14 Juin 2006 en jeu uneautreidéedu sport n°399
LES ENTRETIENS DU 21 JUIN
«Penser des politiques publiques au service de
la petite enfance»: c’est le thème des «1ers
entretiens de la petite enfance», organisés
mercredi 21 juin à l’Hôtel de Ville de Paris
par l’Observatoire de l’enfance en France. Avec les interventions d’Anne-
Marie Chartier (Evolution du statut du jeune enfant du XIXeau XXIesiècle),
d’Eric Maurin (Contexte social et destins scolaires), d’Agnès Florin (Les
différents modes de garde des jeunes enfants et leurs impacts respectifs), du
Dr Maurice Titran (Alliances contre souffrances) de Vivianne Bouysse (L’école
maternelle française: de l’assurance au doute?), etc.
Contact: Observatoire de l’enfance en France, 3, square Max Hymans, 75748 Paris cedex 15 /
negneix@observation-enfance.org/ Inscription obligatoire.
Petite enfance ne rime pas
avec délinquance
éducation
En septembre dernier, l’Institut national de la santé
et de la recherche médicale (Inserm) publiait une
expertise collective intitulée «Trouble des conduites
chez l’enfant et l’adolescent». S’appuyant sur l’ana-
lyse de la littérature scientifique internationale, un
groupe d’experts avait réalisé une synthèse établissant un point
des connaissances et formulant des préconisations, parmi les-
quelles «le repérage des perturbations du comportement dès la
crèche et l’école maternelle». Ce travail de l’Inserm a soulevé un
profond malaise chez les professionnels de santé et d’éducation
et suscité une pétition («Pas de zéro de conduite pour les moins
de trois ans») qui a recueilli plus de 170000 signatures. La
presse a également donné un large écho à la polémique. Le
contexte s’y prêtait, en raison du très contesté rapport Bénesti
(député UMP) sur la prévention de la délinquance, et surtout
de la proposition du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy de
créer, dans le cadre de l’avant-projet de loi de prévention de la
délinquance, un «carnet de comportement de l’enfant». Dès lors,
les travaux de l’Inserm ont dépassé le strict cadre de l’expertise
médicale pour s’inviter au cœur d’un houleux débat de société (1).
NE PAS OUBLIER LA SOUFFRANCE DES ENFANTS
Que dit cette expertise? Tout d’abord, elle relève l’absence d’études
épidémiologiques suffisantes en France. Elle reprend aussi la clas-
sification des troubles mentaux en usage aux États-Unis, entrant
ainsi en conflit avec la tradition psychiatrique française… L’étude
précise que «la très grande majorité des adultes présentant une
personnalité antisociale ont des antécédents de troubles de
conduite». Et si elle reconnaît que les comportements d’opposi-
tion et d’agressivité s’expriment normalement au cours de la
petite enfance chez la plupart des enfants jusqu’aux environs de
quatre ans, elle évoque «des traits de caractère tels que la froi-
deur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme». Elle
préconise surtout un dépistage précoce et systématique de signes
présentés comme «prédictifs» d’un comportement antisocial.
C’est pourquoi de nombreux professionnels de l’enfance se sont
alarmés des conséquences qui pourraient en découler. Ils poin-
tent le risque de dérives et redoutent que l’impasse soit faite
sur les causes de souffrance des enfants pour se concentrer sur
l’éradication des symptômes. L’usage croissant des psycho-
tropes (comme la Ritaline), en vigueur notamment aux Etats-
Unis, fait également craindre une médicalisation à outrance.
Bernard Golse, chef du service pédopsychiatrique de l’hôpital
Necker, insiste notamment sur le fait «qu’il y a mille et une rai-
sons pour un enfant d’être agressif et provocateur» (2) et met
en garde contre «un regard catastrophique, épouvantablement
coinçant, qui risque de créer exactement ce qu’on craint».
Les professionnels de l’enfance, pédopsychiatres, médecins de
PMI, travailleurs sociaux, enseignants, disent régulièrement leurs
difficultés à faire face à tous les problèmes rencontrés dans l’exer-
cice de leur métier tant le nombre d’enfants en souffrance est
important. Le besoin de prévention est bien sûr affirmé. Il s’ac-
compagne toutefois du souci de ne pas stigmatiser les enfants
ni de les enfermer dans un jugement hâtif et quasi définitif.
Les enfants qui rencontrent des problèmes de comportement
doivent avoir accès à une palette thérapeutique variée. Mais
cela ne doit pas conduire à oublier que ces problèmes se situent
souvent dans le domaine social, éducatif et pédagogique.
UN SUJET SENSIBLE
L’ampleur des réactions a conduit le directeur de l’Inserm Christian
Bréchot à inviter les différents partenaires à débattre de ce qu’il
a qualifié de «vraie question». Il s’est également engagé à ce que
«les expertises qui posent des questions de société majeures» soient
désormais discutées avec ces mêmes partenaires avant d’être ren-
dues publiques. Cette polémique aura en tout cas rappelé que
l’enfance, et c’est tant mieux, est un sujet sensible. Souhaitons
seulement qu’elle soit le prélude à un véritable examen des poli-
tiques publiques de l’enfance, dans toutes leurs dimensions.●
NICOLE GENEIX
(1) Annoncée pour le 12 avril, la présentation du plan national de prévention
de la délinquance a été reportée sine die. Nicolas Sarkozy a toutefois indiqué
qu’un projet de loi sur la prévention serait déposé fin mai. La question
sensible du dépistage précoce des enfants délinquants pourrait également
figurer dans le plan Sarkozy, à moins qu’elle ne soit glissée dans le projet de
loi sur la protection de l’enfance (d’après La Gazette des communes du 16 avril).
(2) Le Monde du 20 avril 2006.
Les professionnels de l’éducation et de la santé se sont fortement
mobilisés à la suite de l’expertise controversée de l’Inserm
sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent.