LE LIEN
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Une des premières feuilles clandestines :
Dans ses « Conseils à l’occupé » (12 juillet 1940), Jean TEXCIER écrit :
« Trop de passivité dans Paris retrouvé… Devant l’atroce spectacle de cette lâcheté et de cet
égarement qui rejoignaient la misérable attitude de cette petite ville que je venais de quitter, je décidai
de publier sous le manteau un petit manuel de dignité : ce furent les Conseils à l’occupé, qui, écrits
vers le 14 juillet 1940, parurent en août. Ils furent édités, sous forme d’une brochure à la typographie
élégante, grâce à mes amis le poète Guy Robert du Costal (déporté en 1944 et mort à la Salpêtrière en
mai 1945) et le dessinateur Robert BONFILS, qui me mirent en rapport avec le directeur de
l’imprimerie Keller, rue Rochechouart. Ce fut, je crois bien, la première brochure clandestine, et deux
mois plus tard j’eus l’heureuse surprise d’entendre Maurice SCHUMANN en citer des extraits à la
B.B.C. ».
En septembre 1940, après Mers el-Kébir, il publie une seconde brochure qu’il intitule « Notre
Combat » « le combat que mène l’Angleterre contre l’Allemagne, c’est notre combat, c’est encore,
c’est toujours celui pour lequel nous nous sommes dressés à ses côtés en septembre 1939 et la
dernière phrase est un appel direct à son lecteur inconnu : « Puisque tu aimes la liberté, arme-toi donc
et combats avec tes défenseurs».
LES JOURNAUX CLANDESTINS DE LA RESISTANCE
Dès le début de l’occupation, des Français voulurent exprimer par écrit leur peine, leur espoir, leur
volonté de résistance et les faire partager au plus grand nombre possible de leurs compatriotes. La
défaite les avait frappés de stupeur. Ils en recherchaient les causes et, comme il arrive après tout
événement traumatisant, ils remettaient tout en question : le régime antérieur et le régime présent, les
structures sociales et surtout politiques, les idéaux nationalistes et internationalistes ; ils évoquaient le
glorieux passé militaire de la France et aussi la supériorité intellectuelle, l’ingéniosité des Français,
devant lesquelles les occupants s’inclinaient et qui devraient finalement les vaincre ; ils
s’interrogeaient sur les moyens de surmonter la défaite et donnaient des consignes de dignité, de
réarmement moral, de résistance.
Pour s’exprimer, ces hommes avaient rarement recours à des imprimeurs. Le plus souvent, ils ne
pouvaient que multigraphier ou simplement dactylographier leurs textes ou même les recopier à la
plume ; certains utilisaient des imprimeries d’enfants, du papier d’écolier et jusqu’à du buvard. Ils
envoyaient ces feuilles par la poste, les glissaient sous les portes, les remettaient de la main à la main.
Tout ceux qui ont vécu cette époque se souviennent d’avoir reçu quelques-unes de ces feuilles
égayantes, réconfortantes ou émouvantes : des prophéties de Nostradamus, la prière à Saint Odile, des
« tours d’horizons », des calendriers datant à l’avance les victoires anglaises et françaises, des poésies
vengeresses ou humoristiques, des chansons patriotiques ou des parodies, des charades, des
caricatures, des montages illustrés.
On vit surtout se multiplier les « chaînes » - L’Appel du Gaulois, Français voici un référendum,
La Chaîne de la liberté – inspirées des chaînes de la fortune de 1937, que chaque destinataire était
invité à recopier cinq fois et à adresser à cinq personnes susceptibles de les diffuser à nouveau.
Certains de ces textes – tel La France a de nouveau repris les armes, inspiré d’un communiqué de
la radio de Londres – fréquemment recopiés, se modifiaient peu à peu par erreurs successives ou par
corrections conscientes et devenaient méconnaissables, transformant les raids de la RAF en
interventions célestes surnaturelles.
Des feuilles et des brochures avaient une tout autre portée et sont sorties de l’anonymat : les Conseils
à l’occupé que Jean Texcier avait fait imprimer à Paris dès juillet 1940, ses Propos à l’occupé, ses
Lettres à François, la Lettre à la jeunesse, Eclairs dans la nuit, le Sens de la honte que Robert
d’Harcourt signait H.B (Harcourt-Beuvron), les Tours d’horizon que ne craignait pas de signer de
son nom, en zone sud, le général Gabriel-Roger Cochet.
Une nouvelle génération politique est née en 40
Mais il ne s’agissait là que de réactions individuelles ou de très petits groupes, et dès les tout débuts
de l’occupation des équipes un peu plus nombreuses avaient recherché une action plus durable, un