Première partie
Bases
Dans cette partie, nous rappelons les connaissances acquises dans les classes secondaires
en insistant en particulier sur la trigonométrie, les techniques d’étude de fonctions, les
fonctions dites élémentaires (exp,ln,sin,cos,tan,ch,sh), les propriétés des nombres
complexes, les techniques de manipulation des sommes et produits finis et enfin la géométrie
dans le plan.
Comme nous l’avons déjà indiqué dans l’avant-propos, le but de cette partie de révision
est double. D’une part, il est indispensable de mettre au point les bases sur lesquelles se fonde
l’intuition développée durant les première années de l’apprentissage mathématique, et d’autre
part il est primordial de souligner de manière claire les imperfections de cette construction
mathématique préliminaire. Nous allons dans cette introduction mettre l’accent sur quelques-
unes de ces insuffisances, et montrer dans quelle mesure nous pourrons les corriger dans cet
ouvrage, et dans la suite du cycle L.
Les nombres. La notion de nombre repose tout d’abord sur l’idée intuitive d’entier naturel.
À toute collection d’objets concrets, de livres ou d’assiettes par exemple, nous apprenons
depuis l’enfance à associer un symbole, le nombre d’objets contenus dans cette collection. Ce
nombre permet de comparer la taille de deux collections distinctes, sans tenir compte de la
nature des objets qui les constituent. Nous apprenons très vite à faire des opérations sur ces
nombres : addition, soustraction, multiplication et division. Cette notion de nombre entier sera
aussi à la base de toute notre construction dans ce cours, et nous devons souligner que nous ne
pourrons pas aller beaucoup plus loin dans sa mise en forme, ceci dépasserait en effet le cadre de
cet ouvrage. Nous admettrons qu’il existe un ensemble d’entiers naturels N={0,1,2,3,4,...}
muni d’une addition notée +, d’une multiplication notée ×, et d’une relation d’ordre notée ,
vérifiant un certain nombre de propriétés que nous préciserons. Nous ne chercherons pas à
définir ce qu’est un ensemble, ni à aller plus avant dans les problèmes de logique qu’une telle
notion pose d’emblée. La donnée de cet ensemble Net de ses propriétés, ainsi que l’approche
naïve de la théorie des ensembles que nous adopterons, permettent cependant de donner un
sens satisfaisant à toutes les notions que nous rencontrerons par la suite.
En particulier, il devient alors possible de construire l’ensemble Zdes entiers relatifs et
l’ensemble Qdes nombres rationnels, ainsi que les opérations +,×et la relation dont ils sont
munis, par des procédés algébriques bien établis. Un entier relatif est simplement un ensemble
de couples d’entiers naturels, tels que la différence du premier et du deuxième éléments d’un
couple soit constante pour tout couple dans cet ensemble. Il est ensuite possible de définir les
opérations sur les entiers et la relation d’ordre de manière très simple à partir de celles de N.
L’ensemble Qdes rationnels peut alors être construit à partir de Zpar un procédé analogue.
Le passage de l’ensemble des rationnels Qàcelui des nombres réels Rest en revanche
d’une tout autre nature et n’est qu’effleuré dans les programmes du secondaire, bien que la
manipulation des nombres réels soit permanente. Nous consacrerons les chapitres 21, 22 et 23
de cet ouvrage à familiariser le lecteur avec la construction de la droite réelle, et à explorer
ses conséquences les plus importantes. En particulier, la représentation familière des nombres
au moyen d’un développement décimal illimité sera complètement élucidée.
La droite, le plan, l’espace. Ces notions sont intimement liées à notre expérience quo-
tidienne, et c’est aussi sur cette expérience que repose leur introduction dans les classes se-
condaires. La construction de la droite réelle nous permet d’aller beaucoup plus loin dans
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Partie I. Bases
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la formalisation de ces idées, en permettant de donner des modèles pour ces objets, dont les
premiers sont les espaces vectoriels réels de dimension 1,2ou 3. Bien entendu, la portée de
l’algèbre linéaire ne se limite pas à une telle formalisation : il est par exemple possible de
définir des espaces de toutes dimensions, et d’étudier certaines de leurs transformations. Il est
toujours possible de fixer une base dans un espace vectoriel, finie si la dimension de l’espace
est finie, et de repérer les éléments de cet espace vectoriel par leurs coordonnées dans cette
base. À quelques nuances près 1on peut ainsi considérer que le cadre général de ce que nous
appelons habituellement « géométrie » sera fermement établi, à l’exception cependant de la
définition des distances et longueurs, sur lesquelles nous allons revenir.
