Médias et sociétés

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Médias et Sociétés 16e éd./2013
SECTION I
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LE MONDE DES MÉDIAS
On emploie le mot média en des sens multiples. Au point,
souvent, de désespérer de trouver une unité, en deçà de ses différentes acceptions.
Le quotidien Libération est un média, au même titre que la chaîne de télévision
Canal+ ou la station de radio Europe 1. Ce que l’on désigne, en pareil cas, ce sont
des institutions sociales : l’aboutissement d’initiatives calculées, ayant chacune ses
équipements techniques, ses professionnels attitrés et ses règles particulières, écrites
ou non écrites.
On dit également de l’affichage qu’il constitue un média, comme on le dit du
roman, du cinéma, ou du reportage sur l’actualité. Ce que l’on entend alors, c’est
inséparablement une technique, permettant l’expression de la pensée et l’une des
formes — ou l’un des genres — que cette expression peut revêtir. Ou bien, si l’on
préfère, une technique qui est devenue, à la faveur de ses utilisations successives,
un art véritable, au sens le plus courant du terme : la presse à imprimer faisant
naître le journalisme, le genre romanesque, ou bien encore l’affichage ; le cinématographe des frères Lumière donnant naissance au « septième art » ; la télévision
constituant le creuset où sont nés les vidéomusiques, les feuilletons télévisés...
Afin d’écarter toute équivoque, il convient de ne pas confondre la technique avec
les institutions qui ont recours à elle : la presse de Gutenberg avec les journaux ;
les ondes hertziennes avec TF1 ou France Télévisions ; le « fusil photographique »
avec l’œuvre de fiction cinématographique. On ne saurait oublier davantage que
toutes les techniques ne donnent pas nécessairement naissance à un art original et
reconnu comme tel : certaines, et non des moindres, constituent seulement le support
pour des formes d’expression qui sont nées ailleurs et auxquelles elles n’apporteront
peut-être jamais rien.
Le journalisme d’information « générale » est peut-être né des rotatives au XIXe siècle, lorsque celles-ci ont permis le tirage simultané de millions d’exemplaires de
journaux quotidiens. De la même façon, l’œuvre cinématographique est la fille d’une
technique, inventée et mise au point par les frères Lumière. Mais la télévision estelle encore autre chose qu’un chargé d’affaires, pour des œuvres de la pensée ou
des genres d’expression qui sont nés d’autres techniques, la presse écrite, la radio
ou le cinéma ? En tant que technique, la télévision a-t-elle donné naissance à une
forme d’expression vraiment originale ?
Introduction
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INTRODUCTION
A. DES « MASS MEDIA » AUX MÉDIAS
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Techniques, institutions, domaines privilégiés d’activités — l’information, le divertissement, la publicité, l’éducation, la création artistique —, formes
d’expression particulières, — le journalisme, le cinéma, l’affichage publicitaire, le
feuilleton de télévision, les sites du Web — : l’inventaire des médias décourage
toute tentative de définition. Francisé en 1973, avec un accent aigu et un « s » au
pluriel, le mot « média » s’est imposé au tournant des années 1980. Jusque-là, on
parlait seulement des « mass media » : forgée dès les années 1950 en Amérique du
Nord, l’expression désignait, ensemble, toutes les techniques permettant d’atteindre
simultanément une audience étendue, diverse et dispersée, le cinéma comme la
télévision, la presse au même titre que la radio.
Vers la fin des années 1960 et au début des années 1970, le succès des thèses
d’un essayiste canadien, Marshall McLuhan (1911-1980) contribua sans nul doute
à populariser le mot « média », précipitant du même coup l’abandon de l’expression
« mass media ». La consécration du mot, par l’usage, n’est guère indifférente : elle
marque le déplacement de l’attention, de l’examen du « pouvoir » de la presse ou
de la télévision vers celui des institutions auxquelles elles ont donné naissance, de
leur mode d’organisation et de « fonctionnement », de leurs œuvres et de leurs
audiences respectives. En s’imposant, le mot rejoignait son étymologie : un média
est d’abord un moyen — un outil, une technique ou un intermédiaire — permettant
aux hommes de s’exprimer et de communiquer à autrui cette expression, quel
que soit l’objet ou la forme de cette expression. Mais un média se définit également
par son usage, lequel désigne un rôle ou une fonction ayant fini par s’imposer, ainsi
que la meilleure façon de remplir ce rôle ou cette fonction.
L’utilisation qui est faite d’un média, à un moment et en un lieu donnés, dépend
des usages ou des habitudes qui ont fini par prévaloir, en raison notamment des
attentes ou des besoins des individus, ainsi que des règles ou des contraintes déterminant l’expression de ces besoins ou de ces attentes. Comme le souligne Josiane
Jouët, « les usagers s’approprient les attributs [...] de la machine pour satisfaire leurs
propres aspirations de complétude » (Technologies de l’information et société, 1989).
Un média échappe en réalité difficilement à la destination que l’usage lui a assignée :
organe d’information, outil de communication, moyen de divertissement, support
ou vecteur d’œuvres — ou de chefs-d’œuvre — artistiques.
B. LES TROIS FAMILLES DE MÉDIAS
4
Les médias diffèrent les uns des autres par l’étendue de leur
audience, potentielle ou effective : le temps est aujourd’hui révolu où l’on ne parlait
guère que des « mass media », les grands quotidiens nationaux, les chaînes ou les
réseaux de télévision. Ils diffèrent par la nature des messages acheminés : on a
coutume d’opposer, désormais, l’audiovisuel à l’écrit ou au numérico-textuel. Ils
diffèrent enfin par les virtualités qu’ils recèlent ou par leur inclination, réelle ou
supposée, à atteindre certains objectifs plutôt que d’autres : distraire plutôt qu’informer, propager des savoirs ou former le jugement, influencer, persuader, ou créer
des œuvres originales.
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LE MONDE DES MÉDIAS
Mais un seul critère permet, semble-t-il, de dresser un inventaire des médias
qui soit à la fois complet et pertinent. Complet en ce qu’il n’établit aucune discrimination entre les techniques, qu’elles soient très anciennes ou d’apparition récente.
Pertinent par rapport à son objet : rendre compte de la diversité des modalités de
l’échange entre les hommes, des formes variées du « commerce des idées » auquel
ils se livrent. Ce critère, les sociologues pourraient l’appeler, indifféremment, forme
ou « modalité de communication », là où les ingénieurs parleraient de « structure
de la communication » et les juristes de « mise à disposition du public ».
L’application de ce critère permet de distinguer trois familles de médias. La
première famille est celle des médias autonomes. Elle comprend tous ceux des
supports sur lesquels sont inscrits les messages et qui ne requièrent de raccordement
à aucun réseau particulier : ainsi les livres, les journaux, les disques audio, vidéo
ou informatiques. Pour en permettre la « lecture », certains équipements sont indispensables : magnétophones, magnétoscopes, ordinateurs, consoles de jeux. Les enregistreurs de DVD avec disque dur sont en passe de devenir, pour les images animées
et sonorisées, ce que représentent, depuis longtemps, le livre et le journal pour la
propagation des textes imprimés.
Deuxième famille : celle des médias de diffusion, que cette diffusion soit large
ou étroite. Depuis la TSF, dont le brevet fut déposé par Marconi en 1896, des
émetteurs et des relais terrestres permettent la transmission, par la voie des ondes
hertziennes, de programmes de radio dans une zone de « couverture » dont l’étendue
varie selon la puissance des équipements émetteurs et des équipements récepteurs
utilisés. Depuis les années 1930, des programmes de télévision sont également
acheminés par la même voie. Les modes de diffusion se sont multipliés, dès 1975 :
câbles, satellites, télévision numérique terrestre, Internet.
