PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi A

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Remerciements
Un premier remerciement aux différents intervenants du DESS Ingénierie Financière qui,
par leur approche à la fois théorique et pratique m’ont permis d’avoir un regard à la fois
technique et global de la finance de marché.
Un remerciement tout particulier à Elisabeth Genaivre, intervenant sur la gouvernance
d’entreprise, qui a suggéré cette étude et m’a donné de précieux conseils pour
l’établissement du plan.
Enfin, je souhaite remercier toutes les personnes du Contrôle interne de la Direction
Centrale Finances des Mutuelles du Mans Assurances qui ont, indirectement ou
directement, contribué à rendre mon parcours formateur, instructif et bénéfique.
1
Introduction
Au premier abord, le titre de cette étude peut induire certains lecteurs à penser que le
groupe Vivendi s’est conformé aux principes d’éthique et de gouvernance et que c’est
ainsi l’objet de ce mémoire. Or, cette étude a vocation à expliquer comment la mise en
place de ces principes a été motivée par les faits et les actes du gouvernement du
groupe Vivendi.
Le premier objectif de ce mémoire est de présenter certaines des causes majeures qui
ont amené les acteurs du capitalisme boursier à tendre vers une institutionnalisation des
principes d’éthique et de gouvernance. L’affaire Vivendi, est un échantillon pris parmi
une série de scandales retentissants (USA : Worldcom1, Tyco2, Global Crossing3,
Qwest4, Adelphia Communications5, Xerox6 ; France : France Télécom, Italie : Parmalat),
qui soulève les limites et les effets pervers du modèle de gouvernement d’entreprise7
anglo-saxon. Cette première partie va nous permettre de recadrer ce qu’est le but
premier d’une entreprise tout au long de son existence à savoir la création de valeur, et à
travers l’analyse du Groupe Vivendi, de démontrer qu’une entreprise par l’audace d’un
dirigeant, peut être mise à la dérive par ses propres décideurs (PARTIE I).
Enfin, il reste à présenter le second objectif, qui est le corollaire du premier objectif, en
l’occurrence les réactions des acteurs du capitalisme financier et des pouvoirs publics
consécutives aux dérives des entreprises (PARTIE II). Nous essaierons dans cette
même partie d’apporter une réponse à la question de l’amélioration de l’efficience du
gouvernement de Vivendi, en élaborant un état des lieux succinct sur la situation du
groupe à l’heure actuelle.
1
Worldcom : fournisseur mondial de services Internet et télécoms.
Tyco : conglomérat américain.
3
Global Crossing : groupe américain de télécommunications par fibre optique.
4
Qwest Communications International : opérateur de télécoms US et partenaire commercial de Global Crossing.
5
Adelphia Communications : câblo-opérateur US.
6
Xerox : groupe US spécialisé dans la distribution d’équipements de gestion et le traitement du document.
7
Cf. Glossaire.
2
2
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
A- Les origines de la destruction de valeur chez
VIDENDI
1- Le concept de création / destruction de valeur et ses
indicateurs
Les entreprises pointent souvent du doigt la concurrence comme cause principale de
leur destruction de valeur. Or les erreurs de stratégie et de gestion, la croissance mal
maîtrisée et la défaillance d’actionnaires sont généralement les véritables raisons des
difficultés. Le management, l’actionnariat, le personnel, les partenaires sont quelque
part, en partie responsables de la destruction de valeur pour ne pas avoir tiré le signal
d’alarme par manque d’implication dans la lisibilité des projets de l’entreprise.
L’absence de réaction des gestionnaires à des indicateurs de difficulté, le
dysfonctionnement des mécanismes de contrôle des dirigeants par les actionnaires, le
turn-over et les conflits sociaux, l’accroissement des exigences des partenaires sont
autant de problèmes de gouvernement qui rendent une situation difficile inextricable.
A un niveau général, le concept de gouvernement recouvre toutes les interventions des
agents dont l’utilité est influencée par le projet économique du dirigeant, qu’ils soient
actionnaires (shareholders) ou simples agents économiques affectés par les décisions
(stakeholders). L’essence du gouvernement est alors « localisée dans la nature des
pouvoirs et dans la solution d’équilibrage qui détermine le contrôle économique ».
Les difficultés auxquelles se heurte une entreprise, peuvent être liées à des
phénomènes conjoncturels, structurels, accidentels ou de gestion. La conjonction de
phénomènes négatifs aboutit à des situations de crise provoquant le mécontentement
des actionnaires, le laminage de la confiance dans l’équipe de gestionnaires, des conflits
sociaux internes (Vivendi Environnement et Canal+), la concrétisation d’un risque dont
les effets affectent l’ensemble des membres de la coalition partenariale (résultat non
conforme aux attentes dont les conséquences sont ressenties). La situation difficile se
caractérise par un accroissement du risque de défaillance lié à l’insolvabilité, la crise de
trésorerie, à l’absence de résultat. Ces conséquences financières ont des effets sur
l’équilibre des pouvoirs et provoquent une instabilité dans le système de gouvernement
installé. Il peut y avoir une rupture dans les principes fondateurs de l’entreprise (maîtrise
des choix relatifs au projet stratégique), de permanence (instauration d’un système de
gouvernement durable) et de pérennité (continuité dans l’existence).
a- Les effets induits de la stratégie menée par les dirigeants
Au niveau de l’évaluation financière, dés que les investisseurs prennent connaissance
d’une difficulté, la probabilité de défaillance devenant non nulle, il y a révision à la baisse
de la valeur de la firme.
Les effets immédiats d’une crise peuvent s’analyser à partir d’un état des lieux des flux
dégagés du portefeuille d’investissement (Fi) et des conséquences sur les flux revenant
3
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
aux agents apporteurs de ressources, créanciers financiers (Fd) et actionnaires (Fa). Les
réserves et la trésorerie accumulées peuvent retarder, l’éclatement de la crise.
A partir de l’analyse du dysfonctionnement du circuit financier, trois cas sont à envisager,
de très critique à favorable. Ainsi si :
o
o
o
Fi<0, il y a destruction de valeur économique et rupture gouvernementale, tant de la
part des actionnaires que des partenaires ;
Fi>0 et Fi<Fd, la création de valeur économique est insuffisante. La contestation des
créanciers financiers peut conduire à un risque de faillite accru. Il y a destruction de
valeur pour l’actionnaire qui peut réagir. Dés que Fi<Fd, il y a apparition des coûts de
faillite puisque le flux économique ne satisfait pas la contrainte de rémunération voire
de remboursement de l’endettement ;
Fi>0 et Fi>Fd, il y a création de valeur économique et création de valeur pour
l’actionnaire.
Cependant, les actionnaires peuvent se trouver insatisfaits, si la rémunération du capital
n’est pas à la mesure du risque qu’ils supportent. Fa est alors insuffisant pour les
actionnaires.
Par contre si Fa, est satisfaisant, il y a constatation d’un cash flow disponible8 ou Free
Cash Flow (FCF). Ces fonds sont à la discrétion des managers puisqu’ils sont résiduels
en excès des flux nécessaires à la réalisation de tous les investissements rentables
(valeur actuelle nette>0). Si le FCF est positif, il y a création de valeur actionnariale.
C’est alors l’utilisation du FCF qui peut être source de conflits s’il ne revient pas aux
actionnaires sous forme de dividende. Les dirigeants peuvent préférer consacrer le flux
disponible à l’augmentation de leur propre utilité en les investissant dans des projets de
diversification des activités et d’augmentation de la taille de l’entreprise. Ces projets non
rentables par définition, tous les projets rentables ayant été entrepris, sont réalisés au
détriment des actionnaires. L’existence de FCF occasionne donc des coûts d’agence qui
sont supportés par les propriétaires.
Si les dirigeants optent pour l’allocation des FCF dans des projets de diversification des
activités et d’augmentation de la taille de l’entreprise, il faut analyser la politique
stratégique menée : diversification, recentrage et spécialisation ; et ses conséquences
sur les relations d’agence.
Le recentrage est évoqué dès qu’un groupe affiche une priorité de développement sur un
marché. Au-delà des modes de langage, le recentrage recouvre une tendance
stratégique de longue période.
Le recentrage traduit ainsi la tendance des grands groupes à se construire sur des
marchés dominables. Il est le produit d’un faisceau de contraintes : sélection des
investissements dans un univers concurrentiel mondialisé, rentabilisation du capital
employé, captation de la rente pour des investisseurs exigeants, respect des
prérogatives des gérants de portefeuille dans la tâche de diversification des risques.
Le recentrage est une tendance de longue période. Il ne se confond pas avec la
stratégie générique de spécialisation, il est même compatible avec certaines formes de
diversification cohérente. Tout se passe comme si chaque groupe tente de converger
vers son niveau « optimal » de diversification.
Le recentrage désigne donc la tendance des groupes à choisir des stratégies de
portefeuille qui renforcent la cohérence de leurs activités. Les opérations de recentrage
succèdent à des événements importants dans le mode de gouvernance dans 62% des
cas : un changement de CEO9 (22%), l’arrivée d’un nouveau bloc d’actionnaires (27%),
une crise financière (19%), l’échec d’une OPA10 (13%), l’activisme des investisseurs
(12%), un nouveau plan de rémunération et d’incitation (11%), etc.
8
Cf. Glossaire.
Cf. Glossaire.
10
Offre publique d’achat.
9
4
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Le recentrage peut donc être un moyen de sortie de crise si la stratégie est finement
menée.
Par ailleurs, la théorie identifie plusieurs avantages et inconvénients des stratégies de
diversification. Parmi les attraits : l’exploitation d’opportunités de profits, la conversion
vers des marchés plus porteurs que le métier d’origine, la réalisation d’économie
d’envergure, la mise en œuvre de synergies, la réduction du risque. Parmi les
inconvénients : la dispersion des ressources et de la direction, la perte de compétence,
l’investissement dans des activités à faible rentabilité, la complication de la gouvernance.
La théorie de l’agence. Les dirigeants peuvent avoir plusieurs intérêts à adopter une
stratégie de diversification poussée. La diversification est d’abord pour eux un moyen
d’augmenter la taille du groupe et leur rémunération est fortement liée à leur sphère
d’influence. De plus, la diversification réduit le risque spécifique aux dirigeants
(révocation, réputation, etc.) car elle leur permet de lisser les résultats et d’amortir les
mauvais chocs. Elle accroît aussi l’enracinement des dirigeants qui tentent de se rendre
indispensables. Les dirigeants sont en général moins disposés à la prise de risque que
les actionnaires et ils voient dans la diversification un levier de réduction de leur risque
propre.
Les actionnaires recherchent un degré de diversification limité, à seule fin d’exploiter les
avantages de la diversification sans pâtir de ses inconvénients ; ce seuil se situe entre la
« spécialisation » et la « diversification reliée ». Les dirigeants recherchent un degré de
diversification supérieur à celui des actionnaires, jusqu’au point où une dégradation des
performances placerait les dirigeants sous la menace d’un limogeage ou d’une prise de
contrôle hostile.
Ainsi, la théorie de l’agence laisse supposer que la diversification est liée à un excès de
pouvoir des dirigeants et que la réduction des diversifications excessives est provoquée
par la force de rappel des marchés et un changement dans la gouvernance de
l’entreprise (Dennis et al., 1997).
Dans la théorie de l’agence, le recentrage s’entend comme :
1) le moyen de mettre fin aux conglomérats sous-performants érigés par des dirigeants
sans contrôle pour se protéger ;
2) un retour à la primauté des objectifs de performance financière exprimant les intérêts
des actionnaires.
L’hypothèse d’Hubris11 ou Ubris. Les dirigeants ont également tendance à témoigner
d’un excès de confiance en leurs capacités. Cette hypothèse a été défendue par Roll
(1986) à propos du prix souvent excessif des sociétés achetées : Roll souligne la
présomption des acquéreurs convaincus que leur évaluation généreuse de la cible
corrige la sous-évaluation des marchés.
L’hypothèse est généralisable. Quand les dirigeants ont rencontré le succès dans leur
métier d’origine, ils pensent pouvoir étendre leurs compétences à de nouveaux métiers.
Il a pu paraître à des dirigeants éprouvés que l’organisation divisionnaire et
décentralisée permettait d’étendre leur efficacité sans rivage, sous réserve qu’ils sachent
transmettre leur savoir-faire et conserver un contrôle central. L’histoire des pratiques et
des disciplines de gestion donne la mesure de l’impact de la diffusion des « outils de
gestion ».
La théorie financière. Le recentrage s’analyse comme une adaptation de la stratégie
aux règles financières de la gestion des risques. D’après la théorie financière, la
diversification des risques ressort du rôle des gérants de portefeuille et non des gérants
d’entreprise. On sait qu’il existe deux moyens de réduire le risque de l’actionnaire. Le
11
Cf. Glossaire.
5
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
premier est de supprimer certaines causes possibles d’occurrence et d’organiser les
procédures de couverture. Le second consiste à diversifier les risques. Aux dirigeants
d’entreprise, il échoit la tâche de maximiser le ratio rentabilité/risque en contrôlant leurs
marchés. En revanche, la diversification des risques ne peut pas être mieux assurée que
par les actionnaires eux-mêmes (ou les gérants de portefeuille). A titre d’exemple, Gillan,
Kensinger et Martin (2000) montrent dans une étude clinique approfondie de Sears,
Roebuck & Co, que la diversification du groupe dans les services financiers a dégagé
une mauvaise performance de long terme, inférieure à celle d’un portefeuille
représentant la même gamme de métiers mais constitué de sociétés indépendantes.
La justification des stratégies conglomérales par la diversification des risques est donc
contraire à la théorie financière. Il est logique que la montée en puissance des marchés
financiers externes, de la culture financière et des investisseurs institutionnels retentisse
sur le comportement stratégique des groupes.
Les conséquences d’une relation d’agence mal gérée. Les dirigeants ont été enclins
à recycler la trésorerie disponible dans des investissements de taille et de puissance,
surtout quand l’entreprise se situait dans une industrie à maturité pourvoyant plus de
ressources qu’elle n’en consomme. Telle est la substance de la théorie de l’agence
appliquée aux diversifications, et plus précisément de la théorie des free cash-flows12
(Jensen, 1986).
En définitive, les effets structurels d’une crise, passent par l’analyse des contraintes
financières qui s’exercent, et ont des conséquences durables sur le projet par les
limitations des investissements qu’elles provoquent.
- Les contraintes du financement externe et l’insuffisance du financement interne qui
s’imposent vont créer un gap entre l’investissement possible et l’investissement
souhaitable. Seuls les investissements conformes aux possibilités de financement
seront réalisés.
- Si l’entreprise ne peut satisfaire les exigences de la sphère financière (marchés), elle
sera contrainte par ses ressources internes qui dépendent elles-mêmes de sa capacité
à créer de la valeur.
- Plus les contraintes de financement sont importantes, plus l’impact sera négatif sur la
compétitivité et la situation difficile préoccupante.
Si les contraintes de financement sont en partie satisfaites, le niveau d’investissements
va s’accroître mais leur efficacité va dépendre des conditions d’accès aux ressources. La
prime de risque va peser sur le coût du financement et influencer à la baisse la
rentabilité future de la firme.
12
Cf. Glossaire.
6
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Les exigences des investisseurs
Exigences des investisseurs
E(R)
DROITE D’EQUILIBRE
DES ACTIFS FINANCIERS
E(Rm)-Rf
Ee*
E(Re*)
B = niveau de risque (défaillance,
insolvabilité, etc.)
E(R) = espérance de rentabilité des
investisseurs
E(Rm) = espérance de rentabilité du
marché sur un actif risqué
Rf = risk free ou taux de rentabilité des
emprunts d’Etat sans risque
Ee
E(Re)
Rf
Risque-bêta (B)
Be
Be*
L’accroissement du risque
En partant du chemin optimal de croissance (Malécot), les deux écueils de l’entreprise
apparaissent :
- le sur-investissement qui implique que l’entreprise ne pourra pas saisir les
opportunités qui peuvent se présenter ;
- le sous-investissement qui implique une asymétrie d’information et une gestion nonconforme aux attentes des actionnaires par les dirigeants.
Les bornes du continuum de crise s’accommodent du second écueil, le défaut d’investir
et l’insuffisance de résultat.
Le défaut d’investir amène à constater que le taux de profit réalisable par la firme n’est
pas compatible avec un taux de profit concurrentiel normal. Dans ce cas, la structure
financière peut être satisfaisante.
L’insuffisance de résultat montre que les contraintes financières ne peuvent être
satisfaites par insuffisance de compétitivité. La structure financière est alors tendue.
b- Observation de la création ou de la destruction de valeur
Dés lors que le cash-flow généré par l’activité est insuffisant pour satisfaire la contrainte
de remboursement du financement par dette, les coûts de faillite apparaissent. Ces
coûts relèvent du renchérissement des frais d’acquisition des facteurs de production
(accroissement du coût d’opportunité des agents associés). Ils sont à relier à l’érosion de
la confiance des partenaires et des clients dés lors qu’il y a anticipation de difficulté
pouvant entraîner la défaillance.
Le coût d’opportunité amplifie le coût de faillite et prive l’entreprise de la possibilité
d’exercer les options de croissance attachées au projet économique. Avec l’élévation du
7
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
coût de faillite, les investisseurs intègrent la perte probable des opportunités de
croissance de la firme.
La perte de croissance et le critère de VANA (Valeur Actuelle Nette Augmentée).
C’est la théorie des options réelles qui va permettre de perfectionner le critère initial de
valeur actuelle nette (VAN). Cette théorie prend en compte la flexibilité des
investissements et les opportunités de croissance future qui leurs sont associées. Elle
s’appuie surtout sur le modèle de Black et Scholes sur les options d’achat et permet de
créer la VANA. La mise en place d’un investissement s’assimile à une option sur la
valeur future de la firme. Les actionnaires peuvent choisir de l’exercer si les futures
décisions d’investissement ou de financement sont plus rentables ou optimisées.
La difficulté rencontrée dans la sélection des investissements est qu’ils doivent fédérer
l’ensemble des actionnaires. Certes, les investissements s’inscrivent dans le cadre du
portefeuille d’actifs d’une firme mais ils supposent des sacrifices de la part des
actionnaires. A court terme, les dividendes ne seront pas distribués mais conservés pour
financer les projets, pour compenser cela, les actionnaires se fixent un seuil
psychologique de rente à recevoir en fonction du risque pris (Cf. graphique : Exigences
des investisseurs).
Valeur d’un portefeuille d’actifs (Ve) :
o
o
Entreprise sans dette : Ve = (Fi/k) ; où Fi = Flux dégagés du portefeuille
d’investissement et k = Coût du capital supporté par la firme
Entreprise endettée : Ve = (Fi/k) + tD ; où tD = Coût de la dette
Un investissement correspond à une option d’achat (Call) sur la valeur future du
portefeuille de la firme. Il donne le droit aux actionnaires d’acquérir des actifs sousjacents de type incorporel (Ex : brevet, marque, investissement en gouvernement, etc.),
corporel (bâtiment, matériel, etc.) et financier (titre de participation, part du capital
d’autres sociétés, etc.) à une date déterminée et à un prix fixé à l’avance moyennant le
paiement immédiat du coût du projet d’investissement.
La valeur d’une firme devient la somme de son portefeuille d’actifs existant et d’un
portefeuille d’options sur l’acquisition de futurs actifs. Ces options de spéculation sont
dites réelles lorsqu’elles portent sur des droits dématérialisés et qu’il n’existe pas de
marché d’offre et de demande, comme par exemple pour les mécanismes de
gouvernement (passage d’une structure moniste – PDG et Conseil d’Administration – à
une structure duale – Directoire et Conseil de surveillance –).
La valorisation de l’option d’achat (Call) s’appuie sur le modèle de Black et Scholes.
C’est à partir de ce modèle que Mc Donald et Siegel (1985) ont dressé une analogie
entre option financière et option réelle (cf. tableau ci-dessous). Le modèle de Hull (1997)
démontre que le modèle de Black et Scholes peut s’appliquer à des actifs immatériels
non cotés sur un marché.
8
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Tableau 1 : Analogie entre option d’achat sur action et option de croissance associée à
un investissement :
Option de croissance associée à un
investissement
Valeur de l’option de croissance associée à
l’investissement initial sélectionné (Ex :
instauration d’un directoire)
Valeur actuelle des flux de trésorerie
attendus des investissements futurs sousjacents (Ex : Valeur Actuelle Nette des flux de
trésorerie secrétés par une Offre Publique
d’Achat (OPA) sur un concurrent de la firme)
Coût des investissements futurs sous-jacent
(Ex : coût de l’OPA)
Date d’extinction pour entreprendre les
investissements futurs sous-jacents
Volatilité (écart-type) des flux de trésorerie
attendus des investissements futurs sousjacents
Taux d’intérêt sans risque exigé par les
investisseurs en fonction de leur aversion au
risque d’exercice de l’option
Option d’achat sur action
C = Prime ou Premium
P = Valeur actuelle du sous-jacent
X = Prix d’exercice
T = Date de maturité
σ = Volatilité du sous-jacent
Rf = Taux d’intérêt sans risque
Après avoir posé ces postulats, il est possible de calculer la valeur de l’option ou Call de
l’investissement.
L’option de croissance ou Call est exercée si la Valeur Actuelle Nette (VAN) des flux de
trésorerie futurs attendus des investissements est supérieure au prix d’exercice. L’option
de croissance peut être représentée graphiquement (Jaeger – 1996) :
9
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Valeur de la firme
C
VI
Valeur spéculative = (C – VI)
C = Valeur de l’option de croissance
VI = Valeur intrinsèque (VAN = V – I)
V = Valeur des actifs sous-jacents à terme
I = PE = Coût des investissements futurs
PE
VAN + C < 0
Option en dehors
(OUT)
Abandon de C = 0
Valeur des actifs sous-jacents à terme
VAN + C > 0
Option en dedans (IN)
Exercice de C = V - I
VAN + C = 0
Option à parité (AT)
Seuil de rentabilité de l’option de croissance
La valeur de ces options réelles peut varier dans le temps en fonction de six
déterminants :
1°) Cours de l’actif sous-jacent c'est-à-dire qu’une augmentation de la rentabilité des
investissements futurs augmente la rentabilité de l’option ; et inversement.
2°) Prix d’exercice : l’absence de barrières à l’entrée ou à la sortie sur le marché, auprès
duquel l’entreprise réalisera ses investissements futurs, diminue la valeur de l’option.
Ceci veut dire implicitement que l’innovateur en matière d’investissements disposera
d’un avantage concurrentiel pendant un certain temps ; et inversement.
3°) Date d’échéance : plus la firme retarde l’exercice de l’option et plus la probabilité de
la valeur de l’option augmente ; et inversement.
4°) Volatilité : plus le risque et la rentabilité d’exploitation des investissements futurs sont
instables et plus la probabilité de la valeur de l’option augmente; et inversement.
5°) Taux d’intérêt : plus le taux d’intérêt est élevé et plus la valeur de l’option augmente ;
et inversement.
6°) Dividende : toute distribution de dividende provoque un baisse de la valeur de
l’option car la capacité d’autofinancement diminue ; et inversement.
VANA = VAN + C, avec : VANA = Valeur Actuelle Nette Augmentée, VAN = Valeur
Actuelle Nette des flux futurs attendus des investissements, C =
Valeur de l’option de croissance.
Le concept de VANA est issu de l’approche de Modigliani et Miller : la valeur de l’option
de croissance (C) s’exprime par : C = [Ti*(fi)*(n)] [(r-k)/k*(1+k)]
Avec Ti, le taux de réinvestissement (calculé par la proportion des flux de trésorerie engagés dans de
nouveaux projets), n, la période d’avantage concurrentiel où r>k, avec r = Rentabilité économique (RE/AE), k
10
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
= Coût du capital supporté par la firme, RE = Résultat économique = Résultat d’exploitation13 + produits
financiers, AE = Actif économique = Immobilisations nettes + Besoins en fonds de roulement14 + Trésorerie.
La situation difficile se concrétise pour la VANA de la firme par :
1°) la diminution de la VAN par réduction des flux générés par le portefeuille
d’investissements (Fi) et augmentation du coût du capital (k).
2°) La disparition de l’option de croissance (C).
Sans projet de développement, l’entreprise vivote et les ressources des investisseurs
s’orientent vers les entreprises les plus dynamiques. On aboutit à une crise
gouvernementale : le temps des reproches.
c- La crise gouvernementale
Il y a deux conceptions du gouvernement, il y a donc deux niveaux d’implication des
difficultés :
- Le concept originel s’intéresse aux relations d’agence positionnées entre l’actionnaire
et le gestionnaire. La crise du gouvernement s’intéresse alors aux dissensions voire à la
rupture du contrat fondamental. Les méthodes de sanctions envers les dirigeants qui
n’ont pas géré l’entreprise conformément aux attentes des propriétaires s’exercent.
- La version élargie recouvre « l’ensemble des mécanismes organisationnels qui ont
pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement
dit, qui gouvernent leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire ».
La crise du gouvernement est alors la rupture d’un état d’équilibre entre les pouvoirs qui
se manifestent dans une entreprise. Il y a rupture d’une cohérence d’ensemble, conflits
d’intérêt et risque de sortie des partenaires de la coalition.
Les risques des agents associés.
Pour les actionnaires, il y a privation du droit pécuniaire, exercice du pouvoir de sanction
(révocation) ou démission. Il y a dévalorisation du patrimoine accumulé et exercice d’un
risque dont ils supportent financièrement les conséquences. Puisqu’il y a connexion
entre l’évolution de l’activité économique de l’entreprise et celle du champ financier, la
valeur de marché des actions s’effondre avec le changement d’anticipation des
investisseurs suite à l’annonce de la difficulté. Les défauts dans l’exercice du droit
d’influence sur les décisions et sur le contrôle de la gestion par les actionnaires élus,
chargés de la surveillance, peuvent occasionner une rupture entre la coalition des
actionnaires. L’éventualité d’une perte ou abandon du contrôle par les actionnaires de
référence, contraints financièrement, peut modifier la nature du projet et donc l’existence
de tous les contrats subordonnés.
Pour les gestionnaires, il y a défaut dans l’exercice du pouvoir de capacité. Le
manquement provoque une destruction de valeur dont ils ne supportent les
conséquences financières qu’en fonction de l’intéressement qu’ils ont accumulé. Le
principal risque est la rupture du mandat de gestion et une reconnaissance de leur
incompétence sur le marché des dirigeants (dévalorisation et difficultés d’embauche).
Les managers, qui sont placés en état d’instabilité virtuelle par un gouvernement, ne
peuvent espérer conserver leur contrat de travail et progresser dans leur carrière qu’en
restant compétitifs. Leur contrat, dont la durée est liée à la performance et à la qualité
des décisions prises, est donc suspendu à la décision des actionnaires. La gestion du
consensus se transforme en gestion de conflits. Le manager, qui érode puis ne dispose
plus du budget discrétionnaire, le « slack », ne peut plus imposer ses décisions. Son
13
14
Cf. Glossaire.
Cf. Glossaire (BFR).
11
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
pouvoir de négociation dans l’organisation des procédures et des routines entre les
différents partenaires s’en trouve pénalisé. La solution coopérative éclate. Les
partenaires qui avaient intérêt à la pérennité de la firme transforment leurs attentes.
L’individualisme gagne. Chaque agent va chercher à augmenter son utilité au détriment
des autres et à récupérer sa créance avant les autres. Le retrait d’un partenaire de la
coalition est alors un facteur de risque pour le jeu coopératif d’ensemble. Le
gouvernement devient alors inefficace.
Tableau 2 : Le temps des reproches :
Managers
- échec dans la mission
- erreur de gestion
- excès d’investissement
- sous-investissement
- croissance non maîtrisée
- opportunisme
- défaut de consensus
- enracinement
Actionnaires
- sous capitalisation
- insuffisance de résultats
- découragement
- absence d’implication
- défaut de contrôle
- conflit d’agence
- instabilité du capital
- destruction de valeur
Partenaires
- perte de confiance
- défaut d’implication
- participation insuffisante
- contestation
- pouvoir de négociation
excessif
- rémunération insuffisante
- risque excessif
La révolution des contrats.
Les crises révolutionnent les contrats fondamentaux (système de gouvernance) et
subordonnés de l’entreprise et provoquent des changements de fonds dans le projet
stratégique :
- Le malaise affecte tout d’abord les propriétaires dont les comportements vont diverger
mais qui n’ont aucune assurance quant à l’issue de la procédure. En ce qui les
concerne, ils peuvent être volontairement ou sous la contrainte, amenés à ouvrir leur
capital voire à se démettre du contrôle. Ils peuvent remettre tout ou partie d’un capital
dévalorisé à de nouveaux actionnaires pour des raisons de mécontentement,
d’opportunité, d’obligation.
- Le malaise affecte ensuite le contrat de l’agent avec le principal, auquel sont
suspendus tous les autres contrats de partenariat. Ainsi pour les gestionnaires, la crise
est souvent perçue comme un échec quant à leurs capacités à gérer et à créer un
consensus. Les mécanismes disciplinaires s’exerçant, il y a accroissement du risque
d’éviction, en douceur ou brutal, partiel ou total, dans un avenir immédiat ou lointain, des
dirigeants en place, détenteurs de la maîtrise du projet économique.
- Le malaise affecte enfin les contrats subordonnés noués autour entre les gestionnaires
et les partenaires. Concernant les salariés et les associés au projet économique, la
récupération des créances devient plus incertaine et la probabilité de rupture des
contrats augmente avec l’instabilité. Il y a une crise de confiance et remise en cause du
principe même de la coopération.
Le déséquilibre constaté affecte la valorisation de l’entité, fragilise les structures, réduit le
pouvoir de négociation et provoque un renouvellement des hommes et/ou des
méthodes. Un nouveau groupe d’actionnaires peut par exemple s’inviter au Conseil
d’administration et se proposer de conduire la destinée de la firme. Que l’intrusion soit
partielle ou que la tentative de changement soit radicale, une incertitude s’installe sur le
devenir de la stratégie. Il y a modification du comportement des acteurs et focalisation de
la stratégie sur les concepts de survie à court terme et, dans le meilleur des cas, de
redressement à moyen terme.
Un gouvernement efficace par le passé a plus de chances de résister à la difficulté
puisque la confiance dans l’engagement renforce l’intensité de l’adhésion du projet. C’est
le pouvoir explicatif qui semble la clé du problème. Dans ce cas là, la constatation d’une
12
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
rémunération inférieure aux attentes ne peut provenir que d’une dématérialisation d’un
risque dont les parties ont été informées plutôt que d’un dysfonctionnement. Le système
de gouvernement doit toujours être capable d’expliquer l’éventuelle insuffisance de
rémunération de n’importe quel partenaire qui en pâtirait, de sanctionner les
responsables, de prévoir la survenance et d’anticiper de telles difficultés afin de limiter
les effets, de prévoir les solutions à la mesure de l’ampleur des difficultés préservant le
projet. Il s’agit à terme de minimiser les pertes d’utilité que des agents peuvent
supporter, même si dans l’immédiat, le sacrifice est important.
d- Les sacrifices dans la répartition de la valeur
Il y a destruction de valeur pour l’entreprise quand la valeur actuelle nette (VAN) est
négative. Appréhendé d’une autre façon, il y a destruction de valeur quand la rentabilité
de l’actif économique RE (capitaux investis) est inférieure au coût du financement (coût
du capital) : RE < k
Avec : k = coût moyen pondéré du capital (weighted average cost of capital),
RE = RET t / AE t-1, la rentabilité du capital investi l’année d’observation,
RET = résultat économique après impôt théorique (Net operating profit after taxes – NOPAT),
AE = actif économique mesuré par la somme des immobilisations nettes et du BFR15 (invested
capital).
Si la cause se situe au niveau de l’investissement, la responsabilité du dirigeant est
souvent avancée :
- Dans le cas de la crise-évènement, qui provient d’un ou plusieurs symptômes qui
éclatent, c’est l’absence ou le dysfonctionnement du système de veille qui est
généralement mise en cause. Il y a défaillance du gestionnaire dans l’exercice des
pouvoirs dont il est affublé. Les critiques se portent alors sur l’incapacité à détecter la
difficulté, l’absence de réaction aux indicateurs de crise, l’impuissance à circonscrire le
problème dans un périmètre restreint, l’impossibilité d’éviter sa propagation au niveau
de l’organisation puis des marchés.
- Dans le cas de la crise-processus, qui se déclenche par interaction de multiples
problèmes, c’est l’erreur de diagnostic dans l’analyse des prédispositions, dans
l’interprétation des dysfonctionnements mineurs qui recèlent le risque pour
l’organisation, qui est avancée. Les critiques se portent alors sur le défaut de
compréhension des interactions multiples qui transforme le risque en réalité, sur
l’impossibilité d’inverser le processus enclenché et donc d’éviter la propagation dans le
temps et dans l’espace des problèmes, et sur l’efficacité à solutionner car la régulation
passe par des modifications en profondeur du système installé (remise en cause).
La thèse de Weick.
La crise provoque un effondrement du sens du décideur qui perd son univers de
référence. Seule une réaction constructive, visant à recomposer le contexte et à
comprendre la nature de la situation problématique, peut l’amener à trouver des
solutions.
Malheureusement, le décideur est, dans la plupart des cas, confronté à une solitude du
face à la crise.
L’origine de la difficulté est économique, elle provoque l’incapacité de satisfaire les
exigences des apporteurs de ressources, partenaires et actionnaires.
d- 1- La destruction de la valeur actionnariale
15
Cf. Glossaire.
13
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Le free cash-flow (FCF) est le flux de trésorerie disponible en excès des cash-flows
nécessaires aux investissements rentables (à VAN positive). Il doit revenir aux
actionnaires par le dividende. Avec la crise, un FCF nul ou négatif est indicateur
d’absence ou de destruction de valeur. Selon la théorie financière, la valeur de
l’entreprise Po, est égale à la valeur actuelle des flux de fonds et de la valeur récupérable
à terme (VRn) allant aux actionnaires et créanciers fnanciers. La valeur revenant aux
actionnaires s’obtient en retirant de Po, la valeur de marché des dettes. En cas de
difficulté, cette valeur peut donc devenir nulle ou négative.
Le risque résiduel de l’actionnaire
L’actionnaire :
Le créancier résiduel
Résidu nul
Appauvrissement
Le manager :
Rémunération au coût d’opportunité
Les partenaires :
Rémunération au coût d’opportunité
Dans un tel schéma, le créancier résiduel devrait supporter la destruction de valeur.
- L’Economic Value added (EVA) ou valeur ajoutée économique est un indicateur
opérationnel de création de valeur. Il mesure la performance à court terme du
dirigeant, c’est-à-dire le surplus dégagé par le dirigeant dans le cadre de l’exercice de
son pouvoir de capacité. Le profit opérationnel après impôt diminué du coût du capital
immobilisé est un surplus disponible pour les actionnaires. K, le coût moyen pondéré
du capital, intègre les charges comptables enregistrées mais aussi le coût
d’opportunité des capitaux propres calculé par le MEDAF16. L’EVA se calcule
également comme la différence entre le résultat économique net d’impôt (RET) et la
rémunération des capitaux investis (RKt = kt * AEt-1).
EVAt = AEt-1*(REt - kt) = RETt - RKt
Si l’EVA est négative, l’entreprise est destructrice de valeur, car le profit opérationnel
qu’elle dégage est inférieur à la rémunération qu’un actionnaire est en droit d’exiger
(au coût d’opportunité des capitaux propres).
La relation FCF-EVA s’exprime : EVAt = FCFt + (AEt – AEt-1) – kt*(AEt-1)
- La Market Value Added (MVA) est la somme actualisée des EVA. C’est la richesse
créée et accumulée revenant aux actionnaires. Elle représente l’écart entre la valeur
de marché de l’entreprise (capitalisation boursière et dettes) en l’occurrence la valeur
de revente, et la valeur comptable des capitaux investis ajustée.
n
MVA =
EVAt
∑ (1 + k )
t =1
t
MVA = Valeur de marché globale – valeur du capital investi
Si la MVA est positive, la firme développe un potentiel de création de valeur pour
l’avenir.