Distance entre deux points, longueurs de segments. Lorsqu’on se donne un rere
orthonormé dans le plan, et que l’on représente les points par leurs coordonnées dans ce repère,
il est possible de finir la distance entre le point Ade coordonnées (x, y)et le point Bde
coordonnées (x,y)au moyen de l’expression
d(A, B)=(xx)2+(yy)2.(D)
Mais la notion de repère orthonormé n’est pas clairement finie, on fait en général de nouveau
appel à l’intuition en figurant un tel repère au tableau par un couple de vecteurs issus d’un
point et faisant entre eux un « angle droit ». La distance calculée au moyen de l’expression (D)
correspond alors à la distance usuelle, mesurée au moyen de règles, ce qui traduit simplement
le théorème de Pythagore.
La formalisation complète de ces notions sera donnée dans le cours de L2 , elle fait partie
de ce que l’on appelle la ométrie euclidienne. Nous nous limiterons ici, lorsque nous aurons
à parler de distance entre deux points du plan ou de l’espace, aux modèles donnés par les
espaces vectoriels R2et R3(que nous appellerons canoniques), dans lesquels les éléments sont
des couples et des triplets, et nous définirons la distance entre ces éléments au moyen de
l’expression (D)ou de sa version tridimensionnelle.
La longueur des courbes du plan. Le plan sera donc maintenant représenté par le
modèle de l’espace vectoriel canonique R2, et la distance entre deux éléments du plan sera
définie par (D). On se pose alors le problème de mesurer la longueur des courbes du plan. Il
est donc d’abord nécessaire de définir ce que nous entendons par « courbe ». Il s’agit d’une
notion assez difficile à mettre au point complètement, cela ne pourra être fait convenablement
qu’au chapitre 30. Pour l’instant, limitons-nous à l’idée intuitive que l’on peut se faire d’un
tel objet, fondée sur des exemples. Une droite du plan est certainement une courbe, la plus
simple d’entre elles, de même que le cercle, ou que l’ellipse, ou qu’un arc de cercle, ou que des
arcs de cercles joints bout à bout.
Comment définir convenablement la longueur d’un tel objet ? Pour un segment de droite,
c’est simplement la distance entre les points extrêmes. Dans les autres cas, il est clairement
nécessaire d’introduire une définition nouvelle, qui sera fondée sur la définition préalable de la
notion de courbe et que nous ne donnerons donc pas encore (voir les chapitres 27 et 30). Nous
nous limiterons ici à tenter de faire sentir qu’il serait risqué de se satisfaire de l’idée intuitive
de cette notion sans la formaliser précisément.
Nous allons considérer dans le plan un segment Sde longueur 2, et noterons Oson milieu.
Puisqu’on connaît la notion de distance entre deux points, il est possible de considérer un
demi-cercle Cde centre Oet de rayon 1, dont les points extrêmes Aet Bsont les deux
1. Le modèle le plus adéquat pour la notion d’espace est en fait celui d’espace affine, que nous verrons
dans le cours de L2 .
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Introduction
extrêmités du segment S. On sait depuis les classes primaires que la « longueur » de Cest
égale à π, mais on ne connaît pas le sens exact du mot longueur. Nous n’en aurons pas besoin
ici. Nous supposerons seulement que si est la longueur du demi-cercle C, alors un demi-cercle
dont le diamètre est de longueur a(ce qui est bien défini) a pour longueur a×/2.
Considérons maintenant la figure suivante, dans laquelle nous avons tracé une famille de
courbes (Cn). La courbe C0est par définition le demi-cercle C. La courbe C1s’obtient en
mettant bout à bout deux demi-cercles de rayon 1/2, centrés aux points milieux de AO et
OB. De même la courbe C2s’obient en mettant bout à bout quatre demi-cercles, et ainsi de
suite.
11
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21
Figure 1. La suite des courbes Cn
On obtient ainsi une suite de courbes, qui s’aplatissent sur le segment S, comme le montre
l’exemple de la courbe C5.
Figure 2. La courbe C5
Quelle est la longueur de la courbe Cn? On voit que pour obtenir C1, on a juxtaposé deux
demi-cercles de longueur /2, donc la longueur de C1doit être . De même, pour construire
C2, on a juxtaposé 4 demi-cercles de longueur /4, on en déduit que la longueur de C2est .
On se convainc ainsi que la longueur de Cnest toujours égale à .
Mais une autre intuition nous dit que comme Cns’aplatit sur Sà mesure que ngrandit,
sa longueur doit être de plus en plus proche de celle de S. On en déduit donc que =2.Or
est la longueur de C, dont nous avons depuis longtemps admis qu’elle était égale à π.Etnous
avons aussi appris que π=3, 14159 . . . Il y a donc là certainement un problème.
Le nombre π.Le problème que nous venons de signaler porte à la fois sur la mesure des
longueurs des courbes et la définition du nombre π. On pourrait aussi penser que notre in-
tuition portant à croire que la longueur de Cndoit se rapprocher de celle de Sest erronée,
et que l’on n’a pas le droit de passer à la limite quand on considère des longueurs. Mais
c’est précisément ainsi qu’Archimède a donné des évaluations assez précises du rapport de
la « longueur » du cercle à celle du diamètre (rapport noté ...). Il a construit des suites
de polygones inscrits et circonscrits dans le cercle, dont il pouvait définir et calculer les lon-
gueurs puisqu’il s’agit de réunions de segments de droites, et montré que les deux suites de
longueurs ainsi obtenues semblaient se rapprocher indéfiniment. Leur « limite » commune ne
pouvait qu’être .
