LOGIQUES ECONOMIQUES John Maynard KEYNES COMMENT PAYER LA GUERRE Un programme radical pour le chancelier de l'Echiquier A VANT-PROPOS DE JEAN JOSE QUILES Traduit de l'anglais par Claude Fils et Jean José Quiles L'Harmattan 5-7,rue de l'École Polytechnique 75005 Paris - FRANCE L 'Harmattan Inc. 55, me Saint-Jacques Montréal (Qc) - CANADA H2Y lK9 Collection "Logiques Economiques" Dirigée par Gérard Duthil DJELLAL Faridah, Changement technique et conseil en technologie de ['information. DUMEZ Hervé et JEUNEMAITREAlain, Diriger l'économie: ['Etat des prix en France (1936-1986). DU TERTRE Christian, Technologie, flexibilité, emploi: une approche sectorielle du post-taylorisme. DUTHIL Gérard, Les entreprises face à l'encadrement du crédit. DUTHIL Gérard, Les politiques salariales en France, 1960-1992. GROU Pierre, Les multinationales socialistes. GUILHON Bernard, Les dimensions actuelles du phénomène technolog ique. 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WILMOTS A., Crises et turbulences du commerce international ABDELMALKI Lahsen, COURLET Claude, Les nouvelles logiques du développement. P ALLOIX Christian, Société et économie ou les nlarchands et l'industrie. GALAND Gabriel,GRANDJEAN Alain, La monnaie dévoilée A VANT-PROPOS Le texte que l'on va lire a été publié le 27 février 1940, sous la .forme d'un petit livre promis à une très large diffusion. I.Sonprix en était par principe très modique (un shilling I). A ce jour, une traduction française reste inédite] bien que l'on s'accorde en général tant sur la nouveauté du champ abordé que sur l'importance théorique et pratique des résultats apportés. Keynes y maîtrise par.faitement les armes analytiques qu'il s'est forgé dans son grand livre de 1936 : Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Comment payer la guerre en est l'application directe et il est inutile d'insister sur les perspectives nouvelles de la politique économique, de même que la place et le rôle de l'analyse économique dans la société. Qui avant Keynes s'est vraiment soucié d'une gestion économique de la guerre au bénéfice de la population qui la subit2 ? IJe savoir économique n'est-il pas, quelles que soient les circonstances, au service des gens? Faut-il faire autre chose qu'étudier ''le système économique dans lequel nous vivons réellement" ?3 Les réponses à ces questions jettent les principes de la politique économique d'Après-Guerre, en fonction d'un nouvel obJ'ectifà savoir l'écart inflationniste. Dans l'oeuvre de John Maynard Keynes, Comment payer la guerre occupe une position-clé. C'est le moment, l'opportunité de la Deuxième Guerre Mondiale, où il renoue, après l'échappée théorique de La réforme monétaire (1923), du Traité de la monnaie (1930) et de la Théorie générale ... (1936), avec les responsabilités administratives pour réendosser, selon la formule de D.E.Moggridge, l'habit de ''l'homme d'Etat-Econo- J Une traduction française avait été prévue mais elle n'a jamais vu le jour du .fait de l'invasion allemande de mai-juin 1940. On peut se reporter à la ~réface rédigée par Keynes dans ce but, reprise ici en fin de volume. ~voir D.E.Moggridge, Economic Policy in the Second World War, in M,Keynes, Essays on John Maynard Keynes, Cambridge University Press, 1975. 3Cette formule est répétée plusieurs fois dans la Théorie générale. miste't4; retrouvant par là même un rôle qu'il a déjà joué quelques vingt années plus tôt. Le succès considérable des Conséquences économiques de la paix (1919), même si la leçon a été peu entendue par les responsables politiques, font de lui un expert particulièrement clairvoyant. Il est maintenant impossible de recommencer les mêmes erreurs; le prix à payer, tant du point de vue économique que politique, en a été trop élevé. De plus, comme économiste-théoricien, Keynes est considérablement mieux outillé pour faire face au problème "macroéconomique" et financier que représente la guerre. Grave question: les gouvernements peuvent-ils, comme pour la Première Guerre Mondiale, s'en remettre au laissez-faire? Depuis 1926, au moins, Keynes admet qu'il n'est plus historiquement la solution5. Dès le début des hostilités6, deux choses sont parfaitement claires: (1) la guerre est d'abord l'utilisation efficace des ressources disponibles; (2) l'activité économique ne peut qu'augmenter. Donc, il faut à tout prix, ne pas voir ces moyens supplémentaires fondre avec l'inflation comme ce fut le cas dans la Première Guerre Mondiale. Sa réflexion débute donc par la recherche d'un programme d'''économies obligatoires"; c'est l'idée qu'il soumet d'abord à une réunion de la Marshall Society pour en Lfaire ensuite la matière de deux articles (plus une réponse aux critiques) parus dans le Times en novembre 1939. Soucieux de voir son projet pris au sérieux, plusieurs exemplaires en sont distribués au Chancelier de l'Echiquier et à de hauts 4D.E.Moggridge, Keynes, Mac Millan, 3° édition 1976, chapitre 6, p.122154. 