Eric Rémy - Laboratoire d`Economie et de Gestion (LEG) UMR 5118

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DE QUE CHOISIR ? A CASSEURS DE PUB :
LEMERGENCE DE NOUVELLES FIGURES
CONSUMERISTES
Éric REMY
Maître de Conférences
IAE de Rouen CREGO
3, Avenue Pasteur
76186 – Rouen Cedex
e-mail : eric.remy@univ-rouen.fr
5, rue du Gros Chêne
76520 Les Authieux Port St Ouen
tél. : 06.70.37.85.41
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DE QUE CHOISIR ? A CASSEURS DE PUB :
LEMERGENCE DE NOUVELLES FIGURES
CONSUMERISTES
Résumé :
L’objet de cet article est de proposer une approche réflexive du marketing. Dans ce cadre, nous
considérerons le marketing comme autant de réflexions, de pratiques, de techniques mises en œuvre
pour récupérer, maîtriser, ou déstabiliser les critiques qui sont adressées au capitalisme. Ainsi, à
travers une contextualisation historique, nous tenterons de montrer : comment le marketing a
récupéré et déstabilisé la figure du militant consumériste, et, pourquoi, après ces dernières années
de bonheur privé, nous pouvons supposer que nous entrons dans une phase d’actions publiques
caractérisée par l’émergence de nouvelles figures consuméristes, le consom’acteur et
l’alterconsommateur.
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On pourrait dire, si l’on veut, que le démon de l’économie doit s’asperger de l’eau bénite de la
morale publique, et s’auréoler de sollicitude pour la nature et le social.
Beck (2001, p 405), La société du risque.
A l’heure où le capitalisme triomphant semble avoir vaincu définitivement ses ennemis historiques
se pose, avec une acuité particulière, la question de sa moralité. Si l’on en croit Comte-Sponville
(2004), la question de l’amoral capitalisme est en fait celle de la moralité des individus qui le font :
« c’est précisément parce qu’il n’y a pas de morale de l’entreprise, qu’il doit y avoir de la morale
dans l’entreprise, par la médiation des individus qui y travaillent et qui la dirigent » (2004, p 118).
Parmi ces derniers, les marketers, entendus ici comme ceux qui enseignent et/ou font du marketing,
se retrouvent en première ligne. Car, à travers son influence sur la consommation, le marketing est
positionné aujourd’hui comme la partie la plus visible de l’iceberg capitaliste. Transfigurant un
produit, un service, un livre, une œuvre, un lieu, une ville, une association, mais aussi une personne,
une émotion ou un moment de vie, en autant de marchandises potentielles, cette discipline est
devenu le premier vecteur de la marchandisation du monde tant décriée.
Interrogé sur sa morale, critiqué sur son rôle, une approche réflexive du marketing s’avère donc
nécessaire. C’est à cette réflexion critique, engagée par certains autour de notre responsabilité en
tant que « fournisseur de lunettes quand on passe de la théorie à l’action » (Marion 2003a, p 90),
que ce papier souhaite modestement participer.
Pour conduire cette approche réflexive, nous mobiliserons un double cadre conceptuel :
Le premier est issu des conclusions de Boltanski et Chiapello dans le nouvel esprit du capitalisme
(1999), autour notamment de l’importance de la notion de critique1. L’esprit du capitalisme a
toujours eu besoin de la critique dont il se nourrit : « il a besoin de ses ennemis, de ceux qu’il
indigne et qui s’opposent à lui… » (ibid. p 69). Les deux auteurs analysent même le développement
capitaliste comme autant de boucles de récupérations qui correspondent au processus
1 En ce sens nous reprenons ici les réflexions de Marion (2001) qui utilise également de cette notion de critique.
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d’endogénéisation de ces critiques dans son fonctionnement. C’est à partir de ce constat que nous
proposons de définir le marketing comme autant de réflexions, de pratiques, de techniques mises en
œuvre pour récupérer, maîtriser, ou déstabiliser les critiques qui sont adressées au capitalisme.
