éducation Petite enfance ne rime pas avec délinquance Les professionnels de l’éducation et de la santé se sont fortement mobilisés à la suite de l’expertise controversée de l’Inserm sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent. n septembre dernier, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiait une expertise collective intitulée «Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent». S’appuyant sur l’analyse de la littérature scientifique internationale, un groupe d’experts avait réalisé une synthèse établissant un point des connaissances et formulant des préconisations, parmi lesquelles «le repérage des perturbations du comportement dès la crèche et l’école maternelle». Ce travail de l’Inserm a soulevé un profond malaise chez les professionnels de santé et d’éducation et suscité une pétition («Pas de zéro de conduite pour les moins de trois ans») qui a recueilli plus de 170000 signatures. La presse a également donné un large écho à la polémique. Le contexte s’y prêtait, en raison du très contesté rapport Bénesti (député UMP) sur la prévention de la délinquance, et surtout de la proposition du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy de créer, dans le cadre de l’avant-projet de loi de prévention de la délinquance, un «carnet de comportement de l’enfant». Dès lors, les travaux de l’Inserm ont dépassé le strict cadre de l’expertise médicale pour s’inviter au cœur d’un houleux débat de société (1). E NE PAS OUBLIER LA SOUFFRANCE DES ENFANTS Que dit cette expertise? Tout d’abord, elle relève l’absence d’études épidémiologiques suffisantes en France. Elle reprend aussi la classification des troubles mentaux en usage aux États-Unis, entrant ainsi en conflit avec la tradition psychiatrique française… L’étude précise que «la très grande majorité des adultes présentant une personnalité antisociale ont des antécédents de troubles de conduite». Et si elle reconnaît que les comportements d’opposi- tion et d’agressivité s’expriment normalement au cours de la petite enfance chez la plupart des enfants jusqu’aux environs de quatre ans, elle évoque «des traits de caractère tels que la froideur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme». Elle préconise surtout un dépistage précoce et systématique de signes présentés comme «prédictifs» d’un comportement antisocial. C’est pourquoi de nombreux professionnels de l’enfance se sont alarmés des conséquences qui pourraient en découler. Ils pointent le risque de dérives et redoutent que l’impasse soit faite sur les causes de souffrance des enfants pour se concentrer sur l’éradication des symptômes. L’usage croissant des psychotropes (comme la Ritaline), en vigueur notamment aux EtatsUnis, fait également craindre une médicalisation à outrance. Bernard Golse, chef du service pédopsychiatrique de l’hôpital Necker, insiste notamment sur le fait «qu’il y a mille et une raisons pour un enfant d’être agressif et provocateur» (2) et met en garde contre «un regard catastrophique, épouvantablement coinçant, qui risque de créer exactement ce qu’on craint». Les professionnels de l’enfance, pédopsychiatres, médecins de PMI, travailleurs sociaux, enseignants, disent régulièrement leurs difficultés à faire face à tous les problèmes rencontrés dans l’exercice de leur métier tant le nombre d’enfants en souffrance est important. Le besoin de prévention est bien sûr affirmé. Il s’accompagne toutefois du souci de ne pas stigmatiser les enfants ni de les enfermer dans un jugement hâtif et quasi définitif. Les enfants qui rencontrent des problèmes de comportement doivent avoir accès à une palette thérapeutique variée. Mais cela ne doit pas conduire à oublier que ces problèmes se situent souvent dans le domaine social, éducatif et pédagogique. UN SUJET SENSIBLE LES ENTRETIENS DU 21 JUIN «Penser des politiques publiques au service de la petite enfance»: c’est le thème des «1ers entretiens de la petite enfance», organisés mercredi 21 juin à l’Hôtel de Ville de Paris par l’Observatoire de l’enfance en France. Avec les interventions d’AnneMarie Chartier (Evolution du statut du jeune enfant du XIXe au XXIe siècle), d’Eric Maurin (Contexte social et destins scolaires), d’Agnès Florin (Les différents modes de garde des jeunes enfants et leurs impacts respectifs), du Dr Maurice Titran (Alliances contre souffrances) de Vivianne Bouysse (L’école maternelle française: de l’assurance au doute?), etc. Contact: Observatoire de l’enfance en France, 3, square Max Hymans, 75748 Paris cedex 15 / [email protected] / Inscription obligatoire. 14 Juin 2006 en jeu une autre idée du sport n°399 L’ampleur des réactions a conduit le directeur de l’Inserm Christian Bréchot à inviter les différents partenaires à débattre de ce qu’il a qualifié de «vraie question». Il s’est également engagé à ce que «les expertises qui posent des questions de société majeures» soient désormais discutées avec ces mêmes partenaires avant d’être rendues publiques. Cette polémique aura en tout cas rappelé que l’enfance, et c’est tant mieux, est un sujet sensible. Souhaitons seulement qu’elle soit le prélude à un véritable examen des politiques publiques de l’enfance, dans toutes leurs dimensions.● NICOLE GENEIX (1) Annoncée pour le 12 avril, la présentation du plan national de prévention de la délinquance a été reportée sine die. Nicolas Sarkozy a toutefois indiqué qu’un projet de loi sur la prévention serait déposé fin mai. La question sensible du dépistage précoce des enfants délinquants pourrait également figurer dans le plan Sarkozy, à moins qu’elle ne soit glissée dans le projet de loi sur la protection de l’enfance (d’après La Gazette des communes du 16 avril). (2) Le Monde du 20 avril 2006.