Nos Editos Nos Actus International » Actualité Il reste 4 article(s) en libre consultation Economie sociale et solidaire Coopérativisme infusé Mercredi 15 février 2017 - Clément Pouré Scop-Ti a produit et vendu 30 tonnes de thés et d'infusions et 2016. CPE Sauvé et repris par ses salariés, Scop-Ti (ex-Fralib), fabriquant de sachets de thé à Gémenos, près de Marseille, tente de pérenniser et de propager son modèle coopératif et solidaire. Ils faisaient figure de victimes idéales de la mondialisation galopante. La rationalité économique leur prédisait le chômage ou un emploi en Pologne pour 6000 euros par an. Mais en ce début d'année 2017, les salariés de l'usine de Scop-Ti, dans la zone industrielle du village provençal de Gémenos, s'activent toujours à remplir de petits sachets de thé. «On a gagné», résume simplement Olivier Leberquier, grand type au timbre ensoleillé et actuel directeur général adjoint de Scop-Ti. Le 28 septembre 2010, quand l'usine s'appelait encore Fralib, il y cravachait déjà. Ce jour-là, la multinationale Unilever, propriétaire de l'entreprise gémenosienne, annonce aux 182 salariés que l'activité de production de sachets de thés et d'infusions – plus de 30 % du marché français – va être délocalisée. Direction la Pologne, où il ne coûte que de 9 centimes d'euros de salaire pour fabriquer une boîte, contre 14 en France. Comme les autres, Olivier Leberquier, alors délégué syndical CGT, ramasse la nouvelle sur le coin du visage. «On était bénéficiaire, ça n'avait aucun sens», rappelle-t-il. Ensuite? Une lutte sans merci. Par trois fois, les employés font retoquer, devant les tribunaux, le plan de licenciement proposé par le géant Unilever. Les Fralibs occupent leur usine pour éviter que les machines soient enlevées et vont jusqu'à envahir le ministère de l'Agriculture. De son coté, Unilever enchaîne les coups bas, jusqu'aux pressions physiques. «On n'a pas le droit de se vautrer» En mai 2014, la société anglo-néerlandaise finit par rendre les armes et débourse 20 millions d'euros. Dix payent les arriérés de salaires, 1,5 sont répartis entre les 72 salariés encore en lutte. Le reste sert à financer le projet qu'ils ont élaboré, celui d'une entreprise coopérative et démocratique produisant des thés et des infusions, Scop-Ti1. Dans le réfectoire de l'usine, Jean-François et Yannick sont assis côte à côte. Les deux sont entrés en interim à Fralib, en 1996 et 1997, avant d'être embauchés en CDI (contrat à durée indéterminée) quelques années plus tard. Comme cinquantedeux anciens salariés de Fralib, restés jusqu'à la fin de la lutte, ils ont déjà été réintégrés. Leurs quelques collègues qui touchent encore le chômage rejoindront l'entreprise courant 2017. «On a pas le droit de se vautrer», constate Yannick. La coopérative a lancé deux marques: 1336 – comme le nombre de jours de lutte des salariés –, destinée aux grandes surfaces, et Scop-Ti, qui cible les réseaux spécialisés. Les affaires sont florissantes: 30 tonnes de produits écoulées depuis le lancement. Soit 450 000 euros de chiffre d'affaires en un an et demi. Réinventer l'entreprise Mais il faudra faire mieux. En s'engageant à reprendre l'ensemble des anciens de Fralib, la coopérative s'est condamnée à un succès rapide. D'ici 2018, l'entreprise doit quadrupler les ventes pour arriver à l'équilibre et pérenniser l'activité. Le challenge est aussi personnel: l'ensemble des salariés a dû apprendre de nouveaux métiers, tous les cadres ayant quitté l'entreprise durant la lutte. «J'ai passé une licence professionnelle, trois ans d'études», raconte Yannick. «Jeff» a lui aussi changé de métier. Longtemps opérateur, il s'occupe aujourd'hui de la communication numérique de Scop-Ti. Plus que d'argent, il parle de lutte des classes. «L'enjeu, c'est de démontrer que l'économie peut fonctionner autrement, qu'il y a d'autres solutions », dit-il. En ce sens, Scop-Ti fait figure d'anomalie: les anciens salariés sont tous coopérateurs et élisent un comité de direction. Les statuts interdisent de rémunérer le capital et de verser de hauts salaires, ceux-ci variant aujourd'hui entre 1700 et 2000 euros par mois. Exporter le modèle En sortant, on recroise le directeur-adjoint. Alors Olivier, c'est quoi la suite? «Là, tout de suite, je pars en formation, glisse-t-il. Pour l'année, je me fixe un objectif plus simple. Trouver du temps pour me remettre au sport.» Et pour la boîte? «Dans nos murs, on a vaincu le capitalisme, on a fait tomber le système. Mais dehors, il existe toujours», balance-t-il malicieusement. Pour continuer le combat, les Scop-Ti ont créé une association, Fraliberthé. L'objectif: promouvoir – «partout!» – le modèle économique, social, culturel et politique de l'entreprise. A les connaître, on les en croit capables. 1.Lire également Le Courrier du 26 novembre 2014: www.lecourrier.ch/125753/grevistes_seuls_face_aux_speculateurs L’autre économie s’invite dans la campagne A la marge en 2012, l’Economie sociale et solidaire (ESS) s’impose peu à peu comme un thème de la présidentielle. Yannick Jadot, le candidat écologiste, a fait des principes de l’ESS son leitmotiv. Il veut favoriser les entreprises du secteur dans la commande publique et en faire un levier de la transition énergique. Il propose même que la cogestion devienne la norme dans toutes les entreprises et que 50% des administrateurs des entreprises soient les salariés. Jean-Luc Mélenchon, dans une moindre mesure, souhaite aussi user de l’ESS comme d’un outil politique en lui donnant plus de place dans l’économie française. Il est par exemple favorable à un droit de préemption pour les salariés sur leur entreprise et s’est rendu à plusieurs reprises auprès d’employés désireux de maintenir l’activité de leur usine. Mais c’est Benoît Hamon qui s’affiche comme le candidat de l’ESS. Ancien ministre délégué chargé de l’Economie sociale et solidaire, il a pour ambition que le secteur atteigne 20% du PIB français en 2025, contre 10% aujourd’hui. Quant à Emmanuel Macron, s’il décrit l’ESS comme «l’alliance de l’utilité sociale et de la performance économique», ses propositions concrètes sont inconnues. CPE/BPZ Trois questions à Michel Abhervé Enseignant en économie sociale et politiques publiques à l'université de Paris-Est Marne-La-Vallée Il semble que l’économie sociale et solidaire (ESS) ait le vent en poupe. En cinq ans, le nombre d’employés actifs dans l’ESS1 a augmenté de 0,8% alors qu’il baissait de 0,2% sur l’ensemble de l’économie française. L’ESS a la capacité rare et précieuse d’explorer des champs nouveaux. Dans une société où le chômage de masse est devenu la règle, elle a, par exemple, su proposer des services de formation, d’accès à l’emploi… Une capacité d’adaptation qui s’explique en partie car ce sont souvent les victimes du problème qui créent elles-mêmes une réponse. On l’a vu avec les crèches parentales. L’absence de structures adaptées et les prix prohibitifs de nombreuses crèches ont poussé les parents à réfléchir à de nouveaux systèmes de garde, reposant sur leur implication. Ici, les acteurs sont aussi les bénéficiaires. Mais l’ESS un autre atout: elle n’a pas à sur-rémunérer le capital! Dans ce contexte, que pèsele phénomène des entreprisesrécupérées par leurs salariés et transformées en coopératives? Cela reste assez marginal. Le modèle coopératif ne concerne que 40 000 salariés, contre 2,4 millions pour tout le secteur de l’ESS. Et seulement 6% de ces Sociétés coopératives et participatives (SCOP) sont nées suite à la reprise d’une entreprise en crise. Quels rôles jouent les politiques publiques dans le développementou non de cette autre économie? Un rôle déterminant, surtout aujourd’hui. Le début de quinquennat de François Hollande a été marqué par l’émergence d’une vraie politique tournée vers l’ESS. Mais il y a, à l’évidence, des contradictions. Un exemple? Juste après le vote de la loi sur l’ESS, le gouvernement a mis en place le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui bénéficie principalement aux grosses entreprises. Le défi aujourd’hui est de modifier ce type de mécanismes de soutien financier, trop souvent conçus pour les grandes entreprises. Propos recueillis par CPE