mentaire est en effet la structure la plus haute d’un ensemble
fonctionnel contrôlant l’initiation élocutoire et recevant des
influx du système limbique via le gyrus cingulaire : le circuit
motivationnel du langage puise ses ressources dans la mobilisa-
tion émotionnelle.
Ce schéma ne peut par ailleurs se mouler sur l’anatomie, et ne
peut ainsi rendre compte des aphasies sous-corticales, qui
démontrent le rôle des noyaux gris centraux sur la programma-
tion motrice, le choix lexical, la cohérence sémantique. Elles
réalisent des tableaux variés : aphasies ressemblant à un
Wernicke mais accompagnées d’une hémiplégie droite, ou apha-
sies de Broca lors des atteintes striato-caudées, aphasies dites
dissidentes (11) avec hypophonie, réduction du volume verbal,
compréhension verbale et répétition largement préservées, para-
phasies verbales parfois extravagantes et volontiers en rapport
avec une atteinte thalamique. Des productions linguistiques
abondantes et extravagantes, entraînant une incohérence séman-
tique contaminant aussi l’écriture, peuvent constituer la mani-
festation centrale de certaines aphasies impliquant le noyau
caudé.
DU CERVEAU COMPARTIMENTÉ AU CERVEAU EMBRASÉ
Mais il a aussi fallu considérer que ni la dénomination ni la com-
préhension ne constituaient un tout monolithique dont les diffi-
cultés, tout comme les modalités d’atteinte, ne tiendraient qu’à
la plus grande rareté lexicale pour la dénomination ou à la plus
grande complexité pour la compréhension. Trois constatations
allaient progressivement s’imposer :
–les troubles de la compréhension verbale et de la dénomina-
tion peuvent exister avec ou sans aphasie associée ;
–ces troubles peuvent intéresser des catégories lexicales et en
respecter d’autres selon le principe de la double dissociation
(atteinte des items animés :A) avec intégrité des items inanimés,
B) chez certains malades et profil inverse chez d’autres malades,
seul argument pour suggérer, toutes les autres variables ayant été
contrôlées, que A est indépendant de B) ;
–les données de l’imagerie des cas uniques ou de courtes séries
et les données de l’imagerie dynamique lors de tâches de déno-
mination chez des sujets sains allaient permettre de montrer que
les zones impliquées pouvaient être situées en dehors des aires
classiques du langage et qu’elles étaient différentes en fonction
de certaines grandes catégories lexicales, ce qui a contribué à
renouer avec une certaine ferveur localisatrice. C’est ainsi
qu’ont pu être décrits des anomies ou des troubles de la com-
préhension de mots, coexistant selon les cas avec une dégrada-
tion des connaissances sémantiques ou avec une incapacité
d’accès à ces connaissances intéressant les items “vivants” ver-
sus “non vivants”, les items “vivants” ou biologiques pouvant
eux-mêmes montrer une dissociation entre les “biologiques
inanimés” comme les fruits et les légumes et les biologiques ani-
més, c’est-à-dire les animaux. Au sein des items inanimés, des
distinctions sont à opérer entre les inanimés vivants et les inani-
més inertes. Ces derniers, à leur tour, sont subdivisables entre
ceux qui ne sont pas faits de main d’homme (comme les items
géographiques) et les items manufacturés, qui eux-mêmes se
subdivisent entre manipulables (ciseaux, marteau) et non mani-
pulables. Mais les désordres catégoriels concernant les instru-
ments de musique, bien qu’inanimés manufacturés, coexistent
plutôt avec ceux intéressant les items vivants, alors que les
désordres intéressant les items inanimés tendent aussi à intéres-
ser les items désignant les parties du corps. Le lexique des mots
concrets peut aussi être divisé en deux ensembles spécifique-
ment linguistiques : les verbes (ou noms d’action) et les noms
(ou objets). Une altération spécifique d’une catégorie (en déno-
mination et en compréhension) avec respect de l’autre catégorie
peut être observée. Les mêmes constatations s’appliquent aussi
à la dichotomie noms propres versus noms communs.
Ces constatations plaident donc en faveur d’une organisation
catégorielle du système sémantique. Doit-on pour autant en
conclure que le système sémantique est multiple et réparti dans
des sous-ensembles distincts et séparés du cerveau ? Sur le plan
topographique, la dénomination des animaux et des outils active
le cortex associatif visuel au voisinage du gyrus fusiforme, aire
d’identification des objets dans la partie ventrale du lobe tem-
poral ; toutefois, la dénomination des outils et des actions liées
à leur utilisation active une zone temporale moyenne respon-
sable de la perception du mouvement ainsi qu’une aire prémo-
trice, toutes deux à gauche. Les observations de malades céré-
brolésés confortent aussi ces hypothèses. En effet, les déficits
catégoriels du traitement sémantique des verbes (noms d’action)
coexistent avec des lésions de la partie postérieure du lobe fron-
tal gauche, suggérant donc que le lobe frontal, impliqué dans la
programmation des mouvements, a aussi acquis un rôle dans les
représentations sémantiques des actions. Le traitement séman-
tique des entités “vivantes” implique les structures temporolim-
biques bilatérales et la partie inférieure du lobe temporal, tout
particulièrement le gyrus fusiforme (par exemple au cours d’en-
céphalites herpétiques), montrant l’implication de traitements
visuels élaborés et de convergences sensorielles multimodales
dans l’organisation des représentations sémantiques des vivants.
Les déficits catégoriels affectant les objets manufacturés et les
parties du corps empiètent sur les aires frontopariétales, où la
conjugaison des informations motrices et proprioceptives per-
met l’organisation des représentations sémantiques des objets
manufacturés et des parties du corps. Désigner des sièges lésion-
nels lors de déficits catégoriels ou repérer en imagerie des zones
activées par une tâche de dénomination catégorielle ne veut pas
dire qu’il faut revenir à l’individualisation de centres d’images.
Les localisations proposées montrent que l’activation du lexique
est une fonction largement distribuée et relayée par les zones du
cerveau proches de celles qui gèrent les informations motrices et
l’intégration perceptive des entités qui composent l’environne-
ment (12). S’il existe une organisation catégorielle du système
LANGAGE
La Lettre du Neurologue - Hors-série - avril 2002
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