5 voir Lafin du laissez-faire (1926) in Essais de persuasion (traduction française Gallimard, 1932, p.223-23 1; repris dans Essais sur la monnaie et l'économie, Payot, p.117-126). 6voir aussi C.H.Hession, op.cU., p.376 et sq; ainsi que les deux livres de D.M.Moggridge déjà cités. Cette partie de la vie de Keynes n'a pas encore fait l'objet d'une étude en profondeur puisque le monumental travail de R.Skidelsky s'arrête pour le moment encore à l'année 1937 : R.Skidelsky, John Maynard Keynes/Hopes Betrayed, 1883-1920, Mac Millan, 1983 et R.Skidelsky, John Maynard Keynes/The Economist as Savior, 1920-1937, Penguin Press, 1994. -8- fonctionnaires. L'accueil est plutôt favorable. Keynes soutient que la victoire suppose que l'on gagne d'abord sur le .front de l'économie domestique. L'inflation, c'est-à-dire le laissez-.faire, a un coût social beaucoup trop lourd De plukft1,un ..\1implecontrôle de..f,1 prix et des salaires même accompagné d'un rationnement, comme le préconise J.R.Hicks, ne suffit pas. Le problème économique de la guerre doit être d'abord posé en termes de flux .monétaires et à une écllelle globale 7. Des considérations générales sont inutiles si elles ne s'accompagnent pas d'une évaluation statistique de leurs conséquences. Première leçon pour l'Après-Guerre : la politique économique doit se fixer des obj'ectifs quantitatifi18. Très rapidement, paraît dans l'Economic Journal une étude chiffrée et détaillée sur /e potentiel économique et fiscal de la Grande Bretagne. Quelques éléments en sont repris dans les annexes de Comment payer la guerre. Cet article déclenche de vives réactions. La réponse de Keynes est d'une vigueur étonnante: multiplication de lettres, de débats, d'interventions radiophoniques et auprès des autorités politiques et syndicales... etc. (~ela le convainc surtout de l'exactitude de sa thèse. Sur le plan pratique, le programme d'économies obligatoires attire plutôt la ~ympathie des milieux bancaires et financiers, toujours favorables par principe à une plus forte épargne. C'est l'occasion de renouer, après une brouille sévère, avec Montagu Norman (haut resporLyablede la Banque d'Angleterre) et de recevoir, dans sa démarche, le soutien effectif de Hayek, Robertson et Robbins. Largement persuadé de la justesse de ses vues, Keynes met en chantier le texte de Comment payer la guerre qui.paraît sous la forme d'une brochure. Immédiatement un débat est organisé par Lord Balfour, autour de ces propositions, à la 7Tous les documents autour du débat Comment payer la guerre sont rassemblés dans Ie volume XXII des Collected Writings of John Maynard Keynes, The Royal Economic Society for Mac Millan and Cambridge University Press, 1978, p.3-155. 8 De manière plus triviale: "rien n'est plus envoûtant que les chiffres, excepté le sexe! If;rapporté par B.Marris, Le Monde, 8 novembre 1994 d'après la correspondance privée avec L.Strachey, conservée par R.Harrod. -9- Chambre des Lords. Afin d'aiguiser la discussion, plus d'une centaine d'exemplaires ont été distribués avant même la publication effective du texte. Il est. important de noter qu'entre les premières réflexions et ce programme pratiquement élaboré, son auteur a toujours tenu compte, avec le plus grand soin, des remarques, critiques parfois violentes et autres suggestions qui ont pu être formulées. Comment payer la guerre en est largement le résultat -- ce que Keynes reconnaît très honnêtement dans ses Remerciements placés en annexes -- même si le fond de la construction reste toujours sa propre initiative. Tout au long de la maturation du programme, les objectifs se modifient. L'ordre des priorités se transforment. A u départ il faut empêcher le développement de l'inflation dans une économie où les conditions de son fonctionnement sont grandement modifiées par rapport à la Dépression de l'Avant-Guerre. Le problème est maintenant inverse, c'est plutôt un excès d'activité économique, l'impulsion liée à la guerre, qu'il faut, au sens anglais du terme, "contrôler". Comment freiner le développement de la production, la distribution des revenus et le suremploi avec le plus grand souci de la justice sociale? Dans les articles du Times, le problème est purement technique et financier (gérer la guerre); maintenant il s'agit d'une grave question sociale. La charge de la guerre n'incombe ni totalement aux plus aisés (Les riches peuvent-ils payer la guerre ?) ni ne doit s'exercer comme un poids accablant