Troisième famille : les médias de communication, qu’il s’agisse d’une télécommunication bipolaire ou multipolaire. Elle comprend tous les moyens de télécommunication permettant d’instaurer, à distance et à double sens, soit une relation de dialogue
entre deux personnes ou entre deux groupes, soit une relation entre, d’un côté, une
personne ou un groupe, et de l’autre, une machine, comprenant une batterie de
programmes ou de services.
Inauguré en 1876 par Graham Bell, le téléphone est l’ancêtre, en même temps que
le parangon, de ces techniques qui permettent « l’interactivité », — ou l’interaction —,
immédiate et directe, entre les différents protagonistes de l’échange de messages.
De nombreux dispositifs, apparus après 1978-1980, permettent désormais à chacun
des usagers d’obtenir les programmes ou les services de son choix, sur simple
commande individuelle, c’est-à-dire à l’instant qu’il a lui-même choisi. Parmi ces
dispositifs d’accès à la demande figurent la vidéographie, dans sa version diffusée
(le télétexte) ou interactive, la télématique, domestique ou professionnelle, et, depuis
1993-1995, les services d’Internet. Ces équipements établissent un commerce jusqu’ici inédit de textes, de graphiques, d’images fixes ou animées, associées ou non
à des sons, et non plus seulement l’échange d’une conversation téléphonique entre
deux personnes.
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SECTION II
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LES FORMES
DE LA COMMUNICATION :
L’ÉCHANGE, LA PROPAGATION,
LA DIFFUSION
Extensive mais précise, la définition des médias que nous nous
donnons permet de considérer autrement les diverses formes que la communication
entre les hommes peut revêtir : leur commerce, en effet, n’est pas toujours « médiatisé » par une technique ou par un ensemble de techniques.
D’un côté, la communication peut s’effectuer sous la forme d’un face-à-face
entre deux ou plusieurs personnes : c’est la communication interpersonnelle qui
correspond le mieux au sens étymologique du verbe communiquer — conférer, se
consulter, rendre commun. Cette forme particulière de la communication sociale est
limitée, précaire, spontanée, volontiers prescriptive : l’affectif y prévaut souvent sur
le cognitif. Il s’agit moins souvent, en effet, d’un échange d’informations ou de
connaissances que du colloque singulier entre plusieurs personnes, vécu sur l’un
des registres de la sympathie.
D’un autre côté, une part plus ou moins grande des échanges entre les hommes
obéissent à des règles, écrites ou non écrites, lorsque ceux-ci agissent dans le cadre
de rôles bien déterminés : ceux de gouvernants ou de gouvernés, de producteurs ou
de consommateurs. En ce cas, il s’agit d’une communication institutionnalisée :
le régime économique et le régime politique d’une société donnée ordonnent ainsi
les relations entre les hommes, dès lors que celles-ci se trouvent subordonnées à
des préoccupations relevant de l’intérêt commun. À l’inverse de la communication
interpersonnelle, les aspects cognitifs prévalent alors sur les aspects proprement
affectifs, si l’on reprend la distinction de Malebranche, aujourd’hui reprise par les
linguistes.
La communication médiatisée prend place entre ces deux autres formes de la
communication sociale : elle comble les espaces que celles-ci laissent vacants. La
problématique « interactionniste » invite à établir une typologie des formes de la
communication médiatisée ; et elle suggère également d’examiner, pour chaque situation particulière, les multiples relations réciproques d’influences, de complémentarités, d’exclusions ou de substitutions entre les différentes formes que revêt l’échange
social. En tant que techniques, les médias sont ambivalents : ils favorisent ou ils
amplifient les échanges entre les personnes ou entre les groupes, comme ils peuvent
aussi bien les compromettre, y faire obstacle, ou leur ôter toute signification.
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LES FORMES DE LA COMMUNICATION : L’ÉCHANGE, LA PROPAGATION, LA DIFFUSION
A. LES CRITÈRES
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La considération simultanée des « émetteurs » et des « récepteurs » de messages, en tant qu’acteurs sociaux, avec leurs objectifs, officiels ou
non, leurs moyens et leurs contraintes, — ou tout au moins l’idée qu’ils en ont- ,
conduit à établir une typologie des différentes formes possibles de la « communication » par les médias : inventaire des types ou des modalités du commerce des
idées, dès lors que celui-ci réside dans une activité mettant en relation des « acteurs »,
par le truchement des « médias », acteurs qui sont, chacun, soit émetteur, soit récepteur de messages, ou bien encore les deux, alternativement ou simultanément. À
condition que ces types soient comme les types-idéaux de Max Weber : des utopies
concrètes, modèles extrêmes et abstraits, constructions de la pensée permettant de
retrouver, à travers leur cohérence interne, les images partielles de la réalité existante.
Deux critères peuvent être retenus, pour leur pertinence, afin d’établir cette typologie : le premier, c’est le caractère plus ou moins identifiable ou déterminé du groupe
de gens — ou de l’audience — auquel les « émetteurs » entendent s’adresser en
priorité ; le second critère, c’est le registre sur lequel les destinataires des messages
placent spontanément leur relation avec les émetteurs, selon qu’ils considèrent ces
derniers comme des personnes identifiées et par conséquent non interchangeables,
sur l’un des modes ordinaires de la sympathie, ou qu’ils les considèrent plutôt
comme les fournisseurs anonymes ou interchangeables d’un service donné.
1.
7
Du côté des audiences recherchées par les « émetteurs », on peut aisément distinguer plusieurs catégories différentes. L’audience peut être déterminée, clairement
identifiée et, du même coup, relativement homogène : ses membres sont alors reliés
par un élément de leur identité sociale ou personnelle. Ainsi, l’étendue de cette
audience est déterminée ; et son degré de « captivité » vis-à-vis des émetteurs dépend
de la signification prêtée par chacun de ses membres au lien qui l’unit aux autres.
À l’autre pôle, on dira indifférenciée, indéterminée et composée d’anonymes, une
audience virtuelle dont les membres n’ont pas d’autre caractéristique commune, à
un moment donné, que de se trouver à l’intérieur des limites d’une collectivité
territoriale, depuis le village ou le quartier d’une grande ville, jusqu’à la zone de
« couverture » d’un système de satellites. L’audience indifférenciée correspond à
ce qu’on appelle ordinairement le « grand public », c’est-à-dire, virtuellement ou
effectivement, une audience immanquablement dispersée, diverse et étendue. Entre
ces deux extrêmes, les audiences sont donc identifiables ou spécifiques, en raison
tout à la fois de l’existence d’un trait d’union entre leurs membres — un centre
d’intérêt partagé ou un même trait d’identité — et de l’incertitude de leur étendue
et de leurs frontières avec l’extérieur.
2.
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L’AUDIENCE VISÉE
LES « ÉMETTEURS », TELS QU’ILS SONT PERÇUS
Quant aux « émetteurs », ou aux initiateurs de la communication, ils sont perçus
par leurs interlocuteurs selon l’une ou l’autre des deux logiques suivantes : soit
comme des personnes, identifiées et non interchangeables, médiateurs privilégiés
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INTRODUCTION
entre les membres d’une collectivité, « objective » ou « subjective » — d’un groupe
auquel on appartient effectivement ou avec lequel on entend, réellement ou symboliquement, resserrer les liens — ; soit comme les prestataires de services, ou les
fournisseurs de programmes, anonymes ou interchangeables, dans les domaines très
divers de l’information, du divertissement, de la culture, ou du savoir.
Ainsi, les destinataires des messages situent sur des registres différents leur relation
avec les émetteurs : plutôt personnel ou plutôt utilitaire, direct ou indirect, interpersonnel ou institutionnel, affectif ou cognitif. Et ils perçoivent les émetteurs davantage
comme les agents d’une communication interpersonnelle ou plutôt comme les interfaces grâce auxquelles ils accèdent aux univers variés de l’actualité, de l’information
scientifique ou technique et des œuvres de la pensée.
