Remerciements Un premier remerciement aux différents intervenants du DESS Ingénierie Financière qui, par leur approche à la fois théorique et pratique m’ont permis d’avoir un regard à la fois technique et global de la finance de marché. Un remerciement tout particulier à Elisabeth Genaivre, intervenant sur la gouvernance d’entreprise, qui a suggéré cette étude et m’a donné de précieux conseils pour l’établissement du plan. Enfin, je souhaite remercier toutes les personnes du Contrôle interne de la Direction Centrale Finances des Mutuelles du Mans Assurances qui ont, indirectement ou directement, contribué à rendre mon parcours formateur, instructif et bénéfique. 1 Introduction Au premier abord, le titre de cette étude peut induire certains lecteurs à penser que le groupe Vivendi s’est conformé aux principes d’éthique et de gouvernance et que c’est ainsi l’objet de ce mémoire. Or, cette étude a vocation à expliquer comment la mise en place de ces principes a été motivée par les faits et les actes du gouvernement du groupe Vivendi. Le premier objectif de ce mémoire est de présenter certaines des causes majeures qui ont amené les acteurs du capitalisme boursier à tendre vers une institutionnalisation des principes d’éthique et de gouvernance. L’affaire Vivendi, est un échantillon pris parmi une série de scandales retentissants (USA : Worldcom1, Tyco2, Global Crossing3, Qwest4, Adelphia Communications5, Xerox6 ; France : France Télécom, Italie : Parmalat), qui soulève les limites et les effets pervers du modèle de gouvernement d’entreprise7 anglo-saxon. Cette première partie va nous permettre de recadrer ce qu’est le but premier d’une entreprise tout au long de son existence à savoir la création de valeur, et à travers l’analyse du Groupe Vivendi, de démontrer qu’une entreprise par l’audace d’un dirigeant, peut être mise à la dérive par ses propres décideurs (PARTIE I). Enfin, il reste à présenter le second objectif, qui est le corollaire du premier objectif, en l’occurrence les réactions des acteurs du capitalisme financier et des pouvoirs publics consécutives aux dérives des entreprises (PARTIE II). Nous essaierons dans cette même partie d’apporter une réponse à la question de l’amélioration de l’efficience du gouvernement de Vivendi, en élaborant un état des lieux succinct sur la situation du groupe à l’heure actuelle. 1 Worldcom : fournisseur mondial de services Internet et télécoms. Tyco : conglomérat américain. 3 Global Crossing : groupe américain de télécommunications par fibre optique. 4 Qwest Communications International : opérateur de télécoms US et partenaire commercial de Global Crossing. 5 Adelphia Communications : câblo-opérateur US. 6 Xerox : groupe US spécialisé dans la distribution d’équipements de gestion et le traitement du document. 7 Cf. Glossaire. 2 2 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi A- Les origines de la destruction de valeur chez VIDENDI 1- Le concept de création / destruction de valeur et ses indicateurs Les entreprises pointent souvent du doigt la concurrence comme cause principale de leur destruction de valeur. Or les erreurs de stratégie et de gestion, la croissance mal maîtrisée et la défaillance d’actionnaires sont généralement les véritables raisons des difficultés. Le management, l’actionnariat, le personnel, les partenaires sont quelque part, en partie responsables de la destruction de valeur pour ne pas avoir tiré le signal d’alarme par manque d’implication dans la lisibilité des projets de l’entreprise. L’absence de réaction des gestionnaires à des indicateurs de difficulté, le dysfonctionnement des mécanismes de contrôle des dirigeants par les actionnaires, le turn-over et les conflits sociaux, l’accroissement des exigences des partenaires sont autant de problèmes de gouvernement qui rendent une situation difficile inextricable. A un niveau général, le concept de gouvernement recouvre toutes les interventions des agents dont l’utilité est influencée par le projet économique du dirigeant, qu’ils soient actionnaires (shareholders) ou simples agents économiques affectés par les décisions (stakeholders). L’essence du gouvernement est alors « localisée dans la nature des pouvoirs et dans la solution d’équilibrage qui détermine le contrôle économique ». Les difficultés auxquelles se heurte une entreprise, peuvent être liées à des phénomènes conjoncturels, structurels, accidentels ou de gestion. La conjonction de phénomènes négatifs aboutit à des situations de crise provoquant le mécontentement des actionnaires, le laminage de la confiance dans l’équipe de gestionnaires, des conflits sociaux internes (Vivendi Environnement et Canal+), la concrétisation d’un risque dont les effets affectent l’ensemble des membres de la coalition partenariale (résultat non conforme aux attentes dont les conséquences sont ressenties). La situation difficile se caractérise par un accroissement du risque de défaillance lié à l’insolvabilité, la crise de trésorerie, à l’absence de résultat. Ces conséquences financières ont des effets sur l’équilibre des pouvoirs et provoquent une instabilité dans le système de gouvernement installé. Il peut y avoir une rupture dans les principes fondateurs de l’entreprise (maîtrise des choix relatifs au projet stratégique), de permanence (instauration d’un système de gouvernement durable) et de pérennité (continuité dans l’existence). a- Les effets induits de la stratégie menée par les dirigeants Au niveau de l’évaluation financière, dés que les investisseurs prennent connaissance d’une difficulté, la probabilité de défaillance devenant non nulle, il y a révision à la baisse de la valeur de la firme. Les effets immédiats d’une crise peuvent s’analyser à partir d’un état des lieux des flux dégagés du portefeuille d’investissement (Fi) et des conséquences sur les flux revenant 3 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi aux agents apporteurs de ressources, créanciers financiers (Fd) et actionnaires (Fa). Les réserves et la trésorerie accumulées peuvent retarder, l’éclatement de la crise. A partir de l’analyse du dysfonctionnement du circuit financier, trois cas sont à envisager, de très critique à favorable. Ainsi si : o o o Fi<0, il y a destruction de valeur économique et rupture gouvernementale, tant de la part des actionnaires que des partenaires ; Fi>0 et Fi<Fd, la création de valeur économique est insuffisante. La contestation des créanciers financiers peut conduire à un risque de faillite accru. Il y a destruction de valeur pour l’actionnaire qui peut réagir. Dés que Fi<Fd, il y a apparition des coûts de faillite puisque le flux économique ne satisfait pas la contrainte de rémunération voire de remboursement de l’endettement ; Fi>0 et Fi>Fd, il y a création de valeur économique et création de valeur pour l’actionnaire. Cependant, les actionnaires peuvent se trouver insatisfaits, si la rémunération du capital n’est pas à la mesure du risque qu’ils supportent. Fa est alors insuffisant pour les actionnaires. Par contre si Fa, est satisfaisant, il y a constatation d’un cash flow disponible8 ou Free Cash Flow (FCF). Ces fonds sont à la discrétion des managers puisqu’ils sont résiduels en excès des flux nécessaires à la réalisation de tous les investissements rentables (valeur actuelle nette>0). Si le FCF est positif, il y a création de valeur actionnariale. C’est alors l’utilisation du FCF qui peut être source de conflits s’il ne revient pas aux actionnaires sous forme de dividende. Les dirigeants peuvent préférer consacrer le flux disponible à l’augmentation de leur propre utilité en les investissant dans des projets de diversification des activités et d’augmentation de la taille de l’entreprise. Ces projets non rentables par définition, tous les projets rentables ayant été entrepris, sont réalisés au détriment des actionnaires. L’existence de FCF occasionne donc des coûts d’agence qui sont supportés par les propriétaires. Si les dirigeants optent pour l’allocation des FCF dans des projets de diversification des activités et d’augmentation de la taille de l’entreprise, il faut analyser la politique stratégique menée : diversification, recentrage et spécialisation ; et ses conséquences sur les relations d’agence. Le recentrage est évoqué dès qu’un groupe affiche une priorité de développement sur un marché. Au-delà des modes de langage, le recentrage recouvre une tendance stratégique de longue période. Le recentrage traduit ainsi la tendance des grands groupes à se construire sur des marchés dominables. Il est le produit d’un faisceau de contraintes : sélection des investissements dans un univers concurrentiel mondialisé, rentabilisation du capital employé, captation de la rente pour des investisseurs exigeants, respect des prérogatives des gérants de portefeuille dans la tâche de diversification des risques. Le recentrage est une tendance de longue période. Il ne se confond pas avec la stratégie générique de spécialisation, il est même compatible avec certaines formes de diversification cohérente. Tout se passe comme si chaque groupe tente de converger vers son niveau « optimal » de diversification. Le recentrage désigne donc la tendance des groupes à choisir des stratégies de portefeuille qui renforcent la cohérence de leurs activités. Les opérations de recentrage succèdent à des événements importants dans le mode de gouvernance dans 62% des cas : un changement de CEO9 (22%), l’arrivée d’un nouveau bloc d’actionnaires (27%), une crise financière (19%), l’échec d’une OPA10 (13%), l’activisme des investisseurs (12%), un nouveau plan de rémunération et d’incitation (11%), etc. 8 Cf. Glossaire. Cf. Glossaire. 10 Offre publique d’achat. 9 4 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Le recentrage peut donc être un moyen de sortie de crise si la stratégie est finement menée. Par ailleurs, la théorie identifie plusieurs avantages et inconvénients des stratégies de diversification. Parmi les attraits : l’exploitation d’opportunités de profits, la conversion vers des marchés plus porteurs que le métier d’origine, la réalisation d’économie d’envergure, la mise en œuvre de synergies, la réduction du risque. Parmi les inconvénients : la dispersion des ressources et de la direction, la perte de compétence, l’investissement dans des activités à faible rentabilité, la complication de la gouvernance. La théorie de l’agence. Les dirigeants peuvent avoir plusieurs intérêts à adopter une stratégie de diversification poussée. La diversification est d’abord pour eux un moyen d’augmenter la taille du groupe et leur rémunération est fortement liée à leur sphère d’influence. De plus, la diversification réduit le risque spécifique aux dirigeants (révocation, réputation, etc.) car elle leur permet de lisser les résultats et d’amortir les mauvais chocs. Elle accroît aussi l’enracinement des dirigeants qui tentent de se rendre indispensables. Les dirigeants sont en général moins disposés à la prise de risque que les actionnaires et ils voient dans la diversification un levier de réduction de leur risque propre. Les actionnaires recherchent un degré de diversification limité, à seule fin d’exploiter les avantages de la diversification sans pâtir de ses inconvénients ; ce seuil se situe entre la « spécialisation » et la « diversification reliée ». Les dirigeants recherchent un degré de diversification supérieur à celui des actionnaires, jusqu’au point où une dégradation des performances placerait les dirigeants sous la menace d’un limogeage ou d’une prise de contrôle hostile. Ainsi, la théorie de l’agence laisse supposer que la diversification est liée à un excès de pouvoir des dirigeants et que la réduction des diversifications excessives est provoquée par la force de rappel des marchés et un changement dans la gouvernance de l’entreprise (Dennis et al., 1997). Dans la théorie de l’agence, le recentrage s’entend comme : 1) le moyen de mettre fin aux conglomérats sous-performants érigés par des dirigeants sans contrôle pour se protéger ; 2) un retour à la primauté des objectifs de performance financière exprimant les intérêts des actionnaires. L’hypothèse d’Hubris11 ou Ubris. Les dirigeants ont également tendance à témoigner d’un excès de confiance en leurs capacités. Cette hypothèse a été défendue par Roll (1986) à propos du prix souvent excessif des sociétés achetées : Roll souligne la présomption des acquéreurs convaincus que leur évaluation généreuse de la cible corrige la sous-évaluation des marchés. L’hypothèse est généralisable. Quand les dirigeants ont rencontré le succès dans leur métier d’origine, ils pensent pouvoir étendre leurs compétences à de nouveaux métiers. Il a pu paraître à des dirigeants éprouvés que l’organisation divisionnaire et décentralisée permettait d’étendre leur efficacité sans rivage, sous réserve qu’ils sachent transmettre leur savoir-faire et conserver un contrôle central. L’histoire des pratiques et des disciplines de gestion donne la mesure de l’impact de la diffusion des « outils de gestion ». La théorie financière. Le recentrage s’analyse comme une adaptation de la stratégie aux règles financières de la gestion des risques. D’après la théorie financière, la diversification des risques ressort du rôle des gérants de portefeuille et non des gérants d’entreprise. On sait qu’il existe deux moyens de réduire le risque de l’actionnaire. Le 11 Cf. Glossaire. 5 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi premier est de supprimer certaines causes possibles d’occurrence et d’organiser les procédures de couverture. Le second consiste à diversifier les risques. Aux dirigeants d’entreprise, il échoit la tâche de maximiser le ratio rentabilité/risque en contrôlant leurs marchés. En revanche, la diversification des risques ne peut pas être mieux assurée que par les actionnaires eux-mêmes (ou les gérants de portefeuille). A titre d’exemple, Gillan, Kensinger et Martin (2000) montrent dans une étude clinique approfondie de Sears, Roebuck & Co, que la diversification du groupe dans les services financiers a dégagé une mauvaise performance de long terme, inférieure à celle d’un portefeuille représentant la même gamme de métiers mais constitué de sociétés indépendantes. La justification des stratégies conglomérales par la diversification des risques est donc contraire à la théorie financière. Il est logique que la montée en puissance des marchés financiers externes, de la culture financière et des investisseurs institutionnels retentisse sur le comportement stratégique des groupes. Les conséquences d’une relation d’agence mal gérée. Les dirigeants ont été enclins à recycler la trésorerie disponible dans des investissements de taille et de puissance, surtout quand l’entreprise se situait dans une industrie à maturité pourvoyant plus de ressources qu’elle n’en consomme. Telle est la substance de la théorie de l’agence appliquée aux diversifications, et plus précisément de la théorie des free cash-flows12 (Jensen, 1986). En définitive, les effets structurels d’une crise, passent par l’analyse des contraintes financières qui s’exercent, et ont des conséquences durables sur le projet par les limitations des investissements qu’elles provoquent. - Les contraintes du financement externe et l’insuffisance du financement interne qui s’imposent vont créer un gap entre l’investissement possible et l’investissement souhaitable. Seuls les investissements conformes aux possibilités de financement seront réalisés. - Si l’entreprise ne peut satisfaire les exigences de la sphère financière (marchés), elle sera contrainte par ses ressources internes qui dépendent elles-mêmes de sa capacité à créer de la valeur. - Plus les contraintes de financement sont importantes, plus l’impact sera négatif sur la compétitivité et la situation difficile préoccupante. Si les contraintes de financement sont en partie satisfaites, le niveau d’investissements va s’accroître mais leur efficacité va dépendre des conditions d’accès aux ressources. La prime de risque va peser sur le coût du financement et influencer à la baisse la rentabilité future de la firme. 12 Cf. Glossaire. 6 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Les exigences des investisseurs Exigences des investisseurs E(R) DROITE D’EQUILIBRE DES ACTIFS FINANCIERS E(Rm)-Rf Ee* E(Re*) B = niveau de risque (défaillance, insolvabilité, etc.) E(R) = espérance de rentabilité des investisseurs E(Rm) = espérance de rentabilité du marché sur un actif risqué Rf = risk free ou taux de rentabilité des emprunts d’Etat sans risque Ee E(Re) Rf Risque-bêta (B) Be Be* L’accroissement du risque En partant du chemin optimal de croissance (Malécot), les deux écueils de l’entreprise apparaissent : - le sur-investissement qui implique que l’entreprise ne pourra pas saisir les opportunités qui peuvent se présenter ; - le sous-investissement qui implique une asymétrie d’information et une gestion nonconforme aux attentes des actionnaires par les dirigeants. Les bornes du continuum de crise s’accommodent du second écueil, le défaut d’investir et l’insuffisance de résultat. Le défaut d’investir amène à constater que le taux de profit réalisable par la firme n’est pas compatible avec un taux de profit concurrentiel normal. Dans ce cas, la structure financière peut être satisfaisante. L’insuffisance de résultat montre que les contraintes financières ne peuvent être satisfaites par insuffisance de compétitivité. La structure financière est alors tendue. b- Observation de la création ou de la destruction de valeur Dés lors que le cash-flow généré par l’activité est insuffisant pour satisfaire la contrainte de remboursement du financement par dette, les coûts de faillite apparaissent. Ces coûts relèvent du renchérissement des frais d’acquisition des facteurs de production (accroissement du coût d’opportunité des agents associés). Ils sont à relier à l’érosion de la confiance des partenaires et des clients dés lors qu’il y a anticipation de difficulté pouvant entraîner la défaillance. Le coût d’opportunité amplifie le coût de faillite et prive l’entreprise de la possibilité d’exercer les options de croissance attachées au projet économique. Avec l’élévation du 7 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi coût de faillite, les investisseurs intègrent la perte probable des opportunités de croissance de la firme. La perte de croissance et le critère de VANA (Valeur Actuelle Nette Augmentée). C’est la théorie des options réelles qui va permettre de perfectionner le critère initial de valeur actuelle nette (VAN). Cette théorie prend en compte la flexibilité des investissements et les opportunités de croissance future qui leurs sont associées. Elle s’appuie surtout sur le modèle de Black et Scholes sur les options d’achat et permet de créer la VANA. La mise en place d’un investissement s’assimile à une option sur la valeur future de la firme. Les actionnaires peuvent choisir de l’exercer si les futures décisions d’investissement ou de financement sont plus rentables ou optimisées. La difficulté rencontrée dans la sélection des investissements est qu’ils doivent fédérer l’ensemble des actionnaires. Certes, les investissements s’inscrivent dans le cadre du portefeuille d’actifs d’une firme mais ils supposent des sacrifices de la part des actionnaires. A court terme, les dividendes ne seront pas distribués mais conservés pour financer les projets, pour compenser cela, les actionnaires se fixent un seuil psychologique de rente à recevoir en fonction du risque pris (Cf. graphique : Exigences des investisseurs). Valeur d’un portefeuille d’actifs (Ve) : o o Entreprise sans dette : Ve = (Fi/k) ; où Fi = Flux dégagés du portefeuille d’investissement et k = Coût du capital supporté par la firme Entreprise endettée : Ve = (Fi/k) + tD ; où tD = Coût de la dette Un investissement correspond à une option d’achat (Call) sur la valeur future du portefeuille de la firme. Il donne le droit aux actionnaires d’acquérir des actifs sousjacents de type incorporel (Ex : brevet, marque, investissement en gouvernement, etc.), corporel (bâtiment, matériel, etc.) et financier (titre de participation, part du capital d’autres sociétés, etc.) à une date déterminée et à un prix fixé à l’avance moyennant le paiement immédiat du coût du projet d’investissement. La valeur d’une firme devient la somme de son portefeuille d’actifs existant et d’un portefeuille d’options sur l’acquisition de futurs actifs. Ces options de spéculation sont dites réelles lorsqu’elles portent sur des droits dématérialisés et qu’il n’existe pas de marché d’offre et de demande, comme par exemple pour les mécanismes de gouvernement (passage d’une structure moniste – PDG et Conseil d’Administration – à une structure duale – Directoire et Conseil de surveillance –). La valorisation de l’option d’achat (Call) s’appuie sur le modèle de Black et Scholes. C’est à partir de ce modèle que Mc Donald et Siegel (1985) ont dressé une analogie entre option financière et option réelle (cf. tableau ci-dessous). Le modèle de Hull (1997) démontre que le modèle de Black et Scholes peut s’appliquer à des actifs immatériels non cotés sur un marché. 8 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Tableau 1 : Analogie entre option d’achat sur action et option de croissance associée à un investissement : Option de croissance associée à un investissement Valeur de l’option de croissance associée à l’investissement initial sélectionné (Ex : instauration d’un directoire) Valeur actuelle des flux de trésorerie attendus des investissements futurs sousjacents (Ex : Valeur Actuelle Nette des flux de trésorerie secrétés par une Offre Publique d’Achat (OPA) sur un concurrent de la firme) Coût des investissements futurs sous-jacent (Ex : coût de l’OPA) Date d’extinction pour entreprendre les investissements futurs sous-jacents Volatilité (écart-type) des flux de trésorerie attendus des investissements futurs sousjacents Taux d’intérêt sans risque exigé par les investisseurs en fonction de leur aversion au risque d’exercice de l’option Option d’achat sur action C = Prime ou Premium P = Valeur actuelle du sous-jacent X = Prix d’exercice T = Date de maturité σ = Volatilité du sous-jacent Rf = Taux d’intérêt sans risque Après avoir posé ces postulats, il est possible de calculer la valeur de l’option ou Call de l’investissement. L’option de croissance ou Call est exercée si la Valeur Actuelle Nette (VAN) des flux de trésorerie futurs attendus des investissements est supérieure au prix d’exercice. L’option de croissance peut être représentée graphiquement (Jaeger – 1996) : 9 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Valeur de la firme C VI Valeur spéculative = (C – VI) C = Valeur de l’option de croissance VI = Valeur intrinsèque (VAN = V – I) V = Valeur des actifs sous-jacents à terme I = PE = Coût des investissements futurs PE VAN + C < 0 Option en dehors (OUT) Abandon de C = 0 Valeur des actifs sous-jacents à terme VAN + C > 0 Option en dedans (IN) Exercice de C = V - I VAN + C = 0 Option à parité (AT) Seuil de rentabilité de l’option de croissance La valeur de ces options réelles peut varier dans le temps en fonction de six déterminants : 1°) Cours de l’actif sous-jacent c'est-à-dire qu’une augmentation de la rentabilité des investissements futurs augmente la rentabilité de l’option ; et inversement. 2°) Prix d’exercice : l’absence de barrières à l’entrée ou à la sortie sur le marché, auprès duquel l’entreprise réalisera ses investissements futurs, diminue la valeur de l’option. Ceci veut dire implicitement que l’innovateur en matière d’investissements disposera d’un avantage concurrentiel pendant un certain temps ; et inversement. 3°) Date d’échéance : plus la firme retarde l’exercice de l’option et plus la probabilité de la valeur de l’option augmente ; et inversement. 4°) Volatilité : plus le risque et la rentabilité d’exploitation des investissements futurs sont instables et plus la probabilité de la valeur de l’option augmente; et inversement. 5°) Taux d’intérêt : plus le taux d’intérêt est élevé et plus la valeur de l’option augmente ; et inversement. 6°) Dividende : toute distribution de dividende provoque un baisse de la valeur de l’option car la capacité d’autofinancement diminue ; et inversement. VANA = VAN + C, avec : VANA = Valeur Actuelle Nette Augmentée, VAN = Valeur Actuelle Nette des flux futurs attendus des investissements, C = Valeur de l’option de croissance. Le concept de VANA est issu de l’approche de Modigliani et Miller : la valeur de l’option de croissance (C) s’exprime par : C = [Ti*(fi)*(n)] [(r-k)/k*(1+k)] Avec Ti, le taux de réinvestissement (calculé par la proportion des flux de trésorerie engagés dans de nouveaux projets), n, la période d’avantage concurrentiel où r>k, avec r = Rentabilité économique (RE/AE), k 10 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi = Coût du capital supporté par la firme, RE = Résultat économique = Résultat d’exploitation13 + produits financiers, AE = Actif économique = Immobilisations nettes + Besoins en fonds de roulement14 + Trésorerie. La situation difficile se concrétise pour la VANA de la firme par : 1°) la diminution de la VAN par réduction des flux générés par le portefeuille d’investissements (Fi) et augmentation du coût du capital (k). 2°) La disparition de l’option de croissance (C). Sans projet de développement, l’entreprise vivote et les ressources des investisseurs s’orientent vers les entreprises les plus dynamiques. On aboutit à une crise gouvernementale : le temps des reproches. c- La crise gouvernementale Il y a deux conceptions du gouvernement, il y a donc deux niveaux d’implication des difficultés : - Le concept originel s’intéresse aux relations d’agence positionnées entre l’actionnaire et le gestionnaire. La crise du gouvernement s’intéresse alors aux dissensions voire à la rupture du contrat fondamental. Les méthodes de sanctions envers les dirigeants qui n’ont pas géré l’entreprise conformément aux attentes des propriétaires s’exercent. - La version élargie recouvre « l’ensemble des mécanismes organisationnels qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui gouvernent leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire ». La crise du gouvernement est alors la rupture d’un état d’équilibre entre les pouvoirs qui se manifestent dans une entreprise. Il y a rupture d’une cohérence d’ensemble, conflits d’intérêt et risque de sortie des partenaires de la coalition. Les risques des agents associés. Pour les actionnaires, il y a privation du droit pécuniaire, exercice du pouvoir de sanction (révocation) ou démission. Il y a dévalorisation du patrimoine accumulé et exercice d’un risque dont ils supportent financièrement les conséquences. Puisqu’il y a connexion entre l’évolution de l’activité économique de l’entreprise et celle du champ financier, la valeur de marché des actions s’effondre avec le changement d’anticipation des investisseurs suite à l’annonce de la difficulté. Les défauts dans l’exercice du droit d’influence sur les décisions et sur le contrôle de la gestion par les actionnaires élus, chargés de la surveillance, peuvent occasionner une rupture entre la coalition des actionnaires. L’éventualité d’une perte ou abandon du contrôle par les actionnaires de référence, contraints financièrement, peut modifier la nature du projet et donc l’existence de tous les contrats subordonnés. Pour les gestionnaires, il y a défaut dans l’exercice du pouvoir de capacité. Le manquement provoque une destruction de valeur dont ils ne supportent les conséquences financières qu’en fonction de l’intéressement qu’ils ont accumulé. Le principal risque est la rupture du mandat de gestion et une reconnaissance de leur incompétence sur le marché des dirigeants (dévalorisation et difficultés d’embauche). Les managers, qui sont placés en état d’instabilité virtuelle par un gouvernement, ne peuvent espérer conserver leur contrat de travail et progresser dans leur carrière qu’en restant compétitifs. Leur contrat, dont la durée est liée à la performance et à la qualité des décisions prises, est donc suspendu à la décision des actionnaires. La gestion du consensus se transforme en gestion de conflits. Le manager, qui érode puis ne dispose plus du budget discrétionnaire, le « slack », ne peut plus imposer ses décisions. Son 13 14 Cf. Glossaire. Cf. Glossaire (BFR). 11 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi pouvoir de négociation dans l’organisation des procédures et des routines entre les différents partenaires s’en trouve pénalisé. La solution coopérative éclate. Les partenaires qui avaient intérêt à la pérennité de la firme transforment leurs attentes. L’individualisme gagne. Chaque agent va chercher à augmenter son utilité au détriment des autres et à récupérer sa créance avant les autres. Le retrait d’un partenaire de la coalition est alors un facteur de risque pour le jeu coopératif d’ensemble. Le gouvernement devient alors inefficace. Tableau 2 : Le temps des reproches : Managers - échec dans la mission - erreur de gestion - excès d’investissement - sous-investissement - croissance non maîtrisée - opportunisme - défaut de consensus - enracinement Actionnaires - sous capitalisation - insuffisance de résultats - découragement - absence d’implication - défaut de contrôle - conflit d’agence - instabilité du capital - destruction de valeur Partenaires - perte de confiance - défaut d’implication - participation insuffisante - contestation - pouvoir de négociation excessif - rémunération insuffisante - risque excessif La révolution des contrats. Les crises révolutionnent les contrats fondamentaux (système de gouvernance) et subordonnés de l’entreprise et provoquent des changements de fonds dans le projet stratégique : - Le malaise affecte tout d’abord les propriétaires dont les comportements vont diverger mais qui n’ont aucune assurance quant à l’issue de la procédure. En ce qui les concerne, ils peuvent être volontairement ou sous la contrainte, amenés à ouvrir leur capital voire à se démettre du contrôle. Ils peuvent remettre tout ou partie d’un capital dévalorisé à de nouveaux actionnaires pour des raisons de mécontentement, d’opportunité, d’obligation. - Le malaise affecte ensuite le contrat de l’agent avec le principal, auquel sont suspendus tous les autres contrats de partenariat. Ainsi pour les gestionnaires, la crise est souvent perçue comme un échec quant à leurs capacités à gérer et à créer un consensus. Les mécanismes disciplinaires s’exerçant, il y a accroissement du risque d’éviction, en douceur ou brutal, partiel ou total, dans un avenir immédiat ou lointain, des dirigeants en place, détenteurs de la maîtrise du projet économique. - Le malaise affecte enfin les contrats subordonnés noués autour entre les gestionnaires et les partenaires. Concernant les salariés et les associés au projet économique, la récupération des créances devient plus incertaine et la probabilité de rupture des contrats augmente avec l’instabilité. Il y a une crise de confiance et remise en cause du principe même de la coopération. Le déséquilibre constaté affecte la valorisation de l’entité, fragilise les structures, réduit le pouvoir de négociation et provoque un renouvellement des hommes et/ou des méthodes. Un nouveau groupe d’actionnaires peut par exemple s’inviter au Conseil d’administration et se proposer de conduire la destinée de la firme. Que l’intrusion soit partielle ou que la tentative de changement soit radicale, une incertitude s’installe sur le devenir de la stratégie. Il y a modification du comportement des acteurs et focalisation de la stratégie sur les concepts de survie à court terme et, dans le meilleur des cas, de redressement à moyen terme. Un gouvernement efficace par le passé a plus de chances de résister à la difficulté puisque la confiance dans l’engagement renforce l’intensité de l’adhésion du projet. C’est le pouvoir explicatif qui semble la clé du problème. Dans ce cas là, la constatation d’une 12 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi rémunération inférieure aux attentes ne peut provenir que d’une dématérialisation d’un risque dont les parties ont été informées plutôt que d’un dysfonctionnement. Le système de gouvernement doit toujours être capable d’expliquer l’éventuelle insuffisance de rémunération de n’importe quel partenaire qui en pâtirait, de sanctionner les responsables, de prévoir la survenance et d’anticiper de telles difficultés afin de limiter les effets, de prévoir les solutions à la mesure de l’ampleur des difficultés préservant le projet. Il s’agit à terme de minimiser les pertes d’utilité que des agents peuvent supporter, même si dans l’immédiat, le sacrifice est important. d- Les sacrifices dans la répartition de la valeur Il y a destruction de valeur pour l’entreprise quand la valeur actuelle nette (VAN) est négative. Appréhendé d’une autre façon, il y a destruction de valeur quand la rentabilité de l’actif économique RE (capitaux investis) est inférieure au coût du financement (coût du capital) : RE < k Avec : k = coût moyen pondéré du capital (weighted average cost of capital), RE = RET t / AE t-1, la rentabilité du capital investi l’année d’observation, RET = résultat économique après impôt théorique (Net operating profit after taxes – NOPAT), AE = actif économique mesuré par la somme des immobilisations nettes et du BFR15 (invested capital). Si la cause se situe au niveau de l’investissement, la responsabilité du dirigeant est souvent avancée : - Dans le cas de la crise-évènement, qui provient d’un ou plusieurs symptômes qui éclatent, c’est l’absence ou le dysfonctionnement du système de veille qui est généralement mise en cause. Il y a défaillance du gestionnaire dans l’exercice des pouvoirs dont il est affublé. Les critiques se portent alors sur l’incapacité à détecter la difficulté, l’absence de réaction aux indicateurs de crise, l’impuissance à circonscrire le problème dans un périmètre restreint, l’impossibilité d’éviter sa propagation au niveau de l’organisation puis des marchés. - Dans le cas de la crise-processus, qui se déclenche par interaction de multiples problèmes, c’est l’erreur de diagnostic dans l’analyse des prédispositions, dans l’interprétation des dysfonctionnements mineurs qui recèlent le risque pour l’organisation, qui est avancée. Les critiques se portent alors sur le défaut de compréhension des interactions multiples qui transforme le risque en réalité, sur l’impossibilité d’inverser le processus enclenché et donc d’éviter la propagation dans le temps et dans l’espace des problèmes, et sur l’efficacité à solutionner car la régulation passe par des modifications en profondeur du système installé (remise en cause). La thèse de Weick. La crise provoque un effondrement du sens du décideur qui perd son univers de référence. Seule une réaction constructive, visant à recomposer le contexte et à comprendre la nature de la situation problématique, peut l’amener à trouver des solutions. Malheureusement, le décideur est, dans la plupart des cas, confronté à une solitude du face à la crise. L’origine de la difficulté est économique, elle provoque l’incapacité de satisfaire les exigences des apporteurs de ressources, partenaires et actionnaires. d- 1- La destruction de la valeur actionnariale 15 Cf. Glossaire. 13 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Le free cash-flow (FCF) est le flux de trésorerie disponible en excès des cash-flows nécessaires aux investissements rentables (à VAN positive). Il doit revenir aux actionnaires par le dividende. Avec la crise, un FCF nul ou négatif est indicateur d’absence ou de destruction de valeur. Selon la théorie financière, la valeur de l’entreprise Po, est égale à la valeur actuelle des flux de fonds et de la valeur récupérable à terme (VRn) allant aux actionnaires et créanciers fnanciers. La valeur revenant aux actionnaires s’obtient en retirant de Po, la valeur de marché des dettes. En cas de difficulté, cette valeur peut donc devenir nulle ou négative. Le risque résiduel de l’actionnaire L’actionnaire : Le créancier résiduel Résidu nul Appauvrissement Le manager : Rémunération au coût d’opportunité Les partenaires : Rémunération au coût d’opportunité Dans un tel schéma, le créancier résiduel devrait supporter la destruction de valeur. - L’Economic Value added (EVA) ou valeur ajoutée économique est un indicateur opérationnel de création de valeur. Il mesure la performance à court terme du dirigeant, c’est-à-dire le surplus dégagé par le dirigeant dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de capacité. Le profit opérationnel après impôt diminué du coût du capital immobilisé est un surplus disponible pour les actionnaires. K, le coût moyen pondéré du capital, intègre les charges comptables enregistrées mais aussi le coût d’opportunité des capitaux propres calculé par le MEDAF16. L’EVA se calcule également comme la différence entre le résultat économique net d’impôt (RET) et la rémunération des capitaux investis (RKt = kt * AEt-1). EVAt = AEt-1*(REt - kt) = RETt - RKt Si l’EVA est négative, l’entreprise est destructrice de valeur, car le profit opérationnel qu’elle dégage est inférieur à la rémunération qu’un actionnaire est en droit d’exiger (au coût d’opportunité des capitaux propres). La relation FCF-EVA s’exprime : EVAt = FCFt + (AEt – AEt-1) – kt*(AEt-1) - La Market Value Added (MVA) est la somme actualisée des EVA. C’est la richesse créée et accumulée revenant aux actionnaires. Elle représente l’écart entre la valeur de marché de l’entreprise (capitalisation boursière et dettes) en l’occurrence la valeur de revente, et la valeur comptable des capitaux investis ajustée. n MVA = EVAt ∑ (1 + k ) t =1 t MVA = Valeur de marché globale – valeur du capital investi Si la MVA est positive, la firme développe un potentiel de création de valeur pour l’avenir. En revanche, si la MVA est négative, le marché anticipe une déperdition de valeur pour l’avenir. 