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Lettre d’inf ormation et d’analyse sur l’actualité bioéthiq u e
n°152 : février 2013
Colloque Fin de vie, et si on en parlait vraiment :
l’essentiel des débats
Les ateliers de la bioéthique, en partenariat avec Gènéthique et l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV) ont organisé un colloque
au palais Bourbon le 1er février 2013 sur le thème Fin de vie : et si on en parlait vraiment ! Cette journée a réuni des professionnels de
santé de diverses spécialités, tous concernés par la fin de vie, des juristes, et des présidents de sociétés de sondage. L’état des lieux sur
la fin de vie en France et leurs expériences les ont amenés très majoritairement à affirmer leur désaccord, et leur crainte quant au souhait
du gouvernement de légaliser l’euthanasie.
La fin de vie en France
Les chiffres La mort est devenue tabou : notre société
est marquée par « l’esquive de la mort »1.
Nicolas Brouard, directeur de recherche
de l’INED, observe qu’on meurt 4 fois
moins aujourd’hui qu’au 18ème siècle, ce
qui se traduit par un vieillissement massif de la population et une médicalisation
de la fin de vie excessive. La France est
d’ailleurs championne d’Europe de la médicalisation de la fin de vie précise Régis
Aubry, président de l’ONFV.
L’enquête européenne EURELD, présentée par Nicolas Brouard, dresse un état
des lieux de la mort : en 2010, la France
compte 550 000 décès dont 17% de décès soudains, 23,2 % de décès après une
décision médicale prise sans considérer
qu’elle pourrait hâter la mort, et 47,7% de
décès après une décision médicale dont
on savait qu’elle pourrait potentiellement
hâter la mort. Dans ces 47,7% on compte
28,1% de décès après une décision médicale de traitement de la douleur, 18,8%
de décès après décision d’arrêt de traitement, et 3,1% de décès après décision
volontaire de hâter la mort dont 0,6% à la
demande du patient, et 2,5% sans la demande du patient.
Le droit La loi du 4 mars 2002 relative aux droits
des malades et à la qualité du système
de santé, dite « loi Kouchner » qui renforce le droit du malade à s’opposer à un
traitement (institué en 1999) et consolide
le droit aux soins palliatifs.
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits
des malades et à la fin de vie, dite « loi
Léonetti », présentée par le docteur Michèle Salamagne, ancienne présidente
de la Société française d’accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP). Elle
rappelle que cette loi refuse catégoriquement l’obstination déraisonnable,
et reconnaît un droit pour tout malade à
s’abstenir ou à arrêter ses traitements.
Elle propose aussi, les directives anticipées, trop peu utilisées en France, qui
permettent d’inscrire la volonté de la personne en fin de vie. Enfin, elle prévoit la
sédation en phase terminale pour cause
de détresse, et le double effet.
L’homicide volontaire, la provocation au
suicide, et la non-assistance à personne
en danger sont condamnés.
La Cour européenne des droits de l’homme a rappelé (affaire Pretty c/RU) que le
droit à la vie ne saurait reconnaître un
droit diamétralement opposé que serait
le droit à la mort.
L’opinion
Les sondages « pour » ou « contre » l’euthanasie diffèrent selon les sociétés de
sondage, en fonction de la manière dont
est posée la question. De tels chiffres sont
donc difficilement exploitables pour réussir réellement à donner le point de vue de
la population française sur la fin de vie.
En revanche, dans tous les sondages, on
retrouve la même ignorance sur la réalité
de la fin de vie en France aujourd’hui. C’est
ainsi que 68% des personnes interrogées
ignorent qu’une loi interdit l’obstination
déraisonnable2, ou que 54 % d’entre elles
considèrent que le point le plus important
à améliorer est la possibilité de stopper
l’acharnement thérapeutique2.
Ou encore, 48% des interviewés pensent
qu’il n’est pas vrai que la loi autorise les
patients à demander aux médecins l’arrêt
de tous les traitements qui les maintiennent en vie3.
Mme Marie-José Forissier, président directeur général de la société d’études Sociovision admet que la perspective de la souffrance, en particulier morale, le désarroi des
proches devant elle, la crainte de l’acharnement thérapeutique (qui révèle une méconnaissance de la loi Leonetti), fait apparaître
l’euthanasie comme un « recours par défaut ».
Faut-il légaliser l’euthanasie ou le
suicide assisté ?
