PRATIQUE COMPTABLE Alfred Stettler La logique de la constatation des provisions Evolution du traitement comptable des provisions La théorie moderne de la comptabilité tend à restreindre l’acception de la définition d’une provision généralement usitée jusqu’ici. La provision est une obligation prise par l’entreprise qui exigera pour son extinction une sortie de ressources sans contrepartie. Cette définition reserrée exclut les corrections de valeur, comme un ducroire ou une dépréciation de stock, et des retenues pour risques futurs arbitraires. Dans ce sens strict, les seules vraies provisions sont des provisions pour risques et charges devant figurer dans les capitaux étrangers. Cet article vise à présenter l’évolution qu’a connue le traitement comptable des provisions au cours des dernières décennies et à discuter des exigences actuelles ou à venir en la matière, en particulier la RPC 23 relative aux provisions. 1.1 Les provisions pour dépréciation d’actifs Le plan comptable pour entreprises artisanales, industrielles et commerciales Au cours des dernières années, plusieurs organismes de normalisation comptable, nationaux ou internationaux, ont introduit une norme ou révisé leur norme sur les provisions. Ces travaux visent à adapter l’approche traditionnelle du traitement des provisions pour l’harmoniser avec le contenu des cadres conceptuels comptables, explicites ou implicites, qui sous-tendent la préparation et la présentation des états financiers modernes. 1. Approche traditionnelle du traitement des provisions Le terme provisions couvre deux domaines distincts: les provisions pour dépréciation d’actifs et les provisions pour risques et charges. L’Expert-comptable suisse 6-7/02 Alfred Stettler, Dr ès sciences économiques et commerciales, MBA Harvard Business School, membre du Comité d’experts de la Commission RPC, délégué de la Suisse à l’ISAR, professeur ordinaire de comptabilité et de contrôle à l’Ecole HEC, Lausanne de Käfer proposait, à juste titre, de porter les provisions pour pertes sur débiteurs ou ducroire en diminution des actifs correspondants. Ces comptes faisaient partie de la classe 1: actif. La quatrième directive de l’Union européenne du 25 juillet 1978 requiert que les corrections de valeur, qui comprennent toutes les dépréciations, définitives ou non, des éléments du patrimoine à la date de clôture du bilan, ne figurent pas dans les provisions pour risques et charges. Les US-GAAP suivent, notamment dans le FASB Statement no 5 de 1975, une piste semblable. Etant par essence des corrections potentielles de valeurs d’actifs, les provisions pour dépréciation d’actifs ont tout à fait logiquement leur place en diminution des actifs, soit de manière visible, soit de manière invisible au bilan, mais avec des explications circonstanciées dans l’annexe. En dépit de ces règles ou propositions, il est courant, du moins jusqu’à très récemment, de trouver les provisions pour pertes sur débiteurs comme aussi les amortissements cumulés sur les actifs immobilisés, appelés à tort fonds d’amortissement, au passif du bilan des états financiers. Le Manuel suisse d’audit (MSA) de 1998 laisse encore planer le doute puisqu’il indique que les comptes de correction de valeur de rubriques de l’actif circulant peuvent être déduits de l’actif même ou inscrits au passif du bilan [1], en particulier s’ils ont uniquement ou surtout un caractère de réserve. Cette dernière remarque se réfère vraisemblablement aux postes de provisions, à caractère de réserves, que l’on peut trouver dans un no man’s land entre les capitaux étrangers et les capitaux propres. L’ordonnance sur les banques et les caisses d’épargne, en son article 25, va dans le même sens puisqu’elle indique que les correctifs de 567 PRATIQUE COMPTABLE Alfred Stettler, La logique de la constatation des provisions valeurs qui peuvent être attribués directement à des actifs spécifiques peuvent être, au choix, compensés directement par une rubrique correspondante de l’actif ou mentionnés sous la rubrique correctifs de valeurs et provisions, donc au passif [2]. 