16 Cf. Glossaire. 14 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi ∞ ð La valeur de marché de l’entreprise est alors égale à : Po = AEo + EVAt ∑ (1 + k ) t =1 t Plusieurs ratios et indicateurs insistent sur la comparaison entre la performance passée et la performance future : - Le ratio de création de valeur (CV) cherche à mettre en correspondance la rentabilité des fonds propres constatée, mesurée à partir des données comptables et la rentabilité attendue telle qu’elle ressort du marché (coût d’opportunité du capitalaction) : CV = RaT / E(R) = RaT / ka Avec : RaT, le rapport du résultat courant après charges d’intérêt et impôt sur les capitaux propres et, selon le MEDAF, E(R) = ka = Rf + (E(Rm) – Rf) Β . Un ratio inférieur à l’unité indique une déperdition de valeur et inversement. Ce ratio ne tient pas compte des opportunités de croissance à venir. - Il est alors complété par le ratio M/B (market to book ratio) qui est le rapport entre la capitalisation boursière (CB) et la valeur comptable des capitaux propres (VCcp) avec : M/B = CB / VCcp Ce ratio est alors un indicateur qui se nourrit de l’appréciation par les investisseurs du projet stratégique mis en œuvre. Ainsi, lorsque M/B > 0, il y a création de valeur et inversement avec M/B < 0, il y a destruction de valeur. - La droite de valeur établit alors un lien entre M/B et CV de telle manière que : M/B = a + b*CV + c Avec a, la valeur du ratio de M/B quand CV = 0 ; b = Cov (M/B, CV) / Var CV ; variation de M/B inexpliquée par CV. M/B Diagonale de compensation : M/B = CV Création de valeur : M/B > 0 Indice de la performance future Destruction de valeur : M/B < 0 Indice de la performance passée CV Il est alors possible de comparer le différentiel de performance entre les anticipations et les réalisations. Sous la diagonale, le marché est réservé quant à l’avenir de l’entreprise. => L’EVA-MVA est un indicateur élaboré par des consultants d’entreprise, c’est donc un concept reconnu permettant de mesurer la création de valeur. Sans être exempt de quelques critiques de calcul, cet indicateur peut se révéler comme apporteur 15 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi d’informations supplémentaires auxquels les investisseurs seront sensibles. Il peut modifier les anticipations et influencer le processus de formation des cours. Avec la destruction de valeur et les perspectives d’absence de revenus (rémunération nulle, perspective de développement limitée), le découragement, le manque d’implication de l’actionnaire peuvent être alors à la source de difficultés. La défaillance des mécanismes de contrôle dans l’identification des difficultés allonge les délais. La complexité de l’actionnariat (divergence d’intérêt) provoque des conflits. L’attitude « courtermiste » des fonds d’investissement est souvent dénoncée. Le refus de recapitaliser dans une société domestique par le contrôlaire étranger est souvent constaté. Le changement fréquent d’actionnaires de référence perturbe le projet économique. Exemple : L’accident d’Alcatel : En une journée, le 17 septembre 1998, dans un marché nerveux sur fonds de crise asiatique, l’annonce d’une révision à la baisse du résultat opérationnel du groupe provoque une chute de 38 % du cours boursier. La structure éclatée du capital, qui laisse une large place aux investisseurs étrangers, dont les fameux fonds de pension anglo-saxons, explique le mécanisme. La désillusion sur la performance de la société a provoqué un transfert massif des fonds investis vers d’autres placements sur d’autres places boursières. Même si cet accident est depuis effacé, les risques existent toujours tant l’actionnariat est ouvert. En avril 2000, les investisseurs étrangers détenaient encore 50 % du capital contre 28 % pour les institutionnels français, 10,2 % pour le public, 2,4 % pour le personnel et la Société Générale, 7 % d’autocontrôle. d- 2- La destruction de valeur partenariale Les managers perdent de la valeur partenariale si l’écart entre le prix de vente au prix d’opportunité est négatif. Les déterminants de la destruction sont alors l’accroissement du coût d’opportunité de partenaires du fait du risque supplémentaire qu’ils supportent et la baisse du prix d’opportunité de la demande. Ils ont respectivement pour corollaire l’augmentation du risque de l’agent et l’érosion de l’image perçue. Projet de déséquilibre partenarial : Offre : prix de transaction < coût d’opportunité Demande : prix de transaction > prix d’opportunité La pérennité du projet subit alors des menaces : - l’effondrement de la coalition partenariale car les prix d’opportunités ne permettent plus de couvrir les coûts d’opportunité, - l’érosion du slack managérial puis son extinction progressive, - l’émergence de différences de traîtement entre les partenaires selon leur contribution, - le downsizing (réduction de taille). Dans le cas de la création de valeur, un partenaire qui reçoit un prix de transaction inférieur à son coût d’opportunité peut, par son départ de la coalition ou l’exercice de son pouvoir de contestation, rendre la situation problématique. Plus généralement, un agent qui perçoit une rémunération supérieure à sa contribution à la création de valeur, ne peut s’approprier durablement cet excèdent sans se voir opposer une contestation des autres partenaires. Il y a appauvrissement du projet car excès de captage d’un agent au détriment de l’entreprise. Il est possible de répercuter cette hausse des coûts sur le prix de vente. Il y a alors déplacement de la contrainte qui s’impose au client qui peut affirmer son pouvoir de contestation en rompant la relation commerciale. Les partenaires peuvent accepter un sacrifice momentané de rémunération s’ils sont assurés, qu’une fois la situation rétablie, le captage de la valeur leur sera favorable. Un partenaire qui est également actionnaire peut donc déroger de son niveau d’exigence s’il 16 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi est assuré de trouver une compensation à terme. Les concours à obtenir de nouveaux partenaires sont coûteux en situation de turbulence. La situation des partenaires est très inégale tant au niveau de la répartition de leurs engagements voire de leur indemnisation en cas de rupture de contrat. La contribution à la création de valeur détermine à priori le pouvoir de négociation. La loi peut amplifier certains mécanismes. La situation des différents marchés d’appartenance, l’existence de pénurie, l’émergence de barrières à la sortie, la capacité à se faire respecter sont à la base du pouvoir de contestation. Les sources d’appauvrissement du projet Les 3 configurations : Rémunération > Coûts d’opportunité Sur-rémunération des actionnaires Accaparement par le manager Déséquilibre Déséquilibre Sous-investissement Mécontentement des stakeholders Défaillance du contrôle Perte de confiance - sanction Appropriation par le corps social Déséquilibre Prix excessif de la paix sociale Actionnaire défaillant Dans l’analyse partenariale, le risque résiduel est absorbé par les partenaires, même si l’exposition au risque diverge en fonction de la ressource apportée au projet. L’actionnaire n’est plus le seul créancier. La défaillance d’un projet aboutit à la rupture de l’ensemble des contrats dont chacun des associés va en percevoir des effets négatifs. L’analyse de Khanna et Poulsen (1995). Les auteurs posent le problème du rôle des dirigeants dans le processus de défaillance. Ils partent de l’hypothèse que la détresse financière peut provenir de l’incompétence, de l’enrichissement excessif ou de facteurs hors de contrôle des dirigeants. A partir de l’analyse des décisions prises pendant la période de crise, ils concluent que les managers sont plus à blâmer qu’à critiquer. Au niveau méthodologique, partant d’un échantillon d’entreprises ayant fait faillite, ils comparent les décisions prises par les dirigeants sur une période de trois ans avant la liquidation avec celles prises par les gestionnaires d’un échantillon de contrôle constitué d’entreprises performantes. Les décisions ne sont pas significativement différentes et, en moyenne, les managers suspectés ne prennent pas des mesures destructrices de valeur. Les résultats sont identiques qu’il y ait changement de dirigeants ou actionnariat des managers. Par ailleurs, le marché ne réagit pas positivement lors du remplacement du gestionnaire par un redresseur interne ou externe. Ils concluent à l’absence de comportements spécifiques des managers confrontés aux difficultés. Analysons à présent l’épisode de la vie d’une grande entreprise française dont le management a laissé le monde perplexe, elle n’a certes pas connu la faillite, mais … 2- L’incidence des choix stratégiques et financiers du gouvernement Vivendi : 17 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Dans ce chapitre, nous allons voir comment le charismatique JMM17 a gouverné l’exvénérable Compagnie Générale des Eaux. Portrait de Jean-Marie Messier : Né à Grenoble en 1956, JMM, polytechnicien, diplômé de l’Ecole Nationale d’Administration, débute sa carrière en tant qu’inspecteur des finances dans les cabinets ministériels en 1986, d’abord auprès de Camille Cabana, puis d’Edouard Balladur, pour s’occuper des privatisations. Il fait partie ensuite des nombreux énarques issus de la promotion de 1984, qui quittent la Haute Fonction publique pour rejoindre le secteur privé, en intégrant la banque d’affaires Lazard, dont il devient le plus jeune associégérant. Il y fait prospérer un fonds d’investissement très rentable. La réputation de JMM est sans nul doute, au point que le patron de Lazard, Michel David-Weill, veuille en faire son successeur. JMM aura réussi, notamment, la première opération hostile d’un groupe français aux Etats-Unis, l’Offre Publique d’Achat sur Square D. Ses atouts sont une solide volonté, une vraie dextérité, une forte dose d’opportunisme, quelques mondanités et surtout de l’ambition. A 37 ans, JMM possède un Curriculum Vitae déjà impressionnant, il devient administrateur directeur général de la Compagnie Générale des Eaux. En 1996, il en prend la présidence succédant à Guy Dejouany. Administrateur de plusieurs sociétés de premier plan, JMM est aussi l’auteur d’un ouvrage au titre peut-être prémonitoire : J6M.com (Jean-Marie-Messier-Moi-MêmeMaître-du-Monde). Faut-il avoir peur de la nouvelle économie ? Chez Hachette. a- La construction d’un grand groupe de communication La Générale des Eaux, compagnie créée dés 1853, sous Napoléon III, pour gérer les premiers réseaux d’eau potable, est leader historique du marché français, où ses principaux concurrents sont la Lyonnaise des Eaux et Suez. En 1996, Jean Marie Messier en prend la présidence, succédant à Guy Dejouany. La Compagnie Générale des Eaux est à l’époque, un conglomérat très franco-français, réputé pour son opacité, sa complexité et déjà son surendettement. JMM entreprend la complète métamorphose de la vieille institution de la rue d’Anjou, se lance dans d’impressionnantes acquisitions, il vend l’immobilier, l’hôtellerie, la restauration collective ; cède l’affichage, les activités de santé et de tourisme… En mai 1998, la Générale des eaux, rebaptisée Vivendi, semble s’écarter de ses vieux métiers (eau, énergie, traitement des déchets). Le Groupe prend ainsi le contrôle du groupe de communication Havas et l’année suivante, il rachète Pathé puis une partie de BSkyB, le bouquet satellite du géant de la presse britannique, Rupert Murdoch. Le projet de JMM lors de sa nomination est de bâtir un groupe français de communication de taille mondiale, il est attiré par l’univers moderne et rémunérateur de la communication. Pour cela, il ambitionne de conquérir l’Amérique. C’est alors en l’an 2000 que Vivendi fusionne avec Seagram, un puissant conglomérat canadien détenu par la famille Bronfman, et propriétaire des plus prestigieux studios hollywoodiens, Universal. VU18 devient le seul groupe capable de rivaliser avec les studios cinématographiques américains, AOL-Time Warner et Disney. La fusion Vivendi-Seagram concerne également Canal + qui, auparavant était détenu à 49 % par Vivendi et désormais, appartient à 100 % à VU. Cette absorption à 100 % est 17 18 Jean-Marie Messier. Vivendi Universal. 18 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi la condition du « deal » imposée par Seagram car Canal + est en pleine croissance internationale. Dans le domaine de l’audiovisuel en France, les activités de Vivendi sont regroupées au sein de la société Canal + qui édite et commercialise des chaînes générales cryptées et des chaînes thématiques, distribue et commercialise des bouquets de services et de programmes de télévision par câble et par satellite, produit et distribue des films de cinéma et des œuvres audiovisuelles, et enfin négocie des droits cinématographiques, audiovisuels et sportifs. Au cours de l’année 2001 jusqu’au début 2002, sont réalisés les principaux rachats suivants : § § § § § § § l’éditeur scolaire américain Houghton Mifflin ; 35 % de Maroc Telecom ; MP3.com, site de téléchargement de fichiers musicaux ; Scoot.com, réseau de services d’annuaires professionnels en ligne ; Elektrim Telecomunikacja, conglomérat polonais, qui contrôle 51 % du premier opérateur de téléphonie mobile du pays ; USA Networks (réseaux), cette acquisition est d’un intérêt industriel majeur pour le développement international de l’activité Films, Télévision et Câble de VU ; EchoStar (opérateur de télécommunications). JMM parvient à bâtir le deuxième groupe mondial de communication et le propulse n°1 mondial du cinéma, de la musique et des jeux et n°3 de l’édition. En outre, les activités de services collectifs sont scindées du groupe Vivendi Universal, sous le nom de Vivendi Environnement (VE), qui se présente comme le leader mondial des services liés à l’environnement, avec un centrage sur l’eau, la propreté, les services énergétiques et les transports. VE s’est fortement internationalisé par croissance interne et externe à partir des années 90 et développe une stratégie d’offre intégrée multiservices pour les clients industriels. Tableau 3 : Les métiers du groupe Vivendi Universal au deuxième trimestre 2002 Vivendi Vivendi Vivendi Vivendi Universal Télécoms : Universal Environnement : Télévision et Music : Publishing : film : Opérateur de Traitement de Le plus grand téléphonie fixe l’eau, des déchets Télévision, catalogue N°3 mondial de et mobile, avec et chauffage cinéma et d’édition l’édition de livres notamment urbain. parcs à musicale du et journaux (dont 29 milliards d’euros Cegetel (dont thèmes. monde et de L’Express) et n°2 de chiffre d’affaires 9.5 milliards SFR). musique en mondial des jeux 7.98 milliards d’euros de ligne avec et de l’édition d’euros de chiffre éducative. Pressplay. d’affaires chiffre d’affaires 4.7 milliards 6.5 milliards d’euros de chiffre d’euros de d’affaires chiffre d’affaires 380 000 salariés dans plus de 100 pays Vivendi Universal Net : Fournisseur de musique sur Internet MP3.com, portail mobile Vizzavi, … : 184 millions d’euros de chiffre d’affaires Ce tableau récapitulatif nous permet de constater que JMM a façonné le « visage actuel » de l’ex Compagnie Générale des Eaux, il incarne donc véritablement la stratégie du groupe. Avec près de 100 000 salariés en France, Vivendi est la société mère d’un groupe actif dans deux secteurs : d’une part, l’environnement par le biais de sa filiale Vivendi Environnement qui gère le service public de l’eau de 8 000 collectivités locales et de 26 millions d’usagers, et d’autre part, la communication et les médias. 19 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Ses activités de communications et médias se développent autour de cinq axes : Ø la Musique avec Universal Music Group (UMG) qui domine nettement le marché du disque français, avec un catalogue réunissant un artiste à succès sur deux et des ventes représentant 36 % du marché national en 2001 ; Ø l’édition avec Vivendi Universal Publishing ; Ø les films et la télévision avec Groupe Canal + et Universal Studios Group. La chaîne Canal + qui participe à hauteur de 20 % à la production cinématographique française. La chaîne audiovisuelle finance des films indépendants et détient les droits de près de 4 000 films français et européens ; Ø les télécoms avec le groupe Cegetel et Vivendi Telecom International ; Ø l’Internet avec Vivendi Universal Net. Néanmoins, cette stratégie va connaître diverses contrariétés : ü d’abord, avec le retournement des marchés. A partir de mars 2000, le krach de la nouvelle économie fragilise Vivendi Universal, qui a beaucoup investi, souvent au prix fort dans ce secteur ; ü ensuite, avec les attentats du 11 septembre 2001 qui portent un nouveau coup dur à un groupe désormais très américain. Le management s’est installé à New York quelques jours avant la catastrophe ; ü enfin, l’affaire Enron jette la suspicion sur les comptes des grandes entreprises. Bien évidemment, nous ne pouvons pas traiter de la politique stratégique de Vivendi sans faire le rapprochement avec le scandale Enron qui a contaminé toutes les sociétés de négoce d’énergie et précipiter la chute du secteur de l’énergie aux Etats-Unis. Enron, simple société de production, de transport et de distribution d’électricité et de gaz à l’origine, propriétaire notamment du pipeline de gaz Northern Natural (long de 26 000 km), s’était transformé, au nom de la « nouvelle économie », en négociant d’énergie et de matières premières sur Internet, un métier en fait peu rentable et très risqué mais qui lui permettait de désinvestir, de la plupart de ses activités physiques. Intoxiquée par la bulle Internet19, la bourse salua cette stratégie par une valorisation fabuleuse, et Enron devint l’exemple de « e-transformation » le plus cité par les analystes et consultants de tout poil, dans le monde entier. La spectaculaire faillite d’Enron, avec ses milliards de dollars de pertes camouflées, sème le doute sur le géant franco-américain de la communication constitué en moins de deux ans à coups de multiples rachats. Au-delà, les propres choix de JMM finissent par susciter la défiance. La Commission Européenne est préoccupée par les phénomènes de concentration dans le domaine de l’audiovisuel et met en garde le groupe VU contre un risque de position dominante qui serait une entrave à la libre concurrence notamment sur le marché de l’édition et de la commercialisation de chaînes thématiques. Une étude du Crédit Lyonnais datée de mars 2002, en donne quelques exemples. Le groupe exerce 10 métiers différents. Autant de modèles économiques à étudier et à comprendre pour les analystes financiers, qui détestent les conglomérats et ne perçoivent pas forcément les liens entre ces différentes activités. L’échec commercial du réseau Internet européen de portails mobiles Vizzavi symbolise cette absence de synergie entre les métiers. Le mariage entre les « contenus » de la firme (musiques et films Universal, jeux vidéo Havas) et les « contenants » (les canaux de distribution européens, SFR et Canal +), au cœur de la stratégie de Messier, n’aura jamais été consommé. La politique de cessions est également critiquée. Pas sur le fond : pour devenir une grande entreprise de communication, Vivendi Universal doit se séparer de certains de 19 Cf. Annexe 1 (illustration). 20 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi ses vieux métiers et acquérir de nouvelles activités. Mais la maladresse de JMM le met souvent en position de faiblesse, il annonce souvent les cessions avant qu’elles ne soient réalisées (c’est notamment le cas de celle de la presse professionnelle). De plus, l’ancien banquier d’affaires, trop pressé, achète souvent des sociétés sans en avoir vraiment les moyens. En définitive, JMM paie cher et vend mal. L’endettement grossit à un point qui inquiète les marchés. Alors, JMM envisage en mars 2002, de céder une partie du capital de Vivendi Environnement, héritier de la Générale des Eaux et cœur historique du groupe. Cependant, « l’eau et les déchets » sont des métiers rentables malgré le poids de la dette et les milieux politiques et patronaux s’insurgent au motif que le pôle « environnement » risque de passer sous contrôle étranger, l’opération sera finalement repoussée. En avril 2002, JMM conclut un partenariat stratégique dans le domaine des médias numériques avec Thomson Multimédia. Au premier trimestre 2002, Vivendi Universal affiche tout de même de bons résultats, pendant que les marchés financiers - secoués par les pertes colossales d’AOL-Time Warner (54 milliards de dollars au premier trimestre 2002) - ne semblent pas convaincus. Les critiques commencent à se faire vives de la part des actionnaires. L’on reproche à JMM d’avoir construit un empire hybride reposant sur deux pays (les Etats-Unis et la France), deux cultures, deux métiers (la communication et l’environnement) et deux styles de management. JMM est contraint de faire le grand écart permanent entre les deux pôles : → Les actionnaires américains sont désireux de voir Vivendi Universal devenir un « pure media player » (société exerçant ses activités basées essentiellement sur des services médias : télévision, Internet). → Les actionnaires français, quant à eux sont attachés aux métiers historiques de la firme. Le management de VU procède malgré tout à la cession de 15 % de VE en juin 2002. Dés lors, le statut du groupe est renforcé et clairement identifié comme spécialiste des médias et des télécoms alors qu’il était perçu auparavant comme un conglomérat diversifié. Entre 1998 et 2002, le Groupe sous la houlette de JMM aura acheté 30 entreprises pour un total de 100 milliards d’euros (150 milliards d’euros dépensés en sept ans). Vivendi Universal sera devenu un gigantesque holding financier, constitué d’un empilement d’actifs financiers sans cohérence industrielle entre le secteur traditionnel de l’exCompagnie Générale des Eaux et les activités liées à la nouvelle économie. Bref, un soidisant conglomérat destiné à créer de la valeur pour ses actionnaires qui dénote une absence totale de visibilité de la stratégie de JMM. b- Le récit de la politique financière inhérente à la stratégie de Vivendi Universal Le but de ce récit est d’exposer la manière en se situant dans le contexte, dont JMM et ses colistiers financiers ont employé des techniques financières sophistiquées. L’année 2000. Au début de l’an 2000, Vivendi engage un important programme de cessions pour financer ses investissements dans la communication. A titre d’illustration, la participation dans sa filiale de construction SGE est ramenée de 49.3 % à 14.9 %, le montant brut de la vente, qui porte sur un nombre total de 13.8 millions d’actions, s’élève à 600 millions d’euros avec une plus-value nette de l’ordre de 300 millions d’euros. Les cessions de la filiale américaine de production d’électricité Sithe Energies et la filiale immobilière CGIS ont succédé. 21 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi En décembre 2000, l’Assemblée générale des actionnaires de VU vote la fusion du groupe avec Seagram et Canal +, le nombre d’actions est presque doublé en le portant à 1.08 milliard de titres : Vivendi crée 319.5 millions d’actions nouvelles pour rémunérer les actionnaires de Seagram, et les inscrit à 91,45 euros dans son propre bilan. Au même moment, le groupe enlève les 51 % du capital de Canal + qu’il ne détient pas encore en créant 130,5 millions de titres, avec un cours de référence à 94,88 euros. A l’issue de l’exercice 2000, le montant des écarts d’acquisition20 inscrit au bilan s’élève à 47.1 milliards d’euros dont 39.3 milliards d’euros imputés aux métiers d’avenir (médias, télévision, films, musique et édition). L’année 2001. En février, c'est-à-dire deux mois après la fusion avec Seagram et Canal + et la création de Vivendi Universal, le directeur financier adjoint est chargé d’étudier un montage pour mettre en nantissement21 la participation que détient le groupe dans la chaîne de télévision satellite BSkyB. L’intérêt d’une telle opération est en général purement fiscal mais le déficit de trésorerie atteindrait 1.5 milliard d’euros et sera doubler un mois plus tard si l’opération n’est pas réalisée. La solvabilité du groupe est en effet inquiétante pour les banques qui refusent d’accorder des crédits supplémentaires. Le directeur financier envisage de mettre en caution des actifs en garantie du remboursement de la dette mais cette mise en caution est subordonnée au remboursement de la dette Swigs, société portant les alcools spiritueux Seagram. La solution adoptée sera, au cours du premier semestre 2001, une vague de cessions d’actifs qualifiés de « non stratégiques ». Vivendi dispose de 9 milliards d’euros d’actifs cessibles et va privilégier les échanges d’actifs pour renforcer son autocontrôle évalué à 8.5 % du capital avant ces opérations. Seront ainsi cédés ou partiellement échangés pour les groupes détenant des participations réciproques dans Vivendi : 9 % d’actions de BskyB échangées contre des titres Vivendi Environnement pour un montant de 1 500 millions d’euros, 9.9 % de Havas Advertising pour 450 millions d’euros et la participation de 1.6 % dans Saint Gobain pour 232 millions d’euros. Les négociations sur les cessions de Comareg, Salon d’Havas et Loews (réseau de salles de cinéma) vont également être finalisées. Le ratio d’endettement net atteint néanmoins 30 % des fonds propres mais va être davantage assaini par la conversion des Oceane22 représentant 9.3 % du capital de Vivendi Environnement ainsi que celles représentant 8.6 % que Vivendi conserve dans Vinci (Bâtiment Travaux Publiques). Après avoir frôlé l’insolvabilité, le groupe parvient tout de même à obtenir des créditrelais, dés lors, son état financier lui permet de distribuer des dividendes à ses actionnaires. L’opération complexe sur la cession des titres AOL France : En mars 2001, America On Line, filiale d’AOL Time Warner refuse de payer cash (motif : trop onéreux) pour racheter les 55 % détenus par VU dans le joint-venture AOL France, Fournisseur d’Accès à Internet. Le groupe trouve une parade par le biais de ses filiales Cegetel et Canal + qui échangent leurs 55 % de titres détenues dans AOL France contre des actions à dividende prioritaire AOL Europe. La cession des parts d’AOL France a permis d’engranger une plus-value nette 402 millions d’euros qui doit contribuer au développement autonome de Vivendi dans l’Internet et au financement de la licence de téléphonie mobile UMTS pour Cegetel. L’opération s’appuie sur un contrat de swap de rendement total23 : en août 2001, les groupes Canal + et Cegetel ont vendu leurs actions privilégiées AOL Europe à LineInvest, société créée pour le montage n’ayant aucun lien 20 Cf. Glossaire (Goodwill). Cf. Glossaire (Pension livrée). 22 Cf. Glossaire. 23 Cf. Glossaire (« total return equity swap »). 21 22 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi capitalistique avec VU. Les actions privilégiées (« junior preferred shares ») AOL Europe ont été cédées pour un prix (719 millions d’euros) correspondant à leur valeur de marché actualisée majorée de la valeur du coupon (dividende de 6 %) et matérialisée en obligations (titres de créance). Cette opération engage VU à travers sa filiale Cegetel qui bénéficie du rendement total des obligations mais en subit les risques de défaillance de LineInvest, les risques de baisse du cours de l’obligation et de hausse de taux d’intérêt jusqu’à l’échéance en 2003. L’opération complexe sur la cession des titres BSkyB : En septembre 2001, le sort de l’opérateur BSkyB n’est toujours pas scellé, VU en détient encore environ 23 %, et ce alors que la Commission Européenne a donné jusqu’à Juin 2001 comme date butoir pour la cession de la participation, dans le cadre de l’accord conditionnel entre VU et les autorités de la concurrence pour l’homologation de la fusion avec Seagram. Cependant, VU veut monétiser sa participation et le peu d’appétence des marchés oblige le recours à l’ingénierie financière. La Deutsche Bank accepte une prise en pension24 pour un montant équivalent à la valeur en Bourse (629 pences) des 22,7 % d’actions BskyB. Vivendi obtient une avance de trésorerie de 4.2 milliards d’euros mais conserve le bénéfice ou le risque financier et inscrira suivant l’évolution du cours de Bourse de BskyB des plus ou moins-values lors de chaque exercice jusqu’en 2005. Tant que le titre BSkyB fluctue au-dessus de 629 pences, il y a constatation de plus-values, mais en dessous de ce prix, VU doit s’acquitter immédiatement de la différence auprès de la banque, le montage étant structuré en appel de marge25. L’opération est considérée par les agences de notation comme un refinancement qui accroît la dette du groupe. Vivendi a rendu liquide un actif, en contrepartie d’un prêt qui porte intérêts, qui est donc neutre, s’il permet de rembourser la dette du groupe. Les capitaux collectés vont être employés au rachat des titres Vivendi. La dette est estimée à 8 milliards de dollars et la baisse des actions BSkyB intervenue depuis la transaction représente déjà plus de 300 millions d’euros de moins-values, aucune couverture contre cette baisse n’a été prise. Cette prise en pension entraîne un risque hors-bilan car soumise aux fluctuations défavorables du cours de Bourse. L’opération n’a pas seulement pour but de satisfaire à la requête de la Commission de Bruxelles car la Deutsche Bank serait à la charge du mandat de vente évolutif pour reclasser la participation dans BSkyB au fil de l’eau. La trésorerie dégagée au premier semestre permet à VU Publishing de financer partiellement l’acquisition de Houghton Mifflin (2.2 ou 2.5 milliards d’euros). L’éditeur scolaire américain devait être initialement financé grâce à la vente du pôle de presse professionnelle dont les négociations s’éternisent. Le groupe envisage par-dessus tout de reprendre le Club Med et l’opérateur de téléphonie belge Belgacom, 20 milliards d’euros d’engagements sont ainsi pris. Maroc Telecom est acquis pour 2.7 milliards d’euros, reprise de dette comprise. Fin 2001, la Deutsche Bank procède au reclassement de 8 % du capital du bouquet satellitaire BSkyB (un tiers de la participation de VU) qui doivent être convertis en titres BskyB de la société mère. Cette vente permet à Vivendi de dégager des marges de manœuvre lui permettant de couvrir les besoins éventuels résultant des opportunités de partenariat stratégique dans la télévision et la distribution américaines. 24 25 Cf. Glossaire (Pension livrée). Cf. Glossaire. 23 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi La reprise des activités « entertainement » (production et diffusion de programmes télévisés) de USA Networks est imminente, Vivendi en contrôle 43 %. Echostar (secteur des services de diffusion par satellite) est acquis pour 1.5 milliard de dollars. Le prix des activités « entertainement » (4.6 milliards de dollars) est estimé par le marché à la moitié de la capitalisation boursière totale du groupe américain. Le produit de la cession des 9.3 % détenus dans VE (1.2 milliard d’euros), ajouté à la valeur de marché de la participation dans BSkyB couvre en effet la valorisation des activités concernées. Mais Vivendi doit consentir une prime de 2 milliards de dollars supplémentaire pour récupérer les droits de vote multiples de Barry Diller, président de USA Networks. Outre cette prime, en décembre 2001, le cours de l’action VU connaît la plus forte baisse de la Bourse de Paris (- 4,4 %) avec un volume de 8.2 millions de titres. La raison de ce signal du marché est le montant de 18 milliards de dollars que pèse USA Networks en Bourse, les investisseurs redoutent une émission massive d’actions nouvelles qui diluerait les bénéfices. De plus, toute opération payée en numéraire ou par endettement mettrait en péril les notes de crédit (Standard and Poor’s : triple B), l’abaissement à BBB-, à un cran de la catégorie spéculative, rendrait les levées de fonds plus coûteuses. Le groupe rassure les investisseurs, rappelant qu’il ne s’agit que de l’acquisition de 57 % d’un pôle d’activité déficitaire (USA Networks « entertainement ») valorisé entre 2 et 5 milliards de dollars et confirmé par les analystes financiers. Ceci dit, Vivendi, qui n’a toujours pas empoché les 8.3 milliards d’euros de la vente des spiritueux de Seagram, ni les 1.3 milliard d’euros estimés de la cession de la presse professionnelle, affiche un endettement net à fin 2001 de 19.1 milliards d’euros. Il semble pourtant que le groupe ait fait la promesse aux banques de tenir un endettement net26 inférieur à deux fois son excédent brut d’exploitation27 (EBE), or il est au seuil critique de trois. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, VU poursuit le rachat de son autocontrôle pour soutenir son cours et dépense 6.4 milliards d’euros dans le rachat de ses actions en 2001, l’opération est confiée à la Deutsche Bank. Mais l’autofinancement s’avère insuffisant à l’aube de 2002, le groupe cède alors 55 millions d’actions sur le marché soit 5.5 % de son capital, lui permettant de dégager 3.3 milliards d’euros. Cette opération a été motivée par le risque de dégradation de la note de crédit qui est dorénavant conforter à BBB par Standard and Poor’s. Pour certains analystes, il ne s’agit pas d’un véritable désendettement, puisque les actions cédées constituaient un actif liquide que le groupe comptabilisait comme de la trésorerie dans son bilan aux normes françaises. Cette opération a été principalement motivée par le passage aux normes américaines, choisi par VU : en US Gaap, le groupe aurait vu sa dette augmenter « facialement »28 du montant de l’autocontrôle si la cession n’était pas intervenue. VU juge l’opération réussie en indiquant que la fourchette de prix de cession (60-61 euros) était supérieure au prix de revient des 65 millions de titres achetés (57 euros) sur le marché en 2001. Pourtant, il omet de rappeler qu’il a aussi acquis en mai 2001, 16.9 millions d’actions à la famille Bronfman à un prix bien supérieur (75.1 euros). L’opération ne se solde donc pas par une plus-value mais par une légère perte. L’année 2002. Aucun rachat d’actions significatif n’est prévu en 2002, VU reste flou sur son autocontrôle évalué entre 1.5 % et 2.5 % du capital. Début mars 2002, JMM s’attelle à la présentation des résultats annuels de l’exercice 2001 : le groupe affiche une perte nette de 13.6 milliards d’euros résultant d’amortissements des survaleurs d’un montant exceptionnel de 15.7 milliards d’euros, 26 Cf. Glossaire. Cf. Glossaire. 28 Comptabilisation en US Gaap des actions détenues en propre (autocontrôle) : Si une entreprise acquiert ses propres actions, le coût de ces actions doit être généralement pris en déduction des capitaux propres. Les profits ou pertes de cessions d’actions propres doivent être constatés en ajustements des capitaux propres et non en résultat. 