En revanche, si la MVA est négative, le marché anticipe une déperdition de valeur pour
l’avenir.
16
Cf. Glossaire.
14
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
∞
ð La valeur de marché de l’entreprise est alors égale à : Po = AEo +
EVAt
∑ (1 + k )
t =1
t
Plusieurs ratios et indicateurs insistent sur la comparaison entre la performance passée
et la performance future :
- Le ratio de création de valeur (CV) cherche à mettre en correspondance la rentabilité
des fonds propres constatée, mesurée à partir des données comptables et la
rentabilité attendue telle qu’elle ressort du marché (coût d’opportunité du capitalaction) :
CV = RaT / E(R) = RaT / ka
Avec : RaT, le rapport du résultat courant après charges d’intérêt et impôt sur les capitaux propres et,
selon le MEDAF, E(R) = ka = Rf + (E(Rm) – Rf) Β .
Un ratio inférieur à l’unité indique une déperdition de valeur et inversement. Ce ratio ne
tient pas compte des opportunités de croissance à venir.
- Il est alors complété par le ratio M/B (market to book ratio) qui est le rapport entre la
capitalisation boursière (CB) et la valeur comptable des capitaux propres (VCcp) avec :
M/B = CB / VCcp
Ce ratio est alors un indicateur qui se nourrit de l’appréciation par les investisseurs du
projet stratégique mis en œuvre. Ainsi, lorsque M/B > 0, il y a création de valeur et
inversement avec M/B < 0, il y a destruction de valeur.
- La droite de valeur établit alors un lien entre M/B et CV de telle manière que :
M/B = a + b*CV + c
Avec a, la valeur du ratio de M/B quand CV = 0 ; b = Cov (M/B, CV) / Var CV ; variation de M/B
inexpliquée par CV.
M/B
Diagonale de
compensation :
M/B = CV
Création de
valeur :
M/B > 0
Indice de la
performance
future
Destruction
de valeur :
M/B < 0
Indice de la performance passée
CV
Il est alors possible de comparer le différentiel de performance entre les anticipations
et les réalisations. Sous la diagonale, le marché est réservé quant à l’avenir de
l’entreprise.
=> L’EVA-MVA est un indicateur élaboré par des consultants d’entreprise, c’est donc un
concept reconnu permettant de mesurer la création de valeur. Sans être exempt de
quelques critiques de calcul, cet indicateur peut se révéler comme apporteur
15
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
d’informations supplémentaires auxquels les investisseurs seront sensibles. Il peut
modifier les anticipations et influencer le processus de formation des cours.
Avec la destruction de valeur et les perspectives d’absence de revenus (rémunération
nulle, perspective de développement limitée), le découragement, le manque d’implication
de l’actionnaire peuvent être alors à la source de difficultés. La défaillance des
mécanismes de contrôle dans l’identification des difficultés allonge les délais. La
complexité de l’actionnariat (divergence d’intérêt) provoque des conflits.
L’attitude « courtermiste » des fonds d’investissement est souvent dénoncée. Le refus de
recapitaliser dans une société domestique par le contrôlaire étranger est souvent
constaté. Le changement fréquent d’actionnaires de référence perturbe le projet
économique.
Exemple : L’accident d’Alcatel :
En une journée, le 17 septembre 1998, dans un marché nerveux sur fonds de crise asiatique,
l’annonce d’une révision à la baisse du résultat opérationnel du groupe provoque une chute de 38
% du cours boursier. La structure éclatée du capital, qui laisse une large place aux investisseurs
étrangers, dont les fameux fonds de pension anglo-saxons, explique le mécanisme. La désillusion
sur la performance de la société a provoqué un transfert massif des fonds investis vers d’autres
placements sur d’autres places boursières. Même si cet accident est depuis effacé, les risques
existent toujours tant l’actionnariat est ouvert. En avril 2000, les investisseurs étrangers
détenaient encore 50 % du capital contre 28 % pour les institutionnels français, 10,2 % pour le
public, 2,4 % pour le personnel et la Société Générale, 7 % d’autocontrôle.
d- 2- La destruction de valeur partenariale
Les managers perdent de la valeur partenariale si l’écart entre le prix de vente au prix
d’opportunité est négatif. Les déterminants de la destruction sont alors l’accroissement
du coût d’opportunité de partenaires du fait du risque supplémentaire qu’ils supportent et
la baisse du prix d’opportunité de la demande. Ils ont respectivement pour corollaire
l’augmentation du risque de l’agent et l’érosion de l’image perçue.
Projet de déséquilibre partenarial :
Offre : prix de transaction < coût d’opportunité
Demande : prix de transaction > prix d’opportunité
La pérennité du projet subit alors des menaces :
- l’effondrement de la coalition partenariale car les prix d’opportunités ne permettent plus
de couvrir les coûts d’opportunité,
- l’érosion du slack managérial puis son extinction progressive,
- l’émergence de différences de traîtement entre les partenaires selon leur contribution,
- le downsizing (réduction de taille).
Dans le cas de la création de valeur, un partenaire qui reçoit un prix de transaction
inférieur à son coût d’opportunité peut, par son départ de la coalition ou l’exercice de son
pouvoir de contestation, rendre la situation problématique. Plus généralement, un agent
qui perçoit une rémunération supérieure à sa contribution à la création de valeur, ne peut
s’approprier durablement cet excèdent sans se voir opposer une contestation des autres
partenaires. Il y a appauvrissement du projet car excès de captage d’un agent au
détriment de l’entreprise. Il est possible de répercuter cette hausse des coûts sur le prix
de vente. Il y a alors déplacement de la contrainte qui s’impose au client qui peut affirmer
son pouvoir de contestation en rompant la relation commerciale.
Les partenaires peuvent accepter un sacrifice momentané de rémunération s’ils sont
assurés, qu’une fois la situation rétablie, le captage de la valeur leur sera favorable. Un
partenaire qui est également actionnaire peut donc déroger de son niveau d’exigence s’il
16
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
est assuré de trouver une compensation à terme. Les concours à obtenir de nouveaux
partenaires sont coûteux en situation de turbulence.
La situation des partenaires est très inégale tant au niveau de la répartition de leurs
engagements voire de leur indemnisation en cas de rupture de contrat. La contribution à
la création de valeur détermine à priori le pouvoir de négociation. La loi peut amplifier
certains mécanismes. La situation des différents marchés d’appartenance, l’existence de
pénurie, l’émergence de barrières à la sortie, la capacité à se faire respecter sont à la
base du pouvoir de contestation.
Les sources d’appauvrissement du projet
Les 3 configurations :
Rémunération > Coûts d’opportunité
Sur-rémunération des actionnaires
Accaparement par le manager
Déséquilibre
Déséquilibre
Sous-investissement
Mécontentement des stakeholders
Défaillance du contrôle
Perte de confiance - sanction
Appropriation par le corps
social
Déséquilibre
Prix excessif de la paix sociale
Actionnaire défaillant
Dans l’analyse partenariale, le risque résiduel est absorbé par les partenaires, même si
l’exposition au risque diverge en fonction de la ressource apportée au projet.
L’actionnaire n’est plus le seul créancier. La défaillance d’un projet aboutit à la rupture de
l’ensemble des contrats dont chacun des associés va en percevoir des effets négatifs.
L’analyse de Khanna et Poulsen (1995).
Les auteurs posent le problème du rôle des dirigeants dans le processus de défaillance.
Ils partent de l’hypothèse que la détresse financière peut provenir de l’incompétence, de
l’enrichissement excessif ou de facteurs hors de contrôle des dirigeants. A partir de
l’analyse des décisions prises pendant la période de crise, ils concluent que les
managers sont plus à blâmer qu’à critiquer.
Au niveau méthodologique, partant d’un échantillon d’entreprises ayant fait faillite, ils
comparent les décisions prises par les dirigeants sur une période de trois ans avant la
liquidation avec celles prises par les gestionnaires d’un échantillon de contrôle constitué
d’entreprises performantes. Les décisions ne sont pas significativement différentes et, en
moyenne, les managers suspectés ne prennent pas des mesures destructrices de
valeur. Les résultats sont identiques qu’il y ait changement de dirigeants ou actionnariat
des managers. Par ailleurs, le marché ne réagit pas positivement lors du remplacement
du gestionnaire par un redresseur interne ou externe. Ils concluent à l’absence de
comportements spécifiques des managers confrontés aux difficultés.
Analysons à présent l’épisode de la vie d’une grande entreprise française dont le
management a laissé le monde perplexe, elle n’a certes pas connu la faillite, mais …
2- L’incidence des choix stratégiques et financiers du
gouvernement Vivendi :
17
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Dans ce chapitre, nous allons voir comment le charismatique JMM17 a gouverné l’exvénérable Compagnie Générale des Eaux.
Portrait de Jean-Marie Messier :
Né à Grenoble en 1956, JMM, polytechnicien, diplômé de l’Ecole Nationale
d’Administration, débute sa carrière en tant qu’inspecteur des finances dans les cabinets
ministériels en 1986, d’abord auprès de Camille Cabana, puis d’Edouard Balladur, pour
s’occuper des privatisations. Il fait partie ensuite des nombreux énarques issus de la
promotion de 1984, qui quittent la Haute Fonction publique pour rejoindre le secteur
privé, en intégrant la banque d’affaires Lazard, dont il devient le plus jeune associégérant. Il y fait prospérer un fonds d’investissement très rentable. La réputation de JMM
est sans nul doute, au point que le patron de Lazard, Michel David-Weill, veuille en faire
son successeur. JMM aura réussi, notamment, la première opération hostile d’un groupe
français aux Etats-Unis, l’Offre Publique d’Achat sur Square D. Ses atouts sont une
solide volonté, une vraie dextérité, une forte dose d’opportunisme, quelques mondanités
et surtout de l’ambition.
A 37 ans, JMM possède un Curriculum Vitae déjà impressionnant, il devient
administrateur directeur général de la Compagnie Générale des Eaux. En 1996, il en
prend la présidence succédant à Guy Dejouany.
Administrateur de plusieurs sociétés de premier plan, JMM est aussi l’auteur d’un
ouvrage au titre peut-être prémonitoire : J6M.com (Jean-Marie-Messier-Moi-MêmeMaître-du-Monde). Faut-il avoir peur de la nouvelle économie ? Chez Hachette.
a- La construction d’un grand groupe de communication
La Générale des Eaux, compagnie créée dés 1853, sous Napoléon III, pour gérer les
premiers réseaux d’eau potable, est leader historique du marché français, où ses
principaux concurrents sont la Lyonnaise des Eaux et Suez.
En 1996, Jean Marie Messier en prend la présidence, succédant à Guy Dejouany.
La Compagnie Générale des Eaux est à l’époque, un conglomérat très franco-français,
réputé pour son opacité, sa complexité et déjà son surendettement. JMM entreprend la
complète métamorphose de la vieille institution de la rue d’Anjou, se lance dans
d’impressionnantes acquisitions, il vend l’immobilier, l’hôtellerie, la restauration
collective ; cède l’affichage, les activités de santé et de tourisme…
En mai 1998, la Générale des eaux, rebaptisée Vivendi, semble s’écarter de ses vieux
métiers (eau, énergie, traitement des déchets). Le Groupe prend ainsi le contrôle du
groupe de communication Havas et l’année suivante, il rachète Pathé puis une partie de
BSkyB, le bouquet satellite du géant de la presse britannique, Rupert Murdoch.
Le projet de JMM lors de sa nomination est de bâtir un groupe français de
communication de taille mondiale, il est attiré par l’univers moderne et rémunérateur de
la communication. Pour cela, il ambitionne de conquérir l’Amérique. C’est alors en l’an
2000 que Vivendi fusionne avec Seagram, un puissant conglomérat canadien détenu par
la famille Bronfman, et propriétaire des plus prestigieux studios hollywoodiens, Universal.
VU18 devient le seul groupe capable de rivaliser avec les studios cinématographiques
américains, AOL-Time Warner et Disney.
La fusion Vivendi-Seagram concerne également Canal + qui, auparavant était détenu à
49 % par Vivendi et désormais, appartient à 100 % à VU. Cette absorption à 100 % est
17
18
Jean-Marie Messier.
Vivendi Universal.
18
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
la condition du « deal » imposée par Seagram car Canal + est en pleine croissance
internationale.
Dans le domaine de l’audiovisuel en France, les activités de Vivendi sont regroupées au
sein de la société Canal + qui édite et commercialise des chaînes générales cryptées et
des chaînes thématiques, distribue et commercialise des bouquets de services et de
programmes de télévision par câble et par satellite, produit et distribue des films de
cinéma et des œuvres audiovisuelles, et enfin négocie des droits cinématographiques,
audiovisuels et sportifs.
Au cours de l’année 2001 jusqu’au début 2002, sont réalisés les principaux rachats
suivants :
§
§
§
§
§
§
§
l’éditeur scolaire américain Houghton Mifflin ;
35 % de Maroc Telecom ;
MP3.com, site de téléchargement de fichiers musicaux ;
Scoot.com, réseau de services d’annuaires professionnels en ligne ;
Elektrim Telecomunikacja, conglomérat polonais, qui contrôle 51 % du premier
opérateur de téléphonie mobile du pays ;
USA Networks (réseaux), cette acquisition est d’un intérêt industriel majeur pour le
développement international de l’activité Films, Télévision et Câble de VU ;
EchoStar (opérateur de télécommunications).
JMM parvient à bâtir le deuxième groupe mondial de communication et le propulse n°1
mondial du cinéma, de la musique et des jeux et n°3 de l’édition.
En outre, les activités de services collectifs sont scindées du groupe Vivendi Universal,
sous le nom de Vivendi Environnement (VE), qui se présente comme le leader mondial
des services liés à l’environnement, avec un centrage sur l’eau, la propreté, les services
énergétiques et les transports. VE s’est fortement internationalisé par croissance interne
et externe à partir des années 90 et développe une stratégie d’offre intégrée multiservices pour les clients industriels.
Tableau 3 :
Les métiers du groupe Vivendi Universal au deuxième trimestre 2002
Vivendi
Vivendi
Vivendi
Vivendi
Universal
Télécoms :
Universal
Environnement : Télévision et
Music :
Publishing :
film :
Opérateur de
Traitement de
Le plus grand
téléphonie fixe
l’eau, des déchets
Télévision,
catalogue
N°3 mondial de
et mobile, avec
et chauffage
cinéma et
d’édition
l’édition de livres
notamment
urbain.
parcs à
musicale du
et journaux (dont
29 milliards d’euros
Cegetel (dont
thèmes.
monde et de L’Express) et n°2
de chiffre d’affaires 9.5 milliards
SFR).
musique en
mondial des jeux
7.98 milliards
d’euros de
ligne avec
et de l’édition
d’euros de
chiffre
éducative.
Pressplay.
d’affaires
chiffre d’affaires
4.7 milliards
6.5 milliards
d’euros de chiffre
d’euros de
d’affaires
chiffre
d’affaires
380 000 salariés dans plus de 100 pays
Vivendi
Universal
Net :
Fournisseur
de musique
sur Internet
MP3.com,
portail mobile
Vizzavi, … :
184 millions
d’euros de
chiffre
d’affaires
Ce tableau récapitulatif nous permet de constater que JMM a façonné le « visage
actuel » de l’ex Compagnie Générale des Eaux, il incarne donc véritablement la stratégie
du groupe.
Avec près de 100 000 salariés en France, Vivendi est la société mère d’un groupe actif
dans deux secteurs : d’une part, l’environnement par le biais de sa filiale Vivendi
Environnement qui gère le service public de l’eau de 8 000 collectivités locales et de 26
millions d’usagers, et d’autre part, la communication et les médias.
19
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Ses activités de communications et médias se développent autour de cinq axes :
Ø la Musique avec Universal Music Group (UMG) qui domine nettement le marché
du disque français, avec un catalogue réunissant un artiste à succès sur deux et
des ventes représentant 36 % du marché national en 2001 ;
Ø l’édition avec Vivendi Universal Publishing ;
Ø les films et la télévision avec Groupe Canal + et Universal Studios Group. La
chaîne Canal + qui participe à hauteur de 20 % à la production
cinématographique française. La chaîne audiovisuelle finance des films
indépendants et détient les droits de près de 4 000 films français et européens ;
Ø les télécoms avec le groupe Cegetel et Vivendi Telecom International ;
Ø l’Internet avec Vivendi Universal Net.
Néanmoins, cette stratégie va connaître diverses contrariétés :
ü d’abord, avec le retournement des marchés. A partir de mars 2000, le krach de la
nouvelle économie fragilise Vivendi Universal, qui a beaucoup investi, souvent au
prix fort dans ce secteur ;
ü ensuite, avec les attentats du 11 septembre 2001 qui portent un nouveau coup dur à
un groupe désormais très américain. Le management s’est installé à New York
quelques jours avant la catastrophe ;
ü enfin, l’affaire Enron jette la suspicion sur les comptes des grandes entreprises.
Bien évidemment, nous ne pouvons pas traiter de la politique stratégique de Vivendi
sans faire le rapprochement avec le scandale Enron qui a contaminé toutes les sociétés
de négoce d’énergie et précipiter la chute du secteur de l’énergie aux Etats-Unis.
Enron, simple société de production, de transport et de distribution d’électricité et de gaz
à l’origine, propriétaire notamment du pipeline de gaz Northern Natural (long de 26 000
km), s’était transformé, au nom de la « nouvelle économie », en négociant d’énergie et
de matières premières sur Internet, un métier en fait peu rentable et très risqué mais qui
lui permettait de désinvestir, de la plupart de ses activités physiques. Intoxiquée par la
bulle Internet19, la bourse salua cette stratégie par une valorisation fabuleuse, et Enron
devint l’exemple de « e-transformation » le plus cité par les analystes et consultants de
tout poil, dans le monde entier.
La spectaculaire faillite d’Enron, avec ses milliards de dollars de pertes camouflées,
sème le doute sur le géant franco-américain de la communication constitué en moins de
deux ans à coups de multiples rachats.
Au-delà, les propres choix de JMM finissent par susciter la défiance. La Commission
Européenne est préoccupée par les phénomènes de concentration dans le domaine de
l’audiovisuel et met en garde le groupe VU contre un risque de position dominante qui
serait une entrave à la libre concurrence notamment sur le marché de l’édition et de la
commercialisation de chaînes thématiques.
Une étude du Crédit Lyonnais datée de mars 2002, en donne quelques exemples. Le
groupe exerce 10 métiers différents. Autant de modèles économiques à étudier et à
comprendre pour les analystes financiers, qui détestent les conglomérats et ne
perçoivent pas forcément les liens entre ces différentes activités. L’échec commercial du
réseau Internet européen de portails mobiles Vizzavi symbolise cette absence de
synergie entre les métiers. Le mariage entre les « contenus » de la firme (musiques et
films Universal, jeux vidéo Havas) et les « contenants » (les canaux de distribution
européens, SFR et Canal +), au cœur de la stratégie de Messier, n’aura jamais été
consommé.
La politique de cessions est également critiquée. Pas sur le fond : pour devenir une
grande entreprise de communication, Vivendi Universal doit se séparer de certains de
19
Cf. Annexe 1 (illustration).
20
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
ses vieux métiers et acquérir de nouvelles activités. Mais la maladresse de JMM le met
souvent en position de faiblesse, il annonce souvent les cessions avant qu’elles ne
soient réalisées (c’est notamment le cas de celle de la presse professionnelle).
De plus, l’ancien banquier d’affaires, trop pressé, achète souvent des sociétés sans en
avoir vraiment les moyens. En définitive, JMM paie cher et vend mal. L’endettement
grossit à un point qui inquiète les marchés. Alors, JMM envisage en mars 2002, de céder
une partie du capital de Vivendi Environnement, héritier de la Générale des Eaux et
cœur historique du groupe. Cependant, « l’eau et les déchets » sont des métiers
rentables malgré le poids de la dette et les milieux politiques et patronaux s’insurgent au
motif que le pôle « environnement » risque de passer sous contrôle étranger, l’opération
sera finalement repoussée.
En avril 2002, JMM conclut un partenariat stratégique dans le domaine des médias
numériques avec Thomson Multimédia.
Au premier trimestre 2002, Vivendi Universal affiche tout de même de bons résultats,
pendant que les marchés financiers - secoués par les pertes colossales d’AOL-Time
Warner (54 milliards de dollars au premier trimestre 2002) - ne semblent pas convaincus.
Les critiques commencent à se faire vives de la part des actionnaires. L’on reproche à
JMM d’avoir construit un empire hybride reposant sur deux pays (les Etats-Unis et la
France), deux cultures, deux métiers (la communication et l’environnement) et deux
styles de management. JMM est contraint de faire le grand écart permanent entre les
deux pôles :
→ Les actionnaires américains sont désireux de voir Vivendi Universal devenir un « pure
media player » (société exerçant ses activités basées essentiellement sur des services
médias : télévision, Internet).
→ Les actionnaires français, quant à eux sont attachés aux métiers historiques de la
firme.
Le management de VU procède malgré tout à la cession de 15 % de VE en juin 2002.
Dés lors, le statut du groupe est renforcé et clairement identifié comme spécialiste des
médias et des télécoms alors qu’il était perçu auparavant comme un conglomérat
diversifié.
Entre 1998 et 2002, le Groupe sous la houlette de JMM aura acheté 30 entreprises pour
un total de 100 milliards d’euros (150 milliards d’euros dépensés en sept ans). Vivendi
Universal sera devenu un gigantesque holding financier, constitué d’un empilement
d’actifs financiers sans cohérence industrielle entre le secteur traditionnel de l’exCompagnie Générale des Eaux et les activités liées à la nouvelle économie. Bref, un soidisant conglomérat destiné à créer de la valeur pour ses actionnaires qui dénote une
absence totale de visibilité de la stratégie de JMM.
b- Le récit de la politique financière inhérente à la stratégie de
Vivendi Universal
Le but de ce récit est d’exposer la manière en se situant dans le contexte, dont JMM et
ses colistiers financiers ont employé des techniques financières sophistiquées.
L’année 2000. Au début de l’an 2000, Vivendi engage un important programme de
cessions pour financer ses investissements dans la communication. A titre d’illustration,
la participation dans sa filiale de construction SGE est ramenée de 49.3 % à 14.9 %, le
montant brut de la vente, qui porte sur un nombre total de 13.8 millions d’actions, s’élève
à 600 millions d’euros avec une plus-value nette de l’ordre de 300 millions d’euros. Les
cessions de la filiale américaine de production d’électricité Sithe Energies et la filiale
immobilière CGIS ont succédé.
21
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
En décembre 2000, l’Assemblée générale des actionnaires de VU vote la fusion du
groupe avec Seagram et Canal +, le nombre d’actions est presque doublé en le portant à
1.08 milliard de titres : Vivendi crée 319.5 millions d’actions nouvelles pour rémunérer les
actionnaires de Seagram, et les inscrit à 91,45 euros dans son propre bilan. Au même
moment, le groupe enlève les 51 % du capital de Canal + qu’il ne détient pas encore en
créant 130,5 millions de titres, avec un cours de référence à 94,88 euros.
A l’issue de l’exercice 2000, le montant des écarts d’acquisition20 inscrit au bilan s’élève
à 47.1 milliards d’euros dont 39.3 milliards d’euros imputés aux métiers d’avenir (médias,
télévision, films, musique et édition).
L’année 2001. En février, c'est-à-dire deux mois après la fusion avec Seagram et Canal
+ et la création de Vivendi Universal, le directeur financier adjoint est chargé d’étudier un
montage pour mettre en nantissement21 la participation que détient le groupe dans la
chaîne de télévision satellite BSkyB. L’intérêt d’une telle opération est en général
purement fiscal mais le déficit de trésorerie atteindrait 1.5 milliard d’euros et sera doubler
un mois plus tard si l’opération n’est pas réalisée.
La solvabilité du groupe est en effet inquiétante pour les banques qui refusent d’accorder
des crédits supplémentaires. Le directeur financier envisage de mettre en caution des
actifs en garantie du remboursement de la dette mais cette mise en caution est
subordonnée au remboursement de la dette Swigs, société portant les alcools spiritueux
Seagram.
La solution adoptée sera, au cours du premier semestre 2001, une vague de cessions
d’actifs qualifiés de « non stratégiques ». Vivendi dispose de 9 milliards d’euros d’actifs
cessibles et va privilégier les échanges d’actifs pour renforcer son autocontrôle évalué à
8.5 % du capital avant ces opérations. Seront ainsi cédés ou partiellement échangés
pour les groupes détenant des participations réciproques dans Vivendi : 9 % d’actions de
BskyB échangées contre des titres Vivendi Environnement pour un montant de 1 500
millions d’euros, 9.9 % de Havas Advertising pour 450 millions d’euros et la participation
de 1.6 % dans Saint Gobain pour 232 millions d’euros. Les négociations sur les cessions
de Comareg, Salon d’Havas et Loews (réseau de salles de cinéma) vont également être
finalisées.
Le ratio d’endettement net atteint néanmoins 30 % des fonds propres mais va être
davantage assaini par la conversion des Oceane22 représentant 9.3 % du capital de
Vivendi Environnement ainsi que celles représentant 8.6 % que Vivendi conserve dans
Vinci (Bâtiment Travaux Publiques).
Après avoir frôlé l’insolvabilité, le groupe parvient tout de même à obtenir des créditrelais, dés lors, son état financier lui permet de distribuer des dividendes à ses
actionnaires.
L’opération complexe sur la cession des titres AOL France :
En mars 2001, America On Line, filiale d’AOL Time Warner refuse de payer cash (motif :
trop onéreux) pour racheter les 55 % détenus par VU dans le joint-venture AOL France,
Fournisseur d’Accès à Internet. Le groupe trouve une parade par le biais de ses filiales
Cegetel et Canal + qui échangent leurs 55 % de titres détenues dans AOL France contre
des actions à dividende prioritaire AOL Europe. La cession des parts d’AOL France a
permis d’engranger une plus-value nette 402 millions d’euros qui doit contribuer au
développement autonome de Vivendi dans l’Internet et au financement de la licence de
téléphonie mobile UMTS pour Cegetel. L’opération s’appuie sur un contrat de swap de
rendement total23 : en août 2001, les groupes Canal + et Cegetel ont vendu leurs actions
privilégiées AOL Europe à LineInvest, société créée pour le montage n’ayant aucun lien
20
Cf. Glossaire (Goodwill).
Cf. Glossaire (Pension livrée).
22
Cf. Glossaire.
23
Cf. Glossaire (« total return equity swap »).
21
22
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
capitalistique avec VU. Les actions privilégiées (« junior preferred shares ») AOL Europe
ont été cédées pour un prix (719 millions d’euros) correspondant à leur valeur de marché
actualisée majorée de la valeur du coupon (dividende de 6 %) et matérialisée en
obligations (titres de créance).
Cette opération engage VU à travers sa filiale Cegetel qui bénéficie du rendement total
des obligations mais en subit les risques de défaillance de LineInvest, les risques de
baisse du cours de l’obligation et de hausse de taux d’intérêt jusqu’à l’échéance en
2003.
L’opération complexe sur la cession des titres BSkyB :
En septembre 2001, le sort de l’opérateur BSkyB n’est toujours pas scellé, VU en détient
encore environ 23 %, et ce alors que la Commission Européenne a donné jusqu’à Juin
2001 comme date butoir pour la cession de la participation, dans le cadre de l’accord
conditionnel entre VU et les autorités de la concurrence pour l’homologation de la fusion
avec Seagram. Cependant, VU veut monétiser sa participation et le peu d’appétence des
marchés oblige le recours à l’ingénierie financière. La Deutsche Bank accepte une prise
en pension24 pour un montant équivalent à la valeur en Bourse (629 pences) des 22,7 %
d’actions BskyB. Vivendi obtient une avance de trésorerie de 4.2 milliards d’euros mais
conserve le bénéfice ou le risque financier et inscrira suivant l’évolution du cours de
Bourse de BskyB des plus ou moins-values lors de chaque exercice jusqu’en 2005. Tant
que le titre BSkyB fluctue au-dessus de 629 pences, il y a constatation de plus-values,
mais en dessous de ce prix, VU doit s’acquitter immédiatement de la différence auprès
de la banque, le montage étant structuré en appel de marge25.
L’opération est considérée par les agences de notation comme un refinancement qui
accroît la dette du groupe. Vivendi a rendu liquide un actif, en contrepartie d’un prêt qui
porte intérêts, qui est donc neutre, s’il permet de rembourser la dette du groupe. Les
capitaux collectés vont être employés au rachat des titres Vivendi. La dette est estimée à
8 milliards de dollars et la baisse des actions BSkyB intervenue depuis la transaction
représente déjà plus de 300 millions d’euros de moins-values, aucune couverture contre
cette baisse n’a été prise. Cette prise en pension entraîne un risque hors-bilan car
soumise aux fluctuations défavorables du cours de Bourse. L’opération n’a pas
seulement pour but de satisfaire à la requête de la Commission de Bruxelles car la
Deutsche Bank serait à la charge du mandat de vente évolutif pour reclasser la
participation dans BSkyB au fil de l’eau.
La trésorerie dégagée au premier semestre permet à VU Publishing de financer
partiellement l’acquisition de Houghton Mifflin (2.2 ou 2.5 milliards d’euros). L’éditeur
scolaire américain devait être initialement financé grâce à la vente du pôle de presse
professionnelle dont les négociations s’éternisent.
Le groupe envisage par-dessus tout de reprendre le Club Med et l’opérateur de
téléphonie belge Belgacom, 20 milliards d’euros d’engagements sont ainsi pris. Maroc
Telecom est acquis pour 2.7 milliards d’euros, reprise de dette comprise.
Fin 2001, la Deutsche Bank procède au reclassement de 8 % du capital du bouquet
satellitaire BSkyB (un tiers de la participation de VU) qui doivent être convertis en titres
BskyB de la société mère. Cette vente permet à Vivendi de dégager des marges de
manœuvre lui permettant de couvrir les besoins éventuels résultant des opportunités de
partenariat stratégique dans la télévision et la distribution américaines.
24
25
Cf. Glossaire (Pension livrée).
Cf. Glossaire.
23
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
La reprise des activités « entertainement » (production et diffusion de programmes
télévisés) de USA Networks est imminente, Vivendi en contrôle 43 %. Echostar (secteur
des services de diffusion par satellite) est acquis pour 1.5 milliard de dollars.
Le prix des activités « entertainement » (4.6 milliards de dollars) est estimé par le
marché à la moitié de la capitalisation boursière totale du groupe américain. Le produit
de la cession des 9.3 % détenus dans VE (1.2 milliard d’euros), ajouté à la valeur de
marché de la participation dans BSkyB couvre en effet la valorisation des activités
concernées. Mais Vivendi doit consentir une prime de 2 milliards de dollars
supplémentaire pour récupérer les droits de vote multiples de Barry Diller, président de
USA Networks. Outre cette prime, en décembre 2001, le cours de l’action VU connaît la
plus forte baisse de la Bourse de Paris (- 4,4 %) avec un volume de 8.2 millions de titres.
La raison de ce signal du marché est le montant de 18 milliards de dollars que pèse USA
Networks en Bourse, les investisseurs redoutent une émission massive d’actions
nouvelles qui diluerait les bénéfices. De plus, toute opération payée en numéraire ou par
endettement mettrait en péril les notes de crédit (Standard and Poor’s : triple B),
l’abaissement à BBB-, à un cran de la catégorie spéculative, rendrait les levées de fonds
plus coûteuses. Le groupe rassure les investisseurs, rappelant qu’il ne s’agit que de
l’acquisition de 57 % d’un pôle d’activité déficitaire (USA Networks « entertainement »)
valorisé entre 2 et 5 milliards de dollars et confirmé par les analystes financiers. Ceci dit,
Vivendi, qui n’a toujours pas empoché les 8.3 milliards d’euros de la vente des spiritueux
de Seagram, ni les 1.3 milliard d’euros estimés de la cession de la presse
professionnelle, affiche un endettement net à fin 2001 de 19.1 milliards d’euros. Il
semble pourtant que le groupe ait fait la promesse aux banques de tenir un endettement
net26 inférieur à deux fois son excédent brut d’exploitation27 (EBE), or il est au seuil
critique de trois.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, VU poursuit le rachat de son autocontrôle pour soutenir son cours et dépense 6.4 milliards d’euros dans le rachat de ses
actions en 2001, l’opération est confiée à la Deutsche Bank. Mais l’autofinancement
s’avère insuffisant à l’aube de 2002, le groupe cède alors 55 millions d’actions sur le
marché soit 5.5 % de son capital, lui permettant de dégager 3.3 milliards d’euros. Cette
opération a été motivée par le risque de dégradation de la note de crédit qui est
dorénavant conforter à BBB par Standard and Poor’s. Pour certains analystes, il ne s’agit
pas d’un véritable désendettement, puisque les actions cédées constituaient un actif
liquide que le groupe comptabilisait comme de la trésorerie dans son bilan aux normes
françaises. Cette opération a été principalement motivée par le passage aux normes
américaines, choisi par VU : en US Gaap, le groupe aurait vu sa dette augmenter
« facialement »28 du montant de l’autocontrôle si la cession n’était pas intervenue. VU
juge l’opération réussie en indiquant que la fourchette de prix de cession (60-61 euros)
était supérieure au prix de revient des 65 millions de titres achetés (57 euros) sur le
marché en 2001. Pourtant, il omet de rappeler qu’il a aussi acquis en mai 2001, 16.9
millions d’actions à la famille Bronfman à un prix bien supérieur (75.1 euros). L’opération
ne se solde donc pas par une plus-value mais par une légère perte.
L’année 2002. Aucun rachat d’actions significatif n’est prévu en 2002, VU reste flou sur
son autocontrôle évalué entre 1.5 % et 2.5 % du capital.
Début mars 2002, JMM s’attelle à la présentation des résultats annuels de l’exercice
2001 : le groupe affiche une perte nette de 13.6 milliards d’euros résultant
d’amortissements des survaleurs d’un montant exceptionnel de 15.7 milliards d’euros,
26
Cf. Glossaire.
Cf. Glossaire.
28
Comptabilisation en US Gaap des actions détenues en propre (autocontrôle) : Si une entreprise acquiert ses propres
actions, le coût de ces actions doit être généralement pris en déduction des capitaux propres. Les profits ou pertes de
cessions d’actions propres doivent être constatés en ajustements des capitaux propres et non en résultat.
27
24
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
dont 6 milliards d’euros pour le seul groupe Canal + ou 10,4 milliards d’euros de
dépréciations d’actifs constatées pour la télévision et les médias en 2001. La filiale est
elle-même entraînée à des pertes par sa filiale italienne Telepiu qui y contribue à 70 %.
Par ailleurs, Vivendi vient d’augmenter sa participation indirecte (par l’intermédiaire de
Canal +) de 36.52 % à 63.93 % au sein de Multithématiques (édition de chaînes
thématiques sous le nom CanalSatellite) et exerce ainsi un contrôle conjoint avec le
groupe Lagardère (24.7 % d’actions détenues).
En 2001, les actionnaires s’étaient partagés 1.6 milliard d’euros de bénéfices courant
après impôts en retraitant les intérêts minoritaires et les participations non consolidées,
ce qui donnait un résultat courant par action en 2000 de 1.48 euros contre 2.74 euros en
1999. Avec 450 millions de titres créés pour financer la stratégie du groupe qui donnent
normalement droit à près de la moitié des bénéfices de VU, malgré cela, les actionnaires
ne recevront rien en 2002.
Mais comparé aux pertes affichées par ses concurrents, touchés eux aussi par le
dégonflement de la bulle Internet, le résultat du groupe de médias et de communication
paraît dans les normes du marché même s’il s’agit des pertes les plus élevées
enregistrées par un groupe français.
