devant les tribunaux, le plan de licenciement proposé par le géant Unilever. Les
Fralibs occupent leur usine pour éviter que les machines soient enlevées et vont
jusqu'à envahir le ministère de l'Agriculture. De son coté, Unilever enchaîne les
coups bas, jusqu'aux pressions physiques.
«On n'a pas le droit de se vautrer»
En mai 2014, la société anglo-néerlandaise finit par rendre les armes et débourse
20 millions d'euros. Dix payent les arriérés de salaires, 1,5 sont répartis entre les
72 salariés encore en lutte. Le reste sert à financer le projet qu'ils ont élaboré, celui
d'une entreprise coopérative et démocratique produisant des thés et des infusions,
Scop-Ti1.
Dans le réfectoire de l'usine, Jean-François et Yannick sont assis côte à côte. Les
deux sont entrés en interim à Fralib, en 1996 et 1997, avant d'être embauchés en
CDI (contrat à durée indéterminée) quelques années plus tard. Comme cinquante-
deux anciens salariés de Fralib, restés jusqu'à la fin de la lutte, ils ont déjà été
réintégrés. Leurs quelques collègues qui touchent encore le chômage rejoindront
l'entreprise courant 2017. «On a pas le droit de se vautrer», constate Yannick.
La coopérative a lancé deux marques: 1336 – comme le nombre de jours de lutte
des salariés –, destinée aux grandes surfaces, et Scop-Ti, qui cible les réseaux
spécialisés. Les affaires sont florissantes: 30 tonnes de produits écoulées depuis le
lancement. Soit 450 000 euros de chiffre d'affaires en un an et demi.
Réinventer l'entreprise
Mais il faudra faire mieux. En s'engageant à reprendre l'ensemble des anciens de
Fralib, la coopérative s'est condamnée à un succès rapide. D'ici 2018, l'entreprise
doit quadrupler les ventes pour arriver à l'équilibre et pérenniser l'activité.
Le challenge est aussi personnel: l'ensemble des salariés a dû apprendre de
nouveaux métiers, tous les cadres ayant quitté l'entreprise durant la lutte. «J'ai passé
une licence professionnelle, trois ans d'études», raconte Yannick. «Jeff» a lui aussi
changé de métier. Longtemps opérateur, il s'occupe aujourd'hui de la communication
numérique de Scop-Ti. Plus que d'argent, il parle de lutte des classes. «L'enjeu, c'est
de démontrer que l'économie peut fonctionner autrement, qu'il y a d'autres solutions
», dit-il.
En ce sens, Scop-Ti fait figure d'anomalie: les anciens salariés sont tous
coopérateurs et élisent un comité de direction. Les statuts interdisent de rémunérer le
capital et de verser de hauts salaires, ceux-ci variant aujourd'hui entre 1700 et 2000
euros par mois.
Exporter le modèle
En sortant, on recroise le directeur-adjoint. Alors Olivier, c'est quoi la suite? «Là, tout
de suite, je pars en formation, glisse-t-il. Pour l'année, je me fixe un objectif plus
simple. Trouver du temps pour me remettre au sport.» Et pour la boîte? «Dans nos
murs, on a vaincu le capitalisme, on a fait tomber le système. Mais dehors, il existe
toujours», balance-t-il malicieusement.