27 24 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi dont 6 milliards d’euros pour le seul groupe Canal + ou 10,4 milliards d’euros de dépréciations d’actifs constatées pour la télévision et les médias en 2001. La filiale est elle-même entraînée à des pertes par sa filiale italienne Telepiu qui y contribue à 70 %. Par ailleurs, Vivendi vient d’augmenter sa participation indirecte (par l’intermédiaire de Canal +) de 36.52 % à 63.93 % au sein de Multithématiques (édition de chaînes thématiques sous le nom CanalSatellite) et exerce ainsi un contrôle conjoint avec le groupe Lagardère (24.7 % d’actions détenues). En 2001, les actionnaires s’étaient partagés 1.6 milliard d’euros de bénéfices courant après impôts en retraitant les intérêts minoritaires et les participations non consolidées, ce qui donnait un résultat courant par action en 2000 de 1.48 euros contre 2.74 euros en 1999. Avec 450 millions de titres créés pour financer la stratégie du groupe qui donnent normalement droit à près de la moitié des bénéfices de VU, malgré cela, les actionnaires ne recevront rien en 2002. Mais comparé aux pertes affichées par ses concurrents, touchés eux aussi par le dégonflement de la bulle Internet, le résultat du groupe de médias et de communication paraît dans les normes du marché même s’il s’agit des pertes les plus élevées enregistrées par un groupe français. Vivendi est le seul groupe à ne pas avoir fait d’avertissement sur résultat (profit warning) en 2001, il annonce une amélioration des résultats nets de 400 millions d’euros pour les exercices suivants car cette opération vérité sur le bilan (amortissements des survaleurs) ne sera pas renouvelée. Toutefois, le bilan du groupe recèlerait 52 milliards d’euros de survaleurs. Maigre consolation, le chiffre d’affaires des activités médias et communication est en hausse de 10 % (28,115 milliards d’euros, Cf. détail Tableau 4 ci-dessous, endettement de la branche de 14.6 milliards d’euros) sur base pro forma (normes comptables françaises) sans tenir compte d’Universal Studios Group Filmed Entertainment, dont la fusion n’est opérationnelle qu’en avril 2002. Le chiffre d’affaires total du groupe est de 57.36 milliards d’euros et les résultats opérationnels sont en hausse de 89 % ce qui est conforme à l’annonce faite au marché selon JMM. L’EBE affiche une hausse de 34 % (5,036 milliards d’euros) et le cash-flow opérationnel est amélioré de 2 milliards d’euros sur un an. Tableau 4 : Branches d’activité en 2001 (hors Vivendi Environnement) Télécommunications (Cegetel, SFR) Musique (Universal Music) Cinéma et parcs d’attractions (Universal Studios) Télévision (Groupe Canal +) Edition (VU Publishing) Internet (Vizzavi…) Chiffre d’affaires en milliards d’euros 7.64 6.56 4.94 4.56 4.29 0.129 Résultat d’exploitation en milliards d’euros 1.33 0.719 0.3 - 0.374 0.479 - 0.290 A l’égard des marchés et des actionnaires, JMM entend jouer la transparence absolue en garantissant des reconsolidations de dettes « afin d’éviter les rumeurs lancées sur le marché permettant aux hedge funds29 de s’en mettre plein les poches en une journée au détriment des actionnaires », selon JMM. Au lendemain de la publication des résultats, le cours30 de l’action Vivendi Universal a continué de chuter (47.51 euros) alors qu’à l’annonce du rapprochement avec Seagram et Canal +, le 15 juin 2000, l’action cotait 99.15 euros, un plongeon de 52 %. La Bourse a davantage amputé la richesse des actionnaires que ne laisse entrevoir l’amortissement anticipé des survaleurs, résultant de fusions réalisées au plus haut de la 29 30 Cf. Glossaire. Cf. Annexe 2. 25 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi bulle spéculative. JMM juge que la Bourse n’est pas cohérente en valorisant les pertes issues d’un amortissement anticipé de goodwills car il ne traduit pas une sortie de cash, ni un surcroît d’endettement. A l’approche de l’Assemblée générale (AG) d’avril 2002, VU entreprend à nouveau l’allègement de sa dette. Le réseau cinéma est à vendre, la participation de 50 % dans United Cinéma International (UCI), un réseau de salles de cinéma détenu à parité avec Paramount Pictures (Viacom), se valorise à 500 millions d’euros. UCI est une coentreprise qui n’est pas consolidée dans les comptes de VU. En avril 2002, JMM finalise la cession du pôle de presse spécialisée - professionnelle et médicale -, opération qui a mis un an à se concrétiser pour moitié moins que le montant espéré. Elle doit contribuer à désendetter le groupe d’1.3 milliard d’euros. Mais VU a octroyé un crédit vendeur de 200 millions d’euros aux acheteurs, le fonds Cinven et apporte un quart du capital (100 millions d’euros) à la structure de Leverage Buy Out (rachat par endettement avec création d’un holding de tête) constituée. Sont également réalisées les cessions dans les télécoms : - Elektrim Telecomunikacja, qui était détenu à 49 % par VU est ainsi vendu à un pool d’investisseurs mené par la banque Citigroup. Une moins-value de 500 millions d’euros est estimée. - Vivendi Telecom Hungary (VTH) est cédé à des fonds d’investissement. VU se maintient toutefois dans Maroc Telecom (35 %) et dans Monaco Telecom qui gagnent de l’argent. En outre, la problématique Vivendi Environnement (VE) ressurgit, elle figure comme une vraie source de désendettement. D’un montant de 15 milliards d’euros, la dette de VE est détenue à 63 % par VU, elle est à ajouter à la dette du conglomérat (14 milliards d’euros en avril 2001). La déconsolidation pourrait passer par la vente de 14 % de VE pour tomber sous les 50 % de participation pour un montant de 1.7 milliard d’euros, heureuse coïncidence, cela correspond au montant estimé nécessaire pour se renforcer dans Cegetel. La filiale de téléphone est très profitable, VU n’en détient que 44 %, il a tout de même décidé de consolider la totalité des résultats de Cegetel dans ses comptes. Les 1.5 milliards d’autofinancement dégagés par la filiale sont ainsi entièrement intégrés aux comptes du groupe, bien qu’il ne puisse en bénéficier. L’autre grande filiale VE (détenue à 63 %) n’est prise en compte que si des bénéfices sont versés à la société mère. Le 24 avril, l’AG se déroule finalement sans incident, les résultats du premier trimestre étant meilleurs que prévu, mais les questions de la dette trop élevée, les pertes de Canal + et la décote des acquisitions taraudent les actionnaires car elles pèsent sur le cours (37.02 euros). Deux résolutions sont rejetées : l’une portant sur l’autorisation de procéder à une augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription et l’autre, sur la mise en place d’un plan de stock-options31 portant sur 5 % du capital. Les engagements liés aux contrats de travail aux USA des créateurs de jeux vidéo par exemple, comprennent dés le départ une partie en options et atteignent la somme de 150 millions d’euros par an. JMM souhaite convoquer une nouvelle AG mais elle s’avère être un processus long et coûteux, il dispose néanmoins d’une réserve représentant 0.7 % du capital (soit 280 millions d’euros) et peut limiter le plan de stock-options à 3 % du capital. A défaut de céder contre du cash des actifs substantiels comme le réclament certains actionnaires, Vivendi réussit enfin à faire placer sur le marché plus de 250 millions de titres BSkyB, soit les derniers titres que la Deutsche Bank et Goldman Sachs portaient depuis septembre 2001. En conséquence, le groupe réduit sa dette de 2.7 milliards d’euros et comptabilisera en 2002 une plus-value de 164 millions d’euros non fiscalisée. 31 Cf. Glossaire. 26 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Le titre VU qui était passé sous la barre des 30 euros regagne 5.23 % (31.41 euros). L’agence Standard & Poors estime que VU s’éloigne du risque de cessation de paiement car il dispose d’une ligne de crédit syndiqué de 3 milliards d’euros. L’opération complexe sur la cession des titres Vivendi Environnement : Le 17 juin 2002, le Conseil d’administration entérine officiellement la cession de 15 % de VE, le groupe accélère ainsi « sa mue de conglomérat en pure valeur média ». Toutefois, JMM anticipe le 12 juin et réitère le montage BSkyB en gageant 12,7 % de VE auprès de la Deutsche Bank par un contrat de pension livrée. L’opération permet d’encaisser immédiatement 1.4 milliards d’euros et VU espère échapper à une majoration de l’impôt sur les plus-values. En effet, pour que la Deutsche Bank puisse restituer comme convenu les titres VU en fin de contrat car elle ne sera plus en mesure, à l’échéance de rendre les titres à VU, le groupe a conclu un contrat de vente à terme, portant sur le même nombre d’actions et au prix du placement soit 27.50 euros. Le contrat de pension livrée sera dénoué le 27 décembre 2002, date importante en matière d’optimisation fiscale étant donné que si le groupe vend ses titres avant le 23 décembre soit moins de trois ans après la création de VE par apport d’actifs, il est contraint de s’acquitter d’un impôt sur la plus-value majoré de 9 %. Le contrat de pension est augmenté à 15.6 % du capital de VE afin de couvrir l’intégralité du placement des titres VE, piloté par la Deutsche Bank, BNP Paribas et la Société Générale, auprès de grands investisseurs internationaux. Le placement des titres VE rencontre un vif succès puisque la demande représente 1.5 fois l’offre de titres et VU en cède 53,78 millions (15.6 % du capital de VE). A 27.50 euros, le Conseil d’Administration de VE n’est pas unanime car le prix d’introduction (34 euros) en Bourse de VE deux ans auparavant, était déjà considéré comme peu élevé. Les analystes jugent le prix, bradé au regard de la valeur d’actif (n°1 en France dans les eaux municipales avec plus de la moitié du marché des concessions soient 8 000 collectivités locales et n°1 mondial en chiffre d’affaires). Mais l’augmentation de capital (1.5 milliard d’euros) à un prix de 26.50 euros de VE prévue début juillet est confortée par la réussite du placement des titres et la participation de VU va descendre à 40.8 %, ce qui satisfait le management de VE souhaitant « sortir au plus vite du giron de VU ». Telepiu, la filiale de Canal +, maillon faible du groupe, est dans le même temps cédé et permet d’engranger du cash. Pour ne pas avoir annoncé le contrat de pension livrée sur les titres VE avant l’avis du Conseil des Marchés Financiers, le marché a été troublé suspectant une grave crise de liquidités et accélérant une dégringolade du titre de la maison mère et de sa filiale. VU a non seulement constaté un gain (1.48 milliard d’euros) de la cession de VE plus faible qu’escompté (1.7 milliard d’euros) contribuant au désendettement du groupe mais a également perdu 8.6 milliards d’euros de capitalisation boursière (cours de l’action VU : 18.75 euros) en deux séances pour une économie d’impôt de 200 millions d’euros (cf. plus haut). VU va malgré cela pouvoir déconsolider la dette de sa filiale de services publics (15 milliards d’euros à fin 2001) et la dette nette va revenir fin 2002 de 35 milliards à 18.5 milliards d’euros. Les analystes financiers sont agacés de la créativité financière de JMM car aucune cession n’est pure et simple. L’opération complexe sur la cession des titres Vinci : Instantanément, VU annonce la cession de 6.1 % (5.22 millions d’actions) du n°1 mondial de la construction Vinci. Une participation jugée illiquide puisque les actions constituent le sous-jacent d’obligations émises par VU en février 2001. Il est interdit en France de vendre le sous-jacent d’obligations car la Commission des Opérations en Bourse impose la mise sous séquestre des titres de créance. La réglementation 27 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Luxembourgeoise est différente sur ce point et le groupe a pris soin de coter les obligations convertibles sur cette place financière. Il faut cependant prévoir un mécanisme de couverture permettant au groupe de livrer les titres à l’échéance des obligations. VU acquiert parallèlement des options d’achat (calls) lui permettant à terme de se porter acquéreur des titres Vinci : si le cours de Vinci dépasse le prix de remboursement des obligations en mars 2006, VU exercera ces calls, si le cours est inférieur, il remboursera les obligations. Pour les analystes, ce type d’opération est un effet d’annonce sur une rentrée de cash et sur la disparition d’un risque de marché. Le placement des actions piloté par Goldman Sachs, rapporte 300 millions d’euros à VU déduction faite des frais d’acquisition d’options d’achat. Le flottant de Vinci passe de 74 % à 80 %. A l’issue de cette cession, l’action VU clôture en hausse de 10.45 % (21,88 euros) alors qu’elle venait tout juste de perdre 10 %, et les volumes représentent 10 % du capital. Le capital est tellement éparpillé qu’il suffit de 10 % pour exercer le pouvoir, l’hypothèse d’un ramassage des actions VU par de nouveaux actionnaires est accrédité. Preuve en est, Vincent Bolloré, spécialiste des coups financiers, a commencé à ramasser le titre en Bourse, il détiendrait 0.5 à 2 % des actions. Quatre jours plus tard, JMM quitte la présidence du groupe, devenu la « bête noire » des marchés financiers après tout cet enchevêtrement d’opérations complexes. Dés le lendemain, les marchés financiers dressent déjà le bilan de l’ère Messier : - des acquisitions sans intérêt stratégique ou déraisonnables pour un groupe au bilan déjà assez tendu, qui ont abouti à une dette colossale de 19 milliards d’euros ; - 36.8 milliards de pertes cumulées en 2001 et 2002 ; - une chute du cours de l’action de 91 % entre son sommet en mars 2000 (150 euros) et le départ de JMM en juillet 2002 (13 euros et - 41 % en deux jours). Le cours s’élevait à 25 euros à son arrivée en 1996. Le cours de Bourse a bien sûr rebondi (+ 5.54 % à 14.67 euros) avec l’annonce du départ de JMM mais les investisseurs redoutent la découverte de mauvaises surprises dans les comptes et appréhendent le démantèlement du groupe. D’autres groupes de médias comme Disney et Viacom ont aussi des actifs très diversifiés. La priorité est de régler les problèmes de trésorerie à court terme et de solder la participation de VE, en l’occurrence, trouver des acheteurs prêts à reprendre l’engagement de conservation des titres pendant 18 mois. Les problèmes de périmètre des activités de VU seront examinées plus tard. JMM reconnaît avoir été confronté à une crise de liquidités à l’été 2002 à cause des « dettes mal réparties, trop concentrées dans le temps, avec de nombreux remboursements fin 2002 et 2003 » qui ont provoqué à l’été 2002 un besoin urgent d’environ deux milliards d’euros. Il donne la liste des décisions qu’il aurait dû prendre au cours des mois précédents pour éviter cette crise : « une gestion différente de notre dette en empruntant plus cher mais à plus long terme », « une cession complète de l’environnement quelques mois plus tôt », « une émission obligataire, même chère », « la décision de ne pas verser un dividende cette année ». De ce qui précède (c’est-à-dire l’incidence des choix stratégiques et financiers du gouvernement Vivendi), recèle un certain nombre de manoeuvres comptables et financières et en découle des conflits d’agence inéluctables. B- La mise en évidence des conflits d’agence 28 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Il s’agit, dans cette sous-partie, d’exposer non de façon exhaustive les aspects du pouvoir discrétionnaire des managers à travers quelques exemples relevés dans l’affaire Vivendi Universal. 1- Les techniques de manipulation observées à l’égard des parties prenantes Nous exposons, dans cette partie, les moyens les plus courants utilisés par les entreprises et leurs dirigeants pour dissimuler la réalité économique qui sont tirés entre autre, des exemples qu’Enron et VU nous ont offert. a- La question de la validité de l’information financière Les techniques de manipulation sont diverses. Certaines interviennent directement au niveau de l’information comptable communiquée à l’extérieur, et d’autres sont reliées aux déclarations faites par l’équipe dirigeante sur la situation de l’entreprise. De plus, puisque pour le besoin de la Bourse, l’exercice comptable est découpé en semestre, les prévisions non régies par les règles comptables peuvent aussi être le moyen d’une communication fallacieuse des perspectives d’avenir. Pour atteindre les 15 % de retour sur fonds propres exigés par les actionnaires, les sociétés cotées ont mécaniquement deux solutions : améliorer leurs marges et/ou changer la règle du jeu et modifier leur bilan, notamment en diminuant leurs fonds propres. Comme la rentabilité sur investissement ne peut raisonnablement et durablement être quatre fois supérieure à la croissance de la valeur ajoutée, les moyens d’y parvenir ne sont pas toujours respectables. Diverses techniques comptables et financières dont disposent les entreprises pour embellir les comptes et améliorer le fameux ratio de Return On Equity32 vont être mises en évidence ici. Où se situe la frontière entre une stratégie habile et justifiée et des actions plus critiquables ? • Le concept de « création de valeur pour l’actionnaire », surtout dans le cadre du gonflement de la bulle des valeurs de haute technologie, mélange les performances réelles des entreprises et le gonflement boursier de leurs titres, purement spéculatif. L’impératif de rendement minimal de 15 % par an imposé par les investisseurs est impossible à tenir sur une longue période… à moins d’utiliser les manipulations et trucages comptables. Par exemple, il est possible de jongler avec les notions de résultat et exprimer les performances33 de l’entreprise non pas selon le critère du retour sur fonds propres (ROE), trop contraignant, mais selon les critères qui arrangent bien plus les dirigeants, comme l’EBITDA34, critère beaucoup plus tolérant puisqu’il s’agit du résultat d’exploitation calculé avant les effets de restructurations financières et des opérations de fusion. Les charges de la dette, les survaleurs et les dépréciations d’actifs en sont exclues. L’EBITDA est censé refléter la rentabilité « structurelle » de l’entreprise, mais il occulte en fait les effets à long terme d’un bilan déséquilibré. Cette utilisation systématique de l’EBITDA est entretenue par les analystes financiers qui, pour juger de la santé économique d’une firme, ne se fient pas au seul résultat net. Car par redondance mais à l’inverse de l’EBITDA, le résultat net inclut des données parfois éloignées de l’activité productive de l’entreprise, comme le résultat 32 Cf. Glossaire (Retour sur fonds propres). Cf. Annexe 3. 34 Cf. Glossaire. 33 29 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi financier (qui intègre les charges d’intérêts versés aux banques, les bénéfices tirés de placements financiers…) ou comme le résultat exceptionnel (qui comptabilise notamment les plus ou moins-values engendrées par la vente d’un morceau de l’entreprise, ou des charges dues à une catastrophe naturelle ou à un plan de restructuration). Il a été ainsi aisé pour les grands groupes de télécommunications de présenter des taux de progression significatifs dans la période récente, alors même qu’ils croulent sous la dette et les charges d’intérêt et qu’ils auraient dû déprécier des acquisitions achetées en pleine bulle financière. En avril 2001, la COB, consciente de ces dérives, souhaitait que les sociétés affichant de la création de valeur en démontrent le calcul (EVA, …). Pour en savoir plus sur la création de valeur, se reporter à la partie « Le concept de création / destruction de valeur et ses indicateurs ». • Les prévisions financières et comptables. En effet, les règles comptables des prévisions sont encore aujourd’hui assez peu courantes. Ainsi, il est plus facile de maquiller ces estimations en omettant d’y faire figurer par exemple des charges liées à la réalisation de ses objectifs. D’autres moyens, concernant les prévisions, peuvent être relatifs à l’exagération des résultats escomptés ou de l’augmentation non fondée des carnets de commande. Même si l’impact est limité à court terme, dans la mesure où à la fin de l’exercice l’entreprise émettra ses comptes selon les principes comptables en vigueur, le cours boursier sera influencé par ces prévisions. • L’amélioration du cours boursier. L’amélioration du cours boursier peut être obtenue de différentes manières. Tout d’abord au niveau des déclarations faites par les responsables de l’entreprise, qui influent sur le cours. Dans le cas de la société Enron, le Chief Executive Officer (CEO35), Ken Lay, présentait régulièrement sa vision sur la société en précisant que la situation était très favorable à la compagnie. Ainsi, les investisseurs comme les salariés, étant rassurés, achetaient plus facilement l’action, ce qui avait pour conséquence d’améliorer le cours. Un autre moyen, aussi employé par Enron, est le ramassage des titres en bourse. Cette technique, puisque le prix de l’action est fonction de la demande et de l’offre, offrait un excellent moyen d’amélioration des cours. Il est important à noter, que dans le cas d’Enron, l’amélioration artificielle du cours de l’action n’avait qu’une seule et unique portée : améliorer la rémunération des dirigeants, fondée sur les stockoptions. • Le rachat d’actions : une pratique courante consiste à faire valider par les actionnaires le rachat éventuel de leurs propres actions par la société, ce qui permet d’utiliser la trésorerie de l’entreprise pour soutenir le cours de la Bourse ou éviter qu’il ne baisse trop. Le but est souvent d’augmenter le bénéfice par action36 : l’annulation des titres rachetés permet de diminuer le nombre des titres, donc d’augmenter mécaniquement le bénéfice par action, les sociétés cherchent à distribuer du cash à leurs actionnaires. Selon Patrick Artus, économiste de la Caisse des dépôts et consignations, ce mécanisme constitue un facteur artificiel d’amélioration de la rentabilité. Il soutient le cours de Bourse et arbitre de façon malthusienne (Malthus préconisait le contrôle des naissances afin d'enrayer la pauvreté) le partage de la plus-value en faveur du capital, au détriment des salaires et de l’investissement. 35 36 Cf. Glossaire. Cf. Glossaire. 30 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Les sociétés cotées en Bourse rachètent leurs propres actions pour d’autres raisons : optimiser la structure financière, éviter la dilution en cas d’attribution de plans de stock-options, se protéger contre une OPA… • L’endettement. Les entreprises sont incitées à s’endetter pour réaliser leurs projets d’investissement, mais pas à renforcer leur capital, le coût de l’endettement étant plus faible que le coût des fonds propres : c’est l’effet de levier financier. Mais dés qu’un choc macroéconomique survient, que le coût du crédit donc de l’endettement devient supérieur à la rentabilité économique des activités financées par de la dette, la situation des entreprises endettées devient insoutenable et elles doivent désinvestir et réduire leurs charges pour alléger le poids réel de la dette : c’est l’effet de massue financier. La décision de s’endetter doit prendre en compte les évolutions économiques. • L’émission de titres hybrides, du type Monthly Income Prefered Share (MIPS) inventé par la banque Goldman Sachs en 1993. En émettant sur le marché ces titres qui sont des emprunts assimilés à des actions, les entreprises s’endettent, déduisent fiscalement les intérêts, tout en gonflant les capitaux propres, ce qui réduit fictivement le ratio d’endettement (capitaux propres/dettes). • Le traitement de la dette. Les groupes cherchent à diminuer voire masquer leurs charges financières. Ils créent des sociétés ad hoc officiellement indépendantes, en réalisant des cessions d’actifs plus ou moins justifiées pour y transférer une partie de la dette. Enron a ainsi crée des centaines de filiales, Air Lib a revendu sa flotte d’avions à une société de leasing qui lui reloue les appareils, France Télécom et Thalès ont revendu des immeubles, tout en restant locataires. Les charges augmentent mais l’endettement est minoré. Le lease-back37 et la defeasance38 sont les opérations en vogue ces dernières années mais elles constituent des cessions artificielles puisque l’entreprise paie des loyers sur l’actif cédé. Les réserves occultes. Les réserves occultes résultent d’une sous-évaluation intentionnelle des postes du bilan. Cette sous-évaluation peut porter sur une minoration de l’actif et une exagération du passif. Elle porte en substance sur la minoration de la valeur des stocks, la surévaluation des amortissements ou la majoration frauduleuse des dettes. • • 37 38 L’amortissement élastique des survaleurs et « réglage » des fonds propres. Les éléments immatériels (marques, parts de marché, brevets, fichiers clients...) ont une valeur subjective et peuvent atteindre des valeurs considérables à inclure évidemment dans les bilans. Ces survaleurs ou goodwills sont étalées dans le temps pour ne pas pénaliser les résultats d’une seule année, sur des durées variant selon les entreprises de dix, vingt ou quarante ans. Le changement de durée et de méthode d’amortissement de certains investissements, par exemple en passant de trois à cinq ans, permet de diminuer les charges (dotations) de dépréciation d’actifs et de réduire subséquemment les fonds propres tout en dégageant immédiatement un meilleur ROE. Depuis le 1er janvier 2002, les entreprises américaines n’amortissent plus le goodwill, mais passent, si nécessaire des provisions pour dépréciation d’actif. Il y aurait eu en 2002 plus de 1000 milliards de dollars de « survaleurs » à déprécier dans les bilans des sociétés américaines. Dans le rapport annuel 2001 de VU, les goodwills totalisent 165.8 % des fonds propres (écarts d’acquisition →102.4 % et autres actifs incorporels → 63.4 %). La valeur moyenne des goodwills des 15 principales sociétés Cf. Glossaire. Cf. Glossaire. 31 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi cotées représentant 40 % des fonds propres du CAC 40 est de 101.6 % des fonds propres (écarts d’acquisition → 65.9 % et autres actifs incorporels → 35.6 %). • Le gonflement des provisions pour risques généraux ou pour restructuration (licenciement, fermeture d’usines, déménagement…). Dans les comptes de fin d’année, il est possible de surestimer le montant de ces provisions pour minorer le résultat imposable d’une part, et d’autre part afin de constituer une cagnotte qui viendra par le jeu des reprises de provisions, conforter les résultats des années suivantes. • La sortie artificielle des stocks. En décembre, l’allègement des stocks est fréquent en livrant les réseaux de distribution. La marchandise est restituée en janvier. Mais au 31 décembre, les stocks sont allégés, le résultat de l’entreprise est dès lors majoré, ce qui rassure les banquiers et qui attirent les investisseurs. Le changement de méthode d’évaluation est également privilégié en fonction de la période d’inflation ou de déflation et permet de réduire la valeur du stock et artificiellement les besoins de financement correspondants. • Le financement des ventes. Cette technique a notamment été utilisée par Motorola et Yahoo. Le principe est simple. Dans un contexte de croissance limitée des ventes et d’une économie en recul, les entreprises se doivent toujours de présenter leurs résultats et leurs estimations de vente. Ainsi, certaines sociétés financent leur client en avançant les fonds nécessaires à l’achat de leur produit. Au final, l’entreprise, usant cette méthode, soutient la croissance des ventes d’une manière artificielle qui de surcroît lui coûte de l’argent. Mais avec la pression exercée par les marchés financiers, ce recours devient monnaie courante et est plus intéressant que de présenter un recul des ventes qui aurait pour conséquence d’influer à la baisse sur le cours de l’action. • La vente fictive. Cette technique est relativement complexe, puisqu’elle met en jeu des sociétés, autres que l’entreprise principale. La méthode repose sur un montage financier qui permet l’arrivée de liquidités au sein de l’entreprise, comme si elle était issue d’une vente réelle. Par exemple, l’entreprise peut avoir recours à un emprunt bancaire par une tierce entreprise. Cet emprunt est ensuite renvoyé à l’entreprise, comme si une vente avait eu lieu. Ensuite, l’argent est renvoyé avec les intérêts à la banque émettrice de l’emprunt. Cette méthode peut aussi intervenir entre différentes entreprises, non reliées entre elles, par le jeu d’alliance ou d’amitié. • La prise en considération d’un chiffre d’affaires incertain. Pour doper les données de l’année en cours, il est possible d’intégrer en dernière minute dans le chiffre d’affaires des commandes qui viennent d’être signées, même si elles restent aléatoires. • L’usage du résultat exceptionnel. Pour assurer la progression du bénéfice net, il est procédé à quelques cessions rapides d’actifs juste avant la clôture de l’exercice, dégageant quelques plus-values bienvenues. • L’échange d’actifs. Se reporter à la partie suivante « La constatation des dérives comptables et financières révélées au sein de Vivendi Universal » : l’acquisition par VU de Houghton Mifflin grâce à la cession du pôle de presse professionnelle et médicale. 32 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi • La cession ou la fusion. Une société peut décider de céder une activité relativement moins rentable que celle de sa maison mère pour se concentrer sur un seul métier qui dégage un meilleur rendement sur fonds propres. C’est ainsi que plusieurs établissements financiers comme la banque britannique Schroders a cédé son activité de conservation de titres, secteur à faible marge, pour se concentrer sur la gestion d’actifs, plus rentable. A terme, le marché de la conservation des titres pourra se concentrer et la structure moins concurrentielle de ce marché permettra de restaurer les marges du nouvel oligopole39. Ces restructurations, externalisations et pressions sur les sous-traitants valorisent la rentabilité du capital, ce qui satisfait les actionnaires, mais comportent nécessairement un coût social important en termes d’emplois ; cela correspond, selon la logique libérale, à une optimisation de la combinaison productive. • Le hors-bilan. Les entreprises cotées connaissent d’une manière de plus en plus courante un financement hors bilan que l’estimateur doit absolument prendre en considération dans sa détermination de la valeur de l’entreprise. Par exemple, les avoirs hors bilan peuvent être des points forts pouvant être valorisés, comme la disposition d'un réseau de distribution propre ou encore comme l'acquisition d'un know-how (savoir-faire) interne spécifique à l’entreprise. Le hors bilan est également un moyen qui permet aux entreprises de masquer certains faits concourant à une diminution de sa valeur. Les engagements financiers pris par la société permettent de diminuer l’endettement apparent car ils ne figurent pas dans les comptes annuels. Exemple : contrats de location signés pour une très longue période, charges de retraite, cautions données à des banques ou des clients ou des associés, plans de stock-options, contrats de pension, positions prises sur le marché des changes ou des dérivés, etc. Les dettes hors bilan pouvant être des dettes futures prévisibles de l'entreprise sont à déduire de la valeur. En effet, les engagements hors-bilan se révèlent très coûteux à court terme et en cas de dénouement défavorable des positions, il y a passation de pertes exceptionnelles. Le détail des risques encourus doit être mentionné dans les annexes des rapports annuels. Le hors-bilan est un espace particulièrement opaque laissé aux entreprises. La non inscription des faits comptables au bilan est aussi à rattacher à la consolidation des comptes. • Les changements de périmètre de consolidation. Les sociétés cotées ne se résument plus seulement à une seule entité. Elles ont des participations dans d’autres sociétés, elles possèdent des filiales… Il s’agit de manière souvent arbitraire d’inclure ou pas, dans le bilan annuel, toutes les sociétés dans lesquelles le groupe détient des intérêts. Comme l’entreprise multiplie les acquisitions et selon les principes comptables, à la clôture de l’exercice comptable, les entreprises doivent consolider leurs comptes, c’est-à-dire intégrer dans la publication des comptes les données des filiales, il faut ainsi reconstituer des bilans comptables rétroactifs, dits pro forma. Cette consolidation40 passe par l’intégration proportionnelle ou globale du résultat des filiales et des charges. Cependant, dans un contexte de multiplication des liens inter-entreprises, les participations sont parfois le moyen adéquat pour dissimuler des dettes ou des charges grevant le résultat global du groupe, par conséquent, les directeurs financiers prennent bien sûr la version de la reconstitution la plus favorable lors des démonstrations : Enron avait ainsi réussi à masquer près de 800 sociétés localisées dans les paradis fiscaux. 39 40 Cf. Glossaire. Cf. Annexe 4. 33 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Les sociétés offshore (ou sociétés ad hoc41) logées dans les paradis fiscaux et non consolidées dans les comptes des groupes sont une parade pour dissimuler les dettes et les pertes ou soustraire une partie des bénéfices pour réaliser des économies d’impôt. Des organismes, tels que les sociétés de clearing, donnent les moyens de mieux dissimuler les pertes. • Les sociétés de clearing. Le principe de base des sociétés de clearing (terme anglais de chambre de compensation) est de permettre des transactions internationales d’argent tout en conservant une trace de celles-ci sans la divulguer. Même si la Communauté Européenne met l’accent sur le contrôle des sociétés de clearing, celles-ci donnent la possibilité aux entreprises de dissimuler des sommes d’argent. De plus, et grâce à la multiplication des groupes (société mère et filiale), les transactions sont en nette augmentation. Ces transactions passant par ces sociétés de clearing sont des outils qui permettent les délits et le maquillage de bilan. Des transactions peuvent ainsi avoir lieu sans qu’elles n’apparaissent dans la comptabilité des entreprises, et sont répertoriées sur des comptes non publiés. Par exemple, les entreprises peuvent utiliser les sociétés de clearing pour masquer des bénéfices en investissant sur des comptes non publiés ou en créant des pertes volontaires sur des opérations de fausses spéculations, pour effectuer des montages financiers de contrôle, pour détourner des fonds… L’exemple d’Enron illustre bien, le problème auquel se heurte tout investisseur ou toute partie prenante et contre lequel tente de lutter les autorités qui en sont responsables, qui est le problème de l’information comptable et par conséquent la fiabilité de l’analyse de la société qui en est faite. Aucune société ne peut continuer à créer de la valeur sans que règne la confiance en la validité des informations sur lesquelles sont fondées les décisions collectives. Ainsi la transparence des informations financières constitue la condition d’efficience des marchés financiers. Or, sous l’ère post-Enron, plus près de nous, le groupe VU a employé quasiment toutes les techniques de manipulation recensées précédemment. Nous n’allons pas toutes les passer en revue puisqu’à travers le « Le récit de la politique financière inhérente à la stratégie de Vivendi Universal », nous avons pu nous apercevoir par une lecture attentive que certaines manipulations étaient flagrantes tandis que d’autres n’ont pas encore été révélées mais sèment le doute. b- La constatation des dérives comptables et financières révélées au sein de Vivendi Universal Pour soutenir son expansion, le groupe VU n’a négligé aucun moyen : endettement, augmentations de capital, utilisation de l’autocontrôle. En 2000, VU ne comptait aucune dette, à la suite du transfert des engagements financiers du groupe à sa filiale VE, il affiche début mars 2002, un endettement de 14.6 milliards d’euros. Dans le même temps, le nombre d’actions est passé de 450 millions à plus de 1.1 milliard. Poids des rumeurs, quête de transparence et rôle des agences, Vivendi illustre les ratés d’une communication financière inadaptée aux nouvelles exigences des investisseurs. 41 Cf. Glossaire. 