Le second fait référence aux réflexions de Hirschman (1983). Dans bonheur privé, action publique,
Hirschman2 s’attache à comprendre l’alternance, dans nos sociétés capitalistes, des années de
turbulence et des années de passivité. Autrement dit, l’alternance récurrente entre l’engagement des
individus comme groupes dans l’action publique3 et le repli sur les paisibles valeurs du bonheur
privé4. Les passages de l’une à l’autre des phases prennent un caractère cyclique. Ces cycles action
publique/bonheur privé sont essentiellement liés à la notion de déception. « Les actes tant de
consommation que de participation aux affaires publiques, qui sont accomplis dans l’espoir d’en
tirer une satisfaction, apportent également déception et insatisfaction » (Hirschman, 1983, p 26).
Autrement dit, dans un premier sens, le développement quantitatif ou même qualitatif de biens à
consommer est porteur de déception généralisée vis-à-vis de la consommation. Mais, dans un
second sens l’action publique peut, elle aussi, être source de déception et conduire à une nouvelle
phase de bonheur privé.
C’est en s’appuyant sur ces réflexions que notre exposé développera deux propositions :
Sur la base d’études sociologiques sur le consumérisme, nous chercherons à montrer
comment le marketing a récupéré et déstabilisé le discours du consumérisme militant des
années 70 (1ère partie). Autrement dit, et en reprenant Rochefort (1995), comment nous
sommes passés d’une période d’action publique ou d’abondance contestée et revendiquée
2 Il est assez intéressant de constater que dans cet ouvrage datant de 1982 pour l’édition anglaise, Hirschman aborde essentiellement
la consommation à travers l’utilisation du terme d’expérience du consommateur, ce qui au même moment en marketing fait le
pendant à l’article séminal du marketing expérientiel de Hirschman et Holbrook (1982).
3 L’action publique consiste à « agir dans l’intérêt public, œuvrer au bonheur public toutes ces expressions renvoient à l’action dans
le domaine politique, à l’engagement du citoyen dans les affaires civiques, dans la vie de la communauté » (1983, p 20)
4 La quête du bonheur privé est associée, selon Hirschman, « à la recherche d’une vie meilleure pour soi-même et pour les siens, le
terme meilleure renvoyant avant tout à un bien être matériel accru » (1983, p 20).
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(1968-1973) à une quête de bonheur privé, celle de la consommation individualiste à partir
de 1973 jusqu’aux années 90.
Sur la base d’analyse du discours et d’ouvrages véhiculant la critique consumériste actuelle,
nous avancerons l’idée que nous entrons dans une nouvelle phase du cycle vers l’action
publique (2ème partie). Nouvelle phase caractérisée par de nouveaux modes d’action
consumériste autour de nouvelles figures consuméristes en lieu et place de celle du militant.
1/ VERS LA FIN DU CONSUMERISME MILITANT : ENTRE DESTABILISATION DES
ACTIONS ET RECUPERATION DU DISCOURS
Cette première partie a pour objet la façon avec laquelle le marketing a récupéré les critiques
consuméristes classiques issues de la phase d’actions publiques caractéristiques de la fin des années
60. Cette récupération marquera à la fois le début d’une nouvelle phase de bonheur privé mais
également, sonnera le glas de la figure du militant consumériste soixante-huitard.
Du consumérisme politique au consumérisme privé : Le marketing comme
processus d’individualisation de la critique
Depuis Hirschman (1972), on peut voir dans le consumérisme une réaction à l’insatisfaction devant
un fournisseur. Cette réaction fait référence à la prise de parole (voice) qui s’inscrit dans l’ordre du
politique. C’est souvent ce phénomène qui est retenu pour expliquer le développement du
consumérisme et son rôle dans la société. Ainsi, la première phase du consumérisme est très liée à
cette dimension politique : « L’apparition du consumérisme peut être située dans un contexte plus
général de contestation dont mai 68 a représenté le moment culminant : publicité, société de
consommation, profit… ont pu être parmi les cibles d’un discours contestataire dont le
consumérisme a hérité » (Pinto, 1990, p 195). D’ailleurs, historiquement et structurellement, on
retrouve derrière les associations de consommateurs, qui siègent au Conseil National de la
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