Les « veteres » et la nouvelle jurisprudence à la fin de la République

Editions Dalloz
Les « veteres » et la nouvelle jurisprudence à la fin de la République
Author(s): Okko Behrends
Source:
Revue historique de droit français et étranger (1922-),
Quatrième série, Vol. 55, No.
1 (JANVIER-MARS 1977), pp. 7-33
Published by: Editions Dalloz
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/43847949
Accessed: 08-01-2017 14:02 UTC
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droit français et étranger (1922-)
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ARTICLES
Les «veteres»
et la nouvelle jurisprudence
à la fin de la République
Résumé. - Les veteres de la République et les juristes de l'époque
classique font partie de la même phase finale de la jurisprudence
romaine, devenue une science littéraire dès le début du 11e siècle
av. J.-C. Mais malgré cette continuité littéraire, l'appellation même
d' « anciens » fait une distinction nette et signale au moins que les
veteres représentent aux yeux des plus jeunes une jurisprudence un
peu démodée et vieillie. A la vérité cette terminologie témoigne
d'une discontinuité fondamentale dans cette dernière phase de
l'évolution de la jurisprudence romaine où celle-ci se transforme
sous l'influence grecque en une science sociale méthodique. Dans
une première vague, depuis le premier juriste littéraire Sex. Aelius
(se philosophari velie , sed paucis) jusqu'à Q. Mucius ( ius civile
primus constituit generatimi), les jurisconsultes romains se sont inspirés
de plus en plus intensément de la philosophie du Portique. Après
Q. Mucius et surtout à partir de Serv. Sulpicius, le Portique fut
remplacé par la Nouvelle Académie qui (d'abord surtout par la
rhétorique romaine qu'elle dominait) fournissait un système juri-
dique tout à fait différent. La victoire de la nouvelle méthode, qui
devait dominer toute la jurisprudence classique, correspond au
déclin de l'ancienne noblesse républicaine qui avait brillé en dernier,
avec de nombreux jurisconsultes illustres, dans l'entourage de Sci-
pion; elle coïncide avec l'ascension de l'ordre équestre dont les
intérêts politiques et économiques réclamaient une jurisprudence
* En publiant ce texte, qui est celui de la conférence que j'ai donnée le 20 février
1976 à l'Institut de Droit romain de l'Université de Paris, augmenté seulement de
quelques notes et révisé sur quelques points de détails, je me rends bien compte que
le sujet traité mériterait une monographie plus étendue. Mais peut-être cette esquisse
contient-elle déjà assez de matériaux pour permettre d'ouvrir une discussion sur
les problèmes soulevés. Elle pourrait ainsi aider à poser tout travail ultérieur sur des
bases plus riches. Qu'il me soit encore permis de dire ici tous mes remerciements
à mon ami G. Guyon, de Bordeaux, pour toute la peine dépensée à la rédaction du
texte.
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Okko Behrends
formelle et liberale, remplaçant la surveillance paternaliste de la
jurisprudence aristocratique des veteres . L'école des Sabiniens repré-
sente un retour délibéré aux principes des veteres tendant à assouplir
les règles rigides du positivisme institutionnel de la nouvelle méthode;
mais celle-ci, défendue par l'école des Proculiens, finit par s'imposer.
I
1. - Tous ceux qui connaissent tant soit peu les sources du droit
romain classique, ont rencontré, en lisant les fragments de la jurispru-
dence impériale, les échos des voix des soi-disant veteres . On les trouve
cités assez souvent sous leur nom usuel de veteres et parfois aussi sous
les dénominations & antiqui, de maiores et de iuris auctores 1, ceci pour
des questions d'importance fondamentale. Mais ce qui frappe surtout,
c'est l'autorité toute particulière qu'on leur attribue. Les citations nous
font voir, d'une part, que ces juristes, réunis sous l'appellation générale
d'anciens, sont regardés comme les témoins d'un grand passé vénéré et
contraignant, mais les textes nous font savoir en même temps que la
validité de leurs opinions ne va pas de soi. L'attitude des juristes impé-
riaux envers l'héritage des veteres est très variée. Il y a des cas où un
juriste impérial suit l'opinion des veteres avec une fidélité émouvante et
même au prix d'être presque seul de cet avis parmi ses contemporains.
Je pense au fragment bien connu.
Ulp. 18 Sab . D 12, 5, 6 : Perpetuo Sabinus probavit veterum opinio -
nem existimantium id, quad ex iniusta causa apud aliquem sit, posse
condici, in qua sententia etiam Celsus est.
