Chapitre XXX Politique keynésienne et politique néolibérale

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ChapitreXXX
Politiquekeynésienneetpolitiquenéolibérale
Limiter à deux grandes familles – keynésienne et néolibérale – les politiques économiques
d’aujourd’hui est naturellement très réducteur. Il y avait, avant Keynes, une politique que
Keynes qualifiait d’«orthodoxe» et à laquelle le keynésianisme s’oppose. Cette «orthodoxie
classique» qui a laissé des traces et qui se retrouve, en partie, dans certains thèmes de la
pensée néolibérale, ous n’en parlons pas. Nous ne parlons pas non plus de la «voie sociale
démocrate » prônée par de puissants partis socialistes en Europe occidentale. Elle s’apparente
souvent à une politique de relance keynésienne. Mais parce qu’elle se nourrit d’autres
traditions de pensée et s’appuie plus explicitement sur d’autres forces sociales, elle ne peut,
purement et simplement, être assimilée à la politique keynésienne. Au demeurant, ces
dernières années, la voie de politique économique et sociale poursuivie par des
gouvernements à participation socialiste est fréquemment sous l’influence de l’idéologie
néolibérable. Les privatisations des années quatre-vingt-dix en Belgique, la pression exercée
par le gouvernement sur les salaires, l’acceptation de la libéralisation totale des capitaux en
sont autant de preuves.
Il n’y a ni politique keynésienne «à l’état pur», ni politique néolibérale «à l’état pur». Il y a
certes des préceptes keynésiens et des préceptes néolibéraux. Dans la réalité, les politiques
économiques poursuivies sont la plupart du temps issues de compromis : politiques, sociaux
ou idéologiques. Pas seulement des compromis entre keynésianisme et néolibéralisme : très
souvent des compromis qui prennent en compte des exigences ou des revendications qui
dépassent de loin ces deux familles de pensée. Dans cet exposé, on décrira les préceptes, en
quelque sorte, dans leur généralité, dans leur caractère absolu, radical. Cette manière de
procéder a l’avantage de la clarté et les désavantages de tout schématisme.
Le développement plus ou moins poussé de la machine économique, l’existence de
déséquilibres plus ou moins profonds, le rapport de forces entre les principaux acteurs sociaux
sont des données dont aucune politique économique ne peut faire abstraction. Elle s’insère
toujours dans une réalité bien concrète qui impose des contraintes. Ainsi, avec un taux
d’inflation élevé, un déficit budgétaire considérable et une balance commerciale en équilibre,
on fera nécessairement autre chose que si les prix sont stables, les finances publiques
équilibrées et le solde extérieur négatif. Donc les faits imposent des contraintes. Mais ils ne
déterminent pas à eux seuls une stratégie. Il y a toujours un espace pour telle ou telle option,
pour tel ou tel choix. C’est à ces choix qu’on s’attachera, sans trop se préoccuper de la
manière dont ils se concrétisent.
Dans les chapitres consacrés à la mondialisation de l’économie, nous avons vu que les forces
montantes du capital mettaient en œuvre une nouvelle régulation du capital : elles voulaient
un maximum de liberté et donc de dérégulation pour pouvoir se déployer. La politique
néolibérale qui s’appuie sur le discours de la pensée unique est celle des forces montantes.
Elle triomphe à l’heure actuelle.
1. LA POLITIQUE KEYNESIENNE
Réduire l’amplitude des mouvements conjoncturels est l’objectif central de la politique
économique. En l’occurrence, pendant la crise de 1929, sortir au plus vite de B et relancer
l’économie, constitue la première préoccupation de Keynes.
On l’a vu, l’économie évolue de manière cyclique. La sinusoïde ABC représente l’évolution
normale de l’économie. La politique keynésienne veut transformer ABC en DEF (graphe
115).
Graphe 115
Evolution cyclique de l’économie
Keynes partageait un objectif avec la plupart des économistes. Il se distingue de la pensée
économique de son temps par les moyens qu’il préconise pour sortir de la crise. Alors
qu’avant lui on prônait un strict équilibre budgétaire (les recettes courantes de l’Etat sont
égales aux dépenses courantes de l’Etat), il préconisait des budgets cycliques : un deficit
spending en récession et un surplus (épargne de l’Etat) en haute conjoncture. La plupart des
auteurs militaient en faveur de salaires déprimés qui favorisaient l’embauche sur le marché du
travail, alors que Keynes était favorable à une injection de pouvoir d’achat dans l’économie.
