UN THÉORÈME DE LINÉARITÉ DE LA CONSTRUCTION D`ABBES

UN THÉORÈME DE LINÉARITÉ DE LA CONSTRUCTION
D’ABBES ET SAITO POUR LES CONNEXIONS
MÉROMORPHES.
par
Jean-Baptiste Teyssier
Introduction
Ce travail s’inscrit dans le contexte des analogies entre la ramification sauvage des
faisceaux -adiques et l’irrégularité des connexions méromorphes en caractéristique 0.
Si Xest une variété sur un corps parfait de caractéristique p > 0,Dun diviseur
à croisements normaux de Xet U=X\D, Abbes et Saito ont dégagé dans [Sai09]
et [AS11] une procédure de spécialisation le long de Dpour les faisceaux -adiques
constructibles lisses sur Uproduisant une mesure géométrique de la ramification sau-
vage le long de D. Dans le cas d’un trait [AS09], le receptacle de leur invariant
est une droite vectorielle admettant une interprétation différentielle, et l’invariant en
question un ensemble fini de points fermés de cette droite. En dimension supérieure,
ce receptacle devient un fibré Tau-dessus de Det sous une hypothèse de contrôle de
la ramification en tout point de D, le spécialisé d’Abbes et Saito est un système local
sur Tde transformé de Fourier à support fini au-dessus de D.
Cette propriété de finitude tient à ce qu’après restriction à une fibre de T, le spé-
cialisé d’Abbes et Saito s’identifie à une somme directe finie d’images inverses par des
formes linéaires du faisceau d’Artin-Schreier sur la droite affine. C’est la propriété
d’additivité [AS11, 3.1].
Pour les connexions méromorphes, la spécialisation d’Abbes et Saito fait sens et
on démontre dans ce texte(1) que si Dest un hyperplan de l’espace affine An
C, et si
Mest une connexion sur An
Cméromorphe le long de D, alors le D-module défini
par la construction de [AS11] se restreint aux fibres de Ten une somme de modules
exponentiels associés à des formes linéaires. C’est la propriété de linéarité 1.1.1. Dans
le cas d’un germe formel de courbe lisse sur un corps de caractéristique 0, le théorème
de linéarité 2.1.3 est précisé dans [Tey] par une formule explicite.
La condition imposée à Mdans 2.1.3 est générique sur D, alors que dans [AS11]
(1)Voir 2.1.3.
2J.-B. TEYSSIER
elle concerne tous les points du diviseur. Le théorème 2.1.3 suggère donc que dans
le contexte -adique, on doit pouvoir obtenir un théorème d’additivité à l’aide d’une
condition portant seulement sur le point générique de D. Pour les connexions méro-
morphes, travailler avec cette condition plus faible a cependant le désavantage que
l’on obtient a priori pas d’autre information sur les Hisupérieurs des restrictions que
leur lissité.
Pour prouver 2.1.3, une difficulté est la non-exactitude à gauche de l’image inverse
pour les D-modules. Elle fait de la notion de linéarité ponctuelle 1.1.5 d’un module ho-
lonome sur un fibré vectoriel Eune notion relativement mauvaise puisque non stable
par sous-objet. Pour contourner ce problème, on introduit pour tout D-module sur
Eune condition 1.2.1 plus forte qui se comporte bien vis-à-vis des sous-objets et de
leurs cycles proches. L’analyse de cette interaction est traitée en 3.3.1 et 3.3.4.
Suivant le même canevas, on introduit en 3.4.1 une condition aux propriétés simi-
laires impliquant la lissité des Hides restrictions aux fibres de E.
La seconde difficulté est la mise en défaut de la décomposition de Levelt-Turrittin
en dimension >1. Pour y palier, on utilise les réseaux canoniques de Malgrange
[Mal96], qui généralisent aux connexions méromorphes quelconques les réseaux ca-
noniques de Deligne [Del70] définis dans le cas à singularité régulière. C’est l’outil
permettant de montrer que la construction d’Abbes et Saito vérifie les conditions 1.2.1
et 3.4.1. Ce dernier point fait l’objet de 4.2.1 et 4.2.2(2).
Je remercie Claude Sabbah pour ses conseils durant l’élaboration de ce travail. Je
remercie Takeshi Saito pour d’innombrables remarques sur une première version de
ce texte, ainsi qu’Yves André pour m’avoir fait remarquer qu’en dimension >2, les
réseaux de Malgrange ne sont pas nécessairement localement libres.
1. Modules linéaires
1.1. Généralités. —
Définition 1.1.1. Soit Eest un C-espace vectoriel de dimension finie. On appelle
module linéaire sur Etout module somme directe finie de modules du type Eϕ:=
(OE, d +)ϕ:ECest une forme linéaire.