1.2 Les provisions pour risques et charges Les provisions pour risques et charges sont définies dans les différentes sources, notamment dans le MSA et les directives comptables européennes, de manière assez semblable. Les provisions pour risques et charges sont censées couvrir des charges et des pertes définies à la date du bilan quant à leur origine, mais pas quant à leur montant. Il peut s’agir par exemple de pertes sur contrats. L’existence de la perte, après déduction des provisions pour dépréciation d’actifs, est certaine, le montant effectif reste cependant incertain. Ces provisions peuvent également concerner des engagements et des charges, certaines, quant à leur existence, mais indéterminées quant à leur montant ou leur échéance, ou incertaines. Pensons notamment à des engagements ou des charges liés à des litiges, dont ni le montant ni l’échéance ne sont encore connus. En dépit de la définition relativement précise de leur portée, ces provisions ont été souvent traitées, dans la pratique, avec souplesse. Cette dernière trouvait sa justification en particulier dans le principe de prudence. Les provisions pouvaient ainsi couvrir des risques, à caractère relativement général, possibles mais pas nécessairement probables, des charges futures, mal ou pas définies, ou des investissements. Cette tendance est naturellement encore renforcée par l’article 669 CO qui propose d’utiliser non seulement les amortissements, mais aussi les corrections de valeur et les provisions pour risques et charges d’une part, à des fins de remplacement d’autre part, pour la création de réserves latentes supplémentaires. Il va même jusqu’à proposer de renoncer à dissoudre des provisions pour risques et charges devenues superflues toujours dans le but de rem568 placement ou de réserves supplémentaires. 1.3 Les provisions et l’approche fiscale L’article 63 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct place sous provisions aussi bien les corrections de valeurs, notamment des actifs circulants, que les provisions pour engagements futurs. Il autorise aussi, dans certaines limites, la création de provisions pour les futurs mandats de recherche et de développement confiés à des tiers. Le principe de l’importance relative du bilan commercial déterminant pour le bilan fiscal (das Massgeblichkeitsprinzip) conduit naturellement à l’utilisation de critères fiscaux dans les comptes individuels même s’ils ne sont pas nécessairement justifiés du point de vue économique. Pour tenir compte de ce risque de divergence, la Commission RPC a proposé récemment la RPC 19 qui permet aux entreprises qui le souhaitent de séparer, lors de l’établissement des comptes individuels, les aspects fiscaux et de prudence excessive des aspects économiques et présenter ainsi des comptes selon l’image fidèle. 2. Approche moderne du traitement des provisions La prise en compte des exigences fiscales et/ou de celles de prudence font que les états financiers, individuels surtout, ne présentent pas ou très rarement une image fidèle. Par contre le respect d’un cadre de référence tels que les RPC, les IAS ou les US-GAAP fait que les entreprises cotées aboutissent en principe à des présentations beaucoup plus satisfaisantes. L’observation des pratiques suivies en matière de gestion des provisions a montré toutefois qu’il était nécessaire, pour parvenir à une meilleure application des cadres conceptuels comptables en matière de correction de valeurs et de provisions, de proposer deux normes; une première sur les dépréciations d’actifs (impairment), une seconde sur les provisions, en fait sur les risques et charges. Ces deux documents doivent aussi permettre de mieux identifier et séparer ce qui relève des corrections de valeurs, diminution d’actifs, de ce qui a trait aux sorties futures probables de ressources. 