Vivendi est le seul groupe à ne pas avoir fait d’avertissement sur résultat (profit warning)
en 2001, il annonce une amélioration des résultats nets de 400 millions d’euros pour les
exercices suivants car cette opération vérité sur le bilan (amortissements des survaleurs)
ne sera pas renouvelée. Toutefois, le bilan du groupe recèlerait 52 milliards d’euros de
survaleurs.
Maigre consolation, le chiffre d’affaires des activités médias et communication est en
hausse de 10 % (28,115 milliards d’euros, Cf. détail Tableau 4 ci-dessous, endettement
de la branche de 14.6 milliards d’euros) sur base pro forma (normes comptables
françaises) sans tenir compte d’Universal Studios Group Filmed Entertainment, dont la
fusion n’est opérationnelle qu’en avril 2002. Le chiffre d’affaires total du groupe est de
57.36 milliards d’euros et les résultats opérationnels sont en hausse de 89 % ce qui est
conforme à l’annonce faite au marché selon JMM. L’EBE affiche une hausse de 34 %
(5,036 milliards d’euros) et le cash-flow opérationnel est amélioré de 2 milliards d’euros
sur un an.
Tableau 4 :
Branches d’activité en 2001
(hors Vivendi Environnement)
Télécommunications (Cegetel, SFR)
Musique (Universal Music)
Cinéma et parcs d’attractions (Universal Studios)
Télévision (Groupe Canal +)
Edition (VU Publishing)
Internet (Vizzavi…)
Chiffre d’affaires
en milliards d’euros
7.64
6.56
4.94
4.56
4.29
0.129
Résultat d’exploitation
en milliards d’euros
1.33
0.719
0.3
- 0.374
0.479
- 0.290
A l’égard des marchés et des actionnaires, JMM entend jouer la transparence absolue
en garantissant des reconsolidations de dettes « afin d’éviter les rumeurs lancées sur le
marché permettant aux hedge funds29 de s’en mettre plein les poches en une journée au
détriment des actionnaires », selon JMM.
Au lendemain de la publication des résultats, le cours30 de l’action Vivendi Universal a
continué de chuter (47.51 euros) alors qu’à l’annonce du rapprochement avec Seagram
et Canal +, le 15 juin 2000, l’action cotait 99.15 euros, un plongeon de 52 %.
La Bourse a davantage amputé la richesse des actionnaires que ne laisse entrevoir
l’amortissement anticipé des survaleurs, résultant de fusions réalisées au plus haut de la
29
30
Cf. Glossaire.
Cf. Annexe 2.
25
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
bulle spéculative. JMM juge que la Bourse n’est pas cohérente en valorisant les pertes
issues d’un amortissement anticipé de goodwills car il ne traduit pas une sortie de cash,
ni un surcroît d’endettement.
A l’approche de l’Assemblée générale (AG) d’avril 2002, VU entreprend à nouveau
l’allègement de sa dette. Le réseau cinéma est à vendre, la participation de 50 % dans
United Cinéma International (UCI), un réseau de salles de cinéma détenu à parité avec
Paramount Pictures (Viacom), se valorise à 500 millions d’euros. UCI est une coentreprise qui n’est pas consolidée dans les comptes de VU.
En avril 2002, JMM finalise la cession du pôle de presse spécialisée - professionnelle et
médicale -, opération qui a mis un an à se concrétiser pour moitié moins que le montant
espéré. Elle doit contribuer à désendetter le groupe d’1.3 milliard d’euros. Mais VU a
octroyé un crédit vendeur de 200 millions d’euros aux acheteurs, le fonds Cinven et
apporte un quart du capital (100 millions d’euros) à la structure de Leverage Buy Out
(rachat par endettement avec création d’un holding de tête) constituée.
Sont également réalisées les cessions dans les télécoms :
- Elektrim Telecomunikacja, qui était détenu à 49 % par VU est ainsi vendu à un pool
d’investisseurs mené par la banque Citigroup. Une moins-value de 500 millions d’euros
est estimée.
- Vivendi Telecom Hungary (VTH) est cédé à des fonds d’investissement.
VU se maintient toutefois dans Maroc Telecom (35 %) et dans Monaco Telecom qui
gagnent de l’argent.
En outre, la problématique Vivendi Environnement (VE) ressurgit, elle figure comme une
vraie source de désendettement. D’un montant de 15 milliards d’euros, la dette de VE
est détenue à 63 % par VU, elle est à ajouter à la dette du conglomérat (14 milliards
d’euros en avril 2001). La déconsolidation pourrait passer par la vente de 14 % de VE
pour tomber sous les 50 % de participation pour un montant de 1.7 milliard d’euros,
heureuse coïncidence, cela correspond au montant estimé nécessaire pour se renforcer
dans Cegetel. La filiale de téléphone est très profitable, VU n’en détient que 44 %, il a
tout de même décidé de consolider la totalité des résultats de Cegetel dans ses
comptes. Les 1.5 milliards d’autofinancement dégagés par la filiale sont ainsi
entièrement intégrés aux comptes du groupe, bien qu’il ne puisse en bénéficier. L’autre
grande filiale VE (détenue à 63 %) n’est prise en compte que si des bénéfices sont
versés à la société mère.
Le 24 avril, l’AG se déroule finalement sans incident, les résultats du premier trimestre
étant meilleurs que prévu, mais les questions de la dette trop élevée, les pertes de Canal
+ et la décote des acquisitions taraudent les actionnaires car elles pèsent sur le cours
(37.02 euros). Deux résolutions sont rejetées : l’une portant sur l’autorisation de
procéder à une augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription et l’autre,
sur la mise en place d’un plan de stock-options31 portant sur 5 % du capital. Les
engagements liés aux contrats de travail aux USA des créateurs de jeux vidéo par
exemple, comprennent dés le départ une partie en options et atteignent la somme de
150 millions d’euros par an. JMM souhaite convoquer une nouvelle AG mais elle s’avère
être un processus long et coûteux, il dispose néanmoins d’une réserve représentant 0.7
% du capital (soit 280 millions d’euros) et peut limiter le plan de stock-options à 3 % du
capital.
A défaut de céder contre du cash des actifs substantiels comme le réclament certains
actionnaires, Vivendi réussit enfin à faire placer sur le marché plus de 250 millions de
titres BSkyB, soit les derniers titres que la Deutsche Bank et Goldman Sachs portaient
depuis septembre 2001. En conséquence, le groupe réduit sa dette de 2.7 milliards
d’euros et comptabilisera en 2002 une plus-value de 164 millions d’euros non fiscalisée.
31
Cf. Glossaire.
26
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Le titre VU qui était passé sous la barre des 30 euros regagne 5.23 % (31.41 euros).
L’agence Standard & Poors estime que VU s’éloigne du risque de cessation de paiement
car il dispose d’une ligne de crédit syndiqué de 3 milliards d’euros.
L’opération complexe sur la cession des titres Vivendi Environnement :
Le 17 juin 2002, le Conseil d’administration entérine officiellement la cession de 15 % de
VE, le groupe accélère ainsi « sa mue de conglomérat en pure valeur média ».
Toutefois, JMM anticipe le 12 juin et réitère le montage BSkyB en gageant 12,7 % de VE
auprès de la Deutsche Bank par un contrat de pension livrée. L’opération permet
d’encaisser immédiatement 1.4 milliards d’euros et VU espère échapper à une
majoration de l’impôt sur les plus-values. En effet, pour que la Deutsche Bank puisse
restituer comme convenu les titres VU en fin de contrat car elle ne sera plus en mesure,
à l’échéance de rendre les titres à VU, le groupe a conclu un contrat de vente à terme,
portant sur le même nombre d’actions et au prix du placement soit 27.50 euros. Le
contrat de pension livrée sera dénoué le 27 décembre 2002, date importante en matière
d’optimisation fiscale étant donné que si le groupe vend ses titres avant le 23 décembre
soit moins de trois ans après la création de VE par apport d’actifs, il est contraint de
s’acquitter d’un impôt sur la plus-value majoré de 9 %. Le contrat de pension est
augmenté à 15.6 % du capital de VE afin de couvrir l’intégralité du placement des titres
VE, piloté par la Deutsche Bank, BNP Paribas et la Société Générale, auprès de grands
investisseurs internationaux.
Le placement des titres VE rencontre un vif succès puisque la demande représente 1.5
fois l’offre de titres et VU en cède 53,78 millions (15.6 % du capital de VE).
A 27.50 euros, le Conseil d’Administration de VE n’est pas unanime car le prix
d’introduction (34 euros) en Bourse de VE deux ans auparavant, était déjà considéré
comme peu élevé. Les analystes jugent le prix, bradé au regard de la valeur d’actif (n°1
en France dans les eaux municipales avec plus de la moitié du marché des concessions
soient 8 000 collectivités locales et n°1 mondial en chiffre d’affaires).
Mais l’augmentation de capital (1.5 milliard d’euros) à un prix de 26.50 euros de VE
prévue début juillet est confortée par la réussite du placement des titres et la
participation de VU va descendre à 40.8 %, ce qui satisfait le management de VE
souhaitant « sortir au plus vite du giron de VU ».
Telepiu, la filiale de Canal +, maillon faible du groupe, est dans le même temps cédé et
permet d’engranger du cash.
Pour ne pas avoir annoncé le contrat de pension livrée sur les titres VE avant l’avis du
Conseil des Marchés Financiers, le marché a été troublé suspectant une grave crise de
liquidités et accélérant une dégringolade du titre de la maison mère et de sa filiale. VU a
non seulement constaté un gain (1.48 milliard d’euros) de la cession de VE plus faible
qu’escompté (1.7 milliard d’euros) contribuant au désendettement du groupe mais a
également perdu 8.6 milliards d’euros de capitalisation boursière (cours de l’action VU :
18.75 euros) en deux séances pour une économie d’impôt de 200 millions d’euros (cf.
plus haut). VU va malgré cela pouvoir déconsolider la dette de sa filiale de services
publics (15 milliards d’euros à fin 2001) et la dette nette va revenir fin 2002 de 35
milliards à 18.5 milliards d’euros.
Les analystes financiers sont agacés de la créativité financière de JMM car aucune
cession n’est pure et simple.
L’opération complexe sur la cession des titres Vinci :
Instantanément, VU annonce la cession de 6.1 % (5.22 millions d’actions) du n°1
mondial de la construction Vinci. Une participation jugée illiquide puisque les actions
constituent le sous-jacent d’obligations émises par VU en février 2001. Il est interdit en
France de vendre le sous-jacent d’obligations car la Commission des Opérations en
Bourse impose la mise sous séquestre des titres de créance. La réglementation
27
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Luxembourgeoise est différente sur ce point et le groupe a pris soin de coter les
obligations convertibles sur cette place financière. Il faut cependant prévoir un
mécanisme de couverture permettant au groupe de livrer les titres à l’échéance des
obligations. VU acquiert parallèlement des options d’achat (calls) lui permettant à terme
de se porter acquéreur des titres Vinci : si le cours de Vinci dépasse le prix de
remboursement des obligations en mars 2006, VU exercera ces calls, si le cours est
inférieur, il remboursera les obligations. Pour les analystes, ce type d’opération est un
effet d’annonce sur une rentrée de cash et sur la disparition d’un risque de marché. Le
placement des actions piloté par Goldman Sachs, rapporte 300 millions d’euros à VU
déduction faite des frais d’acquisition d’options d’achat. Le flottant de Vinci passe de 74
% à 80 %. A l’issue de cette cession, l’action VU clôture en hausse de 10.45 % (21,88
euros) alors qu’elle venait tout juste de perdre 10 %, et les volumes représentent 10 %
du capital.
Le capital est tellement éparpillé qu’il suffit de 10 % pour exercer le pouvoir, l’hypothèse
d’un ramassage des actions VU par de nouveaux actionnaires est accrédité. Preuve en
est, Vincent Bolloré, spécialiste des coups financiers, a commencé à ramasser le titre en
Bourse, il détiendrait 0.5 à 2 % des actions.
Quatre jours plus tard, JMM quitte la présidence du groupe, devenu la « bête noire » des
marchés financiers après tout cet enchevêtrement d’opérations complexes. Dés le
lendemain, les marchés financiers dressent déjà le bilan de l’ère Messier :
- des acquisitions sans intérêt stratégique ou déraisonnables pour un groupe au bilan
déjà assez tendu, qui ont abouti à une dette colossale de 19 milliards d’euros ;
- 36.8 milliards de pertes cumulées en 2001 et 2002 ;
- une chute du cours de l’action de 91 % entre son sommet en mars 2000 (150 euros) et
le départ de JMM en juillet 2002 (13 euros et - 41 % en deux jours). Le cours s’élevait
à 25 euros à son arrivée en 1996.
Le cours de Bourse a bien sûr rebondi (+ 5.54 % à 14.67 euros) avec l’annonce du
départ de JMM mais les investisseurs redoutent la découverte de mauvaises surprises
dans les comptes et appréhendent le démantèlement du groupe. D’autres groupes de
médias comme Disney et Viacom ont aussi des actifs très diversifiés.
La priorité est de régler les problèmes de trésorerie à court terme et de solder la
participation de VE, en l’occurrence, trouver des acheteurs prêts à reprendre
l’engagement de conservation des titres pendant 18 mois. Les problèmes de périmètre
des activités de VU seront examinées plus tard.
JMM reconnaît avoir été confronté à une crise de liquidités à l’été 2002 à cause des
« dettes mal réparties, trop concentrées dans le temps, avec de nombreux
remboursements fin 2002 et 2003 » qui ont provoqué à l’été 2002 un besoin urgent
d’environ deux milliards d’euros. Il donne la liste des décisions qu’il aurait dû prendre au
cours des mois précédents pour éviter cette crise : « une gestion différente de notre
dette en empruntant plus cher mais à plus long terme », « une cession complète de
l’environnement quelques mois plus tôt », « une émission obligataire, même chère », « la
décision de ne pas verser un dividende cette année ».
De ce qui précède (c’est-à-dire l’incidence des choix stratégiques et financiers du
gouvernement Vivendi), recèle un certain nombre de manoeuvres comptables et
financières et en découle des conflits d’agence inéluctables.
B- La mise en évidence des conflits d’agence
28
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Il s’agit, dans cette sous-partie, d’exposer non de façon exhaustive les aspects du
pouvoir discrétionnaire des managers à travers quelques exemples relevés dans l’affaire
Vivendi Universal.
1- Les techniques de manipulation observées à l’égard des
parties prenantes
Nous exposons, dans cette partie, les moyens les plus courants utilisés par les
entreprises et leurs dirigeants pour dissimuler la réalité économique qui sont tirés entre
autre, des exemples qu’Enron et VU nous ont offert.
a- La question de la validité de l’information financière
Les techniques de manipulation sont diverses. Certaines interviennent directement au
niveau de l’information comptable communiquée à l’extérieur, et d’autres sont reliées aux
déclarations faites par l’équipe dirigeante sur la situation de l’entreprise. De plus,
puisque pour le besoin de la Bourse, l’exercice comptable est découpé en semestre, les
prévisions non régies par les règles comptables peuvent aussi être le moyen d’une
communication fallacieuse des perspectives d’avenir.
Pour atteindre les 15 % de retour sur fonds propres exigés par les actionnaires, les
sociétés cotées ont mécaniquement deux solutions : améliorer leurs marges et/ou
changer la règle du jeu et modifier leur bilan, notamment en diminuant leurs fonds
propres. Comme la rentabilité sur investissement ne peut raisonnablement et
durablement être quatre fois supérieure à la croissance de la valeur ajoutée, les moyens
d’y parvenir ne sont pas toujours respectables.
Diverses techniques comptables et financières dont disposent les entreprises pour
embellir les comptes et améliorer le fameux ratio de Return On Equity32 vont être mises
en évidence ici.
Où se situe la frontière entre une stratégie habile et justifiée et des actions plus
critiquables ?
•
Le concept de « création de valeur pour l’actionnaire », surtout dans le cadre du
gonflement de la bulle des valeurs de haute technologie, mélange les performances
réelles des entreprises et le gonflement boursier de leurs titres, purement spéculatif.
L’impératif de rendement minimal de 15 % par an imposé par les investisseurs est
impossible à tenir sur une longue période… à moins d’utiliser les manipulations et
trucages comptables.
Par exemple, il est possible de jongler avec les notions de résultat et exprimer les
performances33 de l’entreprise non pas selon le critère du retour sur fonds propres
(ROE), trop contraignant, mais selon les critères qui arrangent bien plus les
dirigeants, comme l’EBITDA34, critère beaucoup plus tolérant puisqu’il s’agit du
résultat d’exploitation calculé avant les effets de restructurations financières et des
opérations de fusion. Les charges de la dette, les survaleurs et les dépréciations
d’actifs en sont exclues. L’EBITDA est censé refléter la rentabilité « structurelle » de
l’entreprise, mais il occulte en fait les effets à long terme d’un bilan déséquilibré.
Cette utilisation systématique de l’EBITDA est entretenue par les analystes financiers
qui, pour juger de la santé économique d’une firme, ne se fient pas au seul résultat
net. Car par redondance mais à l’inverse de l’EBITDA, le résultat net inclut des
données parfois éloignées de l’activité productive de l’entreprise, comme le résultat
32
Cf. Glossaire (Retour sur fonds propres).
Cf. Annexe 3.
34
Cf. Glossaire.
33
29
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
financier (qui intègre les charges d’intérêts versés aux banques, les bénéfices tirés
de placements financiers…) ou comme le résultat exceptionnel (qui comptabilise
notamment les plus ou moins-values engendrées par la vente d’un morceau de
l’entreprise, ou des charges dues à une catastrophe naturelle ou à un plan de
restructuration).
Il a été ainsi aisé pour les grands groupes de télécommunications de présenter des
taux de progression significatifs dans la période récente, alors même qu’ils croulent
sous la dette et les charges d’intérêt et qu’ils auraient dû déprécier des acquisitions
achetées en pleine bulle financière.
En avril 2001, la COB, consciente de ces dérives, souhaitait que les sociétés
affichant de la création de valeur en démontrent le calcul (EVA, …).
Pour en savoir plus sur la création de valeur, se reporter à la partie « Le concept de
création / destruction de valeur et ses indicateurs ».
•
Les prévisions financières et comptables. En effet, les règles comptables des
prévisions sont encore aujourd’hui assez peu courantes. Ainsi, il est plus facile de
maquiller ces estimations en omettant d’y faire figurer par exemple des charges liées
à la réalisation de ses objectifs. D’autres moyens, concernant les prévisions, peuvent
être relatifs à l’exagération des résultats escomptés ou de l’augmentation non fondée
des carnets de commande. Même si l’impact est limité à court terme, dans la mesure
où à la fin de l’exercice l’entreprise émettra ses comptes selon les principes
comptables en vigueur, le cours boursier sera influencé par ces prévisions.
•
L’amélioration du cours boursier. L’amélioration du cours boursier peut être
obtenue de différentes manières. Tout d’abord au niveau des déclarations faites par
les responsables de l’entreprise, qui influent sur le cours. Dans le cas de la société
Enron, le Chief Executive Officer (CEO35), Ken Lay, présentait régulièrement sa
vision sur la société en précisant que la situation était très favorable à la compagnie.
Ainsi, les investisseurs comme les salariés, étant rassurés, achetaient plus
facilement l’action, ce qui avait pour conséquence d’améliorer le cours.
Un autre moyen, aussi employé par Enron, est le ramassage des titres en bourse.
Cette technique, puisque le prix de l’action est fonction de la demande et de l’offre,
offrait un excellent moyen d’amélioration des cours. Il est important à noter, que dans
le cas d’Enron, l’amélioration artificielle du cours de l’action n’avait qu’une seule et
unique portée : améliorer la rémunération des dirigeants, fondée sur les stockoptions.
•
Le rachat d’actions : une pratique courante consiste à faire valider par les
actionnaires le rachat éventuel de leurs propres actions par la société, ce qui permet
d’utiliser la trésorerie de l’entreprise pour soutenir le cours de la Bourse ou éviter qu’il
ne baisse trop.
Le but est souvent d’augmenter le bénéfice par action36 : l’annulation des titres
rachetés permet de diminuer le nombre des titres, donc d’augmenter mécaniquement
le bénéfice par action, les sociétés cherchent à distribuer du cash à leurs
actionnaires.
Selon Patrick Artus, économiste de la Caisse des dépôts et consignations, ce
mécanisme constitue un facteur artificiel d’amélioration de la rentabilité. Il soutient le
cours de Bourse et arbitre de façon malthusienne (Malthus préconisait le contrôle
des naissances afin d'enrayer la pauvreté) le partage de la plus-value en faveur du
capital, au détriment des salaires et de l’investissement.
35
36
Cf. Glossaire.
Cf. Glossaire.
30
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Les sociétés cotées en Bourse rachètent leurs propres actions pour d’autres
raisons : optimiser la structure financière, éviter la dilution en cas d’attribution de
plans de stock-options, se protéger contre une OPA…
•
L’endettement. Les entreprises sont incitées à s’endetter pour réaliser leurs projets
d’investissement, mais pas à renforcer leur capital, le coût de l’endettement étant
plus faible que le coût des fonds propres : c’est l’effet de levier financier. Mais dés
qu’un choc macroéconomique survient, que le coût du crédit donc de l’endettement
devient supérieur à la rentabilité économique des activités financées par de la dette,
la situation des entreprises endettées devient insoutenable et elles doivent
désinvestir et réduire leurs charges pour alléger le poids réel de la dette : c’est l’effet
de massue financier. La décision de s’endetter doit prendre en compte les
évolutions économiques.
•
L’émission de titres hybrides, du type Monthly Income Prefered Share (MIPS)
inventé par la banque Goldman Sachs en 1993. En émettant sur le marché ces titres
qui sont des emprunts assimilés à des actions, les entreprises s’endettent, déduisent
fiscalement les intérêts, tout en gonflant les capitaux propres, ce qui réduit
fictivement le ratio d’endettement (capitaux propres/dettes).
•
Le traitement de la dette. Les groupes cherchent à diminuer voire masquer leurs
charges financières. Ils créent des sociétés ad hoc officiellement indépendantes, en
réalisant des cessions d’actifs plus ou moins justifiées pour y transférer une partie de
la dette. Enron a ainsi crée des centaines de filiales, Air Lib a revendu sa flotte
d’avions à une société de leasing qui lui reloue les appareils, France Télécom et
Thalès ont revendu des immeubles, tout en restant locataires. Les charges
augmentent mais l’endettement est minoré.
Le lease-back37 et la defeasance38 sont les opérations en vogue ces dernières
années mais elles constituent des cessions artificielles puisque l’entreprise paie des
loyers sur l’actif cédé.
Les réserves occultes. Les réserves occultes résultent d’une sous-évaluation
intentionnelle des postes du bilan. Cette sous-évaluation peut porter sur une
minoration de l’actif et une exagération du passif. Elle porte en substance sur la
minoration de la valeur des stocks, la surévaluation des amortissements ou la
majoration frauduleuse des dettes.
•
•
37
38
L’amortissement élastique des survaleurs et « réglage » des fonds propres.
Les éléments immatériels (marques, parts de marché, brevets, fichiers clients...) ont
une valeur subjective et peuvent atteindre des valeurs considérables à inclure
évidemment dans les bilans. Ces survaleurs ou goodwills sont étalées dans le temps
pour ne pas pénaliser les résultats d’une seule année, sur des durées variant selon
les entreprises de dix, vingt ou quarante ans. Le changement de durée et de
méthode d’amortissement de certains investissements, par exemple en passant de
trois à cinq ans, permet de diminuer les charges (dotations) de dépréciation d’actifs
et de réduire subséquemment les fonds propres tout en dégageant immédiatement
un meilleur ROE.
Depuis le 1er janvier 2002, les entreprises américaines n’amortissent plus le goodwill,
mais passent, si nécessaire des provisions pour dépréciation d’actif. Il y aurait eu en
2002 plus de 1000 milliards de dollars de « survaleurs » à déprécier dans les bilans
des sociétés américaines. Dans le rapport annuel 2001 de VU, les goodwills
totalisent 165.8 % des fonds propres (écarts d’acquisition →102.4 % et autres actifs
incorporels → 63.4 %). La valeur moyenne des goodwills des 15 principales sociétés
Cf. Glossaire.
Cf. Glossaire.
31
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
cotées représentant 40 % des fonds propres du CAC 40 est de 101.6 % des fonds
propres (écarts d’acquisition → 65.9 % et autres actifs incorporels → 35.6 %).
•
Le gonflement des provisions pour risques généraux ou pour restructuration
(licenciement, fermeture d’usines, déménagement…). Dans les comptes de fin
d’année, il est possible de surestimer le montant de ces provisions pour minorer le
résultat imposable d’une part, et d’autre part afin de constituer une cagnotte qui
viendra par le jeu des reprises de provisions, conforter les résultats des années
suivantes.
•
La sortie artificielle des stocks. En décembre, l’allègement des stocks est fréquent
en livrant les réseaux de distribution. La marchandise est restituée en janvier. Mais
au 31 décembre, les stocks sont allégés, le résultat de l’entreprise est dès lors
majoré, ce qui rassure les banquiers et qui attirent les investisseurs. Le changement
de méthode d’évaluation est également privilégié en fonction de la période d’inflation
ou de déflation et permet de réduire la valeur du stock et artificiellement les besoins
de financement correspondants.
•
Le financement des ventes. Cette technique a notamment été utilisée par Motorola
et Yahoo. Le principe est simple. Dans un contexte de croissance limitée des ventes
et d’une économie en recul, les entreprises se doivent toujours de présenter leurs
résultats et leurs estimations de vente. Ainsi, certaines sociétés financent leur client
en avançant les fonds nécessaires à l’achat de leur produit.
Au final, l’entreprise, usant cette méthode, soutient la croissance des ventes d’une
manière artificielle qui de surcroît lui coûte de l’argent. Mais avec la pression exercée
par les marchés financiers, ce recours devient monnaie courante et est plus
intéressant que de présenter un recul des ventes qui aurait pour conséquence
d’influer à la baisse sur le cours de l’action.
•
La vente fictive. Cette technique est relativement complexe, puisqu’elle met en jeu
des sociétés, autres que l’entreprise principale. La méthode repose sur un montage
financier qui permet l’arrivée de liquidités au sein de l’entreprise, comme si elle était
issue d’une vente réelle.
Par exemple, l’entreprise peut avoir recours à un emprunt bancaire par une tierce
entreprise. Cet emprunt est ensuite renvoyé à l’entreprise, comme si une vente avait
eu lieu. Ensuite, l’argent est renvoyé avec les intérêts à la banque émettrice de
l’emprunt. Cette méthode peut aussi intervenir entre différentes entreprises, non
reliées entre elles, par le jeu d’alliance ou d’amitié.
•
La prise en considération d’un chiffre d’affaires incertain. Pour doper les
données de l’année en cours, il est possible d’intégrer en dernière minute dans le
chiffre d’affaires des commandes qui viennent d’être signées, même si elles restent
aléatoires.
•
L’usage du résultat exceptionnel. Pour assurer la progression du bénéfice net, il
est procédé à quelques cessions rapides d’actifs juste avant la clôture de l’exercice,
dégageant quelques plus-values bienvenues.
•
L’échange d’actifs. Se reporter à la partie suivante « La constatation des dérives
comptables et financières révélées au sein de Vivendi Universal » : l’acquisition
par VU de Houghton Mifflin grâce à la cession du pôle de presse professionnelle et
médicale.
32
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
•
La cession ou la fusion. Une société peut décider de céder une activité
relativement moins rentable que celle de sa maison mère pour se concentrer sur un
seul métier qui dégage un meilleur rendement sur fonds propres. C’est ainsi que
plusieurs établissements financiers comme la banque britannique Schroders a cédé
son activité de conservation de titres, secteur à faible marge, pour se concentrer sur
la gestion d’actifs, plus rentable. A terme, le marché de la conservation des titres
pourra se concentrer et la structure moins concurrentielle de ce marché permettra de
restaurer les marges du nouvel oligopole39.
Ces restructurations, externalisations et pressions sur les sous-traitants valorisent la
rentabilité du capital, ce qui satisfait les actionnaires, mais comportent
nécessairement un coût social important en termes d’emplois ; cela correspond,
selon la logique libérale, à une optimisation de la combinaison productive.
•
Le hors-bilan. Les entreprises cotées connaissent d’une manière de plus en plus
courante un financement hors bilan que l’estimateur doit absolument prendre en
considération dans sa détermination de la valeur de l’entreprise.
Par exemple, les avoirs hors bilan peuvent être des points forts pouvant être
valorisés, comme la disposition d'un réseau de distribution propre ou encore comme
l'acquisition d'un know-how (savoir-faire) interne spécifique à l’entreprise.
Le hors bilan est également un moyen qui permet aux entreprises de masquer
certains faits concourant à une diminution de sa valeur. Les engagements financiers
pris par la société permettent de diminuer l’endettement apparent car ils ne figurent
pas dans les comptes annuels. Exemple : contrats de location signés pour une très
longue période, charges de retraite, cautions données à des banques ou des clients
ou des associés, plans de stock-options, contrats de pension, positions prises sur le
marché des changes ou des dérivés, etc.
Les dettes hors bilan pouvant être des dettes futures prévisibles de l'entreprise sont
à déduire de la valeur. En effet, les engagements hors-bilan se révèlent très coûteux
à court terme et en cas de dénouement défavorable des positions, il y a passation de
pertes exceptionnelles.
Le détail des risques encourus doit être mentionné dans les annexes des rapports
annuels. Le hors-bilan est un espace particulièrement opaque laissé aux entreprises.
La non inscription des faits comptables au bilan est aussi à rattacher à la
consolidation des comptes.
•
Les changements de périmètre de consolidation. Les sociétés cotées ne se
résument plus seulement à une seule entité. Elles ont des participations dans
d’autres sociétés, elles possèdent des filiales… Il s’agit de manière souvent arbitraire
d’inclure ou pas, dans le bilan annuel, toutes les sociétés dans lesquelles le groupe
détient des intérêts. Comme l’entreprise multiplie les acquisitions et selon les
principes comptables, à la clôture de l’exercice comptable, les entreprises doivent
consolider leurs comptes, c’est-à-dire intégrer dans la publication des comptes les
données des filiales, il faut ainsi reconstituer des bilans comptables rétroactifs, dits
pro forma.
Cette consolidation40 passe par l’intégration proportionnelle ou globale du résultat
des filiales et des charges. Cependant, dans un contexte de multiplication des liens
inter-entreprises, les participations sont parfois le moyen adéquat pour dissimuler
des dettes ou des charges grevant le résultat global du groupe, par conséquent, les
directeurs financiers prennent bien sûr la version de la reconstitution la plus
favorable lors des démonstrations : Enron avait ainsi réussi à masquer près de 800
sociétés localisées dans les paradis fiscaux.
39
40
Cf. Glossaire.
Cf. Annexe 4.
33
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Les sociétés offshore (ou sociétés ad hoc41) logées dans les paradis fiscaux et non
consolidées dans les comptes des groupes sont une parade pour dissimuler les
dettes et les pertes ou soustraire une partie des bénéfices pour réaliser des
économies d’impôt.
Des organismes, tels que les sociétés de clearing, donnent les moyens de mieux
dissimuler les pertes.
•
Les sociétés de clearing. Le principe de base des sociétés de clearing (terme
anglais de chambre de compensation) est de permettre des transactions
internationales d’argent tout en conservant une trace de celles-ci sans la divulguer.
Même si la Communauté Européenne met l’accent sur le contrôle des sociétés de
clearing, celles-ci donnent la possibilité aux entreprises de dissimuler des sommes
d’argent. De plus, et grâce à la multiplication des groupes (société mère et filiale), les
transactions sont en nette augmentation. Ces transactions passant par ces sociétés
de clearing sont des outils qui permettent les délits et le maquillage de bilan. Des
transactions peuvent ainsi avoir lieu sans qu’elles n’apparaissent dans la
comptabilité des entreprises, et sont répertoriées sur des comptes non publiés.
Par exemple, les entreprises peuvent utiliser les sociétés de clearing pour masquer
des bénéfices en investissant sur des comptes non publiés ou en créant des pertes
volontaires sur des opérations de fausses spéculations, pour effectuer des montages
financiers de contrôle, pour détourner des fonds…
L’exemple d’Enron illustre bien, le problème auquel se heurte tout investisseur ou toute
partie prenante et contre lequel tente de lutter les autorités qui en sont responsables, qui
est le problème de l’information comptable et par conséquent la fiabilité de l’analyse de
la société qui en est faite.
Aucune société ne peut continuer à créer de la valeur sans que règne la confiance en la
validité des informations sur lesquelles sont fondées les décisions collectives. Ainsi la
transparence des informations financières constitue la condition d’efficience des
marchés financiers.
Or, sous l’ère post-Enron, plus près de nous, le groupe VU a employé quasiment toutes
les techniques de manipulation recensées précédemment. Nous n’allons pas toutes les
passer en revue puisqu’à travers le « Le récit de la politique financière inhérente à la
stratégie de Vivendi Universal », nous avons pu nous apercevoir par une lecture
attentive que certaines manipulations étaient flagrantes tandis que d’autres n’ont pas
encore été révélées mais sèment le doute.
b- La constatation des dérives comptables et financières
révélées au sein de Vivendi Universal
Pour soutenir son expansion, le groupe VU n’a négligé aucun moyen : endettement,
augmentations de capital, utilisation de l’autocontrôle.
En 2000, VU ne comptait aucune dette, à la suite du transfert des engagements
financiers du groupe à sa filiale VE, il affiche début mars 2002, un endettement de 14.6
milliards d’euros. Dans le même temps, le nombre d’actions est passé de 450 millions à
plus de 1.1 milliard.
Poids des rumeurs, quête de transparence et rôle des agences, Vivendi illustre les ratés
d’une communication financière inadaptée aux nouvelles exigences des investisseurs.
41
Cf. Glossaire.
34
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Du débarquement fracassant du PDG à la crise de liquidité évitée de justesse, en
passant par les perquisitions de la brigade financière, l’ampleur du désastre boursier
(chute du cours de - 75 % en un an) est à la mesure du fossé qui s’est creusé entre VU
et le marché. La saga VU, c’est la dénonciation du culte de l’« EBITDA » et l’émergence
des « write-off », ces charges pour dépréciation d’actifs, du « hors bilan », ces
engagements de dettes plus ou moins « cachés ».
Au-delà des erreurs de stratégie ou de management, l’histoire est révélatrice d’une
communication financière, qui sous prétexte de plaire aux marchés aura produit l’effet
inverse.
Le déclenchement des hostilités s’est produit début janvier 2001 suite à la vente de 5.5
% des actions d’autocontrôle. Elle prend par surprise les opérateurs à peine rentrés,
alors que le cours cote au plus haut depuis des mois. Un coup de massue que beaucoup
de gérants ne pardonneront pas à JMM.
Sur des marchés saisis par une Enronite galopante et pleins de rumeurs, VU, aux
contours flous du fait de sa métamorphose éclaire mais inachevée de conglomérat en
groupe de médias aux activités multiples, devient la cible privilégiée de fonds
d’arbitrages spéculatifs en l’occurrence les « hedge funds ».
Début 2002, JMM déclare que « le groupe va mieux que bien » alors qu’il essuie des
pertes colossales suite à un « write-off ». Le PDG prétend mener une « opération
vérité » sur les comptes mais ne dévoile bilan et tableau de trésorerie que juste avant
l’Assemblée Générale des actionnaires en avril 2002. Lors de cette confrontation JMM
parvient à reconquérir les actionnaires en annonçant qu’il va réinvestir son bonus en
actions VU mais aussitôt après, il crie au piratage du vote et décrète l’annulation de l’AG.