B. LA TYPOLOGIE
9
Des audiences très homogènes, identifiables ou indifférenciées,
telles du moins que les « émetteurs » les imaginent ; des « émetteurs » perçus par
les « récepteurs », tantôt comme des médiateurs privilégiés avec leur propre groupe
d’appartenance ou de référence, tantôt comme des interfaces qualifiées pour découvrir
ou connaître la société, à travers ses actions, ses œuvres, ses institutions : en se
croisant, ces deux distinctions font apparaître, en toute logique, plusieurs modalités concevables de communication, six « types-idéaux » permettant de rendre
intelligible, par comparaison, la variété des activités de communication, ou la diversité
du commerce des idées, dès l’instant où les hommes, pour l’exercer, ont recours à
des « médias ».
Chacune de ces modalités de communication apparaît singulière, en premier lieu,
par l’application d’un principe, qui en garantit la cohérence logique, ce que Montesquieu appellerait sa « réalité profonde » : de ce principe découlent, en même temps
que leur rôle et leur statut respectifs — leur position au sein du système social et
la conduite que, du même coup, on est en droit d’attendre d’eux —, les intentions,
les attentes et les perceptions, chacun vis-à-vis de l’autre, de l’émetteur et du
récepteur. Principe qui détermine ensuite, nécessairement, un certain mode de
régulation, quant aux relations réciproques entre l’émetteur et le récepteur, en ce
qu’ils sont engagés, celui-ci comme celui-là, dans une stratégie où l’autonomie de
chacun se trouve contenue à l’intérieur de limites déterminées à l’avance. En troisième
lieu, chacune de ces six modalités de communication ainsi définies s’accommode
plus ou moins bien aux différents médias : médias entendus d’abord comme
techniques — la presse imprimée, la télévision par câble ou la télématique — ;
entendus ensuite comme institutions sociales — le journal régional Ouest-France,
le quotidien catholique La Croix, la station de radio « nationale » Europe 1 ou
l’organisme de télévision France 3 — ; médias entendus enfin comme formes particulières d’expression de la pensée — la chronique d’actualité, la rubrique de renseignements, le film de fiction, le document de vulgarisation scientifique, l’information
technique spécialisée —. En quatrième lieu, on déduit de ses caractéristiques quelle
pourra être, au niveau individuel ou collectif, l’influence — ou l’impact — de
chacune des modalités de communication ainsi distinguées.
Lorsque l’audience est déterminée, aux yeux de l’émetteur, ses tractations avec
le récepteur s’inscrivant à l’intérieur d’un cercle circonscrit, le mot échange paraît
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LES FORMES DE LA COMMUNICATION : L’ÉCHANGE, LA PROPAGATION, LA DIFFUSION
le moins mauvais pour désigner la modalité de communication : ce qui s’établit, c’est
un dialogue, un multilogue (un-un ou bien quelques-uns-quelques-uns). L’échange est
communautaire, quand il s’agit d’opérer une médiation au sein d’une collectivité
organisée ; on peut considérer qu’il est associatif, s’il exprime une volonté d’affiliation à un groupe — ou à un réseau — plus ou moins institutionnalisé.
Mieux vaut parler de propagation — propagare —, quand les messages se propagent à l’intérieur du cercle plus ou moins circonscrit d’une audience identifiable,
aussi aisément que « des poissons dans l’eau », pour reprendre la métaphore de Mao
Zedong : propagation d’une identité ou d’une cause, selon qu’il s’agit de faire
progresser, à l’instar d’une onde, parmi les gens prédisposés ou bien disposés,
l’illustration et la défense d’une identité sociale ou personnelle, ou bien celles d’une
idée, d’une idéologie ou d’une institution en concurrence avec d’autres idées, d’autres
idéologies ou d’autres institutions. Dans les deux cas, il s’agit d’une diffusion
unilatérale (un-quelques-uns ou un-plusieurs — one to few —).
Enfin, le terme publication, dans son acception originelle, issue du latin publicare,
celle retenue par le législateur français de 1881 — rendre public — doit, sans nul
doute, être réservé pour désigner toute entreprise consistant à offrir toutes sortes
de prestations — informations, documents, œuvres d’art, services —, à une audience
dispersée, anonyme et qui, du même coup, se révèle à la fois diverse et versatile,
à moins qu’on ne lui préfère l’expression communication publique ou celle de
diffusion collective : communication de proximité, quand il s’agit d’une aire géographique limitée à une ville ou à l’un de ses quartiers ; communication de masse,
lorsque celle-ci a pour vocation d’atteindre un public très dispersé, géographiquement,
et « indistinct ». Il s’agit, comme pour la propagation, d’une diffusion unilatérale,
simplement étendue à un public plus large (non plus un-quelques-uns mais unmultitude, ou un-beaucoup — one to many —).
1.
10
L’ÉCHANGE : COMMUNAUTAIRE OU ASSOCIATIF
Le principe de l’échange communautaire — sa « réalité profonde » — réside
en ceci : une collectivité instituée, spécifique et plus ou moins « close » — une
communauté scientifique ou une association à vocation professionnelle, confessionnelle ou politique — s’adresse à ses membres, par le truchement d’un organe
d’expression ou d’information qui leur est réservé. Ainsi, la collectivité est hiérarchisée et réglementée, conférant un statut déterminé à chacun de ses membres.
Le principe de l’échange associatif est différent : un nombre limité de prestations
déterminées — des informations, des documents, des services — est proposé à un
nombre également limité de personnes, qui sont libres de les accepter ou de les
refuser. L’échange s’inscrit alors à l’intérieur d’un réseau d’affinités électives, réseau
qui doit d’exister à la seule convergence de valeurs, d’intérêts ou de centres d’intérêt
communs. Dans le cas de l’échange associatif, c’est l’affiliation volontaire qui
constitue le mode de régulation normal ; dans celui de l’échange confraternel, l’affiliation est plus souvent forcée que volontaire. L’échange revêt une signification assurément autre pour ses protagonistes, selon que le groupe dont ils sont membres et
auquel ils se réfèrent s’apparente à une communauté ou à un club, à une institution
plutôt qu’à un réseau, selon qu’il suggère le rapprochement avec la corporation ou
avec l’association volontaire. Mais dans les deux cas, l’offre et la demande de
messages sont également limitées, délimitées, identifiables l’une par l’autre et, en
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un certain sens, « captives » l’une de l’autre : leur univers social est celui des « secrets
d’initiés ».
En tant que techniques, les médias sont très diversement appropriés à l’échange,
qu’il soit confraternel ou associatif : les techniques de communication telles que le
téléphone, le télex, le télégraphe et, parmi les nouveaux venus, le courrier électronique
et les groupes de discussion d’Internet, conviennent mieux, sans nul doute, que les
moyens de diffusion proprement dits, que celle-ci soit large ou étroite. Mais au
regard des seules capacités de la technique, les dispositifs permettant d’accéder, sur
demande individuelle, aux prestations de son choix — la télévision ou la radio cryptée,
la vidéotransmission, le télétexte — sont aujourd’hui tout aussi « performants » que
les moyens « interactifs » ou ces médias autonomes, qui s’apparentent à des objets,
comme les journaux ou les cassettes. Ainsi, les exemples canoniques de l’échange
confraternel, ce sont aujourd’hui les publications, les programmes ou les services
offerts à des experts par d’autres experts, ou à des militants par d’autres militants,
ou bien les journaux et les cassettes que les entreprises réservent à leur personnel.
L’échange associatif, quant à lui, est illustré par les lettres dites « confidentielles »,
les bulletins de liaison, les mailing lists ou les blogs.
2.
11
LA PROPAGATION D’UNE IDENTITÉ
OU D’UNE CAUSE DÉTERMINÉE
Définie comme modalité particulière du commerce des idées, ou de la circulation
de l’information, pour reprendre la terminologie des organisations internationales,
la propagation, sous l’une ou l’autre de ses deux versions, obéit à une logique
différente. C’est en effet pour une audience aux contours incertains qu’est conçue
une variété plus ou moins grande de prestations, de programmes ou de services,
d’articles de journaux ou d’œuvres d’art, permettant tantôt la propagation d’une
identité déterminée, qu’elle se rattache au statut individuel — l’âge, le sexe —,
ou au statut social — un style de vie, une manière particulière de se comporter
avec les autres —, tantôt la propagation d’une cause, celle d’une idée, d’une
idéologie, d’un parti ou d’une église.
