Apprenez à aimer LE SNOB QUI EST EN VOUS

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Style et étiquette
Tendances
SEMAINE DU 12 AU 18 SEPTEMBRE 2015 LIBRE MOMENTO
tous snobs ? Et si oui, quel genre de snob sommes­nous ? Enfin (ce qui pourrait nous rassurer en cas
de réponse positive), est­ce une tendance répandue ? Il se pourrait bien que oui… Propos du philosophe à l’appui.
ADÈLE VAN REETH, vous la connaissez peut­être
comme une voix à votre oreille. Elle officie en mati­
née sur France culture, dans “Les nouveaux che­
mins de la connaissance”. La séance inaugurale des
mardis de la philo belges nous donne l’occasion de
la voir en chair et en os, jeudi pro­
chain, à Bruxelles, où elle vient
nous parler des snobs dont
elle a fait un bouquin, en duo
avec Raphaël Enthoven.
Mais en attendant de la
voir en vrai, et parce qu’on se
pose la question sans oser
l’avouer, on l’a interrogée sur
le snob : définition et traits
caractéristiques. Histoire de
voir à quelle échelle on se posi­
tionnait en manière de sno­
bisme…
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On sait ce qui est snob ou qui est
snob mais il est très difficile de
définir le snobisme.
C’est le cas de beau­
coup de notions
en philosophie
qui sont mobiles et englobent plusieurs types de
réalité sous un même terme – ce qui en fait tout
l’intérêt ! Dans le cas du snobisme, c’est un terme
que l’on emploie souvent sans savoir quelle défi­
nition en donner.
On dit souvent aux gens qu’ils sont snobs, mais quelle définition met-on derrière le mot ? Pour certains, être snob
est une philosophie de
vie, pour d’autres, la
fantaisie d’un moment, une religion… Le snobisme est-il
un état ou l’expression d’un moment ?
Il existe une diversité de snobismes. Cela ne veut
pas dire que c’est seulement un moment, ça veut
dire que c’est un état de fait. Le snobisme ne se
trouve pas dans une personne mais dans une re­
lation à une personne ou à un objet d’art, ou une
situation donnée. C’est une manière de considé­
rer qu’on détient la vérité, alors que celui qui est
en face de nous est du côté de l’illusion. Le snob
est celui qui pense qu’il a raison.
Le snobisme a quelque chose de tout à fait excluant et, de
ce point de vue, est insupportable et énervant…
Le propre du snob est d’exclure mais à la fois il
inclut : il s’entoure des personnes qu’il juge di­
gnes d’appartenir à son groupe. Le snob est celui
qui se croit seul au monde. Il est dans une illu­
sion permanente, mais il ne fait que reproduire
l’état dans lequel on se trouve tous. On passe no­
tre vie à ne pas pouvoir se passer des autres et à
vouloir se distinguer des autres. C’est constitutif
de l’être humain, et le snobisme n’est qu’une
manifestation de ce trait.
Il est facile de traiter l’autre de snob. Tout le monde peut
l’être. Même s’il est vrai que, dans l’imaginaire collectif,
ceux qu’on appelle snobs sont ceux qu’on caricature
comme appartenant à une certaine classe sociale (et qui
ressemblent aux deux snobs de notre illustration principale d’ailleurs…).
On associe “cultivé” et “snob”, ce qui voudrait
dire que le groupe cultivé, bien situé sur l’échelle
sociale, méprise les autres parce qu’ils n’ont pas
sa culture ou son argent. Dès lors qu’on dit que le
snobisme est une attitude, celui qui n’écoute que
du rap et méprise l’opéra est tout aussi snob que
celui qui écoute l’opéra en dénigrant le rap.
Ce qui permet de mettre en évidence que le snobisme
n’est pas qu’une affaire de caste ou de classes sociales…
Il existe une approche davantage sociologique,
dans la lignée de Pierre Bourdieu où le snobisme
est affaire de “volonté de distinction”. On pour­
rait croire, si l’on suit Bourdieu, que certains in­
dividus (culturellement et économiquement
moins favorisés, NdlR) n’ont pas les moyens de se
démarquer; finalement si. Ce rapport de force
entre l’homme et le monde qui l’entoure est in­
dépendant des conditions socio­économiques.
