Nouveaux défis économiques et financiers en Afrique subsaharienne

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Nouveaux défis économiques et financiers en Afrique subsaharienne
par Philippe HUGON
| Dalloz | Revue internationale et stratégique
2002/2 - n° 46
ISSN 1287-1672 | ISBN 2130527078 | pages 107 à 118
Pour citer cet article :
— Hugon P., Nouveaux défis économiques et financiers en Afrique subsaharienne, Revue internationale et stratégique
2002/2, n° 46, p. 107-118.
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Nouveaux défis économiques et financiers
en Afrique subsaharienne
Philippe Hugon*
LA REVUE INTERNATIONALE ET STRATÉGIQUE
PHILIPPE HUGON
Les lunettes des macro-économistes – à travers la lecture des perspectives économi-
ques de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement (BAD)1ou de
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – montrent
que l’Afrique peut globalement être placée sur un trend de stagnation à long terme de
la production par habitant et de la productivité ; que le continent noir connaît une
grande vulnérabilité externe, conduisant à de fortes instabilités à court terme ; et que,
enfin, il y a conjonction de la marginalisation vis-à-vis des flux commerciaux et d’un
endettement extérieur élevé. Par ailleurs, au-delà des divergences nationales et des
évolutions conjoncturelles, on peut noter d’importants déséquilibres sectoriels (en ter-
mes de croissance agricole limitée, notamment, et de désindustrialisation), une rup-
ture des grands équilibres financiers, un déclin durable du taux d’épargne et une
croissance des secteurs non productifs (tertiaire, administration...). Force est de cons-
tater que, malgré les politiques d’ajustement structurel, l’Afrique est demeurée princi-
palement une économie de rente où le processus d’accumulation n’a pu être réelle-
ment enclenché. Or on assiste à l’épuisement de ce modèle rentier. Et malgré certains
signes de reprise, l’Afrique, prise dans des trappes à pauvreté qui conduisent à une
relative marginalisation et à une divergence vis-à-vis des pays émergents, reste large-
ment à l’écart de la dynamique mondiale.
Mais à mesure que l’on se rapproche, que les lunettes deviennent moins grossis-
santes, que les éclairages diffèrent ou que les temporalités se modifient, le paysage
devient plus contrasté, des différences de reliefs apparaissent et des « dynamiques du
dedans » émergent au-delà de l’écume des flux macro-économiques et des équilibres
comptables. Depuis leur indépendance, les pays d’Afrique ont été capables de gérer
un triplement de leur population, dont une multiplication par sept de leur population
urbaine, de doter d’appareils d’État de jeunes nations et de maintenir des frontières
constitutives d’États-nations en voie de création. Les « acteurs du bas » ont ainsi été
capables d’inventer, d’innover et de créer des activités répondant à la satisfaction de
besoins essentiels. Les économies non officielles, populaires ou « informelles » ont,
par exemple, constitué des modes d’accommodement, d’ingéniosité, de vie ou de
survie du plus grand nombre. Le développement des infrastructures, des systèmes
scolaires, des appareils productifs et l’émergence d’élites nationales font en outre de
l’Afrique, en 2002, un continent fort différent de ce qu’il était au sortir de la décolo-
La revue internationale et stratégique, n° 46, été 2002
* Professeur à l’Université Paris X - Nanterre, membre du Fondement des organisations et des régula-
tions de l’univers marchand (FORUM).
1. BAD,Rapport sur le développement en Afrique, Paris, Economica, 2001.
nisation. Enfin, l’Afrique connaît une croissance démographique de l’ordre de 3 %,
bien qu’un processus de transition démographique soit enclenché dans la quasi-
totalité des pays.
Une autre approche, mettant en relief la pérennité des valeurs ou des structures
sociales, fait apparaître à la fois les permanences et les ruptures de trajectoires.