Les agences de notation ont longtemps été compréhensives à l’égard de JMM qui
assurait que les cessions (AOL Europe, BSkyB, VE, etc.) ou la montée dans le capital de
Cegetel très rentable, étaient sur le point d’être finalisées pour faire rentrer du cash. Or
malgré les mises en garde début mai 2002, la situation financière de VU est de pire en
pire et les agences de notation perdent patience début juillet : la dégradation de la note,
reléguant le titre en « junk bonds » (obligations pourries), précipite la crise.
Une Information judiciaire a été ouverte par la COB en septembre 2002 pour
« publication de faux bilans pour les exercices clos au 31 décembre 2000 et au 31
décembre 2001 » et « diffusion d’informations fausses ou trompeuses sur les
perspectives de Vivendi Universal en 2001 et 2002 ».
Le rapport d’enquête de la COB comprend 3 parties dont voici quelques extraits ciaprès :
I.
II.
III.
Examen critique du schéma de consolidation du groupe VU.
L’information financière délivrée par le groupe VU en 2001 et 2002.
Les interventions sur le marché du titre VU.
(Les personnages cités au cours de ces extraits sont présentés dans la sous-partie
suivante « Les dysfonctionnements autour des Conseils d’administration et des
Assemblées Générales».)
La suspicion sur la méthode de consolidation des filiales Cegetel et Maroc Telecom
Le premier extrait concerne Maroc Telecom détenue à 35 % par VU et 65 % par l’Etat
marocain. En février 2001, un avenant au pacte d’actionnaire liant VU au Royaume du
Maroc est conclu. En vertu de cet avenant, le groupe consolide par intégration globale
donc à 100 % cette société. Cette solution ne paraissait pas naturelle en décembre 2000
puisque, dans une note, Gérard Ries [de Cegetel] écrivait que, même en cas de
renégociation avec l’Etat marocain « l’investissement resterait consolidé par mise en
équivalence ». Néanmoins, une note manuscrite de Guillaume Hannezo [directeur
financier de VU] en décembre 2000 fixait énergiquement l’objectif inverse. Il écrivait à
35
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
l’attention de messieurs Messier, De Baucé [ex-diplomate participant pour VU aux
négociations avec le Maroc], Germond [patron de Cegetel] et Ries : « Il est absolument
essentiel dans la remise de l’offre Maroc Telecom que nous soyons en position de
consolider globalement les 700 millions de dollars d’EBITDA correspondants ».
La COB décèle dans l’accord conclu « un mécanisme qui évoque une fraude
comptable » et s’interroge : « les dispositions sur le gouvernement d’entreprise n’ont
pour objet que de procurer un avantage comptable à Vivendi » : un avantage comptable
est-il un intérêt économique ? Une transaction peut-elle avoir un avantage comptable
comme objet, alors que la comptabilité a pour rôle de traduire une réalité économique ?
Ou plutôt ce contrôle contractuel42 de dernière minute a-t-il pour but d’enjoliver le compte
de résultat et le bilan de VU ?
Le gendarme de la Bourse a fait appel à un commissaire aux comptes, expert auprès de
la Cour de Cassation. L’expert a retraité les comptes de VU pour les années 2000, 2001
et 2002, en retenant la méthode de consolidation de Cegetel et de Maroc Telecom que
la COB estime devoir appliquer : intégration proportionnelle de 35 % de Maroc Telecom
et de 44 % de Cegetel au lieu de 100 % de ces deux filiales riches en cash-flow. Il
résulte que la physionomie des comptes est totalement transformée, « VU, consolidé
différemment n’est pas le même groupe en plus petit, c’est un autre groupe dont la
rentabilité affichée est beaucoup plus faible ».
Dans les plaquettes de VU, il était indiqué que la trésorerie de Cegetel, figurait dans
l’exercice du groupe alors que quelques pages plus loin, c’était le contraire. La
consolidation a permis de masquer le manque de liquidités du groupe qui était déjà en
dépôt de bilan.
Les signaux d’alarme adressés à JMM par son entourage
L’autorité boursière s’est livrée à une reconstitution de la vie de l’entreprise en 2001 et
2002 : examen des notes officielles ou confidentielles, courriers électroniques
personnels ou de services, etc. Dés le début 2001, il y a les notes à répétition qui
alertent le PDG sur le niveau d’endettement du groupe et sur l’urgence de réaliser des
cessions avant toute nouvelle acquisition. Extraits : « Dominique Gibert adressait un
courrier électronique à sa hiérarchie (JMM et Guillaume Hannezo) en septembre 2001
annonçant : « Indépendamment des 8 milliards de dollars de crédits-relais qu’il faudrait
financer avant fin novembre si jamais la transaction avec Diageo (groupe britannique de
spiritueux) n’allait pas dans la bonne direction, nos prévisions de trésorerie font
apparaître un besoin supplémentaire de 1.3 milliard de dollars […], c’est donc au total
environ 9 milliards qu’il faudrait trouver dans les deux mois qui viennent. […] Si lundi
prochain le risque de dérapage du closing43 des beverages (les cessions des spiritueux
de Seagram) se confirmait, je ne vois guère qu’une cession rapide d’un actif significatif
permettant de dégager au moins 3 milliards de cash (type BskyB), venant soulager
l’effort des banques, pour nous permettre de renégocier en confiance avec ces dernières
(et nos agences de rating), sinon nous risquons de nous heurter à des refus
catégoriques de renouvellement de certaines banques, avec des conséquences en
chaîne par le biais de cross-default44 ». D. Gibert confirme que ces notes exprimaient
l’inquiétude sur la conjoncture financière extrêmement mauvaise qui s’ajoutait à une
situation de trésorerie difficile. Les négociations en cours sur le rachat d’Echostar ne
devaient pas être la priorité selon lui.
42
Cf. Annexe 4.
Cf. Glossaire.
44
Cf. Glossaire.
43
36
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
En dépit de ces mises en garde, VU annonce en décembre 2001, la réalisation de
l’investissement dans Echostar. Trois jours plus tard, c’est une opération de 10.5
milliards qui est annoncée sur les actifs « entertainment » de USA Network. Mais en
l’espèce, il ne peut y avoir de poursuites pénales pour ces opérations de par la
connivence du fonctionnement du Conseil d’Administration de VU qui a soutenu un
développement manifestement hors de moyens du groupe.
Comment le marché a été informé de la situation financière de VU ?
Extrait : la COB a recherché les raisons pour lesquelles une convention de prêt de
Cegetel à VU, dont le montant a atteint environ 1 milliard d’euros, n’a pas été soumise
aux actionnaires :
« Révéler l’existence de cette convention et ses modalités lors de l’Assemblée générale
aurait nécessairement amené les dirigeants de VU à révéler l’existence d’un pacte
d’actionnaires, pouvant conduire à une remise en cause du mode de consolidation, mais
également à révéler que VU n’avait pas accès aux flux de trésorerie de Cegetel […]. En
réalité, les dirigeants du groupe n’ont cessé d’éviter de montrer publiquement une réalité
qui apparaissait en interne : l’absence d’accès aux cash-flows de Cegetel rendait
impossible le remboursement de la dette du groupe. »
La mise en cause des commissaires aux comptes
Le rapporteur de la COB attire l’attention sur un point : les commissaires aux comptes.
Les auditeurs de VU, membres des cabinets Salustro Reydel et l’ex-Arthur Andersen
seraient en l’occurrence mis en cause.
Les commissaires aux comptes n’ont semble-t-il engagé aucune action véritable pour
éviter cette situation, l’information financière de VU n’a pas été exacte et sincère. « De
façon constante, ils ont validé les choix comptables agressifs, n’hésitant pas dans leurs
travaux écrits à s’appuyer sur des apparences juridiques […] dont ils étaient bien placés
pour connaître les limites pour justifier les positions favorables à la stratégie du groupe.
La qualité de leurs diligences et la réalité de leur indépendance à l’égard des dirigeants
sont à examiner au regard des normes professionnelles. »
En automne 2001, le chef de la doctrine du cabinet d’audit Salustro-Reydel, M. Paper
chargé de dire, en cas de problème, quelles sont les pratiques comptables conformes
aux règles, et le fondateur de la société M. Salustro alertent la COB sur les
arrangements ou les enjolivements comptables. Dans un premier temps, la COB leur
donne raison puis s’en désintéresse. Par ailleurs, les commissaires aux comptes de VU Salustro-Reydel et Andersen - se posent la question à savoir si la cession de la
participation de BskyB est une vente ou une opération de prêt avec nantissement45 de
titres. La réunion avec la COB est décisive pour l’avenir de VU car si l’opération est
considérée comme un prêt, elle ôte 1.5 milliard d’euros de plus-values au résultat.
Andersen soutient le montage imaginé par VU : la participation doit être déconsolidée.
Or, M. Paper (Salustro-Reydel) estime que selon les normes comptables françaises,
l’opération doit être intégrée aux comptes. Les autorités de la COB donnent raison à M.
Paper. Le directeur financier adjoint de VU, M. Gibert adresse un courrier électronique à
M. Cattenoz, auditeur chez Salustro-Reydel qui valide depuis de nombreuses années les
comptes de VU : « Je suis furieux d’apprendre en relisant le mémo de la COB que ces
derniers ont reçu un avis de M. Paper. (…) Je souhaite donc (…) que tu m’indiques la
suite que le cabinet entend prendre pour éviter à l’avenir ce type de problèmes (…) ». M.
Hannezo, directeur financier de VU, envoie à son tour un courrier électronique au même
destinataire : « Il y a un vrai problème de fonctionnement au cabinet Salustro et j’espère
qu’il y sera remédié ». JMM écrit en personne à la direction du cabinet : « Je suis
extrêmement choqué d’apprendre tout cela, et cela me pose un vrai problème d’éthique
45
Cf. Glossaire (Pension livrée).
37
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
dans le professionnalisme du cabinet Salustro ». Salustro-Reydel réalise 20 % de son
chiffre d’affaires avec VU. Le président du Directoire, M. Reydel répond à JMM et à M.
Hannezo : « Faisant suite à votre mail (…), nous tenons à vous exprimer nos regrets sur
les incidents provoqués par l’un de nos associés. (…) Le Directoire a décidé à
l’unanimité de suspendre M. Paper de sa fonction de directeur de la doctrine, avec effet
immédiat ». Le président de la COB, M. Prada, ordonne à M. Reydel, d’annuler la
sanction prise contre M. Paper, qui selon la COB, « s’est manifesté avec beaucoup de
compétences ». L’opération est effectivement un prêt dont le cédant des titres BskyB
(VU) en garde le contrôle, l'opération doit être comptabilisée comme une opération de
financement par le cédant, il n’y a donc pas à procéder à une déconsolidation.
La crise très sérieuse au sein du cabinet Salustro entre les membres qui ont dénoncé les
dérives et ceux qui les ont organisées, dure jusqu’en juillet 2003 soit presque deux ans
après son déclenchement. La COB ne souhaite pas s’en impliquer davantage.
A la fin de l’été 2002, la Compagnie des Commissaires aux Comptes nomme un
médiateur (M. Blanc, Ex-PDG d’Air France). M. Cattenoz, commissaire aux comptes très
conciliant avec les directeurs financiers de VU, est maintenu et chargé d’arrêter les
comptes 2002 du groupe. Le principe de rotation des commissaires aux comptes,
préconisé par la COB, est repoussé à 2003. En mars 2003, suite à la plainte du clan
Salustro (dont M. Paper et deux autres auditeurs qui ont également dénoncé les dérives
de VU) contre la décision de l’Assemblée générale de Salustro-Reydel de mettre à
distance son fondateur et associé M. Salustro, le Tribunal de Commerce de Paris
nomme un administrateur judiciaire. Une solution suggère une compensation financière
à M. Salustro pour qu’il accepte d’arrêter la procédure, il s’y résout en juillet 2003 et le
reste du clan est condamné à quitter le cabinet (M. Paper a récemment créé sa propre
société d’audit & conseil). M. Cattenoz continue encore (en août 2004) d’auditer les
comptes de VU et M. Reydel est toujours membre du cabinet.
Des délits d’initiés ont-ils été commis ?
« Il apparaît que messieurs Messier et Hannezo disposaient à la fin de l’année 2001
d’une somme d’informations négatives sur la situation financière de VU, non connues du
public, dont certaines étaient susceptibles d’avoir un effet sur le cours du titre. Ce fait
pouvait justifier un devoir d’abstention d’intervention sur le titre VU. »
Or tout deux sont intervenus sur le marché du titre en décembre 2001 en levant des
options. Mais la COB se borne à observer que JMM a vendu des titres « pour
rembourser un emprunt lié à l’acquisition et procéder à une levée d’options ». Il a ainsi
augmenté son exposition en action VU. En revanche, pour Mr Hannezo, « sa levée
d’options suivie de la vente à terme lui a permis de sécuriser un gain de 1.39 million
d’euros ». Pour les défenseurs, « la preuve qu’il n’y a pas information privilégiée, c’est
que les deux dirigeants en ont tiré des comportements différents quant à leurs
interventions sur le titre. »
Les rachats d’actions abusifs
Les rachats d’actions massifs (27 millions de titres), procédés après le 11 septembre
2001 tandis que les marchés dégringolaient, n’ont pas respecté les procédures fixées
par la COB car ils sont intervenus pendant les quinze jours précédant la publication des
résultats et en clôture de séance. De plus, les volumes échangés ont été considérables
le jour de la publication des comptes, le 25 septembre : la limite autorisée a été
dépassée, le règlement 90-04 de la COB l’interdit formellement. VU, par l’intermédiaire
de la Deutsche Bank, a manipulé le cours de son action. Le chef de la salle des marchés
qualifie à l’époque ces opérations de « clairement illégal », il aurait soi-disant tenté de
prévenir Vivendi. Le déontologue (chargé du respect du code de bonne conduite) de la
Deutsche Bank prescrit de ne plus suivre les ordres de Vivendi.
38
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
La COB fut parfaitement au courant de la manœuvre et a laissé faire. Guillaume
Hannezo a sollicité un camarade de l’inspection des finances qui lui aurait expliqué que
le rachat d’action était autorisé avant la publication des comptes, si VU et VE avaient
déjà communiqué partiellement leurs résultats.
La pratique est autorisée par l’AMF (nouveau nom de la COB et du CMF), sous certaines
conditions, pour éviter que les entreprises ne manipulent leur cours : ne pas procéder
dans les quinze jours précédant la publication des cours, ne pas acheter à l’ouverture ou
à la clôture de la séance, ne pas dépasser un volume maximal de 25 % de la moyenne
des transactions quotidiennes constatées sur une période de référence de trois jours.
Un échange d’actifs
Lorsque VU a acquis l’éditeur américain d’ouvrages scolaires Houghton Mifflin,
l’opération devait être financée par la cession du pôle de presse professionnelle. Il s’agit
purement et simplement d’un échange d’actifs qui consiste à troquer une activité contre
une autre en recherchant un accroissement instantané de la rentabilité des capitaux
propres46. C’est un « swap d’actifs » dont l’intérêt financier est immédiat pour VU dans la
mesure où Houghton Mifflin a une rentabilité opérationnelle et un rendement des
capitaux employés bien supérieurs à ceux du pôle professionnel.
Les engagements hors-bilan pris par VU
JMM avait dissimulé dans le hors-bilan de VU des engagements (Club Med, Belgacom,
AOL, BSkyB, VE, etc.) importants dont les montants n’ont pas été révélés en totalité :
pour déceler ces engagements hors-bilan, se reporter à la partie « Le récit de la
politique financière inhérente à la stratégie de Vivendi Universal ».
Les Aller/Retour47 (intraday) de JMM, un rapport annuel arrangé, et le reste…
JMM affirmait dans le rapport annuel 2001 détenir 592 810 actions, avant d’avouer en
avril 2003 qu’il y a eu une erreur dans le rapport et qu’il n’en possédait que 333 243 à la
fin décembre 2001, ces titres ayant été vendus alors que le groupe négociait dans le
même temps la vente de son autocontrôle. L’erreur provient de BNP Paribas, qui gère
les titres pour VU. Plusieurs opérations financières ont été faites fin décembre 2001 (Cf.
« Le récit de la politique financière inhérente à la stratégie de Vivendi Universal »)
et l’établissement n’a transmis ces informations qu’en janvier 2002. Michel Pébereau
(ex-Pdg de BNP-Paribas) et la brigade financière de Paris détaillent précisément ces
opérations : le 21 décembre 2001, JMM cède 150 000 titres pour 9 millions d’euros, qui
permettent de rembourser l’emprunt de 5 millions d’euros qui a servi à les financer (plusvalue de 4 millions d’euros). Le 26 décembre, il lève 106 000 stock-options et achète
182 859 titres VU et les revend le jour même, il revend 106 000 actions le lendemain,
avec un bénéfice de plus de 4 millions d’euros à nouveau qu’il omettra de mentionner.
Le même jour et le lendemain, il a levé 333 000 nouvelles stock-options, en les finançant
avec l’argent dégagé par les ventes précédentes et avec un nouveau prêt de 5.2 millions
d’euros accordé à titre personnel par la Société Générale Private Banking. Selon son
avocat, ces achats et ventes simultanés s’expliquent par le souci de payer moins
d’impôts. La date des opérations concerne l’exercice 2001, le rapport annuel n’est donc
pas crédible. Pour appuyer cette affirmation, l’avocat de l’Appac48 s’est rendu au greffe
du Tribunal de Commerce pour consulter les comptes combinés, il manque 60 pages, le
passage relatif aux comptes sociaux et au rapport des commissaires aux comptes a été
remplacé. Un document relatif aux anomalies constatées sur certaines opérations
46
Cf. Glossaire.
Cf. Glossaire.
48
Association des petits porteurs actifs.
47
39
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
financières a été inséré à la place, ce passage n’a jamais été présenté en Assemblée
générale.
JMM a continué à acquérir des titres VU pour 1.5 millions d’euros, notamment en août
2002 après son limogeage, faisant confiance à M. Fourtou (nouveau PDG de VU) pour
redresser le groupe. En avril 2003, il prétend détenir 410 360 titres, au cours de la
période, cela représente 5.4 millions d’euros, soit le montant du prêt à rembourser.
Il y a aussi le contrat qui lie Canal + à six clubs de football, qui contre 250 millions
d’euros sur sept ans promettait à la chaîne des images dont ils n’avaient pas la
propriété. Une filiale américaine de VE aurait gonflé son chiffre d’affaires.
Ces révélations nous laissent pantois sur les pratiques du management de VU et sur la
connivence de l’environnement (banques, contrôleurs, autorité de tutelle, etc.). Nous
pouvons nous poser la question si des conciliabules ou des tractations voire des conflits
d’intérêt ont eu lieu entre les propriétaires actionnaires et les organes de décisions.
2- Les
dysfonctionnements
autour
des
Conseils
d’administration et des Assemblées Générales
L’actionnariat et les principaux protagonistes directement ou indirectement impliqués
dans le scandale VU n’ont pas été présentés jusqu’à maintenant, faisons un tour
d’horizon de ceux-ci.
a- La composition du capital en 2002 et les principaux acteurs
liés au gouvernement de Vivendi Universal
Actionnariat 2002
Au 24 janvier 2002, le capital de la société est composé de 1 087 699 061 actions
détenues par plus d’un million d’actionnaires. Le nombre de droits de vote
correspondant, compte tenu des actions auto-détenues s’élève à 1 049 108 474.
Les principaux actionnaires nominatifs à la connaissance du Conseil d’administration ou
ayant adressé une déclaration à Vivendi Universal sont :
Tableau 5 :
Actionnaires
Autres actionnaires
Groupe PHILIPS
Salariés (épargne salariale)
Famille Bronfman
BNP PARIBAS
SOCIETE GENERALE
Groupe CANAL +
Compagnie de SAINT GOBAIN
Groupe Seydoux
Groupe AXA
Autodétention
Autocontrôle
Guillaume
Hannezo
Directeur financier
Dominique Gibert
Directeur financier
adjoint
% du capital au 24/01/2002 % des droits de vote
80.28
84.31
3.52
3.71
2.12
2.23
5.29
5.59
0.36
0.38
1.31
1.38
0.17
0
1.13
1.19
0.62
0.65
0.53
0.56
0.09
0
4.58
0
Jean-Marie Messier
PDG du groupe VU
40
Jean-René Fourtou
(Vice-président du
groupe
pharmaceutique
Aventis)
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Eric Licoys
Directeur général du groupe
Jacques Espinasse
(nouveau Directeur
financier de VU)
Pierre Lescure
PDG de Canal +
limogé à l’issue de
l’AG d’avril 2002 et
remplacé Xavier
Couture venant de
TF1
Denis Olivennes
Directeur général de
Canal + et membre
du comité exécutif
de VU,
démissionnaire en
avril 2002
Philippe Germond
Président de Cegetel
Agnès Touraine
Présidente
de VU Publishing
Henri Proglio
(Tous
deux
promus
PDG de VivendiDirecteurs
généraux
délégués au côté d’Eric
Environnement
Licoys en avril 2002)
Barry Diller
Directeur des
activités
américaines de
VU dans le
cinéma et la
télévision
Anciens et nouveaux Administrateurs
Bernard Arnault (LVMH) ; Henri Lachmann (Schneider) ; Serge
Tchuruk (Alcatel) ; Jean-Marc Espalioux (Accor) ; Marc Viénot
(Président d’honneur de la Société Générale) ; Philippe ForielDestezet (Adecco) ; Gérard Kleisterlee (PDG de Philips) ;
Jacques Friedman (ancien président de l’UAP) ; Claude Bébéar
(Président du Conseil de surveillance d’Axa) ; Edgar Bronfman Jr
(Ancien Vice-président de VU), l'avocat M. Mintzberg, représentant
d’une des branches de la famille Bronfman dont Charles le père
ancien actionnaire du canadien Seagram-Univeral) ; Richard H.
Brown (PDG d’Electronic Data Systems) ; Dominique Hoenn
(Directeur général de BNP Paribas) remplace Bernard Arnault ;
Jean-Louis Beffa : PDG de Saint-Gobain, entreprise actionnaire.
b- La matérialisation des conflits d’agence
La rémunération de JMM
JMM apparaît comme trop payé en comparaison des performances, sa rémunération
s’élève à 5 248 936 euros en 2001 (+ 23 % par rapport à 2000) dont 125 000 euros de
jetons de présence. La progression de celle-ci, son alignement sur des normes
hollywoodiennes, la part de son bonus et le mode de fixation sont un concentré des
critiques adressées à VU par les actionnaires.
Entre 2000 et 2002, il y a eu une inflation des fortes rémunérations. La première raison
est l’explosion de la partie variable c’est à dire les stock-options, la seconde est le
rapprochement des salaires des grands patrons français de ceux de leurs homologues
américains. Cette seconde raison entraîne une déconnexion entre évolution du salaire
de JMM et celle des comptes de l’entreprise mais aux Etats-Unis, les PDG remboursent
une partie de leur salaire en cas de mauvaises performances.
Après la fusion avec Universal, les références françaises en vigueur à Vivendi ont été
abandonnées au profit de critères américains. A cette époque, le milliardaire et premier
actionnaire Edgar Bronfman Sr. a d’ailleurs remplacé à la tête du comité des
rémunérations Jean-Louis Beffa, président de Saint Gobain, administrateur le plus
ancien. Et le verrou mis par ce dernier à certains excès, avec un plafonnement du bonus
du PDG à deux fois son salaire fixe, a immédiatement sauté.
Malgré la présence d’un comité de rémunération dont nous pouvons douter de son
indépendance, JMM a procédé à des changements constants de mode calcul de son
bonus, en 2001, il était calé sur la progression de l’EBITDA, un indicateur qui lui a assuré
une prime maximale ; en 2002, la rémunération de JMM est si décriée que la direction
décide que son bonus sera finalement assis sur le désendettement de l’entreprise,
l’endettement s’accroît malheureusement.
41
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
L’abus de biens sociaux d’Edgar Bronfman Jr
Après avoir apporté Seagram, fusionné avec Vivendi, puis en être devenu le premier
actionnaire, la famille Bronfman avait des arguments pour accepter le départ d’Edgar Jr,
vice-président de VU. Le détail est impressionnant : son contrat de cessation d’activité
signé fin décembre 2001, prévoit ainsi le versement d’une « somme forfaitaire de 12
millions de dollars et d’un bonus à définir, le remboursement de ses impôts, l’autorisation
d’exercer immédiatement ses stock-options, le rajout de trois années d’ancienneté pour
sa retraite, le droit d’utiliser l’avion du groupe et la possibilité de bénéficier, jusqu’à fin
2004, d’une protection sociale et d’une assurance-vie pour lui, sa femme et sa fille.
Divers avantages en nature octroyés à Edgar Bronfman Jr sont pris en charge par VU :
les frais d’« outplacement » (reclassement), un contrat de consultant auprès de VU, le
loyer d’un bureau dans Manhattan, le salaire d’une assistante, une voiture de fonction
avec chauffeur, la sécurité de la maison de New York, le salaire du chauffeur de son
épouse, les frais professionnels, les indemnités de 750 000 dollars pour 2002, 1 million
de dollars pour 2003 et un autre pour 2004. Au total, Mr Bronfman Jr a touché 17.1
millions de dollars en 2002.
Ce recensement caractérise un abus de biens sociaux selon la justice. La mission de
consultant est fictive et tous les accords, qui n’ont pas été validés préalablement,
pourraient être qualifiés de « recel » par le Conseil d’administration de VU.
Une Assemblée Générale controversée
L’Assemblée des actionnaires du 24 avril 2002 s’annonce houleuse : les actionnaires
sont mécontents de l’évolution du cours de Bourse (retombé à des niveaux de cours de
1998), les salariés de Canal + n’acceptent pas l’éviction de Pierre Lescure, l’ADAM
(Association de Défense des Actionnaires Minoritaires) remet en cause la rémunération
de JMM et un énorme plan de stock-options qui doit être soumis au vote des
actionnaires, ATTAC (altermondialiste) promet une intervention contre ce groupe qui
représente plus que tout un symbole de la mondialisation… et le journal Le Monde a
même évoqué quelques jours plus tôt une « conspiration » menée par Claude Bébéar
qui viserait à évincer JMM. L’Assemblée Générale (AG) se déroule cependant sans trop
d’accrocs, jusqu’au vote des résolutions.
Dés l’issue de la première résolution concernant les comptes, les résultats font
apparaître un taux d’abstention anormalement élevé (autour de 20 % au lieu des 3 ou 4
% habituels). JMM s’en inquiète auprès du secrétaire général : on lui rétorque que tout
est normal. Puis vient le vote du limogeage de Pierre Lescure, l’abstention atteint cette
fois 45 %. Deux résolutions sont finalement rejetées : une autorisation d’augmentation
de capital et le plan de stock-options. Le deuxième refus met JMM dans l’embarras car il
doit honorer les stock-options prévus initialement par contrat.
A la fin de l’AG, JMM fait vérifier les votes de l’un des grands actionnaires de VU, Saint
Gobain. Et là, stupeur : il s’aperçoit que le représentant de ce groupe s’est constamment
abstenu. Le PDG de Saint Gobain Jean louis Beffa dit qu’il n’a jamais donné de telles
consignes. JMM décide alors le dépouillement des votes des 30 plus grands associés du
groupe, numérotés de 1 à 30 tels que Pathé, Société Générale, Crédit Agricole ou BNP
Paribas. Même constat, ils se sont abstenus à des niveaux records.
A l’aide de deux huissiers, l’ensemble du matériel électoral est vérifié en détail et ne
présente aucune défectuosité. Seule explication plausible, les votes ont été brouillés à
distance par quelqu’un se trouvant parmi les actionnaires, au Zénith, ou à proximité de la
salle, mais ceci militerait donc pour une véritable « opération » menée depuis longtemps.
JMM fait placer les appareils sous scellés, saisit la COB. Quatre actionnaires principaux
(St-Gobain, la Société Générale, le Crédit Agricole et BNP Paribas) avec Vivendi
Universal ont porté plainte contre X. L’ADAM s’insurge et pose la question : est-ce que le
vote va être recommencé jusqu’à ce qu’il soit favorable à JMM ?
42
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Selon JMM, la vérification des votes, exprimés par voie électronique, a fait ressortir des
indices convergents d’un dysfonctionnement qui a très vraisemblablement pour origine le
piratage des systèmes de vote. L’AG sera finalement reconvoquée au 3 juin mais n’aura
jamais lieu puisque l’expertise à la demande du Tribunal de Commerce durera sept mois
au lieu des six semaines annoncées. De plus, l’ADAM avait indiqué que ce serait illégal
d’annuler la première AG unilatéralement comme le souhaitait le Conseil
d’administration.
L’expertise a écarté toute action extérieure visant à perturber ou fausser le processus
informatisé de l’AG. Elle révèle toutefois les dysfonctionnements du vote électronique. Le
vote électronique était organisé avec trois ordinateurs connectés en réseau local et
4 042 boîtiers permettant l’enregistrement des votes. Or il est apparu que 83
actionnaires institutionnels, soit la grande majorité des droits de vote présents, n’ont pas
voté, leur boîtier étant resté sur la position A, pour « abstention ». Autre fait hallucinant,
la note de bas de page expliquant le fonctionnement des boîtiers de vote distribués aux
actionnaires indiquait : « pendant le vote, merci d’éteindre vos téléphones portables ».
En vérité, tous les boîtiers n’ont pas été lus par le système Votman. L’antenne, qui
scanne les votes à raison de 250 boîtiers par seconde et non 450 comme l’affirmait Multi
Média Animation (MMA est contrôlé à 40 % par BNP Paribas), n’a pas pu lire les vote à
temps. La vitesse de lecture de l’antenne était insuffisante pour effectuer une deuxième
lecture, et enregistrer ceux qui n’avaient pas voté dans les toutes premières secondes
du temps de vote. Si le système avait fonctionné, la résolution concernant les stocksoptions n’aurait pas été rejetée car les institutionnels avaient voté pour. Par ailleurs, il est
apparu que le vote de la résolution entérinant la révocation de Pierre Lescure a été
relancé lors de l’AG, sans aucun motif donné et au mépris du droit qui veut qu’un vote
soit définitif. Enfin, autre anomalie, le système de MMA relisait les abstentions, et non les
votes positifs ou négatifs, un système conçu pour que les abstentionnistes puissent se
repentir. Le système de vote mis en cause est utilisé par d'autres sociétés cotées, et non
des moindres.
Cette affaire révèle l’indigence des procédures de vote électronique et l’insuffisance de
tests à bonne échelle mais aussi le fonctionnement même des Assemblées où l’on
passe cinq heures à contempler des projections, et seulement onze minutes pour voter
une vingtaine de résolutions. A noter que les règles en matière de validité des
Assemblées générales dépendent de la loi et non de règlements COB, tout conflit doit
être arbitré par la justice.
L’affaire des indemnités de JMM met le monde patronal en ébullition
Tout commence en mars 2002 après les révélations des pertes records de VU pour
2001.
A l’Élysée, à cause de ses relations avec Édouard Balladur, mais également avec Lionel
Jospin, JMM est dans le collimateur de Jacques Chirac et de Jérôme Monod, l’ancien
PDG de Suez Lyonnaise des eaux et conseiller du Président de la République, qui est
également l’un des maîtres à penser du capitalisme français. Et Vivendi Universal est de
plus en plus à la merci d’une OPA hostile américaine.
Mandatés par l’Élysée, qui ne tient pas à porter la responsabilité d’une éventuelle
mainmise américaine sur la distribution de l’eau (Vivendi Environnement) ou Canal Plus,
M. Monod et M. Bébéar cherchent une solution française pour Vivendi Universal.
M. Bébéar, que l’on qualifie de « parrain des affaires » et qui agit toujours en coulisses,
redoute ouvertement (publiquement) que VU soit un nouvel Enron et que la déconfiture
du groupe entache la réputation de la place de Paris. Il déclare : « Si les administrateurs
français ne sont pas capables de faire le ménage dans une entreprise, ce sont les
américains qui le feront, imposant leurs hommes et leurs règles. »
Lors de l’Assemblée générale du 24 avril, JMM est contraint de donner la priorité à la
gestion et à la croissance interne. Il nomme Agnès Touraine et Philippe Germond
comme directeurs généraux délégués au côté d’Eric Licoys.
43
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Le 29 mai 2002 à New York, deux administrateurs américains du groupe - l'avocat M.
Mintzberg, représentant au Conseil d’administration de VU d’une des branches de la
famille Bronfman (car le fils est également administrateur), et Richard H. Brown –
désavouent publiquement JMM et lui flanque un comité spécial chargé de mettre en
œuvre le programme de désendettement. Ce comité est composé de deux
administrateurs M. Viénot et M. Bronfman Jr.
Après la démission de Bernard Arnault (patron de LVMH) du Conseil d’administration de
VU (aussitôt remplacé par Dominique Hoenn, directeur général de BNP Paribas), le 25
juin 2002, les administrateurs de VU renouvellent leur confiance à JMM par 9 voix contre
5. Cette décision reflète la division transatlantique du Conseil : les français craignent que
la famille Bronfman, ancienne propriétaire d’Universal et principal actionnaire du groupe
avec plus de 5 % du capital, n’impose un PDG américain en l’occurrence le retour de l’ex
Vice-président de VU, M. Bronfman Jr. La famille Bronfman, qui a vu fondre la valeur de
ses 5,2 % dans VU de 3,4 milliards d’euros à moins d’1 milliard d’euros la semaine
précédente, menace d’ailleurs de convoquer une Assemblée générale pour destituer le
PDG et engager des poursuites contre les autres administrateurs.
Le 28 juin 2002, les deux parties se mettent d’accord pour remplacer JMM par un autre
français, M. Bébéar place son poulain Jean-René Fourtou. Les administrateurs français
sont opposés à une procédure brutale d’éviction car ce n’est pas dans les traditions du
capitalisme français.
Le groupe est au bord de la faillite et JMM est le seul à pouvoir convoquer un Conseil
avant le 25 septembre 2002. Dés lors, le Conseil d’administration envoie messieurs
Friedman et Lachmann (surnommé par JMM « le petit messager » de Bébéar) en
mission pour demander à JMM de démissionner. JMM propose la nomination à la
présidence d’Agnès Touraine, l’un de ses bras droits, lui-même gardant une présidence
déléguée mais il n’est plus en mesure d’imposer quoi que ce soit. JMM se résout alors à
accepter de convoquer un Conseil d’administration, à condition au préalable de négocier
les termes de son départ avec messieurs Bronfman et Viénot, tous deux représentants
des deux clans respectifs USA et France et également présidents des comités de
rémunération et de gouvernance d’entreprise. Lors des entrevues, JMM exige, par
contrat de cessation d’activité (« termination agreement »), un golden parachute d’au
moins 20 millions de dollars, c’est exactement la somme obtenue par Edgar Bronfman Jr
lors de sa démission hors bonus et solde pour éponger ses dettes. JMM écrivait pourtant
dans son livre en 2000 : « Mon contrat ne prévoit aucune clause de ce genre (parachute
doré). Et je m’engage vis-à-vis de mon Conseil d’administration, à ne jamais en
négocier » !
Les parties se mettent d’accord pour 20,55 millions d’euros d’indemnités, M. Viénot
signe avec M. Bronfman, un papier annexé au « termination agreement » (accord
définitif). M. Licoys est délégué par les administrateurs pour signer le texte définitif.
M.Viénot, le plus fervent défenseur des indemnités de JMM et connu pour ses rapport
sur la moralisation de la gouvernance d’entreprise en 1995 et 1999, justifie le montant
élevé par le fait qu’il s’agit du secteur de la communication. Il déclarera par la suite que
JMM procédait au chantage pour accepter de quitter la présidence, M. Viénot a agit ainsi
pour sortir VU au plus tôt des mains de JMM.