On a donc pu parler d’une révolution keynésienne qui s’assigne comme objectif de relancer
l’économie par une action sur tous les postes de la demande finale. Par le truchement d’une
intervention étatique volontariste – il faut faire «donner» l’Etat –, il s’agit de tirer l’économie
vers le haut.
Dans l’optique des dépenses, on a vu que :
PNBp.m = C + G + Ib + (X – M)
Il faut donc agir sur tous les grands postes de la demande finale.
1.1. Action sur C
On part de l’équation : C = f(Yd) 1 et de : Yd = Y – Td.h + R - (BND + Td.c)2.
1
2
En 2004, C = 147 milliards d’ €.
En 2004, Yd.h = 173 milliards d’ €. Que privilégie une politique keynésienne pour relancer C ?
Yd surtout en Td.h et en  relief
3
Keynes préconise également une action privilégiée sur les biens de consommation durables
(voitures, électro-ménager, TV...) par le biais des crédits à la consommation. Comment ? En
diminuant les taux d’intérêt et en augmentant la durée du remboursement.
1.2. Action sur les investissements (Ig + Ie + Ih)
1.2.1. Action sur Ig
La pensée keynésienne a privilégié cet instrument. A cette époque, la part des dépenses
courantes de l’Etat dans le PNB se situait à un niveau relativement bas et le besoin
d’infrastructures était très élevé : infrastructures économiques liées au développement de
nouveaux biens de consommation et d’équipement (voitures, camions, avions), infrastructures
sociales liées au développement des besoins en santé et en enseignement.
Entre 1933 et 1939, il y a eu et le New Deal aux Etats-Unis et les autostrades allemandes.
Chez nous, les tunnels sous l’Escaut et le canal Albert participent de cette même politique :
relancer l’économie par des investissements publics massifs. Cette politique va se poursuivre
et s’approfondir après la deuxièmeguerre mondiale.
1.2.2. Action sur Ie
Pour relancer les investissements des entreprises, il faut favoriser leur financement. Nous
l’avons vu, celui-ci peut prendre différentes formes : recours au crédit, autofinancement par
les bénéfices réservés des entreprises, augmentation du capital. L’instrument keynésien
privilégié est le crédit. Keynes préconise par conséquent des taux d’intérêt bas, tout en
sachant bien qu’il est aisé de mener un cheval à l’abreuvoir mais qu’il est difficile de le faire
boire s’il n’a pas soif. L’Etat peut renforcer l’efficacité de cette politique par des aides
multiples aux entreprises qui investissent. La législation belge de 1959, approfondie et élargie
par la suite, s’en inspire directement. Par le truchement de mesures fiscales, l’Etat peut
également encourager l’autofinancement... mais ce n’est certes pas un élément décisif de la
politique keynésienne.
La Bourse fut discréditée après 1929 et pour longtemps. Elle n’a repris du poil de la bête qu’à
la fin des années soixante-dix et surtout dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, Le
krach du 19 octobre 1987 n’a pas empêché le développement du marché boursier.
1.2.3. Action sur Ih
Les achats de nouveaux logements par les ménages sont financés par l’épargne des ménages
et par les crédits hypothécaires. Ici aussi, Keynes recourt à une «cheap money policy» et à une
intervention étatique en faveur du logement social.
Il va de soi que l’évolution du revenu disponible des ménages influence fortement les
investissements des ménages. Une contraction minime du Yd.h entraîne une forte diminution
de Ih. On dit que l’élasticité de Ih au Yd.h est forte.
3
Par relief, on entend le solde net des transferts de l’Etat aux ménages. (Voir chapitre VIII, Optique des revenus, 4. Revenu national et
revenu disponible des ménages).
Cela s’est confirmé en Belgique dans les années 1982-1985.
1.3. Action sur la consommation publique (G)
Keynes préconise des budgets cycliques. En dépression, le gouvernement fait du deficit
spending (G > T) ; en situation de «boom», il dégage une épargne positive (G < T). Un déficit
structurel des finances publiques pèse lourdement sur la maniabilité de cet instrument,
puisqu’en toutes circonstances, il faudra diminuer l’écart (G-T).
1.4. Conclusion
Quand les cycles sont «classiques», une politique keynésienne – qui est fondamentalement
une politique conjoncturelle – peut se concevoir. Dans une situation de dépression, la relance
keynésienne peut se heurter aux contraintes traditionnelles examinées dans le chapitre
précédent. Quand les déséquilibres sont structurels, une politique keynésienne doit être
épaulée par des mesures plus ciblées qui s’attaquent aux causes des déséquilibres.
