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Les allers et venues en camion décrits ci-dessus par Pierre Sene, sa quête des lieux et
surtout des liens, de mon côté, je les ai vécus comme chercheur1
Une autre époque a commencé. Le téléphone filaire a longtemps rythmé mes soirées,
quand il me fallait annoncer à d’autres ce que je voyais ici ; mais c’était cher, onéreux même,
et le contact était fragile. Désormais, le « télécentre », le cybercafé, le portable, omniprésents,
. Dès mon arrivée en Gambie,
à l’aéroport de Banjul, un soir de 1984. Si ma descente sur le tarmac de l’aérogare a été
remarquée, les douaniers, tout à leur tâche, n’hésitant pas à contrôler et à vider mes sacs, dès
le lendemain, après la traversée du fleuve, j’étais déjà affairé à « sentir » le transport. Je
négociai un taxi pour Dakar et filai sur la capitale en revoyant des paysages que je n’avais
jamais vus mais que Paul Pélissier m’avait décrits avec passion.
Ce fut le début d’un long « pas de deux », entre ce pays que je découvrais ce jour-là et
celui de ma jeunesse. Nombre d’avions depuis ont servi de lien entre les deux. J’ai « loupé »
l’époque durant laquelle on pouvait encore, sans trop de soucis, traverser en camion le Sahara
algérien ; il me reste le porte-containers entre Le Havre et Dakar, que j’espère un jour
emprunter, ou la Mercedes entre Tanger et Saint-Louis, via Nouadhibou. Le « goudron » est
achevé et la « descente » du Maroc me permettrait de joindre tous les bouts de ma géographie
personnelle, l’Espagne que j’ai parcourue jusqu’à Grenade, la Mauritanie que j’ai traversée en
long et en large, jusqu’à la frontière du Sahara occidental et, entre les deux, le Maroc dont je
ne connais que l’aéroport international de Casablanca.
Un temps, je me suis tenu éloigné du Sénégal, en enquêtant les transporteurs du nord de la
France, tout en commençant à comparer les pratiques des uns et des autres, dans des contextes
différents. Là, j’ai trouvé moult ressources puis, attiré par le Sud, j’y suis retourné, enrichi et
encore plus ouvert.
1 Par un clin d’œil, je me réfère à l’ouvrage Tropiques, lieux et liens, édité par l’ORSTOM en hommage à P.
Pélissier et G. Sautter (Antheaume, Blanc-Pamard et al., 1989), dont les textes sous-entendaient déjà la nécessité
de décloisonner les espaces, de lier les approches et de multiplier les échelles d’analyse.