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La n de vie en France
Les chires
La mort est devenue tabou : notre société
est marquée par « l’esquive de la mort »1.
Nicolas Brouard, directeur de recherche
de l’INED, observe qu’on meurt 4 fois
moins aujourd’hui qu’au 18ème siècle, ce
qui se traduit par un vieillissement mas-
sif de la population et une médicalisation
de la n de vie excessive. La France est
d’ailleurs championne d’Europe de la mé-
dicalisation de la n de vie précise Régis
Aubry, président de l’ONFV.
L’enquête européenne EURELD, présen-
tée par Nicolas Brouard, dresse un état
des lieux de la mort : en 2010, la France
compte 550 000 décès dont 17% de dé-
cès soudains, 23,2 % de décès après une
décision médicale prise sans considérer
qu’elle pourrait hâter la mort, et 47,7% de
décès après une décision médicale dont
on savait qu’elle pourrait potentiellement
hâter la mort. Dans ces 47,7% on compte
28,1% de décès après une décision mé-
dicale de traitement de la douleur, 18,8%
de décès après décision d’arrêt de trai-
tement, et 3,1% de décès après décision
volontaire de hâter la mort dont 0,6% à la
demande du patient, et 2,5% sans la de-
mande du patient.
Le droit
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits
des malades et à la qualité du système
de santé, dite «loi Kouchner» qui ren-
force le droit du malade à s’opposer à un
traitement (institué en 1999) et consolide
le droit aux soins palliatifs.
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits
des malades et à la n de vie, dite «loi
Léonetti», présentée par le docteur Mi-
chèle Salamagne, ancienne présidente
de la Société française d’accompagne-
ment et de soins Palliatifs (SFAP). Elle
rappelle que cette loi refuse catégori-
quement l’obstination déraisonnable,
et reconnaît un droit pour tout malade à
s’abstenir ou à arrêter ses traitements.
Elle propose aussi, les directives antici-
pées, trop peu utilisées en France, qui
permettent d’inscrire la volonté de la per-
sonne en n de vie. Enn, elle prévoit la
sédation en phase terminale pour cause
de détresse, et le double eet.
L’homicide volontaire, la provocation au
suicide, et la non-assistance à personne
en danger sont condamnés.
La Cour européenne des droits de l’hom-
me a rappelé (aaire Pretty c/RU) que le
droit à la vie ne saurait reconnaître un
droit diamétralement opposé que serait
le droit à la mort.
Lopinion
Les sondages « pour » ou « contre » l’eu-
thanasie dièrent selon les socs de
sondage, en fonction de la manière dont
est posée la question. De tels chires sont
donc dicilement exploitables pour réus-
sir réellement à donner le point de vue de
la population fraaise sur la n de vie.
En revanche, dans tous les sondages, on
retrouve la même ignorance sur la alité
de la n de vie en France aujourd’hui. C’est
ainsi que 68% des personnes interrogées
ignorent qu’une loi interdit l’obstination
déraisonnable2, ou que 54 % d’entre elles
considèrent que le point le plus important
à aliorer est la possibilité de stopper
l’acharnement thérapeutique2.
Ou encore, 48% des intervies pensent
qu’il n’est pas vrai que la loi autorise les
patients à demander aux decins l’arrêt
de tous les traitements qui les maintien-
nent en vie3.
Mme Marie-José Forissier, président direc-
teur géral de la socté d’études Socio-
vision admet que la perspective de la souf-
france, en particulier morale, le désarroi des
proches devant elle, la crainte de l’acharne-
ment thérapeutique (qui le une con-
naissance de la loi Leonetti), fait appartre
leuthanasie comme un « recours par-
faut».
Faut-il légaliser leuthanasie ou le
suicide assisté ?
Le rapport Sicard
Le rapport Sicard exprime que la loi onetti
est en réalité mal connue et mal appli-
quée alors qu’elle répond à la majorité
des situations de n de vie. Il préconise
donc de ne pas prendre de nouvelles dis-
positions législatives en urgence.
Cependant il dresse des recommanda-
tions à respecter si l’assistance au sui-
cide était légalisée pour des cas excep-
tionnels, telle que la collégialité, la pré-
sence du médecin au moment « du geste
et de l’agonie »
Colloque Fin de vie, et si on en parlait vraiment :
lessentiel des débats
°152 :  2013
Les ateliers de la bioéthique, en partenariat avec Gènéthique et l’Observatoire national de la n de vie (ONFV) ont organisé un colloque
au palais Bourbon le 1er février 2013 sur le thème Fin de vie : et si on en parlait vraiment ! Cette journée a réuni des professionnels de
santé de diverses spécialités, tous concernés par la n de vie, des juristes, et des présidents de sociétés de sondage. L’état des lieux sur
la n de vie en France et leurs expériences les ont amenés très majoritairement à armer leur désaccord, et leur crainte quant au souhait
du gouvernement de légaliser l’euthanasie.