L’Afrique vit à un rythme en partie désynchronisé par rapport au temps mondial,
mais elle connaît également de profondes transformations liées à l’ajustement, à la
libéralisation et à l’érosion des préférences. Ainsi la chute du mur de Berlin a-t-elle
conduit à une baisse de l’aide publique au développement et à une réduction des
guerres interétatiques, mais elle s’est également caractérisée par une prolifération de
conflits intranationaux. Resituées dans la longue durée, les sociétés d’Afrique
connaissent donc une triple rupture : celle d’une économie de traite postcoloniale spé-
cialisée dans des produits primaires, celle d’une économie administrée où prédo-
minent des logiques rentières et celle enfin des économies communautaires où
s’imposent des dynamiques redistributives. D’où la mise en place, depuis les
années 1980, de politiques de libéralisation impulsées de l’extérieur, qui visent à
introduire un assainissement financier et une rationalité économique dans l’allocation
des ressources. Ces politiques sont plus ou moins internalisées et mises en œuvre par
des acteurs locaux, elles ont ainsi des effets différents selon les trajectoires propres à
chaque économie. Or on observe, depuis le début du XXIesiècle, d’importantes trans-
formations tant sur le plan de l’environnement international que sur le plan interne
des sociétés d’Afrique avec notamment le développement de l’intégration réelle et la
mise en chantier du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique
(NEPAD).
La question demeure toutefois de savoir dans quelle mesure l’Afrique saura rele-
ver les nombreux défis (démographiques, environnementaux, technologiques) qui
s’imposent à elle. Comment pourra-t-elle s’intégrer positivement dans l’économie
mondiale et conforter son développement durable ? Afin d’apporter des éléments de
réponse à ces interrogations, nous différencierons la marginalisation et la stagnation
économiques passées, les dynamiques en cours et, enfin, les perspectives.
MARGINALISATION ET STAGNATION ÉCONOMIQUES
De manière globale, l’Afrique subsaharienne, qui regroupe environ 700 millions
d’habitants pour 49 États, est le sous-continent le moins développé économiquement
du monde. Elle représente, pour 10 % de la population mondiale, 1 % du produit
intérieur brut (PIB) mondial, soit 370 milliards de dollars, dont 150 milliards pour la
seule Afrique du Sud.
Une stagnation économique de longue période
L’accroissement du PIB réel en Afrique subsaharienne est passé de 4,6 % par an
durant les années 1960 à 3 % dans les années 1970, puis à 2,1 % durant les
années 1980, et à 2,5 % durant les années 1990 (voir tableau 1). Les indicateurs du
développement humain utilisés par le Programme des Nations unies pour le dévelop-
pement (PNUD) classent les pays africains parmi les plus pauvres du monde. Et si
l’indicateur de développement humain indique une nette amélioration après les indé-
pendances, on note un ralentissement de la progression depuis les années 1980. Ainsi,
l’espérance de vie est passée d’une moyenne de 43 ans en 1965 à 50 ans en 1982 et à
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49 ans en 1998. Les inscriptions scolaires ont, elles aussi, stagné ou diminué dans de
nombreux pays au cours des dix dernières années.
L’Afrique subsaharienne est en outre caractérisée par trois types de situations : des
structures inadéquates (manque d’infrastructures, étroitesse des marchés, secteurs
industriels ébauchés, faiblesse de l’environnement institutionnel), des politiques ina-
déquates (économie administrée, poids de la corruption, mauvaise gestion des sec-
teurs publics et privés) et, enfin, des vulnérabilités internationales (endettement, prix
des matières premières). Elle reste en effet marquée par une économie de rente, où
l’enrichissement résulte davantage de prélèvements que de créations de richesses, qui
se marginalise à l’échelle internationale. Les logiques redistributives l’emportent ainsi
sur les logiques productives. Or l’Afrique doit gérer le passif de la dette tout en
répondant aux défis démographiques et urbains : 45 % de la population a moins de
15 ans, et l’explosion scolaire a peu débouché sur la formation de compétences utili-
sables par le système productif.
Plusieurs facteurs expliquent en partie le blocage de l’accumulation. L’Afrique est
demeurée largement une économie de rente, spécialisée dans des produits agricoles,
miniers et pétroliers. On y constate un faible taux d’investissement et surtout une
mauvaise utilisation du capital. Dans ces conditions, le modèle d’exportation de pro-
duits de base et de substitution des importations n’a pu enclencher un processus
auto-entretenu conduisant à une diversification de la production.
TABLEAU 1. Principaux indicateurs macro-économiques
de l’Afrique subsaharienne (taux de croissance en %)
1960-
1970 1970-
1980 1980-
1990 1990-
2000
Population 2,4 2,9 3,1 2,6
Produit national brut (PNB) 4,6 3,0 2,1 2,5
Industrie 10,1 8,2 0,6 0,2
Agriculture 2,5 1,9 2,5 1,5
Investissement brut 15,0 20,6 16,0 16,0
Source : Philippe Hugon, L’économie de l’Afrique, Paris, La Découverte, 2001.