Il y a des exemples, où une règle des veteres est si unanimement suivie,
qu'on la cite, à la fois, comme praeceptum veterum et comme vulgo
dictum, ainsi dans le principe d'ailleurs très important pour la théorie
des veteres : nemo sibi ipse causam possessionis mutare potest2. Enfin,
il y a aussi des exemples, où l'opinion des veteres est totalement aban-
donnée : au temps des juristes classiques personne ne croit après eux
qu'une pièce de terre puisse être volée 3.
1. Pour la synonymie des veteres et iuris auctores, cf. Mod. 5 resp. D 19, 1, 39 et
l'exégèse de ce fragment, voir plus bas II-6; le synonyme ultérieur antiqui se trouve
employé dans Ulp. 18 ed. D 9, 2, 27, 21. Quant au terme maiores , dans l'acception
de la jurisprudence littéraire de la République, cf. Julien 55 Dig. D 1, 3, 20 : Non
omnium quae a maioribus constituía sunt, ratio reddi potest, Marceli. 5 Dig. Dil,
7, 35, Ulp. 32 Sab. D 24, 1, 3, pr. et les remarques II-7.
2. Paul 54 ed. D 41, 2, 3, 19 : III ud quoque a veteribus praeceptum est neminem
sibi ipsum causam possessionis mutare posse ; Julien 44 Dig. D 4Ì, 3, 33, 1 : Quod
vulgo respondetur ipsum sibi causam possessionis mutare non posse rell.
3. Gaius 2 rer. cott. sive aur. D 41, 3, 38 ... abolita est enim quorundam veterum
sententia existimantium etiam fundi locive furtum fieri.
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Les « veteres » et la nouvelle jurisprudence
Qui donc étaient ces veteres dont l'œuvre est mise au tri par la juris-
prudence postérieure ? Les sources ne nous disent rien de précis et elles
contraignent l'historien à l'hypothèse. Kaser identifie les veteres avec les
juristes des trois derniers siècles de la République 4, c'est-à-dire
avec toute la jurisprudence ancienne une fois sortie de l'anonymat du
collège pontifical 5. Cette explication au premier abord tout à fait plau-
sible, surtout quant au rattachement des veteres à la République, est
susceptible, comme nous verrons d'une double précision. Car, dans une
acception plus générale et plus rare aussi, le terme de veteres embrasse
même les auteurs des douze tables6. Si l'on s'en tient cependant à un
usage plus technique, le terme de veteres ne remonte pas plus haut qu'au
début du deuxième siècle et laisse même de côté la plus grande partie des
70 dernières années de la République, qui finit le 13 janvier 27 a. C. La
langue bien connue, qui réunit les avis des veteres et l'adhésion à ceux-ci
de Sabinus et Cassius, et qui est, malgré quelques variations, presque
stéréotypée 7, remplit donc un espace de temps considérable et exacte-
ment (comme nous le fait voir déjà le langage de quelques sources) 8? le
temps écoulé entre la mort de Mucius (82 a. C.) et les années d'ensei-
gnement de Sabinus qui coïncident probablement à peu près avec le règne
de Tibère (14-37) et de Claude (37-54) 9. Ce grand laps de temps n'était
4. Dans son article Zur juristischen Terminologie der Römer, dans Studi Biondi I
(1965), p. 97.
5. C/. Pomponius lb. sg. enchiridii D 1, 2, 2 §§ 6/7 et 36 sqq.
6. Gaius I, 145 : veteres in honorem sacerdotii (sc. virginum Vestalium ) liberas
esse voluerunt : itaque etiam lege XII tabularum cautum est. D'autres exemples
d'un emploi en tant que terme générique se réfèrent aussi à la jurisprudence non
encore littéraire : Gaius IV 11, 30. Pour Seckel, Heumanns Handlexikon der
römischen Quellen , 9e éd. Iena 1907, sub hoc verbo, le terme aurait dans le langage
des juristes classiques un sens tout à fait relatif : un juriste qui a vécu longtemps
avant celui qui le cite. Cela est contredit par ses propres preuves et par celles
maintenant fournies par le Vocabularium lurisprudentiae Romanae V (1939) s.v.
veteres 1329/30 qui s'accordent toutes dans le sens de la jurisprudence littéraire
républicaine. Le seul fragment qui semble traiter de veteres commentant la loi
Falcidia de 40 ap. J.-C. et qui était peut-être décisif pour Seckel, n'est qu'une
preuve apparente parce que, d'après toute vraisemblance, l'interprétation des veteres,
abandonnée par Ariston et Julien et reçue par Paul ( lb . sg. leg. Falc. D 35, 2, 1,
9), s'était formée à partir des devanciers de la lex Falcidia, la lex Furia testamen-
taria entre 204 et 169 a. C. et la lex Voconia de 169 a. C. Cf. Käser, Rom. Privat -
recht P § 188 S. 756.