1. Rapport Sicard 2012 ; 2. Sociovision mastering a changing world enquête 2012-2013 sur 2000 personnes interviewées ; 3. TNS Sofres-Ministère de la santé, alisé du 23 au 16 novembre 2012 sur
1000 personnes.
Enn il prévient clairement que légaliser
l’euthanasie ferait « basculer la méde-
cine du devoir universel d’humanité de
soins d’accompagnement à une action si
contestée d’un point de vue universel ». Il
insiste : « tout déplacement d’un interdit
crée d’autres situations limites, toujours
imprévues initialement et susceptibles de
demandes réitérées de nouvelles lois ».
Ainsi en Belgique depuis que lEtat autorise
leuthanasie (2002), déjà 25 projets dexten-
sion ont été présentés (pour les mineurs, les
personnes atteintes dAlzheimer…).
Le point de vue des professionnels
L’euthanasie n’est pas un acte médical
Louis Puybasset, anesthésiste réanima-
teur, chef de service de neuroréanimation
chirurgicale à la Pitié-Salpêtrre et auteur
du livre « euthanasie, le bat tronqué »,
rappelle avec force que l’euthanasie est en
totale contradiction avec la decine : « ce
nest pas un traitement d’arter le ur de
quelquun ». Il ny a dailleurs pas besoin de
médecin pour se tuer précise-t-il. Il identie
leuthanasie, le droit à la mort, comme un
probme sociétal qui n’a rien de dical, et
arme que les médecins ne sont pas «des
exécutants de la volonté politique». R. Aubry
quant à lui souligne que cette dicalisa-
tion excessive de la n de vie est due à la
solitude, à ce manque de solidarité familiale
ainsi quà un probme économique. Didier
Sicard se dit surpris que la société ait pen-
dant des années délégué la mort à lade-
cine, et soudainement souhaite aujourd’hui
imposer sa vision.
Ce qui concerne la decine insiste L. Puy-
basset c’est la n de vie, et l’équilibre qui
est à trouver entre le fait de considérer les
vulnérables comme des personnes qui ont
quelque chose à dire, et le fait de ne pas en
venir non plus à cer un handicap de toute
pièce : « La responsabilité de la decine
est de ne pas créer des situations invraisem-
blables ».
En outre rappelle Vincent Morel, président
de la SFAP,galiser leuthanasie cerait
des situations complexes pour associer la
démarche palliative et l’éventualité de don-
ner la mort. Pour luigiférer nest pas la ré-
ponse adaptée à la demande des patients,
car la loi Léonetti y répond déjà ; la demande
deuthanasie d’un patient qui soure est
en réalité « due à notre incompétence »
médicale. Car aujourd’hui on sait traiter la
douleur. Mais la sourance, elle, est multi-
factorielle, comme le précise undiatre de
Marseille, et il faut donc prendre le temps de
laccompagner dans toutes ses dimensions.
Les contradictions juridiques
Le député Jean Léonetti, qui a introduit
le colloque, souligne la folie française
du vide juridique. Ceux qui souhaitent
légaliser l’euthanasie expriment en eet
que la loi de 2005 ne couvre pas tous les
problèmes.
J. Léonetti s’interroge alors sur la rareté
éventuelle de ces situations : « faut-il
une loi pour chaque individu, ou une loi
commune avec des valeurs qui peuvent
s’adapter à chaque cas ? La société doit-
elle appuyer la volonté de chaque indi-
vidu ? ». Pour des situations exception-
nelles, la loi ne peut intervenir explique
Maître Jeanson, citant Robert Badinter :
«créer une législation pour des cas excep-
tionnels n’est pas la bonne façon de les ré-
soudre». C’est l’avis du professeur Sicard
qui « refuse de faire des lois pour 1,4% des
Français ». C’est donc le rôle du pouvoir
judiciaire d’analyser les exceptions au
cas par cas, non au pouvoir législatif.
J. Léonetti envisage alors plus de sou-
plesse judiciaire pour des situations d’eu-
thanasies exceptionnelles.