sur la classe ouvrière. Il faut éviter les "profiteurs ", volontaires et involontaires, quel que soit le barreau de l'échelle sociale. Aucun argument idéologique n'est acceptable; l'analyse économique, si elle est efficace, se doit d'apporter une réponse. Le point de vue keynésien est donné au grand jour: une politique économique ne se justifie que si elle se soucie de concilier l'efficacité économique avec la justice sociale. Après la publication, Keynes poursuit sa campagne d'explications par les mêmes moyens: lettres, meetings, interventions ...etc. Son énergie est débordante, parfaitement persuadé qu'il détient la bonne et l'unique solution pour gagner la guerre sur lefront de l'économie. L'occasion est aussi offerte de montrer que ses idées novatrices, celles de la Théorie générale -10- ..., ne sont pas simplement efficaces pour expliquer un chômage massif et une insuffisance' de l'activité économique mais aussi performantes pour prendre en compte les nouveaux problèmes, ceux du plein emploi, de l'économie de guerre, de l'écart inflationniste, de la gestion de l'épargne nationale dans la recherche de la justice sociale, ...etc. Bref, toutes sortes de questions que l'économie keynésienne reprendra, avec plus ou moins de succès, dans les années 50à 70. Comment payer la guerre est bien déjà le premier essai pour organiser ce qui sera, quelques décennies plus tar~ '1e réglage fin de la demande". Dans un article postérieure, pour le New Republic9, Keynes reprend son programme de guerre en relation avec les nouvelles conditions économiques, en particulier aux Etat1-\V Unis. Les faits sont maintenant inversés par rapport à la Dépression, de la même manière qu'ils le seront avec la fin de la guerre et le passage à une économie de paix. L'idée reste la même, malgré toutes les difficultés, quelle que soit la forme par laquelle elles apparaissent, quelque chose de positif doit en surgir en termes de bien être économique et de justice sociale. La science économique n'existe pas si elle n'est qu'un discours lugubre, conservateur, réducteur; celui de la contrainte, de la rareté, de la privation volontaire. Keynes y admet, sans cynisme aucun, que la guerre ressemble à une grande expérience qui devrait lui donner raison, tout autant qu'elle est pour les Etats lJnis -- la future économie dominante! -- l'occasion d'appren- dre les véritables règles de l'économie contemporaine. On reste perplexe devant tant d'optimisme et de clairvoyance quand on sait les obstacles américains auxquels il se heurtera dans les futures conférences monétaires (Bretton Woods), de même que la difficulté avec laquelle le keynésianisme pénètrera le champ des économistes d'Outre-Atlantique jusque dans les années 60. Bien qu'il plaide pour une attitude plutôt "conservatrice" dans cette période troublée (un programme d'économies obligatoires, un paiement différé, un prélèvement sur le capital, ...etc), Keynes ..veconsidère toujours comme un "réformateur" dont la tâche est 9CollectedWritings, op.cil., p.144-155. -11- autant de préserver que d'améliorer. (~'est bien d'une communauté libre dont il est question! Comment payer la guerre est fondamentalement une prévision sur la gestion future du conjlit dans la mesure où le contexte est toujours celui de la Drôle de Guerre. Rapidement, Keynes est absorbé par des questionA-\.encore plus pratiques, liées à ses interventions au Trésorl0 bien qu'il n'en soit pas of.ficiellement membre et qu'il n'en reçoive aucune rémunération pour son activité. Les évènements se précipitent, les Alliés évacuent la Norvège, la défaite française est consommée et les préoccupations deviennent plus directes: le contrôle des changes, la solde des troupes, ...etc. Quelle est, en tout état de cause, la leçon de politique économique donnée par Keynesl] ? Elle est en trois temps: à quoi doit-on s'attendre; comment les autres y répondent-ils; quel est le bon choix? A quoi doit-on s'attendre? I-J'E'Turope, comme les Etats iJnis ont dû affronter, Avant-Guerre, une longue période de Dépression liée à une insuffisance de la demande effective. C'est ce qu'énonce la Théorie générale ... même si tout le livre n'est pas, bien sûr, dans cette proposition12. Le déclenchement des hostilités provoquera une forte reprise de l'activité économique en .fonction des besoins nouveaux de la guerre. La tendance vers le plein emploi, bien qu'elle ne SlJitpas aussi rapide que prévue, est inéluctable. Jusqu'à quel point doit-on la laisser se développer? L'expérience de la Première Guerre Mondiale a montré que le libre ajustement des ressources et des emplois en produits, de la monnaie et de l'économie réelle, des dépenses et des recettes de l'Etat n'avait qu'une issue: l'injlation13, destructrice de la monnaie et source de graves distorsions sociales. En con- 10Collected Writings, op.cit., p.195-486. Il P.Delfaud & A.PJanche, Les lois de l'économie de guerre, in Les écrits de Ke.,vnes(F.Poulon Ed.), Dunod, 1985, chapitre 3, p.66-88. 