Dans le cas de la propagation d’une identité, une collectivité minoritaire, relativement incertaine encore à propos de ses intérêts ou de ses centres d’intérêt communs,
cherche à prendre conscience d’elle-même en s’exprimant, grâce à une seule tribune,
ou par la voie d’un seul média. Les messages qu’elle adresse à ses interlocuteurs
anonymes sont des messages d’identification, de type projectif : ils veulent apporter
les signes d’une complicité ou d’une distinction par rapport au monde « extérieur ».
Dans le cas de la propagation d’une cause, les articles ou les œuvres, les
programmes ou les services sont choisis en fonction du seul intérêt qu’ils présentent
pour illustrer et défendre l’idée ou l’institution concernée. Destinés à des profanes
qu’il s’agit de convertir, les messages sont « clos » et, partant, relativement prévisibles : ils se conforment néanmoins aux attentes, formulées ou supposées, explicites
ou implicites, d’une audience versatile dont on s’efforce toujours de capter l’attention.
Ce sont assurément les médias autonomes, ceux qui s’apparentent le plus à des
marchandises, comme les magazines, les disques ou les cassettes, qui constituent
les instruments privilégiés de la propagation. Par ordre d’affinité décroissante avec
cette modalité particulière du commerce des idées, figurent ensuite les médias de
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LES FORMES DE LA COMMUNICATION : L’ÉCHANGE, LA PROPAGATION, LA DIFFUSION
diffusion, pour le son et pour l’image, indifféremment étroite ou large — narrow
ou broadcasting —, suivis par les médias de communication, qui permettent l’échange
de messages, dans les deux sens, entre les interlocuteurs.
À coup sûr, certaines publications périodiques ou les programmes dits « spécialisés » de radio ou de télévision illustrent le moins imparfaitement la propagation
d’une identité : journaux ou émissions « d’un seul public », conçus spécialement
pour les enfants, les femmes, le « troisième âge », les adolescents ou les homosexuels ;
ce que les Américains ont coutume d’appeler les « minority media ». Les exemples
sont tout aussi nombreux qui témoignent, depuis quelques années, de la fortune des
médias voués à la propagation d’une cause : journaux d’opinion, magazines spécialisés « d’un seul sujet », radios ou télévisions « thématiques », à l’instar de Canal+,
du HBO américain, de même facture, ou encore LCI, Planète ou Paris Première...
3.
12
LA DIFFUSION, DE PROXIMITÉ OU DE MASSE
Enfin, troisième forme de communication, la diffusion, qui présente deux versions
distinctes, la diffusion de proximité et la diffusion de masse. L’une et l’autre
doivent leur logique à la volonté de rendre attentifs, voire captifs, le plus grand
nombre possible de gens parmi ceux qui sont susceptibles d’être atteints. Toutes
sortes d’informations ou de programmes, d’œuvres ou de services sont offertes à
tous, sans autres limites, quant à leurs destinataires, que les possibilités de la technique : entre l’infiniment petit d’un quartier, à l’intérieur d’une ville, et l’infiniment
grand, indifférent aux frontières entre les pays et à l’étendue des océans, grâce aux
performances des satellites. Qu’elle soit tournée vers l’humanité tout entière ou
seulement vers les habitants d’une même rue, l’activité de publication, quelle qu’en
soit la forme ou la finalité, — qu’elle choisisse la voie des images ou celle des
sons, et qu’elle se donne pour objectif le divertissement des gens ou leur information —, obéit toujours à la même stratégie qui est celle de l’« attrape-tout ».
Dans la mesure où ses initiateurs sont libres de toute attache, au moins officiellement, et où les audiences auxquelles ils s’adressent sont « ouvertes », immanquablement limitées en quantité, mais indéfinies en qualité, c’est-à-dire hétérogènes,
dispersées et anonymes, le mode de régulation de la publication n’est autre que le
marché, tel que les économistes le décrivent, plus ou moins libre et ouvert. Les
ajustements réciproques de l’offre et de la demande expliquent du reste la très grande
variété des prestations proposées, de leurs formes, de leurs finalités. Certes, cellesci se réclament très volontiers des grandes valeurs, celles-là mêmes qui existent
seulement dans le désir que l’on a de les atteindre, pour reprendre l’expression de
Schopenhauer : la quête du Bien pour les chroniques ou les œuvres « engagées » ;
celle du Beau pour les diverses formes d’expression de la culture ; celle du Vrai
pour la vulgarisation scientifique ou l’information d’actualité. Mais ces prestations,
nombreuses et variées dans tous les cas, correspondent toujours au dénominateur
commun entre les attentes ou les intérêts supposés d’une audience que les responsables
de la « diffusion » se flattent de connaître mieux que quiconque : tantôt le plus petit
dénominateur commun, tantôt le plus grand, selon les possibilités offertes par le
média utilisé.
Introduction
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Médias et Sociétés 16e éd./2013
LES FORMES DE
STATUT DE
AUDIENCE IDENTIFIABLE :
PUBLIC «CIBLÉ»
L'échange communautaire
* Une collectivité instituée s'adresse à ses membres, grâce à un organe
d'expression qui, en principe, leur est réservé.
Régulation : Appartenance à une communauté ou à une confrérie scientifique,
artistique, professionnelle, confessionnelle ou politique. Avec ses codes et ses
secrets d'initiés. L'offre et la demande sont variables : le marché procède à des
échanges qui, pour être justes, doivent être égaux.
Exemples : Publications, programmes ou services offerts par des experts à
d'autres experts, par des militants à des militants, par des professionnels à des
professionnels, sites d’échange, tweets.
Médias les plus appropriés, par ordre décroissant :
Plutôt des médias qui se distribuent (journaux, cassettes, CD-Rom, DVD) ou
des services en ligne. Et plutôt ces derniers que des médias de télédiffusion
étroite (radios ou télévisions câblées). Sites communautaires.
La propagation d'une identité
* Des prestations variées et déterminées sont offertes à une collectivité plus ou
moins nombreuse de gens, géographiquement dispersés, ayant en commun un
trait quelconque de leur identité personnelle ou sociale.
Régulation : Identification à une minorité qui s'efforce d'instituer, par le
truchement d'une tribune, les signes d'une complicité et d'une distinction par
rapport au monde « extérieur ». L'offre est fixe et la demande variable.
Exemples : Les journaux d'un seul public ; les « minority media ». Journaux ou
programmes pour les enfants, pour les femmes, les adolescents, pour tel
mouvement féministe, pour la défense des droits des minorités.
Médias les plus appropriés, par ordre décroissant : sites web (notamment web
2.0) ; médias qui se distribuent (magazines) ; programmes audio ou vidéo à
diffusion nationale ou internationale, avec ou non commande et facturation
individuelles ; blogs.
La diffusion de proximité
AUDIENCE INDÉTERMINÉE :
«GRAND PUBLIC»
STATUT DU « RÉCEPTEUR »
AUDIENCE DÉTERMINÉE :
PUBLIC IDENTIFIÉ
DAVANTAGE UN « MÉDIATEUR » IDENTIFIÉ
* Toutes sortes de messages ou de prestations sont proposées à tous, sans
discrimination, à l'intérieur d'une aire géographique limitée, par des gens qui se
veulent des « médiateurs » et qui se disent indépendants vis-à-vis des diverses
confréries ou églises.
Régulation : Marché à tendance monopolistique, d'autant plus que l'étendue de
l'audience accessible est limitée. La demande est fixe et l'offre variable : le
marché se livre à des explorations, par essais et erreurs.
Exemples : Les médias de « proximité » : webradios, webtélévisions, journaux
locaux, stations locales de radio ou de télévision.
