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1. La lutte pour la reconnaissance
Je vais présenter ici la grille de lecture initiale qui nous accompagnera tout au long du
travail. Axel Honneth combine deux auteurs et deux perspectives scientifiques différentes.
Tout d’abord, il reprend la prémisse générale de Hegel qui prétend que la formation pratique
de l’identité individuelle s’élabore face à l’expérience d’une reconnaissance intersubjective.
Hegel distinguait trois sphères sociales des sociétés modernes au sein desquelles un certain
type de reconnaissance était attendu : la famille, la société civile et l’État. Honneth met Hegel
en lien avec la psychologie sociale de Mead qui aboutit sensiblement aux mêmes conclusions
que Hegel au sujet de la reconnaissance. La combinaison des deux approches permet à Axel
Honneth de construire une théorie expliquant « les processus de transformations sociales en
fonction d’exigences normatives qui sont structurellement inscrites dans la relation de
reconnaissance mutuelle »
3
.
Les individus doivent faire face à des contraintes normatives venant de leurs
partenaires d’interaction grâce auxquels ils se comprennent et se construisent. La
reconnaissance est l’élément qui permet d’exprimer socialement la rencontre de l’individu
avec les contraintes normatives. Les groupes sociaux luttent l’un contre l’autre pour une
reconnaissance mutuelle, que ce soit sur le plan institutionnel ou culturel, et sous des prétextes
moraux. C’est ainsi que s’opère la transformation normative des sociétés.
Axel Honneth distingue trois volets de reconnaissance réciproque contenue dans les
trois sphères sociales citées par Hegel. Par ailleurs, chaque volet contient des caractéristiques
particulières à propos : du vecteur de reconnaissance qu’il implique ; du rapport authentique à
soi qu’il dessine ; du déni de reconnaissance qui le menace ; du potentiel de lutte qu’il
contient.
1.1. La reconnaissance amoureuse
L’amour est donc le premier degré de la reconnaissance réciproque. « L’amour
comprendra ici toutes les relations primaires qui, sur le modèle des rapports érotiques,
amicaux ou familiaux, impliquent des liens affectifs puissants entre un nombre restreint de
personnes »
4
. Les deux êtres qui se sentent unis se vouent une estime mutuelle particulière.
Les relations affectives primaires demandent un équilibre entre autonomie et dépendance
puisqu’on est « sois même dans le corps d’un étranger ». L’amour d’une mère à son enfant,
l’amitié ou une relation amoureuse sont le vecteur privilégié de la prise de conscience de son
autonomie et de l’affirmation de soi. En effet, sur base des expériences du pédiatre Winnicott,
Honneth avance que la relation ne peut fonctionner que si les sujets apprennent l’un de l’autre
afin de savoir comment se différencier pour s’affirmer comme des êtres indépendants.
Ce qui atteint à l’intégrité psychophysiologique de l’individu (menaces, agression
physique) est le contraire de la reconnaissance amoureuse. Le terme reconnaissance désigne
ici la réciprocité qui amène à la confiance. Celle-ci permet aux sujets de s’affranchir (pour
garder leur autonomie) tout en restant lié. Pour finir, la reconnaissance amoureuse fournit à
l’individu la confiance en soi « sans laquelle il ne peut participer de façon autonome à la vie
publique »
5
. Nous verrons dans la suite du travail que les relations des jeunes délinquants avec
leurs parents ainsi qu’avec des individus issus d’un autre milieu qu’eux prennent une
importance particulière.
3
HONNETH A., La Lutte pour la reconnaissance, Edition du Cerf, 2002, Paris, 232 p., p. 113.
4
Idem, p. 117.
5
Idem, p. 120.