parlait très peu. Je crois qu’à partir du moment où il s’est trouvé en
France, terre de liberté, il avait envie d’oublier. C’est pourquoi je sais
assez peu de choses. Enfant, je ne savais pas. Je voyais mon père… Je
me rendais compte qu’il avait un accent. Parce qu’il n’était pas né là…
Mais c’est vraiment tout ce que je percevais. Ma mère était musicienne,
elle donnait des leçons de piano. Mon père travaillait déjà comme
photographe en Ukraine. Arrivé à Paris, il a trouvé une place de
retoucheur de clichés chez un photographe mondain. En ce temps-là, les
plaques et les émulsions n’étaient pas panchromatiques, mais
orthochromatiques, avec une faiblesse dans les bleus et les rouges qui
faisait qui les défauts de la peau, les rides, étaient beaucoup plus
visibles que maintenant. Les retoucheurs travaillaient sur les négatifs
pour atténuer ces défauts… Mon père finit par ouvrir son propre magasin,
boulevard Voltaire. Il avait un employé qui faisait le laboratoire, lui
s’occupait de l’accueil de la clientèle et de la prise de vues. Il s’est
littéralement tué au labeur…J’ai suivi une éducation religieuse, mais je
n’étais pas croyant. Ma mère était croyante, mais n’en faisait pas montre
excessivement. Mon père était agnostique. J’ai fait ma première
communion, la bar-mitsva, comme des tas d’autres copains du quartier.
Mais je n’ai jamais eu de crise mystique. »
Enfant souvent malade, il commença tard l'école, sachant lire après tous
les autres et mal à l’aise, lui le petit enfant juif au milieu de ses
camarades.
Dès 1917 il est plongé dans la musique. « On m’a fait apprendre le
violon dès l’âge de 7 ans. J’ai joué jusqu’à 25 ans. Adolescent, je voulais
devenir compositeur. J’ai suivi pour cela pendant un an et demi les cours
privés d’harmonie d’André Bloch, professeur au Conservatoire. J’ai
abandonné la musique lorsque je suis devenu photographe
professionnel. Tout mon temps était requis pour gagner ma vie. J’ai
néanmoins continué à aller aux concerts symphoniques au moins une
fois par semaine… ».
Il voulait avant tout devenir compositeur de musique, bien qu’à l’âge de
16 ans il est commencé à faire des photos.
Mais à son retour du service militaire en 1932, son père, atteint d’un
cancer, lui demande de l’aider au studio, déjà mal en point à cause de la
crise économique. Il devient « ouvrier opérateur » pour les prises de
vues et doit arrêter l’étude du violon. Il ne croit pas encore que la
photographie puisse être un moyen puissant d’expression artistique, car
il est occupé à faire des photos alimentaires qu’il déteste. «Je dus le
remplacer peu à peu au magasin. À moi les identités, les communions
sur fond (peint) d'église, les bébés nus sur peau de bique et groupes de
noces plus ou moins éméchés. Je détestais ce travail.» C’est en voyant