Le rapport Sicard
Le rapport Sicard exprime que la loi Léonetti
est en réalité mal connue et mal appliquée alors qu’elle répond à la majorité
des situations de fin de vie. Il préconise
donc de ne pas prendre de nouvelles dispositions législatives en urgence.
Cependant il dresse des recommandations à respecter si l’assistance au suicide était légalisée pour des cas exceptionnels, telle que la collégialité, la présence du médecin au moment « du geste
et de l’agonie »…
1. Rapport Sicard 2012 ; 2. Sociovision mastering a changing world enquête 2012-2013 sur 2000 personnes interviewées ; 3. TNS Sofres-Ministère de la santé, réalisé du 23 au 16 novembre 2012 sur
1000 personnes.
Enfin il prévient clairement que légaliser
l’euthanasie ferait « basculer la médecine du devoir universel d’humanité de
soins d’accompagnement à une action si
contestée d’un point de vue universel ». Il
insiste : « tout déplacement d’un interdit
crée d’autres situations limites, toujours
imprévues initialement et susceptibles de
demandes réitérées de nouvelles lois ».
Ainsi en Belgique depuis que l’Etat autorise
l’euthanasie (2002), déjà 25 projets d’extension ont été présentés (pour les mineurs, les
personnes atteintes d’Alzheimer…).
Le point de vue des professionnels
 L’euthanasie n’est pas un acte médical
Louis Puybasset, anesthésiste réanimateur, chef de service de neuroréanimation
chirurgicale à la Pitié-Salpêtrière et auteur
du livre « euthanasie, le débat tronqué »,
rappelle avec force que l’euthanasie est en
totale contradiction avec la médecine : « ce
n’est pas un traitement d’arrêter le cœur de
quelqu’un ». Il n’y a d’ailleurs pas besoin de
médecin pour se tuer précise-t-il. Il identifie
l’euthanasie, le droit à la mort, comme un
problème sociétal qui n’a rien de médical, et
affirme que les médecins ne sont pas « des
exécutants de la volonté politique ». R. Aubry
quant à lui souligne que cette médicalisation excessive de la fin de vie est due à la
solitude, à ce manque de solidarité familiale
ainsi qu’à un problème économique. Didier
Sicard se dit surpris que la société ait pendant des années délégué la mort à la médecine, et soudainement souhaite aujourd’hui
imposer sa vision.
Ce qui concerne la médecine insiste L. Puybasset c’est la fin de vie, et l’équilibre qui
est à trouver entre le fait de considérer les
vulnérables comme des personnes qui ont
quelque chose à dire, et le fait de ne pas en
venir non plus à créer un handicap de toute
pièce : « La responsabilité de la médecine
est de ne pas créer des situations invraisemblables ».
En outre rappelle Vincent Morel, président
de la SFAP, légaliser l’euthanasie créerait
des situations complexes pour associer la
démarche palliative et l’éventualité de donner la mort. Pour lui légiférer n’est pas la réponse adaptée à la demande des patients,
car la loi Léonetti y répond déjà ; la demande
d’euthanasie d’un patient qui souffre est
en réalité « due à notre incompétence »
médicale. Car aujourd’hui on sait traiter la
douleur. Mais la souffrance, elle, est multifactorielle, comme le précise un pédiatre de
Marseille, et il faut donc prendre le temps de
l’accompagner dans toutes ses dimensions.
 Les contradictions juridiques
Le député Jean Léonetti, qui a introduit
le colloque, souligne la folie française
du vide juridique. Ceux qui souhaitent
légaliser l’euthanasie expriment en effet
que la loi de 2005 ne couvre pas tous les
problèmes.
J. Léonetti s’interroge alors sur la rareté
éventuelle de ces situations : « faut-il
une loi pour chaque individu, ou une loi
commune avec des valeurs qui peuvent
s’adapter à chaque cas ? La société doitelle appuyer la volonté de chaque individu ? ». Pour des situations exceptionnelles, la loi ne peut intervenir explique
Maître Jeanson, citant Robert Badinter :
« créer une législation pour des cas exceptionnels n’est pas la bonne façon de les résoudre ». C’est l’avis du professeur Sicard
qui « refuse de faire des lois pour 1,4% des
Français ». C’est donc le rôle du pouvoir
judiciaire d’analyser les exceptions au
cas par cas, non au pouvoir législatif.
