiffre d’affaires des filiales étrangères des groupes américains est ainsi passé de 21% à 35% de 1986 à 2006 alors que celui des filiales américaines des groupes étrangers ne progressait que de 7 points. Selon le Centre d’analyse stratégique de 2008, si l’on ne comptabilisait plus le commerce intra firme comme du commerce international, le déficit américain diminuerait d’un tiers. De 2001 à 2011, le TWEX (comparant le dollar par rapport à un panier de devises) a chuté de 31% et les exportations américaines ont augmenté de 45%. Néanmoins, la masse salariale dans le secteur manufacturier a chuté d'un tiers de 16,4 à 11,7 millions, et la masse salariale des sociétés américaines implantées à l'étranger a doublé, pour atteindre 10,5 millions (source : Bureau of Economic Analysis). Il y a un manque de compétitivité des produits américains sur les marchés mondiaux. Au début des années 2000, le déficit US avec pour contrepartie les excédents des autres pays avancés (Japon, Allemagne). A la fin des années 2000, il a pour contrepartie les excédents des pays émergents, dont les réserves sont largement investies en bons du Trésor américain, palliant l’insuffisance de l’épargne américaine. Sans l’appétit des banques centrales étrangères, notamment celles des pays émergents, pour les placements du Trésor américain, le dollar aurait été beaucoup plus faible et les taux d’intérêt exigés auraient été plus élevés. La mondialisation financière a permis aux USA de vivre au dessus de leurs moyens depuis longtemps. b) Est-ce un problème ? Les opinions sont partagées. La croissance du déficit courant au début des années 2000 a été qualifiée de « concept dépourvu de signification » par Paul O’Neill, secrétaire au Trésor des EU. Pour lui, ce déficit reflète le désir des non résidents de détenir des actifs en dollars. Si ce désir se réduit, cela conduira une réduction de la demande interne ou du taux de change. Jusqu’à présent, le déficit courant n’a pas beaucoup inquiété les autorités américaines. Ben Bernanke en a fait porter la responsabilité sur un excédent mondial d’épargne (Global Saving Glut25) plutôt qu’un excès de consommation aux USA. Le gouvernement américain en a souvent rejeté la faute sur ses voisins. Les boucs émissaires tout désignés sont la Chine qui manipulerait son taux de change sous-évalué à des fins mercantilistes, mais aussi la vielle Europe et le Japon, qui ne se reformeraient pas suffisamment et donc ne croitraient pas assez. Lors de la réunion du G20 en 2010, les USA ont proposé de limiter les excédents des comptes courants, visant principalement la Chine. Toute autre est l’opinion de Eberhardt Unger pour qui : « Les déséquilibres dans l'économie mondiale sont insupportables sur le long terme. Leur cause principale ce sont les exorbitants déficits jumeaux américains. Ni la zone euro, ni la BCE, ni l'Allemagne, ni la France ne peuvent faire quoique ce soit pour les réduire. Cet effort ne peut être fait que par les Américains eux-mêmes. Mais, dans ce pays, la volonté politique d'un assainissement des finances publiques existe-t-elle vraiment ? Les marchés des devises trancheront la question par une dévaluation du dollar. 26» 25 Pour une critique de cette notion, voir : http://mises.org/daily/3556 et http://mises.org/daily/1882/ Eberhardt Unger, « La zone euro ne peut pas supprimer les déficits jumeaux américains », MoneyWeek, 24/11/2010. 26 c) Pourquoi la baisse du dollar ne réduit pas le déficit courant américain ? a- les élasticités prix du commerce extérieur sont trop faibles et inférieures aux élasticités revenus (liées à la croissance) b- les entreprises étrangères préfèrent comprimer leurs marges plutôt que de récupérer les mouvements de change, afin d’éviter de perdre des parts de marché aux EtatsUnis. Du même coup, la baisse du dollar est indolore pour le consommateur américain qui ne change pas ses habitudes. c- La spécialisation des industries américaines en biens d’équipement implique une substituabilité imparfaite des produits importés et des biens produits localement : pour de nombreux produits importés de Chine, il n’y a pas de produits de substitution aux Etats-Unis d- La dépréciation du dollar vis-à-vis de l’euro ne peut que très partiellement réduire le déficit américain. Celui-ci est surtout lié au