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Partie I. Bases
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Nous n’irons pas plus loin dans ces questions ici, nous ne les avons signalées que pour mettre
en évidence plusieurs nécessités. Les longueurs sont des nombres, il faut donc en préalable
définir correctement ce qu’est un nombre. Les longueurs semblent faire intervenir ce que nous
avons appelé un passage à la limite, ce procédé doit donc être convenablement étudié. La
longueur d’une courbe n’est pas clairement définie, et il n’est même pas évident que tout ce
que nous pensons être une courbe puisse posséder une longueur ... il y a donc beaucoup de
travail avant d’espérer donner un sens précis à toutes les notions évoquées plus haut.
Une grosse partie de ce travail de fondement sera donnée dans la partie analyse de cet
ouvrage, on se reportera en particulier au chapitre 28 pour les questions concernant la longueur
des arcs de cercles. Seule l’explication du paradoxe des courbes Cn, tendant à prouver que
=π, sera remise au tome L2, elle nécessite l’étude des modes de convergence de suites de
fonctions.
Les mesures d’angles et les lignes trigonométriques. Ce qui précède montre assez le
danger de travailler sur des notions incomplètement formalisées. Nous espérons en évoquant la
difficulté inhérente à la mesure des courbes avoir fait sentir au lecteur que les notions d’angle,
telles qu’on les définit sur le cercle trigonométrique, ainsi que celles de lignes trigonométriques,
sont en fait en attente de définitions plus complètes que celles que l’on donne à titre provisoire
dans l’enseignement secondaire. On trouvera dans cet ouvrage les réponses à ces questions,
en particulier au chapitre 28.
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Chapitre 1
UNPEUDEG
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EOM ´
ETRIE PLANE
Les origines de la géométrie remontent aux royaumes de Babylone et d’Égypte. Née de
considérations pratiques (architecture, arts décoratifs, astronomie, etc.), la géométrie
se développe progressivement de manière autonome ; les archéologues ont trouvé la
trace de nombreux problèmes géométriques tels que les calculs d’aires sur des tablettes ba-
byloniennes. Selon l’historien grec Herodote 1, « la géométrie est un don du Nil » : les crues
répétées du fleuve obligèrent les arpenteurs à retracer régulièrement les limites des domaines
agricoles avoisinants, ce qui les obligea à systématiser les calculs de longueurs et d’aires. Le
Papyrus Rhind atteste le savoir-faire egyptien en matière d’aire.
C’est sous l’impulsion de Thalès de Milet 2que la géométrie devient ductive : l’idée de
démonstration s’impose et repousse les limites mathématiques au-delà de la simple descrip-
tion. Selon Proclus, Thalès rapporta la géométrie de ses nombreux voyages en Égypte.
Thalès
De nombreux savants prennent alors le relais. Pythagore de
Samos fonde une école à Crotone, La Fraternité pythagoricienne.
Puis, vers 490 avant avant J.-C., se développe l’École d’Athènes
dont la figure de proue est Eudoxe et qui comptera parmi ses
membres Anaxagoras, Hyppocrate et Hippias. Après le déclin de
la cité athénienne à l’époque hellenistique, Alexandrie devient la
nouvelle capitale intellectuelle de l’empire. L’École d’Alexandrie,
fondée vers 330 avant J.-C., marque un véritable âge d’or de la
pensée mathématique. Euclide publie les treize volumes 3de ses
Éléments qui seront considérés pendant plus de deux mille ans
comme un ouvrage pédagogique de référence en matière de géo-
métrie 4. Le savant y expose les célèbres postulats sur lesquels il
fonde la géométrie et démontre à partir de ceux-ci les théorèmes
fondamentaux. Citons également les contributions d’Archimède
de Syracuse et d’Apollonius de Perge, autres membres de l’École
d’Alexandrie. Suit alors un lent déclin de l’activité mathématique
dans le bassin méditerrranéen : l’Empire romain compte de moins
en moins de savants de premier plan, citons tout de même Pappus
au ivesiècle après J.-C. L’héritage grec fut transmis après traduction aux savants arabes. Ces
derniers développèrent de nouvelles méthodes de calculs d’aires et de volumes et contribuèrent,
comme nous l’avons déjà souligné, au développement de la trigonométrie.
1. 484–425 av. J.-C.
2. 625–547 av. J.-C. On peut voir une reconstruction de la porte du marché de Milet au Pergamonmuseum
de Berlin.
3. Nous dirions de nos jours chapitres.
4. Newton lui-même écrira son célèbre ouvrage Philosophiae Naturalis Principia Mathematica dans le style
des Éléments d’Euclide.
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