2. CRISE DE LA POLITIQUE KEYNESIENNE EN STAGFLATION
2.1. De la stagnation à la stagflation
La stagflation contient deux ingrédients : la stagnation et l’inflation. Dans les principaux pays
de l’OCDE, elle a dominé la décennie 1973-1983. Aux Etats-Unis, elle fut particulièrement
aiguë en 1974-1975 – deux années successives de croissance négative et une inflation
relativement forte – ainsi qu’en 1980-1982. L’inflation la plus forte s’est produite en 1980
(14,5%), tandis que la récession la plus profonde frappait l’année 1982 (avec une croissance
négative et un chômage de 10,7%).
Après 1983, l’économie américaine est sortie de la stagflation. Le chômage est passé de
10,7% à 5,5% – on parle souvent de création de 17 millions d’emplois alors qu’il s’agit de
«postes de travail» incluant des travailleurs à temps partiel ; l’inflation a été jugulée (depuis
1985, elle est au-dessous de la barre des 5%) et la croissance a atteint un niveau des plus
honorables pendant toute la période.
2.2. Déplacement de la courbe de Phillips en stagflation
En récession classique, une augmentation de 1% de l’inflation – de 2 à 3% – permet de
diminuer le chômage de 2%. En stagflation, la même augmentation de 1% de l’inflation – de
14% à 15% – ne permet plus de diminuer le chômage que de 0,5%. L’élasticité emploi/prix
passe de 2 à 0,54.
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L’élasticité pour la courbe de Phillips classique s’élève à :
L’élasticité pour la courbe de Phillips en stagnation s’élève à :
Graphe 116
La courbe de Phillips en stagflation
La courbe de Phillips s’est donc déplacée : vers le haut (l’inflation est plus forte), vers la
gauche (le chômage est plus important). Elle est devenue plus inélastique, plus verticale.
2.3. Crise de la politique keynésienne en stagflation
Pourquoi en stagflation la politique keynésienne se heurte-t-elle à des obstacles
insurmontables ? S’il y a stagnation, il faut relancer l’économie. «Tirer» l’économie vers le
haut par une demande croissante risque de provoquer des effets négatifs sur l’inflation. A
l’inverse, une compression globale de la demande – qui serait salutaire pour contenir les
poussées inflationnistes – serait nocive pour l’emploi.
3. LA POLITIQUE NEOLIBERALE5
La difficulté d’appliquer une politique keynésienne en stagflation a sûrement contribué au
triomphe de la pensée néolibérale. Là n’est pas l’élément principal : pour preuve, quand vers
1984-1985 l’OCDE est sortie de la stagflation, la politique keynésienne n’a que très
partiellement repris le dessus. Il ne s’agit pas, en premier lieu, d’un combat d’idées entre
keynésiens et néolibéraux où, à un moment donné, l’argumentaire des uns vient à bout de
l’adversaire. De manière beaucoup plus fondamentale, il y a eu une baisse de la rentabilité des
entreprises vers la fin des années soixante, qui a incité les classes dirigeantes à tout mettre en
oeuvre pour redresser le taux de profit. Concomitamment, le rapport de forces entre have et
have not se modifiait en faveur des premiers. Le poids des syndicats diminuait, ils n’étaient
plus à l’offensive. La hausse du chômage à partir de 1975 a contribué à affaiblir, à fragiliser et
à diviser le monde des travailleurs. On l’a vu, les nouvelles forces du capital ébranlent les
anciennes et la nouvelle régulation chasse l’ancienne.
5
Nous ne décrivons dans cette partie que les préceptes de la pensée néolibérale.
C’est donc un ensemble extrêmement varié et complexe d’éléments de nature économique,
sociale et politique, qui expliquent la montée en puissance puis la suprématie de la pensée
néolibérale. Les deux pensées ne sont d’ailleurs pas antinomiques. La pensée keynésienne est
adaptée à une certaine forme de régulation du capital – du New Deal jusqu’à la fin des années
soixante – et le néolibéralisme favorise la nouvelle régulation du capital. Dans les deux cas, il
s’agit de régulation du capitalisme. Il n’est donc pas surprenant que Reagan, qui incarnait le
néolibéralisme aux Etats-Unis, ait dérégulé l’économie américaine tout en se lançant dans une
politique de dépenses d’armement – du véritable deficit spending – qui a relancé l’économie.