34 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Du débarquement fracassant du PDG à la crise de liquidité évitée de justesse, en passant par les perquisitions de la brigade financière, l’ampleur du désastre boursier (chute du cours de - 75 % en un an) est à la mesure du fossé qui s’est creusé entre VU et le marché. La saga VU, c’est la dénonciation du culte de l’« EBITDA » et l’émergence des « write-off », ces charges pour dépréciation d’actifs, du « hors bilan », ces engagements de dettes plus ou moins « cachés ». Au-delà des erreurs de stratégie ou de management, l’histoire est révélatrice d’une communication financière, qui sous prétexte de plaire aux marchés aura produit l’effet inverse. Le déclenchement des hostilités s’est produit début janvier 2001 suite à la vente de 5.5 % des actions d’autocontrôle. Elle prend par surprise les opérateurs à peine rentrés, alors que le cours cote au plus haut depuis des mois. Un coup de massue que beaucoup de gérants ne pardonneront pas à JMM. Sur des marchés saisis par une Enronite galopante et pleins de rumeurs, VU, aux contours flous du fait de sa métamorphose éclaire mais inachevée de conglomérat en groupe de médias aux activités multiples, devient la cible privilégiée de fonds d’arbitrages spéculatifs en l’occurrence les « hedge funds ». Début 2002, JMM déclare que « le groupe va mieux que bien » alors qu’il essuie des pertes colossales suite à un « write-off ». Le PDG prétend mener une « opération vérité » sur les comptes mais ne dévoile bilan et tableau de trésorerie que juste avant l’Assemblée Générale des actionnaires en avril 2002. Lors de cette confrontation JMM parvient à reconquérir les actionnaires en annonçant qu’il va réinvestir son bonus en actions VU mais aussitôt après, il crie au piratage du vote et décrète l’annulation de l’AG. Les agences de notation ont longtemps été compréhensives à l’égard de JMM qui assurait que les cessions (AOL Europe, BSkyB, VE, etc.) ou la montée dans le capital de Cegetel très rentable, étaient sur le point d’être finalisées pour faire rentrer du cash. Or malgré les mises en garde début mai 2002, la situation financière de VU est de pire en pire et les agences de notation perdent patience début juillet : la dégradation de la note, reléguant le titre en « junk bonds » (obligations pourries), précipite la crise. Une Information judiciaire a été ouverte par la COB en septembre 2002 pour « publication de faux bilans pour les exercices clos au 31 décembre 2000 et au 31 décembre 2001 » et « diffusion d’informations fausses ou trompeuses sur les perspectives de Vivendi Universal en 2001 et 2002 ». Le rapport d’enquête de la COB comprend 3 parties dont voici quelques extraits ciaprès : I. II. III. Examen critique du schéma de consolidation du groupe VU. L’information financière délivrée par le groupe VU en 2001 et 2002. Les interventions sur le marché du titre VU. (Les personnages cités au cours de ces extraits sont présentés dans la sous-partie suivante « Les dysfonctionnements autour des Conseils d’administration et des Assemblées Générales».) La suspicion sur la méthode de consolidation des filiales Cegetel et Maroc Telecom Le premier extrait concerne Maroc Telecom détenue à 35 % par VU et 65 % par l’Etat marocain. En février 2001, un avenant au pacte d’actionnaire liant VU au Royaume du Maroc est conclu. En vertu de cet avenant, le groupe consolide par intégration globale donc à 100 % cette société. Cette solution ne paraissait pas naturelle en décembre 2000 puisque, dans une note, Gérard Ries [de Cegetel] écrivait que, même en cas de renégociation avec l’Etat marocain « l’investissement resterait consolidé par mise en équivalence ». Néanmoins, une note manuscrite de Guillaume Hannezo [directeur financier de VU] en décembre 2000 fixait énergiquement l’objectif inverse. Il écrivait à 35 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi l’attention de messieurs Messier, De Baucé [ex-diplomate participant pour VU aux négociations avec le Maroc], Germond [patron de Cegetel] et Ries : « Il est absolument essentiel dans la remise de l’offre Maroc Telecom que nous soyons en position de consolider globalement les 700 millions de dollars d’EBITDA correspondants ». La COB décèle dans l’accord conclu « un mécanisme qui évoque une fraude comptable » et s’interroge : « les dispositions sur le gouvernement d’entreprise n’ont pour objet que de procurer un avantage comptable à Vivendi » : un avantage comptable est-il un intérêt économique ? Une transaction peut-elle avoir un avantage comptable comme objet, alors que la comptabilité a pour rôle de traduire une réalité économique ? Ou plutôt ce contrôle contractuel42 de dernière minute a-t-il pour but d’enjoliver le compte de résultat et le bilan de VU ? Le gendarme de la Bourse a fait appel à un commissaire aux comptes, expert auprès de la Cour de Cassation. L’expert a retraité les comptes de VU pour les années 2000, 2001 et 2002, en retenant la méthode de consolidation de Cegetel et de Maroc Telecom que la COB estime devoir appliquer : intégration proportionnelle de 35 % de Maroc Telecom et de 44 % de Cegetel au lieu de 100 % de ces deux filiales riches en cash-flow. Il résulte que la physionomie des comptes est totalement transformée, « VU, consolidé différemment n’est pas le même groupe en plus petit, c’est un autre groupe dont la rentabilité affichée est beaucoup plus faible ». Dans les plaquettes de VU, il était indiqué que la trésorerie de Cegetel, figurait dans l’exercice du groupe alors que quelques pages plus loin, c’était le contraire. La consolidation a permis de masquer le manque de liquidités du groupe qui était déjà en dépôt de bilan. Les signaux d’alarme adressés à JMM par son entourage L’autorité boursière s’est livrée à une reconstitution de la vie de l’entreprise en 2001 et 2002 : examen des notes officielles ou confidentielles, courriers électroniques personnels ou de services, etc. Dés le début 2001, il y a les notes à répétition qui alertent le PDG sur le niveau d’endettement du groupe et sur l’urgence de réaliser des cessions avant toute nouvelle acquisition. Extraits : « Dominique Gibert adressait un courrier électronique à sa hiérarchie (JMM et Guillaume Hannezo) en septembre 2001 annonçant : « Indépendamment des 8 milliards de dollars de crédits-relais qu’il faudrait financer avant fin novembre si jamais la transaction avec Diageo (groupe britannique de spiritueux) n’allait pas dans la bonne direction, nos prévisions de trésorerie font apparaître un besoin supplémentaire de 1.3 milliard de dollars […], c’est donc au total environ 9 milliards qu’il faudrait trouver dans les deux mois qui viennent. […] Si lundi prochain le risque de dérapage du closing43 des beverages (les cessions des spiritueux de Seagram) se confirmait, je ne vois guère qu’une cession rapide d’un actif significatif permettant de dégager au moins 3 milliards de cash (type BskyB), venant soulager l’effort des banques, pour nous permettre de renégocier en confiance avec ces dernières (et nos agences de rating), sinon nous risquons de nous heurter à des refus catégoriques de renouvellement de certaines banques, avec des conséquences en chaîne par le biais de cross-default44 ». D. Gibert confirme que ces notes exprimaient l’inquiétude sur la conjoncture financière extrêmement mauvaise qui s’ajoutait à une situation de trésorerie difficile. Les négociations en cours sur le rachat d’Echostar ne devaient pas être la priorité selon lui. 42 Cf. Annexe 4. Cf. Glossaire. 44 Cf. Glossaire. 43 36 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi En dépit de ces mises en garde, VU annonce en décembre 2001, la réalisation de l’investissement dans Echostar. Trois jours plus tard, c’est une opération de 10.5 milliards qui est annoncée sur les actifs « entertainment » de USA Network. Mais en l’espèce, il ne peut y avoir de poursuites pénales pour ces opérations de par la connivence du fonctionnement du Conseil d’Administration de VU qui a soutenu un développement manifestement hors de moyens du groupe. Comment le marché a été informé de la situation financière de VU ? Extrait : la COB a recherché les raisons pour lesquelles une convention de prêt de Cegetel à VU, dont le montant a atteint environ 1 milliard d’euros, n’a pas été soumise aux actionnaires : « Révéler l’existence de cette convention et ses modalités lors de l’Assemblée générale aurait nécessairement amené les dirigeants de VU à révéler l’existence d’un pacte d’actionnaires, pouvant conduire à une remise en cause du mode de consolidation, mais également à révéler que VU n’avait pas accès aux flux de trésorerie de Cegetel […]. En réalité, les dirigeants du groupe n’ont cessé d’éviter de montrer publiquement une réalité qui apparaissait en interne : l’absence d’accès aux cash-flows de Cegetel rendait impossible le remboursement de la dette du groupe. » La mise en cause des commissaires aux comptes Le rapporteur de la COB attire l’attention sur un point : les commissaires aux comptes. Les auditeurs de VU, membres des cabinets Salustro Reydel et l’ex-Arthur Andersen seraient en l’occurrence mis en cause. Les commissaires aux comptes n’ont semble-t-il engagé aucune action véritable pour éviter cette situation, l’information financière de VU n’a pas été exacte et sincère. « De façon constante, ils ont validé les choix comptables agressifs, n’hésitant pas dans leurs travaux écrits à s’appuyer sur des apparences juridiques […] dont ils étaient bien placés pour connaître les limites pour justifier les positions favorables à la stratégie du groupe. La qualité de leurs diligences et la réalité de leur indépendance à l’égard des dirigeants sont à examiner au regard des normes professionnelles. » En automne 2001, le chef de la doctrine du cabinet d’audit Salustro-Reydel, M. Paper chargé de dire, en cas de problème, quelles sont les pratiques comptables conformes aux règles, et le fondateur de la société M. Salustro alertent la COB sur les arrangements ou les enjolivements comptables. Dans un premier temps, la COB leur donne raison puis s’en désintéresse. Par ailleurs, les commissaires aux comptes de VU Salustro-Reydel et Andersen - se posent la question à savoir si la cession de la participation de BskyB est une vente ou une opération de prêt avec nantissement45 de titres. La réunion avec la COB est décisive pour l’avenir de VU car si l’opération est considérée comme un prêt, elle ôte 1.5 milliard d’euros de plus-values au résultat. Andersen soutient le montage imaginé par VU : la participation doit être déconsolidée. Or, M. Paper (Salustro-Reydel) estime que selon les normes comptables françaises, l’opération doit être intégrée aux comptes. Les autorités de la COB donnent raison à M. Paper. Le directeur financier adjoint de VU, M. Gibert adresse un courrier électronique à M. Cattenoz, auditeur chez Salustro-Reydel qui valide depuis de nombreuses années les comptes de VU : « Je suis furieux d’apprendre en relisant le mémo de la COB que ces derniers ont reçu un avis de M. Paper. (…) Je souhaite donc (…) que tu m’indiques la suite que le cabinet entend prendre pour éviter à l’avenir ce type de problèmes (…) ». M. Hannezo, directeur financier de VU, envoie à son tour un courrier électronique au même destinataire : « Il y a un vrai problème de fonctionnement au cabinet Salustro et j’espère qu’il y sera remédié ». JMM écrit en personne à la direction du cabinet : « Je suis extrêmement choqué d’apprendre tout cela, et cela me pose un vrai problème d’éthique 45 Cf. Glossaire (Pension livrée). 37 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi dans le professionnalisme du cabinet Salustro ». Salustro-Reydel réalise 20 % de son chiffre d’affaires avec VU. Le président du Directoire, M. Reydel répond à JMM et à M. Hannezo : « Faisant suite à votre mail (…), nous tenons à vous exprimer nos regrets sur les incidents provoqués par l’un de nos associés. (…) Le Directoire a décidé à l’unanimité de suspendre M. Paper de sa fonction de directeur de la doctrine, avec effet immédiat ». Le président de la COB, M. Prada, ordonne à M. Reydel, d’annuler la sanction prise contre M. Paper, qui selon la COB, « s’est manifesté avec beaucoup de compétences ». L’opération est effectivement un prêt dont le cédant des titres BskyB (VU) en garde le contrôle, l'opération doit être comptabilisée comme une opération de financement par le cédant, il n’y a donc pas à procéder à une déconsolidation. La crise très sérieuse au sein du cabinet Salustro entre les membres qui ont dénoncé les dérives et ceux qui les ont organisées, dure jusqu’en juillet 2003 soit presque deux ans après son déclenchement. La COB ne souhaite pas s’en impliquer davantage. A la fin de l’été 2002, la Compagnie des Commissaires aux Comptes nomme un médiateur (M. Blanc, Ex-PDG d’Air France). M. Cattenoz, commissaire aux comptes très conciliant avec les directeurs financiers de VU, est maintenu et chargé d’arrêter les comptes 2002 du groupe. Le principe de rotation des commissaires aux comptes, préconisé par la COB, est repoussé à 2003. En mars 2003, suite à la plainte du clan Salustro (dont M. Paper et deux autres auditeurs qui ont également dénoncé les dérives de VU) contre la décision de l’Assemblée générale de Salustro-Reydel de mettre à distance son fondateur et associé M. Salustro, le Tribunal de Commerce de Paris nomme un administrateur judiciaire. Une solution suggère une compensation financière à M. Salustro pour qu’il accepte d’arrêter la procédure, il s’y résout en juillet 2003 et le reste du clan est condamné à quitter le cabinet (M. Paper a récemment créé sa propre société d’audit & conseil). M. Cattenoz continue encore (en août 2004) d’auditer les comptes de VU et M. Reydel est toujours membre du cabinet. Des délits d’initiés ont-ils été commis ? « Il apparaît que messieurs Messier et Hannezo disposaient à la fin de l’année 2001 d’une somme d’informations négatives sur la situation financière de VU, non connues du public, dont certaines étaient susceptibles d’avoir un effet sur le cours du titre. Ce fait pouvait justifier un devoir d’abstention d’intervention sur le titre VU. » Or tout deux sont intervenus sur le marché du titre en décembre 2001 en levant des options. Mais la COB se borne à observer que JMM a vendu des titres « pour rembourser un emprunt lié à l’acquisition et procéder à une levée d’options ». Il a ainsi augmenté son exposition en action VU. En revanche, pour Mr Hannezo, « sa levée d’options suivie de la vente à terme lui a permis de sécuriser un gain de 1.39 million d’euros ». Pour les défenseurs, « la preuve qu’il n’y a pas information privilégiée, c’est que les deux dirigeants en ont tiré des comportements différents quant à leurs interventions sur le titre. » Les rachats d’actions abusifs Les rachats d’actions massifs (27 millions de titres), procédés après le 11 septembre 2001 tandis que les marchés dégringolaient, n’ont pas respecté les procédures fixées par la COB car ils sont intervenus pendant les quinze jours précédant la publication des résultats et en clôture de séance. De plus, les volumes échangés ont été considérables le jour de la publication des comptes, le 25 septembre : la limite autorisée a été dépassée, le règlement 90-04 de la COB l’interdit formellement. VU, par l’intermédiaire de la Deutsche Bank, a manipulé le cours de son action. Le chef de la salle des marchés qualifie à l’époque ces opérations de « clairement illégal », il aurait soi-disant tenté de prévenir Vivendi. Le déontologue (chargé du respect du code de bonne conduite) de la Deutsche Bank prescrit de ne plus suivre les ordres de Vivendi. 38 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi La COB fut parfaitement au courant de la manœuvre et a laissé faire. Guillaume Hannezo a sollicité un camarade de l’inspection des finances qui lui aurait expliqué que le rachat d’action était autorisé avant la publication des comptes, si VU et VE avaient déjà communiqué partiellement leurs résultats. La pratique est autorisée par l’AMF (nouveau nom de la COB et du CMF), sous certaines conditions, pour éviter que les entreprises ne manipulent leur cours : ne pas procéder dans les quinze jours précédant la publication des cours, ne pas acheter à l’ouverture ou à la clôture de la séance, ne pas dépasser un volume maximal de 25 % de la moyenne des transactions quotidiennes constatées sur une période de référence de trois jours. Un échange d’actifs Lorsque VU a acquis l’éditeur américain d’ouvrages scolaires Houghton Mifflin, l’opération devait être financée par la cession du pôle de presse professionnelle. Il s’agit purement et simplement d’un échange d’actifs qui consiste à troquer une activité contre une autre en recherchant un accroissement instantané de la rentabilité des capitaux propres46. C’est un « swap d’actifs » dont l’intérêt financier est immédiat pour VU dans la mesure où Houghton Mifflin a une rentabilité opérationnelle et un rendement des capitaux employés bien supérieurs à ceux du pôle professionnel. Les engagements hors-bilan pris par VU JMM avait dissimulé dans le hors-bilan de VU des engagements (Club Med, Belgacom, AOL, BSkyB, VE, etc.) importants dont les montants n’ont pas été révélés en totalité : pour déceler ces engagements hors-bilan, se reporter à la partie « Le récit de la politique financière inhérente à la stratégie de Vivendi Universal ». Les Aller/Retour47 (intraday) de JMM, un rapport annuel arrangé, et le reste… JMM affirmait dans le rapport annuel 2001 détenir 592 810 actions, avant d’avouer en avril 2003 qu’il y a eu une erreur dans le rapport et qu’il n’en possédait que 333 243 à la fin décembre 2001, ces titres ayant été vendus alors que le groupe négociait dans le même temps la vente de son autocontrôle. L’erreur provient de BNP Paribas, qui gère les titres pour VU. Plusieurs opérations financières ont été faites fin décembre 2001 (Cf. « Le récit de la politique financière inhérente à la stratégie de Vivendi Universal ») et l’établissement n’a transmis ces informations qu’en janvier 2002. Michel Pébereau (ex-Pdg de BNP-Paribas) et la brigade financière de Paris détaillent précisément ces opérations : le 21 décembre 2001, JMM cède 150 000 titres pour 9 millions d’euros, qui permettent de rembourser l’emprunt de 5 millions d’euros qui a servi à les financer (plusvalue de 4 millions d’euros). Le 26 décembre, il lève 106 000 stock-options et achète 182 859 titres VU et les revend le jour même, il revend 106 000 actions le lendemain, avec un bénéfice de plus de 4 millions d’euros à nouveau qu’il omettra de mentionner. Le même jour et le lendemain, il a levé 333 000 nouvelles stock-options, en les finançant avec l’argent dégagé par les ventes précédentes et avec un nouveau prêt de 5.2 millions d’euros accordé à titre personnel par la Société Générale Private Banking. Selon son avocat, ces achats et ventes simultanés s’expliquent par le souci de payer moins d’impôts. La date des opérations concerne l’exercice 2001, le rapport annuel n’est donc pas crédible. Pour appuyer cette affirmation, l’avocat de l’Appac48 s’est rendu au greffe du Tribunal de Commerce pour consulter les comptes combinés, il manque 60 pages, le passage relatif aux comptes sociaux et au rapport des commissaires aux comptes a été remplacé. Un document relatif aux anomalies constatées sur certaines opérations 46 Cf. Glossaire. Cf. Glossaire. 48 Association des petits porteurs actifs. 47 39 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi financières a été inséré à la place, ce passage n’a jamais été présenté en Assemblée générale. JMM a continué à acquérir des titres VU pour 1.5 millions d’euros, notamment en août 2002 après son limogeage, faisant confiance à M. Fourtou (nouveau PDG de VU) pour redresser le groupe. En avril 2003, il prétend détenir 410 360 titres, au cours de la période, cela représente 5.4 millions d’euros, soit le montant du prêt à rembourser. Il y a aussi le contrat qui lie Canal + à six clubs de football, qui contre 250 millions d’euros sur sept ans promettait à la chaîne des images dont ils n’avaient pas la propriété. Une filiale américaine de VE aurait gonflé son chiffre d’affaires. Ces révélations nous laissent pantois sur les pratiques du management de VU et sur la connivence de l’environnement (banques, contrôleurs, autorité de tutelle, etc.). Nous pouvons nous poser la question si des conciliabules ou des tractations voire des conflits d’intérêt ont eu lieu entre les propriétaires actionnaires et les organes de décisions. 2- Les dysfonctionnements autour des Conseils d’administration et des Assemblées Générales L’actionnariat et les principaux protagonistes directement ou indirectement impliqués dans le scandale VU n’ont pas été présentés jusqu’à maintenant, faisons un tour d’horizon de ceux-ci. a- La composition du capital en 2002 et les principaux acteurs liés au gouvernement de Vivendi Universal Actionnariat 2002 Au 24 janvier 2002, le capital de la société est composé de 1 087 699 061 actions détenues par plus d’un million d’actionnaires. Le nombre de droits de vote correspondant, compte tenu des actions auto-détenues s’élève à 1 049 108 474. Les principaux actionnaires nominatifs à la connaissance du Conseil d’administration ou ayant adressé une déclaration à Vivendi Universal sont : Tableau 5 : Actionnaires Autres actionnaires Groupe PHILIPS Salariés (épargne salariale) Famille Bronfman BNP PARIBAS SOCIETE GENERALE Groupe CANAL + Compagnie de SAINT GOBAIN Groupe Seydoux Groupe AXA Autodétention Autocontrôle Guillaume Hannezo Directeur financier Dominique Gibert Directeur financier adjoint % du capital au 24/01/2002 % des droits de vote 80.28 84.31 3.52 3.71 2.12 2.23 5.29 5.59 0.36 0.38 1.31 1.38 0.17 0 1.13 1.19 0.62 0.65 0.53 0.56 0.09 0 4.58 0 Jean-Marie Messier PDG du groupe VU 40 Jean-René Fourtou (Vice-président du groupe pharmaceutique Aventis) PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Eric Licoys Directeur général du groupe Jacques Espinasse (nouveau Directeur financier de VU) Pierre Lescure PDG de Canal + limogé à l’issue de l’AG d’avril 2002 et remplacé Xavier Couture venant de TF1 Denis Olivennes Directeur général de Canal + et membre du comité exécutif de VU, démissionnaire en avril 2002 Philippe Germond Président de Cegetel Agnès Touraine Présidente de VU Publishing Henri Proglio (Tous deux promus PDG de VivendiDirecteurs généraux délégués au côté d’Eric Environnement Licoys en avril 2002) Barry Diller Directeur des activités américaines de VU dans le cinéma et la télévision Anciens et nouveaux Administrateurs Bernard Arnault (LVMH) ; Henri Lachmann (Schneider) ; Serge Tchuruk (Alcatel) ; Jean-Marc Espalioux (Accor) ; Marc Viénot (Président d’honneur de la Société Générale) ; Philippe ForielDestezet (Adecco) ; Gérard Kleisterlee (PDG de Philips) ; Jacques Friedman (ancien président de l’UAP) ; Claude Bébéar (Président du Conseil de surveillance d’Axa) ; Edgar Bronfman Jr (Ancien Vice-président de VU), l'avocat M. Mintzberg, représentant d’une des branches de la famille Bronfman dont Charles le père ancien actionnaire du canadien Seagram-Univeral) ; Richard H. Brown (PDG d’Electronic Data Systems) ; Dominique Hoenn (Directeur général de BNP Paribas) remplace Bernard Arnault ; Jean-Louis Beffa : PDG de Saint-Gobain, entreprise actionnaire. b- La matérialisation des conflits d’agence La rémunération de JMM JMM apparaît comme trop payé en comparaison des performances, sa rémunération s’élève à 5 248 936 euros en 2001 (+ 23 % par rapport à 2000) dont 125 000 euros de jetons de présence. La progression de celle-ci, son alignement sur des normes hollywoodiennes, la part de son bonus et le mode de fixation sont un concentré des critiques adressées à VU par les actionnaires. Entre 2000 et 2002, il y a eu une inflation des fortes rémunérations. La première raison est l’explosion de la partie variable c’est à dire les stock-options, la seconde est le rapprochement des salaires des grands patrons français de ceux de leurs homologues américains. Cette seconde raison entraîne une déconnexion entre évolution du salaire de JMM et celle des comptes de l’entreprise mais aux Etats-Unis, les PDG remboursent une partie de leur salaire en cas de mauvaises performances. Après la fusion avec Universal, les références françaises en vigueur à Vivendi ont été abandonnées au profit de critères américains. A cette époque, le milliardaire et premier actionnaire Edgar Bronfman Sr. a d’ailleurs remplacé à la tête du comité des rémunérations Jean-Louis Beffa, président de Saint Gobain, administrateur le plus ancien. Et le verrou mis par ce dernier à certains excès, avec un plafonnement du bonus du PDG à deux fois son salaire fixe, a immédiatement sauté. Malgré la présence d’un comité de rémunération dont nous pouvons douter de son indépendance, JMM a procédé à des changements constants de mode calcul de son bonus, en 2001, il était calé sur la progression de l’EBITDA, un indicateur qui lui a assuré une prime maximale ; en 2002, la rémunération de JMM est si décriée que la direction décide que son bonus sera finalement assis sur le désendettement de l’entreprise, l’endettement s’accroît malheureusement. 41 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi L’abus de biens sociaux d’Edgar Bronfman Jr Après avoir apporté Seagram, fusionné avec Vivendi, puis en être devenu le premier actionnaire, la famille Bronfman avait des arguments pour accepter le départ d’Edgar Jr, vice-président de VU. Le détail est impressionnant : son contrat de cessation d’activité signé fin décembre 2001, prévoit ainsi le versement d’une « somme forfaitaire de 12 millions de dollars et d’un bonus à définir, le remboursement de ses impôts, l’autorisation d’exercer immédiatement ses stock-options, le rajout de trois années d’ancienneté pour sa retraite, le droit d’utiliser l’avion du groupe et la possibilité de bénéficier, jusqu’à fin 2004, d’une protection sociale et d’une assurance-vie pour lui, sa femme et sa fille. Divers avantages en nature octroyés à Edgar Bronfman Jr sont pris en charge par VU : les frais d’« outplacement » (reclassement), un contrat de consultant auprès de VU, le loyer d’un bureau dans Manhattan, le salaire d’une assistante, une voiture de fonction avec chauffeur, la sécurité de la maison de New York, le salaire du chauffeur de son épouse, les frais professionnels, les indemnités de 750 000 dollars pour 2002, 1 million de dollars pour 2003 et un autre pour 2004. Au total, Mr Bronfman Jr a touché 17.1 millions de dollars en 2002. Ce recensement caractérise un abus de biens sociaux selon la justice. La mission de consultant est fictive et tous les accords, qui n’ont pas été validés préalablement, pourraient être qualifiés de « recel » par le Conseil d’administration de VU. Une Assemblée Générale controversée L’Assemblée des actionnaires du 24 avril 2002 s’annonce houleuse : les actionnaires sont mécontents de l’évolution du cours de Bourse (retombé à des niveaux de cours de 1998), les salariés de Canal + n’acceptent pas l’éviction de Pierre Lescure, l’ADAM (Association de Défense des Actionnaires Minoritaires) remet en cause la rémunération de JMM et un énorme plan de stock-options qui doit être soumis au vote des actionnaires, ATTAC (altermondialiste) promet une intervention contre ce groupe qui représente plus que tout un symbole de la mondialisation… et le journal Le Monde a même évoqué quelques jours plus tôt une « conspiration » menée par Claude Bébéar qui viserait à évincer JMM. L’Assemblée Générale (AG) se déroule cependant sans trop d’accrocs, jusqu’au vote des résolutions. Dés l’issue de la première résolution concernant les comptes, les résultats font apparaître un taux d’abstention anormalement élevé (autour de 20 % au lieu des 3 ou 4 % habituels). JMM s’en inquiète auprès du secrétaire général : on lui rétorque que tout est normal. Puis vient le vote du limogeage de Pierre Lescure, l’abstention atteint cette fois 45 %. Deux résolutions sont finalement rejetées : une autorisation d’augmentation de capital et le plan de stock-options. Le deuxième refus met JMM dans l’embarras car il doit honorer les stock-options prévus initialement par contrat. A la fin de l’AG, JMM fait vérifier les votes de l’un des grands actionnaires de VU, Saint Gobain. Et là, stupeur : il s’aperçoit que le représentant de ce groupe s’est constamment abstenu. Le PDG de Saint Gobain Jean louis Beffa dit qu’il n’a jamais donné de telles consignes. JMM décide alors le dépouillement des votes des 30 plus grands associés du groupe, numérotés de 1 à 30 tels que Pathé, Société Générale, Crédit Agricole ou BNP Paribas. Même constat, ils se sont abstenus à des niveaux records. A l’aide de deux huissiers, l’ensemble du matériel électoral est vérifié en détail et ne présente aucune défectuosité. Seule explication plausible, les votes ont été brouillés à distance par quelqu’un se trouvant parmi les actionnaires, au Zénith, ou à proximité de la salle, mais ceci militerait donc pour une véritable « opération » menée depuis longtemps. JMM fait placer les appareils sous scellés, saisit la COB. Quatre actionnaires principaux (St-Gobain, la Société Générale, le Crédit Agricole et BNP Paribas) avec Vivendi Universal ont porté plainte contre X. L’ADAM s’insurge et pose la question : est-ce que le vote va être recommencé jusqu’à ce qu’il soit favorable à JMM ? 42 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Selon JMM, la vérification des votes, exprimés par voie électronique, a fait ressortir des indices convergents d’un dysfonctionnement qui a très vraisemblablement pour origine le piratage des systèmes de vote. L’AG sera finalement reconvoquée au 3 juin mais n’aura jamais lieu puisque l’expertise à la demande du Tribunal de Commerce durera sept mois au lieu des six semaines annoncées. De plus, l’ADAM avait indiqué que ce serait illégal d’annuler la première AG unilatéralement comme le souhaitait le Conseil d’administration. L’expertise a écarté toute action extérieure visant à perturber ou fausser le processus informatisé de l’AG. Elle révèle toutefois les dysfonctionnements du vote électronique. Le vote électronique était organisé avec trois ordinateurs connectés en réseau local et 4 042 boîtiers permettant l’enregistrement des votes. Or il est apparu que 83 actionnaires institutionnels, soit la grande majorité des droits de vote présents, n’ont pas voté, leur boîtier étant resté sur la position A, pour « abstention ». Autre fait hallucinant, la note de bas de page expliquant le fonctionnement des boîtiers de vote distribués aux actionnaires indiquait : « pendant le vote, merci d’éteindre vos téléphones portables ». En vérité, tous les boîtiers n’ont pas été lus par le système Votman. L’antenne, qui scanne les votes à raison de 250 boîtiers par seconde et non 450 comme l’affirmait Multi Média Animation (MMA est contrôlé à 40 % par BNP Paribas), n’a pas pu lire les vote à temps. La vitesse de lecture de l’antenne était insuffisante pour effectuer une deuxième lecture, et enregistrer ceux qui n’avaient pas voté dans les toutes premières secondes du temps de vote. Si le système avait fonctionné, la résolution concernant les stocksoptions n’aurait pas été rejetée car les institutionnels avaient voté pour. Par ailleurs, il est apparu que le vote de la résolution entérinant la révocation de Pierre Lescure a été relancé lors de l’AG, sans aucun motif donné et au mépris du droit qui veut qu’un vote soit définitif. Enfin, autre anomalie, le système de MMA relisait les abstentions, et non les votes positifs ou négatifs, un système conçu pour que les abstentionnistes puissent se repentir. Le système de vote mis en cause est utilisé par d'autres sociétés cotées, et non des moindres. Cette affaire révèle l’indigence des procédures de vote électronique et l’insuffisance de tests à bonne échelle mais aussi le fonctionnement même des Assemblées où l’on passe cinq heures à contempler des projections, et seulement onze minutes pour voter une vingtaine de résolutions. A noter que les règles en matière de validité des Assemblées générales dépendent de la loi et non de règlements COB, tout conflit doit être arbitré par la justice. L’affaire des indemnités de JMM met le monde patronal en ébullition Tout commence en mars 2002 après les révélations des pertes records de VU pour 2001. A l’Élysée, à cause de ses relations avec Édouard Balladur, mais également avec Lionel Jospin, JMM est dans le collimateur de Jacques Chirac et de Jérôme Monod, l’ancien PDG de Suez Lyonnaise des eaux et conseiller du Président de la République, qui est également l’un des maîtres à penser du capitalisme français. Et Vivendi Universal est de plus en plus à la merci d’une OPA hostile américaine. Mandatés par l’Élysée, qui ne tient pas à porter la responsabilité d’une éventuelle mainmise américaine sur la distribution de l’eau (Vivendi Environnement) ou Canal Plus, M. Monod et M. Bébéar cherchent une solution française pour Vivendi Universal. M. Bébéar, que l’on qualifie de « parrain des affaires » et qui agit toujours en coulisses, redoute ouvertement (publiquement) que VU soit un nouvel Enron et que la déconfiture du groupe entache la réputation de la place de Paris. Il déclare : « Si les administrateurs français ne sont pas capables de faire le ménage dans une entreprise, ce sont les américains qui le feront, imposant leurs hommes et leurs règles. » Lors de l’Assemblée générale du 24 avril, JMM est contraint de donner la priorité à la gestion et à la croissance interne. Il nomme Agnès Touraine et Philippe Germond comme directeurs généraux délégués au côté d’Eric Licoys. 43 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Le 29 mai 2002 à New York, deux administrateurs américains du groupe - l'avocat M. Mintzberg, représentant au Conseil d’administration de VU d’une des branches de la famille Bronfman (car le fils est également administrateur), et Richard H. Brown – désavouent publiquement JMM et lui flanque un comité spécial chargé de mettre en œuvre le programme de désendettement. Ce comité est composé de deux administrateurs M. Viénot et M. Bronfman Jr. Après la démission de Bernard Arnault (patron de LVMH) du Conseil d’administration de VU (aussitôt remplacé par Dominique Hoenn, directeur général de BNP Paribas), le 25 juin 2002, les administrateurs de VU renouvellent leur confiance à JMM par 9 voix contre 5. Cette décision reflète la division transatlantique du Conseil : les français craignent que la famille Bronfman, ancienne propriétaire d’Universal et principal actionnaire du groupe avec plus de 5 % du capital, n’impose un PDG américain en l’occurrence le retour de l’ex Vice-président de VU, M. Bronfman Jr. La famille Bronfman, qui a vu fondre la valeur de ses 5,2 % dans VU de 3,4 milliards d’euros à moins d’1 milliard d’euros la semaine précédente, menace d’ailleurs de convoquer une Assemblée générale pour destituer le PDG et engager des poursuites contre les autres administrateurs. Le 28 juin 2002, les deux parties se mettent d’accord pour remplacer JMM par un autre français, M. Bébéar place son poulain Jean-René Fourtou. Les administrateurs français sont opposés à une procédure brutale d’éviction car ce n’est pas dans les traditions du capitalisme français. Le groupe est au bord de la faillite et JMM est le seul à pouvoir convoquer un Conseil avant le 25 septembre 2002. Dés lors, le Conseil d’administration envoie messieurs Friedman et Lachmann (surnommé par JMM « le petit messager » de Bébéar) en mission pour demander à JMM de démissionner. JMM propose la nomination à la présidence d’Agnès Touraine, l’un de ses bras droits, lui-même gardant une présidence déléguée mais il n’est plus en mesure d’imposer quoi que ce soit. JMM se résout alors à accepter de convoquer un Conseil d’administration, à condition au préalable de négocier les termes de son départ avec messieurs Bronfman et Viénot, tous deux représentants des deux clans respectifs USA et France et également présidents des comités de rémunération et de gouvernance d’entreprise. Lors des entrevues, JMM exige, par contrat de cessation d’activité (« termination agreement »), un golden parachute d’au moins 20 millions de dollars, c’est exactement la somme obtenue par Edgar Bronfman Jr lors de sa démission hors bonus et solde pour éponger ses dettes. JMM écrivait pourtant dans son livre en 2000 : « Mon contrat ne prévoit aucune clause de ce genre (parachute doré). Et je m’engage vis-à-vis de mon Conseil d’administration, à ne jamais en négocier » ! Les parties se mettent d’accord pour 20,55 millions d’euros d’indemnités, M. Viénot signe avec M. Bronfman, un papier annexé au « termination agreement » (accord définitif). M. Licoys est délégué par les administrateurs pour signer le texte définitif. M.Viénot, le plus fervent défenseur des indemnités de JMM et connu pour ses rapport sur la moralisation de la gouvernance d’entreprise en 1995 et 1999, justifie le montant élevé par le fait qu’il s’agit du secteur de la communication. Il déclarera par la suite que JMM procédait au chantage pour accepter de quitter la présidence, M. Viénot a agit ainsi pour sortir VU au plus tôt des mains de JMM. L’accord est inscrit à l’ordre du jour du Conseil d’administration du 3 juillet 2002 ou plutôt « l’accord est accessible pour consultation par les membres du Conseil ». M. Fourtou est nommé à la tête de VU et créé immédiatement deux comités spécialisés : un comité financier et un comité stratégique. Le Conseil nomme également deux nouveaux administrateurs : Claude Bébéar et Gérard Kleisterlee (PDG de Philips et célèbre comme Serge Tchuruk pour ses fermetures d’usines). La « termination agreement » ne sera finalement pas débattue car les administrateurs qui l’ont négociée pensent qu’elle ne va pas être approuvée car les actionnaires et les salariés ont perdu 80 % de leur capital, il y a un risque d’abus de biens sociaux. La décision de M. Fourtou, informé sur la compensation accordée à JMM, est de reporter la discussion sur les indemnités à verser. En définitive, selon le procès-verbal de ce 44 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi Conseil, les administrateurs autoriseront JMM à conserver la partie fixe de sa rémunération, sa couverture sociale et ses régimes d’assurances étendus à sa famille et son appartement de New York jusqu’au 31 décembre 2002, ou jusqu’à ce qu’un accord sur les conditions de son départ ait été finalisé et formellement approuvé par le Conseil. Durant l’été, la COB lance son enquête sur VU, pendant que certains administrateurs envisagent qu’une partie des indemnités soit discrètement payée par le biais des filiales américaines du groupe mais M. Bébéar s’y oppose, il bloque même à la banque un virement de près de deux millions d’euros de VU à JMM correspondant à son bonus du premier semestre 2002, signé par M. Espinasse sur instruction de M. Fourtou. Par la suite, le Conseil d’administration rechigne à évoquer les indemnités, tout du moins refuse de signer la convention, même lors du Conseil du 25 septembre 2002 où la décision de porter le différend devant une Cour arbitrale est prise, elle a été demandée par M. Fourtou malgré les oppositions de messieurs Bébéar et Espalioux. Le Conseil autorise d’engager formellement la procédure d’arbitrage. Le protocole d’accord de l’American Arbitration Association, signé devant les avocats