Une marginalisation extérieure
L’Afrique se marginalise, tant du point de vue des flux commerciaux que des flux
technologiques et financiers, ce qui aboutit à une « déconnexion subie ». Quarante
ans après les indépendances, la part des produits primaires dans les exportations est
restée la même, autour de 90 %, tandis que le poids de l’Afrique dans le marché mon-
dial est passé de 2,4 % en 1970 à 1 % en 2000. En outre, si la part de l’Afrique dans
les investissements directs à l’étranger (IDE) mondiaux est de l’ordre de 1 %, le revenu
moyen africain, qui représentait il y a trente ans 14 % du revenu des pays développés,
est passé aujourd’hui à 7 %.
Par ailleurs, dans un contexte d’endettement permanent, l’aide, au lieu de consti-
tuer une transfusion provisoire, est devenue une perfusion permanente, permettant
aux États d’assurer le minimum de fonctions régaliennes. Elle représente en effet
généralement plus de 10 % du PIB des pays africains et tend à baisser depuis le début
de la décennie 1990.
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Un système financier défaillant
Les dysfonctionnements du système financier résultent à la fois de l’ampleur des
déficits publics, du poids des créances douteuses, des difficultés liées à la crise pro-
ductive et d’une inadaptation des institutions financières à la réalité africaine. Les
crédits privilégient en effet aux trois quarts les opérations de court terme – crédit de
campagne, crédit immobilier, activités d’import-export – aux dépens des investisse-
ments productifs. Et si l’informel financier, comme les tontines, peut jouer un certain
rôle de relais, il ne peut toutefois pas prendre en charge l’ensemble des investisse-
ments (exception faite du pays Bamiléké, au Cameroun).
Les finances publiques, quant à elles, sont caractérisées par de faibles recettes fis-
cales (évasion fiscale, faible assiette et fiscalité de porte) et par un déficit de l’État et
des entreprises publiques et parapubliques. Ainsi la dette extérieure rétroagit-elle sur
la dette publique. Ce déficit, qui a été source d’inflation jusqu’au milieu des
années 1980 – exception faite des pays de la zone franc –, a tendance à se réduire
aujourd’hui, principalement du fait des politiques de stabilisation et d’ajustement
structurel. On constate toutefois le plus souvent un équilibrage « par le bas », condui-
sant à une chute des recettes et des dépenses publiques.
Le retrait de l’État
Dans de nombreux pays africains, l’État ne peut assurer ses fonctions régaliennes
minimales de sécurité et de contrôle du territoire. Il est, la plupart du temps, débordé
d’en haut, par un transfert du pouvoir régalien aux institutions internationales, et
d’en bas, par l’« informalisation » de la société. L’État-providence a donc souvent
fait faillite, et les principaux services sociaux ne sont généralement pas assurés. Il
s’est aussi souvent transformé en État patrimonial, éloigné des principes démocrati-
ques. On note de ce point de vue un développement de l’incivisme fiscal et d’activités
plus ou moins légales se déroulant en dehors du contrôle de l’État, allant des petites
activités tolérées jusqu’aux circuits mafieux dans les collapsed states ou basket states.
DES AFRIQUES PLURIELLES
CARACTÉRISÉES PAR DES «DYNAMIQUES DU DEDANS »
Bien entendu, ce constat global est très réducteur. Au fur et à mesure que la
démarche top down cède la place à un éclairage bottom up, les Afriques apparaissent
plurielles et caractérisées par des « dynamiques du dedans », pour reprendre l’expres-
sion de Georges Balandier.
Les « dynamiques du dedans »
Depuis leur indépendance, les pays africains ont réussi à faire face à une croissance
démographique exponentielle, principalement dans les zones urbaines, et à maintenir
les frontières constitutives de leurs États-nations émergents. Les acteurs de la société
civile, en particulier, ont été capables d’inventer, d’innover et de créer des activités
répondant aux besoins essentiels du plus grand nombre. C’est ainsi que les réseaux
redistributifs ont généralement fonctionné.
La représentation macro-économique précédente ne prend donc pas en compte
les dynamiques repérables au niveau de l’informel et des micro-unités. Celles-ci
contribuent pourtant à plus de 30 % de la valeur ajoutée (de l’économie locale).
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