éditorial Équilibre, équilibre Jean-Marc Daniel L e G20 d’avril a été envisagé comme l’amorce d’un nouveau Bretton Woods, c’est-à-dire une réflexion sur la redéfinition des relations monétaires internationales. On peut trouver cela ambitieux, et sans doute serait-il plus sage d’essayer, avant d’invoquer 1944, de revenir à 1987 et aux accords du Louvre. Ces derniers stipulaient en effet la nécessité pour les gestionnaires des grandes monnaies de s’entendre sur les modalités d’intervention sur le marché des changes. S’accorder sur ce point serait déjà un pas important et remettre en vigueur ces accords un succès non négligeable. Mais reconstruire, ou plus simplement corriger, un système monétaire international n’a de sens que si ce que l’on fait est pérenne. Or, la pérennité repose sur l’équilibre des balances des paiements courants des participants au système. Après l’abandon officiel de l’or en 1976, les membres du FMI avaient signé un texte selon lequel ils s’engageaient, en cas de déséquilibre, à mettre en œuvre la politique nécessaire pour le corriger. Incohérences Le moins que l’on puisse dire est que, jusqu’à présent, rien n’a été fait qui s’inscrive dans cette logique. Certes, les politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI pendant les crises d’endettement des années 1980 et 1990 correspondaient parfaitement à ce but. Mais dans bien des cas, ce principe est resté lettre morte. Pays en excédent, la Chine devrait laisser sa devise s’apprécier pour réduire ses exportations. Et pourtant elle l’a encore dévaluée l’automne dernier par rapport au dollar, pour empêcher que son excédent ne s’amenuise. Pays en déficit, les États-Unis devraient reconstituer systématiquement leur épargne en programmant une hausse régulière des impôts et une réduction drastique de leur déficit budgétaire. Et voyez la relance Obama… Le fondement essentiel d’un système monétaire international est d’assurer l’équilibre des paiements courants. Les mercantilistes ont quitté le devant de la scène au XVIIIe siècle et sont devenus des curiosités pour historiens de l’économie pour la simple et bonne raison qu’ils s’obstinaient à rêver d’excédents extérieurs et de guerre commerciale. En revanche, le système d’étalonor s’imposa car il garantissait l’équilibre. Un déficit conduisait à une perte d’or, puis à la déflation, et in fine à une amélioration de la compétitivitié externe. Cette amélioration augmentait les exportations et le tour était joué. Le système de Bretton Woods avait un objectif simple : apporter l’équilibre comme l’étalon-or tout en évitant la déflation. Les travaux de l’économiste suédois Karl Gustav Cassel au sortir de la Première Guerre mondiale avaient montré que l’on pouvait y parvenir en procédant à des dévaluations, pourvu que celles-ci conduisent à un taux de change conforme à la parité des pouvoirs d’achat. C’était cela, Bretton Woods : des changes fixes, mais ajustables, pour atteindre des équilibres sans baisse des prix et des salaires. Seulement, les dévaluations se sont succédé et se sont détruites. La dévaluation de la livre en 1967, supposée donner un 2 2-Intro.indd 5 eme trimestre 2009 • 27/03/09 15:00:47 éditorial nouveau souffle à une économie britannique exsangue, s’est brisée sur la dévaluation du franc de 1969 qui reconstitua les parts de marché de la France. Déflation, dévaluation, changes flottants À la disparition de Bretton Woods, les changes flottants devaient échapper aux brutalités de la déflation et aux effets pervers des stratégies de dévaluations compétitives ; ils devaient permettre de trouver un taux de change représentatif de la réalité économique. Mais cela n’aurait été possible que si chaque pays avait dans ce nouveau système gardé parmi ses objectifs celui assigné aux précédents, à savoir l’équilibre des paiements courants. Automatique dans le système d’étalon-or, organisé autour de dévaluations négociées dans Bretton Woods, cet équilibre est laissé aux bons soins des marchés dans les changes flottants. Avec comme garde-fou l’engagement solennel pris au FMI en 1977 de tout faire pour l’atteindre. Engagement que la Chine, l’Allemagne, le Japon, accumulant les excédents, ne tiennent pas ; engagement que les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, accumulant les déficits, ne tiennent pas non plus. Le véritable enjeu du G20 est donc la crédibilité des décisions qui seront prises pour que l’équilibre extérieur de chaque entité monétaire redevienne la règle. La première décision serait d’admettre qu’un déséquilibre extérieur traduit un excès de demande par rapport à l’offre nationale et s’assimile à l’inflation. Il faut dès lors intégrer le déficit dans les critères d’évaluation de la politique monétaire et exiger de la banque centrale qu’elle la durcisse en cas de déficit. La deuxième est de se souvenir qu’un déficit extérieur est un manque d’épargne et que le moyen le plus simple de rétablir l’épargne globale d’un pays est d’en rétablir l’épargne publique en augmentant les impôts et en réduisant les dépenses. Redéfinir l’inflation et donc la politique monétaire On voit bien que des deux approches, la seconde est politiquement celle qui pose le plus de problèmes aux dirigeants. Ce qui n’a pas empêché le vote récent d’une augmentation significative des impôts en Californie, État d’où était partie en 1978 la grande révolte fiscale qui a fait de la baisse des prélèvements obligatoires le point de passage obligé de tout programme électoral depuis trente ans. En pratique, ce qu’il faut désormais, c’est une redéfinition des méthodes des banques centrales. Elles ne doivent plus se limiter à suivre l’indice des prix à la consommation, mais également évaluer l’excès de demande par rapport à l’offre, mesuré entre autres par le déficit extérieur. C’est en adoptant cette méthode que l’on évitera des politiques monétaires trop laxistes – comme celle de la Réserve fédérale américaine, entre 2001 et 2007, qui se fondait sur le fait que les prix restaient stables. Des banques centrales réellement indépendantes, avec un mandat élargi non pas artificiellement et vainement comme le réclame à la cantonade le discours dominant « à la croissance », mais bel et bien élargi à une prise en compte intégrale de l’inflation, c’est-à-dire au suivi des comptes extérieurs, sont indispensables si l’on veut éviter de nouvelles crises monétaires et financières. • Sociétal n°64 2-Intro.indd 6 27/03/09 15:00:48