[MARKETING GRAND-MERE FAIT UN TABAC Carte Noire, à l'origine, un petit épicier du Nord. Une réussite phénoménale qui doit tout au produit et rien au marketing ni à la publicité qui maintenant ont pris le relais après le rachat de Grand-Mère par Jacques Vabre en 1982 1 était une fois, dans le nord de la France, au pays des corons et des filatures, une grand-mère qui n'était pas une mamie mais un tout petit industriel du nom de René Monier. M. Monier avait commencé par tenir une petite épicerie fine à Roubaix où il torréfiait lui-même du café dont il avait l'amour. Oh! pas grand-chose : 50 tonnes la première année, en 1950. Quinze ans plus tard, son affaire avait pris de l'ampleur et le plus gros des 1 500 tonnes fabriquées était livré à d'autres petites épiceries. Il donna alors à son café an nom qui devint une marque: Grand-Mère. Une marque complètement locale qui, peu à peu, se fit connaître de bouche à oreille, sans un poil de publicité. En 1975, Grand-Mère, avec ses 10 000 tonnes, n'arrivait pas à la cheville du géant Jacques Vabre et de sa prodigieuse créature publicitaire, le Gringo (une invention de l'agence DDB) qui régnait sur un- marché total de 170 000 tonnes. A l'époque, le café se vendait principalement en grains et non pas moulu, ce qui n'est plus du tout le cas aujourd'hui où le moulu représente 70 % des ventes contre 30 % en 1970. Cette année 1975, René Monier et son épouse décidèrent de lancer un café très haut de gamme. Qu'ils baptisèrent Carte Noire. Et là, eux qui ignoraient à peu près tout du marketing et de la publicité, ils eurent deux intuitions géniales. Plutôt que de faire comme les autres un emballage sous vide très dur, ils inventèrent un emballage mou qui pouvait agréablement se peloter et sentait bon sans que le café en perde son arôme. Sachez qu'en général un café qui vient d'être torréfié doit d'abord dégager ses gaz pendant quarante-huit heures. Autant en emporte l'arôme ! Tandis qu'eux mirent tout de suite en paquet le café torréfié, une ingénieuse Valve permettant au gaz de s'échapper sans que rentre l'oxygène édulcorant. Et puis, seconde grande idée, iconoclaste, ils apposèrent une carte noire sur une carte blanche, créant un code du noir qui tranchait singulièrement avec les rouges, verts, jaunes et surtout marron des marques concurrentes. La réussite appelle toujours la réussite. Il arrive presque toujours un moment où le petit, pour se développer, fait appel à plus gros que lui et se vend à son grand frère rival. C'est ce qui arriva en 1982 : Grand-Mère se vendit au groupe Jacobs-Suchard, propriétaire de Jacques Vabre. Alors que, avec ses 18 000 tonnes de ventes, le I 58 /L'ORS ÉCONONŒ CARTE NOIRE CARTONNE JOLIMENT gnome chtimi occupait déjà, mine de rien, 10 % du marché. En 1986, Café Grand-Mère a doublé ses ventes (36 000 tonnes) et sa part d'un marché stagnant (20 % de 180 000 tonnes) dont il se partage le leadership avec Jacques Vabre, devant la Maison du Café (Douwe Egberts) et Sentor : 1,2 milliard de francs de chiffre d'affaires pour Grand-Mère et 800 millions pour Carte Noire. Une ascension foudroyante qui s'explique aisément : Jacobs-Suchard a mis le paquet, c'est le cas de le dire. Les 6 millions de francs d'investissements publicitaires de Grand-Mère en 1980 ont presque quadruplé en 1986 (23 millions). En ce qui concerne Carte Noire, 3 millions de francs sont jetés en 1983 dans la balance publicitaire. Ce qui est peu mais mieux que le rien d'avant, et c'est le prélude à des investissements massifs : 25 millions de francs de pub en 1986, près de 3 % du chiffre d'affaires Du coup, Carte Noire cartonne joliment : 12 000 tonnes vendues en 1986 qui, ajoutées aux 4 000 tonnes de Grand-Mère dégustation représentent 40 % du marché haut de gamme. Trois ans après le rachat par Jacobs-Suchard, Grand-Mère et Carte Noire sont présents dans toute la distribution et soutenus par une stratégie marketing qui repose sur des analyses solides. Que m'expose Pierre Jacquesson, 40 ans, sup de Co, directeur général de Café Grand-Mère. «Jusqu'alors, affirme-t-il, la communication café était très produit, provenance, technique, promesse du résutat dans la tasse. Ce qui allait très bien dans les années 70. Mais les Français changent. La tendance est au haut de gamme, le pur arabica qui progresse de 15 % par an et occupe maintenant un tiers du marché. »Le café à image conviviale, même si principalement, à 60 %, il est consommé au petit déjeuner. Sa présentation exige un cérémonial, raison pour laquelle le café instantané ne progresse pas. Grand-Mère ne dit donc rien sur son produit mais entre d'emblée dans le subjectif en imposant un personnage charismatique traditionnel, la mamie. Pas la grand-mère ringarde, mais une drôle de vieille dame indigne qu'un jeunot n'hésiterait pas à sortir dans un café. «La tradition rassurante, sans ce qu'elle a de pontifiant et d'ennuyeux. Un personnage sympa convenant très bien à tous les recentrés pas nécessairement passéistes mais qui recherchent le meilleur rapport qualité-prix » Carte Noire attaque un tout autre territoire que marque l'agence RSCG. « Un café nommé Désir. « Communication qui en a fait tiquer plus d'un chez Jacobs-Suchard. Pensez donc : un couple saisi dans son intimité, sur un plongeoir. Elle en voile noir enveloppant la piscine et le bonhomme nu, l'effusion se termine dans la tasse sur une adaptation d'une chanson d'Harry Belafonte. Osé, encore qu'en 1986 c'est plutôt fleurette. La campagne entend jouer sur le raffinement, plus que la sensualité, le bon goût, la beauté, la culture, la mode. Pour gens libérés. « On a traité le café comme un parfum, s'autocongratule-t-on chez RSCG, ce n'est pas banal. « La réalisation, à mon avis, laisse encore à désirer, mais l'idée est là. Il faut les voir, à leur fabrique de stars d'Issy-les-Moulineaux, palper des paquets de Carte Noire comme d'autres les seins de femme. • PHILIPPE GAVI ET SI LA SOURIS SE JOUAIT DU CHAT? Pascale Weil dans « Et moi, émoi » répond par une « communication de l'offre» aux « je » éclatés des Français E t si les cibles refusaient de se laisser cibler ? Et si sans provocation, sans ostentation, elles échappaient aux pièges que lui tendent le marketing et la communication ? Et si la souris se jouait du chat ? » Pécadille que l'angoisse du gardien de but au moment du pénalty quand, à la lecture du livre de Pascale Weil (( Et moi, émoi' (Editions d'organisation), on découvre l'angoisse du publicitaire au moment d'attaquer un marché. Directeur de recherche chez Publicis, Pascale Weil a pu constater que, après quarante ans de .,