A son tour, Xavier Labbé, avocat et pro-
fesseur de droit, explique que légaliser
sur l’euthanasie ou le suicide assisté
signierait revoir tout notre droit. Il met
le doigt sur les dicultés juridiques et
pratiques que cela créerait. Le suicide
assisté contreviendrait à l’interdiction de
la provocation au suicide, le seul consen-
tement de la victime ne pouvant jamais
eacer la culpabilité. La distinction entre
l’aide et la provocation au suicide serait
alors impossible à établir. Il contrevien-
drait aussi à la non-assistance à per-
sonne en danger : «comment aider à se
suicider si la loi nous incombe de sau-
ver la personne en danger ». Cela crée-
rait de graves problèmes aux urgences
aussi, puisqu’il y aurait des personnes
suicidées qui devront être réanimées, et
d’autres non.
Enn, le professeur Sapin, professeur en
néonatologie et chef de service en chirur-
gie pédiatrique, prévient des consé-
quences inéluctables qu’ouvrira la léga-
lisation de l’euthanasie quant aux pour-
suites des médecins. Cela engendrera
une inversion du principe de précaution
qui a permis pendant tant d’années les
progrès de la médecine.
La nécessité de débattre
Comme le suggère le rapport Sicard, la
plupart des intervenants demandent un
débat ociel sur la n de vie. L. Puybasset
se dit choqué que la loi sur l’euthanasie
soit prévue pour le mois de juin 2013, et
qu’il n’y ait toujours pas eu de consul-
tation des professionnels, alors même
qu’ils sont les premiers concernés.
De me,gis Aubry exprime l’urgence
de débattre, et « certainement pas la pré-
cipitation à légiférer » : « Il faut débattre
sur le rapport à la vulnérabilité, à l’alté-
rité, et à la singularité » qui se retrouvent
au moment de la mort. Il met en doute le
rapport à la transgression que la société
voudrait développer.
L’influence des médias
Le professeur Sapin, dénonce l’attitude
d’une société influencée par les médias.
Le docteur Puybasset, ajoute que les si-
tuations exceptionnelles qui mobilisent
l’opinion publique sont le résultat de réels
acharnements thérapeutiques: « ces ma-
lades auraient été morts s’ils n’avaient
pas été réanimés ».
Le véritable problème se trouve donc en
animation. Tout comme en néonatolo-
gie, la réanimation d’attente peut en-
trainer « la survie conditionnelle » d’un
enfant qui serait décédé en son absence
et qui pose de réelles dicultés de déci-
sions.
Les multiples idées pour la n de vie
Les intervenants ont relevé plusieurs
idées pour mieux prendre en compte la
n de vie, sans émettre la nécessité de
légaliser l’euthanasie. Il y a beaucoup
d’autres choses à parfaire pour modier
le paysage de la n de vie. Didier Sicard
parle notamment de l’accompagnement
de la mort à domicile, Vincent Morel de
la procédure collégiale dans les déci-
sions de n de vie, Louis Puybasset de
réguler la tarication à l’activité (la T2A)
qui prive d’accompagnement humain, ou
encore de mettre en place un plan coma
par exemple, Jean Léonetti d’envisager
une directive pour les magistrats, ou plus
fondamentalement comme le souligne
Régis Aubry repenser notre rapport à la
vulnérabilité.
Le rapport Sicard donne lui aussi des
propositions d’actions multiples. Ceci
permettrait de répondre aux dicultés
de la n de vie, alors que la légalisation
de l’euthanasie les éludera, et rajoutera
de nouvelles dicultés.
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15
C : c[email protected]g - T. : 01 44 49 73 39 - S : www.genethique.org - S  : 31 rue Galande 75005 Paris
D    : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Lucie Pacherie - I : PRD S.A.R.L. - N° ISSN 1627.498
Les grees en France
« La première cause de mortalité en
France liée à une gree n’est pas une
complication médicale ni un rejet mais
l’absence de gree » (Jean-Louis Tou-
raine vice président de l’OPECST).
La France manque de donneurs d’or-
ganes, et les patients inscrits sur les
listes d’attente ne cessent d’augmenter.
En 2011 on comptait 12 329 patients en
attente pour une gree de reins (30% de
plus en cinq ans) et 2976 grees de reins
alisées. Une piste proposée pour per-
mettre plus de grees est le prélèvement
d’organe sur donneurs décédés après ar-
rêt cardiaque contrôlé.
Le protocole de Maastricht
Le protocole de Maastricht, établi en
1995 lors d’une conférence internatio-
nale de consensus, règlemente quatre
catégories de donneurs à cœur arrêté. La
France les a toutes adoptées, sauf la ca-
tégorie III qui donne lieu à trop de d’am-
bigüités éthiques.