commerce avec l’Asie, et particulièrement la Chine (le quart du déficit en 2003) ; le yuan étant arrimé au dollar, il baisse au même rythme que le billet vert, ce qui empêche tout réajustement de la balance sino-américaine par le biais du taux de change. Le graphique ci-dessus montre que le déficit US se creuse depuis 1992 quelle que soit l’évolution du dollar. Signalons un point important du point de vue patrimonial. La dépréciation du dollar a deux effets : a- canal commercial : baisse du déficit courant b- canal financier : augmentation mécanique de la valeur des actifs américains détenus à l’étranger (libellés à 70% en monnaies étrangères) sans impacter la valeur des dettes (libellées en dollar) d) Les enjeux Les Etats-Unis profitent des achats de bons du Trésor de la République populaire qui finance une partie de leurs déficits budgétaires. De plus, les produits chinois bon marché importés aux Etats-Unis leur permettent de contenir le taux d'inflation. Les EU sont le pays le plus endetté du monde et de loin. Si les USA n’ont pas subi (encore) les foudres des marchés financiers, c’est dû au privilège de posséder une devise clé. Si les USA s’efforçaient de supprimer leur déficit, que se passerait-il ? La récession US de 1990-1991, qui a réduit de ½ le déficit US, constitue un début de réponse : le ralentissement des importations US a joué un rôle non négligeable dans la mondialisation du marasme. Une autre voie est le protectionnisme qui aurait des effets fâcheux sur l’économie mondiale. Selon Jean Luc Buchalet, président de Pythagore Investissement (2009), les réserves de change chinoises sont libellées à 80% en dollars. Si Pékin cherchait à les activer en rapatriant des yuans, ce serait au prix d’une vente massive de dollars, qui ferait monter la monnaie chinoise. La Chine, détentrice de nombreux bons du Trésor libellés en dollars US, s'expose ainsi au risque de change. PRINCIPAUX DETENTEURS ETRANGERS DE BONS DU TRESOR US27 (En milliards de dollars) Chine Japon Banques centrales Caraïbes Exportateurs de pétrole Brésil Avril 2013 1 265 1 100 273 272 252 Avril 2012 1 164 1 088 237 262 245 « La Chine et le Japon sont les banquiers de l’Amérique. Un banquier ne veut jamais la mort d’un client, surtout un client à qui il a prêté beaucoup d’argent, mais, si le client persiste à ne pas écouter, arrive un jour où le banquier coupe les lignes de crédit.28 », selon Maurice de Boisséson, d’Octo Finances. Américains et Chinois se tiennent mutuellement : les USA ne peuvent financer leurs déficits jumeaux et continuer à vivre à crédit sans les achats massifs de bons du trésor par la Chine ; celle-ci ne peut soutenir sa forte croissance sans un accès illimité au marché américain. Signalons que le premier point est moins vrai depuis que la FED rachète les bons du Trésor avec le quantitative easing. Pour finir, laissons la parole à Bill Bonner qui nous donne une vision de long terme. « Chaque empire est remplacé par son principal créditeur. Nous ne savons pas si c’est vrai, mais nous aimons cette phrase. Les Etats-Unis étaient le principal créditeur de la GrandeBretagne. Aujourd’hui, la Chine détient plus d’obligations et de dollars US que quiconque. 29» 27 http://www.treasury.gov/resource-center/data-chart-center/tic/Documents/mfh.txt « Les banquiers de l’Amérique », La Tribune, 17 novembre 2009. 29 Bill Bonner, Chronique Agora, 2/9/2011. 28 Conclusion : Depuis plusieurs décennies, les excédents commerciaux allemands et japonais perdurent, les déficits français et américains sont récurrents. Ce qui change au niveau mondial est l’arrivée des pays émergents. Selon Goldman Sachs, l’excédent courant de 54 pays émergents est passé de 1,4% du PIB en 1995 à 4,7% en 2006. La hausse du cours des matières premières leur a permis de dégager d’importants excédents commerciaux et de réduire leur endettement (l’Algérie et la Russie ont remboursé par anticipation leur dette vis-à-vis du Club de Paris). Ces pays sont en train de passer de débiteur à créditeur. Concernant le déficit courant de la première puissance mondiale, les USA, l’avenir dira à quel moment le dollar commencera à s’effondrer et perdre sa fonction de réserve internationale en raison du manque de confiance devant le billet vert, devenu trop abondant par la faute de la Fed.