Enn il prévient clairement que légaliser
l’euthanasie ferait « basculer la méde-
cine du devoir universel d’humanité de
soins d’accompagnement à une action si
contestée d’un point de vue universel ». Il
insiste : « tout déplacement d’un interdit
crée d’autres situations limites, toujours
imprévues initialement et susceptibles de
demandes réitérées de nouvelles lois ».
Ainsi en Belgique depuis que l’Etat autorise
l’euthanasie (2002), déjà 25 projets d’exten-
sion ont été présentés (pour les mineurs, les
personnes atteintes d’Alzheimer…).
Le point de vue des professionnels
L’euthanasie n’est pas un acte médical
Louis Puybasset, anesthésiste réanima-
teur, chef de service de neuroréanimation
chirurgicale à la Pitié-Salpêtrière et auteur
du livre « euthanasie, le débat tronqué »,
rappelle avec force que l’euthanasie est en
totale contradiction avec la médecine : « ce
n’est pas un traitement d’arrêter le cœur de
quelqu’un ». Il n’y a d’ailleurs pas besoin de
médecin pour se tuer précise-t-il. Il identie
l’euthanasie, le droit à la mort, comme un
problème sociétal qui n’a rien de médical, et
arme que les médecins ne sont pas «des
exécutants de la volonté politique». R. Aubry
quant à lui souligne que cette médicalisa-
tion excessive de la n de vie est due à la
solitude, à ce manque de solidarité familiale
ainsi qu’à un problème économique. Didier
Sicard se dit surpris que la société ait pen-
dant des années délégué la mort à la méde-
cine, et soudainement souhaite aujourd’hui
imposer sa vision.
Ce qui concerne la médecine insiste L. Puy-
basset c’est la n de vie, et l’équilibre qui
est à trouver entre le fait de considérer les
vulnérables comme des personnes qui ont
quelque chose à dire, et le fait de ne pas en
venir non plus à créer un handicap de toute
pièce : « La responsabilité de la médecine
est de ne pas créer des situations invraisem-
blables ».
En outre rappelle Vincent Morel, président
de la SFAP, légaliser l’euthanasie créerait
des situations complexes pour associer la
démarche palliative et l’éventualité de don-
ner la mort. Pour lui légiférer n’est pas la ré-
ponse adaptée à la demande des patients,
car la loi Léonetti y répond déjà ; la demande
d’euthanasie d’un patient qui soure est
en réalité « due à notre incompétence »
médicale. Car aujourd’hui on sait traiter la
douleur. Mais la sourance, elle, est multi-
factorielle, comme le précise un pédiatre de
Marseille, et il faut donc prendre le temps de
l’accompagner dans toutes ses dimensions.
Les contradictions juridiques
Le député Jean Léonetti, qui a introduit
le colloque, souligne la folie française
du vide juridique. Ceux qui souhaitent
légaliser l’euthanasie expriment en eet
que la loi de 2005 ne couvre pas tous les
problèmes.
J. Léonetti s’interroge alors sur la rareté
éventuelle de ces situations : « faut-il
une loi pour chaque individu, ou une loi
commune avec des valeurs qui peuvent
s’adapter à chaque cas ? La société doit-
elle appuyer la volonté de chaque indi-
vidu ? ». Pour des situations exception-
nelles, la loi ne peut intervenir explique
Maître Jeanson, citant Robert Badinter :
«créer une législation pour des cas excep-
tionnels n’est pas la bonne façon de les ré-
soudre». C’est l’avis du professeur Sicard
qui « refuse de faire des lois pour 1,4% des
Français ». C’est donc le rôle du pouvoir
judiciaire d’analyser les exceptions au
cas par cas, non au pouvoir législatif.
J. Léonetti envisage alors plus de sou-
plesse judiciaire pour des situations d’eu-
thanasies exceptionnelles.
A son tour, Xavier Labbé, avocat et pro-
fesseur de droit, explique que légaliser
sur l’euthanasie ou le suicide assisté
signierait revoir tout notre droit. Il met
le doigt sur les dicultés juridiques et
pratiques que cela créerait. Le suicide
assisté contreviendrait à l’interdiction de
la provocation au suicide, le seul consen-
tement de la victime ne pouvant jamais
eacer la culpabilité. La distinction entre
l’aide et la provocation au suicide serait
alors impossible à établir. Il contrevien-
drait aussi à la non-assistance à per-
sonne en danger : «comment aider à se
suicider si la loi nous incombe de sau-
ver la personne en danger ». Cela crée-
rait de graves problèmes aux urgences
aussi, puisqu’il y aurait des personnes
suicidées qui devront être réanimées, et
d’autres non.
Enn, le professeur Sapin, professeur en
néonatologie et chef de service en chirur-
gie pédiatrique, prévient des consé-
quences inéluctables qu’ouvrira la léga-
lisation de l’euthanasie quant aux pour-
suites des médecins. Cela engendrera
une inversion du principe de précaution
qui a permis pendant tant d’années les
progrès de la médecine.
La nécessité de débattre
Comme le suggère le rapport Sicard, la
plupart des intervenants demandent un
débat ociel sur la n de vie. L. Puybasset
se dit choqué que la loi sur l’euthanasie
soit prévue pour le mois de juin 2013, et
qu’il n’y ait toujours pas eu de consul-
tation des professionnels, alors même
qu’ils sont les premiers concernés.
De même, Régis Aubry exprime l’urgence
de débattre, et « certainement pas la pré-
cipitation à légiférer » : « Il faut débattre
sur le rapport à la vulnérabilité, à l’alté-
rité, et à la singularité » qui se retrouvent
au moment de la mort. Il met en doute le
rapport à la transgression que la société
voudrait développer.
L’influence des médias
Le professeur Sapin, dénonce l’attitude
d’une société influencée par les médias.
Le docteur Puybasset, ajoute que les si-
tuations exceptionnelles qui mobilisent
l’opinion publique sont le résultat de réels
acharnements thérapeutiques: « ces ma-
lades auraient été morts s’ils n’avaient
pas été réanimés ».
Le véritable problème se trouve donc en
réanimation. Tout comme en néonatolo-
gie, où la réanimation d’attente peut en-
trainer « la survie conditionnelle » d’un
enfant qui serait décédé en son absence
et qui pose de réelles dicultés de déci-
sions.
Les multiples idées pour la n de vie
Les intervenants ont relevé plusieurs
idées pour mieux prendre en compte la
n de vie, sans émettre la nécessité de
légaliser l’euthanasie. Il y a beaucoup
d’autres choses à parfaire pour modier
le paysage de la n de vie. Didier Sicard
parle notamment de l’accompagnement
de la mort à domicile, Vincent Morel de
la procédure collégiale dans les déci-
sions de n de vie, Louis Puybasset de
réguler la tarication à l’activité (la T2A)
qui prive d’accompagnement humain, ou
encore de mettre en place un plan coma
par exemple, Jean Léonetti d’envisager
une directive pour les magistrats, ou plus
fondamentalement comme le souligne
Régis Aubry repenser notre rapport à la
vulnérabilité.
Le rapport Sicard donne lui aussi des
propositions d’actions multiples. Ceci
permettrait de répondre aux dicultés
de la n de vie, alors que la légalisation
de l’euthanasie les éludera, et rajoutera
de nouvelles dicultés.