La beauté est dans la destruction de la planète
On ne pouvait vraiment s’attendre à autre
chose. Lorsqu’un documentaire aborde le
travail d’un photographe, on obtient
forcément des images superbes et une
réflexion sur l’art et sur le thème de
l’œuvre. Ici, grâce à la caméra maîtrisée
de Jennifer Baichwall, nous suivons le
parcours à travers la Chine et à travers
des années de travail du photographe au
talent largement reconnu, Edward
Burtynsky.
Photographe des paysages manufacturés,
on découvre le processus de réflexion et
de création de ses prises de vues. Mais
le film ne s’arrête pas là puisqu’il explore
chaque aspect du développement
industriel, aussi bien son impact
écologique que social, politique et
philosophique.
Avec un goût du détail prononcé,
Paysages manufacturés intercale
lentement des diaporamas de différentes
prises de vues de l’artiste et des images
documentaires qui parfois les égalent en
beauté et dans leur signification.
Burtynsky se veut plus philosophe que
moralisateur, abordant le sujet de
l’écologie avec un regard de sage plus que de révolté. Si le spectateur est en permanence
rappelé que l’homme vit au détriment de son environnement, ses photos contrebalancent cette
idée en faisant ressortir toute l’esthétique des différents sites visités. Et il ne nous impose aucun
véritable reproche : «Je ne suis pas là pour glorifier ni pour condamner l’industrialisation»
prévient-il. Il nous incite plutôt à mener notre propre réflexion sur ce qui est montré. Il voudrait
renouveler la façon de penser le développement industriel et urbain, inévitable aujourd’hui, en
ne l’envisageant plus dans ce schéma du « bien face au mal ».
Dans ce voyage inédit à travers la Chine en plein boom économique, la documentariste remet à
la surface d’autres aspects, inéluctables quand on sillonne le pays. Comme dissimulé dans ce
documentaire, on distingue un réquisitoire peut-être trop discret (comme si la documentariste et
le photographe ne voulaient pas terminer sur la liste noire de la Chine) dénonçant les conditions
de vie des classes les plus pauvres de la société, victimes de cette industrialisation. Elle met
discrètement en avant l’incongruité de la situation (des habitants payés à la brique pour démolir
leur propre maison, etc.) et l’ironie des dirigeants, ne souhaitant pas donner de mauvaise
réputation à leurs entreprises. Est décelé aussi à quel point l’individualité a disparu au profit des
masses, comment la transition vers l’économie de marché en laisse par millions dans la misère
et dilapide trop rapidement toutes les ressources du pays. Point de convergence de toutes les
industries, déchetterie du monde, «participant à la dernière danse du bal mondial», le
photographe se demande «Combien de temps tiendra-t-elle ?». Lorraine Creaser
© Comme au Cinéma