3.1. La politique fiscale néolibérale
Moins d’Etat signifie moins de dépenses publiques et moins de recettes fiscales. Le
thatchérisme et le reaganisme veulent diminuer la pression fiscale parce qu’elle tue la
croissance. Ils s’inspirent directement d’une conception de J. B. Say (1803) qui affirmait :
«Lorsqu’il est poussé trop loin, l’impôt produit le déplorable effet de priver le contribuable de sa richesse sans
enrichir le gouvernement (...), il y a donc perte pour le contribuable d’une partie de ses jouissances, perte pour le
producteur d’une partie de ses profits et perte pour le fisc d’une partie de ses recettes».
La courbe de Laffer illustre ce phénomène. Le taux d’imposition – la part des impôts directs
dans le revenu – est symbolisé par «t». Il figure en abscisse. Les recettes fiscales figurent en
ordonnée (RF).
En 0, le taux d’imposition est égal à 0 et les recettes fiscales sont nulles. En B, 100%
d’imposition, le revenu disponible est nul et donc il n’y a plus de recettes fiscales.
Notice 18
J. B. Say (1767-1832)
Il est représentant de l’Ecole classique française d’économie politique. Il est engagé dans le mouvement d’idées
de son temps, Dès 1789, il se fait connaître comme un ardent défenseur du libéralisme politique : il revendique la
liberté de la presse, à laquelle il consacre son premier texte en 1789, des élections libres, la mise en place d’un
système républicain,… A 29 ans, il part en Angleterre pour travailler. Il y est confronté à l’essor de l’industrie, et
son intérêt intellectuel pour l’économie s’éveille. Comme Ricardo, il lit Smith. De retour en France, il cherche à
en diffuser les idées (Traité d’économie politique, 1803). Il s’engage en faveur du libéralisme économique à
outrance et prône la concurrence sans entraves réglementaires, le libre-échange absolu (Catéchisme d’Economie
Politique, 1815). Comme Ricardo, il n’est pas qu’un intellectuel : il est aussi le dirigeant d’une entreprise de plus
de 400 salariés. Cela ne l’empêchera pas d’obtenir la consécration académique, en devenant professeur
d’Economie à l’Ecole des arts et métiers puis au Collège de France (1830). Fidèle à l’Ecole classique, il
considère que tout ce qui est important en économie se passe du côté de l’offre (supply-side economics : sphère
productive). La monnaie est pour lui un simple voile («les produits achètent des produits»). Say est célèbre pour
sa loi des débouchés : à toute offre correspond une demande. Pour lui la création d’un bien neuf crée de la valeur
; cette dernière est aussitôt transformée en revenus pour ceux qui ont créé le bien (salaires, profits...). L’argent
qui circule sera dépensé : tout ce qui est produit sera acheté, car un pouvoir d’achat équivalent a été distribué.
Notice 19
A. Laffer (1941)
Professeur d’Economie à l’université de Chicago, puis à celle de Californie du sud à Los Angeles, il est l’un des
théoriciens de l’ultra-libéralisme. D’une part, il considère que seule «l’économie de l’offre» importe. Surtout, il a
fourni des bases théoriques à la révolte anti-fiscale qui a vu le jour en Californie alors que Ronald Reagan en
était gouverneur. C’est la célèbre «courbe de Laffer» qui énonce qu’un taux d’imposition nul ne rapporte aucune
recette fiscale et que, de même, un taux de 100%, tuerait toute incitation à produire. Il doit exister un taux
optimal d’imposition qui maximise les recettes fiscales. Pour Laffer, c’est une fiscalité trop lourde qui
expliquerait le ralentissement de la production dès le début des années soixante-dix. Il est favorable à un
abaissement des taux d’imposition et à une diminution de la progressivité de l’impôt pour stimuler l’offre et
relancer la production.
En A se situe la maximisation des recettes fiscales à un taux d’imposition optimal.
Graphe 117
La courbe de Laffer
Le graphe 117 montre qu’en augmentant «t» de B1 à B2, on augmente les recettes fiscales de
A1 à A2 (partie OA) ; au contraire, l’augmentation de t de B3 à B4 abaisse les recettes fiscales
de A3 à A4 (partie AB).
Si le raisonnement est intellectuellement séduisant, il n’en reste pas moins difficile de
déterminer le taux d’imposition optimal.
3.1.1. Diminution de la pression fiscale sur les ménages (Yd.h)
A partir de l’équation Yd.h = C + S, on peut déduire deux chaînons de raisonnement :
Donc en abaissant le taux d’imposition, les ménages s’enrichiraient et les recettes de l’Etat
augmenteraient.