J. Léonetti envisage alors plus de souplesse judiciaire pour des situations d’euthanasies exceptionnelles.
A son tour, Xavier Labbé, avocat et professeur de droit, explique que légaliser
sur l’euthanasie ou le suicide assisté
signifierait revoir tout notre droit. Il met
le doigt sur les difficultés juridiques et
pratiques que cela créerait. Le suicide
assisté contreviendrait à l’interdiction de
la provocation au suicide, le seul consentement de la victime ne pouvant jamais
effacer la culpabilité. La distinction entre
l’aide et la provocation au suicide serait
alors impossible à établir. Il contreviendrait aussi à la non-assistance à personne en danger : « comment aider à se
suicider si la loi nous incombe de sauver la personne en danger ». Cela créerait de graves problèmes aux urgences
aussi, puisqu’il y aurait des personnes
suicidées qui devront être réanimées, et
d’autres non.
Enfin, le professeur Sapin, professeur en
néonatologie et chef de service en chirurgie pédiatrique, prévient des conséquences inéluctables qu’ouvrira la légalisation de l’euthanasie quant aux poursuites des médecins. Cela engendrera
une inversion du principe de précaution
qui a permis pendant tant d’années les
progrès de la médecine.
 La nécessité de débattre
Comme le suggère le rapport Sicard, la
plupart des intervenants demandent un
débat officiel sur la fin de vie. L. Puybasset
se dit choqué que la loi sur l’euthanasie
soit prévue pour le mois de juin 2013, et
qu’il n’y ait toujours pas eu de consultation des professionnels, alors même
qu’ils sont les premiers concernés.
De même, Régis Aubry exprime l’urgence
de débattre, et « certainement pas la précipitation à légiférer » : « Il faut débattre
sur le rapport à la vulnérabilité, à l’altérité, et à la singularité » qui se retrouvent
au moment de la mort. Il met en doute le
rapport à la transgression que la société
voudrait développer.
 L’influence des médias
Le professeur Sapin, dénonce l’attitude
d’une société influencée par les médias.
Le docteur Puybasset, ajoute que les situations exceptionnelles qui mobilisent
l’opinion publique sont le résultat de réels
acharnements thérapeutiques : « ces malades auraient été morts s’ils n’avaient
pas été réanimés ».
Le véritable problème se trouve donc en
réanimation. Tout comme en néonatologie, où la réanimation d’attente peut entrainer « la survie conditionnelle » d’un
enfant qui serait décédé en son absence
et qui pose de réelles difficultés de décisions.
 Les multiples idées pour la fin de vie
Les intervenants ont relevé plusieurs
idées pour mieux prendre en compte la
fin de vie, sans émettre la nécessité de
légaliser l’euthanasie. Il y a beaucoup
d’autres choses à parfaire pour modifier
le paysage de la fin de vie. Didier Sicard
parle notamment de l’accompagnement
de la mort à domicile, Vincent Morel de
la procédure collégiale dans les décisions de fin de vie, Louis Puybasset de
réguler la tarification à l’activité (la T2A)
qui prive d’accompagnement humain, ou
encore de mettre en place un plan coma
par exemple, Jean Léonetti d’envisager
une directive pour les magistrats, ou plus
fondamentalement comme le souligne
Régis Aubry repenser notre rapport à la
vulnérabilité.
Le rapport Sicard donne lui aussi des
propositions d’actions multiples. Ceci
permettrait de répondre aux difficultés
de la fin de vie, alors que la légalisation
de l’euthanasie les éludera, et rajoutera
de nouvelles difficultés.
La question du prélèvement d’organes sur donneurs
décédés après arrêt cardiaque contrôlé
A l’occasion du 41ème congrès international de la société de réanimation de langue française, l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sous l’impulsion de l’Agence de Biomédecine (ABM) a organisé le 7 février 2013 une audition sur le
prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé. La France permet déjà le prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque non contrôlé, le prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé pose
une réelle question éthique.
Les greffes en France « La première cause de mortalité en
France liée à une greffe n’est pas une
complication médicale ni un rejet mais
l’absence de greffe » (Jean-Louis Touraine vice président de l’OPECST).
La France manque de donneurs d’organes, et les patients inscrits sur les
listes d’attente ne cessent d’augmenter.
En 2011 on comptait 12 329 patients en
attente pour une greffe de reins (30% de
plus en cinq ans) et 2976 greffes de reins
réalisées. Une piste proposée pour permettre plus de greffes est le prélèvement
d’organe sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé.