12 voir notre Economie keynésienne, un projet radical, (en collaboration avec L.Orio), Nathan, collection Circa, 1993. 13 Keynes a déjà étudié longuement l'inflation dans son livre de 1923 : La réforme moné taire (traduction française, 1924). -]2- séquence, une l()ngue période de réorganisation des échanges et de reconstruction monétaire, surtout sur le plan international, a été nécessaire. Toutes les difficultés des années 20, qu'elles soient économiques, monétaires mais aussi politiques, ont trouvé l'essentiel de leurs origines dans la mauvaise gestion de la guerre. Donc, l'emploi et l'activité économique doivent augmenter même ..fi;i, en février 1940, Keynes reconnaît que le chômage persiste toujours. f)arallèlement, les dépenses de l'Etat ne feront que croître en fonction de l'effort de guerre nécessairement de plus en plus important. Aussi faut-il prendre en compte trois contraintes majeures: (I) Financer l'effort de guerre suppose que des ressources croissantes soient détournées de la consommation privée vers celle de l'Etat. A moyen terme, un rationnement est inéluctable mais cette solution contraignante ne peut qu'aggraver une inflation d'autant plus prévisible qu'il s'agit, pour les gouvernements, d'une solution facile; un impôt invisible et généralisée. L'économie de marché se chargera donc elle-même de renforcer le poids du rationnement. (2) De plus, un effort de guerre soutenu est d'autant plus difficile à obtenir que le conflit s'installe dans la longue durée. Il implique, d'une façon ou d'une autre, une incitation à la productivité particulièrement difficile à garantir si l'inflation se répand. Ses conséquences négatives, sur le plan social, rendront rapidement impopulaire le fardeau des dépenses militaires. Poussées par l'inflation et les privations, leA4}1 revendications sa- lariales naîtront et elles seront données comme légitimes par les syndicats car la richesse produite se développe. L'impératif de la justice sociale est donc autant une question d'équité qu'un problème économique lié aux conditions nécessaires de la bonne répartition d'un revenu national qui progresse. (3) L'évolution ainsi anticipée doit aussi intégrer le làit -- c'est l'expérience de la Première Guerre Mondiale -- qu'une brutale crise de reconversion est à redouter avec la fin des /lostilités. G.uerre et Après-Guerre sont à gérer dans la continuité. Comment les autres y répondent-ils? Même si Keynes a beau jeu d'affirmer que son programme est le seul à être suffi-13- samment élaboré; il y a quand même des propositions alternatives. Elles sont au nombre de trois mais ont l'inconvénient de ne pas être affichées de façon aussi catégorique et tranchée: (1) La solution syndicale (ou travailliste) est simple; "faire payer les riches". La guerre est une occasion importante pour redistribuer les revenus par le pouvoir supplémentaire qZI'elle donne à l'E'ftat.Cette proposition est discutée par Keynes avec un grand souci d'objectivité. JI y consacre tout un chapitre, ne s'en tenant qu'aux chiffres; son but étant de convaincre à tout prix les syndicats qu'il considère comme un acteur très important dans l'effort de guerre. Sa réfutation, statistiques à l'appui, portent sur les points suivants: une taxation trop lourde découragerait, en grande partie, les riches qui sont en même temps les dirigeants économiques. JI s'en suivrait un ralentissement du Revenu National rendant encore plus nécessaire le recours à l'inflation; en outre, le poid~vde~\V prélèvements pèserait encore plus pour ceux qui ont la propension à épargner la plus forte. L'épargne volontaire, solution importante de la Première Guerre Mondiale, serait alors plus difficile à réaliser. Keynes veut démontrer une proposition très moderne. [Ine bonne intention, que nul ne critique en soi (les riches peuvent payer ,justement parce qu'ils sont riches) conduit, par l'inflation, à alourdir le poids de la guerre sur les plus pauvres; ce que personne ne souhaite. En fait, sans vraiment discuter de la J.ustice sociale sur un plan théorique, Keynes anticipe ici sur ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui le critère de Rawls. [!ne redistribution n'est pas d'autant plus juste qu'elle ,favorise les pauvres au détriment des riches mais qu'elle minimise les conséquences néfastes pour les moins bien lotis. En cela, les riches ne peuvent pas, et ne doivent pas payer la totalité de la