2.1 Définitions La portée des provisions pour dépréciation d’actifs et des provisions pour risques et charges est étroitement liée à la définition des termes de base que sont les actifs et les passifs. Le cadre conceptuel de l’IASB définit un actif comme une ressource contrôlée par l’entreprise du fait d’événements passés et dont elle espère tirer des avantages économiques. A cette définition sont attachées une connotation de probabilité et une de fiabilité. Le caractère de probabilité tient à l’existence plus ou moins certaine du potentiel économique futur direct ou indirect des moyens d’activité présents; celui de fiabilité à l’attribution aux moyens d’activité présents d’un coût ou d’une valeur basés sur des estimations raisonnables. Un passif est une obligation actuelle de l’entreprise résultant d’événements passés et dont l’extinction devrait se traduire pour l’entreprise par une sortie de ressources représentatives d’avantages économiques. A cette définition sont aussi attachées une connotation de probabilité et une de fiabilité. Le caractère de probabilité tient aux chances de sorties de moyens d’activité, le caractère de fiabilité à l’attribution d’une valeur aux prétentions ou intérêts présents de tiers sur ces moyens d’activité. Cette définition du passif se base sur la théorie du propriétaire qui veut que, en termes comptables, nous ayons l’égalité suivante: actifs – dettes (passifs) = capitaux propres. Rappelons que la théorie de l’entité s’oppose à la théorie du propriétaire puisqu’elle exprime la même situation dans les termes suivants: actifs = passifs. Dans ce dernier cas, les passifs comprennent également les prétentions ou intérêts présents des propriétaires sur les moyens d’activité. Un respect strict de ces définitions conduit nécessairement à séparer clairement les corrections de valeurs ou dépréciations potentielles des provisions L’Expert-comptable suisse 6-7/02 PRATIQUE COMPTABLE Alfred Stettler, La logique de la constatation des provisions pour risques et charges. En d’autres termes, les corrections de valeurs ne doivent pas être confondues, comme on le fait encore parfois, avec des provisions. Les corrections de valeurs ont déjà été analysées à plusieurs reprises, notamment en relation avec la RPC 17 sur les stocks, les RPC 9 et 18 sur les actifs immobilisés incorporels et corporels et la RPC 22 sur les dépréciations d’actifs. La suite de cet article se concentrera donc sur la réglementation relative aux provisions telle qu’elle est prévue dans le projet de la RPC 23. Selon ce projet, la provision est un engagement probable fondé sur un événement passé dont l’échéance et/ou le montant sont incertains; cet engagement constitue un passif exigible. Définie comme un passif, la provision ne peut donc pas couvrir les corrections de valeurs d’actifs. L’arbre de décision du tableau 1 résume les principales étapes du cheminement suivi pour l’élaboration de cette norme. La définition de la provision contient la connotation de probabilité, quant à son existence, liée à un passif. Pour distinguer la provision de la dette, toutes deux des passifs, il est nécessaire d’ajouter dans la définition l’incertitude liée à l’échéance et/ou au montant. Le Comité de la réglementation comptable français apporte également cette précision lorsqu’il affirme qu’une dette est un passif dont l’échéance et le montant sont fixés de façon précise alors qu’une provision pour risques et charges est un passif dont l’échéance ou le montant n’est pas fixé de façon précise [3]. Le terme de passif utilisé ici cerne ce que le Comité de réglementation comptable français appelle le passif externe (ou capitaux étrangers) pour le séparer du terme général du passif, côté droit du bilan, qui comprend aussi le passif interne (ou capitaux propres). Le Comité de la réglementation comptable français se réfère donc indirectement à la théorie de l’entité. L’adjonction de l’adjectif exigible au terme passif dans la définition de la provision proposée par le projet vise à préciser qu’il ne peut être question que du passif externe. L’Expert-comptable suisse 6-7/02 La distinction entre provision et dette permet aussi de préciser la différence entre les provisions et les passifs de régularisation. Contrairement à la provision, le passif de régularisation, sous l’angle des charges à payer, a un