Médias les plus appropriés : Tout ce qui favorise le « narrowcasting », ouvert
à tous : journaux locaux ou régionaux ; radios FM, télévisions locales.
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LA COMMUNICATION
L' « ÉMETTEUR »
DAVANTAGE UN PRESTATAIRE ANONYME
L'échange associatif
* Des messages ou des prestations déterminés — nouvelles, documents, renseignements,
services — sont proposés à un nombre limité de personnes, libres de les accepter ou de les
refuser.
Régulation : Affiliation volontaire à un réseau qui doit d'exister à la convergence de valeurs,
d'intérêts ou de centres d'intérêt communs à ses membres. L'offre et la demande sont
variables.
Exemples : Bulletins de liaison, lettres « confidentielles », audio ou visioconférences, tweets.
Médias les plus appropriés, par ordre décroissant :
— télégraphe, télex, téléphone ; réseaux « sociaux »
— presse écrite et autres supports autonomes (CD, DVD) audio ou vidéo ;
— services à la demande (télématique, radio-TV à accès conditionnel, VOD) ;
— parmi les moyens de télédiffusion étroite, ceux qui individualisent la commande
et la facturation.
La propagation d'une cause
* Des messages ou des prestations choisis pour défendre ou illustrer une cause sont proposés
par des militants à une audience de profanes, avec l'espoir de retenir l'attention du plus grand
nombre.
Régulation : Adhésion ou conversion, implicite ou explicite, aux idées et aux idéaux d'une
confrérie, et à leurs diverses implications. Offre fixe et demande variable.
Exemples : Journaux « d'opinion » magazines spécialisés, radios ou télévisions « thématiques », magazines ou programmes de vulgarisation dans un domaine déterminé ; publications ou programmes consacrés officiellement à un seul sujet ou à la défense d'une seule
« cause » (Christian Broadcasting Network, KTO, ...).
Médias les plus appropriés, par ordre décroissant : sites d’information thématiques sur la
Toile ; médias faisant l'objet d'une distribution (journaux, cassettes) ; médias de diffusion
dite « étroite » plutôt que « large » (narrowcasting), comme la télévision à péage ; blogs.
La diffusion de masse
* Toutes sortes de messages ou de prestations sont offerts à tous, parfois sans considération
de frontières, par des gens qui se disent et se veulent professionnels, se réclamant toujours
simultanément de leur respect des gens auxquels ils s'adressent et de leur subordination aux
valeurs du Bien, du Beau ou du Vrai. Leur professionnalisme s'applique, simultanément ou
pas, à l'information de leurs concitoyens sur l'actualité, à la vulgarisation des savoirs et à la
popularisation des œuvres ou des actes de la culture.
Leur ambition est de retenir et de captiver le plus grand nombre.
Régulation : Marché plus ou moins libre et ouvert. Constitution d'oligopoles avec maintien
d'une frange concurrentielle plus ou moins large. Tendance à la mondialisation des marchés
de la publication de masse, en raison de la vocation des « messages » offerts. Demande fixe
et offre variable.
Exemples : Les grands médias « généralistes » qui offrent à tous, sans exclusivité, toutes
sortes d'informations, de nouvelles, de renseignements, de connaissances ou d'œuvres de
culture. Ce qui corrrespond le mieux à l'expression de « broadcasting » ou à celle de « mass
media ». Journaux nationaux d'information générale, quotidiens ou périodiques, networks.
Médias les plus appropriés : sites web ; journaux à grande diffusion ; grands réseaux de
radio ou de télévision, nationaux ou internationaux ; satellites « à câble » (HBO). Tous les
médias, en général, dont l'audience potentielle est nombreuse, diverse et dispersée.
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Médias et Sociétés 16e éd./2013
INTRODUCTION
Les techniques se sont largement répandues, depuis 1990, qui permettent le
développement d’activités proches de la diffusion de proximité : dans la voie ouverte
depuis longtemps par la presse locale, les radios en modulation de fréquence, la
télédistribution, l’intranet... Anciens ou nouveaux, ces médias ont en commun de
suggérer le rapprochement avec le narrowcasting : une diffusion ou une distribution
de signaux, porteurs de messages, en direction d’une audience contenue dans les
limites d’une aire géographique relativement peu étendue. La diffusion de masse,
quant à elle, dispose sans nul doute de l’éventail le plus large de techniques, des
plus frustes aux plus sophistiquées : les quotidiens du siècle dernier, millionnaires
par les tirages, font figure d’ancêtres, parmi ces techniques, devant la radio et la
télévision d’hier et d’avant-hier, par émetteurs et relais terrestres, et devant celles
d’aujourd’hui et de demain, par satellites géostationnaires et par câbles. Très différents
les uns des autres, au regard des messages qu’ils acheminent, ces médias ne peuvent
être mieux désignés que par les expressions contemporaines de « broadcasting » et
de « mass media » : leurs audiences potentielles s’étendent jusqu’aux confins du
village planétaire.
Les représentants patentés de la diffusion de proximité, ce sont aujourd’hui
ceux des médias que l’on dit « de proximité » ; journaux régionaux et stations locales
de radio ou de télévision. Les représentants de la diffusion de masse apparaissent
comme leurs compléments naturels, même s’ils leur prêtent, de plus en plus souvent,
certains articles ou certains programmes : ce sont les médias « généralistes », tels
que les journaux nationaux d’information générale, quotidiens ou hebdomadaires,
ou bien ces grands réseaux de radiotélévision, France 2 ou TF1 pour la France,
BBC 1, BBC 2 ou Channel Four pour la Grande-Bretagne, CBS ou NBC pour les
États-Unis.
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SECTION III
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LES MÉDIAS, L’INFORMATION
ET LA COMMUNICATION
La multiplicité et la diversité accrues des médias conduisent à
cette interrogation : les « communications » qu’ils instaurent sont-elles en passe de
devenir l’objet d’une science ? Ou bien le commerce des idées, celui des œuvres
artistiques, ce qu’Aristote appelait la rhétorique, — la « recherche de tous les moyens
possibles de persuasion » —, demeurent-ils pareillement un art, « tout entier d’exécution », à l’instar de la guerre selon Napoléon ?
A. LA COMMUNICATION :
UN ART OU UNE SCIENCE ?
14
Cédant à la demande des publicitaires et des politiques, la
recherche sur les médias s’est institutionnalisée, profitant du succès grandissant des
enquêtes par sondages. Cette recherche s’est drapée dans les oripeaux de la science,
faisant d’abord passer la communication pour une technique et non plus pour un
art, s’efforçant ensuite de faire de cette technique l’application d’une science, éprise
de rigueur et progressant selon une suite ininterrompue d’ajouts successifs.
1.
15
LES ATTRIBUTS D’UNE DISCIPLINE
L’institutionnalisation de la communication en discipline a commencé aux ÉtatsUnis, peu après la Seconde Guerre mondiale. Elle s’est poursuivie, de façon infiniment
plus mesurée, dans l’Europe de l’Ouest et au Japon. Dans les pays se réclamant
du « socialisme » et dans certains pays en développement à l’époque, ce sont les
sciences dites de l’information qui furent consacrées comme disciplines académiques,
au sein, très souvent, d’écoles de journalisme placées sous le contrôle plus ou moins
avoué des gouvernements.
Les attributs d’une communauté scientifique apparaissent les uns après les autres,
après 1945 et jusqu’à la fin des années 1970 : à l’échelle internationale, plusieurs
associations naissent, chacune tenant ses propres congrès. Plusieurs revues sont
fondées, tandis que s’ouvrent, au sein des universités, des départements entièrement
Introduction
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Médias et Sociétés 16e éd./2013
INTRODUCTION
voués aux études sur la communication ou sur l’information. En 1993, plusieurs
chercheurs français s’accordent pour donner cette définition des sciences de l’information et de la communication qu’ils entendent promouvoir : c’est « l’étude du processus
d’information ou de communication relevant d’actions organisées, finalisées, prenant
ou non appui sur des techniques, et participant des médiations sociales et culturelles ».