guerre. (2) La solution libérale, celle préconisée par la campagne de Sir Robert Kindersley, incite à une plus grande épargne volontaire. l.1aguerre est l'affaire de tous et chacun est à même de juger de l'effort qu'il peut faire en contribuant, par une épargne personnelleplus forte, au financement des besoins supplémentaires de ['Etat. De plus, elle n'ajoute aucune contrainte globale nouvelle et préserve de manière automatique l'équilibre général de l'lJjfre et de la demande puisque le moteur de l'O;.justementrepose sur -14- les libres décisions des individus. L'épargne volontaire, si elle est possible, n'est pas à rejetter mais peut-elle être suffisante? Il faut en douter. Les deux arguments de Keynes sont très nets. D'une part, l'effort d'épargne volontaire maintient l'actuel répartition des revenus. Donc, à quoi bon épargner un peu plus si de toute façon rien de mieux n'est à e~pérer ? Qui sera, dans ces c()nditions, cet épargnant vertueux sur qui l'effort de guerre pourrait compter? L'appel aux rentiers a peu de chances d'être entendu car l'inflation menace si on laisse faire. La Théorie générale ... donne l'autre partie de la réponse14 : "L'explication réside essentiellement dans le fait que J'épargne, comme la dépense, est à double face. Bien que le montant de J'épargne d'un individu ait peu de chance d'avoir une influence sensible sur son propre revenu, les réactions exercées par le monffmt de sa consommation sur les revenus des autres font qu'il est impossible à tous les individus pris à la fois d'épargner une somme donnée d'un montant quelconque. " (3) La solution autoritaire, le rationnement et le contrôle généralisés des prix et des salaires, est préconisée en particulier par J.R.Hicks et trouve un écho plutôt favorable dans le (~abinet de Churchill. Elle est considérée comme une éventualité à laquelle il faudra recourir en cas de besoin. Pour le moment, elle n'est pas encore utile. Selon ses partisans, son application ne posera pas de problème particulier puisqu'il s'agit d'une mesure claire, sincère et qui respecte une stricte égalité. En principe personne ne sy soustrait. Même si Keynes reconnaît qu'à un moment ou à un autre le recours au rationnement sera certainement un passage obligé, sans doute faut-il, à l'avance (ex ante) savoir quels sont ses défauts et comment y parer. Dans une économie que l'on dira "avancée", la liberté de choix du consommateur est difficilement encadrée. Il existe un grand nombre de produits d'où le besoin et l'impossibilité pratique de contrôler tous le..\1 arbitrages possibles. De plus, pour une communauté libre, .face 14 Théorie générale..., livre II, chapitre 7, traduction -15- française Payot, p.104. à ceq.ue Keynes considère comme le bolchévisme -- mais la remarque vaut pour l'Allemagne nazie -- il Y a presqu'un point d'honneur à respecter le choix du consommateur. L'essence même d'une démocratie exige un contrôle limité. A côté de cela, le rationnement généralisé développe la pénurie et incite au marché noir. Les produits se font plus rares et le risque est grand de voir apparaître une liquidité excessive dont l'issue se résoudra dans l'inflation et qui pourrait agir dans le sens d'un moindre effort en vue de la guerre. En quoi ces trois solutions sont-elles inefficaces? Du point de vue de Keynes, elles sont partielles. Un seul aspect du problème est pris en compte, s'appuyant par là même pour obtenir toute la solution sur des mécanismes de marché auxquels il est fait entièrement confiance: on prélève plus ou on épargne plus ou on rationne plus et le reste, l'effort de guerre, est donné de surcroît. C'est faire une belle confiance à des automatismes dont on sait qu'ils ne fonctionnent qu'imparfaitement en temps de paix. Comment en serait-il autrement avec la guerre? Quel est le bon choix? Nous laissons au lecteur le soin de découvrir et d'apprécier toute la solution de Keynes. Pour le moment, seuls quelques repères seront donnés partant de l'idée qu'il faut un programme d'ensemble ("radical ''). C'est bien là la clé du problème, le point de vue est celui de l'Economie Nationale. Il faut presque réaliser la quadrature du cercle économique: payer l'effort de guerre en maintenant la liberté des décisions individuelles, accroître l'incitation et la cohésion sociale par une politique de redistribution efficace, réussir le passage à l'Après-Guerre et éviter les errements du passé. La Théorie générale ... a montré la nécessité de raisonner dans le cadre d'un circuit monétaire global. Elle permet aussi de dire ce qu'est l'équilibre économique en temps de guerre15. La production et l'emploi doivent augmenter, donc ilfaut d'abord calculer un Revenu National (et une Dépense