La première catégorie concerne les per-
sonnes décédées avant même d’arriver
à l’hôpital et qui n’ont pas bénécié de
animation.
La seconde concerne les personnes dé-
cédées par arrêt cardiaque à l’hôpital, et
dont la animation a échoué. La catégo-
rie IV concerne les personnes décédées
par mort encéphalique et dont le prélève-
ment d’organes peut alors être planié.
Enn la catégorie III ou M3 intitulée
« dans l’attente d’un arrêt cardiaque »
fait débat. Cette catégorie concerne des
personnes vivantes, qui présentent un
« problème neurologique majeur » et
dont le pronostic vital est si mauvais que
l’on décide d’arrêter tout traitement.
L’arrêt cardiaque est alors contrôlé, et le
prélèvement d’organes planié.
Un risque d’euthanasie « altruiste ».
Dans ce dernier cas, alors que la per-
sonne est vivante, elle est déjà perçue
comme « donneur potentiel ». Dans ce
cas les traitements sont arrêtés volontai-
rement en sachant que cela provoquera
un arrêt cardiaque. La question éthique
qui se pose pourrait relever de l’euthana-
sie. Réglementer une telle catégorie de
donneurs décédés après arrêt cardiaque
dit «contrôlé » alors qu’ils sont encore vi-
vants au moment de la décision médicale
ne s’apparenterait-elle pas à une sorte
d’« euthanasie altruiste » ?
Certes, l’encadrement actuel rassure cer-
tains. Emmanuelle Prada Bordenave, di-
rectrice de l’ABM considère ainsi que le
fait que réanimateurs et transplanteurs
ne fassent pas partie des mêmes équipes
garantit une diérenciation nette entre
la n de vie et le don d’organes. Ou en-
core parce que la loi Léonetti doit être
respectée, et avec elle la n de vie. Et
puis, le consentement des proches obli-
gerait à penser les choses l’une après
l’autre.
Cependant une telle catégorie de don-
neurs, même si elle tente de respecter
une vraie diérence entre la n de vie
et le don d’organe, ne fait-elle pas en-
trer un critère de jugement sur l’état de
la personne ? En eet, l’arrêt cardiaque
est provoqué lorsque le « pronostic est si
mauvais ». L’évaluation de la qualité de
vie de l’autre n’entrerait-elle pas en jeu,
et le subjectivisme avec lui ?
En outre, le docteur Louis Puybasset,
anesthésiste réanimateur, chef de ser-
vice de neuroréanimation chirurgicale
à la Pitié-Salpêtrière, présent à cette
audition, relève le problème de la tem-
poralité dans laquelle se trouveront les
équipes médicales. En eet, « si l’on ar-
rête les soins trop tôt chez cette catégorie
de personnes, les organes seront en très
bon état, mais le pronostic neurologique
incertain. En revanche si l’on prend une
décision plus tardive, le pronostic sera
meilleur, mais le greon risque de ne pas
être bon ».
Ainsi, même diérenciées, les décisions
d’arrêt de traitement et de don d’organes
sont profondément liées, d’où le danger
de hâter la mort en vue d’un prélèvement
d’organe le meilleur possible. Le repré-
sentant de la société de réanimation
de langue française conrme que cette
catégorie 3 est une « pente glissante »,
et qu’il faudra être particulièrement vigi-
lant à ne pas instrumentaliser le mourant
comme un donneur, ce qui ne pourra se
faire sans le respect à la lettre de la loi
Léonetti.
La question risque de se poser de ma-
nière plus aigue si la loi Léonetti devient
obsolète, et si l’euthanasie, comme le
souhaite le gouvernement est légalisée.
L’automaticité de la n de vie se fera plus
prégnante, et la programmation des dons
d’organes sur donneurs décédés après
arrêt cardiaque contrôlé encore plus dis-
cutable. L’intégration de cette catégorie
de donneurs dans la pratique pourrait
se faire par la simple voie règlementaire.
Certains parlementaires, comme Jean-
Sébastien Vialatte, y sont favorables.
Une telle question nécessiterait pourtant
un débat public institutionnel.
La question du prélèvement dorganes sur donneurs
décédés après arrêt cardiaque contrôlé
A l’occasion du 41ème congrès international de la société de animation de langue française, l’oce parlementaire des choix scienti-
ques et technologiques (OPECST) sous l’impulsion de l’Agence de Biomédecine (ABM) a organisé le 7 février 2013 une audition sur le
prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé. La France permet déjà le prélèvement d’organes sur don-
neurs décédés après arrêt cardiaque non contrôlé, le prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé pose
une réelle question éthique.
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