Cette définition prend acte, semble-t-il, de l’importance des médias eux-mêmes, des
techniques ou des dispositifs de communication. En même temps, elle écarte de son
domaine, explicitement, « l’étude spécifique de l’interaction langagière ou sociale ».
2.
16
C’est en 1991 que Régis Debray a formulé son projet, annoncé dès 1979 dans
Le pouvoir intellectuel en France, de fonder une « médiologie générale ». L’ambition
n’est autre que d’établir « une corrélation systématique entre d’une part, les activités
symboliques : idéologie, politique, culture et d’autre part, les formes d’organisation,
les systèmes d’autorité induits par tel ou tel mode de production, d’archivage ou
de transmission de l’information ».
En identifiant chacun des traits de la « vidéosphère » qu’il distingue de la graphosphère, il poursuit dans la voie tracée par McLuhan, celui qui, le premier, mit l’accent
sur l’influence des médias sur les contenus et, partant, sur la civilisation elle-même.
Se défendant de céder au même déterminisme technologique, il s’attache, avant
toute autre chose, à mettre au jour « la détermination objective des appareillages
de la pensée » (Cours de médiologie générale, 1991). Interrogé en 1996 sur l’objet
de la médiologie, comparé à celui de la seule étude des médias, il précise : « On
a regroupé sous ce terme des curiosités qui concernent les effets des moyens de
transmission ou de représentation sur les gens. Comment leurs idées, leurs croyances,
leur mémoire changent en douce, sans qu’ils s’en aperçoivent, quand on passe du
livre à la radio, ou du Parlement au plateau de télévision... ».
3.
17
UN SAVOIR DISPERSÉ
En deçà des ambitions de la médiologie de Régis Debray et des sciences de
l’information et de la communication à la française, ambitions très grandes dans
les deux cas, trop généreuses selon certains, le constat s’impose : les études sur les
médias, abondantes, diverses, démesurément ou raisonnablement ambitieuses, font
immanquablement penser à un habit d’arlequin. Jointe à l’extrême diversité des
concepts utilisés, cette dispersion des connaissances explique, trop souvent, le succès
des généralisations grandioses, l’attrait des diagnostics globaux et systématiques, en
même temps que cet enlisement, parfois, dans des études trop ponctuelles ou trop
fragmentaires.
a.
18
LA MÉDIOLOGIE SELON RÉGIS DEBRAY
La multiplicité des objets d’études
En 1948, le sociologue Harold D. Lasswell estimait que pour décrire « convenablement une action de communication », il fallait répondre à la question : qui dit quoi,
par quel canal, à qui, et avec quel effet ? La formule permettait de découper en
plusieurs chapitres l’examen de l’influence ou du pouvoir d’un média, quel qu’il
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LES MÉDIAS, L’INFORMATION ET LA COMMUNICATION
soit. La liste des sujets abordés, depuis cette date, n’a pas cessé de s’allonger. Pour
le seul domaine des effets, James Halloran, en 1979, ne proposait pas moins de
neuf chapitres principaux, susceptibles chacun d’ouvrir sur des recherches théoriques
essentielles : les influences en termes de réponse immédiate à une communication
persuasive, les effets sur les relations politiques et sociales, la prise en charge par
les médias des fonctions traditionnellement assumées par d’autres institutions (la
famille, l’école, l’église, le parti...), l’examen des « satisfactions » diverses, les
impacts affectifs, l’influence des médias sur les autres institutions, leur influence
sur les relations entre les individus et les institutions, l’action sur la formulation
des valeurs sociales, l’influence sur la culture...
b.
19
La pluralité des disciplines sollicitées
Si la recherche sur les médias ressemble aujourd’hui à un kaléidoscope, c’est
pourtant moins, au total, parce qu’elle éclate en de nombreux objets distincts, qu’en
raison de la pluralité des disciplines dont elle sollicite le concours. Les études de
presse descriptives, à la manière de Jacques Kayser ou de Pierre Albert, empruntent
à la fois à la méthode historique et aux techniques empiriques de la sociologie
d’observation ; leur objectif est d’établir une typologie des formes de presse et des
genres journalistiques, à la façon dont on opère le classement des espèces dans les
sciences naturelles. Les études sur les audiences sont redevables à la psychologie
sociale de tout un arsenal d’outils, permettant l’identification des usagers des médias
ainsi que l’interprétation de leurs attitudes ou de leurs comportements. L’analyse
du contenu des messages se nourrit aux sources de la linguistique, de la sociolinguistique et de la sémiologie. C’est à l’anthropologie culturelle ou structurale que le
chercheur emprunte sa problématique lorsqu’il s’efforce d’identifier les mythologies
diffusées par les médias. C’est à la sociologie ou à la science politique qu’il doit
certaines de ses théories : il considère les médias comme des institutions sociales
parmi d’autres. C’est enfin avec les constructions des économistes que s’opèrent
les rapprochements les plus féconds pour la compréhension des mécanismes d’ajustements réciproques entre la demande et l’offre des messages.
La question surgit alors de savoir ce qu’il reste de commun entre une étude à base
d’enquêtes, interrogatrice de lecteurs de journaux ou révélatrice de leurs multiples
aspirations, et celle, moins prosaïque, soucieuse d’établir un diagnostic global sur
l’influence à long terme de la télévision et capable, du même coup, de laisser
entrevoir le devenir de la société. Quelle signification pourrait avoir une discipline
écartelée entre l’idéal d’objectivité des enquêtes par sondages et l’ambition de prophétiser l’avenir ? Quel est l’intérêt d’observations fragmentaires, si une théorie de la
communication ne permet pas d’en ordonner les résultats et de suggérer d’autres
études ?
La pluralité des objets étudiés, la multiplicité des disciplines sollicitées, la survie
des préjugés sur le pouvoir de la presse ou de la télévision et leur durcissement en
une idéologie où les médias jouent le rôle de bouc émissaire, à moins de voir en
eux le remède de tous les maux : à tous ces signes, les médias et la communication
constituent un domaine d’études ; ils ne font guère l’objet d’une discipline scientifique, au même titre en tout cas que la psychologie sociale ou la science politique.
Ils font l’objet, désormais, d’un chapitre particulier pour plusieurs disciplines, parmi
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les plus consacrées : l’anthropologie, la sociologie, l’histoire, la psychologie sociale,
la science politique, les sciences économiques et la science juridique.
Deux obstacles empêcheront encore longtemps l’accession de la communication
au statut de science : d’un côté, la réalisation de l’accord des chercheurs sur les
contours du domaine étudié ; de l’autre, la difficulté de réaliser leur accord sur les
méthodes employées et sur la subordination de celles-ci à un minimum de rigueur
scientifique.
B. LES MÉDIAS : LA CARTE DES USAGES
20
Faudrait-il renoncer à toute prétention scientifique, devant cette
conjonction d’un savoir en miettes et d’idéologies aussi irrespectueuses des faits ?
La recommandation de Karl Popper nous presse, plus que toute autre, d’adopter de
nouvelles perspectives, afin de triompher à la fois des préjugés et des institutions
qui les perpétuent :
« J’admets qu’à tout moment nous sommes prisonniers de nos théories, de nos
espérances, de nos expériences passées, de notre langage. Mais nous sommes prisonniers comme M. Pickwick : si nous essayons, nous pouvons briser le cadre à tout
moment. Bien entendu, nous nous retrouverons pris dans un autre cadre, mais il
sera meilleur et plus spacieux ; et nous pourrons en sortir à nouveau à tout moment. »
Selon la recommandation du philosophe, il faut donc briser les cadres anciens,
avant de s’employer à en construire de nouveaux qui, à l’égal de leurs prédécesseurs,
se heurteront immanquablement à leurs propres limites.
1.