Nationale) comme référence essentielle.La guerre accroît les besoins de l'Etat, on doit donc 15 voir la démonstration de A.Planche in Les Ecrits de keynes, op.cit., p.8288. -16- organiser le détournement d'une partie de ce Revenu vers les besoins de l'effort de guerre. Le prélèvement ne peut être laissé au hasard -- celui du marché -- mais précisément calculé (ou anticipé) à partir du moment où l'on admet un certain souci de la justice sociale au sens déjà remarqué: préserver les intérêts des plus défavorisés. Cette attitude est déjà celle que Keynes a adopté à propos de la question des réparations allemandes après la Première Guerre Mondiale: quel montant maximum peut-on transférer sans nuire irrémédiablement au niveau de vie de la population? On connaît la suite, les Conséquences économiques de la Paix donne la leçon. Aujourd'hui, quels instruments utiliser? Le .raisonnement de Keynes est en deux temps. Les articles du Times se réfèrent plutôt à une théorie des prix monétaires, celle du Traité de la monnaie. Cela le conduit à préconiser des augmentations de prix, des prélèvements obligatoires et l'instauration d'un emprunt forcé. Comment payer la guerre est bien ancré dans le jeu d'une économie monétaire de production et se fonde, non plus sur des prix mais bien sur des flux monétaires. Le soubassement est maintenant en propre la Théorie générale ...l-les propositions sont alors, pour la plus novatrice, l'organisation d'un paiement différé (un prélèvement à la source immédiat à redistribuer après la guerre), une refonte des allocations familiales et la fixation des prix d'un panier de biens de première nécessité pour soutenir l'effort des plus démunis, et enfin la mise en place d'un impôt sur le capital après la guerre afin de rembourser le paiement différé et moduler les variations de l'activité économique liées à la fin des hostilités. C:ettedernière mesure est préconisée sous l'influence de Hayek lequel se déclare pleinement en accord avec Keynes quand il s'agit d"'économie de rareté,,16. f'orce est de constater, cinquante cinq ans plus tard, que le programme radical de Keynes, son plan pour des économies obligatoires, n'a eu qu'un écho limité auprès du gouvernement britannique. En réalité, il n'a pas été adopté. Les vaillants calculs de ['écart inflationniste n'ont guère contribué aux décisions 161ettre du 9 mars 1940 in Collected Writings, vol.XXII, op.cit., p.106. -17- du Cabinet de Churchill. Le revenu, ou paiement différé, par lequel Keynes escomptait largement prévenir l'inflation et obtenir l'essentiel du financement de la guerre, n'aura jamais le rendement prévu. Keynes en attendait £550 millions par an, seuls £121 millions en moyenne en proviendront17. Des "crédits d'Après-Guerre" seront proposés, un peu sur le modèle de Keynes. Par contre le programme d'allocations familiales sera largement développé. La méthode de Keynes sera principalement reprise et utilisée dans la construction de la politique économique d'Après-Guerre, à un moment où, sous l'influence d'économistes qui lui ont été proches (J.Meade et R.Stone), la Comptabilité Nationale aura fait des progrès irréversibles. Il est vrai qu'entre temps la question sociale a été placée dans une nouvelle perspective; le plan Beveridge (1942) faisant son oeuvre. JEAN JOSE Q[JILE~'; Professeur de Chaire Supérieure au Lycée Michel Montaigne de Bordeaux 17 Les chimes sont ceux donnés par C.H.Hession, op.cit., p.380; voir aussi D.M.Moggridge in M.Keynes, op.cit. NOTE DES TRADUCTEURS D'une façon générale, les textes de Keynes, qu'ils soient théoriques ou écrits dans une perspective plus directe (articles de presse, commentaires, pamphlets), sont toujours empreints d'un certain souci littéraire. Keynes était un habitué des milieux artistiques, Bloomsbury et les écrivains comme Virginia Woolf, Lytton Strachey, E.Mf'orster. Cela étant, ce souci littéraire conduit vers un style plutôt sophistiqué, parfois étonnant de la part de quelqu'un qui cherche à expliquer et à convaincre. Mais c'est la règle du jeu! Elle est d'ailleurs toujours la même des Conséquences économiques de la Paix à la Théorie générale ... en passant par les Essais de persuasiOn. Keynes n'hésite pas à multiplier les répétitions ou choisir à dessein le même mot, parfois une expression, plusieurs fois. Pour renforcer la logique de la démonstration, nombreuses sont les phrases commençant délibérément par "car"; ce qui n'est pas tout àfait l'usage habituel. Cela a été gardé autant que possible, tout en cherchant à rapprocher cette traduction d'autres livres de Keynes précédemment publiés enfrançais. Cette traduction a utilisé la brochure originale de février 1940 et a scrupuleusement