Le snobisme, c’est un peu une carapace finalement,
car on peut avoir à se défendre de soi, de ce qu’on
peut être à n’importe quel échelon de la pyramide
sociale ?
Je ne sais pas s’il faut en appeler à l’indulgence
avec le snob, mais après tout, on l’est tous.
Le snob est celui qui a besoin d’une éti­
quette, parce qu’il a une douleur interne
qui fait qu’il ne s’assume comme tel aux
yeux des autres. Il a besoin d’exister avec ce
qu’il invente. Le snobisme n’est que l’ex­
pression de ce tragique humain. Le snob
fait rire, mais au fond sa situation est tragique.
Le snob, perpétuellement en recherche de ce qui le différencie, est-il un avant-gardiste méconnu ? Ou n’est-il que
le suiveur du groupe qu’il désirerait intégrer ?
Bonne question : quel est le plus snob ? Celui qui
crée un groupe pour se démarquer ou celui qui
va suivre un groupe qui ne lui appartient pas,
sans avoir le courage de se distinguer. Il faut ce­
pendant redire que le snob peut être très conser­
vateur : il méprise tellement les autres qu’il n’a
pas envie de changer quoi que ce soit.
On le comprend, le snob n’aime pas le changement… Ce
qu’on n’aurait pas dit au premier abord des snobs modeux qui veulent toujours faire différent, plus fou, ou
plus neuf… Quelque chose que personne n’a jamais
porté, n’a jamais imaginé…
Le snob a une étiquette, plus qu’un costume
identifiable – sinon cela voudrait dire qu’il ap­
partient à une classe sociale en particulier. La
mode, elle­même, montre qu’elle fonctionne par
cycles, ce qui est “in”, ce qui se démode. Le snob
va sans cesse essayer de se maintenir au sommet
de la pyramide de la mode… Ce qui implique
d’être assez immuable finalement. Pour être à la
pointe, il ne faut pas tout changer, avoir à la fois
quelque chose d’éternel et de toujours un peu
différent. Le snob n’est pas du tout frivole : il dé­
ploie tous ses efforts pour s’ancrer un maximum
dans la société.
Parfois, il arrive au snob de faire de sacrées erreurs de
goût. Comme Boris Vian qui, dans la chanson “J’suis
Snob”, aime le parfum du crottin. Là, c’est un vrai risque
esthétique…
La tragédie du snob, c’est cela : s’il ne fait pas at­
tention, ce qui était à une époque considéré au
sommet des arts et de la mode, va devenir “has
been” et donc ridiculisé.
Quels pourraient être les traits du snob contemporain ?
Parlons de profils plus que de personnes : les fo­
rums où chacun peut s’exprimer anonymement
sur Internet sont le lieu du snobisme le plus dé­
complexé et génial. Sous prétexte que c’est le lieu
de la démocratie, que tout le monde peut s’expri­
mer, que veut chacun ? Se distinguer le plus pos­
sible… Et surtout être persuadé de détenir la vé­
rité, tout en pensant que ceux qui ne pensent pas
comme soi sont des cons.
Le snob est-il ingénu ? Lui a l’impression d’avoir toujours
raison.
S’il était trop lucide, il souffrirait trop. Il est celui
qui n’a pas le courage de voir le tragique de la
condition humaine, alors il joue un jeu, il revêt
des vêtements et il adopte une mascarade qui lui
permet de garder la tête haute. Est­il bête ou in­
génu pour autant ? Illusionné, oui certainement.
Le snob appelle une forme d’indulgence car cette
brûlure de la vérité est intenable pour la plupart
des gens.
Parmi les caractéristiques du snob, on pouvait citer à
l’époque de Proust ou de Boris Vian, l’amour de l’étranger : parler anglishe, courir le monde. Tout ceci est désormais devenu d’un commun… Sérieusement, quel serait
aujourd’hui le comble du snobisme ?
Le snobisme consisterait à être à contre­courant
du progrès. Ne pas avoir de téléphone portable,
envoyer non pas des mails mais des lettres… Vous
imaginez… Ce serait drôle.