des deux parties le 1er novembre 2002 par JMM d’un côté, M. Fourtou et M. Espinasse au nom de VU de l’autre, stipule que : ü les deux parties sont d’accord pour se soumettre à cet arbitrage définitif et contraignant, ü cet accord n’a pas besoin d’être approuvé par le Conseil d’administration, ü aucune des deux parties n’engagera de procédures en France ou aux USA pour contester. Le sujet ne sera plus évoqué au Conseil, ni, malgré les questions des actionnaires minoritaires, aux Assemblées générales. Les commissaires aux comptes, qui pourtant ont assisté au Conseil de septembre 2002, ne mentionneront pas l’accord, malgré les obligations légales, dans les conventions réglementées signées par le groupe. En octobre 2002, l'Association des petits porteurs actifs (Appac) déposent une plainte contre JMM pour abus de biens sociaux auprès du Tribunal de Commerce de Paris. JMM a toujours été généreux avec l’argent des actionnaires, dés 1998, il verse une cinquantaine de millions de francs à M. Dauzier, président d’Havas, dont il vient de prendre le contrôle, entre 20 et 30 millions d’euros pour les départs chez Canal + (Pierre Lescure remplacé par Xavier Couture de TF1, lui-même remplacé par Guillaume de Vergès de TF1). M. Fourtou poursuit la politique de JMM en matière d’indemnisation : selon le rapport annuel 2002, M. Licoys et M. Germond ont perçu environ 2 millions d’euros chacun, M. Hannezo et M. Touraine, deux ans de salaire en moyenne. Le 30 juin 2003, la décision du tribunal d’arbitrage condamne VU à verser l’indemnité de 20.55 millions d’euros à JMM, M. Fourtou, le syndicat Force Ouvrière et les actionnaires minoritaires s’insurgent : « Certes, JMM avait évité la faillite de l’ex-Générale des Eaux ravagée par ses investissements immobiliers mais il l’a ruinée à son tour pour assouvir son ambition d’en faire le deuxième groupe mondial de la communication ». M. Fourtou au nom de VU entend contester la décision par tous les moyens de droit à sa disposition tant en France qu’aux USA mais il a malgré tout signé l’engagement de ne pas contester la sentence. La direction de VU réclame à JMM la restitution de ses salaires et des remboursements de frais perçus aux USA mais elle ne les reverra jamais. Le 2 juillet 2003, les juges arbitres demandent à la Cour suprême de l’Etat de New York de rendre leur avis exécutoire, mais le 9 juillet, la COB sort de son mutisme et obtient la mise sous séquestre des indemnités par le Tribunal de Grande Instance de Paris. Le « gendarme de la Bourse français » justifie son intervention par le fait qu’il est chargé de « veiller à la protection de l’épargne », il souligne que la convention « n’a pas suivi la procédure légale d’autorisation par le Conseil d’administration de VU ». Un juriste spécialisé explique qu’en droit français, il faut l’accord écrit préalable du Conseil d’administration mais en son absence, l’arrangement avec JMM n’est nul que si 45 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi VU prouve qu’il lui a été dommageable. Or, VU a clairement tiré un bénéfice d’image et des avantages économiques (résolution de la crise financière) du départ de JMM. Ce type de contrat n’est contestable qu’aux USA. En juillet 2003, le rapport d’enquête promis par la COB (Cf. « La constatation des dérives comptables et financières révélées au sein de Vivendi Universal ») n’a pas encore commencé à être rédigé un an après, deux rapporteurs seulement sont détachés à plein temps sur le dossier Vivendi pour dépouiller les documents saisis, dont les 80 tonnes envoyées par la SEC49 en février. Le 15 septembre 2003, la Cour suprême de l’Etat de New York confirme la décision du tribunal d’arbitrage, elle relève cependant que « la décision du tribunal arbitral a été rendue un an après l’accord, et qu’aucun vote sur le sujet (convention des indemnités) n’a été soumis au Conseil ou à l’Assemblée générale, entre-temps ». Le 16 septembre 2003, le gendarme américain de la Bourse demande le gel des indemnités de JMM. La SEC a ainsi prié de placer sur un compte bloqué, sujet à une supervision du Tribunal, tout versement extraordinaire que VU pourrait faire à son exPDG, y compris les sommes dont JMM proclame au nom de l‘accord mettant fin à sa collaboration. La SEC s’appuie sur la nouvelle législation anti-fraude pour pouvoir agir ainsi pendant qu’elle mène l’enquête sur d’éventuelles violations de la loi boursière. La COB quant à elle, juge que l’information financière de VU en 2001 et 2002 n’a pas été « exacte, précise et sincère ». Selon JMM, l’information financière était exacte et a toujours été soumise à la COB qui n’a jamais apporté de corrections majeures. Quant au manque d’informations dont certains membres de son Conseil se sont plaints, il contreattaque : « J’ai bien peur que les seuls administrateurs qui n’ont pas été informés sont ceux qui n’ont pas été présents aux séances du Conseil et qui ont oublié que la responsabilité d’un administrateur, c’est d’être présent aux conseils ». Le 15 octobre 2003, le groupe VU intente un procès en dommages et intérêts contre Eric Licoys pour avoir signé l’accord d’indemnités. Mais ce dernier assigne à son tour, devant le Tribunal de Commerce de Paris, messieurs Fourtou, Bronfman, Friedman, Viénot et Lachmann. Le 8 décembre 2003, le Tribunal de Commerce de Paris fixe un ultimatum à VU, le groupe a jusqu’au 26 janvier 2004 pour remettre des documents confidentiels sur les indemnités accordées à l'ex-PDG et fournir les procès-verbaux des Conseils d'administration du 1er juin au 31 décembre 2002, le registre de présence aux dits conseils et les lettres de convocation, ainsi qu'un extrait des statuts de la société, sous peine d'une astreinte de 500.000 euros par jour de retard. Après des déclarations contradictoires, la direction maintient son refus les pièces à la justice. Le 23 décembre 2003, le feuilleton sur les indemnités de fin de contrat de JMM est enfin réglé. Les 800.000 actionnaires français représentés par l'Appac sont en fait les seuls bénéficiaires du « deal » signé entre Vivendi, JMM et la SEC. VU paiera 50 millions de dollars d'amende (un peu plus de 40 millions d'euros) à la SEC, JMM, 1 million de dollars et renonce dans le même temps à ces fameuses indemnités. La SEC indique, dans un document de synthèse, que « JMM et M. Hannezo ont failli à leurs responsabilités à l’égard des actionnaires et pendant un an et demi, ont tout mis en oeuvre pour éviter de faire connaître les problèmes de trésorerie de la société et ses difficultés à réaliser ses objectifs d’EBITDA, et priver ainsi les actionnaires d’une information précise ». La SEC veut que cette somme aille aux « investisseurs lésés » ("defrauded investors"), l'Appac a été désignée comme destinataire de l’amende, mais elle réclame déjà d'autres « restitutions ». D'ores et déjà, en signant cet accord, JMM et Hannezo sont interdits d'être dirigeants exécutifs ou administrateurs d'une société cotée aux États-Unis pour respectivement 10 49 Cf. Glossaire. 46 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi ans et 5 ans. Ce qui n'empêche pas JMM d'exercer en tant que consultant d'affaires à New York, dans sa banque d’investissements, de fusions-acquisitions et de conseil pour les entreprises et les fonds d’investissement, Messier Partners. Une plainte civile pour fraude a d'ailleurs été déposée le même jour à New York à son encontre, ainsi qu'à celle de l'ex-directeur financier Guillaume Hannezo. Toujours dans le cadre de l’affaire des indemnités, l’accord annule toutes les plaintes diligentées devant le Tribunal de Commerce de Paris, VU n’aura donc pas à communiquer au Tribunal des pièces cruciales sur la tenue des Conseils d’administration. La victoire a été acquise grâce à la SEC, et pas à la COB (aujourd'hui rebaptisée Autorité des marchés financiers). Il est choquant, pour les petits porteurs français, d’observer que la sécurité de la place parisienne a été assurée par les États-Unis, et non par la France. Edgar Bronfman Jr, est le prochain visé par l'Appac pour restituer les « sommes détournées ». Une fois « l'intégralité du préjudice réparé », elle retirera sa plainte au pénal qui court toujours (pour fausse information et manipulation boursière). Le 5 avril 2004, l’APPAC porte plainte contre X une nouvelle fois pour « manipulation de cours et complicité ». Pour l’heure, dans cette affaire, trois personnes dont les anciens trésoriers de VU ont déjà été mises en examen pour manipulation de cours. L’APPAC estime par ailleurs qu’il y a eu « connivence » entre la direction de VU et la COB. Des plaintes pénales sont toujours instruites à New York. Les deux dossiers en cause sont les conditions financières du départ d'Edgar Bronfman Jr, ex-vice-président de VU, et des opérations de rachats d'actions effectués par VU. Double conclusion des enquêteurs : « Les dirigeants de VU sont au courant que le rachat est illégal ». Et « la COB ne peut ignorer, à présent, que VU agit dans l'illégalité ». Si le même raisonnement est suivi par les juges d'instruction en charge de l'affaire, cette enquête pourrait déboucher sur un nombre impressionnant de mises en examen. En 2003, JMM a reconnu que sa surmédiatisation et le maintien des métiers de l’environnement et de la communication au sein du groupe avaient été ses deux principales erreurs. Il se juge le « bouc émissaire de la chute des marchés ». Cependant, il déclarait avoir définitivement tourné la page de VU, il est mis en examen et gardé à vue en juin 2004 par la brigade financière de Paris. Ainsi s’achève cette première partie sur la crise du gouvernement Vivendi qui a provoqué d’une part, une destruction de valeur dissimulée par les manipulations financières et comptables, et d’autre part en corollaire, des conflits d’agence inévitables. L’affaire Vivendi couplée avec le scandale Enron a abouti à une sévère remise en cause de l’autorégulation du gouvernement des entreprises cotées. L’analyse du marché connaît désormais un fort développement à travers des nouvelles régulations économiques, mais il ne faut pas pour autant négliger les autorités légales qui renforcent la fiabilité des informations comptables par l’élaboration d’un renforcement de règles (Gouvernance d’entreprise et contrôle interne, Loi sur la sécurité financière). 47 PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi 48 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise A- Moralisation de la gouvernance d’entreprise 1- Les organes du gouvernement d’entreprise a- Organes de gestion Tableau 6 : Régime traditionnel ou structure moniste Président du Conseil Conseil d’administration d’administration (PDG) Régime dit « à Directoire » ou structure duale Conseil de surveillance Directoire 2 à 5 membres dont un président (7 1 président choisi 3 à 24 Composition par le Conseil membres membres si société d’administration (actionnaires) cotée ; actionnaires ou non) Conseil Conseil de Nomination par AGO50 AGO d’administration surveillance 6 ans et 6 ans et 6 ans et Durée 4 ans et rééligibles rééligibles rééligibles rééligibles AGO sur proposition Conseil Révocation par AGO AGO du Conseil de d’administration surveillance Les plus étendus pour agir en toutes Contrôle Les plus étendus circonstances au nom de la société. permanent de pour agir au nom de → à l’égard des actionnaires : la gestion du la société dans les pouvoirs exercés dans la limite de Directoire limites de l’objet l’objet social => Fonction social. → à l’égard des tiers : société de contrôle - Le Directoire prend engagée même si les actes collégialement les dépassent l’objet social. décisions Pouvoirs => Organe collégial. nécessaires au fonctionnement de l’entreprise ; - autorisation du Conseil de surveillance pour certains actes. => Fonction de direction 3 à 24 membres (administrateurs et/ou actionnaires) 50 Assemblée Générale Ordinaire. 49 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise Dans le régime traditionnel, une seule et même personne assure à la fois la direction générale de l’entreprise et la présidence du conseil qui contrôle sa gestion. Le Conseil d’administration répond collectivement de l’exercice de ses missions devant leur assemblée générale envers laquelle il assume légalement les responsabilités essentielles : c’est lui qui convoque et fixe l’ordre du jour de l’Assemblée, nomme et révoque les directeurs généraux (2 à 5 membres aux maximum selon le montant du capital social) chargés de la direction de l’entreprise, contrôle leur gestion et en rend compte par le rapport annuel et les comptes qu’il a arrêtés. Tableau 7 : b- Organe de délibérations : Assemblées générales d’actionnaires 1. Droits des actionnaires - droit de vote des assemblées - droit aux dividendes en cas de répartition des bénéfices - droit à l’information - droit de négocier/ céder librement leurs actions 2. Assemblées d’actionnaires Assemblées Assemblées générales Ordinaires (réunion au moins une fois par an pour les décisions ordinaires) Assemblées générales Extraordinaires (réunion si nécessaire pour les décisions extraordinaires) Conditions de vote (Quorum : Q et Majorité : M) - à la première convocation : Q = au moins ¼ des actions ; M = 50 % + 1 voix - à la deuxième convocation : Q = - ; M = 50 % + 1 voix - à la première convocation : Q = au moins la 1/2 des actions ; M = 2/3 des voix exprimées - à la deuxième convocation : Q = au moins ¼ des actions ; M = 2/3 des voix Exemples de décisions - Approuver les comptes de l’exercice écoulé. - Statuer sur la répartition des bénéfices. - Nommer et révoquer les administrateurs. - Modifier les statuts (augmentation de capital, fusion avec une société, autres décisions relatives à la transformation de la société) c- Organe de contrôle Commissaire aux comptes : - nommé pour 6 ans par l’AGO - obligatoire - missions : → Contrôle des comptes : vérifier la régularité et la sincérité des comptes. → Devoir d’alerte en cas de fait de nature à compromettre la continuité de l’entreprise (à l’AG et au comité d’entreprise). → Mission d’information des actionnaires (rapport annuel) 2- La fin de l’autorégulation de la gouvernance Le capitalisme a changé de nature : il est passé d’une conception patrimoniale à une conception financière. Le fonctionnement du capitalisme mondial a fortement évolué au cours des années 80 et 90 : les capitaux financiers sont devenus le moteur de l’économie mondiale, et une crise de surcapacité ou de surproduction est apparue dans l’économie réelle. Ces vingt dernières années ont connu la déréglementation des marchés financiers et l’élimination progressive des entraves à la libre circulation des capitaux entre pays et 50 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise entre secteurs (comme par exemple le “US Glass-Steagall Act” qui interdit aux institutions financières d’entrer dans des activités commerciales et d’investissements bancaires). Il en a resulté une spectaculaire poussée de l’activité spéculative qui a fait de la finance le secteur le plus rentable de l’économie mondiale. Tellement rentable, qu’aux activités traditionnelles (prêts, actions, obligations) se sont ajoutés des instruments financiers toujours plus sophistiqués, comme les opérations à terme, les swaps, les options (ce qu’on appelle les produits dérivés). Dans ces opérations, ce ne sont pas les actifs qui ont engrangé les bénéfices, mais la spéculation sur les prévisions de risque concernant les actifs sous-jacents. L’attrait du secteur financier comparé à d’autres secteurs de l’économie, comme le commerce ou l’industrie, a encore été mis en évidence par le fait que dans la deuxième moitié des années 90, le volume journalier des transactions sur les marchés des changes dépassait la valeur des échanges de biens et services pour tout un trimestre. Après l’euphorie des années 1990 liée à l’épisode de la « nouvelle économie », les principaux pays industrialisés sont rentrés dans une phase de turbulences financières durables. En décembre 2001, la faillite spectaculaire du géant de l’énergie Enron, qui a contaminé toutes les sociétés de négoce d’énergie et précipité la chute du secteur de l’énergie aux Etats-Unis, donne le coup d’envoie d’une série de scandales émanant de dirigeants supposés défendre les valeurs du libéralisme, et révèle de manière spectaculaire, les dysfonctionnements profonds du nouveau capitalisme. Ils remettent en cause, en premier lieu, cette conception de l’entreprise qui considère celle-ci, non pas comme un établissement industriel, mais comme un actif financier dont il s’agit d’accroître la valeur boursière par tous les moyens : rachats d’action, fusionsacquisitions, montages financiers hasardeux, … Ce qui est également remis en cause à l’occasion de ces affaires, c’est la capacité du capitalisme à se réguler. La fameuse discipline du marché n’a pas fonctionné. La Bourse s’est avérée incapable de guider les entreprises vers des choix susceptibles d’assurer leur développement à long terme. L’affaire Enron a donc mis en lumière une imposture qui ne dura qu’un temps : les comptes étaient faux, le cabinet d’audit Arthur Andersen reconnut avoir détruit des documents compromettants et fut accusé d’avoir sciemment fermé les yeux sur les engagements hors bilan du groupe. Alors que quelques semaines auparavant, plusieurs analystes financiers recommandaient encore le titre à l’achat, Enron fut mis en redressement judiciaire (chapter 11) le 2 décembre 2001. Dans les mois qui suivirent, le cabinet Arthur Andersen fut jugé et démantelé, plusieurs entreprises très connues (Worldcom, Tyco…) furent amenées à corriger substantiellement leurs comptes et à avouer des pertes colossales, le président de la Security Exchange Commission démissionna. Au total, la déroute du management d’Enron comme de ses commissaires aux comptes provoqua une crise de confiance mondiale sans précédent dans le marché boursier, voire dans le capitalisme lui-même. Avant le surgissement des scandales financiers, le capitalisme financier est fondé sur une gouvernance trop largement formelle, plus souvent autoproclamée que réellement mise en œuvre. Les dirigeants, qui ont pratiquement comme seul garde-fou les actionnaires étant donnée la connivence du Conseil d’administration, tombent dans l’obsession d’optimiser la rentabilité des fonds propres, la performance du titre étant indispensable pour financer l’expansion en attirant d’autres investisseurs. Cette obsession est tellement poussée à son paroxysme à tel point que certains dirigeants, du fait de leur « ubris » ou que leurs pouvoirs leurs sont parvenus, se permettent de donner l’ordre de dissimuler les informations négatives sur leur entreprise. VU, le géant franco-américain de la communication constitué en moins de 2 ans par de multiples rachats illustre parfaitement cet état de fait (Cf. « PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi en 2001 et 2002 ») : politique trop laxiste de rémunération, attribution peu opportune de stock-options, mépris des revendications des actionnaires surtout minoritaires, comportements autocratiques du management. 51 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise La défaillance des contrôleurs. Quant aux autres acteurs des marchés financiers supposés contrôler les entreprises, ils n’ont pas joué leur rôle de contre-pouvoir face aux dirigeants dont ils ont été souvent les complices actifs ou passifs. Il y a une mise en cause de l’indépendance des professionnels : dirigeants, auditeurs, analystes financiers, agences de notation, banquiers d’affaires, journalistes boursiers, avocats d’affaires et des autorités de régulation. Certes, la mondialisation des marchés a entraîné une extension du champ de compétences des contrôleurs privés et non celui des contrôleurs publics, ni des mécanismes de contrôle des contrôleurs privés. La loi de 1966 interdit pourtant aux cabinets l’offre de missions dites « incompatibles » comme par exemple le conseil fiscal en même temps que l’audit des comptes. De plus, les auditeurs et leurs proches parents ne peuvent détenir des actions dans les sociétés clientes. Les sociétés cotées doivent fournir un rapport d’audit soumis à l’examen indépendant de deux associés du même cabinet, et certifié par deux cabinets distincts (cocommissaires). S’il apparaît des irrégularités flagrantes, les commissaires aux comptes ont un rôle d’alerte aux dirigeants ou aux tribunaux si une faute grave de gestion est décelée. Ce dispositif législatif a montré ses limites car les sociétés ont réussi à le contourner c'est-à-dire un contrôle des comptes effectué à 90 % par un seul cabinet et la certification par deux. De la même façon, les règles d’incompatibilité si précises soientelles, n’interdisent pas à un cabinet de fournir audit et conseil à un même client pourvu que celui-ci soit d’accord. Pour le maintien des marges des mandats, il est d’usage que les cabinets envoient, en mission d’audit des comptes, des contrôleurs juniors bon marché et peu expérimentés, en sacrifiant la qualité des contrôles. Il faut désormais contrôler les contrôleurs sur le respect des normes et limiter leur pouvoir discrétionnaire et instaurer une séparation stricte des activités de conseil et d’audit. La séparation franche entre les missions d’audit comptable et la certification légale des comptes doit aussi être obligatoire. Il faut ainsi annihiler l’intérêt financier des cabinets d’audit pour telle ou telle mission : « On ne peut pas être juge et partie prenante ». S’agissant des banques, il faut rétablir le principe de « muraille de Chine » : indépendance et intégrité des analystes, traders et banquiers d’affaires. Il faut désormais rétablir la confiance en la validité de l’information financière et inculquer à nouveau l’impératif de sincérité des comptes ; un mot prend tout son sens : la transparence. Une définition de la transparence. Le deuxième cœur du droit des sociétés aujourd’hui, c’est l’information, que l’on appelle « transparence » dans le cadre des marchés financiers. Il faut élaborer des mécanismes permettant de faire en sorte que les dirigeants utilisent leurs pouvoirs au profit des actionnaires, c’est à dire délivrent une information bien construite, complète et à temps. Il faut également s’interroger sur l’objet de l’information délivrée. L’information est faite d’une part pour que ceux qui prennent les décisions les prennent de la façon la plus éclairée possible et, d’autre part, pour ceux qui sont titulaires du pouvoir de contrôle puissent l’exercer. L’obligation d’information ne saurait, dans ces conditions, se limiter à la communication d’éléments d’information : il s’agit également de rendre compréhensible ce qu’on a communiqué. Or, dans le droit des sociétés classique, cette obligation est assez faible. Il importe par conséquent d’instaurer une obligation pour les dirigeants, de motiver leurs décisions : les personnes qui ont le pouvoir doivent l’exercer mais doivent également dire pourquoi ils ont fait tel ou tel choix. Ce mécanisme de motivation rendrait compréhensible leurs décisions y compris pour les salariés. Il ne 52 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise s’agit pas ici de prôner pour une transparence absolue : en matière financière, trop de transparence tue la transparence et l’impératif de transparence « ne saurait être une nouvelle dictature. Les marchés ont besoin d’une information honnête, pas d’une information totale ». Les grandes leçons d’Enron et de Vivendi sont la confusion entre éthique et esthétique. Sur le papier glacé destiné aux actionnaires, tout y figurait : chiffres multiples, des comités spécialisés nombreux, de grands principes de gouvernance. Il manquait simplement, dans les cas qui ont ébranlé la confiance, le sens de l’éthique. Une part de responsabilité des marchés. En outre, il y a le reproche fait au marché pour son caractère suiviste et pour son engouement pour le secteur de la « net economy » ou la bulle Internet. Les actionnaires, et surtout les fonds d’investissement, ont des exigences de rentabilité à court terme et par conséquent, ils poussent les entreprises à se conformer à des normes financières à court terme (pratique du benchmarking) hors des proportions avec les fondamentaux économiques, JMM l’a d’ailleurs souligné au cours de son mandat. C’est ce qui a amené les dirigeants d’Enron, WorldCom et VU à truquer leurs comptes pour afficher à tout prix les résultats attendus. Il reste l’incertitude qui décourage la rentabilité à long terme. Cette incertitude, qui a été entretenue par les scandales et la prise de conscience des investisseurs, se traduit désormais par une forte aversion aux risques, ils optent donc pour la diversification. Il va falloir étudier en profondeur la psychologie des investisseurs et que les entreprises leurs donnent l’envie d’être plus patients et d’adhérer à leurs projets : améliorer les techniques d’estimation/évaluation des risques (réduire l’intervalle de confiance des probabilités quitte à augmenter les provisions pour risques => couvrir la valeur en risque (value at risk) mais cela sous-tend de bloquer des fonds propres) pour pérenniser la rentabilité sur un horizon plus lointain que le court terme. La gouvernance : « Du thème à la mode au passage obligé ». Cette fin de l’autorégulation a pour effet un renforcement des codes déontologiques et de vérification de la cohérence des chiffres, une batterie de recommandations, de préconisations et de règles est née et va naître encore. Cependant faut-il plus de contrôles ou plus d’éthique ? Jusqu’où le droit doit s’immiscer dans la vie des affaires ? Le reproche est souvent fait au législateur d’un interventionnisme excessif et trop rapide. Exemple : la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) du 15/05/2001 sur le cumul des mandats sociaux, remaniée le 29/10/2002. La Loi sur la Sécurité Financière du 01/08/2003 est une approche prudente en matière de gouvernance car il n’y a pas de substitution de la loi au contrat et le régulateur suprême est le législateur. Dans la Loi de 1966, le système classique consiste à donner le pouvoir à ceux qui prennent des risques. Mais aujourd’hui, il y a déconnexion entre le pouvoir capitalistique et le pouvoir décisionnel car dans toutes les sociétés cotées, personne n’est actionnaire majoritaire et ceux qui dirigent n’ont qu’une très faible partie du capital social, il y a donc rupture entre les deux pouvoirs de par la dispersion de l’actionnariat. Les nouvelles théories de la corporate governance adoptent une approche « expertale » du droit des sociétés : le pouvoir revient à « ceux qui savent » et non à « ceux qui risquent ». La question est alors de savoir comment contrôler « ceux qui savent ». Le problème est celui de la rente informationnelle : si l’on donne le pouvoir à « ceux qui savent », il faut faire en sorte qu’ils utilisent leur savoir au bénéfice des investisseurs. L’enjeu du droit des sociétés est de distribuer et d’équilibrer les pouvoirs et de faire en sorte qu’ils soient bien exercés, c’est à dire gérer les conflits d’intérêt dans toutes les sociétés. L’actualité la plus récente l’a rappelé : non seulement les analystes financiers 53 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise n’ont pas donné leur information aux investisseurs mais ils leurs ont même donné une information contraire. S’il est vrai que l’actionnariat des sociétés françaises reste concentré, la faiblesse relative du capitalisme français serait vraisemblablement à l’origine d’une multiplication des participations croisées de dirigeants et administrateurs dans plusieurs sociétés, ce phénomène est en recul, au profit d’une extension de l’actionnariat individuel. La dérégulation a facilité cette évolution : alors que pendant longtemps, il était difficile d’échanger des titres de la société (complexité de valorisation de l’entreprise et coûts de transaction) – l’investisseur s’engageait dans la vie de l’entreprise – aujourd’hui, la multiplicité des fusions et acquisitions et le recours croissant au marché ont dilué l’actionnariat. Les investisseurs institutionnels ont, en outre, une stratégie de diversification du risque. Pour des raisons profondément culturelles, la France a pendant longtemps vécu dans le secret. Pour les managers, le secret était une arme dans l’exercice de leurs fonctions. « Familiales, étatiques ou anonymes, les entreprises réglaient leurs petites affaires à l’occasion de réunions de famille plus ou moins sympathiques, dans les couloirs austères des ministères ou dans les salles à manger feutrées des grandes banques parisiennes. » Dans l’affaire VU, nous avons vu ressortir les liens très spécifiques entre les milieux d’affaire et le monde politique. L’extension de la gouvernance en France est aussi liée aux progrès de la culture de la transparence. Les années 1990 auront été celles de l’avènement de la transparence dans la vie politique ; la décennie 2000 sera celle de la consécration de la transparence dans les grandes entreprises françaises. Ce que le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz appelle le « capitalisme de copinage » n’est plus accepté aujourd’hui. 3- Les préconisations et des lois pour des régulations plus efficientes C’est dans les années 1990 que les dirigeants sociaux français entrent dans le débat sur la gouvernance jusqu’alors largement anglo-saxon, on le positionne d’ailleurs comme une « mode venue d’outre-atlantique ». Trois ans après la publication du rapport britannique fondateur en matière de gouvernance (Cadbury, 1992), qui initia le premier Code of best practices des places européennes, l’acte de naissance de la gouvernance des entreprises en France en juillet 1995 est véritablement la publication du premier rapport, dit « Viénot I ». Ce rapport fut généralement accueilli avec un enthousiasme modéré de la part des patrons qui ne voulurent y voir que l’importation forcée d’un concept anglo-saxon, qualifié d’inadapté au marché français. Tous les grands thèmes de la gouvernance y sont présents : réaffirmation claire des missions du Conseil d’administration, appel à la création des comités spécialisés et à l’émergence d’administrateurs indépendants, remise en cause du principe de croisement des administrateurs, adoption de véritables méthodes de travail du conseil, respect des droits d’information et de contrôle du conseil, rédaction d’une charte fixant les droits et devoirs des administrateurs, etc. Il manque cependant une réflexion digne de ce nom sur l’actionnaire. 54 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise Les points importants des principaux codes de bonne conduite • • • • Le rapport Cadbury (1992) comité d’audit et de rémunération indépendants de la direction ; séparation de la Direction Générale (CEO) et de la présidence du Conseil ; dans le cas contraire, présence d’administrateurs indépendants « très forts » ; au moins trois administrateurs indépendants ; en cas de non respect de ces recommandations, fournir obligatoirement une justification. Le comité présidé par M. Cadbury a ébauché un « code of best practice » (code de bonne conduite) auquel doivent se soumettre les Conseils d’administration des sociétés cotées ; ce code recommande notamment la création d’un « audit committee » (comité des comptes), la révision des situations intérimaires par les commissaires aux comptes et par l’« audit committee », la vérification par les administrateurs de leur propre système de contrôle interne, l’obligation pour les administrateurs d’informer les actionnaires de toute menace sur la poursuite de la société, etc. • • • Principles of Corporate Governance (1993) séparation de la Direction Générale (CEO) et de la présidence du Conseil ; « directors » (administrateurs) indépendants (ce qui va plus loin qu’externes) ; rémunération liée en grande partie aux performances. Le rapport Viénot I : • • • • • • • « Le Conseil d’administration des sociétés cotées » (1995) remise en cause du principe de croisement des administrateurs ; présence d’administrateurs indépendants ; création de comité d’audit, de nomination ou sélection des administrateurs et de rémunération ; droit à l’information du Conseil d’administration ; rédaction d’une charte de l’administrateur. Elle présente beaucoup de banalités : - l’administrateur doit s’assurer qu’il a pris connaissance des obligations générales ou particulières de sa charge, - il doit être actionnaire à titre personnel, - il représente l’ensemble des actionnaires, - il doit consacrer à ses fonctions le temps et l’attention nécessaire, - il doit être assidu, - il a l’obligation de s’informer, - il doit se considérer astreint à un véritable secret professionnel, - il doit s’abstenir d’effectuer des opérations sur les titres ; écartement de la pertinence d’une modification réglementaire ; mise en avant de l’intérêt social qui dépasse celui des actionnaires (le but est d’empêcher les délits d’initiés). Le rapport Viénot I insiste notamment sur le caractère collégial du Conseil d’administration qui représente collectivement l’ensemble des actionnaires et à qui s’impose l’obligation d’agir en toutes circonstances dans l’intérêt social de l’entreprise. Le comité précise les missions du Conseil d’administration : « il définit la stratégie de 55 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise l’entreprise, désigne les mandataires51 sociaux chargés de gérer les missions dans le cadre de cette stratégie, contrôle la gestion et veille à la qualité de l’information fournie aux actionnaires ainsi qu’aux marchés à travers les comptes ou à l’occasion d’opérations très importantes ». Dans cette optique, le comité propose un avis de l’Assemblée générale des actionnaires en cas de cession importante d’actifs ou d’activités, même sans atteinte à l’objet social. Le débat sur la nécessaire présence dans les Conseils d’administration d’administrateurs « indépendants » est né aux Etats-Unis et en Grande Bretagne d’une part en réaction à la sur-représentation, au sein des conseils de ces pays, de dirigeants exerçant des fonctions exécutives dans l’entreprise, et d’autre part pour mieux représenter les actionnaires minoritaires. Le rapport Viénot I l’a introduit et recommande que chaque conseil en comporte au moins deux, en voici une définition : « L’administrateur indépendant peut, en s’inspirant des standards anglo-saxons, être défini comme une personne qui n’a aucun lien d’intérêt direct ou indirect avec la société ou les sociétés de son groupe et qui peut ainsi être réputée participer en toute objectivité aux travaux du conseil ». En conséquence, l’administrateur indépendant ne doit pas être : ◘ un salarié, le président ou le directeur général de son groupe. Au cas où il aurait été salarié, président ou directeur général de la société ou d’une société de son groupe, il doit avoir cessé de l’être depuis au moins trois ans, ◘ un actionnaire important de la société ou d’une société de son groupe ni être lié de quelque manière que ce soit à un tel actionnaire, ◘ lié de quelque manière que ce soit à un partenaire significatif et habituel, commercial ou financier, de la société ou des sociétés de son groupe. Le rapport Viénot II : • • • • • « Le gouvernement d’entreprise » (1999) la séparation des fonctions de Président et de Directeur général doit être volontaire (choix de la flexibilité) ; la politique de rémunération de l’équipe dirigeante doit être rendue publique afin d’être lisible ; l’information sur le gouvernement d’entreprise doit être rendue publique ; limitation du nombre de mandats d’administrateurs à cinq ; la proportion d’administrateurs indépendants dans les comités doit être au minimum 1/3 et ½ dans les comités de rémunération. Le rapport Viénot II actualise et complète ainsi les recommandations formulées en 1995. En ce qui concerne la dissociation des fonctions de président et de directeur général, la situation française est la seule à offrir la possibilité de choix entre la formule unitaire telle que la structure moniste (PDG du Conseil d’administration ou DG et président du Conseil d’administration) et la structure duale (conseil de surveillance et directoire) à toute les sociétés, y compris cotées. La séparation est de droit en Allemagne et se traduit par l’adoption d’une structure juridique duale, conseil de surveillance et directoire. Ce dernier modèle est présenté comme le plus achevé en matière de séparation des fonctions. 20 % des sociétés du CAC 40 le mettent en oeuvre, la proportion est la même aux Etats-Unis, 80 % des sociétés restantes cumulent les postes de président et de directeur général. 90 % des sociétés cotées au Royaume-Uni appliquent la structure moniste mais avec dissociation 51 Les mandataires sociaux s’entendent du président, du Directeur Général, du ou des Directeurs Généraux Délégués dans les sociétés à Conseil d’administration, du Président et des membres du Directoire dans les sociétés à Conseil de surveillance et Directoire. 