IFCS ILE-DE-FRANCE (SAINTE-ANNE), MARS 2014 쎲
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à codifier et à expliciter leurs connaissances informelles pour les communiquer au mieux, et pour
permettre leur intégration dans les pratiques. Mais ces procédures qualité, qui peuvent être autant
d’éléments de contrôle extérieur déterminant l’allocation budgétaire des établissements, peuvent
très rapidement participer à une négation des «règles de métier» ou se substituer à elles5. En
effet, ne sommes-nous pas confrontés à une dérive qui transforme le soignant en opérateur, et les
soins en autant de séries de processus formalisés et décomposables?
Que ce soit dans l’industrie de production, de transformation ou de service, le travail au quotidien
consiste en une série perpétuelle d’adaptations, d’ajustements locaux, de construction de règles
locales, souvent tacites, qui permettent de trouver une cohérence entre les prescriptions imposées
et les contraintes concrètes de l’action. Travailler, c’est gérer des imprévus, prévenir des accidents,
des dysfonctionnements, des pannes. Les critères de qualité, uniquement conçus comme des
processus de conformité avec des procédures prédéfinies, négligent ce travail d’adaptation effec-
tué par les soignants et les cadres de santé, qui permettent une cohérence et une continuité des
soins. Un travail de gestion des écarts et de contournement des injonctions prescriptives est
réalisé au quotidien. L’habileté, l’intelligence ordinaire au travail6consiste dans la possibilité de
tricher, de recomposer, de subvertir les normes imposées. Si la «protocolisation» des procédures
de soins vise à une forme de standartisation des pratiques, la diversité des pathologies, la singu-
larité de chaque patient et la variabilité des processus de prise en charge requièrent néanmoins
constamment le discernement et l’autonomie des soignants, qui doivent exercer une gestion
permanente des écarts par rapport aux normes prescrites. La nature de la pratique soignante
appelle des efforts de rationalisation professionnelle et non des rationalisations industrielles7.
L’un des présupposés de la logique normative actuelle est que l’application de procédures
formelles engendre nécessairement de bonnes décisions et de bonnes pratiques. En rendant homo-
gène l’ensemble des procédures du soin, on augmenterait, de facto, la qualité des soins. En appli-
quant les mêmes outils d’évaluation et de formalisation à l’ensemble des cultures du soin, on
maximiserait et on mutualiserait la qualité des soins. Les items isolés sur lesquels s’effectuent les
contrôles d’accréditation permettraient d’accéder à la qualité et à la réalité d’un système de soin
en sélectionnant et en prélevant des éléments isolés de tout contexte clinique.
5. M. Raveyre, P. Ughetto, « Le Travail, part oubliée des restructurations hospitalières », « Recomposer l’offre hospita-
lière », Revue Française des Affaires Sociales, n° 3, juillet-septembre 2003, p.97-119.
6. C. Dejours, Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Paris, Le Seuil, 1998.
7. J. Gadrey, « La Modernisation des services professionnels. Rationalisation industrielle ou rationalisation profession-
nelle », Revue Française de Sociologie, vol. 35, 1994, p. 163-195.