L’accord est inscrit à l’ordre du jour du Conseil d’administration du 3 juillet 2002 ou plutôt
« l’accord est accessible pour consultation par les membres du Conseil ». M. Fourtou est
nommé à la tête de VU et créé immédiatement deux comités spécialisés : un comité
financier et un comité stratégique. Le Conseil nomme également deux nouveaux
administrateurs : Claude Bébéar et Gérard Kleisterlee (PDG de Philips et célèbre comme
Serge Tchuruk pour ses fermetures d’usines).
La « termination agreement » ne sera finalement pas débattue car les administrateurs
qui l’ont négociée pensent qu’elle ne va pas être approuvée car les actionnaires et les
salariés ont perdu 80 % de leur capital, il y a un risque d’abus de biens sociaux. La
décision de M. Fourtou, informé sur la compensation accordée à JMM, est de reporter la
discussion sur les indemnités à verser. En définitive, selon le procès-verbal de ce
44
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
Conseil, les administrateurs autoriseront JMM à conserver la partie fixe de sa
rémunération, sa couverture sociale et ses régimes d’assurances étendus à sa famille et
son appartement de New York jusqu’au 31 décembre 2002, ou jusqu’à ce qu’un accord
sur les conditions de son départ ait été finalisé et formellement approuvé par le Conseil.
Durant l’été, la COB lance son enquête sur VU, pendant que certains administrateurs
envisagent qu’une partie des indemnités soit discrètement payée par le biais des filiales
américaines du groupe mais M. Bébéar s’y oppose, il bloque même à la banque un
virement de près de deux millions d’euros de VU à JMM correspondant à son bonus du
premier semestre 2002, signé par M. Espinasse sur instruction de M. Fourtou.
Par la suite, le Conseil d’administration rechigne à évoquer les indemnités, tout du moins
refuse de signer la convention, même lors du Conseil du 25 septembre 2002 où la
décision de porter le différend devant une Cour arbitrale est prise, elle a été demandée
par M. Fourtou malgré les oppositions de messieurs Bébéar et Espalioux. Le Conseil
autorise d’engager formellement la procédure d’arbitrage. Le protocole d’accord de
l’American Arbitration Association, signé devant les avocats des deux parties le 1er
novembre 2002 par JMM d’un côté, M. Fourtou et M. Espinasse au nom de VU de
l’autre, stipule que :
ü les deux parties sont d’accord pour se soumettre à cet arbitrage définitif et
contraignant,
ü cet accord n’a pas besoin d’être approuvé par le Conseil d’administration,
ü aucune des deux parties n’engagera de procédures en France ou aux USA pour
contester.
Le sujet ne sera plus évoqué au Conseil, ni, malgré les questions des actionnaires
minoritaires, aux Assemblées générales. Les commissaires aux comptes, qui pourtant
ont assisté au Conseil de septembre 2002, ne mentionneront pas l’accord, malgré les
obligations légales, dans les conventions réglementées signées par le groupe.
En octobre 2002, l'Association des petits porteurs actifs (Appac) déposent une plainte
contre JMM pour abus de biens sociaux auprès du Tribunal de Commerce de Paris.
JMM a toujours été généreux avec l’argent des actionnaires, dés 1998, il verse une
cinquantaine de millions de francs à M. Dauzier, président d’Havas, dont il vient de
prendre le contrôle, entre 20 et 30 millions d’euros pour les départs chez Canal + (Pierre
Lescure remplacé par Xavier Couture de TF1, lui-même remplacé par Guillaume de
Vergès de TF1). M. Fourtou poursuit la politique de JMM en matière d’indemnisation :
selon le rapport annuel 2002, M. Licoys et M. Germond ont perçu environ 2 millions
d’euros chacun, M. Hannezo et M. Touraine, deux ans de salaire en moyenne.
Le 30 juin 2003, la décision du tribunal d’arbitrage condamne VU à verser l’indemnité de
20.55 millions d’euros à JMM, M. Fourtou, le syndicat Force Ouvrière et les actionnaires
minoritaires s’insurgent : « Certes, JMM avait évité la faillite de l’ex-Générale des Eaux
ravagée par ses investissements immobiliers mais il l’a ruinée à son tour pour assouvir
son ambition d’en faire le deuxième groupe mondial de la communication ». M. Fourtou
au nom de VU entend contester la décision par tous les moyens de droit à sa disposition
tant en France qu’aux USA mais il a malgré tout signé l’engagement de ne pas contester
la sentence. La direction de VU réclame à JMM la restitution de ses salaires et des
remboursements de frais perçus aux USA mais elle ne les reverra jamais.
Le 2 juillet 2003, les juges arbitres demandent à la Cour suprême de l’Etat de New York
de rendre leur avis exécutoire, mais le 9 juillet, la COB sort de son mutisme et obtient la
mise sous séquestre des indemnités par le Tribunal de Grande Instance de Paris. Le
« gendarme de la Bourse français » justifie son intervention par le fait qu’il est chargé de
« veiller à la protection de l’épargne », il souligne que la convention « n’a pas suivi la
procédure légale d’autorisation par le Conseil d’administration de VU ».
Un juriste spécialisé explique qu’en droit français, il faut l’accord écrit préalable du
Conseil d’administration mais en son absence, l’arrangement avec JMM n’est nul que si
45
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
VU prouve qu’il lui a été dommageable. Or, VU a clairement tiré un bénéfice d’image et
des avantages économiques (résolution de la crise financière) du départ de JMM. Ce
type de contrat n’est contestable qu’aux USA.
En juillet 2003, le rapport d’enquête promis par la COB (Cf. « La constatation des
dérives comptables et financières révélées au sein de Vivendi Universal ») n’a pas
encore commencé à être rédigé un an après, deux rapporteurs seulement sont détachés
à plein temps sur le dossier Vivendi pour dépouiller les documents saisis, dont les 80
tonnes envoyées par la SEC49 en février.
Le 15 septembre 2003, la Cour suprême de l’Etat de New York confirme la décision du
tribunal d’arbitrage, elle relève cependant que « la décision du tribunal arbitral a été
rendue un an après l’accord, et qu’aucun vote sur le sujet (convention des indemnités)
n’a été soumis au Conseil ou à l’Assemblée générale, entre-temps ».
Le 16 septembre 2003, le gendarme américain de la Bourse demande le gel des
indemnités de JMM. La SEC a ainsi prié de placer sur un compte bloqué, sujet à une
supervision du Tribunal, tout versement extraordinaire que VU pourrait faire à son exPDG, y compris les sommes dont JMM proclame au nom de l‘accord mettant fin à sa
collaboration. La SEC s’appuie sur la nouvelle législation anti-fraude pour pouvoir agir
ainsi pendant qu’elle mène l’enquête sur d’éventuelles violations de la loi boursière.
La COB quant à elle, juge que l’information financière de VU en 2001 et 2002 n’a pas été
« exacte, précise et sincère ». Selon JMM, l’information financière était exacte et a
toujours été soumise à la COB qui n’a jamais apporté de corrections majeures. Quant au
manque d’informations dont certains membres de son Conseil se sont plaints, il contreattaque : « J’ai bien peur que les seuls administrateurs qui n’ont pas été informés sont
ceux qui n’ont pas été présents aux séances du Conseil et qui ont oublié que la
responsabilité d’un administrateur, c’est d’être présent aux conseils ».
Le 15 octobre 2003, le groupe VU intente un procès en dommages et intérêts contre Eric
Licoys pour avoir signé l’accord d’indemnités. Mais ce dernier assigne à son tour, devant
le Tribunal de Commerce de Paris, messieurs Fourtou, Bronfman, Friedman, Viénot et
Lachmann.
Le 8 décembre 2003, le Tribunal de Commerce de Paris fixe un ultimatum à VU, le
groupe a jusqu’au 26 janvier 2004 pour remettre des documents confidentiels sur les
indemnités accordées à l'ex-PDG et fournir les procès-verbaux des Conseils
d'administration du 1er juin au 31 décembre 2002, le registre de présence aux dits
conseils et les lettres de convocation, ainsi qu'un extrait des statuts de la société, sous
peine d'une astreinte de 500.000 euros par jour de retard. Après des déclarations
contradictoires, la direction maintient son refus les pièces à la justice.
Le 23 décembre 2003, le feuilleton sur les indemnités de fin de contrat de JMM est enfin
réglé. Les 800.000 actionnaires français représentés par l'Appac sont en fait les seuls
bénéficiaires du « deal » signé entre Vivendi, JMM et la SEC. VU paiera 50 millions de
dollars d'amende (un peu plus de 40 millions d'euros) à la SEC, JMM, 1 million de dollars
et renonce dans le même temps à ces fameuses indemnités.
La SEC indique, dans un document de synthèse, que « JMM et M. Hannezo ont failli à
leurs responsabilités à l’égard des actionnaires et pendant un an et demi, ont tout mis en
oeuvre pour éviter de faire connaître les problèmes de trésorerie de la société et ses
difficultés à réaliser ses objectifs d’EBITDA, et priver ainsi les actionnaires d’une
information précise ». La SEC veut que cette somme aille aux « investisseurs lésés »
("defrauded investors"), l'Appac a été désignée comme destinataire de l’amende, mais
elle réclame déjà d'autres « restitutions ».
D'ores et déjà, en signant cet accord, JMM et Hannezo sont interdits d'être dirigeants
exécutifs ou administrateurs d'une société cotée aux États-Unis pour respectivement 10
49
Cf. Glossaire.
46
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
ans et 5 ans. Ce qui n'empêche pas JMM d'exercer en tant que consultant d'affaires à
New York, dans sa banque d’investissements, de fusions-acquisitions et de conseil pour
les entreprises et les fonds d’investissement, Messier Partners.
Une plainte civile pour fraude a d'ailleurs été déposée le même jour à New York à son
encontre, ainsi qu'à celle de l'ex-directeur financier Guillaume Hannezo.
Toujours dans le cadre de l’affaire des indemnités, l’accord annule toutes les plaintes
diligentées devant le Tribunal de Commerce de Paris, VU n’aura donc pas à
communiquer au Tribunal des pièces cruciales sur la tenue des Conseils
d’administration.
La victoire a été acquise grâce à la SEC, et pas à la COB (aujourd'hui rebaptisée
Autorité des marchés financiers). Il est choquant, pour les petits porteurs français,
d’observer que la sécurité de la place parisienne a été assurée par les États-Unis, et non
par la France.
Edgar Bronfman Jr, est le prochain visé par l'Appac pour restituer les « sommes
détournées ». Une fois « l'intégralité du préjudice réparé », elle retirera sa plainte au
pénal qui court toujours (pour fausse information et manipulation boursière).
Le 5 avril 2004, l’APPAC porte plainte contre X une nouvelle fois pour « manipulation de
cours et complicité ». Pour l’heure, dans cette affaire, trois personnes dont les anciens
trésoriers de VU ont déjà été mises en examen pour manipulation de cours. L’APPAC
estime par ailleurs qu’il y a eu « connivence » entre la direction de VU et la COB. Des
plaintes pénales sont toujours instruites à New York. Les deux dossiers en cause sont
les conditions financières du départ d'Edgar Bronfman Jr, ex-vice-président de VU, et
des opérations de rachats d'actions effectués par VU.
Double conclusion des enquêteurs : « Les dirigeants de VU sont au courant que le
rachat est illégal ». Et « la COB ne peut ignorer, à présent, que VU agit dans l'illégalité ».
Si le même raisonnement est suivi par les juges d'instruction en charge de l'affaire, cette
enquête pourrait déboucher sur un nombre impressionnant de mises en examen.
En 2003, JMM a reconnu que sa surmédiatisation et le maintien des métiers de
l’environnement et de la communication au sein du groupe avaient été ses deux
principales erreurs. Il se juge le « bouc émissaire de la chute des marchés ». Cependant,
il déclarait avoir définitivement tourné la page de VU, il est mis en examen et gardé à
vue en juin 2004 par la brigade financière de Paris.
Ainsi s’achève cette première partie sur la crise du gouvernement Vivendi qui a
provoqué d’une part, une destruction de valeur dissimulée par les manipulations
financières et comptables, et d’autre part en corollaire, des conflits d’agence inévitables.
L’affaire Vivendi couplée avec le scandale Enron a abouti à une sévère remise en cause
de l’autorégulation du gouvernement des entreprises cotées. L’analyse du marché
connaît désormais un fort développement à travers des nouvelles régulations
économiques, mais il ne faut pas pour autant négliger les autorités légales qui renforcent
la fiabilité des informations comptables par l’élaboration d’un renforcement de règles
(Gouvernance d’entreprise et contrôle interne, Loi sur la sécurité financière).
47
PARTIE I – La crise du gouvernement Vivendi
48
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le
gouvernement d’entreprise
A- Moralisation de la gouvernance d’entreprise
1- Les organes du gouvernement d’entreprise
a- Organes de gestion
Tableau 6 :
Régime traditionnel ou
structure moniste
Président du
Conseil
Conseil
d’administration
d’administration
(PDG)
Régime dit « à Directoire » ou
structure duale
Conseil de
surveillance
Directoire
2 à 5 membres dont
un président (7
1 président choisi
3 à 24
Composition
par le Conseil
membres
membres si société
d’administration
(actionnaires) cotée ; actionnaires
ou non)
Conseil
Conseil
de
Nomination par
AGO50
AGO
d’administration
surveillance
6 ans et
6 ans et
6 ans et
Durée
4 ans et rééligibles
rééligibles
rééligibles
rééligibles
AGO sur proposition
Conseil
Révocation par
AGO
AGO
du Conseil de
d’administration
surveillance
Les plus étendus pour agir en toutes
Contrôle
Les plus étendus
circonstances au nom de la société.
permanent de pour agir au nom de
→ à l’égard des actionnaires :
la gestion du la société dans les
pouvoirs exercés dans la limite de
Directoire
limites de l’objet
l’objet social
=> Fonction social.
→ à l’égard des tiers : société
de contrôle
- Le Directoire prend
engagée même si les actes
collégialement les
dépassent l’objet social.
décisions
Pouvoirs
=> Organe collégial.
nécessaires au
fonctionnement de
l’entreprise ;
- autorisation du
Conseil de
surveillance pour
certains actes.
=> Fonction de
direction
3 à 24 membres
(administrateurs
et/ou
actionnaires)
50
Assemblée Générale Ordinaire.
49
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
Dans le régime traditionnel, une seule et même personne assure à la fois la direction
générale de l’entreprise et la présidence du conseil qui contrôle sa gestion.
Le Conseil d’administration répond collectivement de l’exercice de ses missions devant
leur assemblée générale envers laquelle il assume légalement les responsabilités
essentielles : c’est lui qui convoque et fixe l’ordre du jour de l’Assemblée, nomme et
révoque les directeurs généraux (2 à 5 membres aux maximum selon le montant du
capital social) chargés de la direction de l’entreprise, contrôle leur gestion et en rend
compte par le rapport annuel et les comptes qu’il a arrêtés.
Tableau 7 :
b- Organe de délibérations : Assemblées générales
d’actionnaires
1. Droits des actionnaires
- droit de vote des assemblées
- droit aux dividendes en cas de répartition des bénéfices
- droit à l’information
- droit de négocier/ céder librement leurs actions
2. Assemblées d’actionnaires
Assemblées
Assemblées
générales Ordinaires
(réunion au moins
une fois par an pour
les décisions
ordinaires)
Assemblées
générales
Extraordinaires
(réunion si
nécessaire pour les
décisions
extraordinaires)
Conditions de vote
(Quorum : Q et
Majorité : M)
- à la première
convocation : Q =
au moins ¼ des
actions ; M = 50 %
+ 1 voix
- à la deuxième
convocation :
Q = - ; M = 50 % +
1 voix
- à la première
convocation : Q =
au moins la 1/2
des actions ; M =
2/3 des voix
exprimées
- à la deuxième
convocation :
Q = au moins ¼
des actions ; M =
2/3 des voix
Exemples de décisions
- Approuver les
comptes de l’exercice
écoulé.
- Statuer sur la
répartition des
bénéfices.
- Nommer et révoquer
les administrateurs.
- Modifier les statuts
(augmentation de
capital, fusion avec une
société, autres
décisions relatives à la
transformation de la
société)
c- Organe de
contrôle
Commissaire
aux
comptes :
- nommé pour 6 ans
par l’AGO
- obligatoire
- missions :
→ Contrôle des
comptes : vérifier la
régularité et la
sincérité des
comptes.
→ Devoir d’alerte en
cas de fait de nature
à compromettre la
continuité de
l’entreprise (à l’AG et
au comité
d’entreprise).
→ Mission
d’information des
actionnaires (rapport
annuel)
2- La fin de l’autorégulation de la gouvernance
Le capitalisme a changé de nature : il est passé d’une conception patrimoniale à
une conception financière.
Le fonctionnement du capitalisme mondial a fortement évolué au cours des années 80 et
90 : les capitaux financiers sont devenus le moteur de l’économie mondiale, et une crise
de surcapacité ou de surproduction est apparue dans l’économie réelle.
Ces vingt dernières années ont connu la déréglementation des marchés financiers et
l’élimination progressive des entraves à la libre circulation des capitaux entre pays et
50
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
entre secteurs (comme par exemple le “US Glass-Steagall Act” qui interdit aux
institutions financières d’entrer dans des activités commerciales et d’investissements
bancaires). Il en a resulté une spectaculaire poussée de l’activité spéculative qui a fait de
la finance le secteur le plus rentable de l’économie mondiale. Tellement rentable, qu’aux
activités traditionnelles (prêts, actions, obligations) se sont ajoutés des instruments
financiers toujours plus sophistiqués, comme les opérations à terme, les swaps, les
options (ce qu’on appelle les produits dérivés). Dans ces opérations, ce ne sont pas les
actifs qui ont engrangé les bénéfices, mais la spéculation sur les prévisions de risque
concernant les actifs sous-jacents.
L’attrait du secteur financier comparé à d’autres secteurs de l’économie, comme le
commerce ou l’industrie, a encore été mis en évidence par le fait que dans la deuxième
moitié des années 90, le volume journalier des transactions sur les marchés des
changes dépassait la valeur des échanges de biens et services pour tout un trimestre.
Après l’euphorie des années 1990 liée à l’épisode de la « nouvelle économie », les
principaux pays industrialisés sont rentrés dans une phase de turbulences financières
durables. En décembre 2001, la faillite spectaculaire du géant de l’énergie Enron, qui a
contaminé toutes les sociétés de négoce d’énergie et précipité la chute du secteur de
l’énergie aux Etats-Unis, donne le coup d’envoie d’une série de scandales émanant de
dirigeants supposés défendre les valeurs du libéralisme, et révèle de manière
spectaculaire, les dysfonctionnements profonds du nouveau capitalisme. Ils remettent en
cause, en premier lieu, cette conception de l’entreprise qui considère celle-ci, non pas
comme un établissement industriel, mais comme un actif financier dont il s’agit
d’accroître la valeur boursière par tous les moyens : rachats d’action, fusionsacquisitions, montages financiers hasardeux, …
Ce qui est également remis en cause à l’occasion de ces affaires, c’est la capacité du
capitalisme à se réguler. La fameuse discipline du marché n’a pas fonctionné. La Bourse
s’est avérée incapable de guider les entreprises vers des choix susceptibles d’assurer
leur développement à long terme.
L’affaire Enron a donc mis en lumière une imposture qui ne dura qu’un temps : les
comptes étaient faux, le cabinet d’audit Arthur Andersen reconnut avoir détruit des
documents compromettants et fut accusé d’avoir sciemment fermé les yeux sur les
engagements hors bilan du groupe. Alors que quelques semaines auparavant, plusieurs
analystes financiers recommandaient encore le titre à l’achat, Enron fut mis en
redressement judiciaire (chapter 11) le 2 décembre 2001. Dans les mois qui suivirent, le
cabinet Arthur Andersen fut jugé et démantelé, plusieurs entreprises très connues
(Worldcom, Tyco…) furent amenées à corriger substantiellement leurs comptes et à
avouer des pertes colossales, le président de la Security Exchange Commission
démissionna. Au total, la déroute du management d’Enron comme de ses commissaires
aux comptes provoqua une crise de confiance mondiale sans précédent dans le marché
boursier, voire dans le capitalisme lui-même.
Avant le surgissement des scandales financiers, le capitalisme financier est fondé sur
une gouvernance trop largement formelle, plus souvent autoproclamée que réellement
mise en œuvre. Les dirigeants, qui ont pratiquement comme seul garde-fou les
actionnaires étant donnée la connivence du Conseil d’administration, tombent dans
l’obsession d’optimiser la rentabilité des fonds propres, la performance du titre étant
indispensable pour financer l’expansion en attirant d’autres investisseurs. Cette
obsession est tellement poussée à son paroxysme à tel point que certains dirigeants, du
fait de leur « ubris » ou que leurs pouvoirs leurs sont parvenus, se permettent de donner
l’ordre de dissimuler les informations négatives sur leur entreprise.
VU, le géant franco-américain de la communication constitué en moins de 2 ans par de
multiples rachats illustre parfaitement cet état de fait (Cf. « PARTIE I – La crise du
gouvernement Vivendi en 2001 et 2002 ») : politique trop laxiste de rémunération,
attribution peu opportune de stock-options, mépris des revendications des actionnaires
surtout minoritaires, comportements autocratiques du management.
51
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
La défaillance des contrôleurs.
Quant aux autres acteurs des marchés financiers supposés contrôler les entreprises, ils
n’ont pas joué leur rôle de contre-pouvoir face aux dirigeants dont ils ont été souvent les
complices actifs ou passifs. Il y a une mise en cause de l’indépendance des
professionnels : dirigeants, auditeurs, analystes financiers, agences de notation,
banquiers d’affaires, journalistes boursiers, avocats d’affaires et des autorités de
régulation.
Certes, la mondialisation des marchés a entraîné une extension du champ de
compétences des contrôleurs privés et non celui des contrôleurs publics, ni des
mécanismes de contrôle des contrôleurs privés.
La loi de 1966 interdit pourtant aux cabinets l’offre de missions dites « incompatibles »
comme par exemple le conseil fiscal en même temps que l’audit des comptes. De plus,
les auditeurs et leurs proches parents ne peuvent détenir des actions dans les sociétés
clientes. Les sociétés cotées doivent fournir un rapport d’audit soumis à l’examen
indépendant de deux associés du même cabinet, et certifié par deux cabinets distincts
(cocommissaires). S’il apparaît des irrégularités flagrantes, les commissaires aux
comptes ont un rôle d’alerte aux dirigeants ou aux tribunaux si une faute grave de
gestion est décelée.
Ce dispositif législatif a montré ses limites car les sociétés ont réussi à le contourner
c'est-à-dire un contrôle des comptes effectué à 90 % par un seul cabinet et la
certification par deux. De la même façon, les règles d’incompatibilité si précises soientelles, n’interdisent pas à un cabinet de fournir audit et conseil à un même client pourvu
que celui-ci soit d’accord.
Pour le maintien des marges des mandats, il est d’usage que les cabinets envoient, en
mission d’audit des comptes, des contrôleurs juniors bon marché et peu expérimentés,
en sacrifiant la qualité des contrôles.
Il faut désormais contrôler les contrôleurs sur le respect des normes et limiter leur
pouvoir discrétionnaire et instaurer une séparation stricte des activités de conseil et
d’audit. La séparation franche entre les missions d’audit comptable et la certification
légale des comptes doit aussi être obligatoire. Il faut ainsi annihiler l’intérêt financier des
cabinets d’audit pour telle ou telle mission : « On ne peut pas être juge et partie
prenante ».
S’agissant des banques, il faut rétablir le principe de « muraille de Chine » :
indépendance et intégrité des analystes, traders et banquiers d’affaires.
Il faut désormais rétablir la confiance en la validité de l’information financière et inculquer
à nouveau l’impératif de sincérité des comptes ; un mot prend tout son sens : la
transparence.
Une définition de la transparence.
Le deuxième cœur du droit des sociétés aujourd’hui, c’est l’information, que l’on appelle
« transparence » dans le cadre des marchés financiers. Il faut élaborer des mécanismes
permettant de faire en sorte que les dirigeants utilisent leurs pouvoirs au profit des
actionnaires, c’est à dire délivrent une information bien construite, complète et à temps. Il
faut également s’interroger sur l’objet de l’information délivrée. L’information est faite
d’une part pour que ceux qui prennent les décisions les prennent de la façon la plus
éclairée possible et, d’autre part, pour ceux qui sont titulaires du pouvoir de contrôle
puissent l’exercer. L’obligation d’information ne saurait, dans ces conditions, se limiter à
la communication d’éléments d’information : il s’agit également de rendre
compréhensible ce qu’on a communiqué. Or, dans le droit des sociétés classique, cette
obligation est assez faible. Il importe par conséquent d’instaurer une obligation pour les
dirigeants, de motiver leurs décisions : les personnes qui ont le pouvoir doivent l’exercer
mais doivent également dire pourquoi ils ont fait tel ou tel choix. Ce mécanisme de
motivation rendrait compréhensible leurs décisions y compris pour les salariés. Il ne
52
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
s’agit pas ici de prôner pour une transparence absolue : en matière financière, trop de
transparence tue la transparence et l’impératif de transparence « ne saurait être une
nouvelle dictature. Les marchés ont besoin d’une information honnête, pas d’une
information totale ». Les grandes leçons d’Enron et de Vivendi sont la confusion entre
éthique et esthétique. Sur le papier glacé destiné aux actionnaires, tout y figurait :
chiffres multiples, des comités spécialisés nombreux, de grands principes de
gouvernance. Il manquait simplement, dans les cas qui ont ébranlé la confiance, le sens
de l’éthique.
Une part de responsabilité des marchés.
En outre, il y a le reproche fait au marché pour son caractère suiviste et pour son
engouement pour le secteur de la « net economy » ou la bulle Internet. Les actionnaires,
et surtout les fonds d’investissement, ont des exigences de rentabilité à court terme et
par conséquent, ils poussent les entreprises à se conformer à des normes financières à
court terme (pratique du benchmarking) hors des proportions avec les fondamentaux
économiques, JMM l’a d’ailleurs souligné au cours de son mandat. C’est ce qui a amené
les dirigeants d’Enron, WorldCom et VU à truquer leurs comptes pour afficher à tout prix
les résultats attendus. Il reste l’incertitude qui décourage la rentabilité à long terme. Cette
incertitude, qui a été entretenue par les scandales et la prise de conscience des
investisseurs, se traduit désormais par une forte aversion aux risques, ils optent donc
pour la diversification. Il va falloir étudier en profondeur la psychologie des investisseurs
et que les entreprises leurs donnent l’envie d’être plus patients et d’adhérer à leurs
projets : améliorer les techniques d’estimation/évaluation des risques (réduire l’intervalle
de confiance des probabilités quitte à augmenter les provisions pour risques => couvrir
la valeur en risque (value at risk) mais cela sous-tend de bloquer des fonds propres)
pour pérenniser la rentabilité sur un horizon plus lointain que le court terme.
La gouvernance : « Du thème à la mode au passage obligé ».
Cette fin de l’autorégulation a pour effet un renforcement des codes déontologiques et
de vérification de la cohérence des chiffres, une batterie de recommandations, de
préconisations et de règles est née et va naître encore.
Cependant faut-il plus de contrôles ou plus d’éthique ? Jusqu’où le droit doit s’immiscer
dans la vie des affaires ?
Le reproche est souvent fait au législateur d’un interventionnisme excessif et trop rapide.
Exemple : la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) du 15/05/2001
sur le cumul des mandats sociaux, remaniée le 29/10/2002.
La Loi sur la Sécurité Financière du 01/08/2003 est une approche prudente en matière
de gouvernance car il n’y a pas de substitution de la loi au contrat et le régulateur
suprême est le législateur.
Dans la Loi de 1966, le système classique consiste à donner le pouvoir à ceux qui
prennent des risques. Mais aujourd’hui, il y a déconnexion entre le pouvoir capitalistique
et le pouvoir décisionnel car dans toutes les sociétés cotées, personne n’est actionnaire
majoritaire et ceux qui dirigent n’ont qu’une très faible partie du capital social, il y a donc
rupture entre les deux pouvoirs de par la dispersion de l’actionnariat.
Les nouvelles théories de la corporate governance adoptent une approche « expertale »
du droit des sociétés : le pouvoir revient à « ceux qui savent » et non à « ceux qui
risquent ». La question est alors de savoir comment contrôler « ceux qui savent ». Le
problème est celui de la rente informationnelle : si l’on donne le pouvoir à « ceux qui
savent », il faut faire en sorte qu’ils utilisent leur savoir au bénéfice des investisseurs.
L’enjeu du droit des sociétés est de distribuer et d’équilibrer les pouvoirs et de faire en
sorte qu’ils soient bien exercés, c’est à dire gérer les conflits d’intérêt dans toutes les
sociétés. L’actualité la plus récente l’a rappelé : non seulement les analystes financiers
53
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
n’ont pas donné leur information aux investisseurs mais ils leurs ont même donné une
information contraire.
S’il est vrai que l’actionnariat des sociétés françaises reste concentré, la faiblesse
relative du capitalisme français serait vraisemblablement à l’origine d’une multiplication
des participations croisées de dirigeants et administrateurs dans plusieurs sociétés, ce
phénomène est en recul, au profit d’une extension de l’actionnariat individuel. La
dérégulation a facilité cette évolution : alors que pendant longtemps, il était difficile
d’échanger des titres de la société (complexité de valorisation de l’entreprise et coûts de
transaction) – l’investisseur s’engageait dans la vie de l’entreprise – aujourd’hui, la
multiplicité des fusions et acquisitions et le recours croissant au marché ont dilué
l’actionnariat. Les investisseurs institutionnels ont, en outre, une stratégie de
diversification du risque.
Pour des raisons profondément culturelles, la France a pendant longtemps vécu dans le
secret. Pour les managers, le secret était une arme dans l’exercice de leurs fonctions.
« Familiales, étatiques ou anonymes, les entreprises réglaient leurs petites affaires à
l’occasion de réunions de famille plus ou moins sympathiques, dans les couloirs
austères des ministères ou dans les salles à manger feutrées des grandes banques
parisiennes. » Dans l’affaire VU, nous avons vu ressortir les liens très spécifiques entre
les milieux d’affaire et le monde politique.
L’extension de la gouvernance en France est aussi liée aux progrès de la culture de la
transparence. Les années 1990 auront été celles de l’avènement de la transparence
dans la vie politique ; la décennie 2000 sera celle de la consécration de la transparence
dans les grandes entreprises françaises. Ce que le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz
appelle le « capitalisme de copinage » n’est plus accepté aujourd’hui.
3- Les préconisations et des lois pour des régulations plus
efficientes
C’est dans les années 1990 que les dirigeants sociaux français entrent dans le débat sur
la gouvernance jusqu’alors largement anglo-saxon, on le positionne d’ailleurs comme
une « mode venue d’outre-atlantique ».
Trois ans après la publication du rapport britannique fondateur en matière de
gouvernance (Cadbury, 1992), qui initia le premier Code of best practices des places
européennes, l’acte de naissance de la gouvernance des entreprises en France en juillet
1995 est véritablement la publication du premier rapport, dit « Viénot I ». Ce rapport fut
généralement accueilli avec un enthousiasme modéré de la part des patrons qui ne
voulurent y voir que l’importation forcée d’un concept anglo-saxon, qualifié d’inadapté au
marché français.
Tous les grands thèmes de la gouvernance y sont présents : réaffirmation claire des
missions du Conseil d’administration, appel à la création des comités spécialisés et à
l’émergence d’administrateurs indépendants, remise en cause du principe de croisement
des administrateurs, adoption de véritables méthodes de travail du conseil, respect des
droits d’information et de contrôle du conseil, rédaction d’une charte fixant les droits et
devoirs des administrateurs, etc. Il manque cependant une réflexion digne de ce nom sur
l’actionnaire.
54
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
Les points importants des principaux codes de bonne conduite
•
•
•
•
Le rapport Cadbury (1992)
comité d’audit et de rémunération indépendants de la direction ;
séparation de la Direction Générale (CEO) et de la présidence du Conseil ; dans le cas
contraire, présence d’administrateurs indépendants « très forts » ;
au moins trois administrateurs indépendants ;
en cas de non respect de ces recommandations, fournir obligatoirement une justification.
Le comité présidé par M. Cadbury a ébauché un « code of best practice » (code de
bonne conduite) auquel doivent se soumettre les Conseils d’administration des sociétés
cotées ; ce code recommande notamment la création d’un « audit committee » (comité
des comptes), la révision des situations intérimaires par les commissaires aux comptes
et par l’« audit committee », la vérification par les administrateurs de leur propre système
de contrôle interne, l’obligation pour les administrateurs d’informer les actionnaires de
toute menace sur la poursuite de la société, etc.
•
•
•
Principles of Corporate Governance (1993)
séparation de la Direction Générale (CEO) et de la présidence du Conseil ;
« directors » (administrateurs) indépendants (ce qui va plus loin qu’externes) ;
rémunération liée en grande partie aux performances.
Le rapport Viénot I :
•
•
•
•
•
•
•
« Le Conseil d’administration des sociétés cotées » (1995)
remise en cause du principe de croisement des administrateurs ;
présence d’administrateurs indépendants ;
création de comité d’audit, de nomination ou sélection des administrateurs et de
rémunération ;
droit à l’information du Conseil d’administration ;
rédaction d’une charte de l’administrateur. Elle présente beaucoup de banalités :
- l’administrateur doit s’assurer qu’il a pris connaissance des obligations générales ou
particulières de sa charge,
- il doit être actionnaire à titre personnel,
- il représente l’ensemble des actionnaires,
- il doit consacrer à ses fonctions le temps et l’attention nécessaire,
- il doit être assidu,
- il a l’obligation de s’informer,
- il doit se considérer astreint à un véritable secret professionnel,
- il doit s’abstenir d’effectuer des opérations sur les titres ;
écartement de la pertinence d’une modification réglementaire ;
mise en avant de l’intérêt social qui dépasse celui des actionnaires (le but est
d’empêcher les délits d’initiés).
Le rapport Viénot I insiste notamment sur le caractère collégial du Conseil
d’administration qui représente collectivement l’ensemble des actionnaires et à qui
s’impose l’obligation d’agir en toutes circonstances dans l’intérêt social de l’entreprise.
Le comité précise les missions du Conseil d’administration : « il définit la stratégie de
55
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
l’entreprise, désigne les mandataires51 sociaux chargés de gérer les missions dans le
cadre de cette stratégie, contrôle la gestion et veille à la qualité de l’information fournie
aux actionnaires ainsi qu’aux marchés à travers les comptes ou à l’occasion d’opérations
très importantes ». Dans cette optique, le comité propose un avis de l’Assemblée
générale des actionnaires en cas de cession importante d’actifs ou d’activités, même
sans atteinte à l’objet social.
Le débat sur la nécessaire présence dans les Conseils d’administration d’administrateurs
« indépendants » est né aux Etats-Unis et en Grande Bretagne d’une part en réaction à
la sur-représentation, au sein des conseils de ces pays, de dirigeants exerçant des
fonctions exécutives dans l’entreprise, et d’autre part pour mieux représenter les
actionnaires minoritaires. Le rapport Viénot I l’a introduit et recommande que chaque
conseil en comporte au moins deux, en voici une définition : « L’administrateur
indépendant peut, en s’inspirant des standards anglo-saxons, être défini comme une
personne qui n’a aucun lien d’intérêt direct ou indirect avec la société ou les sociétés de
son groupe et qui peut ainsi être réputée participer en toute objectivité aux travaux du
conseil ». En conséquence, l’administrateur indépendant ne doit pas être :
◘ un salarié, le président ou le directeur général de son groupe. Au cas où il aurait été
salarié, président ou directeur général de la société ou d’une société de son groupe, il
doit avoir cessé de l’être depuis au moins trois ans,
◘ un actionnaire important de la société ou d’une société de son groupe ni être lié de
quelque manière que ce soit à un tel actionnaire,
◘ lié de quelque manière que ce soit à un partenaire significatif et habituel, commercial
ou financier, de la société ou des sociétés de son groupe.