caractère de dette irréversible. A cause de l’absence d’une facture ou d’un décompte précis, il peut néanmoins subsister parfois un doute quant au montant voire à l’échéance exacts. On peut mentionner à cet égard que la pratique et les normes classent volontiers les impôts en suspens dus à la date du bilan comme une provision pour impôts. Il paraîtrait pourtant beaucoup plus logique de les considérer comme des passifs de régularisation puisqu’il s’agit d’une dette irréversible; il reste à obtenir de l’autorité fiscale la confirmation quant au montant réellement dû. Rappelons que les produits reçus d’avance, dans la mesure où il n’existe pas de droit de restitution de ces produits, devraient être déduits à l’actif. 2.2 Obligations juridiques ou implicites Par définition, un passif est lié à un engagement ou à une obligation. Cette dernière peut avoir un caractère juridique ou implicite. Dans le premier cas, l’obligation est relativement précise puisqu’elle découle de la loi, d’un règlement ou d’un contrat. Dans le second cas, sa portée est plus floue. Au cours des années 1990, le Groupe de travail intergouvernemental d’experts des normes internationales de comptabilité et de publication (ISAR) des Nations Unies, auquel participe le Secrétariat à l’économie (Seco), a longuement délibéré sur la comptabilité des coûts et passifs environnementaux et la présentation de l’information financière correspondante. Il n’est pas étonnant que les avis concernant la portée des obligations implicites ne soient pas les mêmes en particulier pour certaines entreprises multinationales et pour certains pays en développement. Le texte final, obtenu après de longues négociations, comprend néanmoins pour les obligations implicites une référence à l’éthique ou à la morale: «Une obligation implicite est une obligation qui ne découle pas de la loi, mais dont l’existence peut être déduite des faits dans une situation particulière, ou qui résulte de considérations éthiques ou morales et à laquelle l’entreprise ne peut pas ou peut difficilement se soustraire» [4]. Ainsi une entreprise peut n’être soumise à aucune obligation légale de procéder à un nettoyage en cas de pollution, mais sa réputation dans le pays considéré risque d’être ternie et son avenir sérieusement compromis si elle ne le fait pas. Pour l’IASB, l’obligation est implicite lorsqu’elle découle des actions d’une entreprise: Tableau 1 Arbre de décision Evénement passé Non Oui Obligation légale Non Obligation implicite Oui Non Pas de constitution de provision, sortie de ressources éventuelle Oui Non Probabilité de sortie de ressources et estimation fiable Oui Constitution d’une provision Oui Non Pas d’information à fournir selon RPC 10 Remarques dans l’annexe selon RPC 10 569 PRATIQUE COMPTABLE Alfred Stettler, La logique de la constatation des provisions a) qui a indiqué aux tiers par ses pratiques passées, par sa politique affichée ou par une déclaration récente suffisamment explicite, qu’elle assumera certaines responsabilités; et que b) en conséquence, elle a créé chez ces tiers une attente fondée qu’elle assumera ces responsabilités. Cette source ne comprend donc pas de référence à l’éthique ou à la morale. De manière générale, l’obligation implicite découle donc de pratiques actuelles ou passées qui créent chez les tiers une attente légitime de voir l’entreprise assumer ses responsabilités. Il est évident que ces pratiques doivent se baser sur des faits probants. 2.3 Provision et contrepartie Le terme passif implique également qu’il n’y a pas de contrepartie à venir. Le plan comptable français le précise dans la définition du passif lorsqu’il indique que la sortie de ressources au bénéfice de tiers que peut provoquer un passif est sans contrepartie au moins équivalente attendue de celui-ci [5]. Les provisions pour risques et charges ont pour caractéristique essentielle de ne pas avoir de contrepartie à venir. L’absence de contrepartie à venir étant comprise dans la définition même du passif, elle ne réapparaît pas dans la définition de la provision. Dans le passé, et