56 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise des fonctions de président du Conseil d’administration et de directeur général. Le rapport Viénot II suggère l’introduction en droit français d’une grande flexibilité dans la formule unitaire à Conseil d’administration, et d’offrir au Conseil des sociétés un choix ouvert entre le cumul ou la dissociation des fonctions. En matière de publicité des rémunérations des dirigeants des sociétés cotées, le Royaume-Uni impose qu’elle figure dans le rapport annuel. Depuis la publication du rapport Greenbury (juillet 1995), la publicité est très complète, comporte la description précise de la politique de détermination des rémunérations de toute nature, et fournit des données chiffrées nominatives concernant chacun des membres du Conseil d’administration. Aux Etats-Unis, ces informations se trouvent dans le document de convocation des actionnaires (« proxy statement ») à l’Assemblée générale (AG) auquel renvoie le rapport annuel. Elles sont également extensives et nominatives à l’égard des administrateurs et des principaux dirigeants. Toutefois, la Security Exchange Commission dispense les sociétés étrangères qui demandent leur admission sur un marché américain de publier la rémunération individuelle de leurs dirigeants si elles ne sont pas tenues de fournir cette information dans leur Etat d’origine. Des directives européennes prévoient que les sociétés doivent indiquer dans l’annexe aux comptes la rémunération globale versée aux organes d’administration, de direction et de surveillance, mais l’information peut ne pas être publiée si elle conduit à révéler une situation individuelle. En France, à l’information exigée par les directives européennes s’ajoute l’obligation de tenir à la disposition des actionnaires, au titre du « droit de consultation », le montant global certifié par les commissaires aux comptes des rémunérations versées par la société concernée aux dix ou aux cinq personnes les mieux rémunérées selon que l’effectif excède ou non 200 salariés. En outre, lorsqu’elles établissent un document de référence ou un prospectus visé par la COB, les sociétés cotées doivent indiquer le montant total des rémunérations directes ou indirectes perçues de l’ensemble des sociétés membres du groupe par les dirigeants composant l’équipe de direction générale. Le rapport Viénot II préconise que le Conseil d’administration consacre, un chapitre spécifique dans son rapport annuel, à l’information des actionnaires sur les rémunérations perçues par les dirigeants comprenant trois parties : La première partie traiterait de la politique de détermination de la rémunération des dirigeants formant l’équipe de direction générale. Dans la deuxième partie, figurerait le montant global des rémunérations ainsi définies, perçues par les dirigeants au cours de l’exercice écoulé, comparé à celui de l’exercice précédent, et ventilé par masse entre parts fixes et parts variables. La troisième partie serait consacrée aux jetons de présence. Elle comporterait l’indication du montant maximum autorisé par l’AG et effectivement versé aux membres du Conseil d’administration et comparé sur deux exercices. Les règles de répartition des jetons (président, administrateurs, partie fixe, partie variable, jetons supplémentaires pour la participation aux comités d’administrateurs) y seraient précisément exposées. Enfin, les règles de perception des jetons de présence alloués aux dirigeants formant l’équipe de direction générale par les sociétés du groupe dans lesquelles ceux-ci détiendraient un mandat social, seraient décrites. Le rapport annuel des sociétés cotées doit également faire état des éventuels plans d’options de souscription ou d’achat d’actions et de la description de la politique d’attribution des options à l’ensemble des bénéficiaires : nature des options, critères de définition des catégories de bénéficiaires, périodicité des plans, conditions arrêtées par le Conseil d’administration pour l’exercice des options. Une ligne séparée doit fournir l’ensemble des données prévues en matière d’options, ainsi que l’indication du rabais consenti ou de la surcote appliquée, de manière globale pour les membres de l’équipe de direction générale, idem pour les options détenues le cas échéant dans d’autres sociétés du groupe. Concernant les administrateurs, la durée de leur mandat, fixée par les statuts, ne doit pas excéder quatre ans au maximum pour que les actionnaires puissent se prononcer fréquemment sur leur élection. Un administrateur exerçant des fonctions exécutives dans 57 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise une société cotée doit s’interdire d’exercer plus de cinq mandats d’administrateur dans des sociétés cotées françaises ou étrangères extérieures au groupe. Une phrase pertinente clarifie l’accès à l’information des administrateurs : « L’information préalable et permanente des administrateurs est une condition primordiale du bon exercice de leur mission ». La définition de l’administrateur indépendant donnée dans le rapport de 1995 est simplifiée : « un administrateur est indépendant lorsqu’il n’entretient aucune relation de quelque nature que ce soit avec la société ou son groupe qui puisse compromettre l’exercice de sa liberté de jugement ». A noter que parmi les membres des deux comités dont sont issues les deux rapports Viénot et ayant des liens avec la débâcle Vivendi, figure bien entendu M. Marc Viénot qui est passé de PDG de la Société Générale en 1995 à Président d’Honneur de la Société Générale en 1999, il fut l’un des principaux soutiens de JMM avant son éviction. Figurent également Jean-Louis Beffa (PDG de la Compagnie de Saint Gobain), Serge Tchuruk (PDG d’Alcatel), Vincent Bolloré (PDG de Bolloré – présent au comité du rapport Viénot II seulement) et Jean-René Fourtou (PDG de Rhône Poulenc à l’époque – présent au comité du rapport Viénot II seulement). Il semble que les donneurs de leçons ne soient malheureusement pas les personnes les plus intègres en matière de gouvernance, rien qu’en observant leur fonction (PDG), ces personnes n’ont décidément pas pris l’initiative de partager le pouvoir. Les ‘Guidelines’ de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (1999) Les guidelines de l’OCDE réaffirment des principes généraux concernant : • • • • • la protection et la promotion des droits et responsabilités des actionnaires (« shareholders ») ; la reconnaissance nécessaire de la responsabilité de l’entreprise envers ses différents partenaires et la société en général (« stakeholders ») ; l’importance du traitement équitable des différents actionnaires ; l’importance de la transparence et de la diffusion de l’information ; les obligations et responsabilités du Conseil d’administration. « Les règles régissant le gouvernement d’entreprise devraient reconnaître les droits des différentes parties prenantes à la vie d’une société tels que définis par le droit en vigueur et encourager une coopération active entre la société et les différentes parties prenantes pour créer de la richesse et des emplois et assurer la pérennité d’entreprises financièrement saines ». 58 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise Les recommandations de AFG-ASFFI (Association Française de la Gestion Financière) • • • la bonne tenue de l’Assemblée générale rend souhaitable : - un délai de convocation d’un mois au lieu de quinze jours réglementaires ; - des dates et lieu choisis de façon à faciliter la présence des actionnaires ; - des moyens d’expression multiples (télématiques, électroniques…) ; - une information pertinente des actionnaires (un rapport simple systématique et un autre plus complet sur demande, une explication sur les résolutions à l’ordre du jour, la possibilité de regroupement d’actionnaires en vue d’atteindre la part minimum de capital nécessaire à la proposition de résolutions) ; - l’utilisation de la règle une action / une voix (abandon progressif des droits de vote double, des actions à dividende majoré). Le bon fonctionnement du Conseil d’administration implique entre autres : - l’indépendance du Conseil de la direction de l’entreprise (présence de deux administrateurs libres d’intérêt, suppression progressive des participations croisées, absence des administrateurs « croisés » des comités de sélection et de performance) ; - une évaluation du travail du Conseil ; - l’existence d’une charte fixant les droits et devoirs des administrateurs. Autres recommandations : - absence de dispositifs anti-OPA ; - envoi systématique du résultat du vote en AG avec analyse. Avec la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001, il ne s’agit plus seulement des réflexions modestes de quelques présidents éclairés adressées à leurs homologues sur le Conseil d’administration des sociétés cotées ; il est désormais question de recommandations formalisées par une instance suffisamment légitime pour demander que les sociétés françaises se plient au fameux principe comply or explain (se conformer ou expliquer). Si l’idée d’une autorité de marché supervisant la gouvernance est fermement rejetée, en revanche, les sociétés sont fortement incitées à présenter leurs progrès en matière de gouvernance dans le rapport annuel et à expliquer pourquoi, le cas échéant, elles se refusent à faire droit aux recommandations des rapports Viénot I et II. Sur le fond, le rapport Viénot II se distingue du précédent par l’insistance avec laquelle il demande aux sociétés cotées de fournir une information homogène, lisible et comparable des sociétés cotées sur la rémunération globale de leur équipe de direction, de même que sur la pratique du gouvernement d’entreprise (profil des administrateurs, politique suivie en matière d’administrateurs indépendants, fréquence des réunions du Conseil et des comités). S’agissant cependant du droit des actionnaires à connaître la rémunération individuelle des dirigeants, il faut attendre le revirement du Medef (Mouvement des Entreprises de France) et de l’Afep (Association Française des Entreprises Privées) au début de l’année 2000 pour que le sujet progresse, avant d’être finalement consacré par la loi NRE. 59 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise La loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 Les principaux axes permettant d’ordonner les mesures nombreuses et disparates sont les suivants : a) Amélioration de la transparence et de l’information - possibilité de solliciter une injonction judiciaire ou la nomination en justice d’un mandataire dans certaines circonstances, - consécration du droit d’information des administrateurs, - divulgation de la rémunération individuelle de chaque mandataire social dans les sociétés anonymes (SA) et commandites par actions et information sur les stockoptions, - élargissement des informations figurant dans le rapport de gestion, - information quant aux conventions libres, - instauration de nouvelles règles relatives à l’identification des actionnaires, - vérification préalable du passif et de l’actif pour l’émission d’obligations, - information quant à certains pactes d’actionnaires dans les sociétés, - réforme des OPA. b) Amélioration de l’équilibre des pouvoirs et des mécanismes de contrôle - réduction de la taille du Conseil d’administration et du Conseil de surveillance, - limitation du cumul de mandats des dirigeants de SA, - faculté de dissocier la présidence du Conseil d’administration et la direction générale de la SA, - nouvelle définition des pouvoirs respectifs du Conseil d’administration, du président et du directeur général, - substitution des directeurs généraux délégués aux anciens directeurs généraux, - extension du domaine des conventions réglementées dans la SA, - abaissement du seuil de détention du capital de 10 % à 5 % pour provoquer la désignation d’un expert chargé d’enquêter sur une ou plusieurs opérations de gestion, pour demander la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’Assemblée générale, pour poser des questions écrites, pour récuser le commissaire aux comptes, - suppression de la possibilité d’insérer dans les statuts une clause imposant la possession d’un minimum d’actions pour participer aux Assemblées dans la SA, - accroissement des prérogatives du comité d’entreprise, - réforme du régime juridique et fiscal des stock-options, - définition d’un statut du commissaire aux comptes valant quelle que soit la personne morale, - amélioration des mécanismes de contrôle dans les groupes de sociétés. c) Modernisation du droit des sociétés - possibilité pour le Conseil d’administration et le Conseil de surveillance d’utiliser la visioconférence, - introduction du vote par visioconférence et du vote électronique dans les Assemblées générales de la SA. Un peu plus d’un an après la loi NRE qui introduit un certain nombre d’éléments de la gouvernance dans la loi, le rapport Bouton (2002) se veut la réponse des dirigeants français à la crise ouverte par les scandales Enron et Worldcom. Le rapport Bouton (2002) L’importance accordée à la question de l’audit, de l’information financière et des normes comptables témoigne du contexte dans lequel s’est rédigé le rapport Bouton. Le groupe de travail a souhaité mesurer si « l’adéquation entre l’attente des investisseurs et des 60 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise marchés, d’une part, et l’ensemble du corps des règles, normes et comportements, d’autre part, restait satisfaisante ». Un certain nombre de propositions dans le rapport fait de la gouvernance à la française un corpus de règles cohérent et convaincant. Le rapport traite ouvertement de la composition du Conseil d’administration en abordant la compétence de ses membres au delà de l’indépendance. Ainsi, l’évaluation annuelle du Conseil d’administration sur ses modalités de fonctionnement, sur la préparation et le débat des questions importantes et sur la contribution de chaque administrateur aux travaux du Conseil du fait de sa compétence et de son implication dans les délibérations, est estimée nécessaire. Il convient d’expliciter certains thèmes développés dans le rapport Bouton : ü La qualification d’administrateur indépendant est clarifiée : - Ne pas être salarié ou mandataire social de la société, salarié ou administrateur de sa société-mère ou d’une société qu’elle consolide et ne pas l’avoir été au cours des cinq années précédentes. - Ne pas être mandataire social d’une société dans laquelle la société détient directement ou indirectement un mandat d’administrateur ou dans laquelle un salarié désigné en tant que tel ou un mandataire social de la société (actuel ou l’ayant été depuis moins de cinq ans) détient un mandat d’administrateur. - Ne pas être client, fournisseur, banquier d’affaire, banquier de financement : significatif de la société ou de son groupe, ou pour lequel la société ou son groupe représente une part significative de l’activité. - Ne pas avoir de lien familial proche avec un mandataire social. - Ne pas avoir été auditeur de l’entreprise au cours des cinq années précédentes. - Ne pas être administrateur de l’entreprise depuis plus de 12 ans. ü L’indépendance du commissaire aux comptes doit être confortée par les recommandations suivantes : - Double commissariat c’est à dire un double examen des questions importantes lors de l’établissement des comptes. - Rotation des signataires des comptes au nom des cabinets dans les grands réseaux tout au long du mandat de six ans renouvelable est souhaitable. - Information au comité des comptes des honoraires versés par la société et son groupe aux commissaires aux comptes et aux autres sociétés des réseaux auxquels ils appartiennent. - Mission de contrôle légal des comptes exclusive de toute autre. Le cabinet sélectionné devrait renoncer pour lui-même et le réseau auquel il appartient à toute activité de conseil (juridique, fiscal, informatique…) réalisée au profit de la société qui l’a choisi ou de son groupe. ü S’agissant de l’information financière, le rapport Bouton s’est penché sur la question controversée de la périodicité des comptes. Certains pensent que le rythme trimestriel accentue la volatilité des marchés et favorise la domination du court terme au détriment de la stratégie à moyen terme des entreprises. D’autres considèrent au contraire que les comptes trimestriels permettent un ajustement plus rapide des positions des investisseurs et des mesures également plus rapides de correction de la gestion. Il appartient à chaque Conseil d’administration de définir sa politique de communication et de l’exposer en toute transparence au marché. Certaines pratiques de « révélations sélectives » destinées à aider les analystes dans leurs prévisions de résultats doivent être abandonnées. Le hors bilan peut englober un grand nombre de droits et d’obligations et recouvre les éléments souvent disparates, de nature financière, sociale, commerciale… Cette situation conduit parfois à ne pas porter suffisamment d’attention aux engagements et aux risques qui résultent des obligations non constatées au bilan pour diverses raisons, voire à considérer le hors bilan comme une « zone de non-droit » qui serait soustraite aux règles d’évaluation et d’information. 61 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise En vertu de ce qui précède, chaque société doit disposer en son sein, de procédures fiables d’identification et d’évaluation de ses engagements et risques, et assurer aux actionnaires et investisseurs une information pertinente en ce domaine. Les recommandations du groupe de travail portent sur l’intérêt : - d’indiquer dans le rapport annuel les procédures internes mises en œuvre pour l’identification et le contrôle des engagements hors bilan, ainsi que pour l’évaluation des risques significatifs de l’entreprise. - de développer et clarifier l’information des actionnaires et des investisseurs sur les éléments hors bilan et les risques significatifs : → donner dans le rapport annuel une information spécifique sur ces sujets, en les présentant de façon claire et aisément accessible ; → regrouper dans une rubrique spécifique les informations relatives aux éléments hors bilan données en annexe aux comptes ; → regrouper l’information sur les risques de marché (taux, change, actions, crédit, matières premières) dans une rubrique spécifique des notes annexes aux comptes ; → en cas d’exposition significative aux risques de taux d’intérêt, de change et de variation de cours des matières premières, publier des indicateurs de sensibilité de résultats à ces risques en précisant les modalités et les hypothèses de calcul des indicateurs retenus ; → publier les notations de l’entreprise par les agences de notation financière et les changements intervenus au cours de l’exercice. ü A propos des normes et des pratiques comptables, le rapport considère qu’il est essentiel de disposer d’un référentiel mondial unique répondant à quatre objectifs de qualité : - Participer à la stabilité des marchés, des économies et du financement des entreprises ; - Faciliter la compréhension des états financiers, des tendances de fond et des risques de l’entreprise ; - Etre applicable et reconnu par tous les acteurs de la vie économique ; - Produire une information digne de confiance, c’est à dire fiable et vérifiable. La loi française inscrit le principe de l’image fidèle auquel les entreprises doivent davantage s’y consacrer. Malgré des progrès importants, certaines évolutions actuelles de la normalisation internationale apparaissent extrêmement préoccupantes. Les objectifs poursuivis mettent exagérément l’accent sur le court terme et compliquent la communication financière. En dépit d’une absence constante de soutien de la part d’une majorité d’acteurs et d’un risque de volatilité accrue, notamment des résultats et des cours, l’IASB (International Accounting Standards Board) cherche à imposer la comptabilisation à des valeurs instantanées (« fair value » ou valeur de marché) quels que soient les horizons ou modes de gestion, et en tenant insuffisamment compte des caractéristiques spécifiques des éléments à valoriser et des limites que présentent les « marchés » de ces éléments (parfois inexistants et remplacés par des modèles théoriques). Les modes d’élaboration des normes méconnaissent souvent les difficultés d’application et de contrôle, ainsi que la nécessité de développer des normes communes et applicables aux niveaux européen et mondial. L’absence d’une vision globale concertée sur les finalités et le contenu des normes est susceptible de conduire à une information complexe, détaillée et finalement opaque, plutôt qu’une information synthétique sur les performances et la sensibilité aux risques, permettant de répondre aux attentes des différents utilisateurs des états financiers. Le rapport formule ainsi des préconisations à l’attention des normalisateurs et des régulateurs : Sur le fond, ne pas créer une volatilité artificielle des données bilantielles et consolider l’ensemble existant plutôt que des approches s’écartant de l’économie réelle et négligeant une prudence nécessaire dans les évaluations. 62 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise - Prendre en compte les horizons et modes de gestion, notamment à long terme pour la détermination des résultats. Les valorisations doivent répondre aux besoins des investisseurs à long terme, tout en donnant des éléments de comparaison avec les valorisations à court terme de certains éléments lorsque celles-ci sont pertinentes. - Mettre l’accent sur la définition d’indicateurs plutôt que sur des valorisations ponctuelles telles que la comptabilisation à la « fair value » ou à la valeur de marché, illusoire voire trompeuse en l’absence de références fiables, cohérentes et comparables. L’accent doit davantage être mis sur la définition d’indicateurs de sensibilité à certains risques de marché. - Clarifier et harmoniser les informations utilisées. Compte tenu de l’inflation des données à fournir, il est nécessaire que les normalisateurs définissent clairement les informations clés à présenter de manière synthétique pour les utilisateurs des états financiers, notamment en ce qui concerne les éléments hors bilan, les risques et les résultats (résultat opérationnel par exemple). Reconsidérer le processus d’élaboration et d’approbation des normes de l’IASB. - Poser et exposer des principes clairs. Dans le processus d’élaboration des normes et dans les textes, il est essentiel d’identifier et d’indiquer les principes directeurs de référence et l’approche générale retenue. Leur mise en évidence doit permettre de limiter le développement de règles excessivement détaillées et complexes, ainsi que les difficultés et risques relatifs à l’application et au contrôle de celles-ci. Les normes adoptées doivent permettre d’apprécier les potentiel, risques et incertitudes significatifs liés aux divers éléments et activités de l’entreprise. - Donner à l’Europe la place qui lui revient dans la normalisation internationale. L’élaboration d’un référentiel mondial commun passe par la prise en compte de l’environnement européen. La procédure européenne d’approbation des normes doit permettre de s’assurer que les sociétés européennes ne subissent pas des distorsions de concurrence, ce qui peut conduire à remettre en cause l’adoption en Europe d’une norme IAS/IFRS52 qui ne serait pas reconnue par les Etats-Unis. L’accent doit être mis sur la convergence des normes américaines et des normes internationales IAS/IFRS, notamment sur des projets comme les regroupements d’entreprises et la présentation des performances. L’acceptation inconditionnelle des IAS/IFRS par les Etats-Unis doit être recherchée. - Développer la concertation avec émetteurs, investisseurs et auditeurs pour une information pertinente, fiable et vérifiable. Il est nécessaire de réformer les procédures de travail de l’IASB de sorte que soient mieux prises en compte les positions exprimées par l’ensemble des acteurs de la vie économique. Cela suppose que les entreprises consacrent à ce processus des moyens financiers et humains suffisants. L’amélioration du « due process » (processus d’établissement des normes) de l’IASB repose notamment sur des débats d’orientations, une large diffusion des documents d’entreprise soumis au Board, des tests d’application des solutions envisagées et des délais de réponse aux appels à commentaires suffisamment longs (de l’ordre de 6 mois pour des projets complexes). Le rapport Bouton conclut que l’internationalisation des marchés conduit inéluctablement à une homogénéisation des règles au niveau mondial. L’adoption récente d’une nouvelle législation américaine en matière de gouvernement d’entreprise (Sarbanes Oxley Act), avec ses conséquences sur les entreprises cotées aux Etats-Unis, montre combien l’Europe a besoin d’une expression unie et forte pour éviter que la régulation ne soit élaborée de manière unilatérale par les Etats-Unis. Outre la polémique autour de l’adoption des normes IAS/IFRS, la véritable innovation du rapport Bouton est le recours à des procédures d’évaluation, y compris par des 52 International Financial Reporting Standard. 63 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise organismes externes, du fonctionnement du Conseil d’administration dont le principe est d’ailleurs inscrit dans la loi sur la sécurité financière (LSF) du 1er août 2003. Mais avant d’aborder l’essentiel de la nouvelle loi française, il convient de porter attention sur l’émergence du droit des sociétés dans le système capitaliste. Le législateur, nouvel acteur de la gouvernance post-Enron. L’autorégulation a montré ses limites. C’est le promoteur de l’autorégulation lui-même, Marc Viénot, qui a constaté l’acte de décès du système de l’autorégulation. La nouvelle gouvernance passe par un dosage entre autorégulation et réglementation, avec une mission renforcée de vigilance pour le gendarme boursier. Dans cette situation où le marché est désormais marqué par l’incertitude et le risque, le droit dispose de cet extraordinaire pouvoir de créer de l’incontestable par sa normativité. Dans ce contexte, les marchés n’ont jamais eu autant besoin du droit : ils attendent des termes généraux et ne souhaitent ni l’absence de règles ni l’absence de contraintes ». Les Etats-Unis, premiers concernés par la crise, qui a touché un modèle de capitalisme qu’ils ont inventé et propagé, sont les premiers à avoir réagi. Le Sarbanes Oxley Act ou la révolution du droit américain des sociétés (juillet 2002) Cette réforme en profondeur du droit américain des sociétés prescrit des nouvelles règles qui s’appliquent à tous les émetteurs, américains ou non, dés lors qu’ils choisissent de faire coter leurs titres aux Etats-Unis. L’ensemble des dispositions de la loi Sarbanes Oxley est regroupé dans onze titres : Titre 1er : Institution, missions et règles de fonctionnement du nouveau Public Company Accounting Oversight Board (PCAOB) (…) Titre IX : Renforcement des sanctions contre la criminalité en col blanc Titre X : Questions fiscales Titre XI : Sanctions envers la fraude commerciale Les sujets traités par la loi sont multiples : transparence comptable, réforme de la profession des auditeurs (commissaires au comptes), et notamment mise en place d'un organe de contrôle des auditeurs (le PCAOB), nouvelles règles imposées aux avocats d'affaires, règles de communication financière, création de nouveaux délits boursiers et durcissement des sanctions existantes... Tous les maillons de la chaîne d'information financière sont visés dans ce texte. Le PCAOB n’a pas tardé à agir, le programme d’inspection a commencé courant 2003 auprès des « Big Four » (PriceWaterhouseCoopers, Ernst&Young, KPMG, Deloitte Touche Tohmatsu), ces firmes ayant accepté de subir des missions d’inspection avant même leur enregistrement. Le principe d’enregistrement auprès du PCAOB des firmes d’audit étrangères auditant les comptes de sociétés cotées aux Etats-Unis est également obligatoire. Le PCAOB prévoit de mener une inspection par an pour les cabinets ayant plus de 100 clients. Le Sarbanes Oxley Act a fait l’objet de vives critiques de par son champ d’application. Exemple : EADS qui possède des actionnaires américains tombe sous le coup de la nouvelle loi. La législation américaine sur la « class action » (action collective) est un repoussoir pour les entreprises car elles peuvent plus aisément être poursuivies en justice. Exemples : Total a renoncé à certains investissements aux USA en raison de « l’insécurité juridique » qui y règne. Wal Mart s’est vu lancer contre elle une « class action » pour discriminations sexuelles envers ses employées, le cours a immédiatement connu la plus forte baisse du jour. 64 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise Au Royaume-Uni où le libéralisme est une valeur fondamentale, aucune dérive comparable à celles des Etats-Unis ou de la France n’est apparue, car le libéralisme fonctionne dans un cadre réglementaire précis et efficace et dans le respect de l’éthique. La Commission Européenne a communiqué au Conseil et au Parlement européens un plan d’action intitulé Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d’entreprise dans l’Union Européenne (21 mai 2003). Parmi les mesures novatrices : les membres des Conseils d’administration seraient légalement et collectivement responsables de la publication des résultats et des communiqués financiers. En cas de conflits d’intérêt réel ou potentiel, seuls votent les « administrateurs extérieurs ». L’indépendance de l’administrateur est considérée comme « le fait d’être sans relation avec les opérations de la société, ni avec ses principaux responsables, et de ne tirer aucun avantage de la société que la rémunération, totalement transparente, perçue en tant qu’administrateur extérieur ou que membre du Conseil de surveillance ». Il s’agit là pour la Commission d’affirmer la vision européenne du gouvernement d’entreprise en fixant un cadre général sur quatre axes tout en renvoyant aux spécificités nationales. La loi sur la sécurité financière du 1er août 2003 (140 articles) • Titre 1er : Modernisation des autorités de contrôle Création de l’Autorité des Marchés Financiers : l'AMF53) est, tout comme l'était la Commission des Opérations en Bourse, un organisme public indépendant. Pour garantir sa neutralité, l'AMF dispose d'une autonomie financière suffisante et de la personnalité morale pour ester en justice contrairement à la COB. a) L'équipe A fin 2003, l'AMF salarie 320 personnes de tout statut : agents publics contractuels, agents publics, salariés du secteur privé. L'AMF est hiérarchisée autour de collèges et de commissions. Ainsi il existe : - un collège de 16 membres ; - une commission de sanction qui regroupe 12 membres ; - plusieurs commissions spécialisées et consultatives ; - de nombreux services dirigés par un Secrétaire Général. L'Etat intervient à travers deux acteurs majeurs de l'AMF. D'une part, le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie désigne un commissaire au gouvernement qui siège à l'ensemble des commissions, sans toutefois de voix délibérative. D'autre part, le président de la République nomme pour une durée de 5 ans non renouvelable le président de l'Autorité des Marchés Financiers. b) Son rôle La fusion de la COB, du CMF et du CDGF a permis à l'AMF de regrouper la totalité des rôles de ses trois entités. Ainsi l'Autorité des Marchés Financiers voit ses rôles divisés en 4 groupes distincts : réglementation, autorisation, surveillance et sanction. Ces rôles s'articulent autour de trois axes : la protection de l'épargne, l'information des investisseurs et le bon fonctionnement des marchés financiers. L'AMF intervient également au niveau européen et mondial en participant à diverses commissions. L'AMF peut ainsi agir à différents niveaux, parmi ceux-ci : § le fonctionnement des marchés financiers. Rôle hérité du Conseil des Marchés Financiers, l'AMF définit et contrôle à présent le bon fonctionnement des marchés boursiers, que ce soit auprès d'Euronext, Euroclear ou Clearnet. 53 Cf. Glossaire. 65 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise § le pouvoir de sanction. La COB avait un pouvoir de sanction relativement fort dans le passé. Sa fusion avec le Conseil de Discipline de la Gestion Financière (CDGF) accroît ce pouvoir de sanction. Une commission spécifique composée de 12 membres est ainsi chargée de sanctionner les acteurs financiers. Si un fait observé peut faire l'objet d'une qualification en tant que délit, l'AMF transmet le dossier au Procureur de la République. § les agences de notation. Une agence de notation est un acteur financier extrêmement puissant. Ainsi la dégradation d'une note pour une société peut influencer fortement le cours de bourse. L'AMF publie chaque année un rapport sur les agences de notation : méthodes, règles déontologiques, etc. Après avoir longtemps été critiquée par son manque de pouvoir, l'AMF nouvellement créée devrait à terme avoir un poids aussi majeur que la SEC aux Etats-Unis. • Titre II : Sécurité des épargnants et des assurés. • Titre III : modernisation du contrôle légal des comptes et transparence – Chap 1 : réforme du commissariat aux comptes : - Levée du secret professionnel des commissaires aux comptes (CAC) au bénéfice de l’AMF. - Obligations d’informer l’AMF dans certaines circonstances : procédure d’alerte, révélation des irrégularités & inexactitudes à l’Assemblée Générale, refus de certification envisagé à suppose une procédure de suivi. - Possibilité pour les CAC d’interroger l’AMF pour toute décision ou fait susceptible d’avoir un effet sur l’information financière de la personne contrôlée. L’AMF entend voir ce dispositif appliqué à un champ large, incluant l’audit, mais avec discernement…à suppose une procédure d’instruction et de réponse. => Renforcement de l’indépendance des commissaires aux comptes. – – Chap 2 : de la transparence dans les entreprises. Chap 3 : dispositions diverses. En premier lieu, la loi de Sécurité financière organise à compter du 1er janvier 2004 une meilleure information du public et des actionnaires des SA : la communication n’est plus quérable54 mais elle devient portable ; un rapport doit notamment être établi sur les travaux du Conseil d’administration et du Conseil de surveillance ; le président doit produire un rapport sur l’organisation du contrôle interne, cette obligation donne lieu actuellement à un travail de réflexion en vue de la définition d’une doctrine de place : le document à fournir sur l’information comptable et financière (mais pas uniquement) doit-il être descriptif ou seulement évaluatif ; doit-on le limiter au périmètre de la filiale ou l’étendre aussi à la société mère ?... Pour les groupes dont la consolidation est obligatoire, le périmètre de la consolidation est élargi, singulièrement par rapport au critère du “contrôle exclusif” pour lequel la loi de sécurité financière innove en faisant désormais abstraction de la notion de “détention du capital”. • Consolider par Intégration Globale lorsque : – détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote, Ou, même sans détention d'actions ou parts de capital : – désignation de la majorité des membres des organes dirigeants, – exercice d'une influence dominante en vertu de clauses contractuelles ou statutaires. 54 Cf. Glossaire. 66 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise • Cas de l’entité ad hoc55 : les situations suivantes peuvent caractériser l'existence d'un tel contrôle : – l'entreprise dispose en réalité des pouvoirs de décision et de gestion sur l'entité ad hoc ou sur les actifs qui la composent, même si ce pouvoir n'est pas effectivement exercé ; elle peut par exemple dissoudre l'entité, changer les statuts, ou au contraire s'opposer formellement à leur modification, – l'entreprise peut, bénéficier des résultats de l'entité, par exemple sous forme de flux de trésorerie ou de droits : droit à une quote-part d'actif net, droit de disposer d'un ou plusieurs actifs, droit à la majorité des actifs résiduels en cas de liquidation, – l'entreprise supporte in fine les risques relatifs à l'entité ; tel est le cas si les investisseurs extérieurs bénéficient d'une garantie, de la part de l'entité ou de l'entreprise, leur permettant de limiter de façon importante leur prise de risques. En second lieu, la loi sur la sécurité financière renforce la responsabilité des acteurs économiques, obligeant la société à mettre en place des procédures de prévention des risques et à s’assurer qu’elles sont bien respectées. Il faut dire que cette “autoévaluation” de la transparence des entreprises risque d’être consommatrice de temps et de papier mais aussi d’avoir des conséquences sur la confidentialité et, par un effet “boomerang”, sur la responsabilité. Ajoutons à cela la libéralisation du droit d’action des associations d’investisseurs, elles-mêmes soumises à la transparence, et l’obligation faite aux gérants de capitaux de justifier à leurs mandants la raison pour laquelle ils n’exercent pas leur droit de vote. Enfin, il est mis fin à l’ambiguïté qui entourait la notion de représentation du Conseil d’administration, à savoir que désormais, le président préside le Conseil, mais il ne le représente pas. Et il faut penser aux salariés dans les augmentations de capital. Cependant, l’incertitude sur les délais de mise en conformité des entreprises par rapport à la LSF demeure. Les insuffisances de la gouvernance : le cas français. La crise de confiance sur les marchés en 2002, rappelons-le, a révélé les insuffisances de la gouvernance. Cette crise de confiance a des causes structurelles, liées aux dérèglements du capitalisme financier. Du comportement criminel des dirigeants d’Enron aux jeux comptables poussés à leurs limites ou erreurs stratégiques de certains dirigeants malhonnêtes ou mégalomanes. Le système capitaliste a failli dans son ensemble pour prévenir les défaillances ponctuelles ou l’« hubris » de certains dirigeants : - un dirigeant qui assume des responsabilités internes, vis-à-vis des organes de l’entreprise, mais aussi, de plus en plus, externes, vis-à-vis du marché. Ce dualisme peut mettre le dirigeant en situation de conflits d’intérêts – la transparence vers l’extérieur doit-elle être la même qu’en interne ? – et favorise les jeux comptables ; - un Conseil d’administration censé contrôler un président, alors qu’il dispose d’une masse d’informations bien inférieure, tout en l’aidant dans sa mission de direction ; - des contrôleurs qui interviennent au sein même de l’entreprise – les commissaires aux comptes – et en dehors – analystes et agences de notation, et dont l’opinion peut modifier les conditions d’exercice de la direction de l’entreprise ; - des propriétaires qui ne contrôlent pas, des dirigeants qui ne risquent rien en termes financiers, des organes de contrôle dépendants de ceux qu’ils contrôlent pour bien accomplir leur mission. Pour que le capitalisme fonctionne, « il faut que chacun des acteurs sache raisonnablement ce qu’il peut attendre des autres, ce qui exclut la généralisation 55 Cf. Glossaire (Société ad hoc). 