Lemme 1.1.2. — Soient E1et E2des modules linéaires sur An
C. Alors
Ext1
DAn
C
(E1,E2)'0.
Démonstration. — On peut supposer que les Eisont de rang 1. Par tensorisation,
on peut aussi supposer que E1est trival. Il faut donc montrer la nullité du premier
groupe de cohomologie de De Rham algébrique DR Ede E:= E1avec Edonné par la
1-forme a1dx1+· · · +andxnaiC. Si n= 1, c’est un calcul immédiat. Supposons
(2)En dimension 2, les réseaux de Malgrange sont localement libres [Mal96, 3.3.1]. En particulier,
4.2.2 est en dimension 2 l’analogue analytique d’un théorème de forme normale d’André [And07,
3.3.2] pour les connexions méromorphes algébriques formelles, obtenu dans loc. it. par des méthodes
algébriques.
UN ANALOGUE POUR LES CONNEXIONS D’UNE CONSTRUCTION D’ABBES ET SAITO 3
donc n > 1.
Si tous les aisont nuls, DR Eest le complexe de Koszul K(1, . . . , ∂n)pour le module
C[x1, . . . , xn]sur l’anneau commutatif C[1, . . . , ∂n]. Il est en particulier acyclique en
degré >0. Si l’un des aiest non nul, mettons a1on peut supposer quitte à poser
y1=a1x1+· · · +anxn, y2=x2, . . . , yn=xnque a2=· · · =an= 0. Dans ce cas,
DR Eest le complexe de Koszul K(1+ 1, ∂2, . . . , ∂n)de C[x1, . . . , xn]. Or ce dernier
complexe est quasi-isomorphe au cône du morphisme de complexe
K(2, . . . , ∂n)(1+1)·
//K(2, . . . , ∂n)
avec K(2, . . . , ∂n)quasi-isomorphe à C[x1]placé en degré 0, d’où l’annulation voulue.
Corollaire 1.1.3. — Soit Eun fibré vectoriel algébrique à connexion intégrable sur
An
Cmuni des coordonnées (x1, . . . , xn). On suppose l’existence d’une trivialisation
globale de Esur laquelle les xiagissent via des matrices à coefficients constants.
Alors Eest linéaire.
Démonstration. On raisonne par récurrence sur le rang de E, le cas où Eest de
rang 1 étant trivial. Notons eune base ayant la propriété de l’énoncé. Par intégrabilité
de E, les matrices des xicommutent deux à deux, donc une base de triangularisation
simultanée donne une suite exacte
0→ E1→ E → E20
avec E1linéaire de rang 1 et E2satisfaisant aux conditions de l’énoncé. Par récurrence,
les Eisont linéaires et 1.1.3 se déduit de 1.1.2.
Corollaire 1.1.4. — Tout sous-quotient d’un module linéaire est linéaire.
Démonstration. On va montrer 1.1.4 pour les sous-objets, le cas des quotients étant
similaire. Soit E ' E ' Eϕ1⊕ · · · ⊕ Eϕnun module linéaire, et soit Mun sous-module
de E. On veut montrer que Mest linéaire. Du fait de Char(M)Char(E) = T
An
C
An
C,
on a Char(M) = T
An
C
An
C, donc Mest une connexion algébrique.
Raisonnons par récurrence en supposant 1.1.4 acquis pour tous les couples (M0,E0)
avec M0sous-module de E0satisfaisant à rg E0<rg Eou (rg E0= rg Eet rg M0<
rg M).
Si Mest simple et non nul, alors la restriction de l’un des pi:E → EϕiàM
est un isomorphisme. Sinon, Madmet un sous-objet propre N. Par hypothèse de
récurrence appliquée à (N,E), le module Nest linéaire. Soit N0un facteur linéaire
de rang 1de N. Par hypothèse de récurrence appliquée à (M/N0,E/N0), le module
Mest une extension de deux modules linéaires. D’après 1.1.2, Mest linéaire.
Soit Eun fibré vectoriel sur une variété algébrique complexe lisse Xet soit xX.
Pour tout couple (Y, Z)de sous-variétés de Xtel que ZY, on note iZ,Y l’inclusion
canonique de EZdans EY. Soit Mun D-module holonome sur E.
4J.-B. TEYSSIER
Définition 1.1.5. On dit que Mest H0-linéaire en xsi le module H0i+
x,X Mest
linéaire. On dit que Mest H0-ponctuellement linéaire si Mest H0-linéaire en tout
point de X.
1.2. La propriété L. — Soit Mun D-module holonome sur un fibré Ede rang l
sur Spec CJt1, . . . , tnK, et soit Ole point fermé de Spec CJt1, . . . , tnK.