21
La dispersion des connaissances concernant la communication et leur prétention
à être scientifiques résultent sans doute, pour l’essentiel, de l’image que les observateurs ou les chercheurs se donnent, spontanément, de l’action des médias, des
modalités de l’influence sociale, que celle-ci concerne les attitudes, les opinions ou
les comportements des gens. Représentation parfaitement mécaniste selon laquelle
l’action des journaux sur leurs lecteurs — ou bien celle des lecteurs sur leurs
journaux — s’exerce toujours à sens unique, et jamais dans les deux sens. Représentation d’autant moins soupçonnée d’induire en erreur que subsiste, dans les esprits,
le préjugé ou le spectre de la propagande : qui donc, des médias ou de leurs usagers,
manipule qui ?
Cette représentation expose simultanément à deux écueils : la surestimation du
message ou du média, d’un côté ; et l’accent exclusivement porté, de l’autre, sur
l’émetteur des messages ou sur leur récepteur.
a.
22
LA RUPTURE AVEC LES SCHÉMAS ANCIENS
La surestimation du message ou du média
À la fois mécaniste et béhavioriste, la problématique de Lasswell, en affinité
parfaite avec la représentation spontanée de l’action des médias, expose immanquablement à l’un ou à l’autre des deux écueils opposés suivants :
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LES MÉDIAS, L’INFORMATION ET LA COMMUNICATION
Premier écueil : la tentation idéaliste, qui réduit le média au message. Perspective
qui s’intéresse moins directement au média qu’aux contenus transmis. Ce qui revient
à minimiser l’influence de la technique et à mettre l’accent sur les utilisations qui
en sont faites. En ce cas, les canaux sont neutres ou transparents, et l’essentiel paraît
résider dans le contenu des messages distribués ou diffusés. Mais il existe également
un second écueil, en affinité d’inspiration avec ce que l’on conviendra d’appeler
le déterminisme technologique : « media is message ; le message, c’est le média ».
Dans cette perspective, l’important n’est pas tant le sens (le signifié) du message,
mais la façon dont ce signifié est transformé ou transfiguré par le média. D’où
l’idée que les techniques uniformisent les sociétés et leur imposent un mode d’emploi
unique et un seul mode de pensée.
b.
23
Si l’on considère en effet leurs conclusions, et seulement leurs conclusions, les
essais ou les enquêtes sur l’influence des médias se répartissent, depuis plus d’un
demi-siècle, en deux catégories distinctes, selon que l’accent est porté sur les « émetteurs » ou sur les « récepteurs » des messages. D’un côté, il y a ceux, nombreux,
qui concentrent davantage l’attention sur les « émetteurs », sur les messages qu’ils
élaborent, ou sur les moyens qu’ils utilisent pour les acheminer vers leurs destinataires, depuis Serge Tchakhotine jusqu’à Abraham Moles, en passant par Marshall
McLuhan, Jacques Ellul et Herbert Marcuse. Comme allant de soi, ils sont unanimes
à admettre en conclusion l’idée qu’ils postulaient au départ : les médias agissent à
la manière d’une drogue, anesthésiante ou stimulante, incitant par conséquent ses
victimes, avec plus ou moins d’efficacité, au conformisme ou à la contestation, dans
l’action comme dans la réflexion. Avec ce corollaire obligé : les médias sont capables,
pour peu qu’on sache s’en servir, de faire croire ou de faire faire n’importe quoi
à n’importe qui, n’importe comment et n’importe quand.
D’un autre côté, assurément moins célèbres que les précédentes, on trouve celles
des observations ou des réflexions dont l’attention se tourne plutôt vers les « récepteurs » des messages, leurs attentes, leurs préjugés ou leurs comportements. La liste
en est très longue, depuis Harold Lasswell, Bernard Berelson et Paul Lazarsfeld,
jusqu’à Jay Blumler et Jean Cazeneuve, psychosociologues bien plus que sociologues,
et microsociologues bien plus que macrosociologues. Ils sont unanimes : les réactions
de défense ou de rejet sont très nombreuses et très fortes, de la part des « récepteurs »,
face aux messages qui leur sont proposés. Et de montrer, souvent avec le secours
des statistiques, que le pouvoir des médias est loin d’être ce que l’on croit, tant
sont grandes les « résistances » des gens à l’information, pour reprendre l’heureuse
formule d’Anne-Marie Laulan. L’analyse formelle, au demeurant, va plus loin que
l’observation empirique, démontrant que l’influence d’un organe d’information sur
ses « usagers », en durée comme en intensité, varie à l’inverse de l’idée que ces
derniers s’en donnent : justifiée ou pas, la conviction que les médias sont toutpuissants ne commande-t-elle pas, en effet, de se prémunir contre eux, comme on
oppose un antidote à un poison ?
2.
24
L’accent porté, de façon exclusive, sur l’émetteur
ou sur le destinataire des messages
L’APPROCHE INTERACTIONNISTE
Les uns comme les autres, ces travaux sont prisonniers des préjugés de leur
époque ou de leur auteur, tandis qu’ils contribuent à les répandre, sans le vouloir
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INTRODUCTION
ou parce que, précisément, ils le veulent. Plutôt que de manipulation à sens unique,
faisant, des uns, les dénonciateurs impénitents de la propagande, et des autres, ses
orfèvres diaboliques, mieux vaudrait, à coup sûr, parler des ajustements réciproques
entre les « émetteurs » et les « récepteurs » de messages, et adopter du même coup
une représentation interactionniste de toute activité de communication. Parce que
la communication, comme la liberté, s’applique à une relation sociale, celle d’un
« acteur » par rapport à un autre « acteur ». Et que l’interaction désigne précisément
cette action dans laquelle les acteurs interprètent leurs comportements réciproques
et agissent sur la base de cette interprétation.
D’une interprétation purement mécaniste de l’influence des médias sur la société
ou sur ses membres, conforme aux schémas simplistes d’une causalité linéaire ou
à ceux d’un béhaviorisme pavlovien, on passe à une interprétation que l’on peut
qualifier indifféremment de dialectique ou d’interactionniste, interprétation selon
laquelle les « usagers » de médias, qu’ils soient « émetteurs » ou « récepteurs »,
agissent en fonction, non seulement des objectifs qu’ils se donnent, mais également
de l’idée qu’ils ont tout à la fois des moyens dont ils disposent et des contraintes
qu’ils subissent.
Cette approche se réclame des deux principes énoncés par Raymond Boudon pour
définir la sociologie de l’action — ou sociologie « actionniste ». Le premier —
l’individualisme méthodologique — « consiste à prendre au sérieux le fait que
tout phénomène social, quel qu’il soit, est toujours le résultat d’actions, de croyances
ou de comportements individuels ». Le second principe — le postulat de rationalité — affirme que le sociologue désireux d’expliquer un phénomène social doit
« retrouver le sens des comportements individuels qui en sont la source ». Ce second
principe est une règle de méthode, et non une affirmation ontologique.
Ce que le paradigme interactionniste suggère, c’est de penser ensemble les sujets
de toute communication et l’objet de celle-ci, faisant par conséquent des messages
l’enjeu des tractations et des ajustements réciproques des émetteurs et des récepteurs,
de leur prétendu « dialogue », ou de leur prétendue « communication », considérée
tout à la fois comme activité — communicatio —, échange — communicare —,
être en relation avec, et comme résultat possible de cette activité — communitas —.
Cette problématique retient pour les médias la définition que nous avons adoptée et
que l’usage a fini par imposer : ni celle, trop restrictive, des moyens d’« information »
traditionnels, — la presse, la radio et la télévision —, ni celle de McLuhan, trop
extensive, qui inclut dans le monde des médias, au-delà des ordinateurs et de leurs
réseaux, des outils comme la roue ou la machine à vapeur. L’approche en termes
d’interaction permet enfin d’établir, pour une situation donnée, — une cité, une
région, un pays —, une carte des médias et de leurs usages : elle permet d’examiner
la façon dont ils contribuent à la « communication » entre les individus appartenant
à ces différents groupes humains, ainsi qu’à l’« information » qui circule parmi eux.