Snobisme : une étymologie farfelue
Le mot, d’où vient-il ? L’étymologie de snob
correspondrait au latin “sine nobilitate” (“sans
noblesse”). L’appellation “s.nob” était inscrite au
début du XIXe siècle sur les pupitres des jeunes
gens à la grande École britannique d’Eton, et ce,
afin de différencier les jeunes gens issus de l’aristocratie et ceux venant des milieux bourgeois.
Les “snobs” sont devenus, par extension, ceux qui
veulent s’élever. Si le mot est donc tout jeune, le
comportement existe de tout temps.
J´suis snob… C´est vraiment
l´seul défaut que j´gobe…
Chemises d´organdi,
chaussures de zébu
Cravate d´Italie
et méchant complet vermoulu…
J´ai pas mal au foie,
personne fait plus ça
J´ai un ulcère,
c´est moins banal
et plus cher…
J´suis snob…
J´m´appelle Patrick,
mais on dit Bob…
Je fais du ch´val
tous les matins
Car j´ador´
l´odeur du crottin...
J´suis snob…
Encor plus snob
que tout à l´heure…
Et quand je serai mort,
J´veux un suaire de chez Dior !
Boris Vian
SOYEZ SNOB
comme…
CEDRIC PERRIN AGENCE ANGELI/REPORTERS
P Sommes­nous
Le snob finirait par nous émouvoir mais ce n’est pas ce
qu’on entend de lui en premier… Le snob nous fait rire,
nous énerve ou nous juge… Mais, in fine, on sent que
cette agitation autour de ce qu’il faut faire pour faire bien
se fait dans le souci d’être aimé.
Et d’appartenir à un groupe pour mieux se dis­
tinguer. C’est une logique sociale classique. On a
besoin, pour se sentir exister, d’appartenir à un
groupe qui nous dépasse.
KARL LAGERFELD
Adele Van Reeth : “Le snob est lucide sur son
propre snobisme. Dans le cas de Karl Lagerfeld,
lui, en premier, sait qu’il joue le jeu du snob.
C’est pourquoi on est surpris quand il a l’air
d’être un humain comme les autres…”.
PHOTOMATON ARCHIVES COHÉRIE BORIS VIAN
Apprenez à aimer
LE SNOB QUI EST EN VOUS
Entretien Aurore Vaucelle
9
BORIS VIAN
‣ Boris “Bob” Vian anglicise son prénom,
choisit les maladies les plus onéreuses, aime les
marques qui démarquent, et les modes même
les plus moches. Il ne fait pas le snob à moitié.
Extraits les plus snobs de la chanson
“J’SUIS SNOB” (1954).
MARY EVANS/REPORTERS
8
De quoi compléter son analyse du snobisme
“Sommes-nous tous snobs ?”, par Adèle Van
Reeth, leçon inaugurale des mardis de la philo, le
17 septembre, à 18 h 30, au Cercle gaulois.
Entrée : 20 €. Cravate obligatoire (ceci n’est pas
du snobisme, enfin peut-être, mais c’est en tout
cas la tenue exigée !).
Infos : www.lesmardisdelaphilo.be
A lire, pour se rassurer ou pour compléter sa
tendance au snobisme décomplexé, “Le snobisme
– question de caractère”, par Adèle Van Reeth et
Raphaël Enthoven, aux éditions Plon/France
Culture, 156 pp., 12, 50 € env.
On pourra réécouter – sans que ça ne fasse
snob, car, en fait, on se cultive –, l’émission des
“Nouveaux chemins de la connaissance” du 7 mai,
consacrée à l’histoire du snobisme et disponible
en podcast sur franceculture.fr.
Marcel Proust
‣ Proust n’était pas snob. Éclairage par Ra­
phaël Enthoven p. 145 du “Snobisme, question
de caractère”.
“Sortir du snobisme, c’est préférer sa mère à
ses amis. On ne naît pas snob, on le devient le
jour où, à l’entrée de l’école, on témoigne à sa
mère de l’agacement parce qu’elle s’attarde à
vous embrasser. Ce n’est pas un hasard si le
Narrateur de ‘À la recherche du temps perdu’
(le moins snob des hommes, contrairement à
ce qu’on croit quand on n’a pas lu ce livre) juge
sévèrement son ami Robert de Saint­Loup qui
néglige d’être gentil avec sa mère en public”
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