Définition 1.2.1. On dit que Mvérifie la propriété Lsi sur un voisinage de EO
dans E, le module Madmet une famille génératrice e:= (e1, . . . , em)vérifiant
(1.2.2) yiej=
m
X
u=1
fiju(t, y)eu
où dans cette écriture, les yisont des coordonnées sur E, et les fiju sont de la forme
giju/hiju avec giju, hiju CJt1, . . . , tnK[y1, . . . , yl]ayant la propriété(3) que dans la
décomposition
giju =X
ν
Pν(y1, . . . , yl)tν1
1· · · tνn
n
le degré total degyPde Pν(y1, . . . , yl)est plus petit que ν1+· · · +νn, et de même
pour les hiju.
Dans la situation globale de 1.1.5, on dira aussi que Mvérifie la propriété Len x
si pour un choix d’identification
[
OX,x 'CJt1, . . . , tnK, le changement de base de M
àSpec
[
OX,x satisfait à la propriété Lau sens précédent.
Lemme 1.2.3. — Si Ma la propriété Len x, alors Mest H0-linéaire en x.
Démonstration. — H0i+
x,X Mest la restriction à Exde M=
[
OX,x OX,x Mx. Une
famille génératrice de Mvérifiant (1.2.2) induit une famille génératrice de H0i+
x,X M
encore notée esur laquelle l’action de yis’obtient en évaluant les fonctions fiju en
t1=· · · =tn= 0. Par hypothèse, fiju(0, y)est constante.
Soit e0une sous famille maximale de en’admettant pas de relations de liaison
non triviale à coefficients constants. Une telle famille existe si M6= 0, et quitte à
renuméroter les ei, on peut supposer e0= (e1, . . . , ek),kn. Par maximalité, tous
les eisont dans le C-espace vectoriel engendré par e0. Donc e0engendre H0i+
x,X M
comme DEx-module. En particulier, les relations
yiej=aij1e1+· · · +aijnen, aiju C
pour j= 1, . . . , k donnent des relations
(1.2.4) yiej=bij1e1+· · · +bijkek, biju C
En notant Bila matrice des (biju)ju, les relations (1.2.4) s’écrivent yie0=Bie0. Par
application de yjet commutation de yiet yj, on obtient
(BiBjBjBi)e0= 0
(3)Appelée par abus propriété Ldans la suite.
UN ANALOGUE POUR LES CONNEXIONS D’UNE CONSTRUCTION D’ABBES ET SAITO 5
Par définition de e0, on a BiBj=BjBi. Alors, la connexion
N:= (C[y1, . . . , yl]k, B1dy1+· · · +Bldyl)
est une connexion algébrique intégrable bien définie se surjectant sur H0i+
x,X M.
d’après 1.1.3, le module Nest linéaire. Par 1.1.4, le module H0i+
x,X Mest linéaire.
La définition 1.2.1 s’introduit naturellement pour palier au mauvais comportement de
la linéarité ponctuelle vis-à-vis des sous-objets. On démontrera en 3.3.4 par l’entremise
de la théorie des cycles proches que tout sous-objet d’un module vérifiant la propriété
Len xest H0-linéaire en x.
2. Le théorème principal
2.1. Enoncé. — On commence par quelques rappels sur [AS11]. Soit Xune variété
algébrique complexe lisse, Dun diviseur lisse de Xet U:= X\D.
Soit
^
X×Xl’éclaté de X×Xle long de D×D. On note XXle complémentaire
dans
^
X×Xdes transformées strictes de D×Xet X×D. Si V1et V2sont deux
ouverts de Xd’anneaux de fonctions respectifs A1et A2, et si t= 0 (resp. s= 0) est
l’équation de Ddans V1(resp. V2), XXest le schéma d’anneau de fonctions [AS11,
5.22]
(2.1.1) A1CA2[u±1]
(t1u(1 s))
Le schéma XXs’insère dans le diagramme commutatif
XX
XDiag
//
δ
;;
X×X
Avec δimmersion fermée régulière de fibré conormal canoniquement isomorphe à
1
X(log D). Si aNon s’intéresse comme en dimension 1 [AS09, 3] à la dilatation
(XX)ade XXen δ(aD)par rapport à aD. On a un diagramme commutatif de
carré gauche cartésien
(2.1.2)
Ta
//(XX)a
π
U×U
ja
oo
D//X U
oo
avec [AS11, (5.31.4)]
Ta
//V(Ω1
X/C(log D)OXOX(aD)) ×XD.
Dans la suite, on se restreint au cas où Xest l’espace affine An
Cavec Dun hyperplan,
et on se donne une connexion méromorphe Msur An
Cà pôles le long de D. On
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