Le rapport Viénot II :
•
•
•
•
•
« Le gouvernement d’entreprise » (1999)
la séparation des fonctions de Président et de Directeur général doit être volontaire
(choix de la flexibilité) ;
la politique de rémunération de l’équipe dirigeante doit être rendue publique afin d’être
lisible ;
l’information sur le gouvernement d’entreprise doit être rendue publique ;
limitation du nombre de mandats d’administrateurs à cinq ;
la proportion d’administrateurs indépendants dans les comités doit être au minimum 1/3
et ½ dans les comités de rémunération.
Le rapport Viénot II actualise et complète ainsi les recommandations formulées en 1995.
En ce qui concerne la dissociation des fonctions de président et de directeur
général, la situation française est la seule à offrir la possibilité de choix entre la formule
unitaire telle que la structure moniste (PDG du Conseil d’administration ou DG et
président du Conseil d’administration) et la structure duale (conseil de surveillance et
directoire) à toute les sociétés, y compris cotées.
La séparation est de droit en Allemagne et se traduit par l’adoption d’une structure
juridique duale, conseil de surveillance et directoire. Ce dernier modèle est présenté
comme le plus achevé en matière de séparation des fonctions. 20 % des sociétés du
CAC 40 le mettent en oeuvre, la proportion est la même aux Etats-Unis, 80 % des
sociétés restantes cumulent les postes de président et de directeur général. 90 % des
sociétés cotées au Royaume-Uni appliquent la structure moniste mais avec dissociation
51
Les mandataires sociaux s’entendent du président, du Directeur Général, du ou des Directeurs Généraux Délégués
dans les sociétés à Conseil d’administration, du Président et des membres du Directoire dans les sociétés à Conseil de
surveillance et Directoire.
56
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
des fonctions de président du Conseil d’administration et de directeur général. Le rapport
Viénot II suggère l’introduction en droit français d’une grande flexibilité dans la formule
unitaire à Conseil d’administration, et d’offrir au Conseil des sociétés un choix ouvert
entre le cumul ou la dissociation des fonctions.
En matière de publicité des rémunérations des dirigeants des sociétés cotées, le
Royaume-Uni impose qu’elle figure dans le rapport annuel. Depuis la publication du
rapport Greenbury (juillet 1995), la publicité est très complète, comporte la description
précise de la politique de détermination des rémunérations de toute nature, et fournit des
données chiffrées nominatives concernant chacun des membres du Conseil
d’administration. Aux Etats-Unis, ces informations se trouvent dans le document de
convocation des actionnaires (« proxy statement ») à l’Assemblée générale (AG) auquel
renvoie le rapport annuel. Elles sont également extensives et nominatives à l’égard des
administrateurs et des principaux dirigeants. Toutefois, la Security Exchange
Commission dispense les sociétés étrangères qui demandent leur admission sur un
marché américain de publier la rémunération individuelle de leurs dirigeants si elles ne
sont pas tenues de fournir cette information dans leur Etat d’origine.
Des directives européennes prévoient que les sociétés doivent indiquer dans l’annexe
aux comptes la rémunération globale versée aux organes d’administration, de direction
et de surveillance, mais l’information peut ne pas être publiée si elle conduit à révéler
une situation individuelle. En France, à l’information exigée par les directives
européennes s’ajoute l’obligation de tenir à la disposition des actionnaires, au titre du
« droit de consultation », le montant global certifié par les commissaires aux comptes
des rémunérations versées par la société concernée aux dix ou aux cinq personnes les
mieux rémunérées selon que l’effectif excède ou non 200 salariés. En outre, lorsqu’elles
établissent un document de référence ou un prospectus visé par la COB, les sociétés
cotées doivent indiquer le montant total des rémunérations directes ou indirectes
perçues de l’ensemble des sociétés membres du groupe par les dirigeants composant
l’équipe de direction générale.
Le rapport Viénot II préconise que le Conseil d’administration consacre, un chapitre
spécifique dans son rapport annuel, à l’information des actionnaires sur les
rémunérations perçues par les dirigeants comprenant trois parties : La première partie
traiterait de la politique de détermination de la rémunération des dirigeants formant
l’équipe de direction générale. Dans la deuxième partie, figurerait le montant global des
rémunérations ainsi définies, perçues par les dirigeants au cours de l’exercice écoulé,
comparé à celui de l’exercice précédent, et ventilé par masse entre parts fixes et parts
variables. La troisième partie serait consacrée aux jetons de présence. Elle comporterait
l’indication du montant maximum autorisé par l’AG et effectivement versé aux membres
du Conseil d’administration et comparé sur deux exercices. Les règles de répartition des
jetons (président, administrateurs, partie fixe, partie variable, jetons supplémentaires
pour la participation aux comités d’administrateurs) y seraient précisément exposées.
Enfin, les règles de perception des jetons de présence alloués aux dirigeants formant
l’équipe de direction générale par les sociétés du groupe dans lesquelles ceux-ci
détiendraient un mandat social, seraient décrites.
Le rapport annuel des sociétés cotées doit également faire état des éventuels plans
d’options de souscription ou d’achat d’actions et de la description de la politique
d’attribution des options à l’ensemble des bénéficiaires : nature des options, critères de
définition des catégories de bénéficiaires, périodicité des plans, conditions arrêtées par
le Conseil d’administration pour l’exercice des options. Une ligne séparée doit fournir
l’ensemble des données prévues en matière d’options, ainsi que l’indication du rabais
consenti ou de la surcote appliquée, de manière globale pour les membres de l’équipe
de direction générale, idem pour les options détenues le cas échéant dans d’autres
sociétés du groupe.
Concernant les administrateurs, la durée de leur mandat, fixée par les statuts, ne doit
pas excéder quatre ans au maximum pour que les actionnaires puissent se prononcer
fréquemment sur leur élection. Un administrateur exerçant des fonctions exécutives dans
57
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
une société cotée doit s’interdire d’exercer plus de cinq mandats d’administrateur dans
des sociétés cotées françaises ou étrangères extérieures au groupe. Une phrase
pertinente clarifie l’accès à l’information des administrateurs : « L’information préalable et
permanente des administrateurs est une condition primordiale du bon exercice de leur
mission ».
La définition de l’administrateur indépendant donnée dans le rapport de 1995 est
simplifiée : « un administrateur est indépendant lorsqu’il n’entretient aucune relation de
quelque nature que ce soit avec la société ou son groupe qui puisse compromettre
l’exercice de sa liberté de jugement ».
A noter que parmi les membres des deux comités dont sont issues les deux rapports
Viénot et ayant des liens avec la débâcle Vivendi, figure bien entendu M. Marc Viénot qui
est passé de PDG de la Société Générale en 1995 à Président d’Honneur de la Société
Générale en 1999, il fut l’un des principaux soutiens de JMM avant son éviction. Figurent
également Jean-Louis Beffa (PDG de la Compagnie de Saint Gobain), Serge Tchuruk
(PDG d’Alcatel), Vincent Bolloré (PDG de Bolloré – présent au comité du rapport Viénot
II seulement) et Jean-René Fourtou (PDG de Rhône Poulenc à l’époque – présent au
comité du rapport Viénot II seulement).
Il semble que les donneurs de leçons ne soient malheureusement pas les personnes les
plus intègres en matière de gouvernance, rien qu’en observant leur fonction (PDG), ces
personnes n’ont décidément pas pris l’initiative de partager le pouvoir.
Les ‘Guidelines’ de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique
(1999)
Les guidelines de l’OCDE réaffirment des principes généraux concernant :
•
•
•
•
•
la protection et la promotion des droits et responsabilités des actionnaires
(« shareholders ») ;
la reconnaissance nécessaire de la responsabilité de l’entreprise envers ses différents
partenaires et la société en général (« stakeholders ») ;
l’importance du traitement équitable des différents actionnaires ;
l’importance de la transparence et de la diffusion de l’information ;
les obligations et responsabilités du Conseil d’administration.
« Les règles régissant le gouvernement d’entreprise devraient reconnaître les droits des
différentes parties prenantes à la vie d’une société tels que définis par le droit en vigueur
et encourager une coopération active entre la société et les différentes parties prenantes
pour créer de la richesse et des emplois et assurer la pérennité d’entreprises
financièrement saines ».
58
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
Les recommandations de AFG-ASFFI (Association Française de la Gestion Financière)
•
•
•
la bonne tenue de l’Assemblée générale rend souhaitable :
- un délai de convocation d’un mois au lieu de quinze jours réglementaires ;
- des dates et lieu choisis de façon à faciliter la présence des actionnaires ;
- des moyens d’expression multiples (télématiques, électroniques…) ;
- une information pertinente des actionnaires (un rapport simple systématique et un
autre plus complet sur demande, une explication sur les résolutions à l’ordre du jour, la
possibilité de regroupement d’actionnaires en vue d’atteindre la part minimum de
capital nécessaire à la proposition de résolutions) ;
- l’utilisation de la règle une action / une voix (abandon progressif des droits de vote
double, des actions à dividende majoré).
Le bon fonctionnement du Conseil d’administration implique entre autres :
- l’indépendance du Conseil de la direction de l’entreprise (présence de deux
administrateurs libres d’intérêt, suppression progressive des participations croisées,
absence des administrateurs « croisés » des comités de sélection et de performance) ;
- une évaluation du travail du Conseil ;
- l’existence d’une charte fixant les droits et devoirs des administrateurs.
Autres recommandations :
- absence de dispositifs anti-OPA ;
- envoi systématique du résultat du vote en AG avec analyse.
Avec la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001, il ne s’agit
plus seulement des réflexions modestes de quelques présidents éclairés adressées à
leurs homologues sur le Conseil d’administration des sociétés cotées ; il est désormais
question de recommandations formalisées par une instance suffisamment légitime pour
demander que les sociétés françaises se plient au fameux principe comply or explain (se
conformer ou expliquer). Si l’idée d’une autorité de marché supervisant la gouvernance
est fermement rejetée, en revanche, les sociétés sont fortement incitées à présenter
leurs progrès en matière de gouvernance dans le rapport annuel et à expliquer pourquoi,
le cas échéant, elles se refusent à faire droit aux recommandations des rapports Viénot I
et II.
Sur le fond, le rapport Viénot II se distingue du précédent par l’insistance avec laquelle il
demande aux sociétés cotées de fournir une information homogène, lisible et
comparable des sociétés cotées sur la rémunération globale de leur équipe de direction,
de même que sur la pratique du gouvernement d’entreprise (profil des administrateurs,
politique suivie en matière d’administrateurs indépendants, fréquence des réunions du
Conseil et des comités). S’agissant cependant du droit des actionnaires à connaître la
rémunération individuelle des dirigeants, il faut attendre le revirement du Medef
(Mouvement des Entreprises de France) et de l’Afep (Association Française des
Entreprises Privées) au début de l’année 2000 pour que le sujet progresse, avant d’être
finalement consacré par la loi NRE.
59
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
La loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001
Les principaux axes permettant d’ordonner les mesures nombreuses et disparates sont les
suivants :
a) Amélioration de la transparence et de l’information
- possibilité de solliciter une injonction judiciaire ou la nomination en justice d’un
mandataire dans certaines circonstances,
- consécration du droit d’information des administrateurs,
- divulgation de la rémunération individuelle de chaque mandataire social dans les
sociétés anonymes (SA) et commandites par actions et information sur les stockoptions,
- élargissement des informations figurant dans le rapport de gestion,
- information quant aux conventions libres,
- instauration de nouvelles règles relatives à l’identification des actionnaires,
- vérification préalable du passif et de l’actif pour l’émission d’obligations,
- information quant à certains pactes d’actionnaires dans les sociétés,
- réforme des OPA.
b) Amélioration de l’équilibre des pouvoirs et des mécanismes de contrôle
- réduction de la taille du Conseil d’administration et du Conseil de surveillance,
- limitation du cumul de mandats des dirigeants de SA,
- faculté de dissocier la présidence du Conseil d’administration et la direction générale de
la SA,
- nouvelle définition des pouvoirs respectifs du Conseil d’administration, du président et
du directeur général,
- substitution des directeurs généraux délégués aux anciens directeurs généraux,
- extension du domaine des conventions réglementées dans la SA,
- abaissement du seuil de détention du capital de 10 % à 5 % pour provoquer la
désignation d’un expert chargé d’enquêter sur une ou plusieurs opérations de gestion,
pour demander la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’Assemblée
générale, pour poser des questions écrites, pour récuser le commissaire aux comptes,
- suppression de la possibilité d’insérer dans les statuts une clause imposant la
possession d’un minimum d’actions pour participer aux Assemblées dans la SA,
- accroissement des prérogatives du comité d’entreprise,
- réforme du régime juridique et fiscal des stock-options,
- définition d’un statut du commissaire aux comptes valant quelle que soit la personne
morale,
- amélioration des mécanismes de contrôle dans les groupes de sociétés.
c) Modernisation du droit des sociétés
- possibilité pour le Conseil d’administration et le Conseil de surveillance d’utiliser la
visioconférence,
- introduction du vote par visioconférence et du vote électronique dans les Assemblées
générales de la SA.
Un peu plus d’un an après la loi NRE qui introduit un certain nombre d’éléments de la
gouvernance dans la loi, le rapport Bouton (2002) se veut la réponse des dirigeants
français à la crise ouverte par les scandales Enron et Worldcom.
Le rapport Bouton (2002)
L’importance accordée à la question de l’audit, de l’information financière et des normes
comptables témoigne du contexte dans lequel s’est rédigé le rapport Bouton. Le groupe
de travail a souhaité mesurer si « l’adéquation entre l’attente des investisseurs et des
60
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
marchés, d’une part, et l’ensemble du corps des règles, normes et comportements,
d’autre part, restait satisfaisante ». Un certain nombre de propositions dans le rapport
fait de la gouvernance à la française un corpus de règles cohérent et convaincant. Le
rapport traite ouvertement de la composition du Conseil d’administration en abordant la
compétence de ses membres au delà de l’indépendance. Ainsi, l’évaluation annuelle du
Conseil d’administration sur ses modalités de fonctionnement, sur la préparation et le
débat des questions importantes et sur la contribution de chaque administrateur aux
travaux du Conseil du fait de sa compétence et de son implication dans les délibérations,
est estimée nécessaire. Il convient d’expliciter certains thèmes développés dans le
rapport Bouton :
ü La qualification d’administrateur indépendant est clarifiée :
- Ne pas être salarié ou mandataire social de la société, salarié ou administrateur de sa
société-mère ou d’une société qu’elle consolide et ne pas l’avoir été au cours des cinq
années précédentes.
- Ne pas être mandataire social d’une société dans laquelle la société détient
directement ou indirectement un mandat d’administrateur ou dans laquelle un salarié
désigné en tant que tel ou un mandataire social de la société (actuel ou l’ayant été
depuis moins de cinq ans) détient un mandat d’administrateur.
- Ne pas être client, fournisseur, banquier d’affaire, banquier de financement :
significatif de la société ou de son groupe, ou pour lequel la société ou son groupe
représente une part significative de l’activité.
- Ne pas avoir de lien familial proche avec un mandataire social.
- Ne pas avoir été auditeur de l’entreprise au cours des cinq années précédentes.
- Ne pas être administrateur de l’entreprise depuis plus de 12 ans.
ü L’indépendance du commissaire aux comptes doit être confortée par les
recommandations suivantes :
- Double commissariat c’est à dire un double examen des questions importantes lors
de l’établissement des comptes.
- Rotation des signataires des comptes au nom des cabinets dans les grands réseaux
tout au long du mandat de six ans renouvelable est souhaitable.
- Information au comité des comptes des honoraires versés par la société et son
groupe aux commissaires aux comptes et aux autres sociétés des réseaux auxquels
ils appartiennent.
- Mission de contrôle légal des comptes exclusive de toute autre. Le cabinet
sélectionné devrait renoncer pour lui-même et le réseau auquel il appartient à toute
activité de conseil (juridique, fiscal, informatique…) réalisée au profit de la société qui
l’a choisi ou de son groupe.
ü S’agissant de l’information financière, le rapport Bouton s’est penché sur la question
controversée de la périodicité des comptes. Certains pensent que le rythme trimestriel
accentue la volatilité des marchés et favorise la domination du court terme au
détriment de la stratégie à moyen terme des entreprises. D’autres considèrent au
contraire que les comptes trimestriels permettent un ajustement plus rapide des
positions des investisseurs et des mesures également plus rapides de correction de la
gestion. Il appartient à chaque Conseil d’administration de définir sa politique de
communication et de l’exposer en toute transparence au marché.
Certaines pratiques de « révélations sélectives » destinées à aider les analystes dans
leurs prévisions de résultats doivent être abandonnées.
Le hors bilan peut englober un grand nombre de droits et d’obligations et recouvre
les éléments souvent disparates, de nature financière, sociale, commerciale… Cette
situation conduit parfois à ne pas porter suffisamment d’attention aux engagements et
aux risques qui résultent des obligations non constatées au bilan pour diverses
raisons, voire à considérer le hors bilan comme une « zone de non-droit » qui serait
soustraite aux règles d’évaluation et d’information.
61
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
En vertu de ce qui précède, chaque société doit disposer en son sein, de procédures
fiables d’identification et d’évaluation de ses engagements et risques, et assurer aux
actionnaires et investisseurs une information pertinente en ce domaine. Les
recommandations du groupe de travail portent sur l’intérêt :
- d’indiquer dans le rapport annuel les procédures internes mises en œuvre pour
l’identification et le contrôle des engagements hors bilan, ainsi que pour l’évaluation
des risques significatifs de l’entreprise.
- de développer et clarifier l’information des actionnaires et des investisseurs sur les
éléments hors bilan et les risques significatifs :
→ donner dans le rapport annuel une information spécifique sur ces sujets, en les
présentant de façon claire et aisément accessible ;
→ regrouper dans une rubrique spécifique les informations relatives aux éléments
hors bilan données en annexe aux comptes ;
→ regrouper l’information sur les risques de marché (taux, change, actions, crédit,
matières premières) dans une rubrique spécifique des notes annexes aux comptes ;
→ en cas d’exposition significative aux risques de taux d’intérêt, de change et de
variation de cours des matières premières, publier des indicateurs de sensibilité de
résultats à ces risques en précisant les modalités et les hypothèses de calcul des
indicateurs retenus ;
→ publier les notations de l’entreprise par les agences de notation financière et les
changements intervenus au cours de l’exercice.
ü A propos des normes et des pratiques comptables, le rapport considère qu’il est
essentiel de disposer d’un référentiel mondial unique répondant à quatre objectifs de
qualité :
- Participer à la stabilité des marchés, des économies et du financement des
entreprises ;
- Faciliter la compréhension des états financiers, des tendances de fond et des
risques de l’entreprise ;
- Etre applicable et reconnu par tous les acteurs de la vie économique ;
- Produire une information digne de confiance, c’est à dire fiable et vérifiable.
La loi française inscrit le principe de l’image fidèle auquel les entreprises doivent
davantage s’y consacrer. Malgré des progrès importants, certaines évolutions
actuelles de la normalisation internationale apparaissent extrêmement
préoccupantes. Les objectifs poursuivis mettent exagérément l’accent sur le court
terme et compliquent la communication financière. En dépit d’une absence constante
de soutien de la part d’une majorité d’acteurs et d’un risque de volatilité accrue,
notamment des résultats et des cours, l’IASB (International Accounting Standards
Board) cherche à imposer la comptabilisation à des valeurs instantanées (« fair
value » ou valeur de marché) quels que soient les horizons ou modes de gestion, et
en tenant insuffisamment compte des caractéristiques spécifiques des éléments à
valoriser et des limites que présentent les « marchés » de ces éléments (parfois
inexistants et remplacés par des modèles théoriques).
Les modes d’élaboration des normes méconnaissent souvent les difficultés
d’application et de contrôle, ainsi que la nécessité de développer des normes
communes et applicables aux niveaux européen et mondial. L’absence d’une vision
globale concertée sur les finalités et le contenu des normes est susceptible de
conduire à une information complexe, détaillée et finalement opaque, plutôt qu’une
information synthétique sur les performances et la sensibilité aux risques, permettant
de répondre aux attentes des différents utilisateurs des états financiers. Le rapport
formule ainsi des préconisations à l’attention des normalisateurs et des régulateurs :
Sur le fond, ne pas créer une volatilité artificielle des données bilantielles et
consolider l’ensemble existant plutôt que des approches s’écartant de l’économie
réelle et négligeant une prudence nécessaire dans les évaluations.
62
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
- Prendre en compte les horizons et modes de gestion, notamment à long terme
pour la détermination des résultats. Les valorisations doivent répondre aux besoins
des investisseurs à long terme, tout en donnant des éléments de comparaison
avec les valorisations à court terme de certains éléments lorsque celles-ci sont
pertinentes.
- Mettre l’accent sur la définition d’indicateurs plutôt que sur des valorisations
ponctuelles telles que la comptabilisation à la « fair value » ou à la valeur de
marché, illusoire voire trompeuse en l’absence de références fiables, cohérentes et
comparables. L’accent doit davantage être mis sur la définition d’indicateurs de
sensibilité à certains risques de marché.
- Clarifier et harmoniser les informations utilisées. Compte tenu de l’inflation des
données à fournir, il est nécessaire que les normalisateurs définissent clairement
les informations clés à présenter de manière synthétique pour les utilisateurs des
états financiers, notamment en ce qui concerne les éléments hors bilan, les
risques et les résultats (résultat opérationnel par exemple).
Reconsidérer le processus d’élaboration et d’approbation des normes de l’IASB.
- Poser et exposer des principes clairs. Dans le processus d’élaboration des normes
et dans les textes, il est essentiel d’identifier et d’indiquer les principes directeurs
de référence et l’approche générale retenue. Leur mise en évidence doit permettre
de limiter le développement de règles excessivement détaillées et complexes, ainsi
que les difficultés et risques relatifs à l’application et au contrôle de celles-ci. Les
normes adoptées doivent permettre d’apprécier les potentiel, risques et
incertitudes significatifs liés aux divers éléments et activités de l’entreprise.
- Donner à l’Europe la place qui lui revient dans la normalisation internationale.
L’élaboration d’un référentiel mondial commun passe par la prise en compte de
l’environnement européen. La procédure européenne d’approbation des normes
doit permettre de s’assurer que les sociétés européennes ne subissent pas des
distorsions de concurrence, ce qui peut conduire à remettre en cause l’adoption en
Europe d’une norme IAS/IFRS52 qui ne serait pas reconnue par les Etats-Unis.
L’accent doit être mis sur la convergence des normes américaines et des normes
internationales IAS/IFRS, notamment sur des projets comme les regroupements
d’entreprises et la présentation des performances. L’acceptation inconditionnelle
des IAS/IFRS par les Etats-Unis doit être recherchée.
- Développer la concertation avec émetteurs, investisseurs et auditeurs pour une
information pertinente, fiable et vérifiable. Il est nécessaire de réformer les
procédures de travail de l’IASB de sorte que soient mieux prises en compte les
positions exprimées par l’ensemble des acteurs de la vie économique. Cela
suppose que les entreprises consacrent à ce processus des moyens financiers et
humains suffisants. L’amélioration du « due process » (processus d’établissement
des normes) de l’IASB repose notamment sur des débats d’orientations, une large
diffusion des documents d’entreprise soumis au Board, des tests d’application des
solutions envisagées et des délais de réponse aux appels à commentaires
suffisamment longs (de l’ordre de 6 mois pour des projets complexes).
Le rapport Bouton conclut que l’internationalisation des marchés conduit
inéluctablement à une homogénéisation des règles au niveau mondial. L’adoption
récente d’une nouvelle législation américaine en matière de gouvernement
d’entreprise (Sarbanes Oxley Act), avec ses conséquences sur les entreprises cotées
aux Etats-Unis, montre combien l’Europe a besoin d’une expression unie et forte pour
éviter que la régulation ne soit élaborée de manière unilatérale par les Etats-Unis.
Outre la polémique autour de l’adoption des normes IAS/IFRS, la véritable innovation du
rapport Bouton est le recours à des procédures d’évaluation, y compris par des
52
International Financial Reporting Standard.
63
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
organismes externes, du fonctionnement du Conseil d’administration dont le principe est
d’ailleurs inscrit dans la loi sur la sécurité financière (LSF) du 1er août 2003. Mais avant
d’aborder l’essentiel de la nouvelle loi française, il convient de porter attention sur
l’émergence du droit des sociétés dans le système capitaliste.
Le législateur, nouvel acteur de la gouvernance post-Enron.
L’autorégulation a montré ses limites. C’est le promoteur de l’autorégulation lui-même,
Marc Viénot, qui a constaté l’acte de décès du système de l’autorégulation. La nouvelle
gouvernance passe par un dosage entre autorégulation et réglementation, avec une
mission renforcée de vigilance pour le gendarme boursier.
Dans cette situation où le marché est désormais marqué par l’incertitude et le risque, le
droit dispose de cet extraordinaire pouvoir de créer de l’incontestable par sa normativité.
Dans ce contexte, les marchés n’ont jamais eu autant besoin du droit : ils attendent des
termes généraux et ne souhaitent ni l’absence de règles ni l’absence de contraintes ».
Les Etats-Unis, premiers concernés par la crise, qui a touché un modèle de capitalisme
qu’ils ont inventé et propagé, sont les premiers à avoir réagi.
Le Sarbanes Oxley Act ou la révolution du droit américain des sociétés
(juillet 2002)
Cette réforme en profondeur du droit américain des sociétés prescrit des nouvelles
règles qui s’appliquent à tous les émetteurs, américains ou non, dés lors qu’ils
choisissent de faire coter leurs titres aux Etats-Unis.
L’ensemble des dispositions de la loi Sarbanes Oxley est regroupé dans onze titres :
Titre 1er : Institution, missions et règles de fonctionnement du nouveau Public Company
Accounting Oversight Board (PCAOB)
(…)
Titre IX : Renforcement des sanctions contre la criminalité en col blanc
Titre X : Questions fiscales
Titre XI : Sanctions envers la fraude commerciale
Les sujets traités par la loi sont multiples : transparence comptable, réforme de la
profession des auditeurs (commissaires au comptes), et notamment mise en place d'un
organe de contrôle des auditeurs (le PCAOB), nouvelles règles imposées aux avocats
d'affaires, règles de communication financière, création de nouveaux délits boursiers et
durcissement des sanctions existantes... Tous les maillons de la chaîne d'information
financière sont visés dans ce texte.
Le PCAOB n’a pas tardé à agir, le programme d’inspection a commencé courant 2003
auprès des « Big Four » (PriceWaterhouseCoopers, Ernst&Young, KPMG, Deloitte
Touche Tohmatsu), ces firmes ayant accepté de subir des missions d’inspection avant
même leur enregistrement. Le principe d’enregistrement auprès du PCAOB des firmes
d’audit étrangères auditant les comptes de sociétés cotées aux Etats-Unis est également
obligatoire. Le PCAOB prévoit de mener une inspection par an pour les cabinets ayant
plus de 100 clients.
Le Sarbanes Oxley Act a fait l’objet de vives critiques de par son champ d’application.
Exemple : EADS qui possède des actionnaires américains tombe sous le coup de la
nouvelle loi.
La législation américaine sur la « class action » (action collective) est un repoussoir pour
les entreprises car elles peuvent plus aisément être poursuivies en justice. Exemples :
Total a renoncé à certains investissements aux USA en raison de « l’insécurité
juridique » qui y règne. Wal Mart s’est vu lancer contre elle une « class action » pour
discriminations sexuelles envers ses employées, le cours a immédiatement connu la
plus forte baisse du jour.
64
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
Au Royaume-Uni où le libéralisme est une valeur fondamentale, aucune dérive
comparable à celles des Etats-Unis ou de la France n’est apparue, car le libéralisme
fonctionne dans un cadre réglementaire précis et efficace et dans le respect de l’éthique.
La Commission Européenne a communiqué au Conseil et au Parlement européens un
plan d’action intitulé Modernisation du droit des sociétés et renforcement du
gouvernement d’entreprise dans l’Union Européenne (21 mai 2003). Parmi les
mesures novatrices : les membres des Conseils d’administration seraient légalement et
collectivement responsables de la publication des résultats et des communiqués
financiers. En cas de conflits d’intérêt réel ou potentiel, seuls votent les « administrateurs
extérieurs ». L’indépendance de l’administrateur est considérée comme « le fait d’être
sans relation avec les opérations de la société, ni avec ses principaux responsables, et
de ne tirer aucun avantage de la société que la rémunération, totalement transparente,
perçue en tant qu’administrateur extérieur ou que membre du Conseil de surveillance ».
Il s’agit là pour la Commission d’affirmer la vision européenne du gouvernement
d’entreprise en fixant un cadre général sur quatre axes tout en renvoyant aux spécificités
nationales.
La loi sur la sécurité financière du 1er août 2003 (140 articles)
• Titre 1er : Modernisation des autorités de contrôle
Création de l’Autorité des Marchés Financiers : l'AMF53) est, tout comme l'était la
Commission des Opérations en Bourse, un organisme public indépendant. Pour garantir
sa neutralité, l'AMF dispose d'une autonomie financière suffisante et de la personnalité
morale pour ester en justice contrairement à la COB.
a) L'équipe
A fin 2003, l'AMF salarie 320 personnes de tout statut : agents publics contractuels,
agents publics, salariés du secteur privé. L'AMF est hiérarchisée autour de collèges et
de commissions. Ainsi il existe :
- un collège de 16 membres ;
- une commission de sanction qui regroupe 12 membres ;
- plusieurs commissions spécialisées et consultatives ;
- de nombreux services dirigés par un Secrétaire Général.
L'Etat intervient à travers deux acteurs majeurs de l'AMF. D'une part, le Ministre de
l'Economie, des Finances et de l'Industrie désigne un commissaire au gouvernement
qui siège à l'ensemble des commissions, sans toutefois de voix délibérative. D'autre
part, le président de la République nomme pour une durée de 5 ans non renouvelable
le président de l'Autorité des Marchés Financiers.
b)
Son rôle
La fusion de la COB, du CMF et du CDGF a permis à l'AMF de regrouper la totalité des
rôles de ses trois entités. Ainsi l'Autorité des Marchés Financiers voit ses rôles divisés
en 4 groupes distincts : réglementation, autorisation, surveillance et sanction.
Ces rôles s'articulent autour de trois axes : la protection de l'épargne, l'information des
investisseurs et le bon fonctionnement des marchés financiers. L'AMF intervient
également au niveau européen et mondial en participant à diverses commissions.
L'AMF peut ainsi agir à différents niveaux, parmi ceux-ci :
§ le fonctionnement des marchés financiers. Rôle hérité du Conseil des Marchés
Financiers, l'AMF définit et contrôle à présent le bon fonctionnement des marchés
boursiers, que ce soit auprès d'Euronext, Euroclear ou Clearnet.
53
Cf. Glossaire.
65
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
§ le pouvoir de sanction. La COB avait un pouvoir de sanction relativement fort dans le
passé. Sa fusion avec le Conseil de Discipline de la Gestion Financière (CDGF) accroît
ce pouvoir de sanction. Une commission spécifique composée de 12 membres est
ainsi chargée de sanctionner les acteurs financiers. Si un fait observé peut faire l'objet
d'une qualification en tant que délit, l'AMF transmet le dossier au Procureur de la
République.
§ les agences de notation. Une agence de notation est un acteur financier
extrêmement puissant. Ainsi la dégradation d'une note pour une société peut
influencer fortement le cours de bourse. L'AMF publie chaque année un rapport sur les
agences de notation : méthodes, règles déontologiques, etc.
Après avoir longtemps été critiquée par son manque de pouvoir, l'AMF nouvellement
créée devrait à terme avoir un poids aussi majeur que la SEC aux Etats-Unis.
• Titre II : Sécurité des épargnants et des assurés.
• Titre III : modernisation du contrôle légal des comptes et transparence
–
Chap 1 : réforme du commissariat aux comptes :
- Levée du secret professionnel des commissaires aux comptes (CAC) au
bénéfice de l’AMF.
- Obligations d’informer l’AMF dans certaines circonstances : procédure d’alerte,
révélation des irrégularités & inexactitudes à l’Assemblée Générale, refus de
certification envisagé à suppose une procédure de suivi.
- Possibilité pour les CAC d’interroger l’AMF pour toute décision ou fait
susceptible d’avoir un effet sur l’information financière de la personne contrôlée.
L’AMF entend voir ce dispositif appliqué à un champ large, incluant l’audit, mais
avec discernement…à suppose une procédure d’instruction et de réponse.
=> Renforcement de l’indépendance des commissaires aux comptes.
–
–
Chap 2 : de la transparence dans les entreprises.
Chap 3 : dispositions diverses.
En premier lieu, la loi de Sécurité financière organise à compter du 1er janvier 2004 une
meilleure information du public et des actionnaires des SA : la communication n’est plus
quérable54 mais elle devient portable ; un rapport doit notamment être établi sur les
travaux du Conseil d’administration et du Conseil de surveillance ; le président doit
produire un rapport sur l’organisation du contrôle interne, cette obligation donne lieu
actuellement à un travail de réflexion en vue de la définition d’une doctrine de place : le
document à fournir sur l’information comptable et financière (mais pas uniquement) doit-il
être descriptif ou seulement évaluatif ; doit-on le limiter au périmètre de la filiale ou
l’étendre aussi à la société mère ?...
Pour les groupes dont la consolidation est obligatoire, le périmètre de la consolidation
est élargi, singulièrement par rapport au critère du “contrôle exclusif” pour lequel la loi de
sécurité financière innove en faisant désormais abstraction de la notion de “détention du
capital”.
• Consolider par Intégration Globale lorsque :
– détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote,
Ou, même sans détention d'actions ou parts de capital :
– désignation de la majorité des membres des organes dirigeants,
– exercice d'une influence dominante en vertu de clauses contractuelles ou
statutaires.
54
Cf. Glossaire.
66
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
• Cas de l’entité ad hoc55 : les situations suivantes peuvent caractériser l'existence d'un
tel contrôle :
– l'entreprise dispose en réalité des pouvoirs de décision et de gestion sur l'entité ad
hoc ou sur les actifs qui la composent, même si ce pouvoir n'est pas effectivement
exercé ; elle peut par exemple dissoudre l'entité, changer les statuts, ou au
contraire s'opposer formellement à leur modification,
– l'entreprise peut, bénéficier des résultats de l'entité, par exemple sous forme de
flux de trésorerie ou de droits : droit à une quote-part d'actif net, droit de disposer
d'un ou plusieurs actifs, droit à la majorité des actifs résiduels en cas de liquidation,
– l'entreprise supporte in fine les risques relatifs à l'entité ; tel est le cas si les
investisseurs extérieurs bénéficient d'une garantie, de la part de l'entité ou de
l'entreprise, leur permettant de limiter de façon importante leur prise de risques.
En second lieu, la loi sur la sécurité financière renforce la responsabilité des acteurs
économiques, obligeant la société à mettre en place des procédures de prévention des
risques et à s’assurer qu’elles sont bien respectées. Il faut dire que cette “autoévaluation” de la transparence des entreprises risque d’être consommatrice de temps et
de papier mais aussi d’avoir des conséquences sur la confidentialité et, par un effet
“boomerang”, sur la responsabilité. Ajoutons à cela la libéralisation du droit d’action des
associations d’investisseurs, elles-mêmes soumises à la transparence, et l’obligation
faite aux gérants de capitaux de justifier à leurs mandants la raison pour laquelle ils
n’exercent pas leur droit de vote.
Enfin, il est mis fin à l’ambiguïté qui entourait la notion de représentation du Conseil
d’administration, à savoir que désormais, le président préside le Conseil, mais il ne le
représente pas. Et il faut penser aux salariés dans les augmentations de capital.
Cependant, l’incertitude sur les délais de mise en conformité des entreprises par rapport
à la LSF demeure.