parfois encore aujourd’hui, des événements économiques ont donné lieu à la création de provisions alors qu’il existait une contrepartie aux faits en question. Si une entreprise prévoit une réduction de chiffre d’affaires ou de marges ne sera-telle en effet pas tentée de créer une provision pour diminution de produits ou de marges futures. Dans ce cas, il n’y a pourtant aucune obligation juridique ou implicite à honorer par une sortie de ressources; il s’agit d’un encaissement moindre de produits à venir lié à des livraisons de biens ou de services. Il en sera de même pour les salaires qui seront payés dans l’exercice futur et pour lesquels l’entreprise recevra du travail et des services. L’approche rationnelle moderne du traitement des provisions vise donc à 570 éviter la création de provisions qui ont une contrepartie dans le futur. Voici des exemples pour illustrer ces propos. Exemple: le cas de la verrerie Une verrerie dispose, parmi ses installations, d’un four de fusion. Pour supporter les très hautes températures nécessaires à la fusion, du sable en particulier, le four est recouvert à l’intérieur de briques spéciales qu’il s’agit de remplacer tous les quatre ans alors que le four, dans son ensemble, a une durée de vie utile beaucoup plus longue. Cette rénovation représente un coût de quelque 4 millions de francs suisses. Le traitement comptable usuel d’un tel fait économique consiste à doter chaque année le compte provision pour rénovation du four, par exemple, de 1 million de francs suisses de manière à disposer au bout des quatre ans d’une provision de 4 millions. Ce fait économique ne donne pourtant naissance à aucune obligation, donc à aucun passif. On assiste en revanche à la diminution de valeur d’un actif à la suite de son utilisation, donc d’une contrepartie. Dès la construction du four, il aurait fallu distinguer pour le four des durées de vie utile différentes selon ses composantes et amortir chacune d’elles en fonction de sa durée de vie utile présumée. Cette différenciation est déjà utilisée pour les terrains et bâtiments. Pendant les 4 premières années de vie du four, il aurait donc fallu amortir le revêtement interne à raison de 1 million de francs par an. Au bout des 4 ans l’entreprise retrouve, après rénovation, son four qui peut continuer à fournir ses services. Le nouveau revêtement sera à son tour amorti sur une durée de vie utile estimée. Notons que dans la mesure où des opérations semblables ne peuvent pas être considérées comme un actif, il s’agit alors de grever le résultat de l’exercice dans lequel les travaux d’entretien ont lieu. Exemple: l’auto-assurance Les événements de ces derniers mois ont montré que certains risques ne peuvent plus du tout ou ne peuvent qu’en partie être assurés auprès des compagnies d’assurance. Dans d’autres cas, pour des raisons fiscales notamment, les entreprises voudraient recourir à une auto-assurance indirecte. L’approche moderne de la notion de provision précise que, quelle que soit la justification du recours à l’auto-assurance, les entreprises ne peuvent constituer des provisions pour risques pour des dommages non survenus ou non probables sur la base de faits avérés. L’auto-assurance indirecte peut se baser sur les sociétés d’assurance captives, c’est-à-dire des sociétés ad hoc auxquelles seront versées les primes d’assurance déductibles fiscalement. La présence de ces sociétés pose un problème de périmètre de consolidation, raison pour laquelle l’IASB a émis, en 1998, une interprétation qui prévoit que les entités ad hoc doivent être consolidées quand, en substance, la relation entre les entités ad hoc et l’entreprise indique que les entreprises ad hoc sont contrôlées par l’entreprise [6]. 