Le protocole de Maastricht Le protocole de Maastricht, établi en
1995 lors d’une conférence internationale de consensus, règlemente quatre
catégories de donneurs à cœur arrêté. La
France les a toutes adoptées, sauf la catégorie III qui donne lieu à trop de d’ambigüités éthiques.
La première catégorie concerne les personnes décédées avant même d’arriver
à l’hôpital et qui n’ont pas bénéficié de
réanimation.
La seconde concerne les personnes décédées par arrêt cardiaque à l’hôpital, et
dont la réanimation a échoué. La catégorie IV concerne les personnes décédées
par mort encéphalique et dont le prélèvement d’organes peut alors être planifié.
Enfin la catégorie III ou M3 intitulée
« dans l’attente d’un arrêt cardiaque »
fait débat. Cette catégorie concerne des
personnes vivantes, qui présentent un
« problème neurologique majeur » et
dont le pronostic vital est si mauvais que
l’on décide d’arrêter tout traitement.
L’arrêt cardiaque est alors contrôlé, et le
prélèvement d’organes planifié.
Un risque d’euthanasie « altruiste ».
Dans ce dernier cas, alors que la personne est vivante, elle est déjà perçue
comme « donneur potentiel ». Dans ce
cas les traitements sont arrêtés volontairement en sachant que cela provoquera
un arrêt cardiaque. La question éthique
qui se pose pourrait relever de l’euthanasie. Réglementer une telle catégorie de
donneurs décédés après arrêt cardiaque
dit « contrôlé » alors qu’ils sont encore vivants au moment de la décision médicale
ne s’apparenterait-elle pas à une sorte
d’ « euthanasie altruiste » ?
Certes, l’encadrement actuel rassure certains. Emmanuelle Prada Bordenave, directrice de l’ABM considère ainsi que le
fait que réanimateurs et transplanteurs
ne fassent pas partie des mêmes équipes
garantit une différenciation nette entre
la fin de vie et le don d’organes. Ou encore parce que la loi Léonetti doit être
respectée, et avec elle la fin de vie. Et
puis, le consentement des proches obligerait à penser les choses l’une après
l’autre. Cependant une telle catégorie de donneurs, même si elle tente de respecter
une vraie différence entre la fin de vie
et le don d’organe, ne fait-elle pas entrer un critère de jugement sur l’état de
la personne ? En effet, l’arrêt cardiaque
est provoqué lorsque le « pronostic est si
mauvais ». L’évaluation de la qualité de
vie de l’autre n’entrerait-elle pas en jeu,
et le subjectivisme avec lui ?
En outre, le docteur Louis Puybasset,
anesthésiste réanimateur, chef de service de neuroréanimation chirurgicale
à la Pitié-Salpêtrière, présent à cette
audition, relève le problème de la temporalité dans laquelle se trouveront les
équipes médicales. En effet, « si l’on arrête les soins trop tôt chez cette catégorie
de personnes, les organes seront en très
bon état, mais le pronostic neurologique
incertain. En revanche si l’on prend une
décision plus tardive, le pronostic sera
meilleur, mais le greffon risque de ne pas
être bon ».
Ainsi, même différenciées, les décisions
d’arrêt de traitement et de don d’organes
sont profondément liées, d’où le danger
de hâter la mort en vue d’un prélèvement
d’organe le meilleur possible. Le représentant de la société de réanimation
de langue française confirme que cette
catégorie 3 est une « pente glissante »,
et qu’il faudra être particulièrement vigilant à ne pas instrumentaliser le mourant
comme un donneur, ce qui ne pourra se
faire sans le respect à la lettre de la loi
Léonetti.
La question risque de se poser de manière plus aigue si la loi Léonetti devient
obsolète, et si l’euthanasie, comme le
souhaite le gouvernement est légalisée.
L’automaticité de la fin de vie se fera plus
prégnante, et la programmation des dons
d’organes sur donneurs décédés après
arrêt cardiaque contrôlé encore plus discutable. L’intégration de cette catégorie
de donneurs dans la pratique pourrait
se faire par la simple voie règlementaire.
Certains parlementaires, comme JeanSébastien Vialatte, y sont favorables.
Une telle question nécessiterait pourtant
un débat public institutionnel.
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15
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Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Lucie Pacherie - Imprimerie : PRD S.A.R.L. - N° ISSN 1627.498
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