Les insuffisances de la gouvernance : le cas français.
La crise de confiance sur les marchés en 2002, rappelons-le, a révélé les insuffisances
de la gouvernance. Cette crise de confiance a des causes structurelles, liées aux
dérèglements du capitalisme financier. Du comportement criminel des dirigeants d’Enron
aux jeux comptables poussés à leurs limites ou erreurs stratégiques de certains
dirigeants malhonnêtes ou mégalomanes. Le système capitaliste a failli dans son
ensemble pour prévenir les défaillances ponctuelles ou l’« hubris » de certains
dirigeants :
- un dirigeant qui assume des responsabilités internes, vis-à-vis des organes de
l’entreprise, mais aussi, de plus en plus, externes, vis-à-vis du marché. Ce dualisme
peut mettre le dirigeant en situation de conflits d’intérêts – la transparence vers
l’extérieur doit-elle être la même qu’en interne ? – et favorise les jeux comptables ;
- un Conseil d’administration censé contrôler un président, alors qu’il dispose d’une
masse d’informations bien inférieure, tout en l’aidant dans sa mission de direction ;
- des contrôleurs qui interviennent au sein même de l’entreprise – les commissaires aux
comptes – et en dehors – analystes et agences de notation, et dont l’opinion peut
modifier les conditions d’exercice de la direction de l’entreprise ;
- des propriétaires qui ne contrôlent pas, des dirigeants qui ne risquent rien en termes
financiers, des organes de contrôle dépendants de ceux qu’ils contrôlent pour bien
accomplir leur mission.
Pour que le capitalisme fonctionne, « il faut que chacun des acteurs sache
raisonnablement ce qu’il peut attendre des autres, ce qui exclut la généralisation
55
Cf. Glossaire (Société ad hoc).
67
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
de la tricherie, du mensonge et de l’arbitraire ». Ce constat n’est pas une
nouveauté mais pose la question de revoir le lien entre tous les acteurs.
4- Le bilan tiré de la gouvernance à la française
Les progrès sont indéniables : les entreprises françaises ont fait de grands progrès en
termes de gouvernance depuis la publication du premier rapport Viénot en 1995. Ce
changement ne s'est pas fait sans réticence tant « abandonner l'exercice solitaire,
autoritaire et paranoïaque du pouvoir pour lui substituer des pratiques collectives,
participatives et schizophréniques n'est jamais, pour l'homme, chose naturelle ». Il aura
fallu, d'ailleurs, « certaines affaires » pour que de vraies discussions aient lieu dans ce
cénacle, en un mot, pour « réveiller les consciences », selon les mots utilisés par M.
Jean Peyrelevade lors de son audition devant la Mission d’information sur la réforme du
droit des sociétés. Ainsi, les propositions du rapport Viénot I sont devenues la norme des
sociétés du CAC 40, comme le montrent les graphiques : Cf. annexe 5.
Le bilan est moins facile à dresser s'agissant de la mise en œuvre des recommandations
du rapport Viénot II. Si l'on retient comme critères les quatre thèmes les plus
emblématiques - séparation des fonctions de président et de directeur général,
information sur les rémunérations individuelles des mandataires sociaux, information
standardisée et clarifiée sur la pratique du gouvernement d'entreprise et présence forte
d'administrateurs indépendants (33 % dans le Conseil d'administration, dans le comité
d'audit, dans le comité de nomination et 50 % dans le comité de rémunération) -, elles
étaient mises en oeuvre par 60 % des sociétés du CAC 40 en 2002 :
- 36 % d'entre elles avaient recouru à la séparation des fonctions de président et de
directeur général ;
- 90 % publiaient une information sur les rémunérations individuelles des mandataires
sociaux, proportion dont il faut bien reconnaître qu'elle s'explique surtout par le fait qu'il
s'agissait d'une prescription légale depuis l'intervention de la loi NRE ;
- 92 % produisaient une information standardisée sur la pratique du gouvernement
d'entreprise ;
- 29 % remplissaient les critères requis en termes d'indépendance des administrateurs.
Quant aux prescriptions du rapport Bouton, elles seraient appliquées par 30 % des
sociétés du CAC 40.
Cette évaluation en termes de box ticketing - cette expression imagée désigne le « fait
de cocher toutes les cases de la check list du gouvernement d'entreprise sur la forme et
non sur le fond » - est-elle suffisante à l'ère de la gouvernance post-Enron ? Si, à
l'évidence, une analyse quantitative pouvait paraître satisfaisante avant 2002, il n'en va
plus de même aujourd'hui. Pour avoir une approche pertinente de la gouvernance, il faut
en analyser non seulement la forme, mais également le fond. Or, cette démarche fait
apparaître un bilan plus nuancé. Au titre des avancées, il faut reconnaître que le conseil
d'administration français est de plus en plus actif et de plus en plus ouvert.
Tableau 8 :
UN CONSEIL D'ADMINISTRATION DE PLUS EN PLUS ACTIF (1995-2002)
2002
2000
1998
1996
Sociétés indiquant le nombre de réunions du
37
34
29
14
Conseil)
Nombre moyen de réunions du Conseil
6,9
6,5
5,4
4
1995
0
3
Selon l'étude du cabinet Korn Ferry, les administrateurs français consacrent entre 40 et
70 heures par an aux travaux du Conseil d'administration, selon qu'ils ont ou non un rôle
dans un comité, contre 203 heures pour les administrateurs américains des sociétés
68
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
ayant un chiffre d'affaires supérieur à 20 milliards de dollars. Au regard des habitudes
françaises et européennes, le Conseil d’administration de VU était très actif, il se
réunissait plus de dix fois par an pour des réunions longues de trois à huit heures.
En outre, la composition du conseil se diversifie.
Tableau 9 :
LE PROFIL DES ADMINISTRATEURS FRANÇAIS (1997-2002)
Âge moyen des administrateurs (en années)
Répartition de l'origine des administrateurs :
- Lié à un actionnaire ou un partenaire commercial ou
financier (administrateurs dépendants au sens du rapport
Viénot)
- Représentant du management
- Représentant d'une catégorie spécifique d'actionnaires
(individuel ou minoritaire)
- Représentant des salariés
- Administrateurs indépendants
Formation des administrateurs :
- Diplômés de Polytechnique ou de l'Ecole Nationale
d’Administration
- Provenant d'autres origines
Parts des grands corps en % du total des administrateurs
français
Nationalité des administrateurs :
- Français
- Étrangers
Sexe des administrateurs :
- Hommes
- Femmes
2002
63
2001 2000 1999 1998 1997
63
60
61
67
66
43 %
46 % 45 % 47 % 45 % 55 %
20 %
20 % 19 % 17 % 18 % 21 %
1%
1%
8%
29 %
7% 7% 8% 8% 7%
26 % 28 % 27 % 28 % 16 %
31 %
32 % 34 % 37 % 37 % 40 %
69 %
68 % 66 % 63 % 63 % 60 %
41 %
42 % 43 % 46 % 45 % 50 %
76 %
24 %
78 % 79 % 80 % 83 % 83 %
22 % 21 % 20 % 17 % 13 %
93 %
7%
94 % 94 % 95 % 96 % 97 %
6% 6% 5% 4% 3%
1%
1%
1%
Source : Bertrand Richard et Dominique Miellet.
Il ressort ainsi du tableau ci-dessus que :
- la part des étrangers et des administrateurs indépendants continue de progresser, ce
qui accroît la spécificité du Conseil d'administration français par rapport à son
homologue américain par exemple (moins de 4 % d'étrangers, ce qui laisse rêveur
quant à l'existence d'un marché international, sinon des dirigeants, du moins des
mandataires sociaux...) ;
- la part des administrateurs liés à un actionnaire ou un partenaire commercial ou
financier a tendance à diminuer ;
- la part des grands corps diminue ;
- l'administrateur français est, en moyenne plus jeune, que ses homologues anglosaxons ;
- la parité homme / femme n’est aucunement respectée.
Reste que l’évolution de la gouvernance est récente et qu'elle est loin d'être achevée.
Comme aux États-Unis, la crise récente a révélé les insuffisances de la gouvernance à
la française. Les dirigeants d'entreprise eux-mêmes reconnaissent l'existence d'un «
problème » du capitalisme français, qu'ils ont attribué à ses « pratiques » (M. Daniel
Bouton), « le Conseil d'administration à la française suit encore un fonctionnement
traditionnel ».
De fait, les Conseils français ont du mal à se réunir pour faire leur autocritique. Il n'y a
pas d'organe de contrôle des dirigeants suffisamment structuré : ceux-ci sont encore trop
69
1%
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
livrés à eux-mêmes, alors même qu'en raison de l'ampleur de leur tâche, ils
souhaiteraient pouvoir disposer de points d'appui critiques. La loi sur la sécurité
financière a sans doute tenté d'apporter une réponse à cette question en obligeant le
président du Conseil à faire un rapport à l'Assemblée générale sur les mécanismes de
contrôle interne mis en place au sein de la société. Mais n'est-il pas paradoxal de confier
à celui sur lequel le contrôle doit porter au premier chef le soin de présenter - de définir
aussi sans doute - les mécanismes d'évaluation critique de son action ?
L’explication provient d’une part, de causes culturelles, « La France a le goût du pouvoir
personnel, du chef providentiel », les dirigeants demeurent réticents à déléguer leur
fonction ou à diviser leur pouvoir. Il y a également l’« ubris » des dirigeants comme en
témoigne un des subordonnés de JMM : « Il faisait semblant d’écouter, mais décidément
il n’entendait rien. ». Ce phénomène se caractérise par une spirale perverse : Président
se fait incroyablement confiance, donc il réussit des coups audacieux. Et comme il
réussit des coups audacieux, il se fait de plus en plus confiance. D’ailleurs, le monde
entier l’y pousse. La presse, les investisseurs, le petit Paris. Tout le monde chante sa
louange puisqu’il réussit. Au début, il pense qu’il a du talent, et à la fin il pense que c’est
du génie ; Du coup, quand les ennuis commencent, il ne voit pas les signaux d’alerte.
Certains dirigeants ne veulent pas seulement le pouvoir et l’argent mais aussi l’influence.
Ils pensent, parce qu’ils ont réussi dans les affaires, qu’ils ont des choses essentielles à
dire sur la marche de l’économie, de la société et du monde. Certains rêvent même
d’acquérir la célébrité et de devenir une vedette.
Le régime dit « à directoire » impose non pas la concentration du pouvoir sur une seule
personne mais sur deux à cinq membres chargés de la direction, les Conseils
d’administration des sociétés ne devraient-ils pas opter pour la structure duale ?
D’autre part, ne faut-il pas également mettre en cause les méthodes de travail des
Conseils ? Si des dérives ont été possibles en France, un certain nombre de Conseils
d'administration français n'ont pas rempli leur rôle au moment même où la bulle Internet
a entraîné le capitalisme financier à des niveaux jamais atteints.
Tableau 10 :
RECRUTEMENT DES DIRIGEANTS (1)
Nomination des dirigeants
Nomination des administrateurs externes
RoyaumeReste de
Royaume- Reste de l'Europe
France
France
Uni
l'Europe
Uni
90 %
82 %
54 %
80 %
72 %
54 %
Quel est
l'acteur clé ?
Président
Comité de
15 %
48 %
12 %
30 %
47 %
19 %
nomination
Conseil
25 %
77 %
20 %
40 %
70 %
27 %
d'administration
(1)
Source : Bertrand Richard, Dominique Miellet. Question posée : « qui est en charge de la nomination
des dirigeants et des administrateurs ? ». Plusieurs réponses étant possibles, le total de réponses est
supérieur à 100 %.
Comment est-il dès lors envisageable d'aller poser à un dirigeant les questions (mode de
désignation) qui dérangent ? M. Jean Peyrelevade (ex-Président du Crédit Lyonnais) l'a
d'ailleurs très directement reconnu : « in fine, c'est au président qu'il revient de susciter
ces discussions ».
La question du mode de désignation du Conseil d'administration n'est certes pas
nouvelle, mais les progrès d'une culture de la transparence la rendent aujourd'hui
cruciale. La révérence traditionnelle envers la direction n'est plus acceptable. L'effet de
caste n'est plus admis par les actionnaires, à juste titre. Cette insuffisance des conseils
n'a pas été compensée par une plus grande vigilance des actionnaires. Certes, le
constat est unanime : les Assemblées générales qui se sont tenues en 2003 pour
examiner les comptes de 2002 ont été beaucoup plus houleuses qu'à l'habitude. Le
70
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
contexte d'effondrement des cours de la bourse participe sans nul doute de ce climat
spécifique au sein des sociétés cotées. Mais il faut également sans doute voir dans ce
que d'aucun ont considéré comme une « bronca » le résultat d'une « acclimatation »
généralisée des principes de gouvernance. Reste à transformer ces manifestations
symboliques en actions constructives : il n'est pas faux de considérer que « le bruit fait
par des petits porteurs pèse peu par rapport à l'influence de quelques grands
actionnaires ou administrateurs puissants ». Le fait même que l'activisme de certaines
Assemblées générales soit taxé de « fronde des actionnaires » reflète la norme.
5- Méthodologie de la nouvelle gouvernance : pour une
liberté surveillée
La place des agences de notation.
Jusqu’à une période récente, les agences de notation étaient méconnues en France,
elles ont aujourd’hui des responsabilités importantes dans le fonctionnement global du
système capitaliste. Leur pouvoir s’est illustré lors d’évènements récents : à cause d’une
dégradation de la notation, VU a frôlé le dépôt de bilan. Les agences de notation sont
des produits du marché, nécessaires pour évaluer la solidité financière, la capacité de
remboursement des entités qui émettent sur les marchés : elles assurent l’information
des investisseurs qui ne sont pas forcément des professionnels ou qui n’ont pas la
capacité d’apprécier la situation financière de l’entité avec laquelle ils opèrent, les
risques qu’ils prennent en faisant crédit à l’entité.
Cependant, le problème de déontologie est de taille car les agences de notation, qui sont
privées, sont financées par les émetteurs qu’elles sont chargées de noter. La question
des méthodes de travail taraude également : les agences de notation prennent prétexte
de la protection de leur secret de fabrication pour s’exonérer de tout processus externe
d’examen de la qualité de leurs procédures.
Aucune solution satisfaisante n'émerge pour répondre à la question du « qui contrôlera
les contrôleurs ». Il est révélateur que Mme Bourven, présidente de l'ancien Conseil des
Marchés Financiers, reconnaisse devant la mission, s'agissant du financement des
agences, « je n'ai pas aujourd'hui de solution à cette question. », constat qui fait écho à
celui de M. Jean-François Lepetit, président de l'ex-Commission des Opérations en
Bourse : « si les agences de notation disposent d'informations particulières, privilégiées,
le régulateur doit s'en occuper. Mais je n'ai pas de solution toute faite. »
En matière de sécurité financière, le législateur a mobilisé toute sa compétence en
prévoyant la publication d'un rapport annuel par l'AMF, relatif au rôle, aux règles
déontologiques, à la transparence des méthodes et à l'impact de l'activité des agences
de notation. Rappelons qu'alors même que les agences sont, pour les principales d'entre
elles, de droit américain, même le législateur américain a dû adopter une position
minimaliste en s'en remettant, lui aussi, au régulateur des marchés. Le législateur
d'Enron a ainsi demandé à la SEC de s'interroger sur le rôle des agences de notation et
leur importance dans le système boursier, les obstacles qu'elles rencontrent dans
l'accomplissement de leur rôle, les mesures pouvant améliorer le cheminement de
l'information vers le marché en provenance des agences de notation, les barrières à
l'entrée sur le marché de la notation financière et les conflits d'intérêts auxquels les
agences sont confrontées. La prochaine étape ne pourrait qu'être européenne : comme
l'a proposé M. Pébereau (Président du Conseil d’administration de BNP Paribas), « on
peut imaginer qu'en Europe d'une part, et aux États-Unis, d'autre part, un organisme
indépendant de l'ensemble des acteurs du marché soit mis en place. Pour ce faire, il
71
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
pourrait être financé par une redevance prélevée sur les agences de notation ». Dans
cette attente, la France, comme tous les autres pays, ne peut que s'en remettre aux
règles édictées par le régulateur américain, seul organisme susceptible de disposer d'un
pouvoir d'influence sur les agences, via l'agrément qu'il leur délivre pour exercer cette
activité.
Un auxiliaire de droit : le gendarme des marchés financiers, pivot de la bonne
gouvernance.
C'est un fait trop souvent oublié que la gouvernance repose sur un système à trois, et
non à deux piliers : l'autorégulation, la loi et, au milieu de ces deux extrêmes, la
régulation. Dans ce dernier domaine, l'autorité compétente est le gendarme des marchés
financiers. En effet, elle apporte son concours à la régulation de ces marchés aux
échelons européen et international », cette institution est également désormais le
gendarme de la gouvernance. En effet, l’AMF établit chaque année un rapport sur la
base des informations fournies par les sociétés faisant appel public à l'épargne, relatives
aux méthodes qu'elles appliquent pour organiser les travaux du Conseil d'administration
ou du Conseil de surveillance et aux procédures de contrôle interne qu'elles ont mises
en place. Le regard extérieur, mais informé, de l’AMF introduit un nouveau tuteur aux
entreprises.
L'actionnaire, grand absent de la gouvernance à la française.
L'une des principales conclusions de la Mission est que l'actionnaire est le grand absent
de la gouvernance à la française. L'actionnaire n'est pourtant pas un objet votant non
identifiable mais une réalité importante du corps social. Ainsi, en mai 2002, la France
comptait 10 millions d'actionnaires, d'après une enquête réalisée pour le compte de la
Banque de France et Euronext. Pour ces particuliers, la durée moyenne de détention
des titres est en moyenne de trois ans et demi, contre un an et demi pour les
institutionnels français et six mois pour les fonds anglo-saxons. Ce sont au total 22 %
des Français âgés de plus de quinze ans qui détiennent des actions ; aux États-Unis,
50 % des ménages sont actionnaires.
De tous les dirigeants auditionnés, c'est M. Peyrelevade qui a le plus vivement dénoncé
l'insuffisante prise en compte de l'actionnaire dans le système français : « je considère
que, pour l'instant, beaucoup de faux pouvoirs, de pouvoirs formels, sont donnés à
l'Assemblée générale et que l'on évite de traiter des problèmes de fond. L'Assemblée
générale, qui réunit physiquement les actionnaires, généralement des petits porteurs
dont le pouvoir est nul, fournit l'occasion de manifestations médiatiques mais n’ayant pas
une portée réelle. Elle permet certes de faire émerger des problèmes sous-jacents
parfois, mais reste imprégnée d'un formalisme inutile, parce que le pouvoir n'est pas là. »
À force d'opposer le droit des sociétés et la gouvernance à l'anglo-saxonne, tournée vers
la seule maximisation du profit de l'actionnaire (culte de la sharehoder value) et un
système français où l'entreprise est conçue comme une entité associant actionnaires,
salariés, management, contrôleurs et fournisseurs (banques, par exemple), les
évolutions réelles du capitalisme à la française ont été oubliées. Ceci conduit les
dirigeants, à considérer l'actionnaire comme un acteur de second rang dans
l'entreprise qu’il faut cependant abreuver. Il est donc illusoire de faire converger les
intérêts divergents des dirigeants, actionnaires et administrateurs vers l’intérêt général
de l’entreprise.
D’autre part, il est frappant de constater à quel point l'Assemblée générale est absente
des rapports Viénot et Bouton, ainsi que de la synthèse qui en a été faite récemment :
l'essentiel de la réflexion tourne autour de l'organisation du Conseil d'administration. De
manière révélatrice, l'actionnaire n'y est envisagé que comme un personnage passif, un
72
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
réceptacle d'informations auquel sont octroyés des droits, et jamais comme un
partenaire doté d'une marge d'initiative. Certes, il est rappelé, à juste titre, que les
actionnaires sont titulaires d'un certain nombre de droits légaux, mais la réalité de
l'exercice de ces droits, comme leur pratique, sont totalement omises. Chacun sait
pourtant que la multiplicité des informations données aux actionnaires n'est pas toujours
synonyme de pertinence et de clarté ; à cet égard, il est frappant de constater combien la
loi est précise et détaillée s'agissant des pouvoirs des actionnaires, alors qu'elle est très
souple et laisse de larges marges d'interprétation dès lors que sont abordés les pouvoirs
des dirigeants. Légiférer pour définir précisément, donc pour encadrer, le pouvoir des
actionnaires reste considéré comme normal ; légiférer pour encadrer celui du Conseil
serait contre-productif...
Placer l'actionnaire au cœur de la gouvernance.
Lors de la survenance d’une crise, le reproche est fait aux actionnaires de ne pas avoir
jouer tout son rôle à l'Assemblée générale. Il faut savoir que l'entreprise n'est pas une
démocratie : l'Assemblée générale rassemble les propriétaires de l'entreprise et est là
pour donner sa légitimité aux instances de direction mais ce n'est pas elle qui décide des
orientations. De ce point de vue, le fonctionnement de l'entreprise s'apparente
davantage à un système de monarchie constitutionnelle. À bien des égards, la capacité
d'intervention de l'Assemblée générale se situe ex post, dans la mise en jeu de la
responsabilité civile et pénale des mandataires. Il faut développer en amont le rôle des
actionnaires sans toutefois aboutir au principe d'une représentation des petits
actionnaires au Conseil d'administration car cela conduirait inéluctablement à une
confusion des pouvoirs de direction et de contrôle et serait préjudiciable aux actionnaires
eux-mêmes.
La Mission n'a pas choisi de reconnaître à l'Assemblée générale le droit d'émettre un
vote consultatif spécifique sur les rémunérations. Cette proposition, qui est la seule
alternative évoquée, stigmatiserait les chefs d'entreprise et risquerait de les conduire à
prendre systématiquement des décisions de délocalisation, évidemment contraires à
l'intérêt national.
Néanmoins, la très libérale Grande-Bretagne dispose d'une réglementation obligeant les
principaux groupes cotés à Londres à demander l'avis de leurs actionnaires sur la
rémunération des dirigeants et bientôt sur la politique de rémunération de l'entreprise et
sur le lien entre rémunération et performance.
Au fur et à mesure, la combinaison entre amélioration de la transparence et
accroissement de l'activisme permettra de faire en sorte que la rémunération des
dirigeants sera plus efficacement reliée à la performance de l'entreprise.
Les actionnaires ont raison de faire part de leurs préoccupations concernant les cas
dans lesquels les dirigeants quittent des entreprises en mauvaise situation avec de
fortes indemnités. Les " récompenses pour l'échec " attribuées à une petite minorité
atteignent l'image et la réputation de l'ensemble du monde des affaires.
D'ores et déjà, en Grande Bretagne, le directeur général du groupe pharmaceutique
GlaxoSmithKline s'est vu refuser par 50,72 % d'actionnaires une révision de sa
rémunération.
En deuxième lieu, il n'est pas certain, d'un point de vue juridique, que les actionnaires
eux-mêmes aient intérêt à une telle mesure : alors même que leur vote ne serait que
consultatif, ne seraient-ils pas liés, pour l'avenir, par la seule existence d'un vote, dans
l'hypothèse, par exemple, où ils souhaiteraient mettre en cause la rémunération d'un
dirigeant sur le fondement de l'incrimination d'abus de bien social ? Enfin, s'agissant par
exemple des indemnités d'embauche ou d'arrivée, ou de tout autre élément de la
rémunération faisant l'objet d'une convention réglementée, en droit français, les
actionnaires peuvent agir en votant contre celle-ci, ce qui entraîne sa nullité de droit.
73
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
La controverse sur les rémunérations des dirigeants sociaux montre toutefois que la
réforme, qui est venue bouleverser la culture française, doit s'accompagner de
pédagogie : il ne suffit pas de jeter en pâture des rémunérations, généralement élevées ;
encore faut-il expliquer ce qu'est la rémunération d'un dirigeant social dans une société
où le modèle dominant est le salariat ou le traitement. Le but n'est pas, en effet, de
critiquer le fait que les dirigeants de grandes entreprises touchent des rémunérations
élevées mais de pointer les dysfonctionnements, c'est-à-dire les écarts entre
rémunération et résultat.
Le tableau qui suit illustre la complexité de la rémunération d'un dirigeant social, qui
comprend théoriquement six niveaux. Là où le salarié n'est rémunéré qu'avec un étage
(salaire) ou deux (intéressement) et, plus rarement, trois dans les entreprises où existent
des systèmes de participation, de multiples éléments entrent en compte dans la
détermination de la rémunération d'un dirigeant de société. Le salaire de base rémunère,
en quelque sorte, sa compétence « théorique » c'est-à-dire celle qu'il est réputé avoir à
partir de ses expériences professionnelles antérieures ; le bonus est fondé sur sa
capacité à atteindre les objectifs annuels, qui peuvent être fort divers ; d'autres éléments
servent à rémunérer la performance de l'entreprise à moyen terme ; quant à la spécificité
des régimes de retraite et des indemnités de départ, elle reflète largement la précarité de
la fonction, le dirigeant étant révocable ad nutum (sans délai et sans préavis).
Tableau 11 :
Les principaux étages de la structure de rémunération des dirigeants
Indemnités de départ
Préjudice / perte d'emploi
Retraite
Rémunération différée
Variable long terme
Création de valeur durable
au moins 4 ans et plus
Variable moyen terme
Performance de l'entreprise sur un horizon de 3 / 4 ans
Variable court terme
Performance annuelle
Salaire de base
Compétences
Source : Ernst & Young Law
Toutes les composantes théoriques de la rémunération sont, peu ou prou, prises en
compte de la même façon d'un pays à l'autre, comme le montre le tableau suivant.
74
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
Tableau 12 :
Les structures de rémunération des dirigeants : comparaison internationale
Éléments
États-Unis
Royaume-Uni
Allemagne
France
Indemnités de
départ
Golden parachute Golden parachute
Golden parachute Golden parachute
Retraite
Prestations
définies
Prestations définies
Prestations
définies
Prestations définies
Variable long terme Stock options
Stock options
Stock options
Stock options
Variable moyen
terme
Actions gratuites
et SARs (1)
Stock options,
Actions gratuites et bonus en
numéraire
Stock options
et SARs
Variable court
terme
Bonus en
numéraire
Bonus en numéraire
Bonus en
numéraire
Bonus en numéraire
Salaire de base
Salaire fixe
Salaire fixe
Salaire fixe
Salaire fixe
(1) Stock Appreciation Rights (SARs), qui permettent de recevoir en année n + 3 ou n + 4 une somme en cash
égale à l'augmentation de la valeur de l'action sous-jacente en année n.
La seule différence notoire concerne la prise en compte de la performance de
l'entreprise à moyen terme : si la France l'ignore, les autres pays la rémunèrent par
divers mécanismes.
Placer l’actionnaire au cœur de la gouvernance consiste ainsi à dévoiler plus
précisément le détail de la rémunération des dirigeants.
Enfin, valoriser le rôle de l'actionnaire ne signifie pas seulement lui donner de nouveaux
pouvoirs : cela implique également qu'il remplisse mieux ses devoirs. Notamment, les
investisseurs institutionnels doivent pleinement assumer leur rôle d'actionnaire. Dans la
mesure où il n'existe pas de fonds de pension français, notre pays est resté très en
retrait sur la réflexion relative à l'implication de cette catégorie d'investisseurs. Or, dans
les pays anglo-saxons, ceux-ci sont soumis à des obligations très strictes : aux ÉtatsUnis par exemple, la législation sur les fonds de retraites, éclairée par une circulaire du
département du Travail en 1994, fait du vote en Assemblée générale un élément de la
responsabilité fiduciaire du gestionnaire de fonds et lui impose d'intervenir lorsque son
action peut raisonnablement accroître la valeur de l'investissement.
Par ailleurs, certains investisseurs institutionnels et fonds de pension édictent des codes
d'éthique. Ainsi, au Royaume-Uni, l'association nationale des fonds de pension
recommande à ses membres de s'abstenir de voter dès lors qu'elle estime que les
critères de performance justifiant l'attribution de stock options sont opaques. Dans le
même ordre d'idées, et pour en revenir aux rémunérations, cette même association
britannique a publié une déclaration précisant que « les Conseils d'administration
devraient calculer le coût potentiel de résiliation du contrat en termes financiers. Ce
calcul doit couvrir l'ensemble des éléments liés au licenciement », déclaration qui
s'accompagne d'un guide sur les contrats et les pensions de retraite, sources de frais
souvent élevés pour les actionnaires.
La France s'est, depuis peu, dotée de règles touchant les investisseurs institutionnels :
ainsi, en vertu de l'article 66 de la loi de sécurité financière, les règles de bonne conduite
édictées par le régulateur des marchés financiers doivent obliger les sociétés de gestion
de portefeuille à exercer leurs droits de vote et, sinon, à s'en expliquer. À l'instar de ce
qui se pratique dans les fonds d'investissements britanniques, il serait souhaitable que
75
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
des principes précis soient édictés concernant la politique de vote, tant au regard des
rémunérations que de la politique d'attribution de stocks-options ou de la composition du
Conseil d'administration, en définitive, il faut établir de la transparence à tout point de
vue.
Dynamiser et responsabiliser le Conseil d'administration.
Cette proposition fait d'ailleurs écho à celle que propose l'Institut Montaigne, selon lequel
« une avancée significative pourrait être réalisée en obligeant les sociétés à doter leur
Conseil d'administration d'un règlement intérieur adapté (pratique existante mais non
généralisée) ». L'annexion du règlement intérieur au rapport annuel complèterait
utilement le rapport du Président instauré par l'article 117 de la loi de sécurité financière
du 1er août 2003. En effet, il est désormais fait obligation au président du Conseil
d'administration de rendre compte dans un rapport joint au rapport annuel « des
conditions de préparation et d'organisation des travaux, des procédures de contrôle
interne mises en place par la société et des éventuelles limitations que le Conseil
d'administration apporte aux pouvoirs du directeur général ». Certains commentateurs se
sont interrogés sur les conditions d'application exactes de cet article 117 de la loi de
sécurité financière. Dans le schéma que nous proposons, le règlement intérieur décrirait
précisément certes, de manière abstraite, les différents éléments que nous venons de
mentionner, tandis que le rapport du président instauré par cet article 117 expliquerait
comment ils ont été concrètement mis en œuvre. Nous sommes persuadés que cette
double base permettrait d'engager un dialogue constructif entre le Conseil et les
actionnaires.
De fait, comment imaginer qu'une structure aussi complexe que l'entreprise fonctionne
sans ce document, qui n'est rien d'autre qu'une charte définissant les fonctions, droits et
devoirs de chacun et évite l'arbitraire d'un pouvoir autocratique ? Cela ne signifie pas
que la Mission impose aux entreprises de se doter d'un tel outil de travail : aux
actionnaires d'en tirer les conséquences en termes de crédibilité de la gouvernance,
quand une société refuse de se doter d'un règlement intérieur.
La rédaction d'un règlement intérieur du Conseil d'administration est une pratique
fréquente dans les pays anglo-saxons alors qu'elle reste trop rare en France. Cette
spécificité tient largement au fait que disposer d'un tel document revient à encadrer le
pouvoir du président. L'intérêt de ce document est de préciser, noir sur blanc,
notamment les règles de composition et de fonctionnement des comités spécialisés.
Sans doute des règles existent-elles déjà, même si elles ne sont pas écrites. Mais
préciser que le président ne peut pas assister ni aux délibérations ni à la décision du
comité des rémunérations sur sa rémunération éviterait certaines tentations. Pour
l'heure, quand un président devra rendre compte à l'Assemblée du fonctionnement du
Conseil, l'exercice n'est guère encadré. Si le règlement intérieur existait et était publié
par les sociétés du CAC 40, l’exercice ne laisserait de place à l’imagination du président.
Il ne semble pourtant pas qu'il s'agisse de la solution miracle. L'existence formelle d’un
comité de rémunération ne garantit pas sur le fond une meilleure transparence dans la
détermination des critères définissant les principaux éléments de la rémunération. On
peut même parfois avoir le sentiment que l'institution d'un tel comité a quelquefois
représenté un moyen pratique de traiter de cette question taboue en comité plus restreint
encore que ne l'est le Conseil d'administration. De même, l'utilité des comités des
nominations est contestable s'ils sont composés d'administrateurs croisés.
- il n'est donc pas souhaitable que le Conseil d'administration comporte des
administrateurs croisés ou circulaires ;
- le président du Conseil doit s'abstenir de participer aux séances du comité des
rémunérations ;
76
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
- en aucun cas par conséquent, le comité ne devrait être conçu comme un prétexte pour
les administrateurs de se défausser. L'idée n'est pas de traiter en petit comité un sujet
tabou - les rémunérations - ou délicat - les nominations d'administrateurs ou les plans
de succession : une telle approche conduirait à atteindre le but inverse de celui
recherché par la théorie de la gouvernance puisqu'elle reviendrait à faire traiter dans
l'opacité d'un comité de trois personnes, sans existence légale rappelons-le, un sujet
d'importance majeure, sur lequel le Conseil d'administration, sous prétexte de
l'existence d'un organe spécialisé en la matière, ne débattrait même pas.
Dès lors qu'un règlement intérieur est instauré, la Mission estime en outre nécessaire
qu'il inclue une sorte de charte de l'administrateur, dans laquelle figurerait notamment le
principe de la transparence totale des opérations réalisées par les banques représentées
au conseil et des mandats qui leur sont confiés par celui-ci. Cette proposition fait écho
aux recommandations d'Aldo Cardoso, président d'Andersen Worldwide, qui prône la
mise en place d'une déclaration de conflits d'intérêts par l'administrateur, avec
abstention de participation à la délibération ou au moins au vote lorsqu'un tel risque se
présente. De fait, pour résoudre les conflits d'intérêts potentiels au sein du Conseil,
l'approche pertinente se situe, non en termes d'indépendance, mais de conflit d'intérêts,
à l'instar de la démarche adoptée par le Deutsche Kodex (code de gouvernance
allemand) publié en septembre 2002. Ce document précise que : « Les membres du
Conseil d'administration ont obligation d'agir dans l'intérêt de la société ». Dés lors afin
d’empêcher les conflits d’intérêt, il faut se cantonner à une équipe restreinte où règne la
cohésion pour faire triompher la société dans le respect des règles, la Mission propose
ainsi de limiter le nombre de membres du Conseil d’administration à quatorze. La prise
de parole s'en trouvera facilitée et la nomination des administrateurs recentrée sur le
seul critère de la compétence.
L’administrateur indépendant joue-t-il véritablement un rôle de garde-fou dans les
Conseils d’administration ?
Le débat anglo-saxon sur l'administrateur indépendant correspond au débat français sur
la diversification de la composition du Conseil d'administration et des comités créés en
son sein. Il pose une vraie question, sous la mauvaise forme :
Comment garantir que le Conseil sera composé d'administrateurs suffisamment
compétents pour diriger l'entreprise avec le président et suffisamment courageux pour
contrôler ce dernier ? Pour reprendre les mots de M. Daniel Bouton, « existe-t-il des
règles, une alchimie particulière qui garantisse la meilleure composition possible d'un
Conseil d'administration ? »
Que nul ne s'y trompe : l'idéal n'existe pas en la matière. Reste que quelques principes
peuvent être néanmoins posés. Ainsi, en France, ces questions conduisent
immédiatement à se pencher sur la question des administrateurs croisés - M. X est
administrateur du Conseil d'administration de la société de M. Y, lui-même membre du
conseil de la société de M. X - et circulaires - M. X est administrateur dans la société de
M. Y et dans celle de M. Z et M. Y est administrateur dans la société de M. Z, où il
retrouve M. X... . Il serait intéressant d'ailleurs que les organisations patronales
réfléchissent sur cette notion d'« administrateur circulaire », qui devrait, à l'avenir,
constituer un label aussi disqualifiant que celui d'administrateur croisé. On le voit, la
question de la composition du Conseil pose encore et toujours la question de la grande
concentration des postes d'administrateurs en France.