2.4 Fait générateur de l’obligation juridique ou implicite La provision découle d’un engagement ou d’une obligation probable. Sa création est donc liée à un événement-clef, le fait générateur de l’obligation. Ce dernier doit remplir deux conditions. Il doit s’agir d’un événement passé, qui provoquera probablement des décaissements futurs, qui doivent pouvoir être estimés et ceci de manière fiable. Pour illustrer, prenons deux exemples, un lié aux obligations de garantie, l’autre à la remise en état de lieux. Exemple: obligation de garantie La vente d’un produit avec garantie représente un fait générateur d’obligation qui justifie de constituer une provision pour garantie dans la mesure où peut être déterminée la probabilité de la survenue d’un dommage garanti. L’entreprise doit en outre être à même, de par ses expériences passées ou ses informations, d’estimer de manière fiable le montant de ces travaux probables. S’il lui est impossible de déterminer la probabilité de la survenue du dommage parce qu’il s’agit d’une prestation spéciale ou unique et/ou qu’une L’Expert-comptable suisse 6-7/02 PRATIQUE COMPTABLE Alfred Stettler, La logique de la constatation des provisions estimation fiable du montant n’est pas possible, l’entreprise ne peut créer de provision. Exemple: remise en état des lieux Pour exercer ses activités, une entreprise doit creuser et installer des silos. Elle s’est engagée, par contrat, à démonter les silos et remettre le terrain en état lors de la cessation de ses activités. Admettons que l’entreprise dispose d’une concession pour les 15 ans prévus d’activité et que l’activité à cet endroit précis durera effectivement 15 ans. Le fait générateur de l’obligation est constitué par le fait que l’entreprise commence à creuser. Elle devra donc dès ce moment-là prévoir une provision correspondant au coût estimé, escompté ou non, des travaux de remise en état des lieux. Le montant de cette provision sera considéré comme un coût supplémentaire des installations de production, donc ajouté aux coûts des installations. Le compte de résultat sera ensuite grevé régulièrement par l’amortissement du montant contrepartie de la provision, amortissement qui se fera au rythme d’amortissement des installations qui ont engendré ce coût supplémentaire. En cas d’escompte, le compte de résultat tiendra également compte des intérêts liés à la provision. Au contraire, si l’on considère que l’obligation de remise en état existe dès le creusement des silos car la durée d’activité est incertaine, il s’agira de porter en charge la provision en totalité dans l’exercice du creusement des silos. Dans le cas de l’obligation juridique, la création ou la dissolution d’une provision est liée à l’existence d’une loi, de son interprétation par la doctrine ou la jurisprudence ou d’un contrat. Dans le cas de l’obligation implicite la création ou la dissolution d’une provision dépend du comportement actuel ou passé de l’acteur concerné. Dans ce dernier cas, on distingue généralement le moment de la décision prise par l’entreprise de celui de l’annonce faite par elle de se comporter d’une certaine manière. Contrairement à l’IASB qui a fixé le moment de l’annonce comme celui de la naissance du fait générateur, le projet de la RPC 23 laisse les options ouvertes. L’Expert-comptable suisse 6-7/02 2.5 Comptabilisation et évaluation La provision doit être constatée dès que le fait générateur de l’obligation s’est produit, que l’engagement, débouchant sur une sortie de ressources probable, est né. Les situations qui peuvent donner lieu à la création de provisions sont multiples. Il est donc naturellement impossible de fixer dans une norme des règles d’évaluation détaillées qui s’appliqueraient telles quelles à toutes les situations. Le cadre conceptuel de l’IASB précise que l’évaluation est le processus consistant à déterminer les montants monétaires auxquels les éléments des états financiers vont être comptabilisés et inscrits au bilan ou au compte de résultat. Ceci implique le choix de la convention appropriée d’évaluation. Les cadres conceptuels ne font cependant qu’exposer les conventions possibles sans fixer le choix à suivre entre le coût historique, le coût actuel, la valeur de réalisation et la valeur actualisée. Dans le cas des provisions, le choix se porte entre la convention du coût historique et celle de la valeur actualisée. Remarquons toutefois que ce choix serait aussi valable pour