Keynes n’aurait pas désavoué le premier chaînon (1). Il aurait pris des mesures
d’accompagnement pour allécher le consommateur. La pensée néolibérale privilégie le second
chaînon (2). Et elle préconise des mesures pour stimuler l’épargne. Les incitants fiscaux tels
que la détaxation des dividendes l’illustrent.
Dans les années quatre-vingt et jusqu’en 1996-1997, l’environnement économique et social a
court-circuité partiellement ces chaînons. Pour différentes raisons. La première est liée à des
déficits budgétaires importants qui engloutissent pas mal d’épargne nationale et étrangère.
Dès lors l’épargne ne se transforme pas en investissements. La seconde dérive est fonction de
la fuite due aux importations. Certes la consommation privée augmente mais, au lieu de
stimuler la production nationale de moyens de consommation, elle se rabat sur des biens
importés. Ceci vaut particulièrement pour des petites économies ouvertes où la propension à
importer des biens de consommation est élevée.
3.1.2. Diminution de l’impôt sur les bénéfices (Te)
BND désigne les bénéfices non distribués (bénéfices réservés).
Le raisonnement ne se vérifie que si l’entreprise investit. Elle peut, au contraire, augmenter
les bénéfices distribués ou faire des placements financiers.
3.2. Politique de l’offre («supply-side policies»)
La politique de l’offre vise à augmenter les profits en faisant pression sur les coûts. En outre,
elle stimule le capital à risque. Keynes privilégiait le crédit pour financer l’investissement. La
pensée néolibérale privilégie la bourse des capitaux qu’elle réhabilite d’abord et qu’elle
relance ensuite. Le raisonnement est le suivant :
U désigne l’unemployment (le chômage).
La formulation classique en a été donnée par l’ancien chancelier allemand H. Schmidt : «Les
bénéfices d’aujourd’hui sont les investissements de demain et la résorption du chômage
d’après-demain». La politique de l’offre a, nous l’avons vu, enrayé l’inflation. Elle n’a pas, du
moins dans l’Union européenne, diminué le chômage.
Comment diminuer les coûts ? En déréglementant le marché du travail. Dans le chapitre
XXVIII, consacré aux objectifs de la politique économique, on a accordé une importance
particulière aux problèmes de l’emploi, au chômage dit naturel, au NAIRU, à la réduction du
temps de travail hebdomadaire... Compte tenu du poids de la stratégie néolibérale en matière
d’emploi et des mesures proposées relatives au marché du travail qui constituent un de ses
axes prioritaires, il est utile de les examiner attentivement.
3.2.1. Les recommandations de l’OCDE en matière d’emploi
Une des meilleurs synthèses de la politique néolibérale en ces matières est exposée dans La
stratégie de l’OCDE pour l’emploi6 qui fait suite à de nombreuses recherches de l’OCDE :
une étude sur l’emploi (1994) et six études sur des pays particuliers (Italie, Royaume-Uni,
Danemark, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande et Espagne) publiées avant mars 1996. Cette
«stratégie pour l’emploi», qui a été définie il y a une dizaine d’années, demeure d’une grande
actualité. Comme toutes les études normatives des institutions internationales – celles-ci
comportent d’innombrables recommandations – évitent de heurter de front certains
gouvernements des pays de l’OCDE dont les colorations politiques sont différentes, les
formulations sont libellées dans un langage feutré. Il faut le décrypter pour faire ressortir le
message essentiel et démystifier les mots : «pacte européen de confiance pour l’emploi»
signifie principalement flexibilité accrue ; les «pactes sociaux» impliquent la plupart du temps
diminution de salaire et abaissement du salaire minimum, ce qui les transforme en pactes antisociaux ; «les plans sociaux du patronat» débouchent en général sur des charettes de
6
OCDE, La stratégie de l’OCDE pour l’emploi : accélérer la mise en oeuvre, Paris, 1996.
licenciements... Au demeurant, à côté des mesures néolibérales, le rapport de l’OCDE évoque
aussi des recommandations auxquelles on peut souscrire : favoriser une croissance soutenue,
augmenter la qualité de la formation des travailleurs, améliorer la diffusion du savoir-faire
technologique. On est donc en présence d’un double langage : un langage néolibéral qu’on
désire voir appliqué (et les pays qui s’y tiennent sont félicités dans l’étude sus-mentionnée) et
un langage de velours qui ne porte pas à conséquence.