respecté la présentation du texte original. Enfin, le titre a été rendu par "Comment payer la guerre" plutôt que "Comment financer la guerre". La première forme est plus directe, moins technique, et plus conforme à l'esprit d'une brochure s'adressant par principe à un vaste public (le point de vue du citoyen), soucieux de conséquences sociales, pour qui le problème de la guerre est quelque chose de plus concret qu'une obscure question de technique financière. La même raison justifie l'expression "rationnement à bon marché" de préférence à "panier de biens de première nécessité plus précise mais beaucoup moins claire pour le public. ft, Claude PLLS & Jean José QUILES ~rèrelt 2Imid, ([ompamolee el ([~euie~ (£e que je t'eux maintenant t'ouâbite eSt, a.rtèS t'otre ~et'oit en~ t>ers ~ieu, et [e 60in be l'otre 6alut, be fa. plus £)'tute :3mvOttance pour t'o~mêmes et t>og C:nfan~. Œotre ;Pain et t'otre fJabiUemen~ et toute commune ffiécessité be fa.Q3ie en bépenbent entiètement. Q(ussi eS~ce at>ec LeVLus granb sérieux que je t>ous ex~otte, en tant qu'fJommeS, que ([{Jr& tiend, que ;Pareni5 et 2Imoureux be volte ;Pap$, à [ire cet Œ,cit al'ec la l'LM gtanbe QIttention, ou et faite Lite pat b'autres; et l'OUt que t'oua l'~ sie3 ce faite aux moinbtes. <gtais, j'ai bemanbé à r~mvtimeut au l'Lus baS ~cix 1 be [e l'enbte ~[ est une gtanbe ~aute tépanbue patmi l'OUSque LotSque que~ qu'un écrit at'ec aucune ~ntention que be (aite votte hien, vow ne voulie; paS prenbre fa ;Peine be lire 5ee ([on5eif5 : un ŒxemvIaire be cet Œctit peut seroit etune ~ou3aine b'entte t'ous, ce qui fera moinS b'un ~att~ng 2. ['est bien t'otte ~o[ie que be n'a):)oiren ~ête ni :3ntérêt commun, ni 3ntétêt général, pM même [eâ p[us SageS b'entte ):)ous, pM plus que ):)OUS ne t>oua oot'eà ni ne ):)ou[eà t'oua enquérit, sont t'os QImiS, ou qui sont l'OS Œnnemis. ni même ):)0115soucier be qui (Extrait de la Première Lettre du Drapier, 1724)3 1 Dans son édition originale, le /ivre de Keynes ne coutait qu'un shilling! ... T.) f{';d Le farthing équivalait à un quart de penny (N.d T.). 3 The Drapier's Letters: célèbre pamphlet où Swift prenait la défense des Irlandais (N.dT.) PREFACE \, ~ , ~ t r , ~ rt Ce qui suit est une discussion sur la meilleure façon de concilier les exigences de la Guerre avec les besoins légitimes de la consommation privée. Par trois articles publiés dans le Times en novembre dernier, j'ai présenté une première série de propositions sous le titre "Des économies obligatoires". Il ne fallait pas s'attendre à ce qu'un nouveau programme de cette nature fût reçu avec enthousiasme. Mais il ne fut pas rejeté, ni par les experts ni par le public. Personne n'a rien suggéré de mieux. Que l'opinion publique ne fût pas encore prête à accepter de telles idées fut la critique la plus souvent faite. Et c'était bien évidemment vrai. Quoiqu'il en soit, le moment viendra où il faudra prendre conscience des nécessités d'une économie de guerre; et il y a tout lieu de croire que le public n'en est pas si éloigné que cela. Parmi les multiples commentaires formulés, il y eut quelques suggestions valables. Dans le programme révisé présenté ci-après, j'en ai tiré profit. Dans la première version, je me préoccupais essentiellement de mécanismes financiers et je n'ai pas appréhendé tout ce que ces mécanismes pouvaient apporter à la justice sociale. Par conséquent, dans cette nouvelle version j'ai tenté de tirer des améliorations sociales positives des exigences de la guerre. Le programme que je propose maintenant, qui comprend des allocations familiales pour tous, l'accumulation d'une richesse supplémentaire pour la classe ouvrière et sous son contrôle, un rationnement à bon marché des produits de première nécessité et un prélèvement (ou un impôt) sur le capital après la guerre, marque un bien plus grand progrès vers l'égalité économique que toute autre récente proposition. Il n'y a aucun paradoxe là dedans. Les sacrifices qu'exige la guerre obligent à veiller, bien davantage qu'auparavant, à ne pas alourdir le fardeau de ceux qui ont le plus de mal à le porter. Un tel programme ne saurait être honnêtement jugé sans une quelconque comparaison. Mais il n'y a pas eu, à ce jour, la moindre suggestion alternative. Le Chancelier de l'Echiquier a récemment expliqué à la Chambre des Communes qu'il cherche actuellement à éviter une hausse des salaires en subventionnant le coût de la vie. En tant qu'élément constitutif d'un programme d'ensemble, c'est une sage proposition; quelque chose de semblable est conseillé dans ce qui suit. En tant que disposition de secours pour gagner du temps, c'est une mesure de prudence. Mais, considéré en soi, c'est tout le contraire d'une