les autres capitaux étrangers. Or, dans ce dernier cas, c’est encore en général la convention du coût historique qui est utilisée. La valeur des provisions à prendre en considération dépend d’une part du risque représenté par la portée des obligations, d’autre part du laps de temps lié à ces obligations. Etant donné que l’évaluation a lieu à la date du bilan, il s’agit donc théoriquement de calculer, à cette date, l’espérance mathématique des sorties futures de flux de ressources. Cette valeur dépend naturellement de la fonction de probabilité utilisée, du laps de temps pris en compte et du taux d’actualisation. Si le risque est déjà pris en compte dans l’espérance mathématique, il s’agira d’éviter de l’inclure une seconde fois dans le taux d’actualisation. Le taux d’actualisation sera donc un taux sans risque. De plus, ce taux est un taux avant impôt puisque l’incidence fiscale est prise en compte dans le calcul des impôts différés qui portent sur l’ensemble des actifs et des passifs, donc provisions comprises. L’évaluation à la date du bilan doit tenir compte des événements postérieurs à la date du bilan qui permettent d’améliorer cette évaluation, c’està-dire de mieux cerner les faits générateurs d’obligation qui ont eu lieu avant cette date. Le déroulement des premières séances d’un procès qui ont lieu entre la date du bilan et celle de la clôture effective des comptes peut, par exemple, permettre de se faire une meilleure idée sur l’issue possible du procès. Ces événements postérieurs à la date du bilan peuvent permettre de préciser la probabilité des engagements, voire d’affiner l’évaluation des montants et des échéances en cause. Ces estimations doivent naturellement être révisées à chaque date de clôture, qu’elle soit intermédiaire ou annuelle. Le principe de la spécialisation des exercices, celui de la non compensation et celui de l’image fidèle conduisent également à augmenter les provisions ou à créer des provisions nouvelles pour de nouvelles obligations et à dissoudre celles dont l’existence n’est plus justifiée. Précisons que l’article 29 de la loi sur l’impôt fédéral direct précise également que les provisions qui ne se justifient plus sont ajoutées au revenu commercial imposable. Les variations de provisions peuvent concerner le résultat d’exploitation ou le résultat hors exploitation. Le principe de la clarté demande donc que l’effet des variations, des augmentations comme des diminutions, soit réparti en conséquence sur les différentes parties du compte de résultat. Nous avons vu précédemment que des législations particulières, notamment l’ordonnance sur les banques et caisses d’épargne, ne distinguent pas actuellement, en particulier pour les comptes individuels, les corrections de valeurs des provisions pour risques et charges. De plus, la rubrique réserves pour risques bancaires généraux laisse une grande latitude aux banques d’influencer le résultat à leur manière; ce flotte571 PRATIQUE COMPTABLE Alfred Stettler, La logique de la constatation des provisions ment devrait être éliminé dans le cadre des comptes de groupe. Le projet de RPC 23 demande donc que les entreprises qui se trouvent dans la situation ci-dessus précisent dans l’annexe le montant des provisions à caractère de réserve, donc en fait injustifiées du strict point de vue des obligations. 2.6 Provisions, engagements conditionnels et autres engagements hors bilan Le traitement des provisions se réfère à la notion de probabilité et de fiabilité. Il se distingue donc de celle d’éventualité, traitée notamment dans la RPC 10 ou les IAS 10 et 37. Chacun sait, notamment au vu d’événements récents, que la limite entre des différentes notions n’est pas tracée de manière évidente, ni à un moment donné ni dans le temps. La présentation de l’arbre de décision vise donc à mettre en évidence les relations étroites qui peuvent exister entre ces différents éléments. 