Puisqu'il est une puissance qui a considéré. les traités comme de simples chiffons
de papier, il est indispensable de le répéter et de l'établir clairement. Il ne faut
pas que le bruit des événements militaires fasse oublier les responsabilités de
ceux qui les ont déchaînés et qui leur ont imprimé un caractère si
particulièrement inhumain.
Puisqu'une lutte est engagée qui oppose les deux tendances contraires de notre
double nature, le génie du mal et le génie du bien ; puisqu'on rencontre, dans
l'un des deux camps, la volonté de dominer le monde et de le courber sous une
tyrannie économique et politique dont il ne pourrait, de longtemps, secouer le
joug ; puisque ce parti est résolu, pour obtenir un tel résultat, à employer la
force, sans égard aux engagements authentiques, aux contrats solennels, à la
morale internationale consacrée par les siècles ; puisque la civilisation est
menacée d'une prodigieuse régression et que la victoire de ce camp serait le
triomphe de la brutalité cynique ; puisque, dans l'autre camp, on combat pour la
liberté et l'indépendance des peuples, pour le respect des traités et de la foi
jurée, pour les égards que les forts doivent aux faibles, pour le respect des
femmes, des enfants, des populations désarmées, pour la loyauté internationale,
pour le maintien des plus nobles sentiments, la pitié, la commisération, la
douceur, la contrainte intérieure exercée par le puissant sur soi-même ; puisque
ces deux causes sont en balance et que l'issue du duel est entre les mains de
Dieu, il faut dire les choses telles qu'elles sont pendant qu'elles sont : car qui
peut prévoir ce que la victoire ou la défaite permettront de dire après ? Que
seront devenus, alors, la face du monde et le cœur de l'humanité ?
L'humanité joue une partie où il y va de son essence même. L'homme est-il bon,
est-il méchant ? Il faut présenter les aléas opposés et les chances contraires
avant que le destin se soit prononcé. La première loi de l'histoire est la vérité :
or, il y a une vérité poignante et pathétique dans l'incertitude que la volonté
divine mêle à la certitude où nous sommes que la plus noble des causes doit
triompher.
C'est entendu, j'écris en pleine bataille, dans la poudre et la fumée, sans horizon
et sans lendemain ; je ne vois pas très loin, je ne distingue pas les ensembles, je
ne sais où la fatalité nous mène ; j'appartiens à un des peuples engagés dans la
lutte, à celui qui souffre le plus et qui aurait le plus de droits à se plaindre de la
destinée : cette position est la mienne et je l'accepte.
Ceci dit, j'affirme ma ferme volonté d'être véridique : je contiendrai mes
sentiments ; je refoulerai mes larmes. Mais ce que je ne puis promettre, c'est de
comprimer mon cœur et de faire taire, en moi, les sentiments qui viennent de
ma naissance et de ma foi dans la justice de la cause que je sers
Si, bien involontairement, je manque à la loi d'équité, qui est l'autre loi de
l'histoire, on me pardonnera : au moment d'écrire, ma main tremble. Mais cette
émotion même communiquera peut-être au récit quelque chose de son
mouvement. Il ne s'agit pas d'un livre de cabinet, mais d'une œuvre d'action et
de combat. Je suis dans la mêlée. Je lutte, avec tous les miens, pour la vérité,
l'honneur, la liberté. Si la gravité de l'histoire y perd quelque chose, son efficacité
y gagnera beaucoup. J'invite mes lecteurs à se mobiliser avec moi pour la
défense de mon pays, la France, et de son noble patrimoine, devant l'avenir,
devant Dieu.
G. H.
Novembre 1914