solution. En permettant l'inflation monétaire, cela rend plus difficile la recherche d'un équilibre entre le pouvoir d'achat de ce que les gens ont en poche et ce qui peut être mis sur le marché. Le Chancelier a exprimé son accord avec cette conclusion. J'espère qu'il considèrera avec sympathie une tentative pour intégrer sa politique dans un ensemble conséquent. J'ai consulté de nombreux milieux sur ces propositions et j'ai reçu des avis de tous bords. Je suis fermement convaincu que, présentées avec autorité, elles ne seraient pas impopulaires. Personne ne s'attend à s'en tirer indemme. Ce que l'on peut reprocher à mon programme, ce n'est pas d'en trop demander mais l'inverse; et il se peut que, d'ici un an, il paraisse s'attaquer trop mollement à une si lourde tâche. Etant donné qu'on ne peut écarter la possibilité d'une dérive ou qu'on adopte des demi-mesures, je me hasarderai à en prédire les conséquences. J'examine plus loin le mécanisme de l'inflation; et c'est, je suppose, ce que prévoient la plupart si nous nous dérobons. Mais à moins d'un rythme lent de l'activité, ce qui serait la deuxième phase de détérioration, ce n'est pas à quoi je m'attends d'abord. Il y a un passage du "Rameau d'Or"l dans lequel la propension de l'homme primitif à généraliser à partir d'un nombre limité d'expériences est illustrée de façon amusante. Les hommes, tout comme les chiens, ne sont que trop facilement "conditionnés" et s'attendent toujours à ce que, lorsque la sonnerie retentit, ils aient la même expérience que la fois précédente. Mais nous ne sommes pas aujourd'hui devant la psychologie qui provoqua les précédentes inflations de prix. Ce 1 Les douze volumes du "Rameau d'Or" furent publiés de 1890 à 1915. Ils constituent l'oeuvre majeure de J.G.Frazer (1854-1941), professeur à Cambridge et considéré comme l'un des pères fondateurs de l'anthropologie moderne. -22- ~ 1 1 , .~ , n'est pas du tout une tendance naturelle que d'augmenter les prix en réponse à une demande non satisfaite; les fabricants et les détaillants rechignent d'autant plus à augmenter leurs prix, sauf pour répondre à une réelle augmentation des coûts, que c'est le public qui doit les payer. Ils n'ont aucune envie d'aller à l'encontrede l'opinion publique et ce qui paraît être l'intention des autorités. Ils ne savent pas très bien où ils en sont quant à la Loi contre l'Mfairisme. Avec la Taxe sur les Profits Excessifs, ils sont encore moins portés que d'habitude à voir leurs gains s'accroître. En bref, cela libère leur conscience, leur évite des ennuis, et ne leur coûte même pas beaucoup, de débarrasser leurs rayons et de laisser le client suivant insatisfait, plutôt que d'augmenter leurs prix jusqu'au niveau qui équilibrerait l'offre et la demande. Ainsi donc, selon moi, la première phase sera celle d'un manque d'approvisionnement plutôt qu'un dérapage du niveau des prix. Ce sera une façon particulièrement injuste, inefficace et irritante de restreindre la consommation. Et si cela provoque, comme ce sera probablement le cas, un rationnement plus étendu, le gâchis et l'inefficacité seront aggravés pour les raisons que j'expose ci-après, dues à la diversité des besoins et des goûts humains. Ce qu'il faut faire, c'est limiter le pouvoir d'achat à un seuil convenable et laisser ensuite le consommateur aussi libre que possible ,de choisir sa façon de l'utiliser. Alors, graduellement la pression du pouvoir d'achat amènera la marée de l'inflation qui est le remède naturel et la seule vraie alternative. Mais une autre conséquence est également probable et encore moins satisfaisante. Une pénurie des approvisionnements par rapport au pouvoir d'achat des consommateurs exercera une pression défavorable sur notre balance commerciale. Car des biens seront détournés de l'exportation et cela incitera à utiliser, pour la consommation courante, des produits d'importation ainsi que des produits domestiques qui, autrement, auraient été utilisés pour la guerre. Nous serons de cette manière, empêchés de développer pleinement notre effort de guerre et nous épuiserons nos réserves de change à une rapidité bien imprudente. Ce serait faire preuve de lâcheté que de refuser d'envisager notre tâche dans toute son ampleur et de ne pas l'accomplir. -23- Car par ailleurs, tel n'est pas l'état d'esprit de la nation qui ne demande qu'on lui dise ce qu'elle doit faire. Ce serait aussi faire preuve de bêtise. Car la victoire peut dépendre de notre aptitude à prouver que nous sommes capables d'organiser notre puissance économique de telle sorte qu'un ennemi impénitent reste indéfi.. niment exclu du commerce et de la société du monde. J.M.KEYNES King's CollegeCambridge février, 1940