Tableau 135
Les recommandations de type néolibéral de la stratégie pour l’emploi de l’OCDE
Le point 1 concerne la flexibilité du temps de travail. Cela signifie en clair : favoriser le temps
partiel subi et surtout permettre que les travailleurs tantôt travaillent, tantôt retravaillent,
souvent à des salaires inférieurs. Situer le cadre des négociations entre travailleurs et
employeurs dans l’entreprise, c’est évidemment court-circuiter, dans un pays comme la
Belgique, les négociations interprofessionnelles et les commissions paritaires où les syndicats
s’expriment avec plus de cohérence et plus de force.
Le point 2 concerne la flexibilité des coûts salariaux. «Supprimer les contraintes qui
empêchent les salaires de refléter les conditions locales et le niveau de qualification de
chacun» signifie en clair : laisser fonctionner librement les lois du marché du travail. La
demande du travail non qualifié diminue et, dès lors, «en supprimant les contraintes», on
abaisse les salaires des travailleurs non qualifiés et le salaire minimum.
Le point 3 concerne la sécurité de l’emploi. Cela signifie en clair : accroître l’insécurité
d’emploi, permettre d’embaucher librement «au prix du marché» et permettre de «licencier»
librement, c’est-à-dire en donnant au travailleur un préavis minimum. Les partisans du hire
and fire considèrent les travailleurs comme des savonnettes : on les utilise en cas de besoin,
on les jette quand on n’en a plus besoin.
Le point 4 vise à diminuer le montant des indemnisations de chômage et à durcir les
conditions d’accès au chômage. La politique néolibérale ne manque pas de cohérence interne :
si on diminue les bas salaires, il faut diminuer les allocations de chômage. Sinon quelle serait
encore l’incitation à travailler ?
Cette charte néolibérale vise à déréguler le marché du travail. Elle le dit sans ambiguïté en
parlant de la persistance du chômage en Europe qui serait dû «à la rigueur des textes
protégeant l’emploi, à la trop grande générosité des systèmes de prestations, au niveau trop
élevé du salaire minimum et aux mécanismes d’extension administrative des accords
salariaux»7. En dérégulant le marché du travail, les écarts des revenus s’accroissent. L’OCDE
s’en félicite. Elle estime, en outre, que «les écarts de revenu constituent d’importantes
incitations à poursuivre des études et à acquérir des qualifications»8. Serge Halimi, en
commentant ce texte, observe, non sans ironie : «L’inégalité remplit les universités, cette
théorie du capital humain est imparable»9.
3.3. Réduire l’impact de l’Etat en économie
3.3.1. Diminuer la sphère étatique
Le keynésianisme «fait donner l’Etat» et par conséquent la sphère étatique gonfle : G /Y et
Ig/Y augmentent.
La politique néolibérale, à l’opposé, vise à réduire l’impact de l’Etat. On a vu qu’en Belgique
les deux ratios (G/Y et Ig/Y) ont fortement crû jusque dans les années soixante-dix, puis ils
ont régressé. La politique néolibérale portait ses fruits.
3.3.2. Privatisations et mercantilisation
Les sphères principalement marchandes – lignes aériennes, télécommunications, institutions
d’épargne et de crédit – sont les premières visées. A l’intérieur des sphères non marchandes,
la politique néolibérale préconise une gestion identique à celle du privé en niant la spécificité
des services publics. C’est ce qu’on appelle la mercantilisation.
3.3.3. Réduction des interventions de l’Etat
Les subsides de l’Etat aux entreprises, le soutien aux exportations, la protection du marché
national, toutes ces politiques sont condamnées par le néolibéralisme parce qu’elles perturbent
les mécanismes du marché. La politique de concurrence menée par la Commission
européenne consacre cette philosophie.
3.4. Le monétarisme
Le monétarisme est surtout prôné pour lutter contre l’inflation. On part de l’identité de Fischer
: (MV = IT). V et T sont supposés stables. Par conséquent, le contrôle de la masse monétaire
permet de freiner les poussées inflationnistes.
La Banque centrale européenne en fixant un niveau maximum de croissance à un agrégat
monétaire (+ 4,5% de croissance annuelle de M3 en 1999) s’inscrit dans le cadre d’une
politique monétariste. Elle semble ne pas tirer les enseignements de l’évolution de l’économie
américaine de 1992 à 1999 qui atteste qu’on peut concilier une croissance relativement forte
avec un taux d’inflation bas.
7
Ibid., p. 19.
Ibid., p. 20.
9
Halimi, S., «Economistes en guerre contre les salaires», Le Monde diplomatique, juillet 1996, p. 8
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