7. A côté du fragment Ulp. 18 Sab. D 12, 5, 6, cité dans le texte, cf. Paul 8
Sab (?) Fr. Vat. 1 : itaque et veteres putant et Sabinus et Cassius scribunt ; Paul 54
ed. D 41, 2, 3, 18 : plerique veterum et Sabinus et Cassius recte responderunt; Pomp.
Ib. sg f ideie. D 35, 2, 31 secundum Cassii et veterum opinionem.
8. Cf. Ulp. 17 Sab. D 7, 8, 10 ... apud veteres quaesitum est : Rutilius (l'ami ame
de Mucius)... ait; Gaius I 188 : de ea re valde veteres dubitaverunt. nos qui dili -
gentius hunc tractatum exsecuti sumus et in edicti interpretatione et in his libris ,
quos ex Q. Mudo fecimus. Pour les liaisons scientifiques et d'ailleurs bien connues,
qui relient l'école sabinienne à l'œuvre de Mucius voir plus bas II-9. Cf. ici encore
Venul. 16 s tip. D 21, 2, 75 : Quintus Mucius et Sabinus existimant...
9. Sabinus vivait encore sous Néron (54-68), mais avait déjà sous Tibère, donc
avant 37, cinquante ans accomplis. Cf. Steinwenter, dans Pauly- Wissowa Realenzy-
klopädie (1920) s.v. Sabinus 29, 1600.
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pas, bien sûr, vide. Si nous désirons savoir, ce qui s'est passé pendant ces
années, ce qui a fait vieillir entre-temps cette jurisprudence, provenant
surtout du deuxième siècle avant J.-C., nous avons en premier lieu le pré-
cieux témoignage de Cicerón. Ce grand homme a vraiment, et pour la
plus grande partie de son existence, vécu les événements à la fin desquels
la jurisprudence jusqu'alors dominante devait faire place à un système
juridique tout à fait neuf. Le jeune Cicerón a étudié le droit en écoutant
le vieux Q. Mucius Scaevola p. m. qui est à la fois le dernier et le plus
grand des soi-disant veteres et il a été aussi pendant toute sa vie, étroite-
ment, lié par des études communes et un intérêt toujours vif à l'évolution
interne du droit, à Servius Sulpicius, la figure la plus illustre de la nou-
velle jurisprudence. C'est par son dernier ouvrage, qui à cause de sa mort
violente est resté inachevé : les trois livres sur les devoirs, que Cicerón
nous permet une vue très approfondie sur cet événement qui est devenu
fondamental pour l'histoire du droit romain.
Il est vrai qu'il y faut des yeux préparés pour apercevoir dans ces
esquisses du troisième livre - où l'absence d'une rédaction dernière se
fait cruellement sentir - ce qu'il nous dit sur le grand revirement de la
jurisprudence du droit privé, survenu de son vivant. Mais nous avons
démontré dans un travail récent 10 qu'il y avait entre Q. Mucius Scaevola,
qui a été un maître en droit pour Cicerón, et Serv. Sulpicius, son ami et
contemporain, un affrontement basé sur des différences philosophiques
et méthodologiques. La grande œuvre de Mucius est d'avoir, le premier,
basé tout le droit civil sur des principes rationnels et définis (ius civile
primus generatim constituit). Elle était inspirée de la philosophie et de la
théorie de la connaissance du Portique, tandis que la grande œuvre de
Servius Sulpice, qui commence par une critique fondamentale des caté-
gories de Mucius, les reprehensa capita Mucii, tire son origine de la
philosophie et de l'epistemologie de la Nouvelle Académie. Son système,
étalé sur à peu près cent quatre-vingt livres et transmis à une multitude
d'élèves, dont les ouvrages à leur tour ont donné dans la compilation
d'Aufidius Namusa cent quarante livres u, a fini par s'imposer, et a
dominé toute la jurisprudence classique. Mais ce n'est pas de ces années
décisives dont s'occupe Cicerón dans le texte mentionné et il ne traite
pas non plus des questions de système.
2. - Dans ce texte, De officiis 12, 7 sequ., Cicerón traite du conflit
(ou plus exactement du conflit apparent) entre ce qui est utile et ce qui
est honnête et il prend comme exemple un problème juridique du domaine
de la vente 12. Dans quel mesure est-il permis de faire un profit en
10. Okko Behrends, Die Wissenschaftslehre im Zivilrecht des Q. Mucius Scae-
vola pontifex maximus, dans Nachrichten der phil-hist. Klasse der Akademie der
Wissenschaften in Göttinnen 1976. d. 265-304.
11. C/. Pomponius lib. sg. enchiridii. D 1, 2, 2 §§ 42 seq.
12. Cicero, De officiis III 12, 50 seqq.
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