67 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise de la tricherie, du mensonge et de l’arbitraire ». Ce constat n’est pas une nouveauté mais pose la question de revoir le lien entre tous les acteurs. 4- Le bilan tiré de la gouvernance à la française Les progrès sont indéniables : les entreprises françaises ont fait de grands progrès en termes de gouvernance depuis la publication du premier rapport Viénot en 1995. Ce changement ne s'est pas fait sans réticence tant « abandonner l'exercice solitaire, autoritaire et paranoïaque du pouvoir pour lui substituer des pratiques collectives, participatives et schizophréniques n'est jamais, pour l'homme, chose naturelle ». Il aura fallu, d'ailleurs, « certaines affaires » pour que de vraies discussions aient lieu dans ce cénacle, en un mot, pour « réveiller les consciences », selon les mots utilisés par M. Jean Peyrelevade lors de son audition devant la Mission d’information sur la réforme du droit des sociétés. Ainsi, les propositions du rapport Viénot I sont devenues la norme des sociétés du CAC 40, comme le montrent les graphiques : Cf. annexe 5. Le bilan est moins facile à dresser s'agissant de la mise en œuvre des recommandations du rapport Viénot II. Si l'on retient comme critères les quatre thèmes les plus emblématiques - séparation des fonctions de président et de directeur général, information sur les rémunérations individuelles des mandataires sociaux, information standardisée et clarifiée sur la pratique du gouvernement d'entreprise et présence forte d'administrateurs indépendants (33 % dans le Conseil d'administration, dans le comité d'audit, dans le comité de nomination et 50 % dans le comité de rémunération) -, elles étaient mises en oeuvre par 60 % des sociétés du CAC 40 en 2002 : - 36 % d'entre elles avaient recouru à la séparation des fonctions de président et de directeur général ; - 90 % publiaient une information sur les rémunérations individuelles des mandataires sociaux, proportion dont il faut bien reconnaître qu'elle s'explique surtout par le fait qu'il s'agissait d'une prescription légale depuis l'intervention de la loi NRE ; - 92 % produisaient une information standardisée sur la pratique du gouvernement d'entreprise ; - 29 % remplissaient les critères requis en termes d'indépendance des administrateurs. Quant aux prescriptions du rapport Bouton, elles seraient appliquées par 30 % des sociétés du CAC 40. Cette évaluation en termes de box ticketing - cette expression imagée désigne le « fait de cocher toutes les cases de la check list du gouvernement d'entreprise sur la forme et non sur le fond » - est-elle suffisante à l'ère de la gouvernance post-Enron ? Si, à l'évidence, une analyse quantitative pouvait paraître satisfaisante avant 2002, il n'en va plus de même aujourd'hui. Pour avoir une approche pertinente de la gouvernance, il faut en analyser non seulement la forme, mais également le fond. Or, cette démarche fait apparaître un bilan plus nuancé. Au titre des avancées, il faut reconnaître que le conseil d'administration français est de plus en plus actif et de plus en plus ouvert. Tableau 8 : UN CONSEIL D'ADMINISTRATION DE PLUS EN PLUS ACTIF (1995-2002) 2002 2000 1998 1996 Sociétés indiquant le nombre de réunions du 37 34 29 14 Conseil) Nombre moyen de réunions du Conseil 6,9 6,5 5,4 4 1995 0 3 Selon l'étude du cabinet Korn Ferry, les administrateurs français consacrent entre 40 et 70 heures par an aux travaux du Conseil d'administration, selon qu'ils ont ou non un rôle dans un comité, contre 203 heures pour les administrateurs américains des sociétés 68 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise ayant un chiffre d'affaires supérieur à 20 milliards de dollars. Au regard des habitudes françaises et européennes, le Conseil d’administration de VU était très actif, il se réunissait plus de dix fois par an pour des réunions longues de trois à huit heures. En outre, la composition du conseil se diversifie. Tableau 9 : LE PROFIL DES ADMINISTRATEURS FRANÇAIS (1997-2002) Âge moyen des administrateurs (en années) Répartition de l'origine des administrateurs : - Lié à un actionnaire ou un partenaire commercial ou financier (administrateurs dépendants au sens du rapport Viénot) - Représentant du management - Représentant d'une catégorie spécifique d'actionnaires (individuel ou minoritaire) - Représentant des salariés - Administrateurs indépendants Formation des administrateurs : - Diplômés de Polytechnique ou de l'Ecole Nationale d’Administration - Provenant d'autres origines Parts des grands corps en % du total des administrateurs français Nationalité des administrateurs : - Français - Étrangers Sexe des administrateurs : - Hommes - Femmes 2002 63 2001 2000 1999 1998 1997 63 60 61 67 66 43 % 46 % 45 % 47 % 45 % 55 % 20 % 20 % 19 % 17 % 18 % 21 % 1% 1% 8% 29 % 7% 7% 8% 8% 7% 26 % 28 % 27 % 28 % 16 % 31 % 32 % 34 % 37 % 37 % 40 % 69 % 68 % 66 % 63 % 63 % 60 % 41 % 42 % 43 % 46 % 45 % 50 % 76 % 24 % 78 % 79 % 80 % 83 % 83 % 22 % 21 % 20 % 17 % 13 % 93 % 7% 94 % 94 % 95 % 96 % 97 % 6% 6% 5% 4% 3% 1% 1% 1% Source : Bertrand Richard et Dominique Miellet. Il ressort ainsi du tableau ci-dessus que : - la part des étrangers et des administrateurs indépendants continue de progresser, ce qui accroît la spécificité du Conseil d'administration français par rapport à son homologue américain par exemple (moins de 4 % d'étrangers, ce qui laisse rêveur quant à l'existence d'un marché international, sinon des dirigeants, du moins des mandataires sociaux...) ; - la part des administrateurs liés à un actionnaire ou un partenaire commercial ou financier a tendance à diminuer ; - la part des grands corps diminue ; - l'administrateur français est, en moyenne plus jeune, que ses homologues anglosaxons ; - la parité homme / femme n’est aucunement respectée. Reste que l’évolution de la gouvernance est récente et qu'elle est loin d'être achevée. Comme aux États-Unis, la crise récente a révélé les insuffisances de la gouvernance à la française. Les dirigeants d'entreprise eux-mêmes reconnaissent l'existence d'un « problème » du capitalisme français, qu'ils ont attribué à ses « pratiques » (M. Daniel Bouton), « le Conseil d'administration à la française suit encore un fonctionnement traditionnel ». De fait, les Conseils français ont du mal à se réunir pour faire leur autocritique. Il n'y a pas d'organe de contrôle des dirigeants suffisamment structuré : ceux-ci sont encore trop 69 1% PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise livrés à eux-mêmes, alors même qu'en raison de l'ampleur de leur tâche, ils souhaiteraient pouvoir disposer de points d'appui critiques. La loi sur la sécurité financière a sans doute tenté d'apporter une réponse à cette question en obligeant le président du Conseil à faire un rapport à l'Assemblée générale sur les mécanismes de contrôle interne mis en place au sein de la société. Mais n'est-il pas paradoxal de confier à celui sur lequel le contrôle doit porter au premier chef le soin de présenter - de définir aussi sans doute - les mécanismes d'évaluation critique de son action ? L’explication provient d’une part, de causes culturelles, « La France a le goût du pouvoir personnel, du chef providentiel », les dirigeants demeurent réticents à déléguer leur fonction ou à diviser leur pouvoir. Il y a également l’« ubris » des dirigeants comme en témoigne un des subordonnés de JMM : « Il faisait semblant d’écouter, mais décidément il n’entendait rien. ». Ce phénomène se caractérise par une spirale perverse : Président se fait incroyablement confiance, donc il réussit des coups audacieux. Et comme il réussit des coups audacieux, il se fait de plus en plus confiance. D’ailleurs, le monde entier l’y pousse. La presse, les investisseurs, le petit Paris. Tout le monde chante sa louange puisqu’il réussit. Au début, il pense qu’il a du talent, et à la fin il pense que c’est du génie ; Du coup, quand les ennuis commencent, il ne voit pas les signaux d’alerte. Certains dirigeants ne veulent pas seulement le pouvoir et l’argent mais aussi l’influence. Ils pensent, parce qu’ils ont réussi dans les affaires, qu’ils ont des choses essentielles à dire sur la marche de l’économie, de la société et du monde. Certains rêvent même d’acquérir la célébrité et de devenir une vedette. Le régime dit « à directoire » impose non pas la concentration du pouvoir sur une seule personne mais sur deux à cinq membres chargés de la direction, les Conseils d’administration des sociétés ne devraient-ils pas opter pour la structure duale ? D’autre part, ne faut-il pas également mettre en cause les méthodes de travail des Conseils ? Si des dérives ont été possibles en France, un certain nombre de Conseils d'administration français n'ont pas rempli leur rôle au moment même où la bulle Internet a entraîné le capitalisme financier à des niveaux jamais atteints. Tableau 10 : RECRUTEMENT DES DIRIGEANTS (1) Nomination des dirigeants Nomination des administrateurs externes RoyaumeReste de Royaume- Reste de l'Europe France France Uni l'Europe Uni 90 % 82 % 54 % 80 % 72 % 54 % Quel est l'acteur clé ? Président Comité de 15 % 48 % 12 % 30 % 47 % 19 % nomination Conseil 25 % 77 % 20 % 40 % 70 % 27 % d'administration (1) Source : Bertrand Richard, Dominique Miellet. Question posée : « qui est en charge de la nomination des dirigeants et des administrateurs ? ». Plusieurs réponses étant possibles, le total de réponses est supérieur à 100 %. Comment est-il dès lors envisageable d'aller poser à un dirigeant les questions (mode de désignation) qui dérangent ? M. Jean Peyrelevade (ex-Président du Crédit Lyonnais) l'a d'ailleurs très directement reconnu : « in fine, c'est au président qu'il revient de susciter ces discussions ». La question du mode de désignation du Conseil d'administration n'est certes pas nouvelle, mais les progrès d'une culture de la transparence la rendent aujourd'hui cruciale. La révérence traditionnelle envers la direction n'est plus acceptable. L'effet de caste n'est plus admis par les actionnaires, à juste titre. Cette insuffisance des conseils n'a pas été compensée par une plus grande vigilance des actionnaires. Certes, le constat est unanime : les Assemblées générales qui se sont tenues en 2003 pour examiner les comptes de 2002 ont été beaucoup plus houleuses qu'à l'habitude. Le 70 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise contexte d'effondrement des cours de la bourse participe sans nul doute de ce climat spécifique au sein des sociétés cotées. Mais il faut également sans doute voir dans ce que d'aucun ont considéré comme une « bronca » le résultat d'une « acclimatation » généralisée des principes de gouvernance. Reste à transformer ces manifestations symboliques en actions constructives : il n'est pas faux de considérer que « le bruit fait par des petits porteurs pèse peu par rapport à l'influence de quelques grands actionnaires ou administrateurs puissants ». Le fait même que l'activisme de certaines Assemblées générales soit taxé de « fronde des actionnaires » reflète la norme. 5- Méthodologie de la nouvelle gouvernance : pour une liberté surveillée La place des agences de notation. Jusqu’à une période récente, les agences de notation étaient méconnues en France, elles ont aujourd’hui des responsabilités importantes dans le fonctionnement global du système capitaliste. Leur pouvoir s’est illustré lors d’évènements récents : à cause d’une dégradation de la notation, VU a frôlé le dépôt de bilan. Les agences de notation sont des produits du marché, nécessaires pour évaluer la solidité financière, la capacité de remboursement des entités qui émettent sur les marchés : elles assurent l’information des investisseurs qui ne sont pas forcément des professionnels ou qui n’ont pas la capacité d’apprécier la situation financière de l’entité avec laquelle ils opèrent, les risques qu’ils prennent en faisant crédit à l’entité. Cependant, le problème de déontologie est de taille car les agences de notation, qui sont privées, sont financées par les émetteurs qu’elles sont chargées de noter. La question des méthodes de travail taraude également : les agences de notation prennent prétexte de la protection de leur secret de fabrication pour s’exonérer de tout processus externe d’examen de la qualité de leurs procédures. Aucune solution satisfaisante n'émerge pour répondre à la question du « qui contrôlera les contrôleurs ». Il est révélateur que Mme Bourven, présidente de l'ancien Conseil des Marchés Financiers, reconnaisse devant la mission, s'agissant du financement des agences, « je n'ai pas aujourd'hui de solution à cette question. », constat qui fait écho à celui de M. Jean-François Lepetit, président de l'ex-Commission des Opérations en Bourse : « si les agences de notation disposent d'informations particulières, privilégiées, le régulateur doit s'en occuper. Mais je n'ai pas de solution toute faite. » En matière de sécurité financière, le législateur a mobilisé toute sa compétence en prévoyant la publication d'un rapport annuel par l'AMF, relatif au rôle, aux règles déontologiques, à la transparence des méthodes et à l'impact de l'activité des agences de notation. Rappelons qu'alors même que les agences sont, pour les principales d'entre elles, de droit américain, même le législateur américain a dû adopter une position minimaliste en s'en remettant, lui aussi, au régulateur des marchés. Le législateur d'Enron a ainsi demandé à la SEC de s'interroger sur le rôle des agences de notation et leur importance dans le système boursier, les obstacles qu'elles rencontrent dans l'accomplissement de leur rôle, les mesures pouvant améliorer le cheminement de l'information vers le marché en provenance des agences de notation, les barrières à l'entrée sur le marché de la notation financière et les conflits d'intérêts auxquels les agences sont confrontées. La prochaine étape ne pourrait qu'être européenne : comme l'a proposé M. Pébereau (Président du Conseil d’administration de BNP Paribas), « on peut imaginer qu'en Europe d'une part, et aux États-Unis, d'autre part, un organisme indépendant de l'ensemble des acteurs du marché soit mis en place. Pour ce faire, il 71 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise pourrait être financé par une redevance prélevée sur les agences de notation ». Dans cette attente, la France, comme tous les autres pays, ne peut que s'en remettre aux règles édictées par le régulateur américain, seul organisme susceptible de disposer d'un pouvoir d'influence sur les agences, via l'agrément qu'il leur délivre pour exercer cette activité. Un auxiliaire de droit : le gendarme des marchés financiers, pivot de la bonne gouvernance. C'est un fait trop souvent oublié que la gouvernance repose sur un système à trois, et non à deux piliers : l'autorégulation, la loi et, au milieu de ces deux extrêmes, la régulation. Dans ce dernier domaine, l'autorité compétente est le gendarme des marchés financiers. En effet, elle apporte son concours à la régulation de ces marchés aux échelons européen et international », cette institution est également désormais le gendarme de la gouvernance. En effet, l’AMF établit chaque année un rapport sur la base des informations fournies par les sociétés faisant appel public à l'épargne, relatives aux méthodes qu'elles appliquent pour organiser les travaux du Conseil d'administration ou du Conseil de surveillance et aux procédures de contrôle interne qu'elles ont mises en place. Le regard extérieur, mais informé, de l’AMF introduit un nouveau tuteur aux entreprises. L'actionnaire, grand absent de la gouvernance à la française. L'une des principales conclusions de la Mission est que l'actionnaire est le grand absent de la gouvernance à la française. L'actionnaire n'est pourtant pas un objet votant non identifiable mais une réalité importante du corps social. Ainsi, en mai 2002, la France comptait 10 millions d'actionnaires, d'après une enquête réalisée pour le compte de la Banque de France et Euronext. Pour ces particuliers, la durée moyenne de détention des titres est en moyenne de trois ans et demi, contre un an et demi pour les institutionnels français et six mois pour les fonds anglo-saxons. Ce sont au total 22 % des Français âgés de plus de quinze ans qui détiennent des actions ; aux États-Unis, 50 % des ménages sont actionnaires. De tous les dirigeants auditionnés, c'est M. Peyrelevade qui a le plus vivement dénoncé l'insuffisante prise en compte de l'actionnaire dans le système français : « je considère que, pour l'instant, beaucoup de faux pouvoirs, de pouvoirs formels, sont donnés à l'Assemblée générale et que l'on évite de traiter des problèmes de fond. L'Assemblée générale, qui réunit physiquement les actionnaires, généralement des petits porteurs dont le pouvoir est nul, fournit l'occasion de manifestations médiatiques mais n’ayant pas une portée réelle. Elle permet certes de faire émerger des problèmes sous-jacents parfois, mais reste imprégnée d'un formalisme inutile, parce que le pouvoir n'est pas là. » À force d'opposer le droit des sociétés et la gouvernance à l'anglo-saxonne, tournée vers la seule maximisation du profit de l'actionnaire (culte de la sharehoder value) et un système français où l'entreprise est conçue comme une entité associant actionnaires, salariés, management, contrôleurs et fournisseurs (banques, par exemple), les évolutions réelles du capitalisme à la française ont été oubliées. Ceci conduit les dirigeants, à considérer l'actionnaire comme un acteur de second rang dans l'entreprise qu’il faut cependant abreuver. Il est donc illusoire de faire converger les intérêts divergents des dirigeants, actionnaires et administrateurs vers l’intérêt général de l’entreprise. D’autre part, il est frappant de constater à quel point l'Assemblée générale est absente des rapports Viénot et Bouton, ainsi que de la synthèse qui en a été faite récemment : l'essentiel de la réflexion tourne autour de l'organisation du Conseil d'administration. De manière révélatrice, l'actionnaire n'y est envisagé que comme un personnage passif, un 72 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise réceptacle d'informations auquel sont octroyés des droits, et jamais comme un partenaire doté d'une marge d'initiative. Certes, il est rappelé, à juste titre, que les actionnaires sont titulaires d'un certain nombre de droits légaux, mais la réalité de l'exercice de ces droits, comme leur pratique, sont totalement omises. Chacun sait pourtant que la multiplicité des informations données aux actionnaires n'est pas toujours synonyme de pertinence et de clarté ; à cet égard, il est frappant de constater combien la loi est précise et détaillée s'agissant des pouvoirs des actionnaires, alors qu'elle est très souple et laisse de larges marges d'interprétation dès lors que sont abordés les pouvoirs des dirigeants. Légiférer pour définir précisément, donc pour encadrer, le pouvoir des actionnaires reste considéré comme normal ; légiférer pour encadrer celui du Conseil serait contre-productif... Placer l'actionnaire au cœur de la gouvernance. Lors de la survenance d’une crise, le reproche est fait aux actionnaires de ne pas avoir jouer tout son rôle à l'Assemblée générale. Il faut savoir que l'entreprise n'est pas une démocratie : l'Assemblée générale rassemble les propriétaires de l'entreprise et est là pour donner sa légitimité aux instances de direction mais ce n'est pas elle qui décide des orientations. De ce point de vue, le fonctionnement de l'entreprise s'apparente davantage à un système de monarchie constitutionnelle. À bien des égards, la capacité d'intervention de l'Assemblée générale se situe ex post, dans la mise en jeu de la responsabilité civile et pénale des mandataires. Il faut développer en amont le rôle des actionnaires sans toutefois aboutir au principe d'une représentation des petits actionnaires au Conseil d'administration car cela conduirait inéluctablement à une confusion des pouvoirs de direction et de contrôle et serait préjudiciable aux actionnaires eux-mêmes. La Mission n'a pas choisi de reconnaître à l'Assemblée générale le droit d'émettre un vote consultatif spécifique sur les rémunérations. Cette proposition, qui est la seule alternative évoquée, stigmatiserait les chefs d'entreprise et risquerait de les conduire à prendre systématiquement des décisions de délocalisation, évidemment contraires à l'intérêt national. Néanmoins, la très libérale Grande-Bretagne dispose d'une réglementation obligeant les principaux groupes cotés à Londres à demander l'avis de leurs actionnaires sur la rémunération des dirigeants et bientôt sur la politique de rémunération de l'entreprise et sur le lien entre rémunération et performance. Au fur et à mesure, la combinaison entre amélioration de la transparence et accroissement de l'activisme permettra de faire en sorte que la rémunération des dirigeants sera plus efficacement reliée à la performance de l'entreprise. Les actionnaires ont raison de faire part de leurs préoccupations concernant les cas dans lesquels les dirigeants quittent des entreprises en mauvaise situation avec de fortes indemnités. Les " récompenses pour l'échec " attribuées à une petite minorité atteignent l'image et la réputation de l'ensemble du monde des affaires. D'ores et déjà, en Grande Bretagne, le directeur général du groupe pharmaceutique GlaxoSmithKline s'est vu refuser par 50,72 % d'actionnaires une révision de sa rémunération. En deuxième lieu, il n'est pas certain, d'un point de vue juridique, que les actionnaires eux-mêmes aient intérêt à une telle mesure : alors même que leur vote ne serait que consultatif, ne seraient-ils pas liés, pour l'avenir, par la seule existence d'un vote, dans l'hypothèse, par exemple, où ils souhaiteraient mettre en cause la rémunération d'un dirigeant sur le fondement de l'incrimination d'abus de bien social ? Enfin, s'agissant par exemple des indemnités d'embauche ou d'arrivée, ou de tout autre élément de la rémunération faisant l'objet d'une convention réglementée, en droit français, les actionnaires peuvent agir en votant contre celle-ci, ce qui entraîne sa nullité de droit. 73 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise La controverse sur les rémunérations des dirigeants sociaux montre toutefois que la réforme, qui est venue bouleverser la culture française, doit s'accompagner de pédagogie : il ne suffit pas de jeter en pâture des rémunérations, généralement élevées ; encore faut-il expliquer ce qu'est la rémunération d'un dirigeant social dans une société où le modèle dominant est le salariat ou le traitement. Le but n'est pas, en effet, de critiquer le fait que les dirigeants de grandes entreprises touchent des rémunérations élevées mais de pointer les dysfonctionnements, c'est-à-dire les écarts entre rémunération et résultat. Le tableau qui suit illustre la complexité de la rémunération d'un dirigeant social, qui comprend théoriquement six niveaux. Là où le salarié n'est rémunéré qu'avec un étage (salaire) ou deux (intéressement) et, plus rarement, trois dans les entreprises où existent des systèmes de participation, de multiples éléments entrent en compte dans la détermination de la rémunération d'un dirigeant de société. Le salaire de base rémunère, en quelque sorte, sa compétence « théorique » c'est-à-dire celle qu'il est réputé avoir à partir de ses expériences professionnelles antérieures ; le bonus est fondé sur sa capacité à atteindre les objectifs annuels, qui peuvent être fort divers ; d'autres éléments servent à rémunérer la performance de l'entreprise à moyen terme ; quant à la spécificité des régimes de retraite et des indemnités de départ, elle reflète largement la précarité de la fonction, le dirigeant étant révocable ad nutum (sans délai et sans préavis). Tableau 11 : Les principaux étages de la structure de rémunération des dirigeants Indemnités de départ Préjudice / perte d'emploi Retraite Rémunération différée Variable long terme Création de valeur durable au moins 4 ans et plus Variable moyen terme Performance de l'entreprise sur un horizon de 3 / 4 ans Variable court terme Performance annuelle Salaire de base Compétences Source : Ernst & Young Law Toutes les composantes théoriques de la rémunération sont, peu ou prou, prises en compte de la même façon d'un pays à l'autre, comme le montre le tableau suivant. 74 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise Tableau 12 : Les structures de rémunération des dirigeants : comparaison internationale Éléments États-Unis Royaume-Uni Allemagne France Indemnités de départ Golden parachute Golden parachute Golden parachute Golden parachute Retraite Prestations définies Prestations définies Prestations définies Prestations définies Variable long terme Stock options Stock options Stock options Stock options Variable moyen terme Actions gratuites et SARs (1) Stock options, Actions gratuites et bonus en numéraire Stock options et SARs Variable court terme Bonus en numéraire Bonus en numéraire Bonus en numéraire Bonus en numéraire Salaire de base Salaire fixe Salaire fixe Salaire fixe Salaire fixe (1) Stock Appreciation Rights (SARs), qui permettent de recevoir en année n + 3 ou n + 4 une somme en cash égale à l'augmentation de la valeur de l'action sous-jacente en année n. La seule différence notoire concerne la prise en compte de la performance de l'entreprise à moyen terme : si la France l'ignore, les autres pays la rémunèrent par divers mécanismes. Placer l’actionnaire au cœur de la gouvernance consiste ainsi à dévoiler plus précisément le détail de la rémunération des dirigeants. Enfin, valoriser le rôle de l'actionnaire ne signifie pas seulement lui donner de nouveaux pouvoirs : cela implique également qu'il remplisse mieux ses devoirs. Notamment, les investisseurs institutionnels doivent pleinement assumer leur rôle d'actionnaire. Dans la mesure où il n'existe pas de fonds de pension français, notre pays est resté très en retrait sur la réflexion relative à l'implication de cette catégorie d'investisseurs. Or, dans les pays anglo-saxons, ceux-ci sont soumis à des obligations très strictes : aux ÉtatsUnis par exemple, la législation sur les fonds de retraites, éclairée par une circulaire du département du Travail en 1994, fait du vote en Assemblée générale un élément de la responsabilité fiduciaire du gestionnaire de fonds et lui impose d'intervenir lorsque son action peut raisonnablement accroître la valeur de l'investissement. Par ailleurs, certains investisseurs institutionnels et fonds de pension édictent des codes d'éthique. Ainsi, au Royaume-Uni, l'association nationale des fonds de pension recommande à ses membres de s'abstenir de voter dès lors qu'elle estime que les critères de performance justifiant l'attribution de stock options sont opaques. Dans le même ordre d'idées, et pour en revenir aux rémunérations, cette même association britannique a publié une déclaration précisant que « les Conseils d'administration devraient calculer le coût potentiel de résiliation du contrat en termes financiers. Ce calcul doit couvrir l'ensemble des éléments liés au licenciement », déclaration qui s'accompagne d'un guide sur les contrats et les pensions de retraite, sources de frais souvent élevés pour les actionnaires. La France s'est, depuis peu, dotée de règles touchant les investisseurs institutionnels : ainsi, en vertu de l'article 66 de la loi de sécurité financière, les règles de bonne conduite édictées par le régulateur des marchés financiers doivent obliger les sociétés de gestion de portefeuille à exercer leurs droits de vote et, sinon, à s'en expliquer. À l'instar de ce qui se pratique dans les fonds d'investissements britanniques, il serait souhaitable que 75 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise des principes précis soient édictés concernant la politique de vote, tant au regard des rémunérations que de la politique d'attribution de stocks-options ou de la composition du Conseil d'administration, en définitive, il faut établir de la transparence à tout point de vue. Dynamiser et responsabiliser le Conseil d'administration. Cette proposition fait d'ailleurs écho à celle que propose l'Institut Montaigne, selon lequel « une avancée significative pourrait être réalisée en obligeant les sociétés à doter leur Conseil d'administration d'un règlement intérieur adapté (pratique existante mais non généralisée) ». L'annexion du règlement intérieur au rapport annuel complèterait utilement le rapport du Président instauré par l'article 117 de la loi de sécurité financière du 1er août 2003. En effet, il est désormais fait obligation au président du Conseil d'administration de rendre compte dans un rapport joint au rapport annuel « des conditions de préparation et d'organisation des travaux, des procédures de contrôle interne mises en place par la société et des éventuelles limitations que le Conseil d'administration apporte aux pouvoirs du directeur général ». Certains commentateurs se sont interrogés sur les conditions d'application exactes de cet article 117 de la loi de sécurité financière. Dans le schéma que nous proposons, le règlement intérieur décrirait précisément certes, de manière abstraite, les différents éléments que nous venons de mentionner, tandis que le rapport du président instauré par cet article 117 expliquerait comment ils ont été concrètement mis en œuvre. Nous sommes persuadés que cette double base permettrait d'engager un dialogue constructif entre le Conseil et les actionnaires. De fait, comment imaginer qu'une structure aussi complexe que l'entreprise fonctionne sans ce document, qui n'est rien d'autre qu'une charte définissant les fonctions, droits et devoirs de chacun et évite l'arbitraire d'un pouvoir autocratique ? Cela ne signifie pas que la Mission impose aux entreprises de se doter d'un tel outil de travail : aux actionnaires d'en tirer les conséquences en termes de crédibilité de la gouvernance, quand une société refuse de se doter d'un règlement intérieur. La rédaction d'un règlement intérieur du Conseil d'administration est une pratique fréquente dans les pays anglo-saxons alors qu'elle reste trop rare en France. Cette spécificité tient largement au fait que disposer d'un tel document revient à encadrer le pouvoir du président. L'intérêt de ce document est de préciser, noir sur blanc, notamment les règles de composition et de fonctionnement des comités spécialisés. Sans doute des règles existent-elles déjà, même si elles ne sont pas écrites. Mais préciser que le président ne peut pas assister ni aux délibérations ni à la décision du comité des rémunérations sur sa rémunération éviterait certaines tentations. Pour l'heure, quand un président devra rendre compte à l'Assemblée du fonctionnement du Conseil, l'exercice n'est guère encadré. Si le règlement intérieur existait et était publié par les sociétés du CAC 40, l’exercice ne laisserait de place à l’imagination du président. Il ne semble pourtant pas qu'il s'agisse de la solution miracle. L'existence formelle d’un comité de rémunération ne garantit pas sur le fond une meilleure transparence dans la détermination des critères définissant les principaux éléments de la rémunération. On peut même parfois avoir le sentiment que l'institution d'un tel comité a quelquefois représenté un moyen pratique de traiter de cette question taboue en comité plus restreint encore que ne l'est le Conseil d'administration. De même, l'utilité des comités des nominations est contestable s'ils sont composés d'administrateurs croisés. - il n'est donc pas souhaitable que le Conseil d'administration comporte des administrateurs croisés ou circulaires ; - le président du Conseil doit s'abstenir de participer aux séances du comité des rémunérations ; 76 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise - en aucun cas par conséquent, le comité ne devrait être conçu comme un prétexte pour les administrateurs de se défausser. L'idée n'est pas de traiter en petit comité un sujet tabou - les rémunérations - ou délicat - les nominations d'administrateurs ou les plans de succession : une telle approche conduirait à atteindre le but inverse de celui recherché par la théorie de la gouvernance puisqu'elle reviendrait à faire traiter dans l'opacité d'un comité de trois personnes, sans existence légale rappelons-le, un sujet d'importance majeure, sur lequel le Conseil d'administration, sous prétexte de l'existence d'un organe spécialisé en la matière, ne débattrait même pas. Dès lors qu'un règlement intérieur est instauré, la Mission estime en outre nécessaire qu'il inclue une sorte de charte de l'administrateur, dans laquelle figurerait notamment le principe de la transparence totale des opérations réalisées par les banques représentées au conseil et des mandats qui leur sont confiés par celui-ci. Cette proposition fait écho aux recommandations d'Aldo Cardoso, président d'Andersen Worldwide, qui prône la mise en place d'une déclaration de conflits d'intérêts par l'administrateur, avec abstention de participation à la délibération ou au moins au vote lorsqu'un tel risque se présente. De fait, pour résoudre les conflits d'intérêts potentiels au sein du Conseil, l'approche pertinente se situe, non en termes d'indépendance, mais de conflit d'intérêts, à l'instar de la démarche adoptée par le Deutsche Kodex (code de gouvernance allemand) publié en septembre 2002. Ce document précise que : « Les membres du Conseil d'administration ont obligation d'agir dans l'intérêt de la société ». Dés lors afin d’empêcher les conflits d’intérêt, il faut se cantonner à une équipe restreinte où règne la cohésion pour faire triompher la société dans le respect des règles, la Mission propose ainsi de limiter le nombre de membres du Conseil d’administration à quatorze. La prise de parole s'en trouvera facilitée et la nomination des administrateurs recentrée sur le seul critère de la compétence. L’administrateur indépendant joue-t-il véritablement un rôle de garde-fou dans les Conseils d’administration ? Le débat anglo-saxon sur l'administrateur indépendant correspond au débat français sur la diversification de la composition du Conseil d'administration et des comités créés en son sein. Il pose une vraie question, sous la mauvaise forme : Comment garantir que le Conseil sera composé d'administrateurs suffisamment compétents pour diriger l'entreprise avec le président et suffisamment courageux pour contrôler ce dernier ? Pour reprendre les mots de M. Daniel Bouton, « existe-t-il des règles, une alchimie particulière qui garantisse la meilleure composition possible d'un Conseil d'administration ? » Que nul ne s'y trompe : l'idéal n'existe pas en la matière. Reste que quelques principes peuvent être néanmoins posés. Ainsi, en France, ces questions conduisent immédiatement à se pencher sur la question des administrateurs croisés - M. X est administrateur du Conseil d'administration de la société de M. Y, lui-même membre du conseil de la société de M. X - et circulaires - M. X est administrateur dans la société de M. Y et dans celle de M. Z et M. Y est administrateur dans la société de M. Z, où il retrouve M. X... . Il serait intéressant d'ailleurs que les organisations patronales réfléchissent sur cette notion d'« administrateur circulaire », qui devrait, à l'avenir, constituer un label aussi disqualifiant que celui d'administrateur croisé. On le voit, la question