Corso di Laurea magistrale
in Lingue e letterature europee,
americane e postcoloniali
Tesi di Laurea
« Il me manque
une concordance des mots
avec la minute
de mes états »
Identité et arts dans l’œuvre
d’Antonin Artaud
Relatore
Ch. Prof. Olivier Serge Bivort
Correlatore
Ch. Prof.ssa Magda Campanini
Laureanda
Giulia Bighin
Matricola 827004
Anno Accademico
2014 / 2015
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Nous avons surtout besoin de vivre et de
croire à ce qui nous fait vivre et que quelque
chose nous fait vivre, - et ce qui sort du
dedans mystérieux de nous-même, ne doit pas
perpétuellement revenir sur nous-même dans
un souci grossièrement digestif. (Antonin
Artaud, Le Théâtre et son Double [1938],
Antonin Artaud, Œuvres, édition d’Evelyne
Grossman, Paris, Gallimard, coll. Quarto,
2004, p. 505).
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Introduction
La crise existentielle que l’homme du XXe siècle doit affronter après le choc de la
première guerre a provoqué au sein des esprits inquiets de la scène littéraire les réactions les
plus disparates. Dans le marasme d’une société qui a perdu ses points de références, la nature
rationnelle et moralisante de la culture occidentale répond aux aspirations des masses
affaiblies et désorientées.
L’atmosphère de bouleversement général qui caractérise cette époque de changements
n’épargne pas le champ de la représentation dans les arts, lesquels ont perdu leurs points de
repères classiques et s’apprêtent à en chercher d’autres. Le langage verbal lui-même subit
l’influence d’une crise qui a privé le signe de sa vocation à représenter le réel. Les mots ne
sont plus aptes à recouvrir leur tâche d’instruments privilégiés pour l’expression du « moi »
des écrivains, car ils ont été longuement utilisés pour donner une image du réel qui ne
correspondait pas à la réalité objective. Le langage n’est plus fiable et la confusion est le trait
spécifique de cette situation problématique : les moyens d’expression n’ayant plus le pouvoir
d’exprimer leur objet (la pensée, les choses, le réel), émerge une volonté de récupérer
l’identité perdue du réel et, par conséquent, de recouvrer celle du « moi ». Il nous appartient
de comprendre comment ces deux éléments opposés peuvent être utilisés l’un au service de
l’autre, dans l’intention de rechercher une vérité des formes d’expression qui soit le résultat
d’une coïncidence rétablie avec la vérité de leur objet. Il s’agit d’un problème central dans
l’œuvre d’Antonin Artaud. Malgré la confusion de l’époque dans laquelle il vit, Artaud,
comme un témoin lucide, s’engage avec ses propres moyens pour trouver des solutions à cet
écart apparemment insoluble qui sépare l’homme de sa véritable essence et de son rapport
authentique avec le réel. Qualifié de « fou » pendant toute sa vie, il s’efforce de se rapprocher
de lui-même pour lutter contre un monde qui voudrait réduire l’homme à « une sorte de
machine pensante qui plus elle se civilise plus elle s’ignore, au point de ne plus être capable
de se retrouver dans l’univers1 ».
La démarche littéraire d’Artaud s’insère donc dans le cadre d’une problématique qui
voit en son centre la recherche d’un « moi » déchiré par une culture qui l’a fait esclave de sa
propre pensée. Artaud vit ce drame en personne, il le vit dans sa chair et dans son esprit,
1 Franco Tonelli, L’Esthétique de la cruauté, étude des implications esthétiques du « Théâtre de la cruauté »
d’Antonin Artaud, Paris, Éditions A.-G. Nizet, 1972, p. 44-45.
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s’impliquant totalement dans une recherche fébrile de l’unité perdue entre le « moi » et une
expression qui puisse être authentique. Artaud part de la confusion qui caractérise son époque
et met en question l’authenticité de sa personne et de ses œuvres pour nous offrir une tentative
de réponse à ces questions, en mettant en cause les capacités de la littérature et de l’art à
exprimer la vérité.
Le premier chapitre sera consacré à la nature du problème qui hante Artaud et que l’on
peut résumer avec ses propres mots : il existe « une rupture entre les choses, et les paroles, les
idées, les signes qui en sont la représentation1 », acceptée tacitement par la société. Cette
« rupture » vient du fait que « la vie » a été limitée à un système de formes préétablies et
fixées qui ne sont pas capables d’exprimer véritablement son essence, et Artaud est conscient
de l’inaptitude des formes à exprimer sa pensée. Le langage verbal est notamment mis en
question par l’écrivain qui, ayant refusé les contraintes du canon, imposées par ce qu’il
appelle « l’autre », est désorienté. Il s’engage alors dans un parcours de réappropriation de
soi-même en tant que sujet « créateur » de son dire.
Le deuxième chapitre traitera du rapport d’Artaud avec l’expérience surréaliste, dans
laquelle il voit une résolution possible des problèmes qui l’obsèdent. Il décide de prendre part
aux activités du mouvement mais bientôt se rendra compte de ses limites. La période
surréaliste d’Artaud le rapproche par ailleurs du monde de l’art pour lequel il se passionne. Il
prend contact avec des artistes de l’époque et commence à développer ses idées sur l’art.
Le troisième chapitre, consacré à la question de l’art, se concentre sur l’action de
libération des formes sur le plan de la peinture et du théâtre. Artaud s’implique dans un
processus de renouvellement total d’un art qui doit, comme lui, récupérer sa véridicité et son
essence pour lui permettre de s’échapper de l’ « enfer ».
Nous nous proposons d’aborder le problème de l’authenticité de l’expression dans
l’œuvre d’Artaud en nous arrêtant à ses principaux ouvrages. À partir d’une action de
dépassement des formes esthétiques conçues en termes de mimésis, nous chercherons à
montrer comment l’art, pour Artaud, a pu acquérir une valeur nouvelle. Les arts peuvent en
effet devenir un moyen pour résoudre la rupture entre le langage et le monde et permettre au
« moi » d’être ce qu’il est dans sa réalité la plus profonde.
1 Antonin Artaud, Le Théâtre et son Double [1938], Antonin Artaud, Œuvres, édition d’Evelyne Grossman,
Paris, Gallimard, coll. Quarto, 2004, p. 505.
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CHAPITRE 1
« QU’EST-CE QUE MOI-MÊME ? »
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