JURISPRUDENCE DE LIEGE, MONS ET BRUXELLES 2013/1 – 51 Observations La résistib le ascens ion des inf ections no s ocomiales Les ca us es Des germes, pathogènes ou qui le deviennent à la faveur d’un geste médical ou de son traitement. Endogènes : indispensables à la vie, ils colonisent par milliards notre organisme. Exogènes : introduits dans l’organisme par un vecteur extérieur qui va de l’air am‐ biant aux intervenants, à leurs produits et à leurs instruments. Des actes médicaux qui n’ont pas répondu à la contestable obligation de sécurité de résultat et que les intervenants ne peuvent imputer à une cause étrangère. L’hygiène hospitalière avec les précautions d’usage prises par les soignants et impo‐ sées aux patients ont atteint chez nous un excellent niveau. Il persiste néanmoins des carences exceptionnelles, anecdotiques et difficilement démontrables : lavage de mains négligé, rotations accélérées en salles d’opérations et non‐respect de règlements sous la pression croissante de la rentabilité. Les vict i mes Les risques d’infections nosocomiales sont accrus chez les patients dont les méca‐ nismes de défense immunitaire sont affaiblis : les sidéens, les transplantés, les can‐ céreux sous chimiothérapie, les personnes âgées dont les fonctions vitales ont per‐ du leur élan. Chez ces patients, tous les germes, des plus anodins aux plus exotiques peuvent devenir infectants. Les microorganismes sont intelligents, ils testent l’organisme qu’ils abordent et vont voir ailleurs s’ils rencontrent des mécanismes de défense solides ou sporulent et res‐ tent à l’affût en attendant des jours meilleurs pour eux, néfastes pour leur porteur. Un herpès, une malaria peuvent se réveiller après des décennies quand le terrain leur redevient accueillant. De cela personne n’est directement responsable. Il s’agit d’aléas dont les risques sont incompressibles sauf à ne plus traiter les patients à risques, de plus en plus nombreux au fil du vieillissement de nos populations et de la sophistication des soins. Le cont ext e Il existe pourtant des façons de travailler plus responsables, susceptibles de réduire la survenue des infections nosocomiales. La médicalisation et l’assurabilité des risques qui incite à les prendre. La médicalisation débridée de nos sociétés par les bilans de santé, les dépistages de toutes sortes, les chirurgies sportives, esthétiques, anti‐âge ou de confort multi‐ plient les actes invasifs de toutes sortes souvent injustifiés, parfois contre‐productifs et contraires à la règle de proportionnalité conforme à l’éthique médicale. Le matraquage médiatique, un droit présumé acquis au confort et au bonheur, l’assurabilité des risques d’accident du travail, de la vie privée ou des activités ludi‐ ques incite à vouloir récupérer à tout prix son « état antérieur » lorsqu’un accident l’a affecté. L’acharnement thérapeutique de médecins et d’institutions qui interviennent trop tôt quand il y aurait moins et mieux à faire ou qui tardent à recourir aux soins palliatifs. 52 – 2013/1 JURISPRUDENCE DE LIEGE, MONS ET BRUXELLES Patients âgés et fragiles sont trop souvent opérés sous le prétexte de leur donner une chance, plus elle est petite plus elle justifierait la prise de risques. Ces patients affaiblis sont de vrais milieux de culture et de sélection de germes multi‐ résistants qui, dans nos hôpitaux et particulièrement nos services de soins intensifs, iront contaminer des patients ordinaires qui n’ont pas lieu d’être infectés. Le dr oit et l a ju stic e En poursuivant les infections nosocomiales survenues dans ces contextes responsa‐ bles, la justice rend service à la société. La jurisprudence et le droit devraient l’y aider. A côté du caractère nosocomial de l’infection, souvent évident, le juge doit se tour‐ ner vers les droits du patient, son consentement et la qualité de son éclairage. L’octogénaire connaît‐il les risques d’une cure chirurgicale d’AAA non fissuré ? L’obèse non morbide sait‐il tous les risques d’une chirurgie de l’obésité ? A‐t‐on exclu toute métastase avant de proposer une pneumectomie ou une oesophagectomie ? Fait‐on part des risques d’une chirurgie de la main au patient qui semble surtout craindre une reprise du travail ? Informe‐t‐on des aléas de la chirurgie du genou, de l’épaule ou du coude le sportif qui espère retrouver ainsi son meilleur niveau ? Que dire de l’élégante sexagénaire qui prend des risques démesurés pour effacer du temps l’inexorable outrage ? A ceux‐là des médecins font prendre des risques déraisonnables d’infections noso‐ comiales dont les conséquences sont toujours lourdes et non exceptionnellement mortelles. Derrière chaque infection nosocomiale, on trouve souvent une indication de traite‐ ment inopportune ou disproportionnée. Le juge devrait la présumer dans les ques‐ tions du jugement soumises à l’expertise et la justice pourra être mieux rendue. Co nclu sio ns Les dossiers que j’ai traités en matière de responsabilité médicale, renferment des questions mal posées par le patient ou auxquelles il a été mal répondu par le médecin. Il y aurait moins d’accidents de la pratique professionnelle et d’infections nosoco‐ miales si chacun s’en tenait au « primum non nocere » tombé en désuétude depuis que le patient est devenu client et les prestations de soins un marché plutôt qu’un service. Ce mal qui ronge la médecine depuis les années quatre‐vingt, les années « TINA » – There Is No Alternative –, frappe aussi la justice et toutes nos activités humaines mais il rapporte tellement à tant de personnes que nous ne sommes pas près d’en voir la fin. OSCAR GROSJEAN Agrégé – Chirurgien Criminologue – Expert judiciaire