Pour surmonter l'impossibilité de définir l'indépendance, la Mission propose que, d'une
part, les modalités de fonctionnement du comité des nominations, qui ne doit pas être
présidé par le président du Conseil, figurent dans le règlement intérieur ; d'autre part, le
Conseil d'administration consacre une séance spécifique au choix de tout nouvel
administrateur à proposer à l'Assemblée générale. Cette proposition est, par ailleurs,
77
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
également de nature à résoudre, plus en amont encore, la question des conflits d'intérêts
potentiels évoquée ci-dessus.
Dans le respect des missions dévolues à chacun des organes de la société, la Mission
d’information sur la réforme du droit des sociétés a fait un certain nombre de
propositions en faveur d'un rôle actif de l'actionnaire qui sont résumées ci-dessous :
Réhabiliter l’actionnaire
1° Certification par les commissaires aux comptes de la sincérité des informations
relatives aux rémunérations individuelles, dans toutes leurs composantes, avec
présentation dans les comptes annuels soumis au vote de l’Assemblée Générale ;
2° Amélioration de la transparence de la politique de vote des investisseurs
institutionnels au sein des sociétés dans lesquelles ils investissent ;
3° Renforcement de la possibilité pour l’actionnaire de faire valoir l’existence d’un
préjudice social en cas de consécration de la responsabilité des dirigeants pour faute de
gestion ;
4° Améliorer la qualité et la sincérité de l’information financière fournie par les analystes
de banques en inscrivant le principe de « murailles de Chine » dans la loi, au sein des
établissements bancaires entre activités de placement et activités d'analyse financière.
Responsabiliser le Conseil d’Administration
5° Publication du règlement intérieur du Conseil d’administration dans le rapport annuel
=> néanmoins, l’information trop exhaustive, peu pertinente et superflue doit être
écartée, il faut exposer les règles substantielles qui régissent la bonne gouvernance, les
sanctions encourues afférentes en cas de non respect du règlement intérieur ;
6° Transparence totale des opérations réalisées par les banques représentées au
Conseil d’administration et des mandats qui leurs sont confiés, intégrée dans le
règlement intérieur ;
7° Instauration de mécanismes de cession d’actions gratuites, avec obligation de
conservation de celles-ci à moyen terme, pour associer les administrateurs dirigeants
sociaux à l’évolution de la société ;
8° Limitation du nombre d’administrateurs à 14 maximum ;
9° Obligation pour le Conseil d’administration de consacrer une séance spécifique à
l’examen du projet de nomination de tout administrateur, le cas échéant après réunion
du comité de nomination et, le jour de leur désignation, obligation pour les
administrateurs pressentis d’assister et de se présenter à l’Assemblée générale qui les
nomme.
Clarifier les pratiques en matière de rémunérations
10° Interdiction de souscrire des plans de stock-options en période d’effondrement des
cours, placée sous le contrôle de l’AMF ;
11° Ediction par l’AMF d’un formulaire normalisé sur les règles de présentation des
rémunérations ;
12° Diffusion par l’AMF, par exemple sur son site Internet, de tableaux à jour récapitulant
les rémunérations des dirigeants de sociétés du SBF 120, avec en comparaison les
résultats des années N-1 et N.
78
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
Le chantier des réformes sur la gouvernance d’entreprise n’étant pas encore achevé,
tous les dispositifs quels qu’ils soient, concourant à une meilleure pratique de la
gouvernance devront d’une part, pouvoir être acceptés par tous les acteurs du
capitalisme financier, et d’autre part nécessiter un délai de mise en application pour les
entreprises.
Pour conclure, JMM utilise la dernière partie de son livre pour livrer des considérations
sur la réforme du capitalisme. Il plaide pour la limitation du recours aux stock-options, le
retour d’une certaine prédominance du politique sur le tout-économique et pour
l’introduction de contre-pouvoirs face à la mondialisation.
B- L’amélioration de l’efficience du gouvernement
Vivendi : le passage obligé par la restructuration du
groupe
Appelé début juillet 2002 à la tête de VU pour redresser le groupe en pleine tourmente
financière à la suite de la fringale d'acquisitions de son ancien PDG JMM, limogé, JeanRené Fourtou s'est engagé, dès son arrivée, à clarifier la stratégie du groupe et à mettre
à plat ses comptes, y compris en révisant à la baisse la valeur de ses actifs.
Il est encore trop tôt pour parler des modalités des investissements éthiques et
gouvernementales développés par Vivendi si ce n’est la mise en place d’une nouvelle
équipe de dirigeants mais pas d’administrateurs. La priorité est la clarification de la
stratégie.
La redéfinition des contours de la stratégie du groupe : le recentrage.
De par l’endettement hérité de l’ère JMM qui fait subir au groupe de nombreuses
échéances financières à respecter, les objectifs de VU demeurent encore aujourd'hui la
survie après avoir été en partie « littéralement dépecé » : cession du très emblématique
portail internet Vizzavi à l'opérateur britannique Vodafone, cession du pôle édition (VU
Publishing), sortie de Vivendi Environnement, sortie d'Echostar et enfin la cession
définitive de la branche italienne de Canal+.
Le groupe exerce pour l’instant les activités suivantes :
•
•
•
•
•
•
La téléphonie privée (fixe, mobile et Internet) avec le Groupe Cegetel, véritable cash
machine de Vivendi,
la téléphonie publique avec Maroc Télécom,
la musique avec UMG (Universal Music Group) qui vend un album sur quatre dans le
monde,
la télévision payante avec le groupe Canal+ qui gère également la distribution de
films et la commercialisation de droits sportifs,
Vivendi Universal Games et ses jeux vidéos,
Vivendi Universal Entertainment, dédiée à la production et à la distribution de longs
métrages, à l'exploitation de chaînes de télévision câblées (issues du rachat de USA
Networks) et de parcs à thèmes.
Les conclusions de l’audit, commandé par le groupe après l’éviction de JMM, sur les
activités multiformes sont à l’origine de la nouvelle stratégie du groupe, à savoir se
recentrer en les accélérant, ses deux principaux cœurs d'activité : les télécoms et les
médias.
79
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
Le groupe Vivendi Universal (VU) va positionner son recentrage, dont l’achèvement est
prévu pour la fin de l’exercice 2004, sur les filiales suivantes : Cegetel-SFR, Canal+ et
Universal Music, c’est ce qu’a indiqué le PDG M. Fourtou lors de l’Assemblée générale
d’avril 2003.
La cession des actifs américains tels que les studios VU Entertainment est d’ores et déjà
programmée. Selon M. Fourtou : « Il n’y a aucune synergie à envisager entre le cinéma
et la musique d’Universal, nous préférons miser sur UMG en fonction de ses meilleures
perspectives de rentabilité ». Il a précisé que Universal Music resterait une filiale à 100
% ou « en partenariat » avec d’autres industriels.
Le point central de Vivendi Universal sera donc Cegetel, détenu pour l’instant à 56 %,
mais que son PDG espère contrôler fin 2004 en totalité. Si les actifs de Vivendi
Environnement sont cédés rapidement sans trop de pertes, le groupe s’engage,
concernant Maroc Télécom détenu pour l’instant à 35 %, à convaincre les autorités
marocaines de lui céder le reste du capital alors que dernièrement cet actif était dans la
liste des actifs à vendre...
Les restes du pôle internet (VU Net), en plein démantèlement depuis mi-2002, affichent
d’énormes pertes. Cette activité constitue un grand désastre pour le groupe qui a échoué
dans ses tentatives de cessions. Globalement, tous les actifs composant VU Net, qui
sont sans espoir de vente ferme à court-terme, seront liquidés, à part si certaines entités
peuvent rejoindre d’autres pôles. Les entités pressenties à être conservées sont
Pressplay, la plate-forme de distribution musicale (Universal Music), ou encore MP3.com
USA (MP3.com Europe a été liquidé). En revanche pour le reste des actifs
(Education.com, I-France, Allociné, E-brands, etc.), l’avenir est plus compromis.
Par ailleurs, accablé par les procès de toute part, le groupe n’a de toute façon pas la
préoccupation présente de l’amélioration de sa gouvernance si ce n’est de se conformer
à la loi sur la sécurité financière. Le thème de la gouvernance a incontestablement été
détourné par toutes les péripéties qu’a connu le groupe suite au départ de JMM.
L’ombre de Messier plane encore.
En témoigne l’Assemblée générale d’avril 2003, les actionnaires sont restés silencieux
pendant deux bonnes heures avant d’aborder les sujets qui provoquent des remous : la
gestion passée de JMM et la complicité de certains administrateurs. « J’ai entendu le
commissaire aux comptes qui a validé vos comptes et semblait satisfait », a expliqué au
micro un actionnaire septuagénaire avisé. « Le problème, c’est que j’entends la même
formule de l’an dernier, comme il y a deux ans... » Un autre a ironisé sur les
applaudissements qui ont suivi le discours de M. Fourtou. « J’ai entendu les mêmes l’an
dernier à l’adresse de M. Messier... » Et un autre, contestant le montant de la dette sans
avoir de micro, s’est fait expulser manu militari par une porte dérobée... Ambiance.
Edgar Bronfman Jr, héritier de l’empire Seagram qui a vendu Universal à Messier en
2001, s’est fait apostrophé pour avoir « laissé faire Messier »... Il a prétendu avoir été à
l’origine du départ de JMM, et a dénoncé sans mea culpa son « management
irresponsable ». Un management que Bronfman approuvait encore, comme le reste du
Conseil, lors de l’Assemblée générale d’avril 2002.
Enfin, les actionnaires n’ont pas été informés publiquement du non-piratage du système
de vote électronique utilisé lors de l’Assemblée générale 2002. Alors que JMM,
contrairement aux évidences les plus officielles, a encore prétendu l’inverse en mars
2003.
Le gouvernement de VU n’a pas pris la mesure de mettre en lumière tous les
dysfonctionnements qui ont régné en matière de gouvernance d’entreprise et n’est pas
encore disposé à le faire.
80
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
Actionnariat 2004.
Tableau 13 :
Actionnaires
Autres actionnaires
Groupe PHILIPS
Salariés (épargne salariale)
Caisse des Dépôts et Consignations
CITIGROUP
BNP PARIBAS
UBS Warburg
Compagnie de SAINT GOBAIN
SOCIETE GENERALE
Famille Bronfman
VEOLIA (ex VIVENDI ENVIRONNEMENT)
AXA
% du capital au 29/02/2004
87,04
3.01
1,65
1,78
1,69
1,15
1,02
0,50
0,92
0,67
0,54
0,03
Nous constatons que le groupe ne possède plus d’actions d’autocontrôle.
Vivendi Universal : résiste, prouve que tu existes.
Le recentrage des activités du groupe sur les télécoms et les médias se matérialise si
l’on en juge le tableau suivant, à l’exception de VU Entertainment qui est dans le giron
des désinvestissements.
Tableau 14 :
Ventilation du Chiffre d’affaires par activité (Données au 31/12/2003)
Télécommunications
Vivendi
Musique
Jeux
Groupe
Divers
(Cegetel ; Maroc
Universal
(Universal
Canal +
Vidéos
Telecom)
Entertainment
Music Group)
36,00 %
24,00 %
20,00 %
16,00 %
2,00 % 2,00 %
Le tableau ci-dessous montre qu’à première vue le recentrage porte ses fruits.
Tableau 15 :
Bénéfice net par action
Résultat net *
Chiffre d'affaires *
Euro / * en million(s)
Chiffres clés
2003
2002
2001
-1,07
-21,43 -13,53
1143
25 482
-23301
60 989
-13597
57 360
2000
3,6
1999
2,7
1998
2,5
2299
52 521
1434,6
44 000
1120,8
31 737
Ce tableau nous permet d’observer plusieurs éléments :
Malgré un chiffre d’affaires presque divisé par trois, le résultat net est positif après deux
années de pertes. Nous ne pouvons pas imputer ce modeste profit aux seules cessions
d’actifs car d’une part, les cessions n’ont pas été très prolifiques et d’autre part, un
certain nombre d’actifs ont été liquidés. Certes, l’allègement des activités a eu un impact
significatif sur la baisse du chiffre d’affaires mais les activités conservées semblent
consommer moins de charges. Le groupe a véritablement retrouvé une lisibilité de sa
81
PARTIE II – Les mesures prises pour relancer le gouvernement d’entreprise
stratégie grâce à la cession des poids morts, un recentrage qui fait ses preuves. Au
terme de l’année 2004, les actionnaires devraient retrouver un bénéfice net par action
positif.
Le remaniement des activités du groupe, insufflé par le gouvernement installé depuis un
peu plus d’un an maintenant, démontre l’efficience de son action dont la primauté est de
tendre vers la création de valeur. Néanmoins, il reste à instaurer toute la transparence
sur les pratiques gouvernementales au sein du groupe…
82
Conclusion
Incontestablement, les contraintes financières conditionnent la stratégie de croissance
de l’entreprise, les dirigeants doivent choisir une stratégie sous la contrainte de
l’optimisation de l’emploi des ressources. La stratégie ainsi adoptée doit se traduire par
la maximisation de la création de valeur de l’entreprise et le partage judicieux de cette
création de valeur, afin de satisfaire l’ensemble des parties prenantes dont les
actionnaires.
Si tel n’est pas le cas, la situation débouche sur une crise gouvernementale par la
rupture d’une cohérence d’ensemble au sein de l’entreprise. Dés lors, la notion de
gouvernement révolutionné de l’entreprise complexe est très importante à comprendre
lors d’une situation difficile qui souligne la fragilité de l’agencement des pouvoirs et
insiste sur les déséquilibres provoqués par la destruction de valeur. Les difficultés
financières, par l’impact qu’elles ont sur les contrats, révolutionnent un gouvernement
installé et remettent en cause la maîtrise du projet économique. En effet, seul un
système de gouvernement accepté et équilibré peut permettre à l’entreprise de réguler
des difficultés.
Or, en l’espèce, Vivendi a été victime dés le départ de l’individualisme de son dirigeant
atteint de mégalomanie et le Conseil d’Administration de Vivendi a trop tardé à démettre
son président. Il aura fallu l’influence des milieux politiques et patronaux pour mettre un
terme au mandat du président de Vivendi. Ces arrangements ont révélé les carences du
capitalisme en France caractérisé par une gouvernance de « copinage » trop souvent
autoproclamée. La concentration de l’actionnariat français est sans doute également une
des explications du phénomène.
Par conséquent, il faut développer les mécanismes de contrôle des contrôleurs privés et
promouvoir l’encadrement de ceux-ci par une autorité publique suffisamment puissante
pour maintenir l’indépendance des contrôleurs privés. La création de l’Autorité des
Marchés Financiers renforce les pouvoirs d’intervention des instances de contrôles
publiques mais il faut promulguer l’instauration d’une autorité de tutelle efficace à
l’échelle européenne et internationale.
Dans le présent, l’établissement d’un dispositif législatif en matière de gouvernance
permet la mise en conformité des entreprises à ses principes. Les lois et les
préconisations, même si certaines mesures sont contestables, vont produire un effet
d’atténuation du pouvoir discrétionnaire du management, les organes de gestion vont
être davantage dans l’obligation de rendre des « comptes » fiables et vérifiables devant
les Assemblées Générales d’actionnaires. La fameuse discipline de marché ne peut être
maintenue que par la transparence de l’information.
Cette étude a révélé qu’il aura fallu néanmoins attendre l’apparition de graves crises
gouvernementales au sein de firmes renommées pour faire avancer l’institutionnalisation
des principes d’éthique et de gouvernance d’entreprise en France et pour faire prendre
conscience aux dirigeants que comme l’a dit un de ses pairs, Messier est allé « à la
limite du concevable. Il a montré la zone de feu. Celle où plus aucun PDG ne prendra le
risque d’aller ».
83
Liste des annexes
v Annexe 1 : Illustration de la bulle Internet…..page 84
v Annexe 2 : L’évolution du cours et du nombre
d’actions Vivendi Universal entre juillet
1998 et juillet 2004……………….page 85
v Annexe 3 : Evolution des indicateurs de
performance………………………page 86
v Annexe 4 : Le choix de la méthode de
consolidation……………………...page 87
v Annexe 5 : Le bilan tiré de la gouvernance à la
française…………………………..page 88
84
Annexe 1 : Illustration de la bulle Internet
85
Annexe 2 : L’évolution du cours et du nombre
d’actions Vivendi Universal entre
juillet 1998 et juillet 2004
86
Annexe 3 : Evolution des indicateurs de
performance
ü WACC (Weighted Average Cost of Capital) : il s’agit de la moyenne pondérée
entre le coût des capitaux propres et le coût après impôt de l’endettement, les
coefficients de pondération correspondant au poids relatif (en valeur de marché) des
deux sources de financement.
ü TSR (Total Shareholder Return) : Le Total Shareholder Return correspond au taux
de rentabilité d'une action sur une période donnée et intègre les dividendes reçus et
la plus-value réalisée.
87
Annexe 4 : Le choix de la méthode de
consolidation
Type de lien de
dépendance
Dans quel cas ?
Méthode de consolidation
Il résulte :
Contrôle exclusif
- soit de la détention directe ou
indirecte de la majorité des droits
de vote : contrôle de droit ;
- soit de la désignation pendant
deux exercices successifs de la
majorité des organes de
direction. Cela est présumé
lorsque la société mère détient
40 % des droits de vote (à
condition qu’il n’y ait pas un autre
associé plus important détenant
plus de 40 % des droits de vote) :
contrôle de fait ;
- soit du droit d’exercer une
influence dominante en vertu
d’un contrat (même avec par
exemple 30 % des droits de vote
détenus) : contrôle contractuel.
Méthode de l’intégration
g lo b a le
Contrôle conjoint
Des actionnaires en nombre limité,
y partagent la quasi-totalité du
capital et les décisions résultent
de leur accord collégial. Elles sont
dites « communautaires
d’intérêts » ou « sociétés
multigroupes ».
Méthode de l’intégration
proportionnelle
Influence notable
La société mère y exerce une
influence notable. Cela est
présumé lorsque 20 % des droits
de vote au moins sont détenus par
le groupe, directement ou
indirectement.
Méthode de la mise en
équivalence
88
Annexe 5 : Le bilan tiré de la gouvernance à la
française
89
Glossaire
A
Aller/Retour (intraday) : Opération d'achat et vente réalisée sur une même journée.
Ces opérations ont le plus souvent une faible rentabilité mais leur multiplication peut
accroître rapidement les gains sur un portefeuille. Les Aller / Retour peuvent être utilisés
soit lors d'annonces spécifiques (secteur, société...) ou bien au sein de la fourchette de
cotation qui peut quelquefois être de 3 ou 4 %.
AMF : Née de la fusion de trois entités : la Commission des Opérations de Bourse (ou
COB), le Conseil des Marchés Financiers (ou CMF) et enfin la Conseil de Discipline de
la Gestion Financière (CDGF), l'Autorité des Marchés Financiers est l’autorité de
régulation des marchés financiers en France. Cette fusion facilite le travail de régulation
et de contrôle des marchés financiers de la nouvelle entité.
Amortissement : c’est la constatation comptable de la perte de valeur d’un élément
d’actif (immobilisation).
Appel de marge : Suivant la position prise par un client sur les marchés à terme, le
teneur de compte peut être amené à lui demander de verser un complément de
couverture suite à une variation de cours du sous-jacent. Cet appel de marge permet de
reconstituer la couverture et donc de respecter le rapport imposé entre position et
couverture. Il doit être versé dans des délais très brefs faute de quoi le teneur de compte
peut être amené à liquider tout ou partie de la position.
B
Bénéfice par action (BPA) : Le bénéfice par action traduit l'enrichissement théorique,
d'un actionnaire détenant une action, au cours d'un exercice. Le bénéfice net est en effet
la part revenant aux actionnaires de la richesse créée par l'entreprise pendant ce même
exercice. Le bénéfice par action fait l'objet d'un calcul très précis, l'analyste corrigeant le
résultat net part du groupe publié de l'impact des survaleurs et des opérations
exceptionnelles.
Trop souvent, le BPA est considéré comme le critère financier le plus important alors
qu'il peut être manipulé par certains choix multiples, recours à l'endettement, une fusion,
une acquisition. La progression du BPA n'est pas toujours synonyme de création de
valeur, son recul de destruction de valeur.
Besoins en Fonds de Roulement (BFR) : c’est le montant des capitaux nécessaires
pour faire face à l’ensemble des opérations d’exploitation. Il se calcule par la différence
entre les actifs d’exploitation et les passifs d’exploitation.
Bilan : document de synthèse décrivant séparément à la clôture de l’exercice, les
éléments actifs (emplois) et passifs (ressources) de l’entreprise.
C
Capitaux propres : c’est la principale ressource de l’entreprise puisqu’ils représentent la
mise de fonds des propriétaires de l’entreprise plus le cumul des résultats non distribués.
Ils représentent ainsi les intérêts des associés ou des actionnaires dans l’entreprise.
Cash-flow libre ou disponible ou Free Cash-Flow (FCF) : C’est la trésorerie
potentielle disponible, abstraction faite des décalages de trésorerie (créances et dettes),
pour assurer le paiement des apporteurs en capitaux (banques et actionnaires). Elle
s’entend donc après financement des investissements, hors coût de la dette financière,
et après impôt. On entend par investissement, la variation du besoin en fonds de
roulement (BFR) et les investissements bruts des immobilisations.
90
FCF = résultat économique net d’impôt (RE) + dotation aux amortissements - variation
du BFR - dépenses d’investissement. Avec RE = résultat d’exploitation + produits
financiers, (Jensen-1986).
CEO : Chief Executive Officer, terme anglo-saxon qui signifie directeur général
(Président Directeur Général = chairman).
Class action : c’est une action en justice intentée par une personne physique pour ellemême ainsi que pour les autres membres d’un groupe qu’elle définit elle-même.
Closing : terme anglais signifiant la fin d’une opération, ou dans le cadre d’une levée de
fonds par une société d’investissement, l’arrivée au terme du montant en souscription.
COB : Commission des Opérations en Bourse
Cross-default : Clause stipulant que tout cas de défaut constatée sur une autre dette
que celle de l’investisseur constitue un cas de défaut sur la dette de l’investisseur.
D
Defeasance : c’est une opération de désendettement de fait qui permet de compenser
une dette par une créance. Une entreprise possède une créance longue sur un tiers. Elle
a par ailleurs une dette envers un autre tiers. L’opération de defeasance consiste à
transférer à une entité tierce la créance et la dette, de sorte que les revenus obtenus de
la créance cédée permettent à cette entité tierce d’assurer le service de la dette.
E
EBIT : Earnings Before Interest, Taxes, solde intermédiaire de gestion anglo-saxon. Cf.
Résultat d’exploitation. L’EBIT est généralement inférieur à son équivalent en
comptabilité française du fait des différences entre normes américaines et normes
françaises.
EBITDA : Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization, solde
intermédiaire de gestion anglo-saxon. Cf. EBE. L’EBITDA est généralement inférieur à
son équivalent en comptabilité française du fait des différences entre normes
américaines et normes françaises.
Endettement net : L'endettement net, ou dette financière nette, d'une entreprise est le
solde de ses dettes financières d'une part, du disponible et des placements financiers
d'autre part. Ce solde représente la position créditrice ou débitrice de l'entreprise vis-àvis des tiers et hors cycle d'exploitation. C'est ce solde qui est utilisé dans le calcul de
l'effet de levier.
Excédent Brut d’Exploitation (EBE): il représente la ressource fondamentale que
l’entreprise obtient à partir de son exploitation, le cash qui permet de financer les
investissements et de rémunérer les prêteurs de capitaux. Il se calcule par la différence
entre les produits et les charges d’exploitation avant dépréciation et amortissement :
EBE = Production vendue + production stockée + production immobilisée –
consommation en provenance des tiers + Subventions d’exploitation – impôts et taxes –
charges de personnel.
F
Fonds commun de créances : c’est une structure ad hoc utilisée pour recevoir des
actifs d’une ou plusieurs entreprises et émettre en une seule fois des parts
représentatives des actifs acquis, en l’occurrence des titres de créance.
Fonds propres : ils sont constitués des capitaux permanents diminués des dettes à
moyen et long terme, des réserves et des provisions assimilées aux réserves. Les
capitaux permanents comprennent les capitaux propres et les dettes à long terme. Les
capitaux propres regroupent le capital social et la totalité des réserves. Le capital social
désigne l’ensemble des apports effectués par les propriétaires de l’entreprise
(actionnaires ou apporteurs de parts).
91
G
Goodwill ou survaleur : c’est un poste inscrit à l’actif du bilan d’une société mère. Il
résulte de la différence entre la valeur d’achat et la valeur comptable des fonds propres
de l’entreprise cible d’une Offre Publique d’Achat ou d’une Offre Publique d’Echange. Il
se calcule par la différence entre l’écart de consolidation (coût d’acquisition des titres des
sociétés achetés minoré de la quote-part de capitaux propres acquises de ces mêmes
sociétés) et l’écart d’évaluation (quote-part de plus-values acquises sur les actifs et
passifs de la société cible).
Gouvernement d’entreprise ou gouvernement de l’entreprise : organisation du
pouvoir au sein d’une société ou d’une entreprise visant à un équilibre entre les
instances de direction, les instance de contrôle et les actionnaires ou sociétaires. En
anglais, on parle de corporate governance.
H
Hedge funds : ce sont des fonds spéculatifs recherchant des rentabilités élevées et qui
utilisent abondamment les produits dérivés, en particuliers les options. Ils utilisent l’effet
de levier, c’est-à-dire la capacité à engager un volume de capitaux qui soit un multiple
plus ou moins grand de la valeur de leurs capitaux propres. Les hedge funds présentent
l’intérêt d’offrir une diversification supplémentaire aux portefeuilles « classiques » car
leurs résultats sont en théorie déconnectés des performances des marchés d’actions et
d’obligations.
Hubris ou Ubris : Les Grecs avaient coutume d’appeler hubris la folie des grandeurs
saisissant leurs héros, délire de démesure venu avec la gloire, ambition d’outrepasser
les limites de la condition humaine et de rejoindre celle des dieux.
L
Lease-back : il s’agit d’une opération de financement garantie par des actifs de la
société. La société cède le bien à une société de leasing en contrepartie du prix de
vente. La société de leasing lui loue ensuite le bien. Les loyers sont considérés comme
des engagements hors-bilan de crédit-bail pour la société cédante.
M
MEDAF : Modèle d’évaluation des actifs financiers : Taux de rentabilité exigé par un
investisseur = Taux de rendement du marché sans risque + Bêta (= coefficient de
sensibilité ou élasticité de l’action par rapport au marché qui mesure le risque non
diversifiable d’un actif) × Prime de risque du marché (= écart de rentabilité attendue
entre le marché dans sa totalité ou taux de rendement moyen du marché et l’actif sans
risque ou taux de rendement sans risque).
O
OCEANE : On parle d'OCEANE (obligation à option de conversion en actions nouvelles
ou en actions existantes) quand l'émetteur d'une obligation convertible peut remettre au
créditeur soit des nouvelles actions émises pour l'occasion, soit des actions existantes
qu'il détient en portefeuille, par exemple à la suite d'un rachat d'actions.
Oligopole : c’est un marché caractérisé par l'existence d'un petit nombre de vendeurs.
La concurrence s’établit entre des firmes qui ont un pouvoir de marché.
92
Dans un oligopole, chaque firme est capable d'identifier clairement ses concurrents et de
tenir compte de leur comportement quand elle prend ses décisions de quantités ou de
prix : il existe une certaine interdépendance entre les décisions des firmes. Cette
interdépendance correspond à l'existence des comportements stratégiques qui tiennent
compte des réactions des concurrents aux décisions de la firme. Ces comportements
peuvent conduire soit à des situations conflictuelles (non-coopératives), soit à des
situations de coopération entre les firmes. Les causes de l'oligopole sont proches de
celles du monopole et les causes institutionnelles ou les causes indirectes sont
parfaitement communes entre les deux situations. De manière générale, les situations
d'oligopole sont soutenues par des barrières à l'entrée qui découragent l'entrée de
nouveaux concurrents.
P
Pension livrée (« repurchase agreement ») : elle consiste en un prêt de cash garanti
par des titres. Le cédant (celui qui livre les titres à l’initiation du contrat) a besoin
d’espèces et détient des titres, ce qui lui permet d’obtenir un prêt du cessionnaire (celui
qui livre les espèces) à un taux plus avantageux que s’il n’avait pas la garantie des titres
à offrir. C’est une opération de règlement-livraison avec transfert de propriété.
Traitement comptable : Lorsque les modalités de la convention de prise en pension de
titres ne prévoient pas l’abandon du contrôle par le cédant des éléments d’actif cédés,
l'opération doit être comptabilisée comme une opération de financement par le cédant et
comme un prêt par le cessionnaire. Les titres doivent demeurer inscrits au bilan du
cédant et le produit doit être comptabilisé à titre d'élément de passif. Dans les rares cas
où les modalités de la convention de prise en pension de titres prévoient le transfert par
le cédant du contrôle des éléments d’actif cédés, l'opération doit être comptabilisée
comme une vente par le cédant et comme un achat par le cessionnaire. Les titres
doivent être supprimés du bilan du vendeur (le cédant) et la contrepartie doit être
considérée comme étant le produit de la vente.
Provision : c’est la partie des bénéfices non distribués par l’entreprise et destinée à des
charges d’exploitation probables ou certaines, mais dont le montant ne peut être
exactement déterminé. Lorsque l’entreprise crée une provision, elle effectue une dotation
aux provisions.
Q
Quérable : Adjectif qualifiant une dette, lorsque du fait du contrat ou d'une disposition
légale le créancier doit, pour en obtenir le paiement, se présenter au domicile de son
débiteur.
R
Ratio d'endettement : ratio calculé selon la formule suivante: (total du passif) / (total de
l'actif). Il s'agit d'un ratio de solvabilité qui indique la capacité de l'entreprise à
rembourser ses dettes à long terme et qui représente le montant des dettes existantes
par rapport à l'importance du capital. Plus le ratio est faible et plus l'entreprise est
solvable.
Recel (d’abus de biens sociaux) : Art. 321-1 du code pénal - c’est le fait de dissimuler,
de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la
transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit. Constitue
également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du
produit d'un crime ou d'un délit.
Rentabilité des capitaux propres ou Return On Equity (ROE) : la rentabilité des
capitaux propres, ou rentabilité financière, se mesure par le rapport résultat net/capitaux
93
propres. Elle est égale à la somme de la rentabilité économique et de l'effet de levier.
L'analyse de la rentabilité des capitaux propres doit donc séparer nettement ces deux
composantes. En effet, si le recours à l'endettement peut permettre d'obtenir une
rentabilité des capitaux propres nettement supérieure à la rentabilité économique, il fait
aussi peser un risque financier plus lourd sur les actionnaires, dont l'exigence de
rentabilité croît d'autant. Sur le long terme, seule une rentabilité économique élevée peut
donc permettre de créer de la valeur pour les actionnaires.
Résultat d’exploitation : il est également appelé résultat économique ou résultat
opérationnel. C’est l’un des indicateurs clés de la rentabilité. Il exclut les éléments
exceptionnels et financiers pour ne refléter que le profit engendré par l’activité
économique. Son calcul : Production vendue + production stockée + production
immobilisée – consommation en provenance des tiers + Subventions d’exploitation –
impôts et taxes – charges de personnel + Reprises sur provisions et transfert de charges
+ autres produits – dotations aux provisions – dotations aux amortissements – autres
charges.
S
Security Exchange Commission (SEC) : Créée en 1934, cet organisme fédéral
américain est chargé de faire appliquer la réglementation sur les marchés de valeurs
mobilières.
Société ad hoc : une société écran ou special purpose entity (SPE) est une structure
distincte, créée spécifiquement pour gérer une opération ou un groupe d’opérations
similaires pour le compte d’une entreprise. L’entité ad hoc est structurée ou organisée de
manière telle que son activité n’est en fait exercée que pour le compte de cette
entreprise, par mise à disposition d’actifs ou fourniture de biens, de services ou de
capitaux.
Stock-option : c’est le droit attribué aux hauts responsables d’entreprise d’acquérir les
titres de leurs entreprises à un prix fixé d’avance, pendant une période déterminée.
Le terme désigne en fait deux types d’options : les options de souscription d’actions
d’une part, et les options d’achat d’actions d’autre part. Parce qu’elles donnent lieu à la
création d’actions nouvelles lorsqu’elles sont exercées, les options de souscription
d’actions ont un effet dilutif potentiel pour les actionnaires. La dilution du capital est
évidemment susceptible d’atteindre des proportions importantes si le nombre d’options
de souscription attribuées est élevé : c’est le phénomène qui a été observé plus
particulièrement dans de nombreuses sociétés américaines ou encore dans des « start
up ». A l’opposé, les options d’achat d’actions n’engendrent pas de dilution du capital
dans la mesure où elles donnent droit qu’à des actions existantes mais peuvent
engendrer un gain ou une perte pour la société au moment de la levée de l’option. Les
grandes sociétés françaises ont recours de plus en plus souvent à la formule des options
d’achat de préférence à celle des options de souscription pour éviter l’effet dilutif indiqué.
La valeur d’une option, tant qu’elle n’est pas exercée, est estimée via la méthode de
Black & Scholes qui se fonde sur la différence entre le prix d’exercice des options (qui
est connu) et le cours de l’action au moment où l’option commence à pouvoir être
exercée (qui est estimé). Pour évaluer ce cours, la volatilité du cours (moyenne des
évolutions quotidiennes du cours sur une période de 1 ou 2 ans) est prolongée selon une
loi de probabilité sur la durée de blocage des options.
T
Titrisation : c’est une opération par laquelle une société cède des actifs à un fonds
commun de créances qui se refinance sur le marché en émettant des titres négociables.
Total return equity swap : Swap de rendement total, est un contrat par lequel une
contrepartie s’engage à verser (ou recevoir) régulièrement les flux de coupons et les
94
variations entre les cours de compensation et le cours négocié à l’achat d’une obligation
risquée (« mark to market »), contre le paiement d’un taux de référence variable (Ex :
Euribor, taux interbancaire offert en Europe) accrue d’une marge (« spread »). Le
gestionnaire obligataire qui paie le swap, (c’est celui qui verse les flux d’intérêts et le
mark to market) abandonne simultanément le risque de marché et le risque de crédit.
95
Bibliographie
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E. Genaivre, enseignement de la gouvernance d’entreprise.
M. L. Quéré, enseignement de la comptabilité des affaires.
L. Batsch, Le recentrage : une revue. Centre de Recherche sur la Gestion - Université
Paris-Dauphine.
G. CHARREAUX, Le gouvernement des entreprises : Corporate governance, théories et
faits.
J.M. Manceau, Conséquence de la non fiabilité des informations comptables sur les
pratiques d'investissement.
Rapport du groupe de travail : Association Française des Entreprises Privées et Conseil
National du Patronat Français (1995), Le Conseil d’administration des sociétés cotées.
Rapport du groupe de travail : Association Française des Entreprises Privées et
Mouvement des Entreprises de France (1999), Le gouvernement d’entreprise.
Organisation de Coopération et de Développement Economiques (1999), Principes de
l’OCDE relatifs au gouvernement d’entreprise.
Rapport du groupe de travail : Association Française des Entreprises Privées et
Mouvement des Entreprises de France (2002), Pour un meilleur gouvernement des
entreprises cotées.
Articles et dossiers de journaux et de revues :
Les Echos
Le Monde
La Tribune
L’Express
Libération
Le Nouvel Observateur
Challenges
L’Humanité
Netographie :
www.vernimmen.net
www.france.attac.org
www.journaldunet.com
www.zdnet.fr
www.plan.gouv.fr, M. Clément (2002), Mission d’information sur la réforme du droit des
sociétés.
www.yahoofinance.fr
www.amf-france.org
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