de la composition du Conseil pose encore et toujours la question de la grande concentration des postes d'administrateurs en France. Pour surmonter l'impossibilité de définir l'indépendance, la Mission propose que, d'une part, les modalités de fonctionnement du comité des nominations, qui ne doit pas être présidé par le président du Conseil, figurent dans le règlement intérieur ; d'autre part, le Conseil d'administration consacre une séance spécifique au choix de tout nouvel administrateur à proposer à l'Assemblée générale. Cette proposition est, par ailleurs, 77 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise également de nature à résoudre, plus en amont encore, la question des conflits d'intérêts potentiels évoquée ci-dessus. Dans le respect des missions dévolues à chacun des organes de la société, la Mission d’information sur la réforme du droit des sociétés a fait un certain nombre de propositions en faveur d'un rôle actif de l'actionnaire qui sont résumées ci-dessous : Réhabiliter l’actionnaire 1° Certification par les commissaires aux comptes de la sincérité des informations relatives aux rémunérations individuelles, dans toutes leurs composantes, avec présentation dans les comptes annuels soumis au vote de l’Assemblée Générale ; 2° Amélioration de la transparence de la politique de vote des investisseurs institutionnels au sein des sociétés dans lesquelles ils investissent ; 3° Renforcement de la possibilité pour l’actionnaire de faire valoir l’existence d’un préjudice social en cas de consécration de la responsabilité des dirigeants pour faute de gestion ; 4° Améliorer la qualité et la sincérité de l’information financière fournie par les analystes de banques en inscrivant le principe de « murailles de Chine » dans la loi, au sein des établissements bancaires entre activités de placement et activités d'analyse financière. Responsabiliser le Conseil d’Administration 5° Publication du règlement intérieur du Conseil d’administration dans le rapport annuel => néanmoins, l’information trop exhaustive, peu pertinente et superflue doit être écartée, il faut exposer les règles substantielles qui régissent la bonne gouvernance, les sanctions encourues afférentes en cas de non respect du règlement intérieur ; 6° Transparence totale des opérations réalisées par les banques représentées au Conseil d’administration et des mandats qui leurs sont confiés, intégrée dans le règlement intérieur ; 7° Instauration de mécanismes de cession d’actions gratuites, avec obligation de conservation de celles-ci à moyen terme, pour associer les administrateurs dirigeants sociaux à l’évolution de la société ; 8° Limitation du nombre d’administrateurs à 14 maximum ; 9° Obligation pour le Conseil d’administration de consacrer une séance spécifique à l’examen du projet de nomination de tout administrateur, le cas échéant après réunion du comité de nomination et, le jour de leur désignation, obligation pour les administrateurs pressentis d’assister et de se présenter à l’Assemblée générale qui les nomme. Clarifier les pratiques en matière de rémunérations 10° Interdiction de souscrire des plans de stock-options en période d’effondrement des cours, placée sous le contrôle de l’AMF ; 11° Ediction par l’AMF d’un formulaire normalisé sur les règles de présentation des rémunérations ; 12° Diffusion par l’AMF, par exemple sur son site Internet, de tableaux à jour récapitulant les rémunérations des dirigeants de sociétés du SBF 120, avec en comparaison les résultats des années N-1 et N. 78 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise Le chantier des réformes sur la gouvernance d’entreprise n’étant pas encore achevé, tous les dispositifs quels qu’ils soient, concourant à une meilleure pratique de la gouvernance devront d’une part, pouvoir être acceptés par tous les acteurs du capitalisme financier, et d’autre part nécessiter un délai de mise en application pour les entreprises. Pour conclure, JMM utilise la dernière partie de son livre pour livrer des considérations sur la réforme du capitalisme. Il plaide pour la limitation du recours aux stock-options, le retour d’une certaine prédominance du politique sur le tout-économique et pour l’introduction de contre-pouvoirs face à la mondialisation. B- L’amélioration de l’efficience du gouvernement Vivendi : le passage obligé par la restructuration du groupe Appelé début juillet 2002 à la tête de VU pour redresser le groupe en pleine tourmente financière à la suite de la fringale d'acquisitions de son ancien PDG JMM, limogé, JeanRené Fourtou s'est engagé, dès son arrivée, à clarifier la stratégie du groupe et à mettre à plat ses comptes, y compris en révisant à la baisse la valeur de ses actifs. Il est encore trop tôt pour parler des modalités des investissements éthiques et gouvernementales développés par Vivendi si ce n’est la mise en place d’une nouvelle équipe de dirigeants mais pas d’administrateurs. La priorité est la clarification de la stratégie. La redéfinition des contours de la stratégie du groupe : le recentrage. De par l’endettement hérité de l’ère JMM qui fait subir au groupe de nombreuses échéances financières à respecter, les objectifs de VU demeurent encore aujourd'hui la survie après avoir été en partie « littéralement dépecé » : cession du très emblématique portail internet Vizzavi à l'opérateur britannique Vodafone, cession du pôle édition (VU Publishing), sortie de Vivendi Environnement, sortie d'Echostar et enfin la cession définitive de la branche italienne de Canal+. Le groupe exerce pour l’instant les activités suivantes : • • • • • • La téléphonie privée (fixe, mobile et Internet) avec le Groupe Cegetel, véritable cash machine de Vivendi, la téléphonie publique avec Maroc Télécom, la musique avec UMG (Universal Music Group) qui vend un album sur quatre dans le monde, la télévision payante avec le groupe Canal+ qui gère également la distribution de films et la commercialisation de droits sportifs, Vivendi Universal Games et ses jeux vidéos, Vivendi Universal Entertainment, dédiée à la production et à la distribution de longs métrages, à l'exploitation de chaînes de télévision câblées (issues du rachat de USA Networks) et de parcs à thèmes. Les conclusions de l’audit, commandé par le groupe après l’éviction de JMM, sur les activités multiformes sont à l’origine de la nouvelle stratégie du groupe, à savoir se recentrer en les accélérant, ses deux principaux cœurs d'activité : les télécoms et les médias. 79 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise Le groupe Vivendi Universal (VU) va positionner son recentrage, dont l’achèvement est prévu pour la fin de l’exercice 2004, sur les filiales suivantes : Cegetel-SFR, Canal+ et Universal Music, c’est ce qu’a indiqué le PDG M. Fourtou lors de l’Assemblée générale d’avril 2003. La cession des actifs américains tels que les studios VU Entertainment est d’ores et déjà programmée. Selon M. Fourtou : « Il n’y a aucune synergie à envisager entre le cinéma et la musique d’Universal, nous préférons miser sur UMG en fonction de ses meilleures perspectives de rentabilité ». Il a précisé que Universal Music resterait une filiale à 100 % ou « en partenariat » avec d’autres industriels. Le point central de Vivendi Universal sera donc Cegetel, détenu pour l’instant à 56 %, mais que son PDG espère contrôler fin 2004 en totalité. Si les actifs de Vivendi Environnement sont cédés rapidement sans trop de pertes, le groupe s’engage, concernant Maroc Télécom détenu pour l’instant à 35 %, à convaincre les autorités marocaines de lui céder le reste du capital alors que dernièrement cet actif était dans la liste des actifs à vendre... Les restes du pôle internet (VU Net), en plein démantèlement depuis mi-2002, affichent d’énormes pertes. Cette activité constitue un grand désastre pour le groupe qui a échoué dans ses tentatives de cessions. Globalement, tous les actifs composant VU Net, qui sont sans espoir de vente ferme à court-terme, seront liquidés, à part si certaines entités peuvent rejoindre d’autres pôles. Les entités pressenties à être conservées sont Pressplay, la plate-forme de distribution musicale (Universal Music), ou encore MP3.com USA (MP3.com Europe a été liquidé). En revanche pour le reste des actifs (Education.com, I-France, Allociné, E-brands, etc.), l’avenir est plus compromis. Par ailleurs, accablé par les procès de toute part, le groupe n’a de toute façon pas la préoccupation présente de l’amélioration de sa gouvernance si ce n’est de se conformer à la loi sur la sécurité financière. Le thème de la gouvernance a incontestablement été détourné par toutes les péripéties qu’a connu le groupe suite au départ de JMM. L’ombre de Messier plane encore. En témoigne l’Assemblée générale d’avril 2003, les actionnaires sont restés silencieux pendant deux bonnes heures avant d’aborder les sujets qui provoquent des remous : la gestion passée de JMM et la complicité de certains administrateurs. « J’ai entendu le commissaire aux comptes qui a validé vos comptes et semblait satisfait », a expliqué au micro un actionnaire septuagénaire avisé. « Le problème, c’est que j’entends la même formule de l’an dernier, comme il y a deux ans... » Un autre a ironisé sur les applaudissements qui ont suivi le discours de M. Fourtou. « J’ai entendu les mêmes l’an dernier à l’adresse de M. Messier... » Et un autre, contestant le montant de la dette sans avoir de micro, s’est fait expulser manu militari par une porte dérobée... Ambiance. Edgar Bronfman Jr, héritier de l’empire Seagram qui a vendu Universal à Messier en 2001, s’est fait apostrophé pour avoir « laissé faire Messier »... Il a prétendu avoir été à l’origine du départ de JMM, et a dénoncé sans mea culpa son « management irresponsable ». Un management que Bronfman approuvait encore, comme le reste du Conseil, lors de l’Assemblée générale d’avril 2002. Enfin, les actionnaires n’ont pas été informés publiquement du non-piratage du système de vote électronique utilisé lors de l’Assemblée générale 2002. Alors que JMM, contrairement aux évidences les plus officielles, a encore prétendu l’inverse en mars 2003. Le gouvernement de VU n’a pas pris la mesure de mettre en lumière tous les dysfonctionnements qui ont régné en matière de gouvernance d’entreprise et n’est pas encore disposé à le faire. 80 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise Actionnariat 2004. Tableau 13 : Actionnaires Autres actionnaires Groupe PHILIPS Salariés (épargne salariale) Caisse des Dépôts et Consignations CITIGROUP BNP PARIBAS UBS Warburg Compagnie de SAINT GOBAIN SOCIETE GENERALE Famille Bronfman VEOLIA (ex VIVENDI ENVIRONNEMENT) AXA % du capital au 29/02/2004 87,04 3.01 1,65 1,78 1,69 1,15 1,02 0,50 0,92 0,67 0,54 0,03 Nous constatons que le groupe ne possède plus d’actions d’autocontrôle. Vivendi Universal : résiste, prouve que tu existes. Le recentrage des activités du groupe sur les télécoms et les médias se matérialise si l’on en juge le tableau suivant, à l’exception de VU Entertainment qui est dans le giron des désinvestissements. Tableau 14 : Ventilation du Chiffre d’affaires par activité (Données au 31/12/2003) Télécommunications Vivendi Musique Jeux Groupe Divers (Cegetel ; Maroc Universal (Universal Canal + Vidéos Telecom) Entertainment Music Group) 36,00 % 24,00 % 20,00 % 16,00 % 2,00 % 2,00 % Le tableau ci-dessous montre qu’à première vue le recentrage porte ses fruits. Tableau 15 : Bénéfice net par action Résultat net * Chiffre d'affaires * Euro / * en million(s) Chiffres clés 2003 2002 2001 -1,07 -21,43 -13,53 1143 25 482 -23301 60 989 -13597 57 360 2000 3,6 1999 2,7 1998 2,5 2299 52 521 1434,6 44 000 1120,8 31 737 Ce tableau nous permet d’observer plusieurs éléments : Malgré un chiffre d’affaires presque divisé par trois, le résultat net est positif après deux années de pertes. Nous ne pouvons pas imputer ce modeste profit aux seules cessions d’actifs car d’une part, les cessions n’ont pas été très prolifiques et d’autre part, un certain nombre d’actifs ont été liquidés. Certes, l’allègement des activités a eu un impact significatif sur la baisse du chiffre d’affaires mais les activités conservées semblent consommer moins de charges. Le groupe a véritablement retrouvé une lisibilité de sa 81 PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise stratégie grâce à la cession des poids morts, un recentrage qui fait ses preuves. Au terme de l’année 2004, les actionnaires devraient retrouver un bénéfice net par action positif. Le remaniement des activités du groupe, insufflé par le gouvernement installé depuis un peu plus d’un an maintenant, démontre l’efficience de son action dont la primauté est de tendre vers la création de valeur. Néanmoins, il reste à instaurer toute la transparence sur les pratiques gouvernementales au sein du groupe… 82 Conclusion Incontestablement, les contraintes financières conditionnent la stratégie de croissance de l’entreprise, les dirigeants doivent choisir une stratégie sous la contrainte de l’optimisation de l’emploi des ressources. La stratégie ainsi adoptée doit se traduire par la maximisation de la création de valeur de l’entreprise et le partage judicieux de cette création de valeur, afin de satisfaire l’ensemble des parties prenantes dont les actionnaires. Si tel n’est pas le cas, la situation débouche sur une crise gouvernementale par la rupture d’une cohérence d’ensemble au sein de l’entreprise. Dés lors, la notion de gouvernement révolutionné de l’entreprise complexe est très importante à comprendre lors d’une situation difficile qui souligne la fragilité de l’agencement des pouvoirs et insiste sur les déséquilibres provoqués par la destruction de valeur. Les difficultés financières, par l’impact qu’elles ont sur les contrats, révolutionnent un gouvernement installé et remettent en cause la maîtrise du projet économique. En effet, seul un système de gouvernement accepté et équilibré peut permettre à l’entreprise de réguler des difficultés. Or, en l’espèce, Vivendi a été victime dés le départ de l’individualisme de son dirigeant atteint de mégalomanie et le Conseil d’Administration de Vivendi a trop tardé à démettre son président. Il aura fallu l’influence des milieux politiques et patronaux pour mettre un terme au mandat du président de Vivendi. Ces arrangements ont révélé les carences du capitalisme en France caractérisé par une gouvernance de « copinage » trop souvent autoproclamée. La concentration de l’actionnariat français est sans doute également une des explications du phénomène. Par conséquent, il faut développer les mécanismes de contrôle des contrôleurs privés et promouvoir l’encadrement de ceux-ci par une autorité publique suffisamment puissante pour maintenir l’indépendance des contrôleurs privés. La création de l’Autorité des Marchés Financiers renforce les pouvoirs d’intervention des instances de contrôles publiques mais il faut promulguer l’instauration d’une autorité de tutelle efficace à l’échelle européenne et internationale. Dans le présent, l’établissement d’un dispositif législatif en matière de gouvernance permet la mise en conformité des entreprises à ses principes. Les lois et les préconisations, même si certaines mesures sont contestables, vont produire un effet d’atténuation du pouvoir discrétionnaire du management, les organes de gestion vont être davantage dans l’obligation de rendre des « comptes » fiables et vérifiables devant les Assemblées Générales d’actionnaires. La fameuse discipline de marché ne peut être maintenue que par la transparence de l’information. Cette étude a révélé qu’il aura fallu néanmoins attendre l’apparition de graves crises gouvernementales au sein de firmes renommées pour faire avancer l’institutionnalisation des principes d’éthique et de gouvernance d’entreprise en France et pour faire prendre conscience aux dirigeants que comme l’a dit un de ses pairs, Messier est allé « à la limite du concevable. Il a montré la zone de feu. Celle où plus aucun PDG ne prendra le risque d’aller ». 83 Liste des annexes v Annexe 1 : Illustration de la bulle Internet…..page 84 v Annexe 2 : L’évolution du cours et du nombre d’actions Vivendi Universal entre juillet 1998 et juillet 2004……………….page 85 v Annexe 3 : Evolution des indicateurs de performance………………………page 86 v Annexe 4 : Le choix de la méthode de consolidation……………………...page 87 v Annexe 5 : Le bilan tiré de la gouvernance à la française…………………………..page 88 84 Annexe 1 : Illustration de la bulle Internet 85 Annexe 2 : L’évolution du cours et du nombre d’actions Vivendi Universal entre juillet 1998 et juillet 2004 86 Annexe 3 : Evolution des indicateurs de performance ü WACC (Weighted Average Cost of Capital) : il s’agit de la moyenne pondérée entre le coût des capitaux propres et le coût après impôt de l’endettement, les coefficients de pondération correspondant au poids relatif (en valeur de marché) des deux sources de financement. ü TSR (Total Shareholder Return) : Le Total Shareholder Return correspond au taux de rentabilité d'une action sur une période donnée et intègre les dividendes reçus et la plus-value réalisée. 87 Annexe 4 : Le choix de la méthode de consolidation Type de lien de dépendance Dans quel cas ? Méthode de consolidation Il résulte : Contrôle exclusif - soit de la détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote : contrôle de droit ; - soit de la désignation pendant deux exercices successifs de la majorité des organes de direction. Cela est présumé lorsque la société mère détient 40 % des droits de vote (à condition qu’il n’y ait pas un autre associé plus important détenant plus de 40 % des droits de vote) : contrôle de fait ; - soit du droit d’exercer une influence dominante en vertu d’un contrat (même avec par exemple 30 % des droits de vote détenus) : contrôle contractuel. Méthode de l’intégration g lo b a le Contrôle conjoint Des actionnaires en nombre limité, y partagent la quasi-totalité du capital et les décisions résultent de leur accord collégial. Elles sont dites « communautaires d’intérêts » ou « sociétés multigroupes ». Méthode de l’intégration proportionnelle Influence notable La société mère y exerce une influence notable. Cela est présumé lorsque 20 % des droits de vote au moins sont détenus par le groupe, directement ou indirectement. Méthode de la mise en équivalence 88 Annexe 5 : Le bilan tiré de la gouvernance à la française 89 Glossaire A Aller/Retour (intraday) : Opération d'achat et vente réalisée sur une même journée. Ces opérations ont le plus souvent une faible rentabilité mais leur multiplication peut accroître rapidement les gains sur un portefeuille. Les Aller / Retour peuvent être utilisés soit lors d'annonces spécifiques (secteur, société...) ou bien au sein de la fourchette de cotation qui peut quelquefois être de 3 ou 4 %. AMF : Née de la fusion de trois entités : la Commission des Opérations de Bourse (ou COB), le Conseil des Marchés Financiers (ou CMF) et enfin la Conseil de Discipline de la Gestion Financière (CDGF), l'Autorité des Marchés Financiers est l’autorité de régulation des marchés financiers en France. Cette fusion facilite le travail de régulation et de contrôle des marchés financiers de la nouvelle entité. Amortissement : c’est la constatation comptable de la perte de valeur d’un élément d’actif (immobilisation). Appel de marge : Suivant la position prise par un client sur les marchés à terme, le teneur de compte peut être amené à lui demander de verser un complément de couverture suite à une variation de cours du sous-jacent. Cet appel de marge permet de reconstituer la couverture et donc de respecter le rapport imposé entre position et couverture. Il doit être versé dans des délais très brefs faute de quoi le teneur de compte peut être amené à liquider tout ou partie de la position. B Bénéfice par action (BPA) : Le bénéfice par action traduit l'enrichissement théorique, d'un actionnaire détenant une action, au cours d'un exercice. Le bénéfice net est en effet la part revenant aux actionnaires de la richesse créée par l'entreprise pendant ce même exercice. Le bénéfice par action fait l'objet d'un calcul très précis, l'analyste corrigeant le résultat net part du groupe publié de l'impact des survaleurs et des opérations exceptionnelles. Trop souvent, le BPA est considéré comme le critère financier le plus important alors qu'il peut être manipulé par certains choix multiples, recours à l'endettement, une fusion, une acquisition. La progression du BPA n'est pas toujours synonyme de création de valeur, son recul de destruction de valeur. Besoins en Fonds de Roulement (BFR) : c’est le montant des capitaux nécessaires pour faire face à l’ensemble des opérations d’exploitation. Il se calcule par la différence entre les actifs d’exploitation et les passifs d’exploitation. Bilan : document de synthèse décrivant séparément à la clôture de l’exercice, les éléments actifs (emplois) et passifs (ressources) de l’entreprise. C Capitaux propres : c’est la principale ressource de l’entreprise puisqu’ils représentent la mise de fonds des propriétaires de l’entreprise plus le cumul des résultats non distribués. Ils représentent ainsi les intérêts des associés ou des actionnaires dans l’entreprise. Cash-flow libre ou disponible ou Free Cash-Flow (FCF) : C’est la trésorerie potentielle disponible, abstraction faite des décalages de trésorerie (créances et dettes), pour assurer le paiement des apporteurs en capitaux (banques et actionnaires). Elle s’entend donc après financement des investissements, hors coût de la dette financière, et après impôt. On entend par investissement, la variation du besoin en fonds de roulement (BFR) et les investissements bruts des immobilisations. 90 FCF = résultat économique net d’impôt (RE) + dotation aux amortissements - variation du BFR - dépenses d’investissement. Avec RE = résultat d’exploitation + produits financiers, (Jensen-1986). CEO : Chief Executive Officer, terme anglo-saxon qui signifie directeur général (Président Directeur Général = chairman). Class action : c’est une action en justice intentée par une personne physique pour ellemême ainsi que pour les autres membres d’un groupe qu’elle définit elle-même. Closing : terme anglais signifiant la fin d’une opération, ou dans le cadre d’une levée de fonds par une société d’investissement, l’arrivée au terme du montant en souscription. COB : Commission des Opérations en Bourse Cross-default : Clause stipulant que tout cas de défaut constatée sur une autre dette que celle de l’investisseur constitue un cas de défaut sur la dette de l’investisseur. D Defeasance : c’est une opération de désendettement de fait qui permet de compenser une dette par une créance. Une entreprise possède une créance longue sur un tiers. Elle a par ailleurs une dette envers un autre tiers. L’opération de defeasance consiste à transférer à une entité tierce la créance et la dette, de sorte que les revenus obtenus de la créance cédée permettent à cette entité tierce d’assurer le service de la dette. E EBIT : Earnings Before Interest, Taxes, solde intermédiaire de gestion anglo-saxon. Cf. Résultat d’exploitation. L’EBIT est généralement inférieur à son équivalent en comptabilité française du fait des différences entre normes américaines et normes françaises. EBITDA : Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization, solde intermédiaire de gestion anglo-saxon. Cf. EBE. L’EBITDA est généralement inférieur à son équivalent en comptabilité française du fait des différences entre normes américaines et normes françaises. Endettement net : L'endettement net, ou dette financière nette, d'une entreprise est le solde de ses dettes financières d'une part, du disponible et des placements financiers d'autre part. Ce solde représente la position créditrice ou débitrice de l'entreprise vis-àvis des tiers et hors cycle d'exploitation. C'est ce solde qui est utilisé dans le calcul de l'effet de levier. Excédent Brut d’Exploitation (EBE): il représente la ressource fondamentale que l’entreprise obtient à partir de son exploitation, le cash qui permet de financer les investissements et de rémunérer les prêteurs de capitaux. Il se calcule par la différence entre les produits et les charges d’exploitation avant dépréciation et amortissement : EBE = Production vendue + production stockée + production immobilisée – consommation en provenance des tiers + Subventions d’exploitation – impôts et taxes – charges de personnel. F Fonds commun de créances : c’est une structure ad hoc utilisée pour recevoir des actifs d’une ou plusieurs entreprises et émettre en une seule fois des parts représentatives des actifs acquis, en l’occurrence des titres de créance. Fonds propres : ils sont constitués des capitaux permanents diminués des dettes à moyen et long terme, des réserves et des provisions assimilées aux réserves. Les capitaux permanents comprennent les capitaux propres et les dettes à long terme. Les capitaux propres regroupent le capital social et la totalité des réserves. Le capital social désigne l’ensemble des apports effectués par les propriétaires de l’entreprise (actionnaires ou apporteurs de parts). 91 G Goodwill ou survaleur : c’est un poste inscrit à l’actif du bilan d’une société mère. Il résulte de la différence entre la valeur d’achat et la valeur comptable des fonds propres de l’entreprise cible d’une Offre Publique d’Achat ou d’une Offre Publique d’Echange. Il se calcule par la différence entre l’écart de consolidation (coût d’acquisition des titres des sociétés achetés minoré de la quote-part de capitaux propres acquises de ces mêmes sociétés) et l’écart d’évaluation (quote-part de plus-values acquises sur les actifs et passifs de la société cible). Gouvernement d’entreprise ou gouvernement de l’entreprise : organisation du pouvoir au sein d’une société ou d’une entreprise visant à un équilibre entre les instances de direction, les instance de contrôle et les actionnaires ou sociétaires. En anglais, on parle de corporate governance. H Hedge funds : ce sont des fonds spéculatifs recherchant des rentabilités élevées et qui utilisent abondamment les produits dérivés, en particuliers les options. Ils utilisent l’effet de levier, c’est-à-dire la capacité à engager un volume de capitaux qui soit un multiple plus ou moins grand de la valeur de leurs capitaux propres. Les hedge funds présentent l’intérêt d’offrir une diversification supplémentaire aux portefeuilles « classiques » car leurs résultats sont en théorie déconnectés des performances des marchés d’actions et d’obligations. Hubris ou Ubris : Les Grecs avaient coutume d’appeler hubris la folie des grandeurs saisissant leurs héros, délire de démesure venu avec la gloire, ambition d’outrepasser les limites de la condition humaine et de rejoindre celle des dieux. L Lease-back : il s’agit d’une opération de financement garantie par des actifs de la société. La société cède le bien à une société de leasing en contrepartie du prix de vente. La société de leasing lui loue ensuite le bien. Les loyers sont considérés comme des engagements hors-bilan de crédit-bail pour la société cédante. M MEDAF : Modèle d’évaluation des actifs financiers : Taux de rentabilité exigé par un investisseur = Taux de rendement du marché sans risque + Bêta (= coefficient de sensibilité ou élasticité de l’action par rapport au marché qui mesure le risque non diversifiable d’un actif) × Prime de risque du marché (= écart de rentabilité attendue entre le marché dans sa totalité ou taux de rendement moyen du marché et l’actif sans risque ou taux de rendement sans risque). O OCEANE : On parle d'OCEANE (obligation à option de conversion en actions nouvelles ou en actions existantes) quand l'émetteur d'une obligation convertible peut remettre au créditeur soit des nouvelles actions émises pour l'occasion, soit des actions existantes qu'il détient en portefeuille, par exemple à la suite d'un rachat d'actions. Oligopole : c’est un marché caractérisé par l'existence d'un petit nombre de vendeurs. La concurrence s’établit entre des firmes qui ont un pouvoir de marché. 92 Dans un oligopole, chaque firme est capable d'identifier clairement ses concurrents et de tenir compte de leur comportement quand elle prend ses décisions de quantités ou de prix : il existe une certaine interdépendance entre les décisions des firmes. Cette interdépendance correspond à l'existence des comportements stratégiques qui tiennent compte des réactions des concurrents aux décisions de la firme. Ces comportements peuvent conduire soit à des situations conflictuelles (non-coopératives), soit à des situations de coopération entre les firmes. Les causes de l'oligopole sont proches de celles du monopole et les causes institutionnelles ou les causes indirectes sont parfaitement communes entre les deux situations. De manière générale, les situations d'oligopole sont soutenues par des barrières à l'entrée qui découragent l'entrée de nouveaux concurrents. P Pension livrée (« repurchase agreement ») : elle consiste en un prêt de cash garanti par des titres. Le cédant (celui qui livre les titres à l’initiation du contrat) a besoin d’espèces et détient des titres, ce qui lui permet d’obtenir un prêt du cessionnaire (celui qui livre les espèces) à un taux plus avantageux que s’il n’avait pas la garantie des titres à offrir. C’est une opération de règlement-livraison avec transfert de propriété. Traitement comptable : Lorsque les modalités de la convention de prise en pension de titres ne prévoient pas l’abandon du contrôle par le cédant des éléments d’actif cédés, l'opération doit être comptabilisée comme une opération de financement par le cédant et comme un prêt par le cessionnaire. Les titres doivent demeurer inscrits au bilan du cédant et le produit doit être comptabilisé à titre d'élément de passif. Dans les rares cas où les modalités de la convention de prise en pension de titres prévoient le transfert par le cédant du contrôle des éléments d’actif cédés, l'opération doit être comptabilisée comme une vente par le cédant et comme un achat par le cessionnaire. Les titres doivent être supprimés du bilan du vendeur (le cédant) et la contrepartie doit être considérée comme étant le produit de la vente. Provision : c’est la partie des bénéfices non distribués par l’entreprise et destinée à des charges d’exploitation probables ou certaines, mais dont le montant ne peut être exactement déterminé. Lorsque l’entreprise crée une provision, elle effectue une dotation aux provisions. Q Quérable : Adjectif qualifiant une dette, lorsque du fait du contrat ou d'une disposition légale le créancier doit, pour en obtenir le paiement, se présenter au domicile de son débiteur. R Ratio d'endettement : ratio calculé selon la formule suivante: (total du passif) / (total de l'actif). Il s'agit d'un ratio de solvabilité qui indique la capacité de l'entreprise à rembourser ses dettes à long terme et qui représente le montant des dettes existantes par rapport à l'importance du capital. Plus le ratio est faible et plus l'entreprise est solvable. Recel (d’abus de biens sociaux) : Art. 321-1 du code pénal - c’est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit. Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit. Rentabilité des capitaux propres ou Return On Equity (ROE) : la rentabilité des capitaux propres, ou rentabilité financière, se mesure par le rapport résultat net/capitaux 93 propres. Elle est égale à la somme de la rentabilité économique et de l'effet de levier. L'analyse de la rentabilité des capitaux propres doit donc séparer nettement ces deux composantes. En effet, si le recours à l'endettement peut permettre d'obtenir une rentabilité des capitaux propres nettement supérieure à la rentabilité économique, il fait aussi peser un risque financier plus lourd sur les actionnaires, dont l'exigence de rentabilité croît d'autant. Sur le long terme, seule une rentabilité économique élevée peut donc permettre de créer de la valeur pour les actionnaires. Résultat d’exploitation : il est également appelé résultat économique ou résultat opérationnel. C’est l’un des indicateurs clés de la rentabilité. Il exclut les éléments exceptionnels et financiers pour ne refléter que le profit engendré par l’activité économique. Son calcul : Production vendue + production stockée + production immobilisée – consommation en provenance des tiers + Subventions d’exploitation – impôts et taxes – charges de personnel + Reprises sur provisions et transfert de charges + autres produits – dotations aux provisions – dotations aux amortissements – autres charges. S Security Exchange Commission (SEC) : Créée en 1934, cet organisme fédéral américain est chargé de faire appliquer la réglementation sur les marchés de valeurs mobilières. Société ad hoc : une société écran ou special purpose entity (SPE) est une structure distincte, créée spécifiquement pour gérer une opération ou un groupe d’opérations similaires pour le compte d’une entreprise. L’entité ad hoc est structurée ou organisée de manière telle que son activité n’est en fait exercée que pour le compte de cette entreprise, par mise à disposition d’actifs ou fourniture de biens, de services ou de capitaux. Stock-option : c’est le droit attribué aux hauts responsables d’entreprise d’acquérir les titres de leurs entreprises à un prix fixé d’avance, pendant une période déterminée. Le terme désigne en fait deux types d’options : les options de souscription d’actions d’une part, et les options d’achat d’actions d’autre part. Parce qu’elles donnent lieu à la création d’actions nouvelles lorsqu’elles sont exercées, les options de souscription d’actions ont un effet dilutif potentiel pour les actionnaires. La dilution du capital est évidemment susceptible d’atteindre des proportions importantes si le nombre d’options de souscription attribuées est élevé : c’est le phénomène qui a été observé plus particulièrement dans de nombreuses sociétés américaines ou encore dans des « start up ». A l’opposé, les options d’achat d’actions n’engendrent pas de dilution du capital dans la mesure où elles donnent droit qu’à des actions existantes mais peuvent engendrer un gain ou une perte pour la société au moment de la levée de l’option. Les grandes sociétés françaises ont recours de plus en plus souvent à la formule des options d’achat de préférence à celle des options de souscription pour éviter l’effet dilutif indiqué. La valeur d’une option, tant qu’elle n’est pas exercée, est estimée via la méthode de Black & Scholes qui se fonde sur la différence entre le prix d’exercice des options (qui est connu) et le cours de l’action au moment où l’option commence à pouvoir être exercée (qui est estimé). Pour évaluer ce cours, la volatilité du cours (moyenne des évolutions quotidiennes du cours sur une période de 1 ou 2 ans) est prolongée selon une loi de probabilité sur la durée de blocage des options. T Titrisation : c’est une opération par laquelle une société cède des actifs à un fonds commun de créances qui se refinance sur le marché en émettant des titres négociables. Total return equity swap : Swap de rendement total, est un contrat par lequel une contrepartie s’engage à verser (ou recevoir) régulièrement les flux de coupons et les 94 variations entre les cours de compensation et le cours négocié à l’achat d’une obligation risquée (« mark to market »), contre le paiement d’un taux de référence variable (Ex : Euribor, taux interbancaire offert en Europe) accrue d’une marge (« spread »). Le gestionnaire obligataire qui paie le swap, (c’est celui qui verse les flux d’intérêts et le mark to market) abandonne simultanément le risque de marché et le risque de crédit. 95 Bibliographie C. Cadiou, l’entreprise en difficulté. E. Genaivre, enseignement de la gouvernance d’entreprise. M. L. Quéré, enseignement de la comptabilité des affaires. L. Batsch, Le recentrage : une revue. Centre de Recherche sur la Gestion - Université Paris-Dauphine. G. CHARREAUX, Le gouvernement des entreprises : Corporate governance, théories et faits. J.M. Manceau, Conséquence de la non fiabilité des informations comptables sur les pratiques d'investissement. Rapport du groupe de travail : Association Française des Entreprises Privées et Conseil National du Patronat Français (1995), Le Conseil d’administration des sociétés cotées. Rapport du groupe de travail : Association Française des Entreprises Privées et Mouvement des Entreprises de France (1999), Le gouvernement d’entreprise. Organisation de Coopération et de Développement Economiques (1999), Principes de l’OCDE relatifs au gouvernement d’entreprise. Rapport du groupe de travail : Association Française des Entreprises Privées et Mouvement des Entreprises de France (2002), Pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées. Articles et dossiers de journaux et de revues : Les Echos Le Monde La Tribune L’Express Libération Le Nouvel Observateur Challenges L’Humanité Netographie : www.vernimmen.net www.france.attac.org www.journaldunet.com www.zdnet.fr www.plan.gouv.fr, M. Clément (2002), Mission d’information sur la réforme du droit des sociétés. www.yahoofinance.fr www.amf-france.org 96