C. LES MÉDIAS : TROIS APPROCHES
COMPLÉMENTAIRES
25
Une définition des médias confirmée par l’usage, ni trop large,
ni trop étroite ; une représentation de leur action qui écarte les préjugés dominants ;
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LES MÉDIAS, L’INFORMATION ET LA COMMUNICATION
la distinction enfin clairement établie entre les formes canoniques de la « communication » — l’échange, la propagation et la diffusion — : ces préalables permettent de
clarifier, l’une par rapport à l’autre, les deux notions d’information et de communication. Ils conduisent à la détermination de plusieurs approches, différentes mais
complémentaires, pour l’étude des médias, de la place qu’ils occupent et du rôle
qu’ils jouent dans la société.
1.
26
LA COMMUNICATION ET L’INFORMATION
La communication désigne à la fois une action et le résultat de cette action :
communicare et communitas. Ce rappel éclaire cette définition énigmatique de
Gregory Bateson, l’un des principaux représentants de l’école de Palo Alto : « Communiquer, c’est entrer dans l’orchestre ». Il éclaire pareillement le point de départ de
Une logique de la communication (Paul Watzlawick, 1967) : « Toute communication
présente deux aspects : le contenu et la relation, tels que le second englobe le
premier ». On ne saurait être mieux inspiré qu’en suivant Daniel Bougnoux, quand
il propose, en 1996, de « remplacer (dans la phrase de Watzlawick) contenu par
information et relation par communication ». Et de déduire très opportunément de
cette préconisation la primauté de la communication, refusant « de couper le micro
du macro, la psychologie du social, [...] l’approche sémiologique de l’étude du
fonctionnement des médias, car toutes ces choses se tiennent » : « L’aspect relationnel
d’un message est [...] deux fois premier : physiquement ou chronologiquement puisqu’il faut bien évidemment établir un contact pour qu’une communication s’instaure ;
herméneutiquement ou logiquement puisque la perception du cadre ou de l’intention
qu’il suppose conditionne le déchiffrement correct du message. » (La communication
contre l’information, 1996).
L’affirmation éclaire autrement la question de l’information. Il ne suffit pas, en
effet, d’avancer que la communication est un processus dont l’information est le
contenu, et que les Européens mettent plutôt l’accent sur celui-ci et les Américains sur
celui-là. Encore faut-il montrer que la communication et l’information correspondent à
des logiques ou à des « médias » différents, mais qu’elles sont inséparables : l’information émerge de la communication ; elle peut être étouffée par elle. Comme le
souligne Daniel Bougnoux, les deux notions « antagonistes forment un couple, elles
se repoussent et se complètent, et recouvrent des réalités historiques et sociales
largement solidaires, quoique contradictoires ».
L’accent porté sur ces liaisons à la fois complémentaires et antagonistes entre la
communication et l’information permet de mieux comprendre la diversité des enjeux
de l’information, diversité déjà mise en lumière par les économistes Machlup et
Porat, en 1962 et 1977. À l’aube du XXIe siècle, comme le suggérait Heinz von
Foerster (La construction d’une réalité, 1988), on peut considérer que l’usage a
consacré le mot information, dans la langue anglaise comme en français, en italien
ou en espagnol, pour désigner tantôt les nouvelles portant sur l’actualité (les news),
tantôt des renseignements ordonnés et souvent quantifiés, des données concernant
certaines activités économiques ou sociales (les datas), tantôt les savoirs, ou le
savoir en général (knowledge).
Ce qui rappelle pareillement que l’information n’existe que pour ceux qui la
reçoivent, en raison du sens qu’ils lui donnent et de la pertinence qu’ils lui trouvent
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INTRODUCTION
ou qu’ils lui prêtent. Ce qui rend plus urgent encore l’établissement d’une carte des
médias et de leurs usages.
2.
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MÉDIAS ET SOCIÉTÉS
La nécessité de considérer simultanément les moyens et les formes de la communication — en d’autres termes, les médias et les utilisations qui en sont faites, pour
recevoir ou pour émettre des messages —, nous conduit, pour cet ouvrage consacré
aux relations réciproques entre les médias et les sociétés, à adopter successivement
trois points de vue différents.
La première partie de ce livre est une rétrospective : de la presse à Internet,
les médias suivent un chemin qui les conduit de la pauvreté vers l’abondance, du
monopole à la concurrence. Ce sont les médias de l’écrit qui se sont répandus les
premiers, grâce à l’invention de l’imprimerie, avec les livres et les journaux, depuis
le XVe siècle jusqu’à nos jours. Les médias, au XXe siècle, ont offert leur revanche
à la fois au son et à l’image, avec le téléphone, le cinéma, la radio et la télévision.
Enfin, quelques années seulement avant le XXIe siècle, l’Internet est devenu un média
à part entière, grâce au Web — toile mondiale —, à la fois plus grand journal et
plus grande bibliothèque du monde, hypermarché à l’échelle planétaire et musée
imaginaire dont Malraux lui-même n’aurait jamais osé rêver.
Le deuxième point de vue, adopté dans la deuxième partie de ce livre, est celui
des institutions. Les grands médias, notamment la presse, la radio et la télévision,
ont chacun leur régime : un ensemble de dispositions qui président à l’organisation
des entreprises, éditeurs de journaux ou de disques, diffuseurs de programmes de
radio ou de télévision, prestataires de services à distance, sous forme de textes, de
graphiques, d’images ou d’œuvres multimédias. Ces régimes trouvent leur légitimité
dans la concurrence : concurrence entre les sources d’approvisionnement, compétition
organisée entre les médias auprès de leurs audiences possibles. Dans les premières
années du XXIe siècle, le combat pour la liberté demeure ce qu’il a toujours été :
un combat permanent, une création continue. Sur le terrain de l’Internet comme
pour ses prédécesseurs, il s’agit de défendre les droits de la création et le respect
des libertés individuelles et collectives. La mondialisation des marchés et des médias
marque-t-elle l’avènement du village planétaire auquel McLuhan rêvait ? Est-elle
l’annonce du ralliement de tous à ces valeurs décrétées universelles par l’« Occident » : les droits individuels, les libertés politiques, la démocratie ?
Le troisième point de vue, qui correspond à la troisième partie de ce livre, est
celui des usages en même temps que des influences, sur chacun d’entre nous, sur
la vie en société, sur les relations au sein de la société internationale : d’où cet
intitulé « Les médias, l’individu et la société ». Des médias, quelle utilisation les
gens font-ils ? À quelle fin ? Avec quel espoir, secret ou affiché ? Avec quel résultat,
attendu ou inattendu, heureux ou malheureux ? Il s’agit de considérer, non seulement
ce que les gens « font » des médias, mais aussi ce qu’ils en « attendent », ce qu’ils
en « pensent », avant de considérer ce qu’ils en « perçoivent » et, chemin faisant,
ce que les médias « font » aux gens. Questions inséparables de celles relatives à l’ordre
social et à l’ordre politique. Quelle place occupent respectivement, conjointement aux
médias, la famille, l’école, les églises et d’autres organisations ou communautés,
dans « l’institution » des enfants, pour parler comme Montaigne, dans la formation
de l’opinion des électeurs, dans la détermination des opinions et des comportements
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LES MÉDIAS, L’INFORMATION ET LA COMMUNICATION
individuels ? Comment enfin, dans les sociétés qui font le pari de la liberté, se
nouent les relations entre les « mandarins » — hommes d’action, hommes politiques,
artistes, savants ou créateurs —, les marchands, qui offrent leurs services afin de
réaliser un profit, et les « gens des médias », les médiateurs, journalistes ou pas,
tournés vers leurs audiences et soucieux, en même temps, de maintenir la balance
égale entre ceux-ci et ceux-là ?
Nos 28 à 39 réservés.
Introduction
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