2.7 Informations à fournir Il paraît aujourd’hui tout à fait naturel de disposer dans l’annexe d’un tableau expliquant les mouvements des actifs immoblisés. Etant donné l’importance que peuvent revêtir les provisions ou leurs variations dans les états financiers, il paraît aussi logique de demander un tableau de variations qui mette en évidence les valeurs comptables au début de la période, la constitution, l’utilisation, la dissolution et l’extourne des provisions durant la période de manière à comprendre les valeurs comptables à la fin de la période et l’influence des provisions sur le compte de résultat en particulier. 3. Résumé et conclusion La présentation ci-dessus a analysé avant tout les provisions pour risques et charges. Dans la pratique, des faits économiques peuvent naturellement concerner simultanément les provisions pour dépréciation d’actifs et les provisions pour risques et charges. Ainsi en est-il par exemple lors des décisions ou des annonces de restructuration. Ces décisions ou annonces peuvent conduire à une dépréciation d’actifs (dépréciation d’actifs, RPC 22) et à la création de provisions pour indemnités de licenciement (RPC 23). Ce fait économique peut cependant aussi conduire à la conquête d’un nouveau marché qui n’engendre pas d’obligation, donc pas de provision. L’approche traditionnelle du traitement des provisions continuera d’exister pour les raisons fiscales et à cause du principe de prudence au moins aussi longtemps que le droit actuel des sociétés anonymes restera en l’état. L’approche moderne du traitement des provisions doit cependant permettre aux entreprises qui le souhaitent et à celles qui y sont astreintes à préparer et établir des états financiers pour lesquels le traitement des provisions est en accord avec l’approche conceptuelle qui les sous-tend. Notes 1 Chambre fiduciaire, Manuel suisse d’audit, tome 1, Zurich, 1998, p. 223. 2 Suisse, Ordonnance sur les banques et les caisses d’épargne du 17 mai 1972, état au 30 novembre 1999. 3 Comité de la réglementation comptable, Règlement no 2000–06 du 7 décembre 2000 relatif aux passifs. 4 Nations Unies, Comptabilité des coûts et passifs environnementaux et présentation de l’information financière correspondante, Genève, 1999, p. 42. 5 Conseil national de la comptabilité, Plan Comptable Général, art. 212-1.-1. 6 IASB, Interpétation SIC-12 Consolidation – Entités ad hoc, 1998. ZUSAMMENFASSUNG Die Erfassung und Bewertung von Rückstellungen Der traditionelle Ansatz zur Behandlung von Rückstellungen erlaubte bisher keine eindeutige Unterscheidung zwischen Wertberichtigungen und Rückstellungen. Dagegen fordert der moderne Ansatz zur Behandlung der Rückstellungen eine systematische Trennung der beiden Begriffe. Dieser Ansatz basiert auf den in den letzten Jahren entwickelten Rahmenkonzepten, insbesondere auf dem Framework des IASB. In diesen Rahmenkonzepten werden Aktiven und Schulden definiert. Diese Definitionen erlauben es zu klären, weshalb Wertberichtigungen von den entsprechenden Aktiven abzuziehen sind, die Rückstellungen dagegen eine Ver572 bindlichkeit verkörpern. Dass Rückstellungen auf einem verpflichtenden Ereignis in der Vergangenheit beruhen und nicht zukünftige Aufwendungen mit Gegenleistung vorweg erfassen dürfen, ergibt sich aus der Definition der Verbindlichkeit. Deshalb ist es unzulässig, zukünftige Aufwendungen wie Personalaufwand verfrüht durch die Bildung einer Rückstellung in der Erfolgsrechung zu belasten. Eine Analyse der Wahrscheinlichkeit von Betrag und Fälligkeit einer Verbindlichkeit erlaubt die Unterscheidung zwischen einem passiven Rechnungsabgrenzungsposten einerseits und einer Rückstellung andererseits. Erfassung und Bewertung von Rückstellungen entsprechen der gängigen Behandlung von Fremdkapital. Rückstellungen werden erfasst, sofern die wirtschaftlichen Sachverhalte ihrer Definition entsprechen. Ihre Bewertung wird systematisch geprüft. Je nach Umständen sind sie dann zu erhöhen oder aufzulösen. Da die Rahmenkonzepte zur Bewertungsfrage noch keine verbindlichen Leitplanken gesetzt haben, können Rückstellungen zu ihrem Wert bei der geschätzten Fälligkeit oder, falls der Zeitfaktor wesentlich ist, auch diskontiert bilanziert werden. AS/CHW Der Schweizer Treuhänder 6-7/02